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Le sport m’a ouvert beaucoup de portes

Nalani Buob a fait de son hobby son métier: à 22 ans, elle navigue entre le canton de Zoug et le reste du monde comme joueuse de tennis en fauteuil roulant. Cet hiver, elle a en plus fait l’école de recrues pour sportifs et sportives d’élite à Macolin.

Peter Birrer

Quand elle était enfant, révoltée contre son handicap, elle se demandait sans cesse: «Pourquoi moi?» Aujourd’hui, tout est différent: à 22 ans, Nalani Buob rayonne de confiance en elle. La Baaroise, qui est née avec un spina bifida, affirme: «Je fais ce qui me rend heureuse.» Et elle considère depuis longtemps son fauteuil roulant comme une partie d’elle-même, une caractéristique et non un défaut – fidèle à la devise: «The wheelchair is a feature, not a bug.»

Le sport a sans aucun doute eu une énorme influence sur la construction de sa personnalité. Nalani, qui a découvert le tennis à l’école primaire, sillonne désormais le monde et entend bien récolter des victoires aux plus grands tournois. La gauchère a déjà remporté deux titres de championne du monde en simple et deux en double chez les juniors, et a participé pour la première fois aux Jeux Paralympiques en 2021. Nalani est déterminée mais reste attentive aux autres. Avec sa fondation, elle soutient des enfants en Inde, le pays d’origine de sa mère, et les initie au tennis.

Nalani, comment te décrirais-tu à un·e inconnu·e en trois adjectifs?

Pleine d’entrain, heureuse de vivre, curieuse.

Et quelle qualité aimerais-tu avoir?

J’aimerais être plus douée pour les questions d’organisation. Je n’ai pas ce talent, mais j’y travaille.

Tu fais énormément de choses au quotidien. Commençons par ton métier: tu es actuellement joueuse de tennis professionnelle. Exactement. J’ai la chance de pouvoir pratiquer un sport qui est plus qu’un hobby. J’ai commencé le tennis en novembre 2011 et j’ai pu faire de ma passion mon métier.

Pourquoi as-tu choisi cette discipline sportive?

C’était un pur hasard. Marcel Boss, mon enseignant de 5e année, a suggéré que je fasse du sport et a regardé sur Internet les possibilités qui existaient pour les enfants en fauteuil roulant. D’une part, il voulait que je devienne plus autonome et d’autre part, il voyait là l’occasion d’encourager la confiance en soi. L’offre consistait en un cours de tennis à Cham, mais j’ai d’abord pensé: Non, ce n’est pas pour moi, je n’ai pas envie. Le caprice d’une élève de primaire (petit sourire). Après avoir longuement tergiversé avec mes parents, j’ai accepté, car ils m’ont dit: «Si ça ne te plaît pas, tu peux arrêter tout de suite.» J’ai dit: «D’accord, je vais essayer.»

Et tu n’as plus pu t’en passer. J’ai frappé ma première balle – et cela m’a tellement plu que j’ai compris immédiatement que ce sport me convenait parfaitement et qu’il me faisait du bien.

Tu dois donc en être extrêmement reconnaissante à ton ancien instituteur … à l’école, nous avions quelques différends, mais aujourd’hui, je peux faire la part des choses. Je dois beaucoup à Monsieur Boss.

En quoi le tennis est-il aussi fascinant pour toi?

Il ne s’agit pas seulement de renvoyer la balle par-dessus le filet. Cela requiert aussi des capacités de coordination, un maniement optimal du fauteuil roulant, car il faut sans cesse se repositionner rapidement. J’ai l’avantage d’avoir eu d’emblée un bon toucher de balle, la technique ne m’a jamais posé de problème. Le fait que mon entraîneur de l’époque, Thomas Waltenspühl, m’ait motivée dès la première leçon y est aussi pour quelque chose. Ses compliments m’ont fait du bien.

Tu as quelque chose qui fait automatiquement de toi une joueuse particulière: tu es gauchère.

