LA PUISSANCE DES ARBRES
BIG BANG UNICO
Boîtier en King Gold 18K et céramique. Mouvement chronographe UNICO manufacture.
IMPRESSUM
Une publication de la Société Privée de Gérance Route de Chêne 36 – CP 6255 1211 Genève 6 www.spg-rytz.ch
Éditeur responsable Thierry Barbier-Mueller
Rédacteur en chef Emmanuel Grandjean redaction@lvxmagazine.ch www.lvxmagazine.ch
Ont participé à ce numéro : Joseph Arbiss, Christophe Bourseiller, Marine Cartier, Philippe Chassepot, Monica D’Andrea, Alexandre Duyck, Cora Miller, Thierry Oppikofer, Viviane Reybier
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Cahier immobilier et coordination marketing Marine Vollerin
Maquette : Bao le Carpentier, Simon Ladoux Graphisme et prépresse : Bao le Carpentier
Correction : Monica D’Andrea
Distribution : Marine Vollerin, Jules Vignon
Production : Stämpfli SA Berne
Tirage de ce numéro 15’000 exemplaires Paraît deux fois par an Couverture Chaideer Mahyuddin / AFP
Édito
Dans la famille des magazines publiés par la Société Privée de Gérance, vous lisez déjà L’Information Immobilière et Immora ma. Le premier a été créé en 1976, le second en 1997. Même si notre cœur de métier n’est pas l’édition, notre entreprise prouve, depuis plus de quarante ans, son expertise aussi dans ce domaine. Un savoir-faire animé par l’amour de l’écrit et du papier, le souci de la bonne facture de nos publications et leur pérennité, la curiosité et l’exigence de traiter l’information avec justesse en l’ouvrant à d’autres perspectives. Et ce toujours gra tuitement, dans votre boîte aux lettres ou sur notre site internet, parce que nous restons persuadés que ce principe est aussi gage de presse de qualité et un moyen efficace de diffusion des connaissances.
Cette revue, créée en 2022, est éditée par le groupe SPG-Rytz, composé de la Société Privée de Gérance SA et de Rytz & Cie SA
droits réservés.
2022 Société Privée de Gérance SA, Genève
Vingt-cinq ans après la création d’Immorama, voici LVX, la lu mière latine, dans une graphie romaine qui affirme l’indéfectible attachement de notre société à la culture, « cet héritage de la noblesse du monde », disait Malraux. Cette nouvelle publication s’intéresse à l’art, à l’architecture, à la gastronomie, à l’horloge rie, mais aussi aux styles et aux technologies : à tout ce dont l’humanité est capable lorsqu’elle donne le meilleur d’ellemême. Mais elle cherche aussi à apporter des réponses à un public que l’évolution de nos sociétés questionne. Qu’ils soient écologiques, politiques, sociologiques, les défis sont énormes et les solutions nombreuses. Revue humaniste, LVX convoque ainsi deux fois par an (en mars et en novembre) celles et ceux – scientifiques, philosophes, artistes – qui pensent l’époque avec cette élégance qui, parfois, lui manque. Elle est aussi le fruit d’une collaboration entre une rédaction d’auteurs, de cri tiques et de chroniqueurs chevronnés et SPG One, partenaire de Christie’s International Real Estate, le département de l’immobi lier de prestige de la SPG, qui partage avec LVX son goût pour la culture, le beau et le singulier.
Emmanuel Grandjean Rédacteur en chefLes offres contenues dans les pages immobilières ne constituent pas des documents contractuels. L’éditeur décline toute responsabilité quant au contenu des articles. Toute reproduction même partielle des articles et illustrations parus dans ce numéro est interdite, sauf autorisation préalable et écrite de la rédaction.
TousDonnez-moi deux grammes d’anagrammes
Par Christophe Bourseiller, comédien, journaliste et essayisteNous vivons dans un monde formidable. Il est des humains qui lisent l’avenir dans le marc de café, tandis que d’autres écoutent leur grand-mère, l’oreille collée à un coquillage. Certains interprètent les rides qui strient nos mains. Sera-t-elle longue, ma ligne de vie ? Des enfants, j’en aurais combien ? Je connais des « chercheurs » raffinés qui écoutent la radio, entre deux stations, pendant des heures, dans le dessein d’entendre parler les morts au milieu des grésille ments. Cette pratique dûment répertoriée s’affuble d’un nom scientifique : la transcommunication instrumentale. D’au cuns, enfin, observent le ciel étoilé, ou les résultats du tiercé, pour y chercher la réponse à d’insondables questions. On m’a proposé un jour de porter, en guise de couvre-chef, une pyramide chauffante, censée me protéger des ondes maléfiques, tout en décuplant mes capacités mentales, mais l’objet
s’est révélé lourd, onéreux, et difficile à assumer dans l’espace public. Je dois cependant noter que les multiples devins, gourous, coaches, voyants, magnétiseurs, astrologues, sorciers, médiums, néochamans, néopaïens, néodruides, bioénergéticiens en quête de lunes gibbeuses sont aujourd’hui largement coiffés au poteau par une nouvelle catégorie d’extralucides : les anagrammistes.
Ces spécimens d’un nouveau genre, qui, par ailleurs, sont des champions au Scrabble, trouvent la vérité en bâtissant des anagrammes.
Je veux parler d’un genre littéraire méconnu et hautement mystérieux, qui s’est progressivement transformé en un culte underground et select, une société si secrète que personne ne la connaît. Comme vous le savez sans doute, on
obtient une anagramme (oui, car c’est une dame l’anagramme et donc un mot féminin) en permutant les lettres d’un mot ou d’une expression. Un exemple, simplissime : pirate est l’anagramme de patrie. L’art de la permutation des lettres se révèle fort ancien, puisqu’il a été in venté au IVe siècle avant Jésus-Christ, en Grèce, par le poète Lycophron.
Mozart du futile
Or, il existe de nos jours un génie de l’inu tile, un démiurge du dérisoire, un Mozart du futile nommé Jacques Perry-Salkow, qui se définit au civil tout à la fois comme un pianiste de jazz et un « jongleur de mots ». Cet être fascinant passe sa vie à inventer des anagrammes, et je dois dire qu’il est particulièrement doué. Je recommande la lecture de ses ouvrages, parfois coécrits avec le physicien Étienne Klein ou l’écrivain voyageur Sylvain Tes son : Anagrammes renversantes ou le sens caché du monde, Anagrammes dans le boudoir, Anagrammes à la folie, Ana grammes pour sourire et rêver, ou encore Anagrammes pour lire dans les pensées. Nous voici a priori immergés dans le ludique. Après les mots croisés, passe rai-je aux lettres inversées ? En somme, n’est-il question dans cette chronique que d’inoffensifs jeux de mots ? Il y a plus, et je dirais même plus : tout est ici dans le plus. Jacques Perry-Salkow a ouvert malgré lui une boîte de Pandore. Quand je me délecte de ses multiples bréviaires, je ne manque pas de m’interroger, avec une pointe d’inquiétude. Si l’anagramme en disait plus qu’il n’y paraît ? Et si c’était davantage qu’un simple divertissement ? Et si ? Et si ? Et si ?
Saisissons-nous d’une fameuse pièce musicale : le Boléro de Ravel. Son ana gramme est curieusement : « Rodéo verbal ». N’est-ce pas troublant de cohérence ? L’œuvre de Maurice Ravel n’évoque-t-elle pas justement une che vauchée maîtrisée ?
Demeurons un instant dans la musique. L’anagramme de Scala de Milan n’est autre que « demain la Callas ». Hasard, ou prédestination, Providence, synchro nicité ? Avouez que l’on peut douter.
Nous voyons bien ici que gît sous nos yeux comme un mystère de
l’anagramme. Observons celui de Michel Onfray, qui est, comme chacun sait, un post-anarchiste (c’est lui qui le dit) et un athée militant : c’est « lyncher ma foi ». Il faut dire que c’est bien trouvé. L’anagramme de Napoléon empereur des Français me fait penser à du Nos tradamus : « Un pape serf a sacré le noir démon ». Comment devrais-je l’interpré ter ? Albert Einstein : « Rien n’est établi ». Un bel hommage au doute scientifique. Le marquis de Sade ? « Marque des La dies ». On ne saurait mieux décrire l’in venteur du sadisme.
Boris Vian avait lui-même choisi sa propre anagramme : « Bison ravi ». Paul Verlaine dans ses poèmes se désignait comme « Pauvre Lélian ». François Ra belais aimait à se faire appeler « Serafino
J’obtiens : « La présence ». Pour soigneur, voici « guérison ».
Ravioli impudent
Sur un plan politique, si je dis : Front na tional, Jacques Perry-Salkow répond : « L’entonnoir fatal ». François Hollande ? « Lardon hélas nocif ». Angela Merkel ? « Le mark la gêne ». Gérald Darmanin : « Malandrin gradé ». Laurent Fabius ? « Naturel abusif ». J’allais oublier Vladimir Poutine, qui devient « ravioli impudent ». Plus curieusement, l’anagramme de Pablo Picasso est « Pascal Obispo ». Là j’avoue mon incompréhension. Je de meure tout aussi réservé devant l’ana gramme de la crise économique, dans la mesure où j’obtiens « le scénario co mique ». Mais je suis rassuré par le com mandant Cousteau, dont l’anagramme nous dit : « Tout commença dans l’eau ». Est-elle maintenant prémonitoire, l’ana gramme de la Révolution française ? Ça donne : « Un veto corse la finira ». Cen trale nucléaire ? C’est « le cancer et la ruine ». Quid du réchauffement clima tique ? « Ce fuel qui tache le firmament ». Ainsi, l’anagramme incarne-t-elle peutêtre la voix secrète et prémonitoire qui parfois nous murmure dans l’oreille, à la façon de Jiminy Cricket dans Pinocchio L’anagramme, c’est vous, c’est moi, c’est nous ?
Calbarsi ». André Breton nommait Salva dor Dali « Avida Dollars » : bien vu ? Voici un florilège des travaux de Jacques Perry-Salkow : Faites l’amour pas la guerre, ça donne : « L’orgasme apaisera le futur ». Le bonheur est dans le pré dé bouche sur la formule : « Ou le serpent dans l’herbe ». La Belle au bois dormant devient : « Mouillant sa robe de bal ». La lingerie fine équivaut à : « Légère à l’in fini ».
Nous nous trouvons ici face à une incroyable accumulation de hasards qui, peut-être, n’en sont pas. Car, pour les anagrammistes, la permutation énonce une vérité. Elle dévoile quelque chose. Elle révèle une part d’ombre qui échappe à la vigilance de la ratio nalité. Elle agit comme un révélateur de l’inconscient. Prenez le baiser du soir. Ça donne « libido assurée ». Et l’espérance ?
Voici que se déploie le grand débal lage de l’inconscient. Éducation sexuelle donne : « Étincelles à deux ». Vertiges de l’amour : « Vol de marguerites ». Le grand amour est le « roman du large ». Plus oléolé, libération sexuelle devient « résille ou bien latex ». Mariage pour tous donne « s’aimer par goûts ». Un vibromas seur : « Rambo sur une vis ». Les feux de l’amour prennent le visage d’un « drame sexuel flou ».
Je m’interroge et c’est là ma conclu sion : les créateurs d’anagrammes de vraient-ils être pris pour des thérapeutes non conventionnels ? Peut-on imaginer un jour prochain l’avènement d’une mé decine anagrammique, qui nous soigne rait par la légèreté et l’humour, tout en requinquant les âmes perdues ? C’est mon souhait le plus cher. Comme disait Henry de Montherlant, éternité est l’ana gramme d’« étreinte ».
« L’anagramme de Pablo Picasso est ‹ Pascal Obispo ›. Là, j’avoue mon incompréhension. »(Chaideer Mahyuddin / AFP)
L’HOMME
QUI AIMAIT LES ARBRES
Depuis les années 60, le botaniste et dendrologue Francis Hallé défend ces forêts primaires auxquelles il a consacré sa vie. Il milite plus que jamais pour la renaissance de ces morceaux merveilleux de nature intouchée.
Par Alexandre DuyckLa première fois que Francis Hal lé découvre une forêt primaire, c’est en 1963, en Côte d’Ivoire. Il ne faut alors pas aller bien loin pour basculer dans un autre monde. La forêt se trouve aux portes d’Abidjan. « La beauté m’a sauté aux yeux. Là-bas, si vous avez une empathie pour le monde végétal, l’émerveillement est permanent. » Il se sou vient de tout, près de soixante ans après. « Ce fut inoubliable. La taille, la biodiver sité, les parfums, les odeurs… » Il y croise peu d’animaux. Contrairement aux idées reçues, on n’en rencontre pas beaucoup dans ce type de forêts où la vraie vie ne ressemble pas aux Aventuriers de l’arche perdue « Les animaux sont intelligents, ils savent bien qu’ils doivent se méfier de l’homme », dit-il. Ils n’ont pas tort. Quand il est retourné, il y a quatre ans, pour retrou ver sa première forêt, celle de 1963, Fran cis Hallé n’a vu qu’un vulgaire parking. Tout avait disparu, comme tant d’autres lieux sauvages à travers le monde…
Poumon vert
Il en faudrait plus, cependant, pour décourager ce savant. Pour ceux qui le connaissent mal, Francis Hallé, né en 1938 en Seine-et-Marne, pas très loin de Paris, est un botaniste, biolo giste et dendrologue (la science des arbres) français. Docteur en biologie et en botanique, diplômé de la Sorbonne, ancien professeur de botanique à l’Uni versité de Montpellier, il est sans doute aujourd’hui le meilleur connaisseur des arbres du monde. En 2013, le réalisa teur Luc Jacquet lui consacrait un long documentaire diffusé au cinéma, Il était une forêt. Toute sa vie a été vouée aux arbres, notamment aux forêts tropicales primaires. Elle l’est toujours, car à 83 ans, Francis Hallé travaille encore, parcou rant le globe, écrivant un livre de réfé rence après l’autre. Rien qu’en 2021, il a publié L’étonnante vie des plantes avec Rozenn Torquebiau, chez Actes Sud ; col laboré au film Poumon vert et tapis rouge de Luc Marescot ; publié Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest (Éd. Actes Sud) puis, chez le même éditeur, Le Ra deau des cimes. Trente années d’explora tion des canopées forestières équatoriales, co-écrit avec trois auteurs.
