Recueil de portraits CMV

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DOCTEUR,

PARLEZ-MOI DE VOUS... 80 portraits de médecins



DOCTEUR,

PARLEZ-MOI DE VOUS... 80 portraits de médecins


Initiative de la publication : Pr Vincent Barras et Pierre-André Repond (SVM) avec le soutien du Dr Bertrand Kiefer (M&H) Coordination du projet : Anne-Catherine Le Beuz (SVM), Dominique Naget (M&H) Coordination rédactionnelle : Agnès Forbat Conception graphique : Jennifer Freuler Crédits photos : Catherine Borgeaud-Papi (SVM), Fariba Mina de Francesco (SVM) et sources privées Cet ouvrage a été réalisé au sein des Editions Médecine&Hygiène Exemplaire hors commerce. Ne peut être vendu. © Société Vaudoise de Médecine, octobre 2014. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie et microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.


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SOMMAIRE Avant-propos La médecine aux mille visages Pierre-André Repond

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Préface Pr Vincent Barras

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Remerciements Agnès Forbat

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LES CRÉATIFS Pr Vincent Barras Médecin, historien, et « schizophrène pour le meilleur et pour le pire » 21 Dr Michel Borzykowski « Je suis un généraliste absolu ! »

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Dr Daniel Bourquin Un petit air de liberté

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Dr François Clément La passion des mots, l’amour des hommes

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Dr Pierre Corbaz Fonder la dignité du patient par la raison

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Dresse Catherine Favrod-Coune La dame aux trois M

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Dresse Rose-May Guignard Du scalpel aux pinceaux

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Dr Mir-Ahmad Hedjazi La peinture en guise de psychothérapie

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Dr René-Marc Jolidon « Entre la médecine et l’écriture, une alchimie bizarre… »

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Dr Sébastien Martin Le goût du concret et du décalé

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Pr Pascal Nicod Médecin et violoniste, pour rester proche de l’âme

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Dr Nicolas Paschoud La musique, l’eau et les couleurs

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Dr Jacques Perrin La médecine et la musique en héritage

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Dr Ferenc Rakoczy Ecouter, dire et écrire

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Dr Michel Rossier La quête de l’état de grâce

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Dr Philip Siegenthaler Médecin et sculpteur, une même approche de l’intérieur

68

Dr Ueli Stoll Une vie sous-tendue par le chant ample du violoncelle

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Dr Yves-Marie Wasem L’orgue est son violon d’Ingres

75

LES ÉCLECTIQUES Dr Nicolas Bergier Amoureux de la beauté, sous toutes ses formes

81

Pr Jacques Besson « Je suis un intellectuel de l’action »

84

Pr Angelika Bischof Delaloye La médecine, une affaire de famille

87


7

Pr Peter Burckhardt La satisfaction d’avoir été et de rester utile

90

Dr André Burdet Le docteur qui tutoie les étoiles

93

Pr René Chioléro Et l’Homme dans tout ça ?

96

Dr Pascal Chollet Le Noé soixante-huitard

99

Dr Christian Danthe Le médecin polymorphe

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Dr Alain Depeursinge D’Hippocrate à Dionysos

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Pr Urs Eiholzer « Un créatif qu’on essaie de trop cadrer devient destructeur »

108

Dr Jean-Charles Estoppey L’équilibre dans la diversité

111

Dr Jean-Pierre Feihl « Je suis resté un rêveur »

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Pr Jean-Claude Givel L’action et la passion

118

Pr Thomas Krompecher Médecin légiste, une autre façon d’aider

121

Dr Pierre-Henri Leresche Echecs et… med !

124

Dr François Pellet L’éloge de l’éclectisme

127

Dr Gérard Pralong Les reines de son cœur

131

Dresse Susanne Reymond Gruber « Une improvisation bien organisée »

134


8

Dr Patrick-Olivier Rosselet Entre tradition et dérision

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Dr Hassan E. Sajadi Chiraz – Le Sentier, simple course

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Dr Marc Wahli Du ballon au bonsaï, un parcours zen

144

LES HUMANITAIRES Dr Pierre Arnold Une famille multicolore dans la Broye

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Dr Armand Cohen The right man at the right place

154

Dresse Béatrice de Roguin « J’ai exporté une partie de mon savoir »

157

Dr Bruno Fragnière « Aider les autres m’est indispensable, mais appartient à mon jardin secret »

161

Pr Blaise Genton Un nomade sédentaire

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Dresse Dominique Gyger « Exercer pour une ONG, ça soigne l’ego ! »

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Dresse Catherine Lomier Viret A la découverte des autres à travers ce qu’ils font

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Pr André Mermoud L’ophtalmo globe-trotter

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Dr Andreas Messikommer Des singes et des hommes

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Pr René-Olivier Mirimanoff Comme Tintin et Chang…

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9

Dr Daniel Russ Le désir de partager

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Pr Marie-Denise Schaller Lorsqu’humain s’écrit avec un grand H

185

Marc Subilia, médecin et pasteur L’amour de Dieu et des hommes

189

Dr Claude Yersin Partir pour mieux revenir

192

LES MILITANTS Dr Charles-Abram Favrod-Coune Un libéral à l’esprit libre

198

Dr Yves Guisan « J’ai apporté ma pierre »

201

Dr Jacques-André Haury Un homme debout et en marche

204

Dresse Marianne Huguenin Une femme de convictions

207

Dr Henri Jaccottet Le bonheur de s’engager pour sa profession

210

Dr Edmond Pradervand Exercer avec enthousiasme un « métier juste »

213

Dr Philippe Reigner Le père des SMUR

216

Dr Jean-Paul Rubin Plus de 50 ans de pédiatrie et de combat pour le rôle des médecins 219 Dr Patrick Scherrer « Je suis un homme de terrain qui n’aime pas la bureaucratie »

223


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Dr Francis Thévoz Plusieurs vies en une seule

226

Dr Philippe Vuillemin « J’ai appris à lire l’espace de maintenant sans négliger ce qui l’a construit »

229

Pr Gérard Waeber Trois R comme ligne de conduite

233

Dr Pierre Widmer Quand la fièvre monte à Paléo

236

Dr Claude Willa « Pater familias » des étudiants en médecine

239

LES SPORTIFS Dr Carlo Bagutti Il investit dans le capital (santé) des danseurs

245

Dr Claude Béguin L’air du grand large

248

Dresse Sylvia Bonanomi Schumacher « La compétition est une victoire sur soi, pas sur les autres »

251

Dr Eric Breuss Le docteur tango-tango

254

Dr Henri-Kim de Heller « Le foot est un plaisir continu »

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Dr Olivier Favre Entre Icare et Hippocrate

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Dr Christian Frigerio La plénitude du coureur de fond

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Dr Gérald Gremion « Je milite pour la prévention et la protection »

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Dr Pierre Kohler De la Fête du Bois à l’Abbaye de l’Arc

269

Dr Domenico Lepori « La course d’orientation est un sport d’idéaliste »

273

Dr Jean-Pierre Randin Un médecin dans la cité

276

Dr Thierry Reymond Le partage du savoir et du plaisir

279

Dr Bertrand Vuilleumier « A moto, j’épouse le paysage »

282

Postface Portrait imaginaire d’Hippocrate (extraits)

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Index

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AVANT-PROPOS LA MÉDECINE AUX MILLE VISAGES Voici les 80 premiers portraits parus dans le Courrier du Médecin Vaudois depuis une dizaine d’années. Un témoignage inestimable de la diversité et de l’humanité de la profession médicale en un lieu et un moment donnés. Un gisement pourtant loin d’être épuisé ! Comme les choix découlent des suggestions qui nous parviennent, nous ne savons pas quels seront les portraits suivants ni même combien il sera possible d’en réaliser au rythme de huit par an alors que notre Société compte plus de 3 000 membres ! A l’heure où l’on parle beaucoup, parfois de manière abusive, de médecine personnalisée, il nous a paru utile de dévoiler la personnalité de quelques-uns et quelques-unes de ceux qui ont pratiqué ou pratiquent la médecine tout en exerçant avec talent, souvent avec passion, d’autres facettes du métier d’homme ou de femme. Nous sommes convaincus que cette épaisseur humaine, même si elle recouvre des dimensions parfois très éloignées de la médecine et reste de ce fait souvent ignorée, agit favorablement sur la relation médecin-patient.


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Quelle que soit la qualité de nos sujets, cet ouvrage n’aurait pas été possible sans le talent d’Agnès Forbat qui a su faire de cette rubrique une véritable rencontre en même temps qu’une découverte, ce dont nous lui sommes particulièrement reconnaissants. Pierre-André Repond, Secrétaire général de la SVM et rédacteur responsable du Courrier du Médecin Vaudois

Mes félicitations vont à l’auteur de cet ouvrage, Agnès Forbat, qui a eu à cœur de mener cette rubrique « Portraits » durant toutes ces années et grâce à laquelle j’ai découvert mes confrères sous un autre regard. J’encourage vivement le Courrier du Médecin Vaudois à poursuivre cette rubrique ! Dresse Véronique Monnier-Cornuz, Présidente de la SVM


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PRÉFACE La galerie de portraits a ses lettres historiques de noblesse dans l’art et la littérature. Mais, comme l’ouvrage d’Agnès Forbat l’illustre avec éclat, elle peut aussi s’appliquer très bien aux médecins. Par le biais apparemment détourné du récit d’intérêts privés, de passions et d’engagements personnels affichés par les quatre-vingts médecins ici réunis ( mais bien d’autres auraient pu tout aussi bien y figurer ), c’est certes l’histoire d’autant d’individualités qui aiment à cultiver leur diversité irréductible qui se révèle, mais aussi celle d’un ensemble étonnamment cohérent d’acteurs de la santé dans le canton de Vaud. Cette galerie, en réalité, acquiert une valeur de généralité qui porte au-delà des frontières régionales. Elle éclaire combien la profession médicale moderne, depuis qu’elle existe comme telle dès le XIXe siècle, s’est construite sur ce paradoxe, qu’elle a parfaitement réussi jusqu’à nos jours à entretenir : défendre une action foncièrement singulière, où la rencontre entre deux figures uniques, le médecin et le malade, est au centre, et tous ensemble dessiner une histoire collective, celle d’un groupe qui ( en dépit de, ou mieux : en plus de ce culte de la singularité ) partage la conscience d’un destin et d’une identité commune, au-delà des spécialités de chacun, des opinions politiques concurrentes, des croyances et idéologies personnelles, la conscience d’une profession à qui la société dans son ensemble a confié un bien précieux entre tous : la santé des individus et de la population.


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Tout bien considéré, cet ouvrage constitue un témoignage historique de première main : une histoire qui continue de se faire sous nos yeux. Pr Vincent Barras, Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique, CHUV-UNIL


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REMERCIEMENTS Lorsqu’au printemps 2004 on m’a confié la nouvelle rubrique « Portrait de membre de la Société Vaudoise de Médecine » à paraître dans les huit numéros annuels du Courrier du Médecin Vaudois, j’étais loin de penser que je m’embarquais dans une aventure aussi durable mais surtout aussi riche sur le plan humain. Avec les doctoresses et docteurs rencontrés, j’ai vécu des moments privilégiés dont l’intensité m’a souvent étonnée. Qu’ils trouvent ici mes sincères remerciements pour leur disponibilité à me recevoir chez eux ou sur leur lieu de travail, pour leur confiance à me raconter leur parcours avec ses joies et ses peines, à me parler de leurs engagements de médecin et d’homme. Ils ont accepté de lever un voile sur une partie de leur vie privée, sur les valeurs qui les animent et les passions qui sont indispensables à leur équilibre. Avec eux, j’ai découvert des histoires individuelles bien sûr, mais aussi les difficultés d’une profession particulièrement exigeante. De plus, je leur suis reconnaissante d’avoir accepté mes portraits – ou esquisses de portrait – généralement sans y changer une virgule. Le choix de faire figurer les textes dans l’un ou l’autre des chapitres de ce recueil n’est pas purement rationnel : il reflète la réalité mais aussi le souvenir et l’impression que les médecins rencontrés m’ont laissés. Ma gratitude va également à la Société Vaudoise de Médecine qui m’a permis de vivre ces 80 « colloques singuliers » … Agnès Forbat



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LES CRÉATIFS Ils taquinent les muses



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PR

VINCENT BARRAS « On me dit souvent qu’en me rencontrant on a l’impression d’avoir plusieurs personnes en face de soi », confie le Pr Vincent Barras, historien de la médecine et titulaire de cette chaire à l’UNIL. Si la question peut se poser, les liens entre ses différentes passions s’avèrent cohérents.

Médecin, historien, et « schizophrène pour le meilleur et pour le pire » Né en 1956 en Valais, canton auquel il reste très attaché, Vincent Barras est le troisième d’une fratrie de six enfants d’un couple de médecins. Fortement influencé par un père pionnier de la pneumologie, le jeune Vincent se sent plutôt « choisi par la médecine » que le contraire. Mais attiré également par la littérature et les arts, il fréquentera en parallèle les Facultés de médecine et des lettres à Genève, « suivant une tradition de médecins écrivains, tels Rabelais, Tchékhov ou Boulgakov, auxquels je ne me comparerais pas ! » précise-t-il en riant. Cette alchimie peu habituelle le satisfait pleinement et l’amène à se tourner vers l’histoire des sciences. Après quelques années en milieu hospitalier, déclinant l’offre pourtant alléchante de se former auprès de son père, il entre au nouvel Institut d’histoire de la médecine à Genève. « A la fin des années 80, de telles institutions sont


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nées un peu partout, engendrées notamment par le souci d’une médecine devenue trop technique, des questionnements éthiques, le développement de la génétique et l’envie de retrouver un certain humanisme en médecine. » Le Dr Barras considère qu’il a eu de la chance que ses envies et connaissances rencontrent un besoin et pense que sa formation de médecin a constitué un atout. En 1989, il rejoint l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique ( IUHMSP ) que Guy Saudan avait créé à Lausanne. Il inaugure la chaire d’histoire de la médecine en 1995. L’Institut est à la fois rattaché à la Faculté et au département de médecine communautaire du CHUV, ce que le Dr Barras trouve idéal. Avec les Prs Benaroyo et Panese ainsi qu’une quinzaine de collaborateurs scientifiques et de doctorants, l’activité de l’IUHMSP s’étend aujourd’hui aussi aux recherches liées à la sociologie, la philosophie et l’éthique de la médecine. Le Pr Barras poursuit des réflexions critiques et veut « comprendre de l’intérieur, avec rigueur et méthode ». Pour lui, l’histoire de la médecine est aussi une réflexion sur le corps, sur la santé publique

et pas seulement sur les médecins, leurs progrès, leurs difficultés ou leurs conflits. Avec une approche d’historien, d’anthropologue et de sociologue, il compare et tire des parallèles pour offrir une lecture des faits à l’ensemble des acteurs de notre système de santé. Le Dr Barras avoue qu’il subsiste parfois des malentendus entre le médecin qui se base sur des faits, des preuves, selon un langage formalisé, et l’historien qui propose des pistes interprétatives et plusieurs hypothèses à la lumière du passé. « Je suis persuadé de l’utilité de la confrontation de ces deux univers et mon but est que cette utilité puisse survivre. » Si pour le Pr Barras tout serait objet d’histoire, son équipe et lui choisissent les recherches qui sont pertinentes pour la pratique.

PASSÉ, PRÉSENT ET… AVANT-GARDE Le Pr Vincent Barras ne tire pas de frontière nette entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Père de deux filles adultes, dont l’une est étudiante en médecine, il confie que son paradis ( ou son jardin secret ? ) a pour cadre les îles


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grecques. Il parle aussi volontiers de sa passion pour les formes d’expressions contemporaines. Il joue de la musique d’avantgarde sur son piano, se passionne pour la poésie expérimentale et s’adonne à l’Art Performance, une forme artistique interdisciplinaire, proche des « happenings ». Le corps et la parole y sont mis en avant, l’improvisation théâtrale y est à l’honneur. Soucieux de transmettre dans ce domaine aussi, il a publié sur ce mouvement qu’il fait connaître aux étudiants de la Faculté des lettres de Lausanne et à la Haute école d’art et de design à Genève. Certains ont pu apprécier la démonstration qu’il en a donnée dans le cadre des activités culturelles du CHUV. Et de conclure : « Je suis schizophrène pour le meilleur et pour le pire car, même s’il faut rester prudent face aux théories de la neuroesthétique, je trouve que l’art et la science sont très proches et je découvre de plus en plus d’unité et de logique dans ce rapprochement. » Quand il nous disait que tout cela était cohérent ! Paru en février 2012


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DR

MICHEL BORZYKOWSKI Chez le Dr Michel Borzykowski à Versoix, un piano rappelle ses premiers rapports avec la musique. Mais depuis quelques années, il se consacre aux saxophones dans le cadre de ses multiples activités et performances musicales *. Un bonheur qu’il a d’ailleurs fait partager aux participants à la soirée de la SVM du 2 décembre dernier.

« Je suis un généraliste absolu ! » Michel Borzykowski voit le jour à Genève en 1950, où ses parents, rescapés des camps nazis, sont arrivés de Pologne deux ans plus tôt. Une histoire familiale qu’il évoque avec pudeur et sur laquelle il ne s’attarde pas. Adolescent, il rêve d’une carrière de chercheur, prenant pour modèles Pierre et Marie Curie. C’est pendant ses études de chimie qu’il pose un regard critique sur les buts réels de la recherche et découvre – un vrai coup de foudre – la médecine au cours d’un stage de soldat sanitaire à l’Hôpital de Nyon. Le Dr Jacques Campiche, qui deviendra son ami, lui apprend à observer les malades, à les écouter et à les comprendre. Michel Borzykowski réalise que sa place est auprès des patients, que sa vocation est d’aider à guérir, de sauver des vies. * Voir le site www.borzy.info


« Et comme je suis un absolutiste, je me suis donné corps et âme à mon métier pendant 35 ans », confie-t-il aujourd’hui alors qu’il vient de fermer son cabinet de Coppet. Une décision longuement mûrie et motivée par le fait que la médecine pour laquelle il a été formé, globale, diverse et multidisciplinaire, fait place à une médecine technologique. « De cet art,

il ne restera bientôt que l’accompagnement des personnes en fin de vie, ce à quoi je me suis d’ailleurs consacré avec beaucoup d’engagement et de gratifications », précise le Dr Borzykowski dont l’attachement à ses patients est palpable. Puis d’ajouter, avec un brin de coquetterie : « Et je voulais arrêter pendant que j’étais encore en pleine possession de


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mes compétences ! » Son seul regret est de n’avoir pas pu remettre sa pratique, malgré bien des recherches… Il est aussi vrai que le moment était venu pour Michel Borzykowski de cultiver un autre champ de liberté qui lui tient à cœur : la musique, et pas n’importe laquelle.

LA MUSIQUE KLEZMER, COMME UNE ÉVIDENCE Amateur de musique, Michel Borzykowski a longtemps privilégié le classique, la chanson française et le jazz. Saxophoniste autodidacte, il a fait partie de différents groupes de jazz à Genève avec, avoue-t-il, une certaine frustration. En effet, sensible jusqu’au perfectionnisme, il parle du jazz comme « d’une langue apprise », comme d’un art qui ne correspond pas tout à fait à sa culture profonde. Au milieu des années 90, le hasard lui fait découvrir la musique Klezmer ** et c’est comme une évidence : il se sent immédiatement « chez lui ». Il y retrouve avec bonheur les gammes, les harmonies et les intonations de la liturgie qui ont accompagné son

enfance, marquée par la tradition juive que ses parents respectaient. « J’y puise ma spiritualité car ce que je peux toucher de l’au-delà passe par cette musique », confie Michel Borzykowski. A ce jour, en se produisant avec plusieurs formations « à géométrie variable », il a donné quelque 330 concerts en Suisse, en France et en Allemagne. Un succès qui ne semble heureusement pas près de se démentir. Ecoutez le Dr Borzykowski parler de la médecine et de ce qu’elle a représenté dans sa vie : nul doute que, malgré le regard critique et un peu désenchanté qu’il porte sur la pratique actuelle de sa profession, il a bien fait de ne pas devenir chercheur ! Un parcours dont son père aurait été fier, lui qui disait que « pour être un mentsh, il faut être avocat ou médecin, deux professions indépendantes et indispensables ». Quant à la musique, c’est encore une autre et belle histoire… Paru en décembre 2010 ** La musique Klezmer est celle que les baladins juifs ashkénazes colportaient de fête en fête, de « shtetl » (village) en ghetto, dans toute l’Europe de l’Est depuis le Moyen Age jusqu’aux persécutions nazies et staliniennes du XX e siècle. Elle s’inspire aussi bien de chants et de danses profanes que de la liturgie juive.


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DR

DANIEL BOURQUIN Son regard intense dément ses affirmations ( volontairement ? ) désabusées et l’épicurien peine à cacher sa sensibilité derrière un air bougon. La bohème de son appartement de la rue de l’Ale à Lausanne est celle d’un artiste, ses propos sont ceux d’un homme concerné par la vie et le destin de ses semblables.

Un petit air de liberté Le Dr Daniel Bourquin est né en 1945 à Neuchâtel. Il rêve de devenir biologiste, choisit finalement la médecine et termine ses études à l’Université de Lausanne en 1971. En parallèle – « on avait plus de temps que les étudiants d’aujourd’hui » – il suit des cours de saxophone au Conservatoire de Lausanne, puis en Autriche. « Je ne cherchais pas de boulot après avoir obtenu mon diplôme de médecine, mais j’ai accepté la proposition de seconder, pendant un mois, le Dr Daubercies aux Diablerets. » Cette mission prendra une tournure inattendue et dure depuis 32 ans : le jeune Dr Bourquin trouve là sa vocation et la forme de vie qui sera désormais la sienne. Elle lui permettra de concilier les deux arts qui le passionnent, la médecine et le jazz. C’est au cours de l’hiver 72-73 que le Dr Bourquin commence à s’occuper du poste de secours des Mosses où il ouvre ensuite son propre cabinet. Il y consulte aujourd’hui encore environ trois mois par an,


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offrant ainsi aux habitants de la région une permanence de généraliste et un lieu de secours qui prend en charge les accidents de ski. Si l’artiste prend parfois le dessus sur le médecin (« je me fais souvent remplacer par un collègue car je ne peux pas laisser tomber mes copains musiciens lorsque nous

sommes engagés pour des concerts durant l’hiver »), le Dr Bourquin reste très attaché à sa consultation des Mosses. « Au début, les gens du coin venaient me voir dans le but de contrôler les dires du rebouteux local. D’ailleurs, le premier signe de mon intégration dans la région fut la confirmation


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d’un diagnostic que j’avais posé par la rebouteuse de ma patiente ! De mon côté, j’aime cette vie de médecin de campagne, j’aime soigner et rencontrer les gens dans le cadre de leur quotidien. »

LA VIE D’ARTISTE Le jazz et la liberté de l’improvisation représentent un besoin et une respiration indispensable pour Daniel Bourquin. Il joue d’abord en trio, puis dans le groupe BBFC qu’il fonde en 1981 avec ses amis J.-F. Bovard, L. Francioli et O.Clerc. Ce quartet tournera – avec succès – pendant dix ans en Europe, en Amérique et en Afrique. Il participera à de grands festivals, jouera ses propres créations musicales et collaborera à de multiples réalisations théâtrales et chorégraphiques. Citons parmi les plus célèbres, « Fiche Signalétique » et « Souvenir de Léningrad », créations de Maurice Béjart à son arrivée à Lausanne. Depuis 1992, Daniel Bourquin et Léon Francioli jouent en duo, « Les Nouveaux Monstres » : les deux musiciens ont d’emblée diversifié leurs activités en collaborant régulièrement avec d’autres disciplines, le théâtre, le cinéma, la danse et la photographie. Le site www.jazzphone.ch/homepages/bourquin.htm donne un aperçu des divers aspects de l’activité artistique du duo. Parmi les « paquets d’émotions » vécues au cours de sa carrière, Daniel Bourquin évoque volontiers les concerts dans l’Algérie d’avant l’intégrisme, l’accueil spontané des enfants à Madagascar ou le spectacle « Amnésie internationale 1945-1989, Mémoires » qui aura une suite l’an prochain. Souvenirs et projets illustrent bien le double parcours du médecin et de l’artiste, « une belle vie de liberté que j’aimerais pouvoir continuer jusqu’à la mort ». Paru en juillet 2005


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DR

FRANÇOIS CLÉMENT Le Dr François Clément, hématologue à Lausanne, écrit depuis l’adolescence. Deux recueils de ses textes ont été publiés ces dix dernières années. A la veille de prendre sa retraite, il nous reçoit dans son cabinet où se côtoient les objets témoins d’une vie et… les cartons prêts pour le prochain déménagement.

La passion des mots, l’amour des hommes Fils du peintre Charles Clément, le petit François vit ses trois premières années à Paris. Il en garde quelques images, Montparnasse et le jardin du Luxembourg. Mais sa madeleine de Proust est l’odeur de térébenthine qui a marqué son enfance. En 1932, la famille Clément s’installe à Lausanne. Bien qu’encouragé par son père à approfondir son goût et son talent pour le dessin, il choisit, dès l’âge de quinze ans, d’exprimer ses émotions par l’écriture. Attiré par la philosophie, il décide de « connaître d’abord la vie et les humains » et entreprend des études de médecine. Très vite, il se passionne pour cette profession et se spécialise en hématologie. Il poursuit ses études à Paris et ouvre son cabinet lausannois en 1965.


