
6 minute read
Biscotti, pomodori e peperoni
UNE ACTIVITÉ FRUCTUEUSE
Sandro Lancini, jardinier passionné, s’est créé son propre petit paradis à Arzo TI.
Gabi Bucher
Sandro Lancini vit à Arzo, dans le district de Mendrisio, dans une maison à flanc de colline avec une vue incroyable. Par beau temps, on peut même apercevoir Milan, affirmetil. Il y vit seul depuis 30 ans et, pour lui tenir compagnie, il a adopté Aldo, un bulldog anglais. Ce n’est pas commun, car Aldo est en fait une chienne. Sandro rit et m’en raconte la raison, dans un mélange de français et d’italien, parsemé de quelques bribes d’allemand. Le nom avait déjà été choisi et inscrit à côté du sien sur la boîte aux lettres avant qu’il ne choisisse son compagnon chez l’éleveur. Comme le mâle qui lui était destiné n’avait pas la bonne couleur, il a opté pour la femelle. «Au final, le chien n’en a rien à faire de la façon dont je l’appelle, tant qu’il reçoit sa friandise», conclutil en riant.
Une opération de secours désastreuse
Sandro est comme ça: il aime raconter des histoires, rit beaucoup et se plaît bien dans son petit royaume, malgré les restrictions dues à son accident. Quoique ce n’était pas vraiment le sien, rectifietil. «Je roulais sur l’autoroute. Il y avait eu un accident et j’étais sorti de ma voiture pour porter secours quand j’ai moimême été percuté par une voiture roulant à 120 km/h et projeté en l’air sur 25 mètres.» Il s’est retrouvé en piteux état. Après presque deux ans d’hospitalisation et trente opérations, il vit aujourd’hui, 13 ans plus tard, avec une jambe amputée audessus du genou et une mobilité réduite du bras droit. Mais ce qui le tourmente et l’handicape pardessus tout, ce sont les douleurs fantômes. Elles ne cessent de venir le hanter. «La prothèse de jambe a encore aggravé les choses, alors je l’ai mise de côté il y a deux ans.» Il utilise maintenant un fauteuil roulant et parfois des béquilles.

Un chemin de jardin en escaliers
Aldo est une grande source de distraction dans sa vie, «d’un côté, elle me tient compagnie, de l’autre, je dois m’en occuper et la sortir par tous les temps». Mais son plus grand hobby, c’est son jardin. «Il y a toujours eu un jardin ici, même avant mon accident, mais il était bien plus grand», racontetil. Lorsqu’il est rentré chez lui après son séjour à l’hôpital, il a longuement réfléchi à la manière dont il pourrait réaménager le jardin et le rendre accessible. «Un jour, à Coldrerio, dans une entreprise de béton, j’ai vu ces conteneurs carrés et ces éléments d’escalier.» Cela lui a donné l’idée des platesbandes. Il pourrait se les faire livrer, l’a averti le vendeur, mais il devrait poser le tout luimême. «Heureusement, j’ai gardé beaucoup d’amis du temps où j’étais conducteur de train aux CFF», poursuit Sandro. Les éléments d’escalier ont été posés à l’envers, ce qui a permis de créer un chemin praticable tout en délimitant


les platesbandes. Comme Sandro a une bonne stabilité du tronc, il peut atteindre les nouveaux carrés de plantation. «Bien sûr, ce serait plus pratique si ils étaient plus hauts, mais il aurait alors fallu bétonner car la pression de la terre aurait été trop forte. Et ainsi, nous n’avons eu qu’à les poser.» Un chemin un peu plus large serait aussi pratique, car il pourrait faire demi tour avec son fauteuil roulant. «Mais pour cela, j’aurais eu besoin d’éléments sur mesure, ce qui aurait été trop cher.»