Cette année, ce jeune octogénaire s’est impliqué dans deux nouveaux très gros chantiers. Le premier fait suite aux gigantesques incendies ayant dévasté la région de Bordeaux durant l'été. Que faire après ce désastre ? Replanter des pins comme l’envisagent le gouverne ment français et les professionnels de la région, soucieux de retrouver leurs sources de revenus ? « Surtout pas, ce serait la pire des choses ! » s’agace Fran cis Hallé, qui rappelle que jadis, cette forêt, uniquement plantée pour satis faire aux besoins de l’industrie, n’existait pas. « Nous sommes dans une période de réflexion, il faut trouver des solutions plus intelligentes. Le souci c’est que l’économie dirige tout… »
L’autre projet pour 2022 ? La renaissance d’une forêt primaire en Europe. Logique pour un homme au sujet duquel la productrice de Radio France Fabienne Chauvière, qui le reçut à son micro, dé clare : « Ses convictions sont ancrées dans le sol, comme les racines de ses amis feuillus et branchus. Son amour pour les forêts primaires est infini. »
Joyaux de la nature
À l’initiative du botaniste, l’association « Francis Hallé pour la forêt primaire » agit pour la création d’un vaste espace européen de grande superficie – environ 140’000 hectares – dans lequel une fo rêt intacte évoluera de façon autonome. Cette dernière renouvellera et dévelop pera sa faune et sa flore sans aucune in tervention humaine, sur une période de plusieurs siècles. Cette zone, selon Fran cis Hallé, va couvrir trois pays : la France majoritairement (Vosges et Ardennes), la Belgique et l’Allemagne, plus peut-être le Luxembourg. « Une forêt primaire n’a été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée de façon quelconque par l’homme, ex plique l’association. C’est un joyau de la nature, un véritable sommet de biodiver sité et d’esthétisme. » Les avantages d’un tel espace naturel ? Captation du CO2, régulation du climat, réserve de biodi versité, reconstitution des ressources hydriques… « Les bénéfices sont inesti mables, reprend Francis Hallé. Une fo rêt primaire est beaucoup plus belle et bien plus riche en formes de vie qu’une
forêt secondaire, dégradée, appauvrie. En Europe de l’Ouest, ces forêts ‹ gérées › ont progressivement remplacé les fo rêts primaires. Or, ces dernières repré sentent une réponse majeure au réchauf fement climatique par leurs capacités de décarbonation. » La forêt pourrait être accessible en 2023. Après l’avoir
débarrassée des dernières traces de vie humaine telles que les clôtures ou les sentiers, les promeneurs étant appe lés à ne pas fouler directement le sol, mais à progresser sur des caillebotis.
« Si cela marche, et je crois que cela va marcher, l’Espagne nous a déjà dit qu’elle aimerait avoir la sienne », se réjouit-il.
Année après année, Francis Hallé a beau voir les forêts tropicales disparaître sous les coups de la déforestation et de l’urbanisme, celles de Californie et d’Europe être dévastées par les incen dies, celles du monde entier souffrir des effets du réchauffement climatique, il lui en faudrait plus pour céder au
défaitisme. « Si on commence à baisser les bras, on est vraiment mal barrés » , souligne celui qui, toutefois, reconnaît faire assez peu confiance à l’être humain.
« Je dirai même que j’ai de gros doutes sur son avenir. » Et pour cause : passer sa vie à étudier les forêts revient aussi, hélas, à observer les ravages causés sur elles
Ci-dessus et page suivante : Un «Sophora Japonica» couvert de lierre et la base d’un arbre indéterminé de la forêt de Pakitza, en Amazonie péruvienne. Depuis toujours, Francis Hallé remplit des carnets de dessins d’arbres à l’aquarelle, à l’encre ou au crayon. (Collection Francis Hallé, Montpellier. © Francis Hallé)
par l’homme. En même temps, c’est aussi au génie humain qu’il doit sa vocation…
Francis Hallé est le fils d’un éminent agronome et d’une amou reuse des plantes, fille du peintre André Dauchez. Pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que la famille doit, comme tout le monde, affronter les privations, il réalise l’étendue du savoir de son père. « Je me suis rendu compte qu’avec un petit lopin de terre, un agronome savait tout faire avec trois fois rien. À commencer par nourrir ses sept enfants. » Son frère aîné Nicolas devient botaniste au prestigieux Muséum d’histoire naturelle de Paris. Tout logiquement, Francis marche dans les pas du père et du frère, se spécialisant en écologie des forêts tropicales humides. Direction l’Afrique : la Côte d’Ivoire, où ses enfants sont nés ; le Congo, le Zaïre. Puis, il met le cap sur l’Indonésie. Une vie de voyages vient de débuter qui le verra étudier, vivre et parta ger la vie des habitants (et des arbres) au Canada, à Madagascar, en Tanzanie, en Thaïlande, au Chili, au Panama, en Équateur, aux États-Unis, au Brésil, en Guyane française… « Quand on aime les arbres comme moi, il est logique d’aller là où il y en a le plus, où
les forêts sont les plus immenses. À côté d’elles, nos forêts euro péennes ne sont qu’un petit écho du bruit qu’elles émettent. » A-t-il parfois peur en forêt ? Non, pas même la nuit, au contraire. Une seule chose toutefois l’effraie : se perdre. « Là, les choses peuvent vite se compliquer… »
Laisser pousser Grâce à lui, on connaît mieux ces êtres complexes et magni fiques que sont les arbres, mais aussi tout le monde végétal, dont il vit entouré dans sa maison de Montpellier. Dans son livre Éloge de la plante (Éd. Points), il soutient que les végétaux et l’espèce humaine ne sont en rien comparables. Il explique que la majorité des premiers est capable de vivre en totale auto nomie et pourrait même très bien se passer de la plupart des animaux, hormis la pollinisation par les insectes et les oiseaux.
« L’autonomie des arbres est l’une des choses qui me frappent le plus encore aujourd’hui, explique-t-il. Si nous, nous avons absolument besoin d’eux, la réciproque n’est pas du tout valable. La meilleure des choses à faire est même de les laisser tranquilles. »
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Rien n’agace plus l’éminent botaniste que ces jardiniers, amateurs ou profes sionnels, qui se croient obligés de tailler les arbres, les abîmant et les défigurant au passage. Quant à la mode actuelle qui veut que tout dirigeant politique, maire, chef d’entreprise ne jure plus que par le fait de planter des arbres… « Tous ces gens qui plantent sans savoir planter, ne m’en parlez pas. » Francis Hallé se dé sole de ces arbres disposés au mauvais endroit, au mauvais moment, selon de mauvaises techniques, à qui l’humain, croyant bien faire ou voulant simple ment se donner bonne conscience, ne laisse aucune chance de survie.
« On ferait mieux de semer au lieu de plan ter. Une graine sait se débrouiller toute seule et donnera des racines, donc la vie. » À l’inverse, deux choses le consolent : la « prise de conscience et l’affection gran dissante pour les arbres » qu’il observe un peu partout. Et ces actions militantes menées lors des projets d’abattage pour construire des parkings, des immeubles, des stades… « J’admire beaucoup ces personnes qui s’enchaînent aux arbres et grimpent dans les branches pour empê cher qu’on les abatte ! » lance-t-il. On se dit alors qu’avec quelques années de moins, il est certain qu’il en aurait fait autant.
Haro sur la viande !
Tout allait pourtant si bien dans le meilleur des mondes : comme dans toute bonne série américaine, l’image du bonheur était représentée par une famille souriante profitant des joies du barbecue. Certes, d’aucuns remarquaient que c’était toujours l’homme qui officiait, tel psychiatre expliquant que notre cerveau limbique associait feu et viande à l’élément masculin. Rien de grave. Tout cela, c’était avant les antispé cistes, les nutritionnistes et Sandrine Rousseau.
Par Thierry OppikoferFin de vacances d’été à Gre noble. Devant les adhérents de sa formation politique, l’infati gable députée et égérie des Verts français remportait un beau suc cès. Enseignante universitaire reconver tie dans un féminisme ultra déniant en fait toute légitimité à la société patriar cale et à l’homme occidental nécessai rement dominateur, Sandrine Rousseau expliquait que le barbecue, symbole du monopole de l’homme des cavernes sur les protéines, visait à affaiblir les femmes afin d’asseoir le pouvoir des mâles sur les quelques dizaines ou centaines de mil liers d’années qui s’annonçaient. Cette attaque assez anecdotique n’aurait pas eu un tel retentissement si, depuis près de deux décennies, l’élevage de bétail et la consommation de viande n’avaient été la cible d’une véritable offensive aboli tionniste. Alors même que l’un des argu ments classiques des anticommunistes, dans les années 70 et 80, était que les malheureux habitants des pays de l’Est « ne mangeaient de la viande qu’une fois par mois », ce sort jugé cruel est devenu un idéal pour nombre de militants, mais aussi de scientifiques. Parallèlement, le haro sur la viande a séduit de plus en plus de végétariens bien sûr, de végétaliens naturellement, puis de véganes. Les protecteurs de la couche d’ozone ont condamné les fla tulences bovines, les défenseurs des
animaux ont repéré (avec raison) en Europe et aux États-Unis des méthodes d’entassement et d’abattage d’animaux indignes. Les antispécistes ont parlé de « déportation et d’extermination » et cas sé des vitrines de boucheries. Impertur bable, le service marketing d’une chaîne de magasins alimentaires suisses a continué à fabriquer des sacs à commis sions portant le slogan « Tchhh-Tchhh... C’est l’heure du barbecue ! » Mais qu’en est-il en réalité des « dangers » de la viande et du comportement de la majorité silencieuse, c’est-à-dire des consommateurs ?
Consommation stable Commençons par la seconde ques tion, à laquelle l’organisme faîtier de la branche carnée suisse, Proviande, donne une réponse qui relativise un peu les thèses extrémistes : « Depuis dix ans, la consommation de viande en Suisse est stable », explique Regula Ken nel, responsable du développement de l’entreprise. En 2021, chaque habitant de notre pays a consommé pas moins de 21,5 kg de viande de porc, 14,7 kg de volaille et une bonne douzaine de kilos de viande de bœuf, selon les sta tistiques de l’association. Notre interlo cutrice précise que « 0,6% de la popu lation suisse seulement est végane. Le traitement médiatique du thème de l’ali mentation ne donne pas une image réelle
du comportement des consommateurs helvétiques. La viande reste, et restera, toujours un produit naturel, apportant vitamines, protéines et précieux oligoéléments » . D’ailleurs, l’initiative contre l’élevage intensif a été refusée en votation par le peuple, ce qui réjouit Proviande, laquelle ne s’inquiète pas du score relativement élevé obtenu par les initiants (37%), néanmoins inférieur aux pronostics des sondages. « En outre, le fossé ville-campagne a été moins net que dans d’autres votes portant sur des sujets agricoles, ajoute Regula Kennel, qui rap pelle qu’il n’existe pas d’élevage intensif en Suisse et que pour nourrir une popu lation croissante, une production efficace est nécessaire ».
Certains médecins estiment cependant que le corps humain n’est pas fait pour absorber de la viande, ou en tout cas pas souvent. Ils pointent les taux élevés de cholestérol, le surpoids, etc. La po lémique, en France, sur la décision du nouveau maire écologiste de Lyon de la supprimer des cantines, a permis de faire le point sur la position des scienti fiques à cet égard. Tandis que le Minis tère de la santé estimait que la viande était indispensable à la croissance et au bien-être des enfants, nos confrères du journal Le Monde, dans un dossier pu blié en février 2021, rappelaient que le débat scientifique était « pollué par de nombreux enjeux connexes (économie,
environnement, traditions alimentaires) et compliqué par des confusions fréquentes entre les différents régimes végétaux, al lant du pesco-végétarisme (qui exclut uniquement la viande) au véganisme (qui proscrit tout produit d’origine animale) ».
Question de quantité
Exclure uniquement la viande – soit le régime pesco-végétarien – ne présente pas un grand danger, si l’alimentation reste équilibrée. Les nutriments apportés par la viande, dont les protéines, peuvent aussi se retrouver dans la plupart des autres aliments (poisson, produits lai tiers, légumes, céréales, etc.). Mais les oligo-éléments comme le fer et le zinc risquent de manquer. Même si le poisson
contient du fer, le risque d’anémie est à considérer, ainsi qu’un affaiblissement du système immunitaire par carence de zinc. Dès lors, des compléments ali mentaires sous forme de comprimés sont souhaitables. Mais le régime végé tarien classique, lui, risque de provoquer une carence d’oméga-3, dommageable pour le cerveau. Des problèmes vas culaires et thyroïdiens sont également à craindre. Quant au régime végane, il a comme principal défaut l’absence de vitamine B12, de calcium et de vitamine D, que ses adeptes com pensent par des compléments ali mentaires. « Au nom du principe de pré caution, on ne peut pas recommander le régime végétalien pour tout type de
population, car on manque de données de suivi à long terme, et encore plus chez les enfants » , expliquait encore au Monde Benjamin Allès, chercheur au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l’Université Paris-XIII. Regula Kennel est logiquement scep tique face aux « dangers de la viande ».
« C’est la quantité qui est décisive, pour n’importe quel aliment et pas seulement pour la viande : les produits préparés in dustriels, les produits ultratransformés, s’avèrent moins sains que les produits frais et naturels. On ne peut pas complè tement remplacer les aliments provenant d’animaux par des produits végétaux; la composition nutritionnelle en est diffé rente et l’organisme humain ne les synthé tise pas de la même manière. » Pour elle, et contrairement à ce qu’on pense, la question n’est pas celle des protéines et des acides aminés, mais bien celle des oligo-éléments comme le fer, le zinc et le sélénium, ainsi que les vitamines A et B. « Le corps intègre et utilise facilement ces éléments issus des aliments carnés. Remplacer la viande par des produits vé gétaux sans risquer de carence ni de pro blèmes de santé nécessite une connais sance approfondie de la nutrition, des apports de compléments synthétiques et ne saurait être indiqué pour des enfants, adolescents, jeunes femmes souhaitant avoir des enfants et personnes âgées. »
PAROLES
ÉLOGE DE LA CYNTHIA FLEURY FURTIVITÉ
Elle est philosophe et psychanalyste. Il est designer. Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio ont créé une charte qui met en valeur les liens entre design et soin, entre urbanisme et bien-être. Conversation avec une philosophe qui cherche à nous extirper d’une réalité aliénante.
Propos recueillis par Philippe Chassepot
L’horizon, le silence, les santés physique et psy chique, la beauté du design... Des vertus du quoti dien non négociables, mais hélas « des évidences qui ne le sont plus », pour la philosophe Cynthia Fleury et le designer Antoine Fenoglio. Ils ont ainsi voulu lancer une alerte pour qu’on évite de se faire déposséder de l’essen tiel et de passer à côté de sa vie. Leur texte, court et dense, est un grand constat sur le monde, avec des pistes concrètes pour le rendre moins anxiogène. Ils l’ont appelé Charte du Verstohlen (« Tracts », Éd. Gallimard) — littéralement « furtivité ». Pourquoi ce choix de l’allemand ? « Les mots sont tellement instrumentalisés aujourd’hui : le courage, le dire vrai, le vivre-ensemble... », observe Cynthia Fleury. Alors que ce sont des termes magnifiques, gran dioses. Mais ils sont piégés désormais, vidés de leur sens. Le Ver stohlen, les gens ne le connaissent pas encore, ça va créer une rupture et permettre de s’échapper. C’est une astuce, mais elle dit aussi que le langage ne doit pas se faire voler sa substance. » C’est ce « ce qui ne peut être volé », que les auteurs ajoutent dans le titre de leur court essai, comme une affirmation aux into nations presque insurrectionnelles.