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PAROLES DE MÉDECIN, PAROLES D’HOMME

« J’ai toujours pris des notes sur ce qui me touche, ce qui me frappe, ce qui me fait réfléchir. Mais aussi mes lectures, mes rencontres et le sens de la vie. Certains malades que j’ai longuement côtoyés me restent en mémoire, comme des membres de la famille. Ecrire est une manière de canaliser et de fixer mes émotions. J’aime raconter de toutes petites choses, tenter de les exprimer en quelques mots, sorte d’exercice de style. »

Pour mieux comprendre la personnalité du Dr Clément et sa démarche d’écriture, il faut bien sûr lire Feuille de bouleau et Magnifiques festoyants *. Ce dernier titre évoque la magie qui se crée souvent lorsque plusieurs personnes sont réunies autour d’une table pour partager un repas. Dans le festin des gueux de Viridiana ( Bunuel ), l’auteur voit un symbole, une parodie selon lui de la Cène de De Vinci, et aussi « une scène d’amour », un moment de bonheur à la portée de chacun. Dans ses écrits, le Dr Clément esquisse, par fines touches, des portraits, parle de ses patients, de ses collègues, évoque des rencontres, son enfance, des voyages et des émotions artistiques. Une grande place est réservée à la découverte – tardive – d’une partie de sa famille, « Ceux de l’errance » : Juifs d’Europe de l’Est, ils ont émigré en Israël et aux Etats-Unis. Un sujet et

* Feuille de bouleau (1994) et Magnifiques festoyants (2003) ont été publiés aux Editions de L’A ge d’Homme, Lausanne – www.agedhomme.com


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des destins qui ne pouvaient laisser le Dr Clément indifférent ! Les pages sur l’éthique éclairent notamment sur ce que pense l’auteur – non croyant – du rationnel et de l’irrationnel, deux mondes nécessaires à l’homme et compatibles, « pourvu qu’on les sépare clairement ». Les relations avec les malades restent le centre des récits du Dr Clément ( « échange imprévisible qui ressemble étrangement à la rencontre de deux amants » ). Par exemple, la jeune femme à qui le Dr Clément a dû annoncer son sida acquis lors d’une transfusion sanguine après une césarienne : il l’a gardée en face à face jusqu’à minuit dans son cabinet. Ou la patiente, en rémission de son myélome, déçue de ne pouvoir continuer à venir aussi souvent au cabinet, l’endroit où « elle ne se sent pas coupable et où elle peut parler de sa maladie tant qu’elle veut ».

S’il dit ne pas avoir de maître, le Dr Clément réunit dans son « bistrot imaginaire » Rimbaud, Baudelaire, Philip Roth, Queneau, Bunuel,… mais aussi des amis et des patients. Dans les années qui s’ouvrent à lui, le Dr Clément aura le temps de les fréquenter plus assidûment encore et, peut-être, de les faire vivre sous sa plume, pour notre plus grand plaisir. Paru en août-septembre 2005


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DR

PIERRE CORBAZ Médecine et philosophie se confondent dans la vie du Dr Pierre Corbaz, généraliste à Lausanne. Si la philosophie est une vocation tardive, la réflexion, notamment éthique, a de tout temps été présente dans son parcours professionnel et personnel.

Fonder la dignité du patient par la raison « Je suis généraliste et la philosophie est une manière de m’aider à pratiquer mon métier », affirme d’emblée le Dr Pierre Corbaz. Ce lien s’explique certainement par le fait qu’il s’est de tout temps intéressé au monde de ceux à qui la vie n’a pas fait que des cadeaux : handicapés mentaux, malades relevant de la psychogériatrie, réfugiés, bref aux personnes « absentes à elles-mêmes ». Devenu médecin de l’institution Eben-Hézer et d’un EMS, ayant longtemps présidé l’ALSMAD, c’est tout naturellement qu’il s’est engagé, il y a quelques années, à assurer les soins aux sans-papiers qui trouvèrent un refuge provisoire dans l’église de Bellevaux. Touché par toutes les trajectoires brisées par la maladie, l’âge ou le destin, par les hommes en perte d’autonomie, le Dr Corbaz confie s’être posé, au fil du temps, de plus en plus de questions philosophiques et éthiques. Il remarque combien le médecin, qui dispose


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de recettes qu’il applique, est aussi confronté à des situations où elles ne sont pas satisfaisantes. Découvrant les limites de la lecture et des séminaires de quelques jours, Pierre Corbaz décide de se donner des outils pour tenter de répondre à la question complexe de savoir « comment faire pour bien faire quand il n’y a pas de bonne solution ». Il entreprend une formation en éthique, un cursus académique entre médecine et théologie à l’Université de Lausanne. « La réflexion éthique ou philosophique permet d’aller un peu plus loin, vers le début d’un chemin vers la réponse », précise-t-il avec toute la nuance nécessaire. Cette formation lui permettra de porter un regard quelque peu extérieur sur la morale et d’apprivoiser la capacité de se demander « pourquoi pas ». Le travail de diplôme (DEA) qui couronnera ses études deviendra un livre * qui parle d’éthique au travers * Médecin des sans parole, Approches éthiques, Editions de l’Aire, 2006


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des handicapés mentaux ou des déracinés, les « sans parole », avec qui le dialogue si précieux à la relation médecin-patient est perturbé, voire inexistant. La sortie de cet ouvrage, qui a rencontré de nombreux lecteurs, a été l’occasion pour le Dr Corbaz de découvrir qu’un livre, une fois paru, vit sa vie propre, qu’il suscite des réactions parfois étonnantes et provoque des rencontres inattendues.

AU-DELÀ DE LA QUÊTE DE L’ACTE JUSTE Cette première étape académique accomplie avec succès encourage Pierre Corbaz à se lancer dans un doctorat en philosophie qu’il a aujourd’hui terminé. Un deuxième livre ** vient de sortir de presse, reflet de sa thèse consacrée à l’approche du patient qui ne sait plus qu’il est un « je ». Le Dr Corbaz base son travail avec les personnes aux confins de la vie sur la raison. « Je ne nie évidemment pas les émotions, mais elles sont insuffisantes. Fonder par la raison la dignité des patients est l’un des sujets de ma thèse. » Sans fausse modestie inutile, il se dit content d’avoir accompli ce travail d’envergure tout en soulignant que c’est

un effort au même titre que celui de ses confrères présentés dans d’autres portraits du CMV ! Il pense qu’il a le devoir et le privilège, en tant qu’intellectuel, de réfléchir et de donner un sens à ce qu’il fait. « Toute une partie de ma vie, j’ai appris à faire, c’est la quête de l’acte juste. Mais je ressens le besoin de connaître le sens que l’acte revêt .» Et ce questionnement lui importe surtout face à ceux dont la vie ne semble pas, ou plus, avoir de sens. Ceux qui, sans cela, « partent perdants dans la course à la dignité ». Sur Pierre Corbaz personnellement, nous apprendrons peu. Nous saurons juste qu’il a 55 ans, que son père était mécanicien CFF, qu’il est comédien à ses heures, qu’il aime marcher dans l’Himalaya. Et que les tableaux qui ornent les murs de son cabinet sont signés de son épouse. Reste que la manière dont il pratique la médecine et le regard qu’il porte sur les malades en disent déjà long sur lui. Paru en novembre 2009

** Médecine des confins de la vie, Editions de l’Aire, 2009


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DRESSE

CATHERINE FAVROD-COUNE Les Favrod-Coune habitent et travaillent dans un magnifique chalet à quelques pas de la gare de Château-d’Œx. C’est dans ce cadre chargé d’histoire – la maison date de 1621 – que la Dresse Catherine Favrod-Coune nous reçoit, entre le cabinet qu’elle partage avec son mari et leur appartement qui se situe à l’étage. Elle nous parle des différents aspects de sa vie qu’elle a voulue harmonieuse et équilibrée entre ses activités professionnelles et familiales, sans oublier sa passion pour la musique.

La dame aux trois M Depuis l’adolescence, le cœur de Catherine Favrod-Coune balance entre la médecine et la musique. Douée pour le piano, elle prend assidûment des leçons, mais rêve aussi de devenir médecin et, étonnamment, de travailler dans le Pays-d’Enhaut qu’elle connaît pour y pratiquer le ski en famille. Plusieurs raisons la décident finalement à renoncer à une carrière artistique et à commencer la médecine à Lausanne. Elle poursuit en parallèle son développement musical à Genève avec un professeur qui nourrit de grandes ambitions pour elle et l’incite à atteindre un niveau professionnel. Une fois de plus déchirée entre ses deux pôles d’intérêt et de talent, elle décide alors définitivement


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de devenir médecin. Il faut aussi dire qu’à la fin de ses études elle rencontre l’homme de sa vie, le Dr Charles-Abram Favrod-Coune, chercheur à l’Hôpital cantonal de Genève. Jeune diplômée, elle part six mois dans la brousse africaine, « expérience difficile mais qui m’a confortée dans la justesse de mon choix professionnel ». Après un passage au CHUV, elle exerce à l’Hôpital cantonal de Genève, sous la houlette du Pr Muller.

PRIORITÉ À LA FAMILLE « La grande difficulté pour les jeunes femmes médecins est de concilier les études post-graduées

et l’envie d’avoir des enfants : mon FMH en poche, j’ai décidé d’arrêter mon activité professionnelle entre 1983 et 1989, après la naissance de Nicolas, de Sabine puis de Pascal, un choix que je n’ai jamais regretté. » 1990 voit le déménagement des Favrod-Coune à Château-d’Œx pour reprendre la pratique du Dr Favrod-Coune père, « un homme extraordinaire, humaniste et philosophe, dont j’ai beaucoup appris ». Malgré quelques angoisses au début, tempérées par le soutien de son mari, la Dresse Favrod-Coune ouvre aussi son cabinet, à mitemps d’abord. « Je me suis mise au travail avec confiance, énergie et amour de mon métier. Je me


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suis tout de suite sentie à l’aise dans cette région où nous nous sommes bien intégrés, même si au début on appelait mon mari le Genevois ! » Comment a-t-elle mené de front toutes ses activités ? « Avec de l’aide, mais surtout en me levant très tôt pour préparer le travail du cabinet avant le réveil des enfants, en lisant le soir après leur coucher, en restant disponible en tout temps pour la famille et les patients. Heureusement que les femmes sont douées pour cette synchronisation continuelle ! » L’activité d’un médecin qui s’engage dans son association professionnelle aussi pleinement que Charles-Abram Favrod-Coune, membre du Comité puis président de la SVM depuis près de dix ans, demande aussi la présence et le soutien de son épouse, au cabinet et à la maison. « Un rôle discret qui me convient très bien ! »

MÉDECINE, MUSIQUE ET MONTAGNE FONT BON MÉNAGE La musique a toujours gardé son rôle central dans la vie de la Dresse Favrod-Coune. A Château-d’Œx, elle a vécu douze années qu’elle

qualifie de magnifiques comme accompagnatrice au piano de la Maîtrise des enfants et chanteuse dans un chœur féminin du Paysd’Enhaut. Son visage s’éclaire d’un large sourire à l’évocation des concerts annuels et du bonheur de faire de la musique en groupe. Elle s’est aussi ouverte aux connaissances théoriques de la musique et au jazz, un domaine où elle a tellement progressé qu’elle s’est à nouveau trouvée obligée de renoncer à entreprendre d’autres études et a choisi, sans regrets, de continuer à consacrer du temps à ses proches. Le vélo, le ski, mais surtout la marche, « une pulsation de vie qui est comme le rythme du cœur », forment la troisième composante de la douce et ferme sérénité qui émane de Catherine Favrod-Coune. « Malgré quelques renoncements, j’ai pu choisir une forme d’exercice de la médecine qui me correspondait et une vie de famille qui m’a épanouie : j’ai trouvé les trois M – médecine, musique et montagne – dont je parlais déjà dans mon journal intime de jeune fille ! » Réaliser ses rêves d’adolescente, ne serait-ce pas une définition du bonheur ? Paru en août 2007


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DRESSE

ROSE-MAY GUIGNARD Guides, cartes, livres d’art : au moment de notre entretien, tout parle du Japon autour de la Dresse Rose-May Guignard. Elle est à la veille d’entreprendre le « voyage de sa vie ». Et ce n’est pas la seule nouveauté dans son existence.

Du scalpel aux pinceaux 2006 est une année de grands changements pour la Dresse Rose-May Guignard. A l’heure où d’autres songent déjà à leur retraite, elle vient de fermer son cabinet lausannois de chirurgie plastique et de chirurgie de la main, de changer de travail et, enfin, de déménager son domicile. Le début d’une nouvelle vie qui va lui permettre de se consacrer de plus en plus à la peinture. Enfance lausannoise sans histoire et heureuse pour la petite Rose-May, enfant hyperactive et douée qui adore l’école et pratique assidûment la danse classique. Renonçant à se lancer dans cette voie artistique mais hasardeuse, elle choisit la médecine puis, de « façon toute naturelle », la chirurgie. Il faut dire qu’elle a pour maîtres les Prs Winckler, Saegesser et Verdan. C’est en travaillant avec ce dernier qu’elle optera pour la chirurgie de la main. Pour la jeune Dresse Guignard, les années septante sont


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synonymes d’expériences hospitalières et universitaires passionnantes, une époque marquée par les débuts de la microchirurgie et des réimplantations. « De piquet jusqu’à cinq semaines sur six, nous menions, avec enthousiasme et bonheur, une vie de fous ! » C’est en 1987 que la Dresse Guignard ouvre son cabinet, tout en travaillant dans plusieurs hôpitaux régionaux. « Je voulais, en partie du moins, me libérer d’être en tout temps à la merci d’un coup de fil, notamment pour les réimplantations, urgentes par définition. J’ai toujours considéré cette disponibilité comme tout à fait normale, mais elle est devenue pénible à la longue. Au fil des ans, je n’ai plus voulu de

ce déséquilibre entre ma vie professionnelle et personnelle. » Dès le milieu des années nonante, la Dresse Guignard se consacre de plus en plus à la musique dont elle est une auditrice avertie, mais surtout à la peinture. Elle suit des cours et peint d’emblée à l’huile. Elle expose à plusieurs reprises, seule et en groupe.

LE TOURNANT DÉCISIF Mais Rose-May Guignard n’aime pas faire les choses à moitié : fin 2005, elle décide de se libérer de toute contrainte de temps face à ses patients et renonce à sa consultation. Son travail actuel à l’AI à


Vevey lui offre un renouveau professionnel et surtout cette liberté à laquelle elle aspire depuis des années. L’intérêt de la Dresse Guignard pour la peinture remonte à l’enfance et elle a de tout temps fréquenté musées et expositions. Mais elle marque une grande différence entre son amour de l’art et son activité de « peintre du dimanche » ! « Peindre, c’est entrer dans un autre monde et le plaisir que j’en tire n’a rien à voir avec le bonheur que m’apportent les grands maîtres. » Des liens avec la chirurgie ? Oui et non. Si tous deux exigent habileté et précision, « la chirurgie est un art sage et policé, alors que la peinture m’apporte la liberté de faire ce dont j’ai envie ! » Les tableaux de la Dresse Guignard parlent d’elle. Son dynamisme, sa personnalité extravertie et chaleureuse se traduisent par la richesse des styles et des techniques qu’elle utilise à coup de traits vigoureux, de couleurs vives et d’émotions vibrantes. L’ambiance paisible de certains paysages et la douceur d’une courbe dévoilent un côté contemplatif, calme et réfléchi, reflets probables de son jardin secret… Gageons que nous trou-

Autoportrait

verons bientôt dans sa peinture des traces de sa découverte de l’Empire du Soleil levant ! Paru en juillet 2006


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MIR-AHMAD HEDJAZI L’art a toujours fait partie de la vie du Dr Mir-Ahmad Hedjazi. A Téhéran, sa ville natale, il gagne des prix de dessin dès l’âge de cinq ans. Poussé par ses professeurs vers une voie artistique, il pense pourtant déjà à la médecine. Avant de quitter l’Iran, il acquiert des connaissances de base en art. Mais le chemin qui le mènera à l’heureux équilibre entre ses talents et à l’harmonieuse cohabitation de ses deux vocations sera long et étonnant.

La peinture en guise de psychothérapie L’installation en Suisse de Mir-Ahmad Hedjazi en 1969 est le fruit du hasard ou plutôt une « déviation » de son destin : jeune bachelier venant de Téhéran, en partance vers le Canada afin de rejoindre l’un de ses frères, il est de passage à Lausanne pour quelques semaines… qui vont changer le cours de sa vie. En effet, il s’attache aux personnes qui tiennent le pensionnat où il séjourne, tout spécialement à la mère de cette famille dont il parle aujourd’hui encore avec émotion : « Elle est devenue ma mère adoptive, elle m’a fait confiance, hébergé, soutenu et en partie éduqué. Elle est restée présente dans ma vie et dans mon cœur jusqu’à son dernier souffle. »


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Malgré ses penchants artistiques, Mir-Ahmad Hedjazi, obligé de gagner sa vie, devient technicien en radiologie, métier qu’il exerce à Yverdon, puis au CHUV. Insatisfait de cette situation, il ambitionne et réussit – tout en travaillant au cours de ses études – à décrocher son diplôme fédéral de médecine. Installé depuis quinze ans dans son cabinet lausannois, le Dr Hedjazi aime la médecine générale et affectionne particulièrement ses patients âgés « qui nous apportent et nous apprennent bien plus que ce que nous leur donnons ».

L’ART ET LE SPORT, LES PÔLES DE L’ÉQUILIBRE Pour le Dr M.-A. Hedjazi, la peinture est un besoin vital. « Confrontés aux problèmes de santé publique, nous nous sentons souvent comme des hamburgers, coincés entre les caisses maladie et les patients. J’aime mon travail, j’en suis fier mais je ne pourrais plus l’exercer sans l’aide de mon ‘psychiatre’ : la peinture, qui me permet de souffler et de me relâcher un peu », conclut-il dans un grand éclat de rire. Pourquoi avoir choisi l’aquarelle ? Pour le jeu possible avec la vaste échelle des contrastes de couleurs, la transparence, la simplicité et la douceur de cette technique. « La création spontanée avec l’eau, c’est savoir guider les gouttelettes sur le papier. Poser les taches de couleur, c’est prendre des risques dont on ne connaît pas les limites et, si on veut améliorer, on fait des dégâts. Quand je réussis, je sens une intense satisfaction et une paix intérieure dont mon entourage, ma compagne et mes patients tirent aussi profit. » Le sport constitue l’autre composante de l’équilibre psychique du Dr Hedjazi qui court régulièrement et a notamment participé une vingtaine de fois à la course Morat-Fribourg. Une autre manière de s’oxygéner le corps et l’âme tout en étant en contact avec la nature.


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LA NATURE POUR ATELIER Le rapport du Dr Hedjazi à l’art est intérieur, voire intime. Il en parle pourtant avec fougue et passion. Il choisit les mots avec soin, dans le souci qu’ont souvent les personnes dont le français n’est pas la langue maternelle d’utiliser le terme exact pour exprimer une idée. Ses aquarelles montrent des paysages, croqués exclusivement dehors, avec une préférence pour les atmosphères hivernales. Il aime étudier les œuvres des grands – en particulier Matisse –, se plonge volontiers dans des livres sur l’art et fréquente évidemment des expositions. Il cultive avec fierté l’amitié de peintres suisses et étrangers qui le conseillent parfois. Il offre des tableaux à des amis mais ne sent pas le besoin d’exposer ses œuvres – quelque cinq cents à ce jour – à d’autres regards : pour le moment, le Dr Hedjazi n’a qu’une seule galerie, son cabinet, dont ses patients sont les visiteurs privilégiés. Paru en juillet 2007



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RENÉ-MARC JOLIDON La vie du Dr René-Marc Jolidon a commencé à Delémont et se déroule aujourd’hui à Yverdonles-Bains. Entre ces deux pôles, de longs séjours en Afrique et déjà deux romans. On ne s’étonnera pas de découvrir que les personnages centraux de ses livres sont des médecins, en mission humanitaire sur le continent noir.

« Entre la médecine et l’écriture, une alchimie bizarre… » Né il y a 50 ans, René-Marc Jolidon, comme beaucoup de Jurassiens, s’expatrie. A Lausanne tout d’abord, pour y suivre des études de médecine, un métier qui l’attire parce que « ce n’est pas de la science pure ». Il n’a jamais regretté ce choix même s’il ne correspond pas à « la profession que je fantasmais, surtout ces dernières années où nous l’exerçons dans des conditions très décevantes ». Et puis, la médecine a permis à René-Marc Jolidon de réaliser son rêve de toujours : découvrir l’Afrique et y travailler, ce qu’il fera pour Médecins sans frontières dès sa dernière année d’études. La vie dans un camp de réfugiés au Rwanda, dix ans avant le génocide, se révèle un véritable choc pour ce jeune homme de 25 ans qui, de son propre aveu, ne connaît pas grand-chose de la vie. En 1986, après quelques années de formation dans notre pays, il repart pourtant avec MSF,


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au Cameroun cette fois, et prend la responsabilité d’une mission de développement de structures sanitaires dans une région sous-médicalisée. A son retour, il termine ses cursus de médecine interne et d’infectiologie, un double choix qu’on ne saurait séparer de son expérience africaine. Parmi les postes qu’il occupe au cours de sa formation post-grade, citons celui à la consultation sida du CHUV qui précède son troisième départ vers l’Afrique. C’est au Zimbabwe que le Dr Jolidon s’engage entre 1994 et 1996, pays dont la problématique principale est le sida, épidémie contre laquelle les efforts des équipes médicales sont largement insuffisants. A l’époque, on ne dispose pratiquement pas de médicaments et le travail du Dr Jolidon consiste essentiellement à lutter contre la tuberculose. 30 à 40 % de la population est séropositive, la prévention quasi inexistante, les préservatifs étant financièrement inaccessibles aux Africains et refusés par les prostituées pour les mêmes raisons. « Aujourd’hui, la situation ne s’est pas améliorée », déplore le Dr Jolidon. « La crise politique et économique a pris de telles proportions que le retard se creuse. Les Occidentaux qui ont activement collaboré à la mise en

place des régimes dirigeants portent d’ailleurs leur part de responsabilité dans cette situation. »

RETOUR AU PAYS, ENTRÉE EN ÉCRITURE Médecin agréé à l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains et installé depuis 2001 en cabinet, le Dr Jolidon semble avoir laissé un peu de luimême en Afrique. Les statuettes et les photos qui l’entourent dans son bureau montrent aussi cet attachement, « plus personnel encore avec le Cameroun », confie-t-il, affichant une discrétion évidente sur sa vie privée. En écoutant RenéMarc Jolidon parler de son parcours et de la vie en général, on sent que sa capacité de révolte et son besoin de vérité ne l’ont jamais quitté. Depuis quelques années, il éprouve aussi l’envie d’en parler et se tourne vers l’écriture. Il décrit sa double activité de médecin et « d’écriveur », selon ses propres termes, comme « une alchimie bizarre » dont sont nés deux romans*, situés au Cameroun et au Zimbabwe. Sans nier la part auto* Comptes inrendus, 2007, et Zaccharie ou une histoire sans vie, 2008, Editions de l’A ge d’Homme


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biographique de ses livres, l’auteur souligne que ce sont des œuvres de fiction montrant un cadre où il a vécu, des situations bien réelles et des personnages un peu caricaturés. « Si je racontais seulement ce qui m’est arrivé, cela n’intéresserait personne ! » ajoute-t-il en riant. Si un texte achevé apporte du plaisir à René-Marc Jolidon, il considère l’écriture comme un travail, parfois difficile, qui exige structure et discipline. La démarche de cet homme engagé, aux opinions bien tranchées, n’a rien à voir avec du militantisme qu’il trouve « frustrant, surtout quand on ne pense pas comme un banquier ! Dans un monde centré sur l’argent, c’est l’être humain qui m’intéresse ». Pour cet insoumis, peut-être un brin anarchiste au fond de son cœur, la condition humaine n’a pas de couleur politique. Paru en février 2010


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SÉBASTIEN MARTIN Le parcours du Dr Sébastien Martin, généraliste installé dans un cabinet de groupe à Vidy-Source à Lausanne, illustre ce qui lui est cher : la relation à autrui, sous toutes ses formes, ainsi que la recherche de liberté, de sens, d’équilibre et de… paradoxes.

