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Jonas Baumann

Une carrière en dents de scie

Jonas Baumann fait partie de l’élite mondiale et est considéré comme le numéro 2 helvétique derrière Dario Cologna. Le Grison de 30 ans a fait un burn-out qu’il a surmonté avec succès en 2017.

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PERSONNAGES

Nous sommes au mois de décembre, juste avant Noël. Jonas Baumann savoure une pizza et nous raconte sa vie. En une phrase, il résume sa carrière jusqu’ici: «J’ai l’impression d’avoir vécu un parcours en dents de scie.» Le membre du Skiclub Tambo Splügen n’est plus un jeunot insouciant, il fêtera ses 30 ans le 27 mars. Cela ne change rien au fait qu’il aime son sport autant que par le passé lorsqu’il était encore un enfant et rêvait de participer un jour à des courses retransmises à la télévision. Mais Baumann a beaucoup appris pendant toutes ces années, et il retient surtout une chose: ne plus forcer envers et contre tout. Baumann passe sa jeunesse à Lohn, un petit village grison de 50 habitants. Il grandit entouré de quatre sœurs dans une exploitation agricole, son père est président de la commune située à 1585 mètres d’altitude. Il fait du ski, joue au football à Thusis/Cazis, mais il est fasciné par le ski de fond.

Tout s’enchaîne très vite À 15 ans, il quitte la maison familiale et fréquente le gymnase sportif à Davos et vit une «période cool», comme il le dit lui-même. Il partage sa chambre avec le talentueux skieur Jonas Fravi, avec qui il noue une solide amitié. En 2010, celui que l’on surnomme «Buma» passe la maturité. À ce moment-là, il a déjà fait ses débuts en Coupe du monde. Il termine l’école de recrues dans l’unité des sportifs, entre dans le cadre A de Swiss-Ski en 2012 et remporte son premier titre de champion de Suisse sur le 15 km poursuite. Pendant la saison suivante, il empoche ses premiers points en Coupe du monde. En 2014, il participe à ses premiers Jeux olympiques à Sotchi, sur la scène nationale, il est constamment sur la pente ascendante et se retrouve numéro 2 derrière Dario Cologna. Baumann enchaîne tout très rapidement, et ce dans tous les domaines. En sport, il est à la recherche de la perfection, mais en même temps, il pense à l’avenir, à la vie après sa carrière. Il dit: «Je veux y être préparé.» À 25 ans, il entame des études en économie d’entreprise à Coire avec spécialisation en gestion du sport à la Haute école spécialisée des Grisons. Toutefois, en 2016/2017, il paie un prix élevé pour son immense effort. Il devait se préparer à un grand examen à la Haute école et en même temps fournir de bonnes performances sur la piste.

Diagnostic: burn-out À un moment donné, il n’arrive plus à se reposer, ni à déconnecter, il souffre de troubles du sommeil, il est en burn-out. «Le corps fonctionnait encore» dit-il, «mais la tête n’y était plus depuis longtemps.» Il est apathique et n’est plus réceptif, il ignore les signaux et essaie désespérément et vainement de répondre à ses propres attentes ainsi qu’à celles de son entourage. Son épouse Jessica remarque que Jonas Baumann souffre. Elle lui ouvre les yeux et le convainc de suivre un traitement. Un burn-out est diagnostiqué. «Ça a été particulièrement grave de février à fin avril 2017» affirme Baumann. Au mois d’avril, il renonce au sport, ce qui dit tout de l’état dans lequel se trouve une personne pour laquelle bouger chaque jour occupe une place aussi importante. Il parle ouvertement de sa maladie. Et il lutte contre celle-ci à l’aide d’un soutien psychologique. En effet, la résignation n’est pas une option pour le battant qu’il est. Baumann effectue un camp d’entraînement en Sardaigne avec ses coéquipiers, en été il participe au Tortour au sein d’une équipe où il est associé au triathlète de haut niveau Jan van Berkel et au spécialiste de cyclo-cross Marcel Wildhaber et constate qu’il prend du plaisir à un entraînement varié. Il entame la saison 2017/18 en fanfare, il se qualifie pour les Jeux olympiques de PyeongChang et espère que les nouvelles émotions positives lui permettront de réaliser un coup d’éclat en Corée du Sud. Mais pendant le relais 4 x 10 km, il vit une expérience qu’il décrit comme étant «cruciale» et «quelque chose qu’il ne souhaite à personne». Ce jour-là, son corps ne répond plus au moment où il devait poser les bases d’une bonne performance des Suisses. «Ça m’a totalement surpris» dit Baumann, «j’ai transmis le témoin à Dario Cologna avec un gros retard et je peux dire que j’ai fait perdre la course.»