Oui, il n’y en a effectivement pas tant que ça. En général, les droitiers n’aiment pas trop affronter les gauchers.

Tu es quadruple championne du monde chez les juniors: deux fois en simple et deux fois en double. Tu aspires désormais à rejoindre l’élite mondiale. Que te faut-il pour atteindre le sommet?

Techniquement, je maîtrise les coups, mais ils doivent être encore plus puissants. Et la constance est importante. Il s’agit de donner le meilleur de soi-même pendant toute une partie, pas seulement le temps d’un set. J’ai sûrement encore des progrès à faire. Mais je suis sur la bonne voie pour me rapprocher du top 10 mondial. Ces derniers mois, j’ai pas mal accéléré.

Quel tournant aimerais-tu donner à ta carrière?

J’aimerais me qualifier pour les tournois du Grand Chelem. C’est un objectif très ambitieux, mais néanmoins réaliste. Ensuite, je vise les Jeux Paralympiques de Paris en 2024, et je veux au minimum faire mieux que lors de ma première participation en 2021 à Tokyo, où j’ai été éliminée en huitième de finale.

As-tu un modèle qui t’inspire?

Non. Je suis probablement l’une des rares athlètes à ne pas avoir de modèle au sens propre du terme. Bien sûr, je trouvais Roger Federer admirable, c’était un joueur de tennis incroyable. Et je vois ce que d’autres pointures accomplissent dans ce sport. Mais je ne fais de fixation sur aucune en particulier.

Combien de temps consacres-tu au sport par semaine?

Normalement, je m’entraîne cinq jours sur le court, auxquels s’ajoutent deux séances de musculation et une d’endurance. En tout, l’investissement net s’élève à environ 15 heures.

Tu as terminé ton apprentissage de commerce en 2022. Quand as-tu compris que tu préférais le sport de compétition au travail de bureau?

Je me suis fixé cet objectif très tôt. En été 2012, je suis entrée à l’école secondaire à Baar. Un semestre plus tard, j’ai rejoint la classe de sport à Cham et dès lors, j’ai su que je mettrais tout en œuvre pour devenir une sportive professionnelle.

Même si tu ne peux pas mettre des millions de côté … non, mais l’argent n’a jamais été un critère quand j’ai envisagé mon avenir. J’ai choisi le sport parce qu’il me procure un plaisir infini. En outre, j’ai eu la chance d’attirer pas mal d’attention. Cela m’a permis de trouver plus facilement des sponsors. Grâce à eux, je peux me permettre d’avoir une carrière professionnelle. Il y a bien des prix en espèces, mais ils restent modestes. Il faudrait quasiment gagner tous les tournois si l’on voulait vivre uniquement de l’argent des prix. Et c’est très irréaliste.

Il t’a donc fallu un sacré courage pour miser entièrement sur le sport. Dans certaines limites. À l’école, je n’ai jamais été la meilleure, mais en sport, j’étais très bonne. C’est grâce à mes performances sur le court de tennis que j’ai obtenu une place dans la classe de sport. Le sport a toujours été important pour moi, il l’est resté, et je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui si je n’avais pas eu le sport. Il m’a ouvert beaucoup de portes, c’est pourquoi il a toujours été évident que si j’avais un jour la chance de passer professionnelle, je la saisirais. Par ailleurs, je suis quelqu’un qui a la bougeotte. Rester tranquille pendant des heures, ce n’est pas mon truc.

Tu as des racines indiennes, ta mère est originaire de Goa. Et tu as créé une fondation avec laquelle tu t’engages en Inde. Que veux-tu accomplir avec «The First Serve»?

L’Inde est pour moi – tout comme la Suisse – ma patrie, je me sens attirée par ce pays. Autrefois, notre famille se rendait régulièrement à Goa. Nous nous engagions là-bas en faveur des orphelin·e·s et cela me touchait à chaque fois profondément. Ces jeunes respirent la joie de vivre, bien que leurs conditions de vie soient très difficiles. J’ai toujours trouvé injuste qu’il y ait des enfants sans parents, qui ne possèdent presque rien et qui ne puissent pas non plus aller à l’école. C’est de là qu’est né en moi le désir de m’engager. Et c’est ce que je fais aujourd’hui avec la fondation «The First Serve». Nous œuvrons en Inde et permettons aux enfants handicapés de s’entraîner au tennis en fauteuil roulant.