Le goût du concret et du décalé Le Dr Sébastien Martin est né en 1973 à Renens, dans une famille d’origine paysanne. Il grandit à Lausanne où son père occupe le poste de chef de la gare du chef-lieu vaudois. Son goût et sa facilité pour les études poussent le jeune Sébastien vers le gymnase maths-spé, l’université et la médecine. « Je pressentais qu’à travers ces études je pourrais combler mon besoin de relations humaines et continuer à nourrir mon intérêt pour la science. J’ai vécu ces années dans une joyeuse insouciance, subvenant à mes besoins par des veilles en EMS. » Ce n’est d’ailleurs qu’au cours de ses stages que Sébastien Martin acquiert la conviction qu’il exercera le métier de médecin. Diplômé en 1999, il pense devenir psychiatre, accomplit avec succès un stage à Nant. Travaillant à la PMU, il doit à la Dresse Hedi Decrey « le déclic pour la médecine de famille », un choix qui le comble aujourd’hui. Nul doute que dans cette spécialité le Dr Martin a l’occasion


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de mettre en pratique ses connaissances de psychologie et de médecine somatique. Reconnaissant, il rappelle avoir été parmi les premiers médecins assistants à bénéficier d’un cursus coordonné pour la formation de futurs généralistes dans le cadre de la PMU. Aujourd’hui, juste retour des choses, il officie en tant que coordinateur au sein du Cursus romand des médecins de famille. Les années passées à la PMU et au CHUV ont eu une autre conséquence heureuse sur la vie du Dr Martin : il y a rencontré celle qui est son épouse depuis 2005. « Ma famille est mon autre vie », souligne avec tendresse le Dr Martin qui s’est organisé de façon à préserver l’équilibre de sa vie privée malgré son engagement professionnel. S’il a pris trois mois de congé à la naissance de son troisième enfant, il avoue néanmoins travailler quelque 60 heures par semaine. « Dans mon cabinet et aux urgences de VidySource, je peux faire ce dont j’ai rêvé, soit de la médecine de campagne en ville ! » Et dans la bouche du Dr Martin, cela sonne comme une profession de foi, voire une déclaration d’amour à son métier…

DE L’UNDERGROUND LAUSANNOIS À L’AIR GUITAR * La passion de Sébastien Martin pour le rock, la musique électronique dans ses aspects les plus alternatifs ainsi que pour la philosophie punk fait partie de son jardin, longtemps tenu secret, du moins pour ses pairs. Elle est née de rencontres, puis de la fréquentation assidue de la Dolce Vita et de concerts. N’étant pas à un paradoxe près, il aura donc * Originaire de Finlande, le air guitar est une activité qui consiste à mimer le geste d’un guitariste sans avoir l’instrument en main. Les premiers championnats mondiaux datent de 1996. (Wikipédia)


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toute l’autodérision que cela suppose ! » précise-t-il en souriant. C’est d’ailleurs lorsque la presse a commencé à s’intéresser à cet « art » que Sébastien Martin, fidèle à lui-même, s’est retiré de la compétition faisant officiellement savoir qu’il était « mort, électrocuté à l’entraînement ! » La boucle de l’absurde était ainsi bouclée.

cultivé en parallèle le No future et bâti une carrière bien pensée. Poussant le goût de l’absurde encore plus loin, il est devenu, en 2004, le premier champion suisse d’air guitar, exploit réitéré l’année suivante. « Et je m’en glorifie, avec

La participation du Dr Martin au documentaire Paul et Sébastien est d’abord une histoire de confiance envers sa consœur réalisatrice du film, devenue depuis une amie. Il confie que ce regard extérieur l’a poussé à prendre du recul et à réfléchir sur son travail. Il a aimé l’expérience du tournage et ne pense pas que cela ait changé ses rapports avec les patients qui figurent dans le film. Quoique… « Depuis que nous nous sommes vus ensemble sur l’écran, je fais le pari que cela va influencer nos relations, mais je ne sais pas encore en quoi ! » conclut-il, après une courte réflexion, l’esprit déjà tourné vers les tâches quotidiennes d’une journée qu’on imagine aussi rock’n roll que d’habitude. Paru en novembre 2013


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PASCAL NICOD Dans son bureau de chef du Département de médecine du CHUV, le Pr Pascal Nicod se raconte avec pudeur mais intensité. Plaçant l’entretien dans un climat de dialogue, il choisit ses mots avec soin et ponctue ses propos de grands éclats de rire.

Médecin et violoniste, pour rester proche de l’âme D’emblée, Pascal Nicod est clair : « Je n’aime pas parler de moi. A l’aube de la soixantaine, je pense que le meilleur moyen de vieillir est de se fondre progressivement dans le mystère de la vie puis de disparaître… Et, en attendant, de vivre intensément la beauté et la complexité qui nous entoure. » De l’enfance de Pascal Nicod, disons qu’elle a été marquée par une double certitude jamais démentie : il sera médecin et il jouera du violon. La médecine parce que « c’est probablement l’un des domaines où on échappe le plus à la futilité ambiante. Et aussi le lieu de rencontres magnifiques, d’une communication vraie avec autrui, de la proximité du mystère de la vie, de la mort et de l’univers en évolution. » La musique, langage et message universels, parce qu’elle est proche de l’âme, du rêve, du divin. Ces deux piliers


forment un tout dont le Pr Nicod dit avoir besoin. « Je fonctionne bien en me concentrant sur le présent et le concret tout en m’imprégnant de l’élévation que la musique m’apporte. » Il insiste sur l’intensité du dialogue qu’il peut pratiquer dans les deux arts. Son équilibre se nourrit aussi de lectures philosophiques et psy-

chologiques. « Je me sens appartenir à quelque chose de supérieur, au mystère universel, à l’immortalité. Même si ce n’est pas une certitude, cela me suffit ! » conclut-il en riant. Père de six enfants dont plusieurs partagent sa passion pour la musique, Pascal Nicod se préoccupe


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de relève et de transmission, notamment par ses divers engagements caritatifs. Il favorise ainsi concrètement la progression et le développement de jeunes médecins et artistes.

UNE HISTOIRE D’AMOUR Pascal Nicod ne donnera pas un récit linéaire de sa vie. Il fera mieux, en nous confiant l’histoire extraordinaire que voici. Son amour du violon est né et a grandi à l’écoute du jeu du virtuose Christian Ferras dont la photo figure aujourd’hui encore en bonne place dans son bureau. Depuis longtemps, Pascal Nicod possède un Stradivarius. Toutefois, le son de cet instrument ne le satisfait pas entièrement. Il apprend alors que celui de Ferras se trouve entre les mains d’un collectionneur vénitien qui pourrait bien s’en séparer… Contact est pris et le Dr Nicod se retrouve au bord du Grand Canal. Les deux hommes passent l’après-midi à faire chanter leurs Stradivarius respectifs et conviennent finalement de les échanger ! On imagine le bonheur de Pascal Nicod : « Repartir avec

LE violon de mes rêves, c’était comme retrouver quelqu’un qu’on aime et qu’on a longtemps attendu ! » Précisons que cet instrument, le Milanollo, date de 1728 ; il a été, entre autres, joué par Paganini, Menuhin et Amoyal. Pendant cinq ans, ce Stradivarius prestigieux devient « un compagnon quotidien » du Dr Nicod. Mais l’histoire ne serait pas aussi belle si elle se terminait ainsi. Un jour, Pascal Nicod demande à un jeune virtuose qu’il parraine, Corey Cerovsek, de jouer le Milanollo. « Il m’est apparu évident, ainsi qu’à ma famille, que l’instrument méritait le talent d’un tel artiste. Je n’avais jamais imaginé me séparer de ce violon symbole, mais je n’ai pas hésité à le lui prêter. Il le joue maintenant depuis quatre ans. » Ainsi, le Milanollo poursuit sa destinée car, comme dit Pascal Nicod, « une partie de la vie n’est pas la réalité mais le rêve ». Paru en août-septembre 2008


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NICOLAS PASCHOUD Le Dr Nicolas Paschoud, oncologue à Lausanne et jeune retraité, aurait pu devenir peintre. Une histoire où le dernier mot n’a pas encore été dit…

La musique, l’eau et les couleurs Issu d’une famille lausannoise de juristes, le jeune Nicolas, doué pour la peinture, opte néanmoins pour la médecine dont il admire l’efficacité et le moyen privilégié qu’elle offre d’entrer en relation avec les gens. C’est également l’intérêt technique de l’oncologie qui lui fait choisir cette spécialité. Avec l’aide de précurseurs comme le Dr Olivier Jallut, il passera quinze ans à Genève où il se consacrera aussi à l’embryologie et à la recherche. Suivront vingt ans en cabinet à Lausanne, durant lesquels il exercera en parallèle dans le Service de radio-oncologie. Anticipant sa retraite de deux ans, le Dr Paschoud vient de « remettre tranquillement le cabinet et d’éponger les résidus d’activités antérieures ». Même si cet important tournant dans sa vie s’est inscrit dans la perspective d’une opération orthopédique ( « une expérience instructive de la dépendance » ), Nicolas Paschoud avoue qu’il était « fatigué de vivre dans la catastrophe et la charge émotionnelle continue qui, comme autant de petits coups répétés, devenait chaque jour plus pesante. » Et d’ajouter encore en souriant qu’il est heureux d’avoir ainsi évité l’introduction des DRG.


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D’autres tâches attendent aujourd’hui le Dr Nicolas Paschoud. Par exemple, la présidence de Pallium, une fondation de famille créée en 2000 qui a pour but de « donner des coups de pouce au développement des soins palliatifs, particulièrement dans le domaine oncologique ». Il salue aujourd’hui plusieurs progrès : la prise de cons-

cience de la problématique, la mise sur pied du réseau ambulatoire et l’existence à l’UNIL de la chaire – nouvellement repourvue – de soins palliatifs. La récente mise sur pied, en collaboration avec l’Etat de Vaud, de L’Espace Pallium qui soutient l’entourage du malade lui tient aussi à cœur. Et comme il aime donner un sens à ce qu’il


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entreprend, il se demande toutefois « quel est le grand projet qui se cache derrière ces démarches et pour moi il reste encore caché ! » Rappelons que Pallium a également financé le lancement du Guide des soins palliatifs dont le dernier cahier vient d’être distribué aux membres de la SVM, publication à la rédaction de laquelle le Dr Paschoud a bien sûr aussi contribué. Parmi les tâches actuelles de la Fondation, il cite la distribution de bourses d’études, des soutiens à la création de postes et à des actions englobant plusieurs disciplines. Des aides à des projets extérieurs, notamment autour de la spiritualité, dans les soins palliatifs sont aussi à l’ordre du jour.

pour les « baroqueux » – qu’il s’est ressourcé de tout temps dans une écoute qu’il qualifie de passive mais vigoureuse. Avec son épouse, il s’est récemment installé dans la maison familiale rénovée au bord du lac, ce qui lui permettra de s’adonner plus intensément encore à sa passion pour la navigation. Un autre rendez-vous, différé depuis longtemps, l’attend : le réapprentissage de la peinture à l’huile afin de traduire ce qu’il gardait en latence. Il se donnera aussi le temps de chercher des lumières différentes, comme celles de la Drôme qu’il chérit. En quête d’un rapport manuel aux choses, il vient même de se lancer dans le tournage du bois.

De son propre aveu, sa vie de médecin a pleinement occupé Nicolas Paschoud, peut-être même trop par rapport à sa famille. Il rappelle qu’il a fondé et présidé la Société Suisse de Cytométrie, le comité de la Ligue Vaudoise contre le Cancer et mis sur pied la formation post-graduée romande en oncologie, en collaboration avec le CHUV et les HUG, après avoir participé au comité de la Société Suisse d’ Oncologie Médicale. C’est principalement dans la musique – avec une préférence

Le Dr Nicolas Paschoud souligne sa chance d’avoir pu vivre selon les options professionnelles qu’il souhaitait, même s’il regrette d’avoir manqué le virage académique. La boucle semble en quelque sorte bouclée : il a trouvé dans sa vie professionnelle les contacts humains privilégiés qu’il cherchait. Leur intensité l’a toutefois suffisamment éprouvé pour qu’il commence une deuxième vie, dans le bonheur de la création. Paru en août-septembre 2012


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JACQUES PERRIN Le parcours du Dr Jacques Perrin, généraliste à Combremont-le-Grand, paraît rectiligne, voire tracé. Au cours de notre entretien, il répète plusieurs fois que sa vie n’a rien de remarquable. Alors, les hommes heureux n’auraient pas d’histoire ?

La médecine et la musique en héritage Fils du médecin de Combremont-le-Grand, son village natal et où il a vécu toute sa vie, Jacques Perrin souligne qu’il a eu de la chance. Aîné d’une fratrie de cinq, il passe son enfance dans la maison familiale qui abrite le cabinet paternel et dans laquelle vit encore sa mère. Il n’a jamais songé à une autre carrière que celle de médecin, projetant de s’installer avec son père. C’est sur un bâtiment communal que la plaque des deux Drs Perrin sera posée en 1978. Une belle collaboration de douze ans dans un cabinet de groupe doté d’un secrétariat, de radiologie et d’un laboratoire. Depuis 1990, le Dr Jacques Perrin consulte en association avec un confrère de dix ans son cadet. Si l’héritage paternel est la médecine, c’est à sa mère, professeur de piano, que Jacques Perrin doit son amour de la musique. Dans cette « famille chantante », ses dons sont


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apparus tôt. C’est avec une maîtresse de Payerne qu’il étudie le piano car « il est bien que quelqu’un d’extérieur vous stimule et vous oblige aux exercices fastidieux des premières années d’apprentissage », raconte-t-il. Après dix ans de piano classique, il se tourne vers le jazz, en joue avec un frère guitariste, fonde un petit orchestre dès le collège. Pendant ses études, il se lie d’amitié avec le Dr Arnaldo Ciaranfi – aujourd’hui décédé – passionné de jazz et saxophoniste. Les deux compères forment d’abord un duo que viendront rejoindre un contrebassiste et un tromboniste. Cette formation fera les belles heures du premier Festival Cully Jazz. Plus tard, Jacques Perrin jouera notamment avec le Dr Philippe Conus, contrebassiste et saxophoniste,


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qui fut stagiaire à son cabinet. Il a aussi longtemps accompagné le chœur d’enfants Gospel Melody qui a connu une certaine renommée pendant une dizaine d’années avant de disparaître faute de relève. A part les liens personnels créés avec ses confrères à travers le jazz ( son style de prédilection reste le BeBop ), le Dr Perrin trouve des similitudes entre son métier et son art. « Comme médecin ou comme pianiste de jazz, je dois composer avec les autres, écouter, participer, chercher et cerner, une bonne manière de se structurer l’esprit. » L’idée qu’il aurait tout aussi bien pu se lancer comme musicien professionnel titille parfois Jacques Perrin, surtout lorsqu’on le félicite pour la qualité de sa prestation de pianiste. Mais il n’a aucun regret par rapport à la trajectoire qu’il a choisie. « J’ai la chance de gagner ma vie avec un métier que j’aime et d’avoir la musique pour mon bonheur personnel, sans les rivalités et les galères inéluctables dans une carrière d’artiste. » Malgré la fatigue qui marque le quotidien d’un médecin de campagne, il se réjouit de mener une vie où il se sent « grandement récompensé ».

Et d’ajouter, sans amertume d’ailleurs, que le métier change et que le médecin est aujourd’hui souvent considéré comme un « produit de consommation »… Le Steinway maternel occupe une place de choix dans la maison des Perrin. Son propriétaire invite volontiers ses amis à s’y asseoir et à partager de longues soirées musicales. A 65 ans, le Dr Perrin projette de quitter son cabinet dans trois ans et ne se fait pas de souci face à cette échéance : la musique sera toujours présente dans sa vie, il se consacrera encore plus à ses neuf petits-enfants ( déjà un chœur ? ) et poursuivra la découverte d’autres pays, en compagnie de son épouse dont il partage la vie depuis 43 ans. « J’aime Bach et la saucisse aux choux », disait le petit Jacques à ses parents. Avec quelques nuances, ce mot d’enfant le résume finalement assez bien : un homme sensible à l’harmonie et à l’art dont la vie est ancrée dans sa région, sans oublier cette touche d’humour dont le Dr Perrin use souvent et qui relativise bien des choses. Paru en juin-juillet 2012


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FERENC RAKOCZY Aborder un psychiatre en lui disant « parlezmoi de vous » est en soi inhabituel. Or, le Dr Ferenc Rakoczy, rencontré dans son cabinet lausannois, se livre volontiers. Il prête toutefois une attention soutenue à son interlocuteur. Déformation professionnelle peut-être, mais sans nul doute aussi écoute d’écrivain !

Ecouter, dire et écrire Descendant d’une famille princière hongroise ( son homonyme fut l’un des héros de la guerre d’indépendance contre les Habsbourg au XVIIIe siècle ), Ferenc Rakoczy se dit « un produit de l’histoire ». Son père, anticommuniste engagé, a fui sa patrie en 1956, épousé une Jurassienne et mené une belle carrière chez Hoffmann La Roche. Né en 1967 à Bâle, le Dr Rakoczy grandit au sein d’une fratrie de quatre, dans une famille multilingue, marquée par une large ouverture d’esprit. Inspiré par un oncle chirurgien et humaniste, le jeune Ferenc sait très tôt qu’il deviendra médecin. Mais le chemin jusqu’au FMH ne sera pas rectiligne. Comme il écrit depuis son plus jeune âge, il fréquente d’abord la Faculté des lettres de Berne, où il s’ennuie. En 1989, il commence, en parallèle, les études de médecine. Après un passage – décevant là encore – en cardiologie, il trouve sa vocation, la psychiatrie. Une anecdote illustre cette étape : au premier jour de son



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assistanat à Belle-Idée à Genève, il voit un patient saisir un chariot, le jeter par la porte-fenêtre et sauter à sa suite. Une scène rappelant Vol au-dessus d’un nid de coucou mais surtout fondatrice pour le Dr Rakoczy qui se consacrera aux patients réputés difficiles. Un choix qui tient aussi du coup de cœur : « Ne pensez pas que nous soyons des gens posés, pondérés, qui relativisent les choses ! Je suis quelqu’un de passionnel, débordant de curiosité, perpétuellement en mouvement. Psychiatre de famille, au sens de médecin de famille, je considère ma spécialité comme un lieu ancré dans la vie, un magnifique observatoire des comportements et des représentations que véhicule notre société. » Propos de psychiatre ou d’écrivain ? Les deux, certainement. « Comme écrivain, je ne saurais trouver de meilleure nacelle que la psychiatrie pour déployer mon activité et surplomber un tout petit peu le genre humain. Tout en restant tenu par cette ficelle qui vous ramène à la vérité, pour n’être jamais dans le mépris de l’autre », précise le Dr Rakoczy qui aime les images autant que les mots. Une demi-douzaine de ses ouvrages ont paru, principalement à L’Age d’Homme, touchant à tous les genres, récits, poèmes, nouvelles, essais et théâtre *. Dans ses écrits, il convoque ses souvenirs, sa famille, ses racines. Il évoque des lieux, livre ses préoccupations d’homme. Il parle de la vie, de la mort, des destins et disserte sur l’art. Quelques romans attendent dans ses tiroirs et l’un d’eux est en voie d’achèvement pour publication. Pour Ferenc Rakoczy, le travail thérapeutique et l’écriture se nourrissent l’un (de) l’autre. Plus gourmand que boulimique d’activités variées, il parle notamment de son implication dans une formation post-grade et dans la maison d’édition * Découvrez les œuvres et activités littéraires de F. Rakoczy sur www.blogemes.hautetfort.com


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qu’il est en train de monter. Il décrit encore son engagement dans la création d’entreprises à vocation écologique. « J’aime le monde des affaires, une manière aussi de rester dans la réalité, de produire quelque chose de tangible, de créer des postes et de travailler avec des amis », précise cet hyperactif qui s’exprime pourtant avec calme, voire une certaine douceur. S’il souligne qu’écrire lui donne un « regard plus tendre sur la vie », c’est manifestement auprès de ses deux filles de sept et cinq ans qu’il trouve son équilibre affectif. « Elles m’ont appris à relativiser les choses et à retrouver l’innocence, dans un monde qui a tellement perdu de sa pureté. »

Maniant avec talent l’humour pince-sans-rire et l’autodérision ( une forme de pudeur ? ), Ferenc Rakoczy semble insatiable de nouvelles expériences et de pistes à explorer. Dans un grand éclat de rire, il ajoute qu’il est « pétri de regrets à tous égards, en permanence et pour tout » et que son principal objectif actuel est simplement de ne pas tomber en burn out. Tout un programme ! Paru en février 2013


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MICHEL ROSSIER Après des années passées dans divers services hospitaliers de radiologie, le Dr Michel Rossier a rejoint, il y a moins d’un an, un cabinet privé qu’il partage avec deux confrères à Yverdon-les-Bains. Une grande satisfaction professionnelle, mais aussi la possibilité de donner du temps à la sculpture, un mode d’expression qui l’habite depuis longtemps.

La quête de l’état de grâce De leur père, Michel Rossier et ses frères ont reçu le goût de l’éclectisme. Maçon de formation, celui-ci a notamment touché à la construction, à la photo, à la peinture, à la musique et à l’architecture. Il a cultivé des valeurs humanistes, par exemple en donnant du temps aux démunis de son village. Né à Romont en 1961, Michel Rossier vit le chagrin de perdre son père lorsqu’il n’a que quinze ans. Même s’il s’intéresse à la chimie et à l’entomologie – une passion qui ne le quittera jamais –, cette épreuve le décide à entreprendre des études de médecine. Il fréquente d’abord l’Université de Fribourg, puis celle de Lausanne. La rencontre avec un radiologue, le Dr Alizadeh, dans l’hôpital de sa ville natale, oriente définitivement son choix professionnel qu’il n’a d’ailleurs jamais regretté. Il poursuit et termine son post-grade à la Chaux-de-Fonds et à Berne, période dont il garde un excellent souvenir peut-être aussi parce que


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c’est celle de son mariage et de la naissance de ses deux fils. « J’étais fou du film de science-fiction Le Voyage fantastique, de cette promenade à l’intérieur du corps qui allie technique et images. Et l’endoscopie virtuelle que j’ai aussi appliquée aux insectes n’est rien d’autre que cela. » Pour cet amoureux de la nature, la balade naturaliste dans le corps humain est une manière de pénétrer dans l’âme des gens, « dans une partie du cosmos qui est délimitée par la peau ». Pour le Dr Rossier, le diagnostic médical s’apparente à une enquête, à la recherche de traces, à l’instar de sa démarche d’entomologiste, observateur des preuves de la présence des insectes dans la nature.

DES IMAGES ET DES FORMES Depuis son enfance, Michel Rossier dessine et s’essaie à la peinture, malgré son daltonisme. Vers la fin de ses études, il tâtera de la poterie qu’il abandonnera pour un temps, tout en sachant qu’il y reviendra un jour. C’est en 2000 qu’il s’inscrit dans un cours de sculpture. « A l’instant où j’ai commencé, j’ai aimé le contact avec la matière,

l’odeur du bois, l’absence de tension que ma difficulté avec les couleurs m’imposait. » Pendant des années, il trouve plaisir et détente dans la maîtrise des formes et des matériaux mais ne ressent rien de profond, de personnel. « Un jour,


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raconte-t-il, modelant de l’argile, j’ai éprouvé pour la première fois une émotion qui ne venait ni de ma raison, ni de mes représentations, ni du hasard. Depuis, je tends à revivre cet état de grâce et j’ai le bonheur d’y arriver ».

De cette expérience fondatrice, Michel Rossier a gardé l’habitude de créer le modèle de ses sculptures en argile, avant de les reproduire, généralement agrandis, en bois ou en pierre. « Créer c’est d’abord recevoir mais c’est aussi donner », confie-t-il. « Etre ensuite reçu par les autres m’est essentiel. » C’est notamment cette réflexion et l’insistance de son ami, le peintre colombien Albeirio Sarria, qui l’ont encouragé à exposer depuis 2005 à Neuchâtel, à Fribourg dans un festival de sculpture en plein air parmi des artistes internationaux ainsi qu’à la galerie Osmoz à Bulle. Des projets, le Dr Rossier en a plein la tête. Le plus important actuellement est sans doute la rénovation d’une ancienne ferme située en pleine forêt, à Gryon. Complétant l’atelier de menuiserie déjà sur place, il y installera un compresseur pour tailler la pierre. Autour de Michel Rossier, simple et chaleureux, il semble régner une grande harmonie, nourrie par une même énergie. Celle de l’écoute des autres et de soi, celle de l’amour et du respect de la nature. Une belle manière de concilier sa vie de médecin, d’homme et d’artiste ! Paru en mars-avril 2010


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PHILIP SIEGENTHALER Le décor de son cabinet est simple, lumineux et néanmoins sophistiqué. Le bleu et le blanc dominent. De petites figurines, corps lovés sur eux-mêmes, ornent la bibliothèque et le bureau. Par la fenêtre, on aperçoit le lac Léman et les Alpes. Le décor est planté pour une rencontre avec un homme dont la sensibilité artistique apparaît évidente.

Médecin et sculpteur, une même approche de l’intérieur Médecin et homéopathe, le Dr Philip Siegenthaler partage son temps entre son cabinet à Pully et son atelier de sculpture, situé aujourd’hui dans sa maison à Genolier. Il reçoit ses patients quatre (longues) journées par semaine. Le mercredi et le samedi sont réservés à la sculpture. Une passion qu’il partage avec sa compagne. Quand il raconte le chemin qui l’a conduit à cette situation épanouissante et équilibrée, tout paraît presque évident. « J’ai toujours aimé dessiner. Enfant, je caricaturais mes profs, puis mes collègues à l’hôpital. Les couleurs, les formes m’ont toujours intéressé. En 1995, j’ai décidé de remettre mon premier cabinet médical pour décrocher le diplôme suisse d’homéopathe. J’avais neuf mois sabbatiques à disposition et je les ai aussi utilisés pour me lancer dans l’apprentissage de la sculpture, ce



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dont je rêvais depuis longtemps. J’avais trouvé mon autre blouse blanche ! Au fil des ans et de mon évolution, mon hobby est devenu un second métier. » Etrange association ? Pas du tout, en pratiquant les deux activités avec la passion et la curiosité dont il semble marquer tout ce qu’il entreprend, le Dr Siegenthaler a découvert des liens évidents entre son approche de la médecine et l’art de la sculpture. « Chercher à dégager une forme avec ce qu’on trouve à l’intérieur » est, pour lui, très semblable au travail médical. Sculpteur, il se trouve face à un caillou, apparemment un peu brut à l’extérieur : en le touchant, en y pénétrant, il découvre toute une richesse qui, généralement, ne se voyait pas de l’extérieur. Des zones un peu rêches, des endroits qui cèdent sous la pioche, une veine magnifique à laquelle il ne s’attendait pas. « En homéopathie, on cherche à remonter aux causes du mal physique, donc à la découverte du fonctionnement intérieur. Dans mon cabinet, j’essaie d’aider les gens à sortir leur côté caché et précieux. Quand je taille la pierre, c’est souvent elle qui me guide, comme je me laisse intuitivement guider par

mon patient pour trouver les vraies causes de sa souffrance. Nous rencontrons des surprises, positives ou négatives, les impressions de départ sont confirmées ou infirmées : c’est la découverte, voire l’aventure, car moins on pilote, mieux cela se passe. » Pour les petites pièces, il travaille sans croquis, pour les plus grandes, il réalise une maquette en terre, notamment pour mieux comprendre les angles d’attaque. Encore une similitude avec sa conception de la médecine : garder un cadre rationnel et ensuite se laisser la liberté de découvrir, d’imaginer, de comprendre et de créer. Le Dr Siegenthaler évolue avec bonheur entre ses activités, l’une le renvoyant sans cesse à l’autre, toutes deux lui étant également indispensables. « Après quelques jours avec l’une de mes activités, j’ai envie de retrouver l’autre. J’ai besoin de retrouver mes patients comme je suis heureux de revenir au bout de caillou à tailler ou au morceau de terre à malaxer. » Le Dr Siegenthaler rêve de continuer longtemps encore sa double activité : c’est tout le mal qu’on lui souhaite ! Paru en août-septembre 2004


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UELI STOLL A la retraite depuis cinq ans, le Dr Ueli Stoll vit à La Tour-de-Peilz, dans une grande maison qui date de 1905. Au premier coup d’œil, on sent que ces lieux, même délaissés par la plupart de ses habitants en cette chaude journée d’août, ressemblent à la famille Stoll.