« Ce qui ne peut être volé », dites-vous. Est-ce que votre titre sous-entend qu’il y a déjà eu des vols, et qu’il y aura d’autres tentatives ?
Cela sous-entend que le système économique et financier actuel est trop « dérégulé », et fondé sur des spoliations légali sées et des formes d’exploitation. Le capitalisme contemporain est dans l’excès de ses propres modes : une volonté de profit disproportionné, sans conscience des externalités négatives, hyperspéculative, de plus en plus éloignée de l’économie réelle. Sans respect pour l’inappropriabilité des biens communs. Et l’avenir n’annonce aucun changement, parce que nous conti nuons d’élaborer nos systèmes de justice à partir de nos sys tèmes de croissance, alors même qu’il faut faire l’inverse. Dans un monde de failles systémiques, les sociétés vont connaître des crises de croissance encore plus déstabilisantes : les pénu ries structurelles vont être récurrentes, les modes dégradés banalisés, et l’on continue à manquer d’inventivité concernant la refonte des contrats de justice. Donc la solution de facilité sera encore et toujours le retour de l’autoritarisme, pour imposer par la contrainte et l’arbitraire ce que l’on n’arrive pas à concevoir et à appliquer ensemble, alors même qu’il nous faut développer des modes alternatifs d’habitabilité du monde plus démocratiques.
Vous parlez de « points non négociables qui paraissent évi dents, mais qui ne le sont plus ». Comment en est-on arrivé là ? Presque malgré nous, parfois ? Il y a cinquante ans, on était peut-être moins au fait des exter nalités négatives de nos systèmes de croissance. Mais au jourd’hui, comment interpréter ce refus « collectif » de croire en la démonstration (scientifique) qui confine au refus d’acter qu’il est possible de faire autrement, politiquement et écono miquement ? Ce n’est pas de l’ignorance, mais de la persis tance délibérée dans l’ignorance, une bêtise qui a toute la psy chorigidité du déni. Nous ne sommes pas uniquement dans le
« malgré nous », nous sommes dans la mauvaise foi. Faire des choix de croissance à tout crin sans jamais penser qu’à un mo ment donné, elle n’est plus soutenable... Je dis choix de crois sances au pluriel, car il y a croissance de la production, de la consommation, de la fécondité, de la démographie... La moder nité s’enferme dans une seule manière – quantitative – de voir le monde et la réussite.
Vous insistez longuement sur les vertus et les fonctions du silence. C’est quelque chose qu’on a trop oublié ? C’est un délire vindicatif et narcissique de croire que parler et faire du bruit serait la seule et unique façon d’exprimer la liber té. La liberté, c’est aussi de pouvoir penser et bien penser, se reposer, avoir une forme de contrôle de sa vie et de ses gestes. Ça nécessite du silence, parce que c’est une ressource cogni tive essentielle, clinique et thérapeutique. Politique, même : si on n’apprend pas à faire silence, on ne peut pas avoir de débat digne de ce nom. Et le coût d’un fardeau sonore délirant est lourd pour la santé physique et mentale. L’UNESCO a voulu le rappeler à travers une résolution, et personne ne s’y trompe, d’ailleurs : aujourd’hui, les espaces les plus silencieux sont les plus luxueux. Pourtant, marcher dans une ville sans être détruit par les décibels, c’est une denrée collective de la démocratie et du bien-être quotidien.
Vous êtes Parisienne, une ville où le métro est forcément bruyant, avec ses rappels systématiques du temps d’attente et du nom des stations. Un assistanat envahissant et insuppor table. À se demander ce qui est passé par la tête de ceux qui ont cru que c’était une bonne idée. Au contraire, on voit très bien ce qui leur est passé par la tête : ils ont voulu produire des conduites automatiques chez les indivi dus. Des conduites de pseudoperformances : vous aurez envie de moins rester dans des endroits qui font du bruit, et du coup vous irez plus vite, c’est mécanique. De la même façon qu’on fabrique des bancs sur lesquels on ne peut même plus s’as seoir. On ne peut plus apprécier la ville, et comme tout ce qui est meurtri, on va moins en prendre soin. Les êtres deviennent moins solidaires, ça crée du clivage et du psychotique. Et le psy chotique, c’est du « machinique » pour aller plus vite. Mais plus vite dans le mur...
On assiste à un phénomène de tentative de retour au silence par le bruit. Les gens créent leur propre univers sonore avec leurs écouteurs, en mettant du bruit sur du bruit pour se pro téger.
On peut même noter la présence dans l’espace public de casques normalement dévolus aux travailleurs de chantier. Des gens les mettent pour s’isoler, mais on se met en danger quand on marche avec dans la rue, donc ça devient impossible de les utiliser. Ça paraît fou de dire qu’il existe une charte pour défendre le silence, mais ça nous a semblé nécessaire.
Pensez-vous qu’il existe des combats irrémédiablement per dus dans certains lieux, comme les « open spaces » au travail,
ou les wagons TGV dans lesquels de plus en plus de gens parlent sans gêne ?
Si on a une vision de récupération ou de transformation assez court-termiste, alors effectivement, ça peut paraître délicat. Mais je ne pense jamais que les affaires sont définitivement closes. Il existe foule d’exemples qui montrent que le réel arrive à se refaufiler. Ce qui paraissait invraisemblable une seconde auparavant se déplace et tout redevient possible. Ce qui est en revanche plus compliqué, ce sont les énergies psychiques et physiques, les corps, les santés. Il faut en prendre soin pour réactiver les géographies du possible, il faut des individus qui ne soient pas totalement découragés, ni exsangues ou bloqués dans une situation de survie permanente. Mais à partir du mo ment où on « reconfigure » des collectifs, où on les forme et les entraîne, on renverse les choses.
Vous mentionnez la perspective et l’horizon comme points qui ne peuvent être volés. L’horizon, c’est la vue, mais aussi un concept qui va bien au-delà. Oui, c’est phorique au sens de « ça me porte », et métaphorique au sens où « ça m’invite à sublimer », à me dire que c’est devant. C’est la vue et l’horizon subliminal qu’on peut porter en soi. C’est précieux d’avoir un rapport quotidien avec son environnement qui ne donne pas le sentiment d’être enfermé. Encore une fois, les espaces du luxe le savent pertinemment, et les architectes aussi. En revanche, les individus plus technocrates peuvent l’oublier plus facilement parce que pris par trop de sujets. Pour nous, il est très important que des directeurs d’école, de prison ou d’hôpitaux – les commissariats aussi – se saisissent du Verstohlen, et qu’ainsi cette affaire ne soit pas uniquement esthétique.
Vous espérez convaincre quelles « cibles » avec votre charte ? La charte est à destination de tous ceux qui se sentent empê chés et en même temps dépositaires d’une ressource qu’ils pourraient activer. Nous visons tous ceux qui ont envie de s’en saisir, et Dieu sait si nous avons, déjà, des retours assez excep tionnels ! Des musiciens, soudain inspirés et qui se mettent à composer, des classes de première terminale, aussi, qui veulent faire du Verstohlen dans leurs projets collectifs. Le magnifique lieu de Chaumont-sur-Loire nous donne « carte verte » pour créer le jardin du Verstohlen en 2023. Nous arriverons peut-être à convaincre un maire et son conseil municipal, pour réorienter la politique municipale... Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’il se passe quelque chose à Lavaufranche, petit village de la Creuse où nous avons un lieu, la Commanderie hospitalière.
Vous cosignez la « Charte du Verstohlen » avec le designer Antoine Fenoglio. Quelle est votre histoire commune ? Nous avons commencé à collaborer voilà sept ans, au moment de la création de la chaire de philosophie à l’hôpital du GHU Paris psychiatrie & neurosciences. Je voulais que ce soit un lieu d’expérimentation et de prototypage ; qu’on ne soit pas unique ment dans la recherche et l’enseignement, et qu’on aille sur une transformation des usages. Je me suis donc tournée vers des
ingénieurs et des designers. Antoine avait créé les Sismo, avec Frédéric Le court, une agence qui a aujourd’hui près de 25 ans. Tout son parcours racontait le dépassement du champ purement in dustriel du produit du design, pour aller vers quelque chose qui refait le lien avec le dessein-dessin. Ils n’étaient pas les seuls, mais c’était très organique chez eux, et on a vu que nos deux territoires pouvaient fonctionner ensemble.
Il parle de prendre soin des individus et des environnements, mais aussi de « mettre en doute » comme première fonction du designer. Il n’arrive jamais avec une forme préé tablie ou dans l’évidence de son usage. Ce qui permet de laisser advenir de nouvelles formes, de montrer plus faci lement les limites. Antoine faisait beau coup de proof of concept (méthode qui permet d’évaluer la faisabilité d’un projet, ndlr), et je voulais voir ce que cela pou vait donner dans l’univers du soin, d’où la notion de proof of care. Je voulais qu’on travaille sur la générativité du vulnérable. Il y a eu une rencontre essentielle, exis tentielle et créative, à tel point qu’au jourd’hui, Antoine est devenu le directeur des expérimentations de la chaire. Cette charte est le fruit du séminaire de re cherche que nous avons conçu et animé au Conservatoire des Arts et Métiers, sur plusieurs années.
Vous évoquez les fragilités chroniques des environnements (individuels, so ciaux, politiques, naturels). Vous écrivez également qu’être humain « suppose encore de naître et de mourir, de tom ber malade et de s’en relever avec plus ou moins de potentialités préservées ». Des évidences qu’il vous semblait né cessaire de rappeler, là aussi ? En s’inspirant de l’expression d’amnésie environnementale de Peter Kahn, nous pourrons parler d’amnésie épidémique pour nos générations. Il est toujours éton nant de noter l’intelligence scientifique de nos sociétés, mais aussi une faiblesse dans l’apprentissage des leçons et de l’humilité. On se construit des toutespuissances de papier qui sont purement fantasmatiques. Bien évidemment, les
atterrissages sont difficiles... Aussi : nous avons tendance à ne voir les fragilités que du côté déficitaire. Alors qu’il existe des parentalités fines entre notre hyper vulnérabilité à certains endroits et nos capacités de coopération et de concep tion. Je pense à mon collègue psychiatre Raphaël Gaillard auteur d’un très beau
En dix ans, j’ai vu une démultiplication des addictions et des troubles obses sionnels compulsifs. Beaucoup de dé compensations et de burn-out, et une clinique de la souffrance au travail qui a explosé. Dès 2010, moment où j’ai écrit La fin du courage (Éd. Fayard), j’avais de moins en moins de « roman familial » en séances. Mais on pouvait avoir des séances entières consacrées à la jour née passée au bureau. C’est un tout petit peu moins le cas aujourd’hui, mais d’autres vécus d’effondrement ont pris le relais : Le Covid, l’Ukraine, la crise clima tique avec ses mégafeux s’invitent sur le divan. Avec des personnalités mises à mal par des régimes d’incertitudes ou de certitudes du pire.
Se protéger soi-même devient de plus en plus compliqué. Votre référence à la furtivité, c’est une sorte d’éloge de la fuite, un encouragement à s’extirper de la réalité ?
C’est plutôt s’extirper du théâtre des ombres, de la réalité telle qu’elle est normée et même surnormée. S’échap per des rapports de force déjà fermés. La furtivité, c’est une forme de technique pour s’engager dans le monde sans être immédiatement empêché.
livre Un coup de hache dans la tête (Éd. Grasset) qui montre les liens de parenté entre la schizophrénie et les plus grands créatifs.
Vous êtes psychanalyste. Vous recevez des patients au quotidien depuis treize ans, vous supervisez des soignants, vous travaillez sur les addictions en cotutelle avec des psychiatres. Quelles sont les évolutions des traumas au fil du temps ?
Le phénomène mondial de grande démission, avec tous ces jeunes qui re fusent les « bullshit jobs », vous trouvez ça rassurant ? Oui, ça me rassure, même si ce n’est peut-être pas le bon mot au vu de mon naturel inquiet... Mais cette « déprise » est précieuse, elle signe le caractère abso lument inepte et non soutenable de ce qui se passe. Nous faisons de l’hyper qualitatif avec la Charte du Verstohlen, mais c’est portion epsilon. Alors quand il y a comme ça un phénomène majori taire qui vient accompagner un phéno mène « quali » comme le nôtre, c’est as sez régénérant, car annonciateur d’effets de seuil.
La « valeur travail » chère à la généra tion « boomers » aurait-elle tendance à s’évaporer ?
Je reste un grand défenseur de la va leur travail. La question est : qu’est-ce
« C’est un délire vindicatif et narcis sique de croire que parler et faire du bruit serait la seule et unique façon d’ex primer la liberté. »
qu’on met derrière cette notion ? Si c’est quelque chose d’aliéné et de non ré flexif, alors ce n’est plus du travail, mais du labeur et de l’exploitation. Le Verstoh len, c’est du faire, je dis même que c’est du « transfaire », au sens de mettre en action et de redonner un pouvoir d’agir.
Et ça, c’est du travail, puisque c’est une force de transformation.
Pour développer un projet ancré dans un territoire, vous mentionnez ce pré alable : la découverte des âmes et des parcours de vie. Les Gilets jaunes,
finalement, c’était surtout dû à un manque d’écoute ?
Les mouvements sont toujours moins homogènes qu’il n’y paraît. Il y a ce plus petit dénominateur commun qui déclenche un rassemblement, qui est souvent la taxe de trop ou un sentiment d’indignation. S’expriment ensuite des sensibilités et des cultures différentes, certaines anarchiques, d’autres plus légalistes. En France, notre culture par ticipative reste assez immature. Nous sa vons produire de la protestation efficace, ce qui est important, mais en revanche développer des alternatives soutenables avec de nouveaux usages décisionnels qui viendraient stabiliser les choses, là nous manquons d’expérience.
Nous sommes encore trop faibles en théorie de la conception démocra tique », écrivez- vous.