Comment t’es-tu lancée dans le travail de la fondation?

Tout a commencé en été 2018 avec un atelier de tennis de plusieurs jours pour les enfants de dix à douze ans. Nous avons fourni des raquettes, des balles, des fauteuils roulants de tennis – et c’était parti. Au début, j’étais super nerveuse, car j’étais habituée à un déroulement strict lors de mes entraînements. Mais je n’ai pas eu à faire grand-chose pour rendre les enfants heureux. Ils et elles ont pris les raquettes et ont commencé à taper des balles – c’était un vrai plaisir de les regarder.

Comment se passe le projet?

Deux classes y participent actuellement. Nous collaborons avec une fondation locale qui en assure le fonctionnement. Elle veille à ce que des professeur·e·s de tennis s’entraînent avec les enfants et développent leurs talents, sans en faire obligatoirement des champions et des championnes. Ma priorité, c’est qu’ils prennent conscience qu’ils ont autant de valeur avec leur fauteuil roulant que les autres. Qu’ils sentent ce qui est possible de faire s’ils y travaillent sérieusement. Qu’ils puissent construire leur personnalité grâce au sport. Ce projet est un début, mais pour moi, une chose est sûre: mon engagement doit s’intensifier à l’avenir, je veux vraiment m’investir dans cette fondation. L’objectif est d’offrir un jour, non seulement des leçons de tennis, mais aussi des formations scolaires et professionnelles.

Tu es une joueuse de tennis professionnelle, tu as créé une fondation et tu as même fait l’école de recrues des sportifs d’élite à Macolin. Qu’est-ce qui t’a attirée?

Plusieurs facteurs ont joué un rôle. Par exemple, l’opportunité de passer un long moment avec une foule d’athlètes issu·e·s de diverses disciplines, d’échanger avec ces sportifs et sportives et d’en tirer profit. Ou encore la possibilité de s’entraîner soimême intensivement et de bénéficier de précieux conseils de spécialistes en planification de carrière, communication et compétence en matière de présentation.

Ce n’était donc pas aussi militaire que ce que l’on s’imagine a priori dans une ER? Les trois premières semaines ont quand même été marquées par une formation militaire de base, l’école de section ou l’apprentissage des grades, ainsi que par une formation sanitaire. Et nous devions bien sûr nous lever tôt, ce qui était un défi pour moi qui ne suis pas du matin. Il m’a fallu quelques jours pour m’habituer à ce que l’on nous donne des ordres à droite et à gauche. En tant que pro, j’ai l’habitude d’être ma propre patronne et je suis libre de décider de ce que je fais (petit sourire). J’ai fait l’ER de mon plein gré et, avec le recul, je peux dire que cela en valait la peine. Nous avions une troupe hyper cool. Et pendant ces 18 semaines, j’ai évolué sur le plan personnel et je suis devenue plus ouverte.

Nous n’avons pas encore parlé de tes talents musicaux: tu joues du violon. Quand donnes-tu ton premier concert? (Rires). Ça fait longtemps que je n’ai pas joué, alors il vaut mieux ne pas entendre ma musique en ce moment! Mais oui, j’ai commencé en première année, j’ai mon propre violon et j’aime jouer. Mais je n’en ai hélas pas souvent l’occasion.

Tu n’as donc pas non plus le temps de remplir ta bucket list – à moins que tu n’en aies pas?

Si, si, j’ai déjà plusieurs idées. Avec tout en haut, l’objectif de développer le travail avec ma fondation en Inde. C’est une affaire qui me tient à cœur et une des rares choses, avec le tennis, qui me comble au plus haut point.

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