Une vie sous-tendue par le chant ample du violoncelle Le Dr Ueli Stoll commence souvent ses phrases par « J’ai eu le privilège de… ». On découvre ainsi que, s’il a hérité de quelques privilèges, il en a conquis d’autres. Né en 1945 à Zurich, fils de psychiatre, il grandit entre les murs de la Clinique du Burghölzli, dans l’appartement qu’avait occupé Carl G. Jung, note-t-il en passant. Deuxième d’une fratrie de quatre, Ueli Stoll dit s’être enrichi au contact quotidien des malades comme à travers l’éducation exigeante qu’il a reçue au sein d’une famille « où chacun devait savoir à quoi il se destinait ». A l’adolescence, le futur Dr Stoll songe à la théologie mais estime que sa foi n’est pas suffisamment forte. Il se tourne dès lors tout naturellement vers les études de médecine. Avant cela, il perfectionne son français à Paris, suit des cours intenses de violoncelle et grade à l’armée.



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Les années d’études zurichoises seront riches en événements : tout d’abord, la rencontre de sa future femme sur les bancs de l’université, une Tessinoise qui deviendra psychiatre et la mère de ses quatre enfants. Mais également à travers des activités culturelles, déjà nécessaires à son équilibre. Enfin, un grave accident à l’armée qui lui apprendra douloureusement « la dépendance et l’acceptation du geste bienveillant de l’autre ». C’est au cours du stage en gynécologie-obstétrique à Winterthour que le Dr Stoll trouvera sa voie, en côtoyant le Pr Erich Glatthaar, « un grand monsieur qui m’a formé à l’exercice rigoureux de ma profession ». Il se souvient aussi avoir beaucoup appris des sagesfemmes. En 1979, le Dr Stoll postule, sans grand espoir mais avec succès, à Vevey. Cette « émigration » représente un important changement pour toute la famille, même si la région est depuis longtemps proche du cœur du Dr Stoll. Il y a en effet passé des vacances chez son grand-père qui lui a donné « une approche privilégiée de l’art à travers ses collections par exemple des F. Hodler ». En 1980, le Dr Stoll entame 28 années d’intense activité à La Providence et au Samaritain. « J’ai vécu les temps où le médecin chef était un partenaire écouté de la hiérarchie hospitalière et où des capitaux privés participaient au développement de l’institution », précise-t-il avec une certaine nostalgie. Il s’impliquera pleinement auprès de ses patientes, dans la formation, mais également en politique professionnelle, notamment afin de favoriser les contacts au niveau national.

L’ART, COMPAGNON DE VIE Le Dr Stoll confie combien l’art sous diverses formes lui a été indispensable pour « se libérer la tête » et rester à l’écoute de ses patientes tout en assumant des responsabilités parfois lourdes. « Le violoncelle m’a accompagné toute ma vie.


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La musique est aussi un exercice d’humilité tant il est difficile de transmettre une émotion par le biais d’un instrument. » En quête de perfection, il n’a cessé et ne cesse de se former, parfois avec des professeurs de renom ou au sein de l’Orchestre Ribaupierre avec lequel il lui arrive de se produire. Fidèle aux êtres humains comme à son instrument, il joue régulièrement en quatuor avec des amis rencontrés durant les années zurichoises. Ce n’est pas non plus par hasard qu’il a longtemps présidé le Comité des Amis du Musée Jenisch ou l’Association du sculpteur Olivier Estoppey et qu’il est le trésorier de la Fondation William Cuendet & Atelier de St-Prex.

Oui, on comprend pourquoi le mot privilège revient souvent chez le Dr Stoll : celui d’avoir grandi dans un milieu stimulant et ouvert à des valeurs qu’il a fait siennes, celui d’avoir exercé avec succès un métier qu’il dit avoir adoré, entouré d’une famille qui a su vivre les exigences de sa profession tout en restant fortement liée. Sans parler du privilège d’être né avec une sensibilité à l’art et un don pour la musique. Ni celui d’avoir ouvert, au moment qu’il a choisi, « le nouveau livre de son existence » dont bien des chapitres restent à écrire. Paru en octobre 2013


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YVES-MARIE WASEM Le jeu de mots est facile, voire inexact : pour le Dr Yves-Marie Wasem, 44 ans, interniste à Morges, l’orgue est bien plus qu’un violon d’Ingres. Aux commandes de son instrument de prédilection, il est heureux. Au plaisir de la maîtrise technique et musicale s’ajoute celui de partager et de donner aux autres. Pour le médecin à l’écoute de ses patients, une manière aussi de passer de l’ombre à la lumière.

L’orgue est son violon d’Ingres Y.-M. Wasem se dit fasciné par l’œuvre de J.-S. Bach, « sa richesse, sa structure et sa spiritualité », depuis son enfance, bercée par la musique. S’il joue du piano depuis l’âge de sept ans, il découvre réellement les beautés de l’orgue au Collège de St-Maurice, institution dont il a aimé le cadre malgré son « côté bougillon ». Durant le gymnase, il décroche un certificat de solfège puis de piano. Pendant ses études de médecine à Genève, il poursuit au Conservatoire et obtient un nouveau certificat de piano avant le final de médecine. C’est lors d’un stage à La Chaux-de-Fonds qu’il prend véritablement ses premières leçons d’orgue. Suivent son mariage avec Laurence également médecin, les années nomades de formation et la naissance de leurs enfants. A la faveur d’un premier assistanat à Monthey, il retrouve l’orgue


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de la Basilique de St-Maurice. Etabli sur sol vaudois depuis 1997 (PMU), c’est l’année suivante qu’il commence à étudier régulièrement l’orgue, au Conservatoire de Morges d’abord – il s’y installe en 2000 – puis à Lausanne.

UNE RENCONTRE DÉCISIVE ET PRIVILÉGIÉE Il y a quatre ans, le Dr Wasem fait la connaissance de Jean-Christophe Geiser, organiste titulaire de la Cathédrale de Lausanne * et doyen des classes de clavier au Conservatoire. A sa grande joie, celui-ci l’accepte comme élève privé régulier, puis dans sa classe. Découvrir la palette sonore fabuleuse du nouvel instrument de la Cathédrale et se perfectionner dans ce haut lieu chargé de sens ont suscité chez lui une profonde passion. Décrocher, en avril 2008, le certificat de l’Association vaudoise des Conservatoires et Ecoles de musique lui a donné un but et le travail avec J.-Ch. Geiser un cadre idéal pour l’atteindre. Evoquant les défis qui l’animent, Y.-M. Wasem cite volontiers Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on doute, mais parce qu’on doute qu’elles sont difficiles. »

La pratique de l’orgue et l’exercice de la médecine forment deux axes assez proches selon le Dr Wasem. « Organiste ou médecin, je suis à l’écoute et m’efforce de maîtriser plusieurs voix et différents registres en même temps », confie-t-il. « Ces deux arts font l’objet d’un subtil réglage. Tous deux exigent disponibilité et persévérance pour l’analyse fine, la mise en place et la synthèse active. La difficulté d’une pièce d’orgue évoque parfois la complexité de la relation vécue avec le patient. »

UN HOMME TOURNÉ VERS LES AUTRES Le Dr Wasem prend plaisir à partager la musique, bien sûr avec ses proches, parfois quelques amis confrères et, pourquoi pas, avec des patients mélomanes. Médecin de premier recours, il s’est également engagé dans l’organisation de la garde ambulatoire de la région morgienne et a créé une rencontre annuelle d’accueil pour les confrères qui viennent de s’y installer. * Pour en savoir plus sur les concerts : www.grandesorgues.ch


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On peut parfois le surprendre dans la petite église romane de St-Sulpice. Il y répète volontiers, profitant de la solitude et de la paix du lieu. « Jouer est aussi une manière d’échapper aux nombreuses sollicitations et de me ressourcer. » Pour Yves-Marie Wasem, l’exercice de la musique, comme celui de la médecine, est vécu comme une exigence… hautement salutaire. Paru en mai 2008



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LES ÉCLECTIQUES Ils conjuguent leurs passions et l’art de vivre… parfois autrement



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NICOLAS BERGIER L’œil clair est pétillant sous l’abondante chevelure poivre et sel : à 70 ans, le Dr Nicolas Bergier, oncologue, continue à exercer dans son cabinet lausannois. « Je ne travaille plus que 60 heures par semaine », confie-t-il avec une certaine coquetterie. Débordant d’énergie et d’enthousiasme, sautant allègrement d’un sujet à un autre, il parle des passions qui remplissent sa vie, notamment la musique.

Amoureux de la beauté, sous toutes ses formes « Ma mélomanie précède mon choix de devenir médecin, un métier qui me passionne parce qu’il se prête aux rencontres et favorise les intérêts multiples », affirme Nicolas Bergier. Descendant d’une lignée de notables vaudois depuis le XIVe siècle, il situe ses premiers émois musicaux vers ses sept ans, à l’écoute des 78 tours de son père, joués sur un tourne-disques à manivelle… Après Bach, il découvre Beethoven, Brahms et Mozart. La rencontre avec l’art lyrique se fera en 1951, lorsqu’un oncle lui offre par hasard des billets pour des représentations données par l’Opéra de Vienne, sous la direction de Karl Böhm. S’il n’est pas encore conscient de la qualité exceptionnelle de ces spectacles, le jeune Nicolas en sort « absolument stupéfait ». Placeur lors


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des opéras donnés au Palais de Beaulieu, il fait ensuite connaissance des œuvres de Verdi, Puccini et Donizetti. C’est aussi la période des choix professionnels : doué pour les maths, Nicolas Bergier pense devenir physicien ; il en reste son intérêt pour l’astrophysique. Quand il découvre Freud, il se destine à la psychanalyse et entreprend les études de médecine. Il choisit finalement l’oncologie, une spécialité qui vient de naître – nous sommes dans les années 70 –, et n’a cessé de progresser exponentiellement depuis. Aujourd’hui, l’exercice de son métier a également pris une orientation « business » par la création, avec quelques confrères, de centres privés de chimiothérapie à Lausanne et à Fribourg.

LE COLLECTIONNEUR « Collectionner est une passion vicieuse, puisque c’est un désir de possession, une vraie maladie ! » raconte le Dr Bergier. Son importante et riche collection d’art moderne, créée au fil des coups de cœur et au hasard des rencontres, commence dans les années 60.

Elle se diversifie dans la décennie suivante, notamment lors d’un séjour à Londres où le jeune Dr Bergier poursuit sa formation. Il évoque cette période avec une joyeuse nostalgie, tout au souvenir d’émotions artistiques nouvelles. Depuis, il fréquente galeries et ventes aux enchères prestigieuses. Il sait chercher et patienter pour arriver à ses fins. Dans les années 90, il découvre l’art précolombien, puis l’art africain et acquiert de nombreuses pièces qui, aux côtés des photos de famille, habillent son cabinet mais aussi ses espaces plus privés.

PRÉSIDENT DES MÉCÈNES DE L’OPÉRA DE LAUSANNE Membre du Cercle des Mécènes de l’Opéra de Lausanne dès sa création en 2000, le Dr Bergier en assume la présidence depuis deux ans. « Notre but est de soutenir l’Opéra tout en valorisant la qualité des activités qui sont réservées aux membres du Cercle, ce qui n’exclut pas d’y associer des invités. » Il cite les lunches qui offrent l’occasion de discuter en petit comité avec le metteur en scène, un artiste ou le chef


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d’orchestre des opéras joués à Lausanne. Et aussi les déplacements à l’Opéra de Zurich ou à Venise, à la (re)découverte de La Fenice. En août prochain, ils seront quelquesuns à se rendre à Glyndebourne pour vivre l’atmosphère à la fois sophistiquée et champêtre de ce festival. « Je projette un voyage à St-Pétersbourg, incluant bien sûr une soirée au Mariinsky », se réjouit le Dr Bergier. Le Cercle compte de plus en plus d’adhérents et a versé 110 000 francs à l’Opéra de Lausanne en 2008. Une faveur plus personnelle que Nicolas Bergier réserve aux membres : des CD copiés des enregistrements exceptionnels de sa vaste discothèque. Né au bon endroit, au bon moment, dans un milieu confortable, généreux mais exigeant, Nicolas Bergier est conscient d’avoir suivi un parcours privilégié. Mais sa véritable chance ne réside-t-elle pas dans le fait d’être doué d’une sensibilité qui lui permet d’en savourer, pleinement et avec gourmandise, tous les plaisirs et tous les bonheurs ? Paru en mai 2009


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JACQUES BESSON Le Pr Jacques Besson, chef du Service de psychiatrie communautaire du CHUV, dégage une énergie que ses nombreuses activités et ses divers engagements confirment. Sa disponibilité à recevoir le CMV dans son fief de St-Martin témoigne sans doute d’une bonne organisation de son temps, mais illustre aussi l’un de ses credos : « On n’est riche que de ce que l’on donne. »

« Je suis un intellectuel de l’action » Le parcours professionnel du Dr Besson ressemble à un marathon : des foulées rapides et régulières, la volonté de ne pas perdre l’objectif de vue, de la maîtrise et de l’endurance. Né en 1955, il est médecin à 24 ans, chef de clinique à 29, médecin associé à 31, puis privat-docent et professeur associé. Après avoir hésité entre la biologie et la théologie, il opte pour la médecine, « un compromis », puis pour la psychiatrie, « l’aboutissement ». Le jeune Dr Besson se tourne d’emblée vers la psychiatrie communautaire dont il marquera l’histoire dans notre canton. Il travaillera à l’Hôpital de Cery, à la Policlinique psychiatrique universitaire et à la Clinique du Vallon, en étroite collaboration avec l’Armée du Salut. Une expérience qui a fait découvrir à ce protestant pratiquant – et peut-être un peu protégé jusque-là – « le monde


tel qu’il est, la médecine des pauvres et les problèmes du quart-monde ». Entrepreneur passionné, le Dr Besson poursuit sa carrière au fil des besoins psychiatriques de son temps et crée les structures pour y répondre. Citons le Centre d’intervention thérapeutique brève et les programmes d’alcoologie multidisciplinaires développés à Lausanne et dans le canton.


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LE CENTRE ST-MARTIN, UNE SUCCESS STORY En 1996, le Dr Jacques Besson – avec la Dresse Martine Monnat et leurs premiers collaborateurs – ouvrent St-Martin, nouveau centre multidisciplinaire de référence psychiatrique vaudois capable d’accueillir, d’investiguer et d’accompagner des patients toxicodépendants. En ces temps de scènes ouvertes de la drogue, le succès est au rendez-vous. Quelque 600 toxicomanes sont accueillis en six mois. La collaboration est immédiate et étroite avec les institutions éducatives et sociales, ainsi qu’avec les médecins traitants des patients, pour la plus grande satisfaction du Dr Besson qui croit dans l’interaction des savoirs. En 1998, il ouvre La Calypso, un lieu cantonal de sevrage pour patients toxicodépendants. En 2001 naît le Centre du jeu excessif pour les joueurs pathologiques. De ses années de vice-rectorat ( de 2003 à 2006 ), le Pr Besson retient le bonheur d’avoir été l’un des bâtisseurs des projets couvrant l’arc lémanique. Il évoque aussi la création d’Anthropos, un programme de recherche interdisciplinaire à l’UNIL.

Depuis 2006, Jacques Besson dirige le Service de psychiatrie communautaire du CHUV mais continue à consulter, notamment dans le cadre des colloques médicaux. Au traitement des addictions pratiqué à St-Martin se sont ajoutés divers projets et collaborations : un programme de thérapie qui tend à la réinsertion des patients et une équipe mobile qui apporte une aide psychiatrique à des handicapés mentaux. Sollicité en Suisse et à l’étranger, pleinement engagé dans ce qu’il croit et ce qu’il entreprend, Jacques Besson estime pourtant que sa plus grande satisfaction est d’avoir réussi à mener une vie familiale équilibrée. Sur son voilier ou en écoutant du jazz, il se donne le temps de rêver… peut-être à tout ce qu’il a encore envie de réaliser. Paru en décembre 2008


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ANGELIKA BISCHOF DELALOYE La personnalité du Pr Angelika Bischof Delaloye, chef de la médecine nucléaire au CHUV, met immédiatement à l’aise : ouverture d’esprit, curiosité, recherche des vraies valeurs. Ponctuant ses propos de grands éclats de rire, elle raconte son parcours avec l’enthousiasme qui semble être le moteur de sa vie.

La médecine, une affaire de famille Angelika Bischof a reçu l’amour de la médecine en héritage. Née en Autriche voisine où son père était médecin de campagne, elle se souvient : « La médecine faisait totalement partie de notre vie, d’ailleurs nous sommes cinq enfants sur six à exercer ce métier, ainsi que nos conjoints ! » En se lançant dans ses études, Angelika est déjà persuadée que le contact médecin-malade répondrait à ce qu’elle attend de sa vie professionnelle. Aujourd’hui, elle n’a pas changé d’avis, surtout dans la spécialisation très technique qui est la sienne. « L’image dit très peu de choses si on n’a pas rencontré le patient. Au fond, il faut être un généraliste manqué pour bien faire de la médecine nucléaire ! » Angelika Bischof commence sa médecine à Innsbruck qu’elle quitte bientôt pour Berlin et son effervescence politicoculturelle de la fin des années soixante. Une ambiance


qu’elle évoque d’ailleurs encore aujourd’hui avec gourmandise… Menant une vie qui l’enchante et la stimule, elle fréquente assidûment opéras, théâtres et cabarets mais aussi les réunions d’étudiants, tous prêts à changer le monde. De retour à Innsbruck, en parallèle à la médecine, elle prend part à un programme de formation en

management, assouvissant sa soif de progresser dans d’autres disciplines.

LAUSANNE, RENDEZVOUS AVEC LE DESTIN Voulant ajouter le français à ses connaissances, elle trouve, en 1968,


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une place d’assistante en médecine interne à l’Hôpital cantonal de Lausanne. Au cours de sa formation, elle passe par le laboratoire des isotopes – qui allait devenir la division de médecine nucléaire – et travaille sous la direction du Dr Bernard Delaloye. Pour la jeune Dr Bischof, comme pour beaucoup de femmes, le choix d’une voie professionnelle est aussi celui d’une vie privée : elle pense que les horaires réguliers du service de médecine nucléaire lui permettront de fonder une famille. Lorsqu’elle devient l’épouse de son patron, elle reste sa collaboratrice, sur l’insistance de la direction. En 1998, elle succède à son mari : un projet ambitieux car « nous étions très peu de femmes à ce niveau de responsabilité et le partage du pouvoir n’était de loin pas gagné. Malgré des moments de doute, j’ai tenu le coup et je n’ai pas de regrets. » Le couple Delaloye aura deux enfants, Sibylle et Raphaël, aujourd’hui médecins, demain pédopsychiatre et oncologue. « Cela montre que, malgré notre investissement dans notre métier, nous ne les avons pas découragés de suivre nos pas ! Mon mari, aujourd’hui décédé, m’a beaucoup aidée

dans l’organisation quotidienne de la vie familiale. Il m’a soutenue et il était fier de ma carrière. »

OUVERTURE ET RAYONNEMENT Angelika Bischof Delaloye s’est aussi investie dans son métier extra muros. A travers la présidence d’associations professionnelles, elle a, entre autres, contribué à forger l’image de la médecine nucléaire au plan européen : pragmatique et diplomate, elle a notamment trouvé dans ces activités la satisfaction d’être reconnue par ses pairs. Dans quelques années, elle quittera la tête de son service. Pour consacrer plus de temps à ses intérêts culturels éclectiques, à concocter de bons plats pour les siens, à découvrir de nouveaux horizons et de nouvelles personnalités. « Je voudrais aussi trouver une activité qui me permette de garder le contact avec le monde en mouvement. » Nous ne doutons pas qu’elle y réussira. Paru en novembre 2005


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PETER BURCKHARDT Le Pr Peter Burckhardt a quelque chose d’un gentleman anglais : précis et concis dans ses propos, il les agrémente de touches amusantes et de raccourcis inattendus. Il les teinte aussi d’émotion pour ce métier qu’il exerce depuis longtemps et qui semble être au cœur de son existence.

La satisfaction d’avoir été et de rester utile Peter Burckhardt choisit de devenir médecin tout naturellement, pour suivre les traces d’un grand-père « adoré et admiré ». Il fait ses études dans sa ville natale de Bâle et en Allemagne. En 1968, sa formation post-grade le conduit au CHUV, en tant qu’« assistant itinérant ». Il se spécialise en médecine interne et en endocrinologie, s’épanouit dans le milieu hospitalier, poursuit sa formation, notamment à Harvard. Devenu chef du département de médecine, il se voue aussi aux maladies osseuses qui feront l’objet de ses recherches. « Mon poste au CHUV était extrêmement enrichissant, il touchait à l’enseignement, à la clinique, à la gestion, aux soins ambulatoires et hospitaliers, à la recherche, aux actions médico-politiques… Je vivais dans une pression constante et stimulante », évoque-t-il sans nostalgie, si ce n’est celle qu’on peut avoir pour les années de plein épa-


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nouissement. Parmi les satisfactions du Pr Burckhardt, citons la création de la première consultation en obésité d’un hôpital universitaire suisse ( à une époque où cette problématique n’était pas encore considérée comme sérieuse ), la présidence de la Société suisse de médecine interne, la création de l’Association suisse contre l’ostéoporose ainsi que ses engagements au niveau international. Au nombre des changements survenus au cours des années que le Dr Burckhardt a passées au CHUV, il relève l’évolution de l’approche du patient et une attention différente à la question – toujours présente – de la maîtrise des coûts. En effet, éduqué à une médecine basée sur les notions de


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physiopathologie, il porte un regard critique sur les diagnostics qui privilégient l’image, certes précieuse, mais qui ne devrait pas être utilisée au détriment de la réflexion et sans une collaboration avec le patient. Il croit en « l’ultime vérité de la logique physiopathologique et au fait que le savoir acquis est utilisable tel quel ». Le Pr Burckhardt a également été témoin de l’écrasement de la « pyramide hiérarchique » au CHUV. Aurait-il vécu la fin des mandarins ? « Quand on est dans cette position, on se sent surtout excessivement exposé, pas forcément détenteur d’un pouvoir ! » répond-il en souriant.

L’ART DE VIVRE APRÈS LE CHUV Arrivé à l’âge officiel de la retraite, le Pr Burckhardt ne se voit pas devenir inactif et caresse encore plein d’envies professionnelles, dont celle de voir des patients et de « pouvoir enfin s’en occuper en paix ». En 2004, la possibilité d’ouvrir une consultation en ostéologie à la Clinique Bois-Cerf à Lausanne tombe à pic. Il y cultive aujourd’hui encore des contacts directs et suivis avec les patients

qui lui sont adressés par des confrères. Il apprécie la collaboration avec les orthopédistes de la clinique et « garde le sentiment d’être utile et de se maintenir jeune ! » Actuellement, Peter Burckhardt ne rêve plus de grands projets professionnels, content d’œuvrer à maintenir la compétence dans son domaine, nous confie-t-il. Il continue néanmoins à publier et assume la rédaction en chef d’un journal scientifique. Donnant des conférences et des cours, il est membre de conseils de fondations œuvrant dans la recherche et souligne combien l’enthousiasme des jeunes scientifiques le touche. Mais l’ambition qui lui tient probablement le plus à cœur est de voir ses fils – dont un est médecin – arriver à un épanouissement professionnel « tout en ayant un papa qui galope encore ! » Paru en mai 2011


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ANDRÉ BURDET 2009 est l’Année mondiale de l’astronomie. Une actualité qui nous a incités à rencontrer le Dr André Burdet, 66 ans, chirurgien orthopédiste aujourd’hui retraité et passionné par les phénomènes astronomiques. Il nous a donné rendez-vous à son domicile à Corcellesprès-Payerne.

Le docteur qui tutoie les étoiles André Burdet se destinait à la physique mais entreprend des études de médecine à Lausanne. Peut-être parce qu’il « aime les choses manuelles », il se spécialise en chirurgie orthopédique, formation qu’il acquiert à Genève, « avec de bons patrons qui ne nous apprenaient pas seulement la médecine mais aussi l’art de la pratiquer ». En 1979, il saisit la chance de prendre le poste de médecin chef à l’Hôpital de Payerne et s’installe dans une région qu’il ne connaissait que par le service militaire ! Convaincu qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment, il se décide pour une retraite anticipée à 60 ans, après une carrière d’un quart de siècle dans la Broye. L’intérêt – on peut dire la passion – du Dr Burdet pour l’astronomie vient de loin : gamin, puis jeune homme, il se documente, consulte des cartes célestes, s’essaie à


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la construction de petits instruments, puis d’un plus important qu’il n’achève pas. Il renonce pendant ses études et par manque de temps à la pratique de l’astronomie. Un jour pourtant, le Dr Burdet reprend son instrument laissé en plan et le termine. Il taille et polit lui-même les optiques, « il suffit de frotter de façon aléatoire deux plaques de verre l’une sur l’autre avec un abrasif, cela demande plus de patience que de précision », assure-t-il. Dans le jardin de sa maison de Corcelles, il construit un petit observatoire qu’il n’utilise d’ailleurs plus aujourd’hui. En effet, la végétation environnante, la pollution atmosphérique et lumineuse, proche comme lointaine, ont rendu l’observation de moins en moins attractive. Il scrute maintenant le ciel plutôt depuis son chalet aux Voëttes.