Nos décideurs politiques sont très fri leux, et en règle générale, notre culture comportementale « essaie » trop peu. On fonctionne avec des outils qui sont ceux de la théorie de la représentation des années 50, voire plus en amont en core. Il faudrait aujourd’hui pouvoir inté grer différemment les voix civiles. Rien ne nous empêcherait, par exemple, de tester des phases d’ouverture d’amen dement d’une loi. De dire qu’à partir du moment où on respecte tel ou tel cri tère de recevabilité, il est possible de déposer des amendements, sans être député, et de voir ensuite qui accède – en quelle proportion – au vote de ceux-ci. Demain, il nous faut former une citoyenneté capacitaire, qui ne cherchera pas à éprouver sa souveraineté unique ment par l’empêchement, la paralysie, mais au contraire par une forme de conduite partagée de la réforme. J’ai long temps milité pour la création de « temps citoyen », financé par les superstructures – les entreprises ou les administrations –pour se former aux affaires publiques, au droit d’initiative européen ou que sais-je encore. Tout cela demande du temps, de la formation, des compétences.
« Ce qui ne peut être volé — Charte du Verstohlen », Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio, 2022, Éd. Gallimard, 48 p.
RÉPUBLIQUEDE LA
DANS LES MEUBLES
Le Mobilier national a changé de vie en 2018 avec l’arrivée de son directeur Hervé Lemoine. Il raconte ici sa révolution de velours et les valeurs d’un éta blissement public qui contribue à rendre le monde plus beau Par Philippe Chassepot
RÉPUBLIQUE
Le Mobilier national. Un nom à la noblesse certaine, qui sonne nettement mieux que « gardemeubles royal », le tout premier titre donné à sa création en 1604 – gardemeubles étant désormais synonyme de container pour entreposer le trop-plein de possessions entre deux déménage ments. « Et l’histoire est même bien anté rieure à 1604 ! Elle a commencé dès qu’il y a eu une cour en France, à la fin du bas Moyen Âge, explique Hervé Lemoine. La cour était itinérante, le roi allait de château en château. Aucun n’était meublé à cette époque, et le monarque était toujours précédé d’une administration avec les tapisseries, l’argenterie, les archives et le reste. L’idée était alors d’être en capacité de meubler toutes les résidences royales. » Installé dans le XIIIe arrondissement de Paris, le directeur du Mobilier national depuis février 2018, veut bien refaire
l’histoire en accéléré. C’est un ancien des Archives de France qui connaît la grandeur de son pays sur le bout des doigts. Il se marie merveilleusement au décor : brushing impeccable, mains de pianiste qui viennent dessiner le pro pos et phrasé séduisant en provenance d’une époque où syntaxe et grammaire restaient les deux mamelles incontour nables d’une bonne expression. On se régale de l’écouter détailler ses projets et partager son dynamisme. Cet homme est une bénédiction pour une institution qui en avait bien besoin.
Découvrir les talents Concrètement, l’un des buts premiers du Mobilier national est resté le même : il s’agit toujours de garnir l’Élysée, les ministères et les ambassades avec ce que l’État français possède de meubles, lampes, tables et décorations en tout
genre. Mais Hervé Lemoine a voulu voir plus grand : « Au XXIe siècle, on ne peut plus justifier notre existence et celles de nos manufactures comme devant servir exclusivement nos ministres et ambassa deurs. Ces lieux officiels doivent être des faire-valoir de la création contemporaine française et de ses arts décoratifs. » Le Mobilier national a du coup déployé un grand arsenal de concours et d’appels d’offres pour dynamiser la création et la recherche. « Je crois beaucoup à leurs vertus, oui. Ils permettent de découvrir les talents émergents, de leur donner une vraie chance, précise le directeur. Lors du dernier concours pour la nouvelle table du conseil des ministres, on a résolument choisi de promouvoir des jeunes artistes encore en formation, pour leur donner la possibilité de se montrer sur quelque chose de très visible. Parce qu’avant, on s’ouvrait moins, on tournait toujours un
peu avec les mêmes personnes. Et là, ils peuvent en plus faire fabriquer leurs proto types dans nos ateliers, une aubaine pour les débutants sans budget. On met le pied à l’étrier à nos lauréats. »
Changer le monde Une ambition d’envergure dans une époque où le pouvoir d’achat décline, avec toutes ses conséquences dans la vie quotidienne. Les enseignes grand public et le marché de la seconde main ont le vent en poupe, et il devient de plus en plus compliqué pour les jeunes créateurs d’exister dans une réalité économique qui s’endurcit. Impossible en revanche d’en rester au stade des déclarations d’intention pour assouvir cette volonté. Le Mobilier national a dû se « salir » les mains au niveau politique à travers le lobbying et une proactivi té toujours plus grande. Avec réussite, comme on a pu le voir le 12 juillet 2021
lorsque Brigitte Bourguignon, alors mi nistre déléguée chargée de l’autonomie, a choisi l’enceinte des Gobelins, manu facture de tapisserie depuis Henri IV, pour présenter son nouveau plan de rénovation des maisons de retraites. Un sujet sensible en France depuis les révélations de maltraitances des aînés. Prévoir quelques milliards pour amélio rer les conditions de vie des personnes âgées, voilà certes un bel engagement. Mais encore faut-il les dépenser à bon escient. C’est ce qu’Hervé Lemoine a voulu expliquer au gouvernement. « On les a contactés pour les alerter sur plu sieurs points, effectivement. Car on ne peut pas expliquer à ces gens qu’ils vont se sen tir ‹ comme chez eux › s’ils doivent passer leurs nuits sur un lit d’hôpital. Et pour leur dire aussi qu’un personnel qui travaille en blouse blanche comme en milieu médical, ce n’est plus possible non plus. Il y a beau coup de choses à changer. Il faut mettre
des designers sur ces problématiques pour concilier les contraintes sanitaires et le bien-être. Alors oui, on a été très heureux de voir la ministre venir chez nous pour af firmer cette volonté de recherche. »
Décor déprimant Ambition identique pour les maisons France services, ces sortes de guichets de proximité (ils sont plus de 2000 sur le territoire) pour réinstaller des services administratifs dans les régions rurales. On connaît tous ces décors déprimants qui plombent le moral avant même qu’on ait mis le pied à l’intérieur... « Exac tement ! Là aussi, si vous ne voulez pas que ça ressemble à une caricature avec des affiches punaisées de travers et des vieux bureaux en tôle grise... On peut offrir autre chose avec nos designers. À condi tion d’introduire officiellement dans les programmes nationaux les dimensions de création et de réflexion, pour donner aux
Page précédente : Vue de quelques objets contemporains récemment acquis par le Mobilier national. (DA Spela Lenarcic)
Ci-contre : Le bureau en cuir bleu commandé en 1984 par François Mitterrand au designer Pierre Paulin. (Mobilier national)
Lampe en bronze patiné noir d’Hervé van der Straeten de 2003. (Mobilier national)
Fauteuil «Suite Ingénue » créé par Sylvain Dubuisson en 1990. (Mobilier national)
Console « Möbius » en padouk lamellé. Une création de 2020 du designer Pierre Renart. (Mobilier national)
Lampe « Nida » de 2020 et ses panneaux en nid d’abeille en aluminium aéronautique finition or. Une création de Vincent Poujardieu. (Mobilier national)
Fauteuil « Orion » créé en 2020 par Pierre-Rémi Chauveau. (Mobilier national)
citoyens ce qu’ils peuvent espérer de tels espaces. »
Voilà pour un futur qui s’annonce lumi neux, mais qu’il est pourtant nécessaire de connecter au passé. Car le Mobilier national, ce n’est pas seulement des di zaines de milliers d’objets en stock, mais aussi des manufactures et des ateliers répartis dans tout le pays : le tissage à Lodève, la tapisserie à Beauvais, ou en core la dentelle au Puy et à Alençon. Des savoir-faire uniques qu’il a fallu maintenir en vie. De haute lutte, tant leur mission a été menacée au siècle dernier.
La modernisation et la mondialisation ont pu, en effet, jeter un regard hautain sur des pratiques considérées comme obsolètes. « Si, en 1976, on n’avait pas créé les ateliers conservatoires du Puy et d’Alençon, sans doute que certaines tech niques auraient disparues. Je ne suis pas
non plus persuadé que la tapisserie de haute lisse telle que nous la pratiquons ici aurait perduré sans les ateliers d’état pour la soutenir, observe Hervé Lemoine.
La marqueterie de paille a bien aussi failli disparaître : il n’y avait plus qu’un seul atelier privé en France à un certain moment. « Heureusement qu’il était là, car la marqueterie de paille est redevenue très à la mode aujourd’hui. Nous sommes de nouveau capables de répondre aux
nouvelles demandes. Sans doute qu’il se passe exactement la même chose avec d’autres savoir-faire, sans qu’on puisse sa voir s’ils seront à nouveau tendance dans quelque temps... »
Reste quand même la mission de base évoquée un peu plus tôt. Avec cette question : que se passe-t-il si un minis tère et une ambassade se disputent le même objet ? Comment trancher ?
« Les textes sont très clairs et déterminent
Une histoire des styles. Les réserves du Mobilier national contiennent des pièces qui vont du XVIe siècle à nos jours. (Thibaut Chapotot)
l’ordre de ce qu’on appelle ‹ les affec tataires de droit ›, reprend le directeur. D’abord l’Élysée et les résidences prési dentielles, puis Matignon, les ministères et leurs directeurs de cabinet, et enfin les ambassades. On compte 670 affectataires au total, mais ce n’est pas du libre-service. Le Mobilier national reste l’arbitre des élé gances, mais il est aussi une force de pro position pour éviter ce genre de conflits. »
Des goûts et des présidents
Et l’évolution des goûts des présidents français, alors ? On imagine un rapport à l’art et au confort bien différent de l’un à l’autre. On voit juste ! « Georges Pompidou et son épouse étaient très
amateurs d’art contemporain. Les pho tos les plus célèbres des œuvres de Pierre Paulin proviennent de leurs ap partements privés. Valéry Giscard d’Es taing était, lui, amoureux du XVIII e et avait effectué un réaménagement dans le grand goût, avec par exemple son bureau de Jean-Henri Riesener. Comme François Mitterrand appréciait lui aussi beaucoup le XVIII e, il avait gardé la plu part du mobilier au Palais de l’Élysée. Il avait, en revanche, repris le bureau Louis XV du général de Gaulle... Et pour son deuxième septennat, Pierre Paulin lui avait dessiné un bureau en cuir bleu. » On passera plus rapidement sur la troï ka de ses successeurs (Chirac, Sarkozy,
Hollande), guère portés sur la chose, d’autant plus que certains avaient choi si d’habiter en dehors de l’Élysée. Em manuel Macron a en revanche insufflé une nouvelle énergie à cette tradition, selon Hervé Lemoine. « Il n’a pas sou haité qu’on change quoi que ce soit dans les appartements privés, mais il a tenu à ce que l’ensemble des salons de l’Élysée soient de nouveau une vraie vitrine de nos savoir-faire. On a pu faire beaucoup de propositions et installer des créations de jeunes artistes, parfois très jeunes même. » Ainsi Pierre-Rémi Chauveau et sa bibliothèque, ou Pierre Renart et ses tables. Comme si le design avait déjà basculé dans le monde d’après...
La lampe Arco
Par Cora MillerDesign en famille
Chez les Castiglioni, il y a d’abord le père, Giannino, sculpteur, qui va exercer une influence durable sur ses trois fils. Et donc ensuite Livio, Achille et Pier Giacomo, nés entre 1911 et 1918 à Milan, qui vont tous les trois devenir des designers à la pérennité colossale dans l’histoire des formes. Surtout Achille et Pier Giacomo qui signent, entre autres, cette lampe Arco en 1962, toujours éditée par Flos, son fabricant d’origine.
Lumière suspendue
Avec son bras en arc qui peut s’étirer jusqu’à 2 mètres, le lampadaire résout le problème du luminaire de table. Le pied qui encombre est repoussé et la lumière facilement déplaçable, au contraire de la suspension classique fixée au plafond.
Minimal et inventif
Les frères designers favorisent une approche analytique de l’objet. Inventifs et souvent ludiques, leurs projets partent avant tout de l’idée de créer un mobilier le plus simple possible avec un minimum de matériau. Pour Arco, les Castiglioni ont pensé à tout. Le bloc de marbre de Carrare de 65 kilos est percé d’un trou pour pouvoir le déplacer et ses arêtes sont taillées en biseaux pour éviter les blessures. Tandis que les perforations dans la coiffe du réflecteur servent à laisser échapper la chaleur produite par l’ampoule.
Objets drôles
On a souvent rapproché les créations des Castiglioni des ready-mades de Marcel Duchamp, ces objets du quotidien que l’artiste français décrétait œuvre d’art au début du XXe siècle. De la même manière, Achille et Pier Giacomo transforment en tabourets une selle de vélo (Stella, 1957) ou un siège de tracteur (Mezzadro, 1957). Cette dimension drôle et étonnante, se retrouve aussi dans le contraste entre le pied massif de la lampe Arco et la légèreté de sa tige.
En 1962, Achille et Pier Giacomo Castiglioni créent ce lampadaire qui deviendra l’un des symboles du design italien des années 60.
VERMEER REVOIR
En février 2023, le Rijksmuseum d’Amsterdam ouvrira la plus impor tante exposition jamais organisée sur le peintre de la « Jeune fille à la perle ». Et dont l’œuvre, auréolée de mystère, exerce une attraction fascinante. Par Emmanuel Grandjean
Il y a un mystère Vermeer, comme il y a un mystère Picasso. En 1956, le réalisateur Henri-Georges Clouzot avait tenté de le percer en mettant en scène le peintre espagnol à l’œuvre. Pour Vermeer aucun film, forcément, n’explique cette fascination qu’exercent sur le grand public ses peintures. En 2023, l’exposition du Rijksmuseum d’Amsterdam ne lèvera peut-être pas le coin du voile. On peut néanmoins déjà dire sans se tromper qu’elle sera un immense succès, le musée étant parvenu à réunir 28 des 35 tableaux connus du Néerlandais. Un tour de force jamais accompli, les institutions qui conservent des Vermeer les prêtant rarement, et ce pour deux raisons. La première, à cause de la fragilité et de la préciosité de ces pe tites toiles sans prix. La seconde, parce que posséder une toile du maître garantit au musée qui le conserve de remplir sa billetterie.
