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uand on a inauguré le nouvel édifice du Musée des beaux-arts de Winnipeg (WAG), de l’architecte Gustavo da Roza, en 1971, on l’a décrit comme un éperon, son arête effilée comme un ulu pointant vers Portage Avenue telle une flèche indiquant l’avenir de la ville. Ce printemps, cet avenir est advenu, et il s’avère que le WAG n’avait rien d’un éperon : c’est un cornet. Et Qaumajuq, le nouveau centre d’art inuit ajouté à ce qui était vu comme l’arrière du WAG, est une grosse boule de crème glacée. La rutilante façade ondulée de Qaumajuq, blanche sur le gris du WAG, semble planer au-dessus de la rue, et quand on traverse Memorial Boulevard, la glace devient iceberg : massif, solide, mais comme fait de lumière. La nouvelle galerie est un rayon de soleil en pleine pandémie, et plus encore, c’est la nouveauté culturelle la plus importante que le pays ait connue au xxie siècle, et depuis bien avant. Ce n’est pas seulement que Qaumajuq (le j est un yod, et il y a une pause après le q final) est la première grande institution culturelle canadienne à porter un nom autochtone donné par des Autochtones ; ou qu’on l’a construit pour abriter la plus grande collection publique d’art inuit au monde ; ou que celle-ci est cogérée par une conservatrice inuite ; ou que l’ensemble du projet a été supervisé par un cercle consultatif autochtone composé de membres des Premières Nations du Manitoba et des quatre régions de l’Inuit Nunangat (région désignée des Inuvialuit, Nunatsiavut, Nunavik et Nunavut), ainsi que de l’Alaska et du Groenland. Chacun de ces facteurs aurait fait de Qaumajuq un lieu unique. Mais ensemble, ils ne signalent rien de moins que l’arrivée de l’art inuit sur la scène mondiale au rang d’art contemporain parmi les plus importants, émouvants, significatifs, subversifs, sophistiqués et tout simplement magnifiques de la planète. En 2021, ce qui aurait aisément pu s’appeler l’Inuit Art Centre (et qui a brièvement porté ce nom) met un terme définitif et spectaculaire à la notion coloniale selon laquelle l’art autochtone est une branche de l’anthropologie. « Nous avons des millénaires de pratique artistique », déclare Heather Igloliorte, chercheuse inuite établie à Montréal, coprésidente du cercle consultatif autochtone du WAG et une des quatre commissaires invitées de l’expo inaugurale, INUA (qui signifie « esprit » en inuktitut, et qui est un acronyme d’Inuit Nunangat Ungammuaktut Atautikkut, ou « Inuits avançant ensemble »). « Il suffit de regarder les œuvres pour s’en rendre compte. » Jusqu’à présent, il était difficile de voir cet art : des expos ont eu lieu à Vancouver, à Toronto et au WAG luimême, qui en possède depuis longtemps la plus grande collection publique au monde, de plus de 12 000 œuvres. Mais sans l’espace requis pour créer un contexte, l’art inuit continuait à être vu comme un ensemble de sculptures essentiellement figuratives, des artistes comme la regrettée peintre Annie Pootoogook ou le cinéaste Zacharias Kunuk étant perçus comme de charmantes exceptions. Avec les 3700 m2 de Qaumajuq, les conservateurs peuvent commencer à remédier à cette situation, et INUA est une assez géniale première étape. Expo d’œuvres de
INUA, Qaumajuq’s inaugural exhibit, is a trumpet blast announcing the arrival of Inuit art on the world stage of contemporary art. INUA, l’exposition inaugurale de Qaumajuq, claironne l’arrivée de l’art inuit sur la scène mondiale de l’art contemporain.
40 000 SQUARE FEET OF MUSEUM SPACE SUPERFICIE TOTALE, EN PIEDS CARRÉS (SOIT 3700 M 2)
Heather Igloliorte, one of the curators of INUA. Heather Igloliorte, une des commissaires d’INUA