LE CIEL SOUS D’AUTRES CIEUX Devant l’impossibilité de trouver un ciel vraiment noir sous nos contrées, c’est ailleurs que le Dr Burdet poursuivra sa quête des étoiles : en 1986, il se décide d’aller à la rencontre (rare) de la comète de Halley dans l’hémisphère sud, plus

précisément à Madagascar. Ce voyage – en compagnie de Madame Burdet « qui partage ma passion mais qui n’avait à vrai dire pas d’autre choix ! » – sera le premier d’une longue série : le Mexique pour assister, en 1991, à une éclipse totale de soleil de plus de six minutes, un émerveillement qui reste son plus beau souvenir. L’expérience se renouvelle, toujours aussi fascinante, au Chili, en Inde, en Chine, en Libye, en Mongolie,


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à la Guadeloupe et à la Réunion. Les Burdet tissent des liens d’amitié avec d’autres astronomes amateurs avec qui ils partagent les voyages. Ils projettent un retour en Chine cet été et un déplacement à l’Ile de Pâques pour 2010. Le Dr Burdet, de tempérament plutôt réservé – vaudois, diront certains –, raconte avec fougue les passages de Vénus devant le soleil ou évoque la trajectoire et la vie de Holmes, Hyakutaké ou Hale-Bopp, comètes dont il parle comme de personnes qui lui seraient proches.

ESTHÉTIQUE, SCIENTIFIQUE, PHILOSOPHIQUE André Burdet lit beaucoup d’ouvrages et suit les calendriers des événements astronomiques. « Je reste fasciné par le contact avec une belle voûte étoilée, une éclipse totale me procure des émotions que je ne trouve nulle part ailleurs. Cela me fait aussi réfléchir à la place de l’homme dans l’univers. Chaque découverte faite dans la compréhension de la cosmologie soulève de nouvelles questions… » Ces questions qui restent ouvertes ne sont pas pour déplaire à André Burdet, à une époque où les religions ne répondent plus aux questions existentielles de l’homme. « On trouve pourtant des religieux parmi les grands astronomes, l’idée du big bang a été énoncée pour la première fois par un abbé », précise-t-il. Et de noter que, si le ciel a bien sûr une influence sur la terre où la vie dépend du soleil et où la lune provoque les marées, les horoscopes ne répondent qu’à l’angoisse naturelle de l’homme. Quant à l’influence de la pleine lune sur les accouchements « elle serait plutôt à rechercher dans l’obscurité des périodes de nouvelle lune, favorisant la procréation ! » Paru en mars-avril 2009


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RENÉ CHIOLÉRO Spontané et direct, le Pr René Chioléro se montre d’une disponibilité chaleureuse malgré des occupations que l’on sait aussi nombreuses que contraignantes. A l’écouter parler de son art – mais surtout de la vie et de son sens – on découvre les sources de la sereine énergie du chef du Service de médecine intensive adultes du CHUV.

Et l’Homme dans tout ça ? * Se qualifiant d’hyperactif, René Chioléro signale pourtant d’emblée que, depuis une année, il ne travaille plus qu’à 80 % au CHUV. Un jour par semaine, il exerce un nouveau métier, celui de coach auprès de dirigeants, essentiellement hospitaliers. Suite logique à son parcours de responsable et de formateur, ce choix d’organiser son avenir à court et moyen terme lui ressemble : à 65 ans, il prendra sa retraite en automne prochain et souhaite garder une activité, riche en contacts humains. Selon René Chioléro, « l’homme le plus abandonné, le plus seul de l’hôpital, c’est le médecin ! Le coaching est une technique de soutien de l’autre pour qu’il reste un homme debout, les pieds ancrés dans la * Titre de la leçon d’adieu du Pr Chioléro en juin 2009, inspiré par Et l’Homme dans tout ça ? – Plaidoyer pour un humanisme moderne d’Axel Kahn.


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terre et la tête tournée vers le ciel, symbole du sens qu’on donne aux choses. Il permet de gagner en liberté et d’aller de l’avant. Et vivre ce processus entre pairs est un avantage indéniable. »

MANAGER ET HUMANISTE S’il est volubile lorsqu’on l’interroge sur son parcours professionnel, René Chioléro reste discret sur sa

vie personnelle. Issu d’une famille vaudoise qui compte plusieurs médecins ( l’un de ses trois fils a pris le relais ), anesthésiologiste, il débute par les soins intensifs pédiatriques où il excelle rapidement mais ne trouve pas la véritable dimension humaine qu’il attend de son métier. En 1973, il répond donc avec enthousiasme à l’appel du Pr James Freeman qui crée une unité de soins intensifs de chirurgie au CHUV. René Chioléro en devient le médecin chef à 36 ans. « La médecine intensive est variée, avec un suivi – parfois long – autour du malade et avec ses proches. » La reconnaissance officielle de sa spécialité a constitué l’un des grands combats de la vie du Pr René Chioléro. Citons également la mise en réseaux locaux des unités de médecine intensive – aujourd’hui bien avancée – qui lui tient particulièrement à cœur. René Chioléro s’est aussi largement investi dans la pédagogie et la recherche. Il compte quelque 200 publications à son actif et fait partie de nombreuses commissions cantonales et fédérales, notamment dans l’ éthique et le don d’organes. Au sein de SwissTransplan, il préside le Comité national du don d’organes.


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A l’évidence passionné par la spécialité qu’il a choisie, René Chioléro avoue que c’est le management qui a représenté l’aspect le plus intéressant de son activité de chef de service. Diriger 300 collaborateurs, animer des équipes, organiser l’unité, gérer les budgets, conduire les projets ( une certification qualité ISO est en cours ), constituent un savoir-faire et un savoir-être qui l’ont récemment amené à rédiger, avec deux confrères canadiens, un livre alliant théorie et pratique hospitalière. « Je me considère comme un PDG, le responsable d’une gouvernance interactive et participative avec les médecins cadres. C’est en cherchant des solutions avec eux que je me développe aussi. Je suis fier de ce que j’ai fait, je me suis attaché à montrer que pour exercer la médecine intensive, tellement liée à la mort, il faut cultiver des compétences humanistes », conclut le Pr René Chioléro.

Pour lui, la retraite sera active et « c’est un formidable challenge ». Elle aura pour cadre la maison familiale en Valais. Le développement personnel, pour les autres et pour lui-même, restera central. L’alpinisme tient aussi une grande place dans sa vie. On ne s’en étonnera pas, tant ce sport lui correspond : volonté de réussir, réflexion, maîtrise du danger, organisation autour d’un but commun et capacité à fonctionner en tant que membre d’une cordée, dans le respect du rôle et de la position des autres. Paru en juin-juillet 2009


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PASCAL CHOLLET Le Dr Pascal Chollet, généraliste à Thierrens, a choisi de nous recevoir dans sa maison à l’orée de la forêt à Ogens. Sûrement parce que cette ferme « arche de Noé » où bipèdes et quadrupèdes vivent en harmonie est un cadre qui en dit long sur sa personnalité.

Le Noé soixante-huitard « Je suis un vrai campagnard », affirme Pascal Chollet. Et un campagnard vaudois, dirons-nous, pas tant à cause de son savoureux accent du terroir mais plutôt de son sens des images insolites comme de son souci de bien raconter les choses, ce qui n’a rien à voir avec la lenteur. Tout au long de notre rencontre, le Dr Chollet émaillera ses propos de nombreuses digressions et d’anecdotes. Né en 1950 à Palézieux, fils de petits commerçants qui se montrent exigeants envers leurs trois enfants, Pascal est un élève doué qui se définit pourtant comme un « cancre performant » trouvant qu’en latin-math-spé il perd son temps ! « Pur produit de mai 68 », cultivant des intérêts éclectiques, il choisit la médecine par… amitié pour trois copains qui, comme lui, étaient attirés par cette profession aux aspects concrets et humains. Habitué à gagner des sous à gauche et à droite, il travaille dès ses études dans la petite unité polyvalente qu’était


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l’Hôpital de Châtel-St-Denis. Il passera par toute la hiérarchie hospitalière depuis le nettoyage des salles d’opération à l’assistanat, en passant par la fonction de veilleur de nuit. Fuyant la ville où il se sent isolé, il vit d’abord dans une ferme à Puidoux, premier lieu qu’il partage avec sa femme. Le jeune couple occupera ensuite une ferme un peu délabrée appartenant au conseiller fédéral Leo Schürmann.

« Nous l’avons rendue habitable et, en contrepartie, nous n’avons jamais dû payer de loyer », précise Pascal Chollet. En 1975, il finit ses études et se trouve bientôt à la tête d’une petite famille composée non seulement de deux enfants mais aussi de chèvres, de poules, d’un coq et d’une vache. Le choix de la médecine générale, près des gens et à la campagne de surcroît, apparaît comme évident. S’il


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avoue avoir fait « une montagne de compromis » dans sa carrière, il souligne qu’il n’a fondamentalement pas changé d’orientation. Après avoir flirté avec l’idée de rejoindre la coopérative Longo Maï, il s’installera finalement en 1979 à Thierrens, dans un cabinet qui compte aujourd’hui trois médecins et offre un demi-poste d’assistant.

DES SABOTS, DES ROUES ET UN GOUVERNAIL L’amour des animaux est au centre de la vie des Chollet. Les enfants ont hérité de ce goût, notamment pour les poneys et les chevaux ; ils participent à des concours en Suisse et même en Europe. Plus tard, le Dr Chollet – en compagnie de son assistante médicale ! – pratiquera pendant une dizaine d’années le sport d’attelage à deux chevaux et sera deux fois médaillé de bronze au niveau national. « On a eu dix à douze chevaux ici et nous avons sillonné tout le pays pendant bien des années », précise le Dr Chollet dont la vie familiale s’est organisée autour de cette passion jusqu’en 2000. Le temps est alors venu pour Pascal Chollet de reprendre la moto qui,

sous une forme ou une autre, l’a accompagné depuis son adolescence. Son plaisir n’exclut pas l’esprit de compétition, par exemple sur un circuit avec Jacques Cornu. A plusieurs reprises, il évoque son amitié quasi gémellaire avec le Dr Jean-Dominique Lavanchy qui entraîne les Chollet sous et sur les flots : un brevet de plongée dans les eaux chaudes est suivi de plusieurs croisières, y compris jusqu’au Groenland. « Et dire que ma femme et moi n’étions montés que sur des bateaux amarrés au port pour déguster une fondue ! » raconte Pascal Chollet goguenard mais au fond assez fier de cet exploit dont il a particulièrement aimé l’aspect humain et relationnel. Une aventure qui continue d’ailleurs. Aujourd’hui, une nouvelle activité occupe grandement le Dr Chollet : ses quatre petits-enfants qui vivent dans la maison jouxtant la sienne. « J’ai toujours dit que je serai un grand-père professionnel », affirme-t-il. Pas étonnant de la part d’un homme qui a privilégié la famille et qui ne fait rien en dilettante ! Paru en juin-juillet 2013


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CHRISTIAN DANTHE Polymorphe, le qualificatif vient du Dr Christian Danthe lui-même : généraliste à Vallorbe, il est à la fois scientifique, humaniste, céramiste et vidéaste. Sa vie tourne autour de la philosophie, du questionnement, du paradoxe. Un besoin fondamental qui trouve ses sources dans l’enfance et se nourrit parfois d’amusement intellectuel, mais surtout du travail de la matière.

Le médecin polymorphe Christian Danthe naît en 1943 à Prilly, dernier enfant d’une famille chrétienne. Son père, ouvrier potier, vient de se reconvertir à la maçonnerie. Les difficultés de l’époque et la religion lui donnent des valeurs et une structure. Pourtant, se souvient-il, des questions existentielles le préoccupent dès l’âge de quatre ans. Enfant qu’on qualifierait aujourd’hui à haut potentiel, il vit entouré d’affection mais aussi dans un certain décalage. Dyslexique et très manuel, il essuie des échecs scolaires. Son regard sur cette enfance, marquée par une grande difficulté à mettre les choses ensemble, est toutefois plein de tendresse. Malgré « une faille fondamentale », Christian Danthe progresse et s’inscrit à l’Université de Lausanne. Il choisit la médecine, attiré notamment par de longues études qui l’aideront à surmonter « son immaturité et sa fragilité ». Il se marie pendant cette période et ses


enfants naissent dans les années suivantes. En 1977, le jeune docteur s’installe comme généraliste, au sens le plus large du terme, dans une région qui lui convient parfaitement.

VERS LA PHILOSOPHIE, EN PASSANT PAR LA MATIÈRE Dans l’exercice quotidien de la médecine, le Dr Danthe s’est toujours senti intellectuellement bien armé mais se retrouve vite émotionnellement accablé par la souffrance humaine. Il cherche alors à renouer avec la matière et la tradition familiale en devenant céramiste : un nouvel équilibre et un deuxième métier auquel il se consacre avec passion. Il côtoie de grands artistes et participe aux idées révolutionnaires qui agitent le milieu des arts à l’époque. S’il passe encore l’essentiel de ses loisirs dans son atelier d’Orbe, il pense aujourd’hui à « quitter cet art du feu pour aller vers d’autres expressions ».


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La philosophie reste le centre de sa vie. A travers son travail de l’argile, il a trouvé une certitude essentielle : « on ne triche pas avec la matière ». Ce constat, qui sert de base à son approche foncièrement matérialiste, constitue paradoxalement aussi une piste de réponse à ses interrogations, voire à ses angoisses. Soucieux d’inscrire sa pensée dans la réalité sociologique dans laquelle il évolue, Christian Danthe s’est aussi longtemps engagé dans la vie de sa commune. En 1998, à la faveur des rencontres qui jalonnent son existence, il crée les premiers Cafés philo à Vallorbe. Cinq ans après, il initie les Rendez-vous de Vallorbe, cycles de conférences à thèmes. Actuellement, il organise des séminaires de réflexions. Le prochain sera consacré aux « Jardiniers de la paupérisation » et se déroulera en septembre 2006.

OÙ RESSENTEZ-VOUS CE QUI VOUS FAIT SOUFFRIR ? Sans cesse, le Dr Danthe avance et poursuit sa quête d’efficacité. Aujourd’hui, il pratique l’hypnose eriksonnienne et débusque les ressources de ses patients. « Je travaille avec eux la présence mouvante de la souffrance vers un soulagement et non sur la représentation de la douleur, allant toujours plus près du concret, de la matière. En agissant ainsi, je ne renie en rien la médecine des faits et des preuves. Une consultation est une œuvre d’art dans laquelle différents cadres s’harmonisent. » Pour Christian Danthe, la retraite n’existe pas, « c’est une invention marxiste pour ceux que le travail aliène, moi il me libère ». Il continuera à progresser dans la réconciliation de l’être dans l’unité qui, pour lui, se trouve probablement dans la virtualité, là où fusionnent l’essence et l’existence. Mais, ça… c’est une autre histoire. Paru en août-septembre 2006


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ALAIN DEPEURSINGE Urologue lausannois, ancien membre du Comité de la SVM, le Dr Alain Depeursinge, 63 ans, est aujourd’hui viticulteur à Pignans dans le Var. Histoire de deux réussites, à l’écoute et dans le respect des patients comme de la nature.

D’Hippocrate à Dionysos Les racines du Dr Depeursinge sont terriennes : du côté de sa mère, on est négociants en vins depuis plusieurs générations, et son père, par ailleurs employé de banque, possède des vignes à Cully. Un grand-père jardinier et des vacances chez un cousin à la campagne enrichissent aussi l’enfance du petit Alain. A la recherche de rapports humains – un leitmotiv dans sa trajectoire – il choisit d’étudier la médecine. « Adolescent, j’ai été malade et mes rapports avec les médecins ont été difficiles. Une expérience marquante qui m’a appris l’importance de l’écoute ; j’ai aussi découvert que l’essentiel n’est pas que le médecin ait raison ! » C’est pendant ses stages dans les divers services du CHUV qu’il se passionne réellement pour son métier, plus particulièrement grâce au Pr Willy von Niederhäusern, patron de l’urologie. « Personnalité d’une richesse exceptionnelle, il a été, et il reste, mon maître. Avec lui, j’ai appris le respect du métier et le relais du savoir que chacun complète ensuite


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par sa propre expérience. » Et le Dr Depeursinge, homme de convictions mais pas de certitudes, d’ajouter : « Ai-je su, à mon tour, transmettre aussi bien mes connaissances ? » Devenu urologue, il ouvre son cabinet à Lausanne, reste médecin-adjoint au CHUV et opère aussi à l’Hôpital de Payerne. Il réunit ainsi les principes qui semblent l’avoir toujours guidé : respect des besoins de ses patients et sauvegarde de sa propre liberté. Membre pendant huit ans du Comité de la SVM, il se consacre aux litiges entre patients et médecins ainsi qu’aux intérêts des médecins travaillant en clinique privée. Il note en souriant « que les pires ennemis des médecins, ce sont eux-mêmes ! Mais que c’est aussi vrai chez les viticulteurs. »

UNE RECONVERSION PROGRAMMÉE Très tôt, le Dr Depeursinge s’interroge sur la manière dont il pourra continuer à exercer un métier qu’il adore et qui l’occupe « à 300 % » ; il sait qu’un jour il orientera sa vie vers une autre direction. En attendant, suivant son goût pour la terre

et la viticulture, il fréquente des cours du soir d’œnologie. En 1995, les enfants étant élevés, le couple Depeursinge peut concrétiser son nouveau projet de vie et acquiert un magnifique domaine de 25 ha de vignes dans le Var ; il l’exploite avec un associé et y passe quelques mois par année. Quatre ans après, c’est le grand saut :


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Alain et Catherine Depeursinge s’installent définitivement en Provence, désormais seuls à la tête du Domaine de la Cressonnière. « Pas toujours encouragé par mon entourage, je me suis bien sûr posé des questions sur mes chances de succès. Mais je pense aussi que si elle ne vous paralyse pas, la peur est salutaire. » En effet, après des débuts difficiles et douze ans de dur labeur, les six cuvées de la Cressonnière (rouges, rosés et blancs) figurent parmi les meilleurs Côtes de Provence, surtout le vin rouge, plus rare dans cette région. Alain Depeursinge pense avoir réussi grâce à deux atouts principaux : sa bonne connaissance des vins du monde entier et… la médecine ! « La vigne est aussi un organisme vivant auquel on ne peut pas simplement appliquer un schéma pour la développer. Il faut la suivre, voir comment elle évolue, comment on peut l’aider. Il faut être en contact avec elle, la toucher et savoir s’accommoder de ce qui nous échappe. » S’ils reviennent plusieurs fois par année en Suisse – notamment pour vendre une partie de leur production – les Depeursinge sont heureux en Provence. Parfaitement intégrés dans leur village et parmi les autres viticulteurs, ils travaillent avec trois collaborateurs permanents. Toujours en mouvement, Alain Depeursinge pense à l’avenir et continue à s’interroger : « Arriverai-je un jour à vivre sans m’agiter sans cesse ? C’est ce défi-là, peut-être le plus difficile de ma vie, qu’il me reste à relever. » Paru en octobre 2006

Pour en savoir plus sur Le Domaine de la Cressonnière : www.cressonniere.com


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URS EIHOLZER Conscient de ses talents, conscient d’être une personnalité qui sort du lot, le Dr Urs Eiholzer, pédiatre et endocrinologue, parle de ses succès avec un plaisir évident. Pourtant on sent aussi une pointe d’interrogation dans ses propos, comme s’il s’étonnait encore, à 60 ans, d’avoir si bien réussi.

« Un créatif qu’on essaie de trop cadrer devient destructeur » Le Dr Urs Eiholzer a étudié à Bâle où il est né dans une famille d’enseignants humanistes et cultivés. Il a choisi la médecine car « elle fonctionne selon une hiérarchie et que cela me convenait bien, sûrement parce que toute ma vie a été marquée par la recherche d’un père », confie-t-il d’emblée. Son enfance agitée, son besoin vital de se trouver, de se réaliser et de prendre une revanche semblent constituer les fils rouges de son existence. Urs Eiholzer revient à plusieurs reprises sur ces thèmes, avec un mélange de franc-parler et de pudeur ; il évoque aussi ses dix ans de psychanalyse commencée en Suisse romande.


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LA PARENTHÈSE DISQUE D’OR Amoureux de la navigation, il saisit une occasion unique qui s’offre à lui en 1978, alors qu’il est à quelques mois de son examen final de médecine : faire partie de l’équipage de Pierre Fehlmann sur Disque d’Or, dans la Course autour du monde. Entre l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, il vivra 34 jours « grandioses ». Mais aussi des moments de solitude « consacrés

à lire Hölderlin et à fantasmer », avoue Urs Eiholzer, isolé sur ce bateau à cause de son manque de maîtrise, à l’époque, de la langue française. Il revient de ce périple secoué, un peu perdu, déprimé, « même si nous avons été accueillis comme des stars », se souvient-il.

LE SPÉCIALISTE CONFIRMÉ Urs Eiholzer poursuit sa formation, entre en pédiatrie un peu par


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hasard et passe notamment trois ans au CHUV, dans le service du Pr Emile Gautier qu’il considère comme son père en médecine. Il se tourne ensuite vers Zurich, « La Mecque de la pédiatrie à l’époque », respectivement le service d’endocrinologie pédiatrique des Prs Prader et Zachmann. Il trouve là sa voie véritable, la spécialité où il se développe et excelle rapidement. Pourtant, après avoir obtenu son FMH, il se trouve poliment renvoyé du Kinderspital. « Il est certain que ma créativité, d’abord saluée, a ensuite gêné. Or, un créatif qu’on essaie de trop cadrer devient destructeur », précise Urs Eiholzer qui s’est heurté à cet obstacle plusieurs fois dans sa vie. Formé aussi à la médecine psychosomatique et psychosociale, il ouvre alors un cabinet privé. En 1987, il crée le Centre d’endocrinologie pédiatrique de Zurich (www. pezz.ch), probablement le succès le plus éclatant de sa carrière. Dans ce centre privé, la recherche est financée par des mécènes, ce dont le Dr Eiholzer est légitimement fier. Le PEZZ est peu à peu devenu un institut phare reconnu en Europe et accueille aujourd’hui 1 500 patients par an. La notoriété du Dr Eiholzer vient essentiellement de ses travaux et de sa pratique qu’il consacre au

syndrome Prader-Willi. Auteur de nombreux articles et publications, souvent sollicité par les médias, il est nommé professeur à l’Université de Zurich en 2002. Le lien du Dr Eiholzer avec la Suisse romande reste vivant puisqu’il a retravaillé quelques années à temps partiel au CHUV et partage actuellement, un jour par mois, le cabinet du Dr P.-O. Rosselet à Lausanne. Il évoque avec affection le Jura, la Venoge et bien sûr le Léman, la navigation à voile restant son sport favori. Une activité qu’il pratique en famille et dont il immortalise quelques souvenirs à travers ses aquarelles. Volubile, Urs Eiholzer pratique une franchise extrême, quitte à déplaire : « Je polarise les opinions », affirme-t-il, peut-être avec un brin de provocation. Il a su s’affranchir de conventions qu’il estime inutiles et donne l’impression d’être un homme libre, continuellement en mouvement. Resté fidèle à luimême, il est aujourd’hui devenu le « père » de ceux avec qui il travaille. Paru en décembre 2011


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JEAN-CHARLES ESTOPPEY L’homme est ponctuel, pressé et précis. On sent que des tâches urgentes et diverses l’attendent. Médecin généraliste à 60 % et vigneron à 40 %, sa vie professionnelle sort en effet de l’ordinaire. Et cela dans une région qui vient d’être classée dans le Patrimoine mondial de l’Unesco, une tribune médiatique dont le Dr Estoppey et les vignerons de Lavaux attendent beaucoup.