Génie oublié
Aucun anniversaire en particulier ne motive, pour autant, cet accrochage. Johannes Vermeer est né à Delft en 1632 et est mort dans la même ville en 1675 à l’âge de 43 ans. Le peu qu’on sait de sa vie se résume à ce qui est écrit dans les registres ad ministratifs. En 1653, il est admis à la guilde de Saint-Luc, saint
Ci-contre : « Vue de Delft », 1659-1660. (Mauritshuis, La Haye)
Page précédente : « L’Art de la peinture », vers 1666. (Kunsthistorisches Museum, Vienne)
Ci-contre : « Soldat et jeune fille riant», vers 1657. (The Frick Collection, New York)
Ci-dessous : « La laitière », vers 1660. (Rijksmuseum, Amsterdam)
patron des peintres et des sculpteurs. Il a donc acquis la pra tique de son art chez un maître reconnu pendant quatre ou six ans. Lequel ? Mystère, même si les experts avancent plusieurs hypothèses. La même année, il épouse Catharina Bolnes. Il est protestant et sans le sou, elle est catholique et aisée. Ils auront onze enfants (trois garçons et sept filles), dont quatre mourront en bas âge. Sa carrière se déroule entre ses clients fidèles qui apprécient son art et des périodes de grandes difficultés finan cières, notamment au moment de la guerre de Hollande qui plonge les Pays-Bas dans une crise sans précédent. À sa mort, l’artiste laisse suffisamment de dettes pour que sa femme dé cide de liquider le contenu de l’atelier. Les créanciers reçoivent des toiles à titre de gages. Vingt et un tableaux sont vendus aux enchères. Ils sont probablement acquis en grande partie par le même collectionneur, un important mécène de Delft. Ce qui explique que l’œuvre du peintre néerlandais n’a jamais rayonné au-delà de sa ville natale. Et qu’une fois disparu, son rôle soit resté mineur pour les historiens de l’art. Même si après sa mort ses toiles continueront à être appréciées des collectionneurs, elles resteront reléguées dans un coin de l’Âge d’or, certains de ses tableaux étant parfois attribués à d’autres. En 1859, Théophile Thoré-Bürger l’exhume. En dressant le catalogue raisonné de l’œuvre de Vermeer, l’historien de l’art réveille le génie enfoui et révèle au monde la magie de ses scènes d’intérieur, dans tous les sens du terme. « Pour lui comme pour ses contemporains, la ‹ peinture de genre › est un genre de peinture ; mais, plus que pour ses contemporains, c’est surtout, si l’on peut dire, une affaire de ‹ peinture intérieure ›, me née et méditée à l’écart des intérieurs où elle se pratique et qu’elle représente », écrivait l’historien de l’art Daniel Arasse dans son livre L’ambition de Vermeer. Surtout, ces toiles n’envisagent pas de représenter la réalité quotidienne du peintre dont on ima gine le logement encombré par le capharnaüm provoqué par sa famille nombreuse. Rien de tout cela dans ses toiles calmes et arrangées, que la présence d’une petite fille, d’un petit gar çon ou d’un berceau ne vient jamais perturber.
Cupidon effacé De là vient ce sentiment étrange du spectateur, qui observe ces personnages pris dans leurs pensées intimes. De la même manière qu’il se projette dans la profonde mélancolie de ceux peints, bien plus tard, par Edward Hopper. L’espace intérieur en intérieur. Vermeer, le peintre du « dedans du dedans », écrit encore Arasse.
La répétition des compositions fascine elle aussi. Chez Ver meer, une fenêtre ouverte à gauche éclaire une pièce où se trouve une femme tout à son travail ou saisie en pleine médi tation, un astronome qui consulte son globe céleste, un soldat de dos qui converse avec une jeune fille riant. Les murs de ses
Ci-dessus : « La jeune fille à la perle », 1665. (Mauritshuis, La Haye)
En haut : « La Liseuse à la fenêtre », vers 1657. La version avec le grand cupidon dévoilé. (Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde)
Page suivante : « L’Astronome », 1668. (Musée du Louvre, Paris)
intérieurs sont invariablement couverts de cartes géographiques, de tapisseries, de toiles ou tendus de rideaux. Des élé ments décoratifs qui permettent d’articuler la composition, certes, mais qui sont autant d’indices pour lire ces œuvres à clé. Ces « tableaux dans le tableau » forcent l’allégorie et la peinture hollandaise de l’époque en raffole.
En 2019, une équipe de la Gemäldegalerie Alte Meister de Dres de révélait avoir découvert, sous les couches de peinture de La Liseuse à la fenêtre, l’image encadrée d’un grand cupidon sur le mur du fond de la maison. Le putto triomphant avait été recou vert vers 1700. Pourquoi ? Encore un mystère. Peut-être trou vait-on alors que dans cette image de femme plongée dans la lecture d’une lettre, l’allusion à l’amour y était trop appuyée. La toile, qui n’a jamais quitté les cimaises de son musée alle mand, voyagera pour la première fois à Amsterdam à l’occasion de l’exposition du « Rijks ». Tout comme La jeune femme jouant du virginal, propriété du milliardaire américain Thomas Kaplan – grand collectionneur de Rembrandt, il en possède 11 – et unique toile du peintre de Delft en mains privées. Il y aura sur tout la fameuse Vue de Delft et son « petit pan de mur jaune », celui qui obsède tant l’écrivain Bergotte au seuil de la mort dans À la recherche du temps perdu
Vermeer, du 10 février au 4 juin 2023, Rijksmuseum, Amsterdam, rijksmuseum.nl
ITALIAN PSYCHO
Puisant dans une palette de matériaux et de mécanismes industriels, les sculptures et installations d’Arcangelo Sassolino parlent de cet instant fatidique, lorsque tout bascule très vite vers l’irrémédiable tragique. En tension permanente, ses œuvres nous rappellent à quel point la vie ne tient qu’à un fil.
Par Viviane ReybierÀl’heure dite, le chauffeur en voyé par Arcangelo Sasso lino attend en bas de l’hôtel à Vicenza. Il a un air de Brad Pitt, en plus jeune et coupe de che veux christique. Il tend sa main et se présente « Giovanni Battista, pour vous conduire à Trissino ». Giovanni Battista ? Jean-Baptiste. Tiens donc… La veille, nous avions été subjugués par l’installation que l’artiste italien expose dans le pavillon maltais, à l’occasion de la 59e Biennale de Venise. Intitulée Diplo mazija Astuta, c’est son interprétation de la décapitation de saint Jean Baptiste, l’impressionnant tableau d’autel peint par Caravage en 1607-1608 à La Valette, après qu’il ait fuit Rome pour avoir tué un homme. L’historien de l’art Robert Longhi le décrivait ainsi, en 1928 : « Dans
la structure colorée abstraite, sèchement dessinée par le clair-obscur de Cara vage, l’évènement émerge subitement et presque fatalement, plus vrai, plus tan gible, plus naturel en somme que ce qui n’avait jamais été imaginé et exprimé. » Cela pourrait tout aussi bien s’appliquer à l’intervention vénitienne d’Arcangelo Sassolino.
Métal hurlant Plongée dans le noir complet du pavillon de Malte, l’œuvre consiste en sept petits plans d’eau de forme carrée, séparés du public par un autre carré constitué de hautes barrières grillagées métalliques. Rien ne semble se passer. Soudaine ment, un rayon incandescent déchire l’obscurité avant de s’éteindre dans l’eau, bruit métallique et sourd d’une balle qui
claque. Puis, c’est une rafale de rayons de métal en fusion qui tombe à gauche, staccato de mitraillette cette fois quand ils disparaissent en touchant la surface liquide, sombre comme une mer d’huile. Une autre à droite. On ne sait de quel côté la déflagration va venir, seulement qu’elle sera léthale, « fatalement, plus vraie, plus tangible, plus naturelle en somme que ce qui n’avait jamais été imaginé et exprimé. »
Le dispositif frappe par son aspect en tièrement contrôlé, frisant l’obsession nel. Le métal incandescent ne doit pas dévier d’un pouce de sa trajectoire : il ne peut tomber qu’en un seul endroit précis, défini à l’avance. En effet, l’ins tallation est rendue possible grâce au procédé de l’induction, des aimants au fond des plans d’eau attirant le métal en
Inspiration de Caravage. L’installation «Diplomazija Astuta » et ses traits de métal en fusion au Pavillon de Malte lors de la 59e Biennale de Venise en 2022.
fusion qui est ensuite recyclé en circuit fermé.
Nous arrivons à Trissino. Une usine an cienne se détache parmi d’autres plus modernes. On dirait presque une ma quette tant ses formes et ses couleurs sont ludiques. Nul doute qu’il doit s’agir de l’atelier, Arcangelo Sassolino ayant été créateur de jouets dans une autre vie. En s’engageant dans l’allée, le chauf feur se veut rassurant : « Cela ressemble à l’usine du film de Tarantino, mais ne vous
inquiétez pas, tout va bien se passer » Souriant, l’artiste vient nous accueillir dans la cour et nous emmène vers un immense entrepôt. Accrochée au mur, une plaque qui tourne avec à sa sur face un liquide sombre attire le regard du visiteur. « C’est de l’huile. Du pétrole. Je cherchais un moyen pour que la peinture ne sèche jamais et reste liquide sur un ta bleau. » Aurait-il une obsession à vouloir arrêter le temps ? Il avoue une fascina tion pour Caravage, en particulier « sa
capacité obsessionnelle à saisir l’instant juste avant l’acte fatidique Comme dans La Décapitation de saint Jean Baptiste L’artiste représente le bourreau venant de trancher la tête d’un coup d’épée posée au sol. Il s’apprête à la séparer du corps en la poussant de la main ou en s’aidant d’un couteau tenu dans son dos. La tête n’est pas encore entièrement détachée, ni complètement attachée… » Le crime commis par l’artiste aurait-il eu une incidence sur son style ? « Oui, sa ma nière de peindre change complètement après qu’il ait tué. La vie, l’art, tout est une question d’énergie. La sienne change après le meurtre et cela se reflète dans sa peinture », explique l’artiste qui vient de rentrer de Sicile où il inaugurait une œuvre installée sur une place de Palerme. Un bras d’excavatrice peint en blanc qui creuse à peine la surface du sol de manière aléatoire. Seule relique d’un attentat, Elisa est exposée à l’occa sion du trentième anniversaire de celui qui a coûté la vie au juge Falcone et à son entourage. À la grande surprise de Sassolino, la machine folle a provoqué l’hostilité d’une partie du public. L’artiste s’est donné la peine de discuter avec chacun, arrivant péniblement à en faire changer certains d’avis. De prime abord pourtant, rien ne semble avoir été ardu dans la carrière de celui qui se destinait à devenir ingénieur.
Damnatio memoriae Après une carrière couronnée de succès dans l’industrie du jouet, entre New York et Tokyo, il découvre sa vocation en vi sitant une exposition d’Henri Matisse au Metropolitan Museum of Art. Les papiers
découpés de l’artiste français sont une révélation. « J’ai réalisé tout d’un coup que ce que j’aimais faire, je pouvais en vivre, et que cela s’appelait de l’art. Ce n’était pas une chose familière pour moi. Ni mon en fance ni mon environnement familial ne m’y avait exposé. Il faut dire que je venais de mon petit village de Vicenza… » De l’autre côté de la cour de gravier, Sassolino nous fait entrer dans une salle au rez-de-chaussée de l’ancienne filature de soie. Un assistant au look de Hells Angels active aussitôt l’œuvre. Une sculpture néoclassique est réduite à l’état de néant par une scie circulaire industrielle, disparaissant centimètre après centimètre, inexorablement. La poussière de marbre vole, irritant au pas sage les yeux, pénétrant les bronches. La métaphore du temps qui passe s’avère efficace, mais on ne l’imaginait pas aussi éprouvante physiquement.
« J’ai parfois le sentiment que je dois créer une nouvelle pièce pour que les gens puissent comprendre la précédente. C’est ce qui me fait avancer, ce cercle vicieux. Je ne suis jamais satisfait. On ne devrait
juger l’œuvre d’un artiste qu’à la toute fin de sa carrière », reprend le sculpteur dont le travail est une réflexion sur la fragilité, l’échec, l’éphémère, le précaire. Souvent, il teste les limites d’un maté riau en le poussant à l’extrême. Ainsi, un tronc d’arbre qui subit une pression jusqu’à craquer dans un bruit épouvan table ou un os broyé dans la mâchoire d’un monstre robotique.
À l’étage, l’ex-ingénieur affiche l’en thousiasme d’un gamin qui montre rait ses salles de jeux. Il tient à nous faire expérimenter D.P.D.U.F.A. (Dila tazione pneumatica di una forza atti va). Habituellement, l’œuvre consiste en un caisson transparent de polycar bonate dans laquelle se trouve une bouteille en verre reliée par un tuyau à une bonbonne de nitrogène. Quand on ouvre le robinet, la bouteille explose après un certain laps de temps. C’est le principe de la bombe. « Tu l’as déjà vue, mais tu n’as jamais entendu l’explosion sans la boîte sécurisée », avertit-il. À Paris, il y a quelques années, certains specta teurs n’avaient pu s’empêcher de crier au
moment fatidique. Le danger, bien réel, est tel que les parois vitrées du caisson doivent être changées à chaque nouvelle action. Même si cela se passe dans une autre pièce, l’idée d’assister à l’équiva lent de la détonation d’un engin explosif
en dehors de toute protection, ferait hésiter les cœurs les mieux accrochés. Arcangelo insiste avec une excitation de môme dans le regard. Italian Psycho. Le titre de l’article est tout trouvé, à son grand amusement.
Il active ensuite Afasia , une instal lation conçue sur le même principe qu’un fusil, sauf qu’au lieu de balles, ce sont des bouteilles qui éclatent en touchant leur cible à la vitesse de 300 mètres par seconde, laissant une
« D.P.D.U.F.A
sous
fait
jolie composition de bris de verre de couleur verte au sol. Entre deux tirs, l’artiste partage son engouement pour l’objet bouteille. « J’adore sa forme. J’aime les « crash », parce que la phy sique ou la nature connaissent la vérité
sans hésitation. Ce que nous sommes détermine ce que nous allons faire. Pourquoi cette bouteille a-t-elle explosé de cette manière ? Ma façon de faire de l’art consiste à rechercher la « vérité » d’un matériau en le soumettant à un stress maximal, jusqu’à sa destruction. C’est à ce moment-là, quand la pression l’a bri sé, que son essence se révèle. C’est une tentative de réconcilier la conscience de l’existence avec le reste de la réalité… Mon travail consiste à agir comme un filtre. » Dans cette version d’Afasia, aucune grille n’entoure l’œuvre, ce qui était le cas au Palais de Tokyo en 2008. « Sas solino est connu comme un artiste d’ar tistes , analyse Marc-Olivier Wahler, à l’époque directeur du centre d’art pa risien, aujourd’hui à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève. Il mériterait de l’être bien plus largement. Pour moi, la frilosité des musées est en partie res ponsable de cette méconnaissance d’une partie de son œuvre. Certes, ses sculp tures sont bien représentées lors des foires d’art internationales, mais le cœur, le vrai nœud de son travail, selon moi, ré side dans ses installations, considérées
trop dangereuses par mes confrères. En effet, les contraintes sécuritaires sont très lourdes pour qui souhaite les montrer, mais Sassolino est un ingénieur et tout est parfaitement contrôlé. »
Dans l’atelier de Trissino, la dernière œuvre nous met face à notre propre mort, avec une acuité rarement ressen tie. Une plaque de métal tourne de plus en plus rapidement, à quelques mètres seulement du spectateur, sans rien pour le protéger. La vie de ce dernier tient à quelques écrous, qu’il espère bien serrés.