Papa depuis le 1 er novembre Il sent qu’il n’est pas en bonne santé. Des examens démontrent qu’en raison du reflux, il n’arrive pas à atteindre sa vitesse la plus élevée lorsque les températures se situent en-dessous de zéro. Il adapte ses habitudes alimentaires, veille plus particulièrement à ne plus manger des aliments difficiles à digérer tard le soir. Et ça marche. C’est un des épisodes qui ont permis à Baumann de connaître encore mieux son corps. Il n’a pas seulement accumulé énormément d’expériences, mais il a aussi créé une caisse à outils au sens figuré du terme: «Maintenant, je sais ce que je dois faire lorsque je me trouve dans une situation donnée.» Depuis le 1 er novembre 2019, la vie de Jonas Baumann a changé. Il est devenu père et quand il parle de sa fille Jael, son visage s’illumine: «Elle me donne énormément de force.» Et il peut en utiliser beaucoup. Au mois d’août

MAINTENANT, JE SAIS CE QUE JE DOIS FAIRE LORSQUE JE ME TROUVE DANS UNE SITUATION DONNÉE.

JE SUIS DEVENU PLUS FORT QU’AVANT MON BURN-OUT.

2020, il veut terminer ses études par un Bachelor pour lequel il ne se met plus de pression: «La formation est pour moi une préoccupation majeure, j’essaie aussi de la terminer en y apportant le plus grand soin. Toutefois, pour moi, la priorité principale est actuellement le sport et la famille. Et j’ai appris qu’il est important de s’offrir des moments de liberté. Désormais, je me fiche de ce que les autres pensent.» Par le passé, il effectuait son programme de façon conséquente même s’il était fatigué, il ne se ménageait jamais. Aujourd’hui, son mot d’ordre est «La qualité avant la quantité». Et il dit lui-même: «Je suis devenu plus fort qu’avant mon burn-out.» Pour Baumann, les Norvégiens Petter Northug et Björn Dählie sont les deux plus grands de l’histoire du ski de fond. Dario Cologna, son camarade d’entraînement et ami qu’il admire depuis toujours, fait aussi partie de sa fine sélection des meilleurs de tous les temps: «Il arrive toujours à être prêt le jour J pour réaliser des performances de très haut niveau.»

Un équilibre permanent En 2021, le numéro 2 suisse derrière Cologna souhaite réaliser un exploit aux Championnats du monde à Oberstdorf. Si Baumann affectionne la distance du 15 kilomètres classique avec départ en ligne, il se distingue désormais par sa polyvalence. Il investit aussi beaucoup pour cela: il s’entraîne 16 à 25 heures par semaine, réparties en dix séances. En été, il continuera d’escalader les montagnes avec des bâtons ou de se lancer dans des grandes ascensions de cols à vélo. Tester ses limites, les dépasser: Baumann aime relever ce défi. Toutefois, il se pose aussi toujours la question suivante: est-ce que j’en fais trop? Ou trop peu? «C’est un équilibre permanent, mais aussi une mise à l’épreuve», dit-il. Le plaisir du ski de fond le stimule, l’ambition le pousse à s’améliorer. Et il s’inspire volontiers de modèles comme Roger Federer qu’il admire non seulement pour ses succès, mais aussi pour sa passion du tennis qui ne faiblit jamais. Baumann, qui vit avec sa famille à Davos, ne deviendra pas riche grâce au sport. «S’il s’agissait avant tout d’argent, j’aurais dû arrêter depuis longtemps», dit-il, «je suis content si je suis dans les chiffres noirs à la fin de l’année.» Son bonheur personnel ne dépend pas de ses revenus. Il se considère comme un privilégié d’avoir pu faire en sorte que son hobby devienne son métier: «Je mène une belle vie.»

PETER BIRRER

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