L’équilibre dans la diversité Né en 1952, Jean-Charles Estoppey a toujours vécu à Lavaux. Il est issu d’une famille qui ne comptait ni vignerons, ni médecins. Son rapport étroit à la vigne commence au moment de son mariage avec la fille d’un viticulteur. « J’ai pu, dès l’âge de vingt ans, travailler sur les terres de mon beau-père qui m’a petit à petit enseigné les rudiments du métier. » Sa vocation de médecin généraliste est ancienne, guidée par le Dr Jean-Jacques Prahin, dont la vision de renouveau de cette spécialité l’inspire tout particulièrement. En 1983, le Dr Estoppey ouvre son cabinet à Cully. « Dix ans plus tard, j’étais, comme tant de mes confrères, au bord du burn-out. » Il saisit alors avec bonheur la chance qui lui est offerte : son beau-père prend une retraite partielle et met en location un hectare de son domaine de Lutry. Jean-Charles Estoppey


décide de s’en occuper. Pour le cabinet, il trouve aussi une solution idéale en le partageant avec la Dresse Angela Cottier, jeune mère à ce moment-là et ravie de cette formule. « Depuis quinze ans, nous vivons une collaboration sans conflits ni divergences de vue. On se remplace mutuellement dans le total respect du travail de l’autre. »

« BONNES-VIGNES », LES BIEN NOMMÉES A la retraite complète de son beau-père, le Dr Estoppey reprend l’exploitation des trois hectares du domaine familial des « BonnesVignes », ainsi inscrites au cadastre depuis le XVIIIe siècle. Il introduit de nouvelles façons de cultiver en y intégrant des notions écologiques. A ce propos, le Dr Estoppey tire un parallèle entre ses deux pôles d’activité en comparant les erreurs commises avec l’utilisation trop


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systématique des antibiotiques et les « bêtises faites dans la viticulture jusque dans les années 90. Depuis, notre démarche est devenue cohérente, scientifique et fondée. La production intégrée et les techniques culturales sont aujourd’hui très largement inspirées par la biodiversité et par son maintien. » En collaboration avec l’œnologue de la cave à laquelle il livre ses raisins, la Viticole de Lutry, Jean-Charles Estoppey a inscrit la production dans des objectifs à long terme, tels la limitation de production, la diversification, la concentration sur le haut de gamme et le positionnement de l’image par un marketing bien ciblé. Il préside la Viticole de Lutry * depuis plusieurs années ; avec ses collaborateurs, il est aujourd’hui en voie d’atteindre ses buts ambitieux. Une galerie d’art – dont s’occupe Françoise Estoppey-Burnier – apporte une animation inattendue aux locaux de stockage. Parmi les artistes exposés, le Dr Estoppey cite les peintres Walter Mafli et Mario Masini ainsi que les photographes Régis Colombo, Fariba de Francesco, bien connue des membres de la SVM, et actuellement Clio Cherpillod. * www.viticole-de-lutry.com

ET SI C’ÉTAIT À REFAIRE ? Aucun regret pour le Dr Estoppey concernant ses choix de vie. Il se sent privilégié de pouvoir aussi se consacrer à sa famille, de pratiquer la planche à voile, le vélo et même, depuis peu, de piloter un avion. Il a également le temps de s’occuper de toxicomanes, de médecine scolaire et, au sein du Conseil communal, des finances de Cully. La viticulture, qui traverse une période difficile, reste sa grande passion. « Nous travaillons à améliorer le fonctionnement de la Cave, de façon à retrouver une bonne rémunération pour le vigneron. Si nous cherchons à sortir des sentiers battus, je suis sûr qu’on peut écouler notre production en Suisse d’abord où nous devons augmenter notre notoriété et optimiser ce marché par des produits de qualité élevée. Heureusement, la récolte 2007 est excellente, et de façon inespérée ! Le mois de septembre ensoleillé et la bise ont accéléré la maturation du raisin qui était parfaite au moment des vendanges. » Paru en novembre 2007


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DR

JEAN-PIERRE FEIHL A 87 ans, le Dr Jean-Pierre Feihl parle avec calme et presque du détachement de sa vie et de sa longue expérience de médecin de campagne. Son intérêt pour la philosophie zen n’est certainement pas étranger à cette attitude.

« Je suis resté un rêveur » Né à Moudon en 1918, le Dr Feihl est le fils du pharmacien local dont l’officine occupe le rez-de-chaussée de la maison datant du milieu du XIXe siècle dans laquelle il vit toujours et qui a aussi abrité son cabinet. Le Moudon de l’enfance du Dr Feihl est une bourgade où tout le monde se connaît. L’image, probablement idéalisée, du médecin de campagne a influencé le jeune Jean-Pierre Feihl dans le choix de son métier. Enraciné dans sa région (il parle encore le patois), il s’en est évadé par des voyages, mais surtout par l’esprit, « je suis resté un rêveur enraciné dans le réel ». Le parcours du Dr Feihl – comme celui de ses contemporains – est fortement marqué par la deuxième guerre mondiale. « En 1939, nous nous partagions entre les cours, les stages et la mob ! Nos professeurs, mobilisés à l’hôpital cantonal, enseignaient le soir. Nos rapports avec eux étaient teintés d’une sorte de convivialité, nous étions peu et nos professeurs nous connaissaient bien. Une situation difficilement



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imaginable aujourd’hui où les professeurs sont entourés de plus de cent étudiants ! » Après trois ans de médecine générale à l’Hôpital des Bourgeois de Fribourg, le Dr Feihl ouvre son cabinet en 1945.

UNE VIE DONT LE CENTRE EST L’EXERCICE DE LA MÉDECINE Le métier de médecin de campagne est une affaire de famille, sept jours sur sept et sans limites d’horaires : visites à domicile, de jour comme de nuit, parfois de la chirurgie, interventions que le Dr Feihl laisse plutôt à ses deux confrères de la région. Ce qui ne l’empêchera pas d’accoucher, à domicile, sa femme de leurs quatre enfants. Comme toutes les épouses de médecins d’alors, Madame Feihl se charge de l’administration du cabinet et participe étroitement à la vie professionnelle de son mari. « J’ai perdu ma femme lorsque j’étais encore actif et ce partenariat dans le travail m’a aussi manqué. »

UNE EXTRÊME PUDEUR Le Dr Feihl a, parmi ses confrères, la réputation d’être un érudit. « C’est une rumeur ! » nous dit-il, ce que sa vaste bibliothèque semble pourtant démentir… Avec modestie et pudeur, le Dr Feihl raconte quand même son amour profond de la


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musique classique – de Bach aux romantiques – et évoque ses lectures, notamment la correspondance complète de Sénèque à son élève qu’il consulte régulièrement. « Je n’aime pas parler de ce qui m’est intime, sachez toutefois qu’à la quarantaine j’ai traversé une crise existentielle. Après avoir lu quelques ouvrages d’introduction au zen, j’ai fait une rencontre capitale : celle d’une femme qui est devenue mon guide spirituel, ma seconde mère. Le travail que j’ai effectué avec elle m’a permis de m’en sortir et m’a aiguillé vers la philosophie zen. Je suis entré dans l’Orient par plusieurs lectures et rencontres, mais essentiellement à travers l’historien René Grousset et les savants orientalistes de sa génération. » Le zen accompagne le Dr Feihl en tout temps et dans tous les gestes quotidiens. « C’est une manière d’être et c’est devenu mon art de vivre. On ne peut approcher le zen que par une personne qui sait et qui vous guide pour faire le vide et se remplir de l’essentiel. Et ce chemin est sans fin… »

Les yeux du Dr Feihl se voilent d’émotion. Nous n’en saurons pas plus. Paru en décembre 2005


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PR

JEAN-CLAUDE GIVEL Après 37 années au CHUV, le Pr Jean-Claude Givel continue son activité au sein d’un cabinet de spécialistes en chirurgie viscérale qu’il partage avec un jeune confrère. Comme de tout temps, cet esthète se ressource dans le culte de la beauté qui lui redonne de l’énergie.

L’action et la passion Jean-Claude Givel raconte qu’adolescent il rêvait de devenir paysan, mais qu’à une époque où « l’on obéissait à son père » il a quand même passé sa maturité. Caressant l’idée d’une carrière d’ingénieur agronome, il commence finalement des études de vétérinaire. Les amitiés nouées au cours de la première année en Faculté de médecine l’incitent pourtant à continuer dans cette voie, afin d’exercer un jour comme médecin de campagne. « C’est ainsi au fil de plusieurs détours qu’est née ma vocation pour la médecine humaine ! » précise-t-il en souriant. Il optera in fine pour la chirurgie « allumé par mon Maître, le Pr Saegesser, un tout grand bonhomme ». Au début des années 80, son cursus post-grade le conduit en Angleterre, où il vit l’expérience formatrice « d’une nouvelle dimension intellectuelle, technique, culturelle et humaine ». Professeur avant sa cinquantième année, il exercera au CHUV jusqu’à sa retraite en août 2011.


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Quand on l’écoute parler de ses patients inconnus ou célèbres, on ne s’étonnera pas d’apprendre qu’ouvrir, à 65 ans, un cabinet répond à son besoin de « retourner au chevet des malades », dont certains lui sont d’ailleurs fidèles depuis de nombreuses années. Il faut aussi savoir que son envie de transmettre, de partager et « de rester le maillon d’une chaîne » demeure intacte. Le Pr Givel poursuit encore d’autres activités et engagements qui lui tiennent à cœur, parmi lesquels sa fonction de Secrétaire général de la Société internationale de chirurgie. Sensible à la culture sous toutes ses formes depuis sa jeunesse, le Pr Givel précise qu’il a eu la chance de la découvrir au sein de sa famille. Les arts plastiques restent son domaine de prédilection. Jeune homme, il suit de près les achats de tableaux que son père effectue, commence à les influencer puis constitue peu à peu sa propre collection.


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Marius Borgeaud devient très tôt l’un de ses peintres favoris et il préside aujourd’hui encore l’Association des Amis de cet artiste. Parmi les dieux de son Olympe pictural, on trouve Félix Vallotton ( dont le Pr Givel rappelle qu’on connaît mal la dimension polymorphe de l’œuvre ) mais aussi la famille Giacometti dont le dernier descendant vient de disparaître à Zurich. Il regrette seulement de n’avoir pas pu en rencontrer le membre le plus célèbre, Alberto. « Gratifié d’une bonne résistance physique », curieux sans être superficiel, le Pr Givel a toujours aimé cumuler activités et intérêts. Il a ainsi su mettre à profit ses déplacements professionnels pour vivre intensément d’enrichissantes rencontres artistiques et humaines. « La beauté de la machine humaine », comme il l’affirme, l’a aussi forcément fasciné. La personnalité et l’œuvre de Maurice Béjart le marquent immédiatement, dès leur rencontre, d’abord professionnelle puis personnelle. Aujourd’hui président de la Fondation BBL, Jean-Claude Givel confie : « Au-delà de la magie de leur art, le drame individuel des danseurs me touche. Depuis l’enfance, ils souffrent le martyre,

leur carrière s’arrête à 40 ans avec un corps abîmé et souvent sans autres aptitudes professionnelles que la danse. » Son appui à la cause de la reconversion des danseurs trouve sa source dans ce constat. Ayant pour devise la phrase de Nietzsche, « Nul vainqueur ne croit au hasard », Jean-Claude Givel conçoit sa vie comme un livre dont il a construit et organisé les chapitres. A ce jour, il en a clos certains, en toute sérénité. Il croit que les deux forces suprêmes qui font avancer un homme dans sa vie sont l’action et la passion. « Avec le temps, la force de l’action diminue, on passe alors le relais de la conduite de cette dernière à la passion qui, elle, est intemporelle. J’ai souvent observé qu’en fin de vie, quand le corps n’est plus capable d’agir, la passion demeure. » Cette passion qui survit, serait-elle l’âme ? Paru en mai 2012


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THOMAS KROMPECHER C’est dans sa maison du Mont s/Lausanne que le Pr Thomas Krompecher, médecin légiste, nous reçoit : après une vie professionnelle bien remplie, il y entame une retraite active. Rencontre avec un homme curieux, généreux et charismatique, dont l’histoire se confond avec l’Histoire de la deuxième moitié du XXe siècle.

Médecin légiste, une autre façon d’aider « Je suis un jeune homme hongrois et un adulte suisse, mais avant tout un Européen de Lausanne », précise d’emblée le Pr Krompecher. Il naît en 1940 à Budapest où son père, professeur d’anatomie à Heidelberg, vient de s’installer après avoir quitté son poste, refusant ainsi d’être un « pion du jeu politique d’Hitler ». Le jeune Thomas, ses quatre frères et sœurs grandissent en province, sur le campus de Debrecen. La voix du Pr Krompecher se fait plus grave lorsqu’il évoque sa « jeunesse détruite par les années sombres du communisme qui nous ont privés de notre liberté de penser et d’agir, ainsi que par la chasse aux sorcières dont mon père a été victime ». Etudiant brillant, il choisit la médecine et la médecine légale par « filiation familiale » ; aujourd’hui encore, on compte pas moins de douze médecins parmi


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ses proches ! A la fin des années 60, marié à Eva, médecin elle aussi, et père de deux petits garçons, il comprend que, pour des raisons politiques, la fin de sa carrière à l’Université de Debrecen est proche. Il prend la décision de quitter, très discrètement, son pays. Les yeux du Pr Krompecher brillent d’une lumière particulière quand il évoque la manière dont il s’est joué de l’administration communiste pour obtenir un visa familial en vue de… passer des vacances de ski en Suisse. Il travaillera en pathologie, avec le Pr Gardiol, puis en médecine légale, à Genève, avec le Pr Bernheim. En 1980, il entre à l’Institut de médecine légale à Lausanne. Chef de l’Unité de pathologie forensique, spécialiste de la rigidité cadavérique, il aura formé des étudiants en médecine et en droit pendant 25 ans.

FORMATION, EXPÉRIENCE ET INTUITION « Je suis un médecin légiste pratiquant », note le Pr Thomas Krompecher, avec le mélange de sérieux et d’humour décalé qui colore ses propos. Il dit devoir sa carrière et sa renommée internationale à la qualité de sa formation de base, notamment en pathologie, et à son expérience pratique sur le terrain. Au cours d’une autopsie, il peut ainsi se concentrer sur l’essentiel, observer, laisser libre cours à son intuition, questionner, traquer la vérité, assembler les pièces du puzzle. « Chaque expertise est un travail collectif. Nous n’avons pas le droit de nous tromper, nous nous critiquons, nous discutons et nous contrôlons. » Des affirmations teintées du respect que le Pr Krompecher porte à autrui, ses maîtres et ses étudiants, ses pairs et ses collaborateurs.


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DES MISSIONS PRESTIGIEUSES ET MÉDIATISÉES La spécialité du Pr Krompecher est « une médecine fascinante et humaine ». Il aime le jeu intellectuel qu’elle induit ainsi que la collaboration avec les enquêteurs. Ses victoires ? Contribuer à mettre un être malfaisant à l’écart de la société mais surtout aider. Par exemple, les familles en établissant l’identité de leurs morts pour qu’ils puissent accomplir leur deuil. Parmi les affaires auxquelles le Pr Krompecher a participé, citons celle du sadique de Romont ( c’est

lui qui a établi le lien entre les crimes ), ainsi que les catastrophes aériennes de Madrid, de Lockerbie, du Mont St-Odile qui ont fait plusieurs centaines de victimes. Il s’exprimera souvent devant la presse notamment dans l’affaire des adeptes du Temple Solaire, événements qui ont vu pour la première fois l’utilisation de l’ADN à grande échelle. « Notre présence dans les médias a aidé l’enquête. J’ai pris plaisir à faire mieux connaître la médecine légale et à donner d’elle l’image d’une médecine qui fait du bien. » Le Pr Krompecher sera aussi appelé pour être l’un des conseillers-superviseurs en Bosnie-Herzégovine en 1999. Une mission, toujours en cours, pour connaître la vérité et identifier les victimes du nettoyage ethnique. Aujourd’hui, le Pr Krompecher poursuit un travail de recherche, assume divers mandats internationaux, rénove sa maison, continue à se passionner pour la photo, profite des plaisirs de la montagne et cultive l’art d’être grand-père. « Ma vie a été faite d’heures de bonheur et de malheur, mais comme l’horloge de la Palud, je ne me souviens que des belles heures. » Paru en janvier-février 2007


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PIERRE-HENRI LERESCHE Le Dr Pierre-Henri Leresche nous reçoit dans son cabinet qu’il partage avec trois collègues situé au pied du Château de St-Prex. Un lieu calme, discret et accueillant, à l’image de son occupant.


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Echecs et… med ! Né en 1957, Pierre-Henri Leresche passe sa jeunesse à Crissier. Si son père vétérinaire rêve de le voir embrasser la même profession, il ne nourrit qu’une passion depuis l’âge de dix ans : les échecs, activité où il excelle et dont il dit être « devenu enragé ». Il participera à des compétitions pendant une dizaine d’années, gagnera le tournoi des écoliers romands et tessinois à seize ans. Un souvenir qu’il évoque manifestement avec plaisir car la finale s’est jouée à Reykjavik sur l’échiquier où s’était disputée la partie fort médiatisée entre Fischer et Spassky. Son vingtième anniversaire mettant fin à sa carrière de junior, Pierre-Henri Leresche, étudiant de première année en médecine, choisit ce moment pour renoncer définitivement à devenir joueur professionnel. « Mon naturel curieux et mon envie d’approches globales m’ont d’emblée orienté vers la médecine générale », raconte-t-il. Après les stages et une thèse sur la maladie d’Alzheimer, il part, avec sa jeune épouse et leur premier bébé, travailler au Lesotho en 1989. Envoyé par SolidarMed, le Dr Leresche vit une expérience marquante et généraliste au sens le plus strict du terme, comme tous ceux qui ont pratiqué la médecine hospitalière en Afrique. A son retour en Suisse, il accepte un remplacement en tant que médecin du travail à Lausanne. Une branche qui le captive et il finit par rester à ce poste puis par décrocher un deuxième FMH dans cette spécialité. En octobre 92, il ouvre son cabinet – devenu de groupe – à St-Prex. Il continue en parallèle la médecine du travail et la médecine scolaire. Ajoutons qu’en 2003 le Dr Leresche a consacré trois mois sabbatiques à se pencher sur « notre société malade », en partant de l’hypothèse qu’il s’agit d’une toxicomanie ( dont le toxique addictogène est l’argent ). Cette réflexion a débouché sur une conférence au CHUV et c’est un sujet qui reste pour lui un thème de préoccupation et d’intérêt.


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En 1997, à la création de l’Association Entrée de Secours * à Morges, le Dr Pierre-Henri Leresche en devient, avec deux consœurs, le médecin consultant. Son engagement ( aujourd’hui deux demi-jours par mois ) dans ce centre ambulatoire offrant des prestations sociales et médicales aux personnes toxicodépendantes et à leurs proches est motivé par la nécessité de leur prise en charge spécifique. « J’étais moimême assez dépourvu face à eux. Je me suis non seulement passionné mais aussi formé. » Aujourd’hui, il avoue se sentir à l’aise avec les patients souffrant de toxicodépendance ( ne parlez pas de toxicos, le Dr Leresche insiste pour qu’on ne confonde pas le malade avec sa pathologie ! ) auxquels il est attaché. Il trouve la relation avec eux « peu stressante ; en effet, lors d’une prise en charge adéquate, ils apprécient qu’on les comprenne sans les juger. Une majorité d’entre eux s’améliore et continue à vivre avec la fragilité propre à tout malade chronique. » Le contact avec ces patients apporte au Dr Leresche la diversité qu’il aime : un microcosme fait de sans-abri comme de patrons d’entreprises, avec toutes les pathologies et les sous-pathologies psychiatriques. Entrée de Secours, à l’instar des autres centres nés en même temps, a contribué à diminuer la délinquance, la mortalité et la morbidité. Il a facilité le travail des médecins, notamment celui des médecins et des pharmaciens de garde, et apporté une aide concrète aux patients et à leurs familles. Pierre-Henri Leresche joue maintenant rarement aux échecs. Il confie toutefois que son expérience de joueur l’a beaucoup aidé dans la stratégie thérapeutique et relationnelle avec le patient. Paru en mars-avril 2011

* www.entree-de-secours.ch


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FRANÇOIS PELLET Dire que le Dr François Pellet, « interniste d’ensemble » retraité depuis 2007, est un homme aux intérêts multiples tient de l’euphémisme. Il sait pourtant rester zen puisqu’il a vécu sereinement au centre d’un tourbillon de culture(s) dont il se délecte et qu’il partage volontiers.

L’éloge de l’éclectisme Lorsqu’on rencontre le Dr Pellet pour tenter d’esquisser son portrait, on est comme un enfant devant un rayon de jouets qui sont tous disponibles mais parmi lesquels il devra choisir. Parlera-t-on de ses diplômes de médecine suisse et américain et de son engagement aux côtés de son maître et ami, le Pr Lawrence R. Freedman, dès les premières années de lutte contre le sida ? Ou de son activité en faveur de la médecine de pointe, des soins palliatifs vaudois ou des Medical Humanities qui lui sont chers ? Irons-nous avec lui au Mali, à la suite d’Albert Jaccard, aux côtés des Dogons ou au Vietnam où il reste présent ? Evoquerons-nous les deux livres * dont il est l’auteur ou son intérêt pour les grands carrefours * 1900, les musiciens romands en quête d’identité ( Editions Slatkine, parution mars-avril 2014 ) Souvenirs autour de « La Muette » ( Editions Slatkine, parution fin 2014)


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de civilisations et la quête de l’Homme de l’Antiquité à nos jours ? Lui demanderons-nous de décrire sa passion pour la musique et la littérature, qu’illustre sa bibliothèque qui compte plusieurs milliers d’ouvrages ? Ou encore, l’écouterons-nous raconter sa consultation à Pully qui l’a notamment étroitement lié aux descendants de C.-F. Ramuz au souvenir duquel il se consacre aujourd’hui activement ? Faisons le choix d’essayer de trouver ce qui a guidé François Pellet tout au long d’une vie qu’il raconte avec un souci des détails mais toujours avec une pointe d’humour. Une vie qui a aussi été marquée par des accidents de santé et des pertes qu’il évoque pudiquement, à l’abri des volutes de son cigare.

UN MILIEU CULTIVÉ, OUVERT ET STIMULANT Né à Lausanne en 1942, d’un père commerçant et d’une mère musicienne dont la famille formée d’intellectuels cosmopolites a fortement marqué le jeune François. Les artistes célèbres que fréquentent les siens ont donné une couleur particulièrement riche à ses années de jeunesse. Heureux de grandir dans ce bouillon de culture, il travaille intensément le piano et se passionne très tôt pour l’Antiquité. Aujourd’hui encore, il relit volontiers Sophocle et Platon qui côtoient Shakespeare, Tolstoï, Céline et Proust dans son panthéon personnel. Dans sa famille où plusieurs religions cohabitent, il rencontre également la Foi, les valeurs et le sens de la solidarité qui vont fonder sa vie : « Le désir de devenir médecin est né de la réflexion chrétienne mais aussi platonicienne d’aider son prochain. Mon père désapprouvait mon choix professionnel et j’ai donc dû financer mes études », confiet-il. A la fin des années 60, auteur d’une thèse en neurologie, marié et jeune père de famille, il renonce à la possibilité de



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se perfectionner aux Etats-Unis. Il se forme en médecine interne et poursuit une belle carrière hospitalière et d’enseignant couronnée de succès jusqu’en 1978, date à laquelle il ouvrira un cabinet à Pully. « Mes années au CHUV avec le Pr L. Freedman m’ont ouvert aux méthodes américaines, ce qui m’a valu quelques inimitiés ! » précise le Dr Pellet malicieusement. Avide de s’améliorer sans cesse, il fera par la suite des séjours réguliers et formateurs aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre, ce qui lui a permis de prendre en charge dans sa consultation des cas particulièrement lourds, envoyés par des confrères qui l’ont surnommé le Doctors’ Doctor. Ce qui ne l’a pas empêché de s’engager aussi dans le Tiers-Monde, une « expérience fascinante », souligne-t-il encore.

Oui, c’est bien la passion de la science, la curiosité ainsi que l’amour des autres et des différences qui ont animé le Dr Pellet. Il a choisi de cultiver une philosophie, une éthique et des valeurs reçues en héritage. Et ce qui pourrait être pris pour une boulimie d’activités n’est que l’expression de son formidable appétit de vivre, d’être utile et de rendre heureux les gens qu’il rencontre. Paru en mars-avril 2014


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DR

GÉRARD PRALONG Quand il se décrit, le Dr Gérard Pralong, médecin chef de l’Hôpital de Lavaux depuis 2000, tire souvent des parallèles entre son métier et sa passion des vaches de la race d’Hérens.

Les reines de son cœur Passions et combats sont des termes qui définissent le parcours du Dr Gérard Pralong. La passion inhérente à l’exercice de sa profession, mais aussi à l’élevage des reines de la race d’Hérens. La direction médicale (reprise en période de crise) de l’Hôpital de Lavaux est aussi faite de combats, au même titre que ceux qui marquent la vie des reines qui lui sont chères. C’est au milieu des vignes et des abricotiers valaisans que Gérard Pralong voit le jour en 1957 dans une ferme où l’élevage de la race d’Hérens était et reste une mission transmise de génération en génération. Le choix de son métier ne s’inscrit pas dans une tradition familiale mais le Dr Pralong, confronté très tôt aux problèmes de santé et aux combats qu’ils impliquent, ne se souvient pas d’avoir voulu en exercer un autre. Ces deux passions, son métier et la race d’Hérens, supposent un travail d’équipe, une aptitude à se fixer des défis réalistes et à attendre le moment favorable


pour les relever, en réadaptation comme dans l’élevage, sans oublier la faculté de savoir perdre, de s’incliner. On comprend aussi que ce n’est pas tant de gagner qui le passionne, que les étapes et le chemin pour y arriver dans un souci d’efficience, qu’il veille cependant à ne pas confondre avec un acharnement inutile.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE Aujourd’hui, la vingtaine de vaches qui composent le troupeau des Pralong appartient à une hoirie. « Pour moi, l’élevage est une manière d’affirmer et de perpétuer notre appartenance à une terre et à nos racines », insiste Gérard Pralong. La vie du troupeau concerne toute la famille dont les membres se déplacent lorsqu’une


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vache est sur le point de vêler ou pour être de la fête si une de leurs reines remporte une victoire. Le Dr Pralong avoue être revenu régulièrement de Londres où il poursuivait sa formation pour ne manquer aucun des événements saisonniers et, probablement aussi, pour ne pas perdre le contact avec ce qui lui est essentiel. Les combats de reines organisés en plaine, au printemps et en automne, offrent aux éleveurs la possibilité de sélectionner leur bétail. Ils représentent cependant une manifestation qui tend à se commercialiser, voire à se « peopoliser ». « Ces combats de plaine sont un peu comme les congrès médicaux : on y rencontre des gens, on parle des lignées, des sélections… mais l’art authentique de l’éleveur ou du médecin s’exerce ailleurs ! » fait remarquer Gérard Pralong en souriant. Le clou de la saison, chargé d’émotions, reste l’inalpe, la montée à l’alpage à mi-juin. « On observe, concentré et silencieux, la hiérarchie se mettre en place entre les membres du troupeau ; on note les nuances du caractère des bêtes, leur loyauté, leurs potentialités et leur faculté à combattre, donc à

devenir reines. » Au côté des combattantes, on trouve les laitières et celles qu’on garde tout simplement pour leur beauté.