Si l’un d’entre eux venait à lâcher, il se rait instantanément transformé en steak haché. La vitesse de rotation s’accélère. On hésite à sortir de la petite salle, tant rester tétanisé sur place devient insup portable. Les larmes montent aux yeux. La plaque tourne si vite, que le reflet des silhouettes, d’abord déformé, est effacé par la vitesse. Et puis la plaque-hélice s’arrête. Une fin d’épreuve qui sonne comme une fin de partie. L’artiste ra conte que de nombreuses personnes ne tiennent pas jusqu’au bout et quittent la pièce en pleurs. Arcangelo Sassolino testerait-il les limites de l’être humain ?
JARDIN
UN ÉCRIN AUX
SECRET
TRANCHÉES
C’
est un hôtel particulier typique du quartier des Tranchées, à Genève. Une habitation cossue de deux étages, avec combles et jardin paysagé pro tégé du boulevard par une haie, et qui raconte tout un pan de l’histoire immobilière genevoise. Retour 150 ans en arrière. La Révolution industrielle, qui bat alors son plein, a modernisé l’Europe. Partout, l’époque est aux grandes transformations urbaines. Dès 1853, Georges Eugène Haussmann a élargi les rues de Paris pour éviter l’érection de ces barricades qui ont enflammé la capitale en 1830 et en 1848, et rendre salubre une ville dont l’urbanisme, qui n’a pas évolué depuis le Moyen Âge, favorise la propagation des épidémies. De la même manière à Genève, James Fazy, fondateur du Parti radical genevois, fait valider en 1849 par le Grand Conseil, ses plans d’agrandissement de la cité hors de la limite des anciens murs. Son projet remplace les bastions, fossés et contre-gardes qui occupent encore le paysage de la ville par des boulevards, formant ainsi comme une « ceinture » à qui Fazy donnera son nom.
Maisons sur plan
Ce nouvel urbanisme suscite des convoitises. À partir des an nées 1870, plusieurs familles genevoises protestantes, la plu part actives dans la banque, constituent la Compagnie des immeubles des Tranchées. Leur but ? Acquérir ces parcelles gagnées sur les ouvrages militaires afin d’y construire des habi tations pour une clientèle riche et bourgeoise à qui elle revend, avec un profit de 4%, ces belles maisons achetées sur plan. La compagnie s’assure de la tranquillité du quartier en bannissant les industries malsaines, les cafés bruyants et autres établisse ments louches. À Genève, ce principe de promotion immobilière est très nouveau. « D’ordinaire, les familles achetaient un terrain et faisaient construire dessus la maison de leur rêve, explique David Ripoll, historien de l’architecture. Là, les clients font l’acquisition d’une maison toute faite. » Pour capter au mieux les goûts de l’époque, les promoteurs ont engagé deux ar chitectes. Gabriel Diodati, qui a les faveurs des familles pro testantes, et Charles Schaeck Jacquet, né en Bohême, ne donnent que dans le haut de gamme. Déjà auteurs du Palais
Page précédente: Installée dans la véranda, la salle à manger profite d’une vue bucolique sur le jardin. Ci-contre, de haut en bas: le spectaculaire corridor en enfilade et le vestibule.
À quelques pas de l’Église russe, un somptueux appartement du XIX e siècle raconte tout un pan de l’histoire immobilière genevoise. Un bien présenté par SPG OneChristie’s International Real Estate.
Par Emmanuel Grandjean, photos Anouk Schneider
L’un des deux grands salons de cet appartement au charme néoclassique rénové dans un goût contemporain.
Page précédente: la suite parentale offre un accès direct au jardin paysagé. Ci-dessus, de gauche à droite: la salle de bains et l’un des grands dressings de l’appartement.
de l’Athénée pour Jean-Gabriel Eynard, ils ont aussi décroché à Vienne en 1865 une concession pour construire un « che min de fer américain, soit tramway ». Ensemble, ils vont bâtir plusieurs des hôtels particuliers des Tranchées. Dont sans doute celui-ci, rue Massot, en 1872, mais les plans signés de ces habi tations ont aujourd’hui tous disparus.
Goût néoclassique
En 1880, la compagnie vend 190’000 francs le petit immeuble à Louise Marie Théodore Morin, épouse de Jacque Émile Bernard, pour une surface totale (logement et jardin compris) de 6 ares et 49 mètres (649 mètres carrés). Le bâtiment se trouve à l’extrémité du quartier de l’Église russe, situation calme et très recherchée. Avec le temps, et les changements de propriétaires, l’hôtel s’est vu détaillé en plusieurs appartements, comme celui-ci, situé au rez supérieur et d’une superficie habitable de 380 mètres
carrés. À l’intérieur, le hall d’entrée avec ses faux pilastres néoclassiques à feuilles d’acanthe et son long corridor à ar cades qui dessert les chambres et la cuisine reflètent le décor d’une époque qui aimait revisiter les styles antiques. L’apparte ment de neuf pièces est constitué de trois salons en enfilade, de deux chambres à coucher, chacune accompagnée de son dressing et de sa salle de bains. Sans oublier son jardin d’agré ment de 220 mètres carrés où les buis sont taillés en boules et les rosiers en treille grimpent le long de la façade. Construite un peu plus tard, au XIX e siècle, lors de l’agrandissement de la maison, la véranda permet d’assister bien au chaud au spectacle de cette nature bucolique.
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L’EFFET TOURBILLON
En 1801 à Paris, le Neuchâtelois Abraham-Louis Breguet trouve le moyen de rendre les montres à gousset plus précises. Aujourd’hui, sa complication sert avant tout à relever des prouesses techniques en direction du marché de la collection. Par Marine Cartier
Un dessin technique du tourbillon de la main d’Abraham-Louis Breguet et l’une des premières montres à en être équipé. Sans doute fabriquée par le maître-horloger alors âgé de 61 ans, elle a été achetée en 1808 par Antoine-Pascal d’Espagne, Prince de Naples et de Sicile et infant d’Espagne. (Breguet)
Il ressemble à un petit cœur qui bat la chamade à un rythme fou. Un objet fascinant, quoique parfois un peu stressant à observer, à qui son concepteur a donné le nom de tourbillon en raison de sa rapidité à tourner en rond. Inventé il y a 221 ans, le dispositif sert au jourd’hui à relever des prouesses tech niques et à pulvériser des records, son utilité n’étant plus, comme au XVIIIe siècle, le gage de la précision d’un garde-temps.
Problème terrestre À l’époque, les montres, attachées par une chaîne, se portaient dans une poche de gilet ou de pantalon. Ces montres à gousset (c’est le nom de la poche) don naient l’heure, certes, mais du fait de leur position verticale, subissaient l’im placable attraction terrestre. Ce qui per turbait leurs mécanismes et les rendait hautement défaillants.
Né à Neuchâtel en 1747, l’horloger Abra ham-Louis Breguet est installé à Paris de puis qu’il a appris son métier à Versailles auprès de Ferdinand Berthoud (lui aussi de Neuchâtel, expert en chronomètres de marine et Horloger mécanicien du roi) et de Jean-Antoine Lépine. Il a fondé en 1775 sa manufacture au bien nom mé quai de l’Horloge sur l’île de la Cité. Comme chez certains de ses confrères, il cherche depuis longtemps à résoudre le très contraignant remontage des montres nécessaire à leur bon fonction nement. L’histoire lui attribue l’invention, en 1777, du mouvement automatique, qui permet qu’un garde-temps se remonte seul grâce au déplacement de celui qui le porte. Dans la foulée, il développe la montre-bracelet plus pratique et plus confortable que le modèle à gousset. Il s’attaque ensuite au problème de la gravité qui dégrade la précision des
instruments d’horlogerie. Le Neuchâ telois a l’idée d’installer l’ensemble de l’échappement – l’organe mécanique qui diffuse progressivement la force du spi ral, le moteur de la montre – dans une petite cage effectuant une rotation com plète chaque minute. Le mouvement permanent compensant ainsi l’influence de la pesanteur.
Le 26 juin 1801, le gouvernement français accorde à Abraham-Louis Breguet, pour une période de dix ans, le brevet de ce régulateur très innovant. Il lui faudra en core cinq ans de développement avant de présenter le tout premier tourbillon à l’Exposition nationale des produits de l’industrie en 1806. Le mécanisme fait sensation même s’il reste réservé, déjà à l’époque, à une clientèle exclusive qui a les moyens de s’offrir cette invention. À sa mort, en 1823 à Paris, l’horloger aura vendu 35 tourbillons, notamment au
prince-régent d’Angleterre et aux Bour bon d’Espagne qui en font la collection. Avec le temps et l’évolution de l’hor logerie, le tourbillon devient de moins en moins nécessaire. Il tient néanmoins sa place parmi les « complications », ces difficultés techniques (comme les phases de lune, la répétition minutes, le quantième perpétuel) qui font le prix et la rareté des montres, mais servent aussi d’image de marque et d’excellence aux manufactures.
Beauté du geste Placé au sommet de l’imaginaire horlo ger, et graal des collectionneurs, le mou vement va ainsi poursuivre son dévelop pement. Un, deux, trois et jusqu’à quatre tourbillons, comme la GMT Quadruple Tourbillon de Greubel-Forsey, attestent d’un savoir-faire extrême. « Lorsque vous commencez à apprendre l’horlo gerie, votre rêve est qu’un jour vous puis siez fabriquer un tourbillon. C’est quelque chose de fascinant qui vous fait tourner la tête », expliquait l’horloger genevois An toine Preziuso après avoir reçu en 2015 le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève grâce à son Tourbillon des Tourbillons, objet unique à trois rotors, développé pendant plus de dix ans avec son fils Flo rian. « J’en ai eu l’idée en observant le mou vement des étoiles et des planètes dans le ciel. Dans la nuit, j’ai commencé à imagi ner comment recréer de telles révolutions célestes à l’intérieur de l’espace minuscule d’une montre. » Le tourbillon, c’est aussi la marque de fabrique de Purnell fondé en 2020 par Maurizio Mazzocchi, autrefois passé à la direction de Roger Dubuis et de Jacob & Co, deux manufactures qui bouillonnent au tourbillon et à la haute horlogerie. La spécialité de la maison ? Le coup double. Après avoir créé le Gyrotourbillon pour Jaeger-Lecoultre, le tourbillonneur frénétique Éric Cou dray a conçu le Spherion pour Pur nell, un tourbillon sphérique qui tourne sur trois axes et que l’horloger met par paire pour battre des records de vitesse. Mais est-ce que cela rend la montre plus fiable pour autant ? « En théorie, oui,
elle est plus précise, mais cela reste sur tout un exercice de style qui participe à la beauté technique de l’objet, explique Maurizio Mazzocchi. Deux tourbillons, c’est forcément très compliqué à mettre en place dans une boîte. C’est comme une voiture dans laquelle vous auriez mis un moteur surpuissant. Toute l’architec ture de la montre doit être bâtie autour d’eux. » Éléments structurels, les cages sphériques servent aussi de support esthétique. « On peut jouer sur les cou leurs, les sertir intégralement. Ou réfléchir
De haut en bas : Big Bang Samuel Ross de Hublot, Tourbillon des Tourbillons d’Antoine Preziuso, Royal Oak Tourbillon Volant Extra-Plat Automatique d’Audemars Piguet (Hublot, Preziuso, Audemars Piguet)
à leur forme en transformant la cage en ballon de football, comme pour notre collection en partenariat avec le prix du Ballon d’or. »
Taille extrafine
La course à l’épaisseur, c’est l’autre défi qui agite les maîtres-horlogers. Bre guet a monté son calibre tourbillon dans un boîtier extra-plat de 7 mm d’épaisseur. Record battu d’un cheveu par Graff avec un modèle à 6,95 mm. Mais depuis 2014, Bulgari a mis tout le monde d’accord. La marque italienne, propriété du groupe LVMH, détient le record mondial du tourbillon extraplat avec son mouvement Octo Finis simo Tourbillon de 1,95 mm assemblé dans une boîte super fine de 5 mm. La complication réclame de la place, et
pas seulement en épaisseur. Audemars Piguet, de son côté, parvenait en 2022, à faire entrer un tourbillon volant auto matique de 3,4 mm dans un boîtier de 39 puis de 37 mm de diamètre. Comme quoi, une mécanique qui ronronne de puis plus de deux siècles peut encore bousculer l’univers parfois compassé de l’horlogerie. La preuve ? En 2007, Hublot sortait son premier mouvement tourbillon maison. Il allait propulser la marque sur le terrain des complications, mais avec cette touche contemporaine qui carac térise la manufacture nyonnaise, l’autre fleuron horloger de LVMH. Cette année, Samuel Ross donne son nom à une édi tion limitée dans laquelle le designer bri tannique a instillé les codes urbains du sport et de la mode. Un tourbillon qui lui ressemble : jeune, pop et fuselé.