«Mon jardin me permet de rester actif»
Il y plante pommes de terre, carottes, tomates, courgettes, herbes aromatiques, salade… «Il y a des années à tomates, des années à courgettes, on ne sait jamais ce qui poussera le mieux. Mais mes tomates!», s’extasietil, «grosses, rouges et merveilleusement charnues». Son père, décédé il y a quatre ans, avait aussi un jardin, «où l’on pouvait manger à même le sol», plaisante Sandro. «Tout bien nettoyé et entretenu, pas une mauvaise herbe. Il se levait à cinq heures du matin pour arroser. Chez moi, c’est un joyeux fouillis, j’arrose le soir, ce qu’il ne faut surtout pas faire, selon mon père. Mais mes tomates mûrissaient plus tôt et étaient plus belles que les siennes!» Bon, il reconnaît que l’ensoleillement dont son jardin bénéficie toute la journée joue probablement aussi un rôle!
Paiement en biscuits
Dans la petite serre près du mur de la maison, Sandro cultive de jeunes plants. «J’essaie autant que possible de tout faire moimême. Si ça ne marche pas, je rachète des plantons.» Mon jardin me permet de rester actif. Désherber, enlever les pousses, arroser, il y arrive sans problème. Mais bien sûr, il y a des choses qu’il ne peut pas faire luimême. «Et c’est tant mieux. Cela me permet de rester en contact avec mes amis. Soit je les appelle à l’aide, soit ils me demandent s’il est temps d’arracher les patates, par exemple. En retour, je cuisine pour eux ou je les paie en biscuits.» Oui, confietil, depuis quelque temps, il pâtisse régulièrement, une occupation qui l’aide à oublier les douleurs fantômes. «Lorsque je n’arrive plus à dormir parce qu’elles sont trop fortes, je fais des biscuits au lieu de regarder la télé et de boire des litres de café. Cela me change les idées.» Il leur apporte trois saladiers de biscuits différents. «Ma mère m’a donné la recette de base et j’expérimente en y rajoutant toutes sortes de choses: des noix, des abricots secs et depuis peu aussi, du gingembre.» Ses amis raff olent de ses biscuits et adorent être «payés» en nature. «Et cela me fait plaisir quand ils me disent qu’ils étaient délicieux.» Dommage qu’il n’en mange pas luimême! Récemment, il en a envoyé un paquet à l’un de ses amis à l’école de recrues, avec des petits morceaux de saucisses dedans, histoire de rigoler. «C’était censé être une blague», ditil en riant, «mais le gars a réclamé du rab.» Le jardin n’est pas immense, mais il est assez grand pour lui fournir ce dont il a besoin pour faire sa tambouille. Car bien sûr, il cuisine luimême, sinon il ne pourrait pas manger, ditil. Et au moins trois fois par semaine, sa vieille maman vient dîner avec lui. «Elle ne se nourrit plus correctement. En plus, elle a cuisiné pour moi pendant si longtemps que je peux bien lui rendre la pareille.» Il aime aussi les grillades et a fait construire un barbecue spécial qu’il peut utiliser assis. Et en accompagnement, il sert des «pomodori e peperoni», une sorte de pâte de tomates et de pepperoni sur du pain frais – il n’y a rien de meilleur. «Ou des courgettes farcies aux légumes ou à la viande, ou les concombres au yoghurt.» Pas de doute, c’est le gourmet qui parle.
Il y a un dicton italien, m’apprend Sandro: «Chacun remue sa propre polenta.» Il faut s’organiser, s’aider soimême. Alors il bricole et ne cesse d’améliorer. Par exemple, il a inventé un dispositif de protection contre la grêle. «Si je l’installe, on peut être sûr qu’il ne va pas grêler, mais gare à moi si j’ai le malheur de l’oublier», ou une grille amovible pour pouvoir accéder à ses platesbandes depuis le parking, sans qu’Aldo n’aille batifoler dans son potager. Et il demande de l’aide à chaque fois qu’il en a besoin.
L’inimitable et délicieuse odeur d’un café moka flotte de la cuisine à la terrasse. Il est temps de goûter aux fameux «biscotti» de Sandro!