UNE LEÇON DE VIE QUI SE PERPÉTUE Gérard Pralong apprécie de pouvoir partager sa passion avec son fils de dix ans. Celui-ci « possède » déjà ses propres vaches qu’il suit au fil des saisons. Il expérimente les joies et les peines qui découlent de cette activité et apprend sur le terrain l’art de gagner et de perdre, ainsi que l’importance des racines, si nécessaires à la construction de la personnalité. Le Dr Pralong souhaite transmettre à son fils, tout comme à ses collègues de travail, des valeurs : l’authenticité, la loyauté, la solidarité et l’ambition du savoir-faire et du savoir-être. Paru en octobre 2009


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DRESSE

SUSANNE REYMOND GRUBER La Dresse Susanne Reymond Gruber, ophtalmologue, a ouvert son cabinet à Renens il y a plus de quinze ans. Mariée et mère de trois enfants, elle a mené de front carrière et vie familiale. Malgré les apparences, pas facile tous les jours…

« Une improvisation bien organisée » Ambiance paisible dans la villa familiale où nous avons rencontré Susanne Reymond Gruber. La pendule neuchâteloise égrène doucement les heures… « Ce n’est pas toujours ainsi, car mon fils aîné est à l’Uni et les deux cadets viennent de partir avec un copain. La maison est très vivante, nous faisons volontiers table ouverte pour les amis », fait remarquer la Dresse Reymond. Née à Küsnacht ( ZH ), fille et sœur de médecin, elle pensait se consacrer « à sauver le monde, être le Dr Schweizer au féminin ! » A l’initiative de ses parents, la jeune Susanne accomplit ses études à la Faculté de médecine de Lausanne et découvre, à dix-neuf ans, la joie d’une liberté toute neuve. « Si j’ai adoré étudier, j’ai aussi très vite réalisé que fonder une famille faisait partie de mes priorités.» La rencontre avec Olivier Reymond n’est sûrement pas étrangère à cette vision de son avenir. Jeune mariée, elle choisit l’ophtalmologie, notamment parce que l’exercice de cette spécialité lui paraît compatible avec une vie de famille. Elle négocie avec le Pr Gailloud, patron de l’Hôpital ophtalmique, une formation post-grade à mi-temps. « A cette


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50 + 50 FONT PARFOIS PLUS QUE 100…

époque, c’était tout à fait inhabituel et je dois lui rendre hommage d’avoir imposé que nous puissions, avec une collègue, nous partager le poste. » C’est au cours de sa formation que la Dresse Reymond donne naissance à Pascal (1981) et à Caroline (1985). « La rédaction de ma thèse a souvent tenu de l’acrobatie, car mes enfants n’avaient que cinq et deux ans, avec les besoins et les horaires de leur âge ! » Elle ouvre son cabinet en 1988 et, l’année d’après, naît Alain.

Depuis plus de dix-sept ans, la Dresse Reymond est à la tête de deux « entreprises », la consultation et la famille. Elle a assumé des gardes à l’hôpital, « pendant lesquelles je dormais parfois plus qu’avec les trois petits à la maison ! L’organisation de notre vie a reposé sur notre capacité à improviser et sur deux piliers : mon activité professionnelle à mi-temps et l’aide dont j’ai bénéficié. Pas seulement celle des jeunes filles au pair mais surtout celle de mon mari. La carrière qu’il a choisie lui permet notamment de rentrer ponctuellement à midi, prenant en main ce moment important de la journée. Il est vrai que ma consultation et les tâches administratives qui y sont liées dépassent un véritable mi-temps.» Si ce choix de vie lui a donné bonheur et équilibre ( « et pas mal de stress » ), Susanne Reymond – comme toute maman – s’est parfois culpabilisée de son absence de la maison. Ses enfants disent n’en avoir pas souffert, notamment parce qu’à son retour du cabinet leur mère a toujours été entièrement à leur disposition.


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Aujourd’hui, encouragée par sa famille, Susanne Reymond retrouve du temps pour elle. Elle prend des cours de piano ( « je me donne le droit d’être médiocre et de me faire plaisir » ) et chante dans le Chœur de l’Elysée, « un pur bonheur ». Engagée dans la profession, elle est candidate à la présidence du Groupement des ophtalmologues. Mélange de douceur et de détermination, de calme et d’enthousiasme, Susanne Reymond estime que son parcours est « finalement assez ordinaire ». Et elle en parle avec la sérénité d’une personne qui a le bonheur de mener la vie qu’elle a choisie. Paru en mars-avril 2005


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PATRICK-OLIVIER ROSSELET Avec le Dr Patrick-Olivier Rosselet, la SVM compte non seulement un membre engagé dans son métier d’endocrinologue et pour la profession en général, mais le sujet d’un souverain et le vice-consul d’un royaume. Et pas de n’importe lequel !

Entre tradition et dérision Dans la famille des médecins Rosselet, on demande aujourd’hui le septième, soit Patrick-Olivier. Il y eut, nous racontet-il, son illustre grand-père Alfred, physicien, pionnier de la radiologie et professeur à l’Université de Lausanne, élève de Marie Curie, Paul Langevin et Jean Becquerel. Une personnalité éminente décédée avant la naissance de PatrickOlivier Rosselet en 1953 mais dont la figure tutélaire reste manifestement présente. Il y eut également son grandoncle, son oncle, ses père, mère, sœur et aujourd’hui l’une de ses filles. Alors, devenir médecin procéderait-il d’un atavisme pour Patrick Rosselet ? « Ce fut un vrai choix mais si j’avais pris une autre voie, j’aurais eu l’impression d’être un peu à part, qu’il me manquerait quelque chose », confie-t-il. Se destinant d’abord à la neurologie, il rappelle que le Pr Franco Regli a été son maître, un homme « qui a été le seul patron qui avait à cœur que ses assistants apprennent quelque chose



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chez lui ». Après plusieurs stages en Suisse et à l’étranger, le Dr Rosselet obtient un FMH de médecine interne, spécialité endocrinologie, et se consacre plus particulièrement aux maladies thyroïdiennes. Se sentant trop indépendant pour une carrière académique, il s’installe en cabinet à Lausanne en 1986, un lieu qu’il a de tout temps partagé avec des consœurs et des confrères. Il mentionne souvent son épouse et ses trois enfants qui occupent à l’évidence une place privilégiée dans sa vie. Fourmillant d’anecdotes sur les médecins vaudois, le Dr Rosselet semble les connaître tous, probablement aussi par son engagement au sein de la SVM. Membre du Comité – et même vice-président – de 1992 à 2000, il siège depuis des années dans l’équipe de rédaction du CMV. « Les putschistes prennent toujours le pouvoir d’abord sur les médias ! » plaisante-t-il, mais peut-être pas tant que ça…

BIENVENUE DANS LE ROYAUME DE LA DÉRISION Le Dr Rosselet cultive un grand amour pour l’Italie, pour lui « le pays du miracle d’être et d’avoir été ». Un attachement qui s’est concrétisé notamment par l’achat d’une petite maison ( un dammuso ) sur l’île de Pantelleria, au sud de la Sicile. Jusque-là, rien de spécial, si ce n’est que son adresse est aussi celle du vice-consul de Patagonie ! Et ne cherchez aucune démarche rationnelle derrière ce titre prestigieux. Nous entrons là dans une dimension chère au Dr Rosselet qui aime à rappeler que ses proches le considèrent comme un sentimental qui tourne tout en dérision. C’est à la suite d’une rencontre avec l’écrivain Jean Raspail *, lui-même consul général de Patagonie, que Patrick Rosselet est devenu sujet de Sa Majesté Orélie-Antoine de Tounens 1er,


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roi de Patagonie et d’Aurcanie. Ce « roi de rêve dans un royaume imaginaire » est né de la fantaisie d’un Français qui, au milieu du XIXe siècle, a mis la main sur l’Archipel des Minquiers dans la Manche que les Patagons ont conquis à plusieurs reprises depuis la guerre des Malouines. En Patagonie, Orélie-Antoine a pu unifier momentanément les tribus indiennes avant son règne, qui n’a duré qu’un jour… Après l’achat de sa résidence secondaire à Pantelleria, le Dr Rosselet a pu prétendre au titre envié de viceconsul de Patagonie sur l’île. « C’était le but de ma vie ! » précise-t-il encore, avec le plus grand sérieux. Dans le même registre, le Dr Rosselet nous informe sur sa qualité de Commendatore della Accademia Italiana del Peperoncino ** qui œuvre depuis vingt ans en faveur d’une culture pimentée ! Pince-sans-rire un brin vieille France, Patrick Rosselet parle sur le même ton du respect des valeurs traditionnelles qui ont guidé sa vie que des fantaisies qui l’ont rendue joyeuse. Il conclut en ajoutant qu’il est également amateur de voitures anciennes, de randonnées en montage et de viticulture à Pantelleria (sûrement) et à Lutry (peut-être).

Dirons-nous au revoir Docteur, merci Monsieur le Vice-Consul ou inversement ? C’est certainement sans importance ! Paru en juin-juillet 2014

* www.jeanraspail.free.fr ** www.peperoncino.org


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HASSAN E. SAJADI Au mur du cabinet du Dr Hassan Sajadi, gynécologue et obstétricien à l’Hôpital de la Vallée de Joux au Sentier, ses diplômes : celui de médecine, délivré à Genève, et celui de spécialiste, signé par le Collège royal britannique de gynécologie.

Chiraz – Le Sentier, simple course « Mon parcours, un peu particulier il est vrai, se résume en quatre étapes. Né en Iran, j’ai effectué mes études de médecine durant les années soixante, à Genève. J’ai passé la plus grande partie de la décennie suivante à Londres où j’ai obtenu ma spécialisation. » La troisième partie de la vie professionnelle du Dr Sajadi, cette quinzaine d’années dont il parle avec un mélange de nostalgie et de fierté, se passe en Iran, à l’Université de Chiraz. Cette institution formait des gradués et des post-gradués. L’enseignement y était délivré en anglais. Elle était fréquentée par l’élite du pays. En tant que vice-recteur de la Faculté de médecine, le Dr Sajadi assume aussi des tâches administratives et de formation. « J’ai particulièrement aimé cette période de ma vie que je qualifierais d’académique, bien que parallèlement j’étais aussi chef du département de gynécologie et d’obstétrique des hôpitaux universitaires de Chiraz. Je dirigeais une équipe de quelque vingt-cinq médecins ; on effectuait


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pas moins de 3 000 accouchements par année, bien plus qu’au CHUV aujourd’hui. » Son meilleur souvenir – assorti du regret de n’avoir pas pu achever sa mission – restera certainement l’immense chantier de la réforme des études médicales, projet sur lequel il travaillait au sein d’une équipe d’une trentaine de spécialistes. « Notre but était de changer le curriculum de l’enseignement classique : nous


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voulions construire un curriculum avec des objectifs bien définis, un enseignement basé sur des cours intégrés et un système d’évaluation valorisant d’autres facultés cognitives que la simple mémoire. Car je pense qu’apprendre le métier de médecin, ce n’est pas seulement emmagasiner des données scientifiques. C’est regarder, écouter, interpréter, pondérer, analyser les signes et symptômes, et, à la fin, faire une synthèse qui mène à un diagnostic ou à un traitement. » A noter que le Dr Sajadi a écrit un article sur ce sujet dans le CMV de mai 1996. Après la révolution de 1979, l’école de médecine de Chiraz a dû cesser son activité, paralysée par les différents courants de pensée qui agitaient les étudiants. Les cours ont été interrompus pendant trois ans et le programme de réforme si cher au cœur du Dr Sajadi et de ses collègues a été abandonné. C’est alors qu’il aborde la quatrième étape de sa vie, celle du « retour » en Suisse : en vacances à Genève, le Dr Sajadi apprend que la maternité de l’Hôpital de la Vallée de Joux allait fermer, faute de disposer d’un gynécologue sur place. « J’ai tenté ma chance et, en 1989, je suis venu m’installer

ici avec ma femme et mes deux enfants qui avaient alors quatorze et huit ans. Nous avons pu rouvrir la maternité, engager des sages-femmes et j’ai repris mon activité quotidienne de gynécologue avec beaucoup de plaisir ; le calme après la tempête. » Mais le Dr Sajadi n’en avait pas fini avec les changements : suite à la réforme de la structure hospitalière vaudoise, l’activité obstétricale de l’Hôpital de la Vallée a été déplacée à l’Hôpital de St-Loup malgré la résistance acharnée de la population. « J’ai gardé mon cabinet au Sentier et je pratique l’obstétrique à St-Loup où, avec trois collègues, nous assumons la permanence pour la région. » Le Dr Sajadi songe-t-il à retourner un jour en Iran ? « Pas pour y travailler, ma vie professionnelle, comme celle de ma famille, est ici. Nous avons été accueillis chaleureusement dans cette région, nous y avons d’excellents amis et une vie sociale très active. Et puis, vous savez, l’idée que la Vallée de Joux est loin de tout est une idée… très suisse ! Nous trouvons que vivre à 50 minutes en voiture de Lausanne ou de Genève, ce n’est pas vivre isolés ! » Paru en octobre 2004


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MARC WAHLI En quittant le Dr Marc Wahli et son magnifique chalet tricentenaire à Rossinières, on s’interroge : quel portrait faire de lui ? Celui du médecin, voisin et ami de Balthus ? Celui de l’amoureux patient des bonsaïs ? De l’aérostier aventureux ou de l’amateur d’art, de nature et de méditation ? Celui du généraliste du Pays-d’Enhaut ou de l’adepte des médecines orientales ?

Du ballon au bonsaï, un parcours zen Début de parcours professionnel classique pour le Dr Marc Wahli, à Lausanne et à Genève. Il en garde le souvenir de l’enseignement de ses maîtres, les Prs Verdan, Junod et Favez. Après un séjour au Canada, le Dr Wahli s’installe dans le Pays-d’Enhaut, devenant l’un des initiateurs de la construction de l’hôpital. Petite révolution à l’époque puisque avec le Dr Yves Guisan et l’architecte Charles Kleiber – un de ses copains de gymnase – ils créent, en 1979, le premier hôpital à énergie solaire. Aujourd’hui, le Dr Wahli – 59 ans, marié et père de trois enfants adultes – se tourne de plus en plus vers la médecine chinoise. « Je ne rencontre aucun problème pour en faire comprendre les principes à mes patients car les règles de la médecine chinoise sont



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celles qui régissent la nature. Ainsi, comme il ne viendrait pas à l’idée d’un paysan du Pays-d’Enhaut de donner de l’engrais à ses arbres en hiver, il accepte très bien que je refuse de lui prescrire des vitamines en décembre ! La diététique chinoise est également proche de ce que fut, il n’y a pas si longtemps, l’alimentation des montagnards : harmonieuse et équilibrée, elle suit le cycle de la nature et le rythme des saisons. Moi-même, je me nourris en fonction de ce qui pousse dans mon jardin. »

« VOLER, C’EST ÉCOUTER MOZART » Parmi les nombreuses activités du Dr Wahli, arrêtons-nous sur le vol en ballon à air chaud. Son intérêt pour ce sport naît dans les années 70, en marge de la célèbre manifestation de Châteaud’Œx. Le Dr Wahli organise tout d’abord une exposition sur l’histoire du ballon puis une autre sur le ballon vu par des humoristes. Il devient pilote une dizaine d’années plus tard, survolant terres et eaux, sur quatre continents, en toute liberté et sérénité. A part l’aventure – « mon côté baroudeur », souligne-t-il avec un brin

de coquetterie – c’est prendre de la hauteur et voir la nature différemment qui plaît au Dr Wahli. Des souvenirs marquants ? « Le vol sur Marrakech, le premier autorisé au-dessus d’une ville impériale marocaine. Et puis New Dehli, la vallée de la Loire, notamment une descente magique sur Chambord. Ou encore une balade entre les gratte-ciels d’Ottawa. »

LES BONSAÏS, HÉRITAGE DE BALTHUS Autre maître qui a marqué durablement la vie du Dr Wahli, le peintre Balthus : il est à l’origine de sa vision actuelle de la nature et même de sa pratique professionnelle. Sans parler de sa passion pour les bonsaïs. « Si à la vue de mes dessins, Balthus m’a découragé de persévérer dans cette voie *, il m’a incité à poser un autre regard sur la nature, notamment sur les arbres. Regarde la nature, imite-la et respecte-la, me disait-il. » C’est ainsi que le Dr Wahli, en autodidacte, a commencé à mettre les arbres en pot, * Ce que semble démentir la présence remarquée des œuvres du Dr Wahli à la journée de la SVM 2003 (ndlr)


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à les apprivoiser et à les soigner avec amour deux fois par jour ( « un acte d’ordre divin » ). Rien d’artificiel ou de cruel dans les coupes qu’il effectue : les formes données aux bonsaïs existent dans la nature et si on tente de contrarier la plante elle meurt. Pour ses patients aussi, le Dr Wahli est en quête d’harmonie et de respect de leur nature. « J’écoute le patient, je me fie d’abord à ce qu’il dit et à ce que je sens en touchant l’endroit qui lui fait mal. Et tant pis si l’IRM me contredit ! Je fais de la médecine à moyen, voire à long terme. Le temps est nécessaire à la guérison. » Alors, ce portrait ? Peut-être simplement celui d’un homme en harmonie avec lui-même et son environnement, un amoureux de la vie. Paru en mai 2005



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LES HUMANITAIRES Ils aident les autres, ici et ailleurs



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PIERRE ARNOLD Granges-près-Marnand, Impasse du Coq : au bout du chemin, après l’auberge homonyme, on découvre une large bâtisse en forme de T, couleur terre de Sienne. C’est là que vit et exerce le Dr Pierre Arnold, médecin généraliste, dans une maison qu’il a construite en partie de ses mains et qu’il partage avec le Dr Pascal Duruz.

Une famille multicolore dans la Broye La vie du Dr Pierre Arnold et de sa famille reflète une sage planification qui laisse aussi de larges parts aux aventures, notamment humaines : les Arnold ont élevé cinq enfants, dont trois adoptés. Né en 1954 à Genève, Pierre Arnold a grandi dans plusieurs villes au gré des déplacements de ses parents tous deux médecins. Il finit ses études secondaires à Bienne et suit l’Université de Lausanne. Il se marie en 1977 avec MarieChristine, infirmière, sage-femme et ostéopathe. C’est pendant un stage à l’Hôpital de Payerne qu’il s’attache à la région de la Broye et choisit d’y réaliser un grand projet médico-familial : l’ouverture d’un cabinet à deux, avec le Dr Duruz, dans une maison en grande partie bâtie par euxmêmes et conçue pour la vie des deux familles ainsi que des deux consultations. Ce rêve deviendra réalité en 1988.


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UNE FAMILLE COMPOSÉE Les années entre 1980 et 1988 sont fortes en émotions et en changements pour les Arnold. Après la naissance de Joël et de Sandrine, ils décident de concrétiser un projet de vie qu’ils nourrissent depuis toujours : permettre à d’autres enfants que les leurs de grandir et de choisir leur destin. C’est ainsi qu’à fin 1984, Elizabeth, trois ans, et Ruma, sa sœur de dix-huit mois, arrivent dans la famille, venant d’un orphelinat de New Dehli en Inde. Deux ans plus tard, Uttam, un petit garçon indien de deux ans et demi, atteint de polio à une jambe, vient rejoindre le clan Arnold. L’intégration des enfants s’est passée très normalement. Bien informés et préparés à l’agrandissement de la famille, les enfants génétiques des Arnold ont accueilli leurs sœurs et frère avec joie et leur adoption – au sens strict du terme – n’a pas posé de problème. Les deux filles ont grandi et évolué harmonieusement. Pour Uttam, par contre, les choses ont été moins simples. Le Dr Arnold parle avec une retenue teintée de tristesse

mais aussi d’espoir de son fils cadet dont le parcours a été, et reste, difficile. Les trois enfants adoptés cultivent peu les liens avec leur origine, même s’ils ont tous préféré garder leur prénom de naissance. « Nous avions d’emblée décidé de ne pas retourner avec eux en Inde, les laissant libres, là aussi, de choisir. La cadette l’a fait, sous forme d’un voyage-découverte de cinq mois. » S’il souligne qu’il n’a tout naturellement fait aucune différence entre ses enfants, le Dr Arnold confie toutefois « avoir véritablement pris conscience de la parentalité avec l’arrivée des enfants adoptés, découvrant un lien qui dépasse en intensité la paternité et n’a rien à voir avec les liens du sang ». Et d’ajouter, avec fierté : « Je suis maintenant dans la période de la moisson, je les vois choisir un métier, un compagnon. Je suis même grand-père depuis quelques mois, ce qui m’incite à réduire un peu mon horaire. » Autre occupation : la rénovation, en famille, d’une maison à Gimel qui sera « celle de nos vieux jours ».


Au début de sa formation, le Dr Arnold avoue avoir eu parfois de la peine à s’extraire de la vie de médecin assistant. Puis il a appris « à être à 100 % avec le patient pendant la consultation pour ensuite lui rendre son autonomie, sans fonctionner à sa place, ni le rendre dépendant. » Cette approche ressemble à la manière dont il a éduqué ses cinq enfants : proche d’eux, il a surtout cherché à les accompagner vers leur indépendance. Le ton est pondéré, les propos sont sereins et déterminés : dans une vie dont les grandes étapes sont bien organisées, le Dr Arnold réserve une place de choix à l’accueil des différences et au respect de la liberté de chacun.

Uttam

Sandrine

Ruma

Paru en mai 2007

Joël

Elizabeth


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ARMAND COHEN Interniste et gériatre, le Dr Armand Cohen est né au Maroc. Sa famille émigre et s’installe en Suisse alors qu’il a neuf ans. En 1981, médecin en formation post-graduée, il part pour Israël avec sa jeune épouse, infirmière. Il y vit encore aujourd’hui et assume de hautes responsabilités au sein du Ministère de la Santé.


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The right man at the right place Arrivé en 1961 dans notre pays, Armand Cohen devient citoyen helvétique à dix-neuf ans et effectue son service militaire. Après ses études de médecine, il travaille deux ans dans divers services en médecine interne du CHUV. Suit une année à la policlinique médicale, « mon premier contact avec la SVM puisque j’ai participé au service de garde, ce qui a d’ailleurs probablement influencé la suite de mon activité ». En 1981, le Dr Cohen décide de terminer sa spécialisation en Israël. Un choix de vie qu’il qualifi e aujourd’hui de « sociophilosophique, en lien avec ce que j’ai vécu et fait avant ».

PIONNIER DE LA GÉRIATRIE La vie en Israël commence pour le jeune couple par des mois d’étude intensive de l’hébreu. Armand Cohen devient Aaron Cohen. En 1983, il décroche son FMH de médecine interne à l’Hôpital universitaire Hadassah à Jérusalem ; pour obtenir l’équivalence israélienne, il doit encore passer des examens puis il choisit une deuxième spécialisation. Ce sera la gériatrie, sous l’impulsion de son chef de clinique, le Pr J. Stessman. Le Dr Cohen note, avec une certaine fierté, qu’Israël a néanmoins devancé la Suisse qui n’a reconnu cette spécialisation qu’en 2000. Il suivra son mentor à l’Hôpital Herzog où ils développeront un service de gériatrie, faisant ainsi œuvre de pionniers dans ce pays qui n’a alors qu’une trentaine d’années et qui se voit confronté aux problèmes d’âge des premiers émigrants. En 1990, il initie, toujours avec le Pr Stessman, une recherche épidémiologique très large sur les personnes de plus de 70 ans. Cette étude se poursuit aujourd’hui encore, avec quelque 1 000 personnes régulièrement examinées selon un bon millier de critères; les observations faites ont déjà donné lieu à une cinquantaine de publications.


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En Israël, l’assurance maladie est obligatoire et fonctionne avec quatre caisses maladie sur le modèle des HMO. Au début des années 90, le Dr Cohen est mandaté par la plus importante d’entre d’elles pour monter un service gériatrique, respectivement un service d’hospitalisation à domicile. « Traitant maintenant des patients de tout âge, ce service auquel je suis très attaché fonctionne toujours. A ce jour, nous avons pris en charge plus de 15 000 personnes. Ce programme est un succès tant sur le plan économique qu’au niveau médical. De Jérusalem, le modèle s’étend peu à peu au reste du pays. »

NOUVEAU CAP En 2000, le Dr Cohen est appelé au Ministère de la Santé pour prendre la tête du secteur de la gériatrie du pays. Son poste – qui exclut tout engagement politique – lui permet néanmoins de garder un temps partiel à l’hôpital et de former des spécialistes. Avec une équipe de 25 personnes au Ministère et une cinquantaine sur le terrain, le Dr Cohen s’occupe essentiellement de prévisions, de stratégie et de contrôles de qualité. Signe positif pour son activité : le nouveau

ministre de la Santé, largement plébiscité par les jeunes, vient du parti des… « retraités » ! Dans sa fonction, les préoccupations du Dr Armand Cohen sont essentiellement d’ordre financier, les priorités gouvernementales faisant fluctuer son budget annuel, surtout celui des EMS qui en représente la plus grande partie. Le Dr Cohen garde un contact suivi avec notre pays puisqu’il y revient chaque année : au début pour retrouver sa famille – aujourd’hui également installée en Israël – et pour des raisons financières ( « j’étais boursier et père de quatre enfants nés pendant ma spécialisation »). Actuellement, il retrouve dans les remplacements qu’il effectue ici la pratique médicale dont ses activités au Ministère l’ont éloigné. A noter que les deux mois passés en Suisse lui tiennent aussi lieu de vacances ! Le Dr Cohen semble vivre en harmonie avec ses choix personnels et professionnels. Nul doute que sous sa sérénité couve un feu nourri de passions partagées, de convictions profondes et d’une persévérance à toute épreuve. Paru en décembre 2006


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BÉATRICE DE ROGUIN La Dresse Béatrice de Roguin a réalisé son rêve d’enfant : devenir chirurgienne. Orthopédiste, elle est aujourd’hui médecin chef à l’Hôpital de St-Loup. Elle vient de rentrer d’Afrique où elle a passé trois mois sabbatiques… très actifs.