LA MAÎTRISE DE L’EAU
POUR UN CAPOT CONCERTO
Musicien et ingénieur acoustique, le Toscan Renzo Vitale travaille pour de grandes marques automobiles. Son métier ? Reproduire dans la conduite l’émotion suscitée par la musique. Par Monica D’Andrea
Entre culture et spiritualité, le son est un élément fon damental. Sans comparaison aucune avec quoi que ce soit d’autre : un des sens, l’ouïe, le capte, mais pas seulement. « Le son abstrait est défini chez les Soufis par l’expression ‹ Saute Surmad ›, signifiant : l’univers entier en est rempli. Les fréquences de cette note qui emplit le cosmos sont trop subtiles pour être vues avec les yeux, ou entendues avec les oreilles... » Si l’on s’en tient à ce qu’en disait le musicien in dien Hazrat Inayat Kahn au début du XXe siècle, l’espace nous transmet donc des sons qui ne sont pas seulement audibles mais aussi perceptibles. Cette nuance, Renzo Vitale, designer sonore, la relève également : « Vous n’arrêtez jamais d’entendre. Vous pouvez fermer les yeux, la bouche, le nez, ne rien tou cher, mais même en se bouchant les oreilles, vous percevez des fréquences. »
Sentir le silence
Scientifique de formation, musicien, pianiste, et designer sonore (il possède un doctorat en acoustique de l’Universi té d’Aix-la-Chapelle, deux masters – en génie électronique et en piano – ainsi qu’un diplôme en musique électronique, composition et direction), Renzo Vitale travaille pour l’indus trie automobile depuis 2015. Son processus créatif consiste à s’inspirer littéralement de la musique qu’il définit comme « de l’air » et de l’associer à l’appareil auditif et aux aptitudes cogni tives humaines. Chez BMW, il est « spécialiste en ingénierie du bruit, des vibrations et de la dureté. Et depuis 2017, responsable du Sound Design pour BMW, MINI et Rolls Royce », peut-on lire sur le site du constructeur allemand qui met le Toscan en avant. Il y a de quoi ! Admirateur de son compatriote Leonardo da Vinci, Renzo Vitale a le génie modeste. Il explique que le champ de la recherche et de l’innovation est son terrain de jeu : « Je me suis rendu compte que s’intéresser à la musique sans en considérer la partie scientifique était limitatif. La curiosité amène à déterminer les émotions suscitées par la musique, corrélées à l’acoustique, à la physique ou à l’ingénierie. L’approche est variée, empirique ou expérimentale. Je ne fais pas de distinction entre les matières, car tout est lié. » Le son qui unit dans le cosmos est aussi celui qu’’il explore. En novembre 2018, à Darmstadt en Allemagne, ne commençait-il sa conférence TEDX en posant le silence, qu’il décrit comme la condition la plus précieuse pour l’être humain car il permet de sentir la profondeur de sa présence ? Renzo Vitale travaille sur l’aspect narratif qui se tisse entre la musique, la science et les perceptions humaines, transcendant un état de présence face au monde. La musique est pour lui la résultante de la science, de l’air et du système auditif qui nous permet de l’appréhender. « Grâce à mon entourage, j’ai com pris les points de convergence qui résonnaient en moi-même et c’est pour moi le sens de la vie. Je cherche à laisser une trace à travers les outils qui m’ont été donnés. » Pour corroborer cette quête, son approche est claire : elle est liée à la performance. Apprendre à jouer d’un instrument lui a permis de « parler » un langage universel qui touche les gens à travers l’échange des émotions. « Dans le meilleur des cas, ces notes engendreront une résonnance émotionnelle, empathique, qui entrera en communion
avec des personnes totalement inconnues avec lesquelles on ne partage qu’un moment dans le sillage de l'instant présent. » Et l’automobile ? L’ingénieur plaisante – ou pas tant que ça – sur le fait qu’elle fait partie intégrante de la famille. On y passe du temps, on s’y attache, la relation au véhicule est singulière. Du point de vue performatif, l’industrie de la voiture, raconte-t-il, est encore trop masculine. « L’état émotionnel et la sensibilité n’y sont pas aussi répandus qu’ils devraient. Mon travail vise à apporter ma contribution à cela à travers l’univers des sons. Je n’envisage pas de composer pour un moteur, mais bien pour celui qui génère des sons, car le conducteur d’un véhicule est en quelque sorte un ‹ performeur › qui utilise un instrument ultraintelligent. » Ce n’est pas sans conviction qu’il décrit l’objet comme la résul tante d’un processus créatif qui témoigne d’un immense pas dans les avancées humaines. « Je me lève le matin dans l’espoir de parvenir à diffuser des sons pour tous ces gens qui cherche ront à exprimer des émotions. Il s’agit de réfléchir à l’élaboration d’un large catalogue de possibilités et de sons différents pour
différents types de situations. » Le compositeur Hans Zimmer a collaboré avec Renzo Vitale sur la nouvelle gamme 100% élec trique de BMW. La star des musiques de film et le designer ont transformé ces véhicules silencieux, mais qui doivent marquer leurs présences vis-à-vis des piétons et des cyclistes, en salons acoustiques, enveloppant le conducteur de nappes sonores travaillées comme de véritables mouvements de musique. Dès l’ouverture de la portière, la voix d’un chœur accueille le conducteur. Un glissando d’instruments à cordes accompagne ensuite sa conduite, son amplitude variant en fonction des accélérations.
Les mots du son Le rapport entre psyché et contexte à un moment T est fon damental. « L’impact des émotions au volant se déploie à grande échelle. Comptez une production de 2 millions de véhicules par an, multiplié par le nombre d’utilisateurs… l’automobile est une invitée de la nature qui se doit de respecter l’environnement dans lequel elle est conviée. » Une forme d’humanisation de la machine qui a
« Si tout le monde pouvait transcender la musique, ce serait une élévation de l’être humain. »
permis à Renzo Vitale de développer un champ lexical ad hoc : « élégance », pour un son qui soit raffiné dans sa création et son externalisation; « durabilité », immanquable pour renforcer un es prit civique et communautaire duquel nous ne devons pas présu mer en tant que « prédateur du son ». Il insiste sur la perspective de responsabilité quant à un impact didactique à ne pas négliger. Son art étant une forme de créativité sensible, une manière de transmettre des émotions de toute sorte, il s’est éloigné d’une approche trop technicienne. Ses compositions restent acous tiques, entre neuroscience et énergie vitale, tout en étant peu définissables. « Une sorte de planification holistique », la quali fie-t-il, comme certains parfums qu’il a traduits en sons, avec l’idée subtile d’utiliser les cinq sens constamment. « Puisque les oreilles sont toujours actives, le son agit dans la sphère de l’in conscient. Cela fait partie de l’approche créative. Le photographe Irving Penn disait qu’il utilisait la lumière pour transmettre la lu mière. » Renzo Vitale en fait autant avec le son.
Les différents types d’automobiles nécessitent-ils des tech niques acoustiques spécifiques ? « Le processus est identique
qu’il s’agisse d’une sportive, ou d’une berline. Il y a différentes musiques, certes, mais en fin de compte, ce que je veux trans mettre est un état d’âme, un état d’esprit, de la légèreté, de l’énergie, et tout un vocabulaire en lien avec le sport. En re vanche, c’est dans l’œil de l’observateur qu’il faut comprendre où mener les autres, par le volume général qui, dans les voi tures électriques, est plus vaste que dans un véhicule ther mique. Le niveau sonore y est élevé car il n’est pas couvert par le bruit du moteur à combustion. De nouveaux sons appa raissent donc. »
Pourrait-on imaginer la voiture comme un instrument de mu sique qui, grâce à l’intelligence artificielle, serait capable, dans un futur proche, de produire sa propre composition musicale en fonction du temps, de l’heure, du paysage ou des passagers ? Que pense Renzo Vitale de cette vision ? Qu’elle est cohérente même si l’intelligence artificielle n’est que l’aboutissement des intentions de celui qui la programme. « Tant que l’homme sera sur terre, il jouera un rôle jusque dans la sensibilité des machines. J’y crois fermement. »
Petite reine de salon
Parler de vélo d’appartement pour qualifier cette machine spectaculaire serait un peu court. Comme chez Edmond Rostand au sujet du nez de Cyrano, on pourrait dire bien des choses en somme : « De quoi sert cette oblongue capsule ? D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? » Car l’engin est au bon vieux home trainer ce que le Thermomix est à la cocotte-minute. Leader du maté riel de sport et de musculation grand public, mais très haut de gamme, le fabricant italien Technogym propose ce Skill bike censé apporter toutes les sensations de la petite reine sans bouger de son salon. Vraiment toutes. Manière de dire que ce vélo est davantage destiné à ceux qui pratiquent le cyclisme à haute dose, en professionnel ou en amateur, qu’aux adeptes de l’escapade chou en campagne. Sa technologie et son design permettent ainsi de reproduire des ascensions de côtes, des courses contre-la-montre et simulent des équipées tout-terrain en VTT. La machine réagit également au style de
pédalage de son utilisateur à qui elle procure des effets sem blables à une performance en extérieur. Ce dernier pouvant compter sur une commande de vitesse dernier cri pour aug menter cet attachement au principe de réalité.
Le numérique ayant depuis longtemps forcé les portes des fitness, le Skillbike est équipé d’une console tactile qui ren seigne le sportif en temps réel sur des informations de base (rythme cardiaque, puissance, etc.) et des données plus poin tues, telles que circularité et symétrie du pédalage en fonction des différents rapports, couple entre jambe gauche et jambe droite à chaque tour de roue et évaluation de puissance seuil fonctionnelle. L’interface contient plusieurs types de parcours pour mettre à l’épreuve ses performances sur longues distances ou en altitude. Elle peut aussi importer les itinéraires de Strava, l’application star chez les vélocipédistes. Et ainsi reproduire en chambre, les plats et dénivelés de courses réelles. 7’200 francs, technogym.com
Le fabricant italien Technogym propose ce vélo pour cycliste geek qui fait tout comme un vrai, mais en intérieur.
Par Joseph Arbiss
Bouteilles de saké, l’alcool national japonais que l’Occident apprend à mieux connaître. (DR)
IVRESSE
NIPPONE
Du Japon, on connaît le saké et le whisky, mais l’archipel produit aussi du vin de prune, de fraise… et quelques crus très rares.
Par Emmanuel Grandjean
Ci-contre et ci-dessus : À Yamanashi, au pied du mont Fuji, la famille Misawa produit du vin blanc, rouge et rosé depuis 1957. (Misawa)
En matière d’ivresse, le Japon, vu de l’Occident, se résume à un seul alcool : le saké. Et encore. De ce côté-ci du Soleil couchant, on pense à celui servi dans les restaurants asiatiques en fin de repas, dans un dé à coudre de por celaine au fond duquel se dévoile, une fois le contenu avalé, l’image grivoise d’une femme nue. « C’est du baijiu en fait, littéralement de ‹ l’alcool blanc › chinois souvent de piètre qualité. Il est obtenu à partir de la distillation de vin de céréale et n’a rien à faire avec la culture japonaise » , se rengorge Pablo Nedelec, caviste au Passeur de vin, à Genève. Une confu sion tenace qui a le don d’agacer cet expert en alcool japonais. Mais qui est aussi l’occasion d’opérer une recon version chez les buveurs occasionnels de ce faux saké. « Pour tous les distri buteurs et passionnés, le premier pas à franchir quand on est face à un client ou à un néophyte, c’est de réussir à lui faire comprendre que le saké n’est pas un al cool distillé, mais une boisson fermentée à base de riz, à mi-chemin entre un vin et une bière et qui titre, en général, entre 14 et 20 degrés. »
On parle d’ailleurs de brasserie pour qualifier ces lieux où le saké est produit et dont le gouvernement japonais limite strictement le nombre. « Sans doute une manière de réguler la produc tion pour faire de la prévention de l’alcoo lisme. Le seul moyen d’ouvrir une bras serie est d’en reprendre une ancienne ou d’en trouver une désaffectée, mais dont le nom subsiste toujours officiellement. » Ce qui fait qu’il y a 1020 brasseries au Japon aujourd’hui, contre 11’000 au début du siècle passé. Tout en sachant que les 70% du saké consommé sont fabriqués industriellement par une quarantaine de brasseries seulement.
Salive humaine
Histoire de dire qu’il existe autant de sakés au Japon que de bourgognes en France. Une différence due aussi à l’umami, cette cinquième saveur, instil lée par les acides aminés (dont le gluta mate) contenus dans certains composés présents dans l’alcool le rendant subtil et étonnant, qu’il soit consommé froid,
tiède ou chaud. « Les Japonais cherchent l’harmonie dans tout. Ou plutôt chassent la non-harmonie dans les choses. Le saké, dont la tradition est séculaire, est un pro duit façonné depuis tellement longtemps qu’il touche à la perfection. Vous pouvez déguster des sakés vieillis ou jeunes, des cuvées très riches et puissantes, parfois même effervescentes. » L’alcool et le Japon, c’est une histoire aussi vieille que l’archipel. Comme dans toutes les civilisations, l’homme qui a goûté au fruit fermenté par le soleil et s’en est saoulé a cherché par tous les moyens à reproduire cette ivresse. D’abord avec des baies, ensuite avec le riz, la plante nourricière du pays. Le processus de fermentation, en re vanche, est tout à fait particulier. Làbas, ce n’est pas seulement une levure qui métamorphose le liquide en nectar, mais un champignon, le koji, qui saccha rifie l’amidon contenu dans le blé, le riz ou l’orge, les céréales à la base de
tous les alcools nippons. « Avant le koji, c’est la salive humaine qui était utilisée pour la saccharification Vous trouvez en core aujourd’hui dans certains temples shintos, des prêtresses qui, au moment du Nouvel An japonais, mâchent le riz, le recrachent et constituent ainsi un pied de cuve pour démarrer un cru très spécial le Kuchi Kami no Sake, continue le ca viste chez qui l’amour du Japon est né à Osaka où il vécut quelques années. J’aime cette culture, son côté mystérieux et puriste à l’extrême. Mais c’est à l’École hôtelière de Genève et à la Haute École de viticulture et œnologie de Changins que j’ai découvert le vin. Et que j’ai ensuite allié mes deux passions en me spécia lisant dans les alcools japonais, plus particulièrement le saké. »
Vignes jésuites
Presque plus étonnant encore, le Japon produit aussi du vin. Si, si. On ne parle pas de l’umeshu, ce vin de prune par fois associé à de la fraise, certes déli cieux, mais qui consiste à mélanger une liqueur de fruit avec une base d’alcool distillé ou de saké. Mais de vin, du vrai, produit à partir de raisins dont la culture remonte à l’époque de l’évangélisation du Japon. Les missionnaires espagnols et portugais débarquent alors avec leurs missels, leurs crucifix et des vignes qu’ils plantent au pied des montagnes. L’aventure tourne court. En 1614, les mis sionnaires sont massacrés et chassés. Et le Japon se ferme au reste du monde pendant presque trois cents ans. En 1868, l’ère Meiji va faire passer d’un coup le pays du Moyen Âge féodal à une modernité frénétique. « Le Japon n’est pas un pays qui copie, mais qui prend les meilleures idées et les adapte pour les rendre encore plus performantes. » C’est ainsi que le gouvernement va envoyer des émissaires dans toute l’Europe à la recherche des produits les plus presti gieux et les plus innovants dans le but de les améliorer. Dans le lot, ils ramènent de France et d’Italie des cépages de merlot, de cabernet franc, de sauvignon. Des États-Unis, ils font venir des plants du Delaware, les seuls capables de résister au phylloxéra, ce puceron qui ravage les raisins européens. « Ils vont commencer
une production viticole, mais jamais de manière très poussée. » Car le Japon n’est pas l’eldorado de la Chine où les grands groupes viticoles, notamment bordelais, plantent massivement leurs vignes dans les grandes vallées. Avec l’assurance de pouvoir écouler sans pro blème une production très importante dans un pays qui compte un milliard de consommateurs potentiels, patriotes et chauvins. « La surface consacrée à la viticulture au Japon représente aujourd’hui 30’000 hectares, principalement concen trés dans le nord, sur l’île de Hokkaido, et dans le sud à Kyushu. Ce qui est le double de la Suisse, certes, mais pour un pays neuf fois plus grand », observe Pablo Nedelec pour qui ce vin local reste anec dotique. Les amateurs japonais préfèrent les vins étrangers dont ils ont souvent une très grande expertise. Parfois même bien supérieure aux pros d’ici. »
Grands crus Certains s’accrochent, pourtant, dans ce pays à 80% occupé par un relief mon tagneux et qui, en 2020, se classait 11e mondial au niveau des importateurs de vin. Comme le domaine Beau Paysage d’Eishi Okamoto, un vigneron très poin tu capable de faire des miracles. « J’ai dégusté à l’aveugle un de ces cabernets. Face à de très grandes bouteilles fran çaises et suisses de plusieurs centaines de francs, il a éclipsé tout le monde. C’était très impressionnant. » Propriétaire de plus de quarante do maines dans le monde, le Français Ber nard Magrez a jeté son dévolu sur un vignoble nippon minuscule à Yamanashi, au pied du mont Fuji. Lui, travaille le koshu, la seule variété de raisin endé mique de l’archipel qui donne un fruit à gros grains et gorgé d’eau. Sous l’appel lation Magrez-Aruga, il sort 2000 bou teilles par an, pas une de plus. Au même endroit, la famille Misawa produit depuis 1957 sa cuvée Grace. Emmenée par Aya na Misawa, la quatrième génération rem plit aujourd’hui 95 barils de koshu rouge, rosé et blanc et même pétillant, pour une capacité de 60’000 bouteilles. Parmi les acharnés du vin japonais, il y a aussi Jean-Marc Brignot, un viticulteur atypique du Jura français, pionnier et
célébrité du vin naturel, installé depuis 2012 sur l’île de Sado, à 400 kilomètres au nord de Tokyo. « Il produit quelques cuvées de koshu, mais refuse de les ex porter. Ce sont des vins naturels, donc peu stables, qui supporteraient mal le voyage. Pour lui, ils doivent absolument être bus sur place pour pouvoir pleinement les ap précier », reprend Pablo Nedelec. Le Ja pon profite d’un climat très humide, avec des étés souvent très chauds et des hivers très marqués. Par endroits, il est même un peu préalpin. Je pense qu’il est tout à fait possible d’y faire de très belles choses. »
LE FROID QUI CALME
En vogue depuis longtemps chez les sportifs de haut niveau, la cryothé rapie creuse doucement son chemin parmi le grand public. Effet de mode à venir ou méthode de soins incontestable ? Par Philippe Chassepot
Joël, un ami coiffeur, un homme responsable à l’hygiène de vie très convenable. Mais les années passent, et le voilà qui franchit la cinquantaine avec un corps qui donne quelques signes d’usure ici et là. L’usage intensif des ci seaux et les bras levés toute la journée ont généré des douleurs articulaires intolérables chez lui. Il a essayé toutes les formes de traitements possibles, jusqu’à finir dans une impasse il y a quatre ans : les séances d’ostéopathie de moins en moins efficaces dans la durée, et le foie en vrac à force d’abuser du paracéta mol codéiné. « J’étais devenu accro malgré moi, jure-t-il. On m’a expliqué que l’organisme créait des douleurs à chaque fois que tu arrêtais les prises, pour justement t’obliger à en reprendre. Je ne savais plus quoi faire, je ne voyais pas d’issue. » Il s’est alors décidé à franchir le pas de la cryothérapie, à savoir : entrer tout entier dans un caisson à -140 degrés et y rester trois minutes, avec des séances très rapprochées pour commencer. Et le miracle a eu lieu : « C’était magique, totalement dingue. Plus aucune douleur articulaire, y compris dans le bas du corps. J’ai aussi retrouvé le sommeil, j’avais la pêche comme jamais, j’aurais déplacé des montagnes. » L’expérience de notre homme constitue la meilleure publi cité possible pour une méthode encore balbutiante. Car si la notoriété de la cryothérapie se fait de plus en plus forte, y recourir spontanément est tout sauf un réflexe évident pour le patient lambda.
Les vertus du froid sont pourtant historiquement reconnues. Hippocrate y avait recours comme antidouleur ; les Égyptiens utilisaient eux l’eau glacée pour redonner du tonus ou cal mer les inflammations. Et cette tradition un peu plus au nord,
aussi : en Islande, les locaux adorent se plonger dans un bain à 5 degrés avant de se jeter dans un jacuzzi à 38 juste après. Plus près de nous, d’autres recettes : le sac de glace sur une entorse ou une tendinite, ou le coup de bombe magique sur un terrain de foot après un choc. Mais la confiance que le grand public peut accorder à une thérapie « nouvelle » prend du temps, systématiquement. On peut, en cela, ranger la cryothérapie dans le camp des découvertes récentes, puisque la première chambre a été créée par un scientifique japonais en 1978. Les choses ont bien changé en 2022, et les soins sont deve nus très accessibles pour les urbains. Ainsi à Genève, chez Cryo Sport Santé. Pierre Garnier et Benjamin Sunier se sont rencon trés à l’école d’ostéopathie et ont rapidement voulu créer un lieu où des soins complémentaires pouvaient booster leurs séances. La cryothérapie s’est imposée comme une évidence, surtout à l’époque de l’immédiateté : eux travaillent à moyen et long terme, la « cryo » venant gommer les petits blocages du quotidien. Une séance dure environ trois minutes, mais les deux hommes consacrent une demi-heure pour le premier rendez-vous. Pour expliquer, démontrer, et gérer les appréhensions. Car certains craignent un peu les douleurs provoquées par l’immersion dans le caisson (« là où il y a inflammation, c’est comme un bleu sur lequel on appuie », explique Joël) ou angoissent à l’idée de se retrouver enfermés. Les deux ostéopathes proposent en effet une cryothérapie corps entier qui diffère de celle utilisée par tout ailleurs, puisque la tête rentre elle aussi dans leur machine. Avantages : pas d’azote en direct sur le corps, pas de brûlure ou d’étourdissement si le produit est respiré – le procédé a eu lieu
en amont, le patient ne fait que respirer de l’air froid. Pendant la séance, une personne reste systématiquement en cabine pour prévenir toute gêne ou anxiété du client. Et pour celles et ceux qui paniqueraient vraiment trop, une cryothérapie locale est possible.
Leur clientèle déroule une longue liste de pathologies. Des sportifs qui veulent accélérer la récupération ou atténuer cer taines douleurs ; d’autres qui cherchent à lutter contre le stress ou les jambes lourdes, ou à améliorer leur sommeil ; ceux qui veulent bien évidemment se débarrasser de leurs tendi nites persistantes. Mais on trouve aussi des pathologies plus sérieuses, telles l’arthrose chronique ou la spondylarthrite ankylosante. Pierre Garnier insiste sur ce dernier point : « On est comme la médecine classique, on n’a hélas pas de solutions pour la guérir. Mais on peut soulager sans passer par la case médica ments et le dérèglement du système digestif qui va avec. »
Choc thermique
Les vertus de la cryothérapie sont difficilement contestables tant le procédé est rationnel. En deux phrases : elle provoque un choc thermique qui va agir comme un puissant stimulateur du système nerveux et engendrer des processus bénéfiques pour le corps humain. Comme la libération d’endorphines qui agissent en antidépresseurs et régénérateurs, pour un mental amélioré et un sang oxygéné. Les sportifs professionnels les plus ambitieux y ont toujours recours. Novak Djokovic ne s’en est jamais caché, et Mohamed Salah confiait récemment au magazine France Football avoir installé un caisson à domicile pour une pratique plus que régulière. Mais le ruissellement jusqu’au grand public prend encore du temps. Méfiance et circonspection font partie de la nature humaine. Pour rappel : les ostéos se voyaient encore qualifiés d’escrocs il n’y a pas si longtemps, et les jeûneurs provoquent toujours des mines incrédules chez nombre de leurs interlocu teurs. Pierre Garnier le constate au quotidien : « Certains ont ef fectivement pu lire ou entendre tout et n’importe quoi à ce propos. » Un sourire, et il poursuit : « Je ne devrais pas le dire comme ça, puisque mes parents sont médecins… Mais certains docteurs pré fèrent dire non d’entrée s’ils ne connaissent pas le truc. Une de nos clientes a appelé l’autre jour pour annuler une séance. Elle avait
adoré la première, mais son médecin lui avait dit qu’il était contre, alors elle a préféré tout arrêter… » À l’inverse, le Covid est passé par là pour un nouvel éclairage. Une étude menée par le Journal of Integrative and Complemen tary Medecine, en partenariat avec le CHU de Reims, vient de mettre en avant les effets certains de la cryothérapie sur l’anos mie, la perte de l’odorat, chez ceux qui en souffrent en longue durée. Une étude sérieuse, qui porte sur 45 personnes avec des symptômes déclarés entre un mois et un an et demi. Ces patients ont été répartis en trois groupes de quinze personnes, avec des protocoles de soins différents pour mieux évaluer les résultats.
Les responsables ont ainsi constaté une amélioration de l’odorat de plus des 50% chez 28 des 30 patients qui avaient enchaîné les séances rapprochées. Avec également une grosse réus site sur les « odeurs fantômes », sorte d’hallucination olfactive qui peut perdurer après un Covid. Une opportunité marketing ? Même pas, juste le fruit du hasard. Deux médecins étaient venus tester la cryothérapie alors qu’ils souffraient d’anosmie. Ils ont ensuite rappelé le centre pour parler de l’amélioration de leur état, ce qui a déclenché ladite étude.
Apaiser la douleur Reste que tout est loin d’être parfait dans ce monde là. Les contre-indications existent – soucis cardio, port d’un pacemaker, hypertension non traitée, pathologies pulmonaires ou asthme non soigné – et l’efficacité varie beaucoup d’un patient à l’autre. Sans surprise, les experts français n’allaient pas laisser passer l’occasion de jouer les rabat-joie : une étude de 2021 de l’Inserm a évoqué une efficacité limitée dans le temps et souligné des effets indésirables – un lieu commun médical applicable à tous les traitements –, essentiellement des brûlures et maux de tête quand la machine est mal utilisée. De fait, Joël reconnaît lui-même que les séances d’aujourd’hui, plus espacées qu’au début, se montrent un peu moins effi caces. Et on rappelle, une nouvelle fois, qu’il s’agit ici d’un soin de soulagement qui ne peut pas s’attaquer aux causes réelles d’une pathologie. Comme un « coupeur de feu », finalement, qui apaise mais ne guérit pas. Mais le confort n’a pas de prix quand on souffre au quotidien…
Genève
Vandœuvres
Dans un écrin de verdure, ce domaine d’exception jouit d’un parc joliment arboré et profite d’une magnifique vue dégagée sur le lac et le Jura. Cette maison de maître, érigée au début du XVIII e siècle, présente de belles proportions élégantes et classiques. L’environnement offre un cadre de vie idéal, à proximité de toutes les commodités et notamment du Golf Club de Genève.
+41 22 849 65 09 contact@spgone.ch | spgone.ch
Genève
Cologny
Situé dans une résidence de standing et sécurisée, ce luxueux appartement profite d’un environnement calme et privilégié ainsi que d’une somptueuse vue sur le lac et le Jura. Entièrement rénové, ce bien dispose d’une terrasse de 158 m 2
CHF 10’500’000.–
Cologny
Cette magnifique maison familiale est située dans un quartier résidentiel et à quelques minutes de toutes les commodités. Elle bénéficie d’une terrasse et d’une piscine orientée sud.
600 m 2 5 4
Vésenaz
363 m2 4 5 1’000 m2 8 8 +41 22 849 65 09 contact@spgone.ch | spgone.ch
À l’abri des regards, cette belle propriété pieds dans l’eau, offre une vue imprenable sur Genève et le Jet d’eau. Elle est agrémen tée d’un garage à bateaux ainsi que d’un ponton privatif.
CHF 44’000’000.–CHF 10’500’000.–
Genève
Campagne genevoise
Cette majestueuse demeure, construite en 1626, a été entièrement transformée et rénovée avec des matériaux haut de gamme. La propriété dispose de nombreuses terrasses donnant sur un parc paysager et une somptueuse piscine. Elle offre également un studio indépendant. Alliant cachet, élégance, luxe et confort, cette demeure répondra aux attentes des plus exigeants.
CHF 18’000’000.–900 m2 7 8 4’936 m2
+41 22 849 65 09 contact@spgone.ch | spgone.ch
Genève
Versoix
Cette belle propriété pieds dans l’eau est composée d’une parcelle de 6’000 m2, d’une maison contemporaine à fort potentiel et d’un ponton privé. À l’abri des regards, elle offre de nombreuses chambres ainsi qu’une partie indépendante pour les invités.
CHF 19’000’000.–700 m2 6 6
Malagnou
Ce grand appartement en pignon a été entièrement rénové. Il offre une belle luminosité tout au long de la journée ainsi qu’une magnifique vue dégagée.
Rive droite
Situé au centre-ville, ce magnifique appartement a été entière ment rénové avec des matériaux haut de gamme. Il offre de très beaux volumes et un cadre de vie exceptionnel.
CHF 4’250’000.–273 m2 3 4283 m2 4 4
+41 22 849 65 09
contact@spgone.ch | spgone.ch
CHF 5’300’000.–
Crans-près-Céligny
4’979 m2
Vaud
Blonay
Implanté sur un parc de plus de 17’000 m2, ce domaine familial dispose d’une superbe vue sur le lac et les Alpes. Composée d’une grande maison et de nombreuses dépendances, cette propriété offre également une piscine intérieure et un terrain de tennis.
Épalinges
À proximité du golf de Lausanne, cette propriété se situe dans un quartier résidentiel. La villa offre une piscine intérieure, un spa ainsi qu’un garage pour une dizaine de voitures.
CHF 10’500’000.–
Vich
800 m2 4 4 500 m 2 7 4 +41 22 849 65 08 contact@spgone.ch | spgone.ch
Cette propriété chargée d’histoire se situe à proximité du centre du village. Elle jouit d’un magnifique parc au calme et d’une vue dégagée sur les vignes.
CHF 9’500’000.–
Montagne
Villars-Sainte-Croix
Chalet Margueronnes
À proximité immédiate des remontées mé caniques, ce splendide chalet à construire, en résidence principale, sera édifié sur une belle parcelle de plus de 1’700 m2. Presta tions et finitions haut de gamme.
CHF 4’550’000.–
Crans-Montana
Chalet Vieux Bisse
438 m 2 400 m 2
4 5 4 6
Hiver 2022 79
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