« J’ai exporté une partie de mon savoir » « Quand je repense à mes poupées que je couvrais de bandelettes, il est clair que j’ai toujours voulu devenir chirurgienne », raconte la Dresse Béatrice de Roguin. « Il est rare pour une femme de choisir cette discipline qui est lourde, parfois très physique, et qui ne va pas sans quelques sacrifices dans sa vie privée. » C’est au cours de l’un de ses stages de médecine qu’elle a découvert l’Hôpital de St-Loup qu’elle rejoindra finalement en 1988. Entre-temps, Béatrice de Roguin aura effectué un premier séjour africain, en Afrique du Sud, où elle s’exerce à l’obstétrique en attendant une place en chirurgie orthopédique. Quand elle parle de « son » hôpital, le visage de la Dresse de Roguin s’illumine : elle en aime l’ambiance « campagnarde » et la proximité de toutes les disciplines de la médecine dans un même lieu. Très attachée à ses patients, elle a néanmoins ressenti le besoin de se prouver qu’elle


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peut vivre autrement et d’exporter une partie de son savoir, comme elle dit en souriant. Son désir de changement va être pleinement exaucé : le Lopiding Hospital dans lequel elle a travaillé d’avril à fin juin de cette année est situé à Lokichokio, tout au nord du Kenya à la frontière soudanaise. Il s’agit d’un hôpital de guerre, géré par le CICR, qui accueille essentiellement les blessés soudanais dont le pays est à feu et à sang depuis vingt ans. L’hôpital, clôturé par des fils barbelés, est installé au Kenya pour des questions de sécurité. « Dans ce lieu, on pratique une médecine à la fois sommaire et sophistiquée, j’avais l’impression d’exercer dans un hôpital de la guerre de 14 ! » Les populations nomades de cette région manquent de tout mais détiennent des armes et s’en servent : des rivalités règnent entre elles et le brigandage est quotidien. Les malades, les futures mamans et les blessés doivent parcourir de longues distances avant d’arriver, généralement infectés, à l’hôpital. Difficile, dans ces conditions, de transmettre des règles, même simples, d’hygiène et de prévention ! Pour Béatrice de Roguin, ces trois mois ont constitué un retour en arrière saisissant. « J’ai trouvé

très difficile de passer de la médecine d’ici, où nos actes sont orientés vers la qualité – voire la perfection – et où nous privilégions la relation avec le patient, à une médecine dite humanitaire mais dépersonnalisée. En fait, làbas, j’ai pratiqué une médecine mécanique, exercée dans une urgence différée et très généraliste. » Les médecins du Lopiding Hospital travaillent tous les jours et assument la garde un jour sur deux. Les opérations – en moyenne une dizaine par jour – ont lieu le matin. Mais c’est le contact avec les malades qui a le plus manqué à la Dresse de Roguin : faute de temps bien sûr – elle avait la responsabilité de 100 à 150 malades – mais aussi parce que toute communication passe par des interprètes. Installés à quelques kilomètres de l’hôpital, les médecins venus des quatre coins du monde vivent entre eux et ne se déplacent guère dans cet immense pays. A Lokichokio, on est loin du Kenya des touristes et des safaris… Dans la quiétude du manoir du XVe siècle qu’elle habite à Valeyressous-Rances, la Dresse de Roguin semble aujourd’hui bien éloignée



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de l’Afrique. Mais une certaine lueur dans ses yeux et son large sourire disent bien son amour de ce continent. « Je projette sérieusement de repartir, probablement ailleurs, et dans un hôpital où je pourrai vraiment pratiquer la chirurgie orthopédique. Cette expérience m’a aussi permis de me distancer des problèmes qui nous agitent ici. Et puis, pour moi, retourner travailler en Afrique serait une excellente manière de préparer une pré-retraite active ! » Paru en novembre 2004


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BRUNO FRAGNIÈRE Né il y a 45 ans au Libéria où son père travaillait pour Nestlé, Bruno Fragnière a grandi sur la Riviera vaudoise, avec ses quatre frères et sœurs. Installé dans son cabinet d’orthopédiste à La Tour-de-Peilz, il complète ses journées pourtant déjà bien remplies par un engagement humanitaire qu’il partage avec les siens.

« Aider les autres m’est indispensable, mais appartient à mon jardin secret » Attiré d’emblée par l’orthopédie, se sentant plus « manuel qu’intellectuel », l’entrée du Dr Bruno Fragnière en pédiatrie trouve ses sources au CHUV. Il se dirige donc tout naturellement vers l’orthopédie infantile. Il parfait son bagage par des stages en France et un « fellowship » aux Etats-Unis. A l’aube de la quarantaine, conscient qu’il se trouve sur « un tapis rouge menant vers la co-direction du service d’orthopédie pédiatrique du CHUV », le Dr Fragnière se pose des questions existentielles : pour sauvegarder son équilibre personnel, familial et professionnel, il décide de quitter l’hôpital. Il souffre du stress intense du service, n’affectionne ni les tâches administratives, ni la responsabilité d’équipes. Il a surtout un besoin qu’on sent profond et vital du contact


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avec les malades. Il a pris ce tournant sans autre regret que celui d’avoir causé une déception au Pr Michel Dutoit, son maître, dont il dit qu’il lui a tout appris, l’humanité, la conscience professionnelle et la technique. « Mon éducation m’a poussé à penser aux autres, à donner, mais je me suis dit que je devrais pouvoir aider sans me faire autant de mal », confie-t-il aujourd’hui. « En 2007, j’ai ouvert mon cabinet au centre de La Tour-de-Peilz. Je voulais une vie plus tranquille et consacrer plus de temps à mes enfants », se souvient le Dr Fragnière. Pourtant, il est très vite redevenu un homme suroccupé. Le cabinet, dont l’activité d’orthopédie générale l’enthousiasme, est saturé. Médecin agréé dans les hôpitaux de la Riviera, il aime pouvoir continuer à opérer mais aussi suivre ses patients, notamment les enfants qui lui tiennent tant à cœur et qui constituent 35 % de sa patientèle.

L’ÉQUILIBRE (RE)TROUVÉ Mais ce n’est pas tout : il y a trois ans, il accepte la proposition de son frère François, ancien mari de la championne de tennis Manuela Maleeva, de participer concrètement à un développement humanitaire de son entreprise Swissclinical. L’idée est de verser 15 % du bénéfice de cette société à une fondation qui viendrait en aide aux enfants handicapés et défavorisés en Bulgarie en améliorant leur prise en charge médicale *. « C’est dans les orphelinats et les internats que nous intervenons, notamment à Stara Zagora, une ville de 150 000 habitants. On y a rencontré des situations terribles, mais aussi des gens qui s’étaient déjà beaucoup investis pour ces enfants abandonnés, vivant, par manque d’argent, avec de graves malformations * www.fondationswissclinical.org


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année en Bulgarie, sous forme de courts séjours. Il avoue qu’il lui est parfois difficile de quitter sa femme et ses enfants mais ajoute : « Malgré cela et malgré les horreurs que je côtoie en Bulgarie, j’ai tellement de satisfactions et de retours que je ne regrette rien. Mon engagement pour ces enfants est peutêtre un acte égoïste, puisque c’est un moyen de me faire du bien ! »

orthopédiques. » L’équipe de la Fondation Swissclinical apporte des fonds mais fournit et transmet aussi un savoir-faire qui fait cruellement défaut. A noter que l’intervention personnelle du Dr Bruno Fragnière concerne plus les appareillages et les moyens auxiliaires que les opérations. Plusieurs membres du conseil de fondation sont de sa famille et ce travail d’équipe, dans lequel chacun a un rôle selon ses connaissances spécifiques, rend le Dr Fragnière manifestement heureux. Il passe 20 à 25 jours par

Dans un proche avenir, le Dr Bruno Fragnière souhaite continuer à être médecin de la Fondation Swissclinical. Il se réjouit que les fonds récoltés semblent déjà garantir que le but d’une mission à long terme va être atteint. Il pense à la relève, peut-être même à se retirer un peu. « Mais ce serait pour développer autre chose ailleurs », conclut cet incorrigible hyperactif. Paru en juin-juillet 2010


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PR

BLAISE GENTON Fils du Pr Noël Genton, le Dr Blaise Genton (55 ans) n’est pas devenu médecin par tradition familiale, les sacrifices consentis par son père l’en auraient même plutôt dissuadé. Il a pourtant trouvé une voie où il peut allier son besoin de liberté, son envie d’innover et son ouverture au monde.

Un nomade sédentaire Lausannois de souche, attaché à sa ville et au lac Léman, Blaise Genton n’a cessé de les quitter pour mieux y revenir. Le jeune Dr Genton choisira même ses stages sur l’arc lémanique pour ne pas devoir renoncer à sa passion pour la voile qu’il pratique intensément et à haut niveau. Se destinant d’abord à la psychiatrie, il affirme peu à peu son goût pour la médecine générale et quitte, pour la première mais pas la dernière fois, le parcours traditionnel d’un jeune praticien : au début des années 80, il s’engage pour le CICR, d’abord au Liban, à feu et à sang à cette époque, puis en Ouganda. A son retour, il crée, sous la houlette des Prs Darioli et Pécoud, le Centre de vaccination à César-Roux. Désireux de développer une formation compétitive en médecine tropicale, Blaise Genton part ensuite pour Londres et y décroche un master à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Il y renforce son goût pour les problèmes


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internationaux, s’engage pour une médecine qui se questionne et qui sélectionne les vraies priorités, des approches qui n’ont d’ailleurs rien perdu de leur actualité ! Son talent dans la spécialité pour laquelle il est aujourd’hui connu et reconnu – la malaria – trouve son épanouissement dans les six années suivantes en Papouasie-Nouvelle Guinée, « une belle expérience durant laquelle j’ai eu la chance de travailler aux côtés du Dr Michael Alpers qui fut mon mentor », se souvient Blaise Genton. De retour en Suisse en 1996, il est nommé à la tête du Centre de vaccination et de médecine


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des voyages de la PMU qui prend de l’ampleur et se professionnalise sous son impulsion et sa direction. Docteur ès philosophie en épidémiologie de l’Université de Bâle, il obtient son FMH de spécialiste en médecine tropicale et des voyages en 1997. Enseignant engagé, il est, depuis l’an dernier, professeur ordinaire de l’UNIL.

DE LA CONSTANCE DANS LE CHANGEMENT De 2006 à 2009, Blaise Genton concrétise à nouveau son besoin de travailler sur le terrain en suivant sa femme et rejoignant l’Ifakara Health Institute en Tanzanie, où il a pour mission l’étude des nouvelles technologies et de nouveaux traitements de la malaria en zone endémique. Aujourd’hui, il partage son temps à parts égales entre la PMU à Lausanne et l’Institut Suisse de Santé Publique et Tropicale à Bâle où il peut poursuivre son travail sur des projets d’épidémiologie dans les pays en développement, sur la malaria, sur des évaluations de l’impact des nouvelles mesures de prévention et de traitements. « Je serais un peu frustré si je ne m’occupais que des problèmes des touristes en partance pour des

pays lointains », confie le Dr Blaise Genton, qui aime cette vie toujours en mouvement le mettant en contact avec d’autres professions. Blaise Genton vit au sein d’une famille recomposée, avec six enfants de vingt et un à quatre ans. Si les postes qu’il occupe sont géographiquement éloignés, il profite des déplacements pour travailler : « Le train est mon bureau où je suis le plus performant », précise-t-il, mimalicieux, mi-sérieux. Dans une vie qui peut paraître compliquée, le maître mot, selon Blaise Genton, est l’organisation. Mais aussi la priorité qu’il donne aujourd’hui à sa vie de famille, à ses enfants à qui il a promis cinq ans de sédentarité afin qu’ils puissent créer et cultiver les racines auxquelles lui-même tient tant. Paru en février 2011


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DRESSE

DOMINIQUE GYGER La Dresse Dominique Gyger est aujourd’hui médecin chef de la chirurgie à l’Hôpital du Pays-d’Enhaut. Un retour aux sources après des années d’activité dans des régions en guerre.

« Exercer pour une ONG, ça soigne l’ego ! » L’accueil de la Dresse Dominique Gyger dans son bureau de l’Hôpital du Pays-d’Enhaut est simple et direct. Le propos est déterminé, à l’image de cette femme qui a choisi la médecine « parce qu’un psychologue me l’avait formellement déconseillé ! » Enfant de Montreux, fille de libraires, elle est la première universitaire de la famille. Elle mentionne ce fait sans fierté particulière mais souligne combien les livres – « ceux en papier, jamais de liseuse ! » – lui sont restés indispensables.

LA CHIRURGIE OUI, MAIS AILLEURS A la fin de sa formation académique à Lausanne, Dominique Gyger sait qu’elle sera chirurgienne, malgré les difficultés que cela suppose dans les années 70. Ce n’est pas le goût de se démarquer qui la guide, mais la volonté, de tout temps


nourrie, de partir exercer en terres lointaines et agitées. Elle orientera ses stages en fonction de cet objectif : elle choisira ceux qui lui permettront d’acquérir les connaissances les plus larges possibles en traumatologie, en chirurgie viscérale et pédiatrique. « Je me suis ainsi baladée un peu partout, y compris en Suisse alémanique pendant dix ans. » Elle rend au passage hommage à ceux qui l’ont formée, les Drs P. Kalfopoulos et P. Petropoulos à Fribourg puis, plus tard, le Pr Peter Buchmann à Zurich.

En 1990, elle s’engage au CICR et part en catastrophe pour l’Erythrée, réalisant pour la première fois que c’est l’Histoire qui guidera souvent son parcours de médecin pour des ONG. D’autres missions suivront, notamment pour la Fondation Albert Schweitzer à Lambaréné, au Burundi, au Gabon, en Somalie et au Rwanda. Un séjour au Cambodge la convainc moins : « J’ai eu de la peine à me faire à cette culture où on a vingt-cinq façons de sourire dont une est de pleurer ! » dit la Dresse Gyger dans un grand éclat de rire. Le séjour en


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Afghanistan dans des conditions climatiques particulièrement rudes fut le dernier et peut-être le plus marquant. Quatorze années d’une vie professionnelle et personnelle hors du commun mais néanmoins gratifiante passeront ainsi. « Quand je suis partie, je ne savais pas vraiment ce qui m’attendait. Mais j’ai trouvé génial d’utiliser tout ce que j’avais appris et de me sentir capable de trouver les gestes justes face aux situations complexes d’une chirurgie lourde, de guerre et d’urgence. Au fond, travailler dans l’humanitaire est égoïste tant c’est gratifiant pour l’ego ! » Elle souligne encore qu’elle a aimé exercer la traumatologie pure, sachant en même temps être « un spécialiste de l’être humain ». Confrontée sans cesse aux dangers immédiats, la Dresse Gyger dit ne pas avoir vraiment éprouvé de la peur, peut-être par inconscience, avoue-t-elle quand même. Et de raconter que durant un tremblement de terre dont l’épicentre se trouvait à 150 km de Kaboul, où elle travaillait, elle était la seule de l’équipe médicale à avoir dormi comme si de rien n’était !

RETOUR EN TERRES CONNUES Fin 1999, quand la Dresse Gyger revient en Suisse, elle doit mettre ses connaissances professionnelles à jour, la chirurgie par laparoscopie étant passée par là ! Durant cinq ans à Zurich, elle acquiert cette nouvelle technique tout en formant les jeunes médecins à la chirurgie ouverte. Après un poste de médecin chef à Saanen, elle accepte de prendre la succession du Dr Yves Guisan à Châteaud’Œx. Peut-être aussi une manière de revenir dans ce pays où elle a passé de nombreuses vacances dans la ferme d’une grand-tante damounaise. Elle est aujourd’hui heureuse de se retrouver en Suisse romande, au cœur de la nature dont elle ne pourrait se passer. Son poste de chef de la chirurgie la comble tout comme son rôle de médecin de famille de certains patients. Dans cinq ans, ce sera la retraite que Dominique Gyger souhaite passer à Château-d’Œx, mais pas « tranquille, à rien faire dans mon chalet ». Partir reste et restera donc à l’ordre du jour. Paru en mai 2013


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DRESSE

CATHERINE LOMIER VIRET Chez la Dresse Catherine Lomier Viret à Valeyres-Montagny, vous êtes accueilli par son lumineux sourire et… un guerrier chinois ! Pour étonnante qu’elle soit, la présence de cet imposant personnage, copie grandeur nature d’un général garde d’honneur du tombeau du Premier empereur de la dynastie des Qin (259-210 av. J.-C.), ne doit rien au hasard.

A la découverte des autres à travers ce qu’ils font La maison de Catherine Lomier Viret a des apparences de musée vivant. Le guerrier Qin à l’entrée, mais aussi les nombreux tableaux qui ornent les murs, ainsi que les mannequins vêtus d’habits richement brodés, tout témoigne de la passion des Lomier Viret pour l’art et l’artisanat de contrées lointaines. Née à Bâle, Catherine Lomier Viret a grandi et étudié à Lausanne. Son père la rêve ambassadrice, elle deviendra médecin. Sportive, elle fait partie de l’équipe suisse d’escrime et remporte, plus tard, le championnat mondial des médecins escrimeurs. Aujourd’hui, avec son mari, elle pratique la course à pied et garde un souvenir particulièrement


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L’AMOUR DE L’ART, DE L’ARTISANAT… ET DE L’ARTISAN

lumineux du marathon du Médoc, couru l’année de ses 50 ans. De son parcours professionnel, Catherine Lomier Viret retient qu’elle a longtemps exercé la médecine générale, tout en s’intéressant à la psychiatrie qu’elle trouvait « plus créative ». Au fil de la conversation, elle rend hommage au Pr Jean-Marie Matthieu, son maître de thèse en neurochimie et par ailleurs aussi brillant escrimeur.

L’approche du monde des arts remonte à l’adolescence de la Dresse Lomier Viret, entre autres grâce à un professeur de dessin qui l’a incitée à fréquenter des expositions et à mettre en mots ce qui la touchait. « J’ai même rencontré mon mari grâce à la peinture, puisqu’il était propriétaire d’une galerie lausannoise », confie-t-elle dans un grand rire. C’est à cette période qu’elle prend des leçons et se met à peindre, puis à exposer, notamment dans sa maison de Valeyres-Montagny qui a longtemps aussi servi de galerie avant d’abriter, depuis 1998, le cabinet médical. Dans le musée imaginaire de Catherine Lomier Viret, on trouve surtout de l’art abstrait et la couleur bleue. Nicolas de Staël y occupe la place privilégiée, entouré de Klee, de Van Gogh et de Soutine dont la folie créatrice l’émeut particulièrement. Catherine Lomier Viret cultive une autre passion : le textile, à l’instar peut-être de ses aïeules qui ont été actives dans la mode. Elle crée


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des vêtements que, contrairement à sa peinture, elle garde jalousement pour elle. L’intérêt pour les autres, pour l’artisanat et pour de nouveaux horizons se traduit tout naturellement pour le couple Lomier Viret par des voyages, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Vietnam et surtout en Chine, à la rencontre de peuplades primitives. La Dresse Lomier Viret parle avec respect et une certaine tendresse de ces femmes qui travaillent dur dans les rizières des contrées les plus reculées de Chine. Elle est touchée par leur talent et le soin qu’elles vouent à broder leurs habits, à décorer les objets de la vie quotidienne. Elle admire leur volonté de perpétuer une tradition malgré le peu de reconnaissance dont jouit leur précieux travail. Si l’échange avec ces femmes et ces hommes n’est pas riche en paroles, il n’en est pas moins intense : Catherine Lomier Viret sait qu’ils apprécient son intérêt sincère et le regard qu’elle porte sur leur artisanat, sur leur art. Le dialogue passe à travers les objets et à travers le secret de leur fabrication. C’est dans cet esprit qu’elle cite la plus récente de ses découvertes dans le domaine des textiles, soit la dentelle aux fuseaux, un art en

voie de disparition qu’elle est heureuse d’exercer sous la houlette d’une dentellière neuchâteloise. Plus habituée à écouter les autres qu’à parler d’elle, la Dresse Lomier Viret se confie néanmoins volontiers. Elle regarde son interlocuteur avec intensité et veille à trouver le mot juste pour raconter ce qui lui tient à cœur. Questionnée sur ses projets et ses rêves, Catherine Lomier Viret déclare sereinement qu’elle a la chance de les réaliser ! Qui dit mieux ? Paru en décembre 2009-janvier 2010


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PR

ANDRÉ MERMOUD Etonnant parcours que celui du Pr André Mermoud, spécialiste du glaucome. Né il y a 48 ans à Orzens, il grandit loin des préoccupations médicales, humanitaires et internationales. Il devient médecin par vocation. Pendant ses études, il fait un stage en Inde : c’est le début d’une grande aventure qui est loin d’être terminée.

L’ophtalmo globe-trotter « J’adore opérer, affirme d’emblée le Dr Mermoud, et je suis parti en Afrique au cours de mes études déjà ; j’ai pu ainsi pratiquer plus d’interventions et maîtriser les opérations des cataractes et des glaucomes. » Après un séjour aux Etats-Unis dans la recherche, il revient en 1994 à l’Hôpital ophtalmique à Lausanne, devient chef de clinique, privatdocent et aujourd’hui professeur associé. L’expérience africaine a été fondatrice : depuis, la médecine humanitaire occupe tout son temps libre. L’action humanitaire organisée du Dr Mermoud commence il y a cinq ans, par la création d’un hôpital ophtalmologique à Lubumbashi (Congo). Cet élan se poursuit sous le label de la Fondation Vision for All, initiative du Dr Mermoud et de cinq médecins lausannois « pour venir en aide à des populations qui n’ont pas la même chance que nous et prodiguer des


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soins là où l’ophtalmologie, vu notamment son coût, n’est pas prioritaire ». Après le Congo, le choix se porte sur l’Inde, à Mori, village situé dans une région démunie de médecine. Une clinique généraliste de 50 lits y voit le jour. Les patients riches paient les prestations, alors que les personnes démunies y sont soignées gratuitement. « Actuellement, nous rencontrons quelques problèmes à Mori, mais nous nous battons pour restaurer un travail selon notre philosophie et avec une équipe compétente. » L’ambition de Vision for All ne s’arrête pas en si bon chemin : un hôpital ophtalmique s’est ouvert à Bimawaram, un troisième est en construction. Un autre hôpital va sortir de terre à Brazzaville (Congo). Le Dr Mermoud donne aussi libre cours à sa passion de l’architecture en dirigeant les chantiers, soit sur place, soit via internet. « Notre but est de créer un hôpital par année, de l’équiper – notamment par la récolte d’appareils usagers en bon état –, d’assurer les salaires et de traiter gratuitement les personnes pauvres. » Le Dr Mermoud s’efforce aussi de mettre en contact des médecins africains avec des compagnies indiennes pour la fourniture de matériel à des prix sans concurrence.

UNE VIE BIEN REMPLIE « Consacrer du temps aux pays en voie de développement pour donner des coups de mains est une constante dans ma vie. J’ai enseigné la chirurgie du glaucome dans plus de 60 pays et j’ai dû donner au moins 200 conférences. » Cette activité, qui manifestement nourrit


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plus l’équilibre du Dr Mermoud qu’il ne flatte son ego, lui a fait aussi découvrir une ophtalmologie et des patients différents. Si globalement il traite partout les mêmes maladies, le Dr Mermoud constate : « les pathologies, leur gravité et leur fréquence sont plus élevées, la prévention reste déficiente ; je rencontre aussi des différences dues à l’anatomie et à des facteurs génétiques. Souvent, nous traitons des patients jeunes et déjà aveugles, incapables de subvenir aux besoins de leur famille. Notre bonheur est de voir leur sourire, lorsque, le lendemain de l’opération, ils réalisent le ‘ miracle ’ de voir après des années de cécité ! » Les propos du Dr Mermoud sont empreints d’une grande douceur, mais sa détermination est perceptible et sa passion sous-jacente. L’intensité de son regard reflète son bonheur d’avancer, de créer et de partager. Ses deux premiers enfants, aujourd’hui jeunes adultes, participent à son activité humanitaire. Sa compagne, la Dresse Aude Ambresin, la partage pleinement. Et leur petit garçon de quelques semaines ne sait encore pas que son papa fonde de grands espoirs sur son avenir de globe-trotter ! Paru en mai-juin 2006


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DR

ANDREAS MESSIKOMMER Installé à Clarens, le Dr Andreas Messikommer, chirurgien orthopédiste, est un homme qui reste perpétuellement en mouvement. Dans sa vie, dans son travail, dans son cheminement intérieur. Pas étonnant dès lors qu’il prenne des engagements humanitaires dont l’un l’a même amené à soigner des orangs-outans.

Des singes et des hommes L’enfance zurichoise d’Andreas Messikommer se passe au sein d’une famille bourgeoise mais modeste, ouverte aux idées mais aussi un peu austère. « J’ai eu une enfance protégée, bien que des problèmes de santé de mon frère aîné aient perturbé la cohésion naturelle de la famille. » Peu scolaire, à la recherche d’une certaine autonomie, le jeune Andreas se lance dans un apprentissage bancaire. C’est en 1974, à 24 ans, qu’il passe une maturité du soir et, suite à un numerus clausus à Zurich, entreprend des études de médecine à l’Université de Lausanne. « Ce fut une époque difficile, j’ai dû être trop dur avec moi, avec les autres et j’ai perdu de ma sensibilité », avoue-t-il avec quelque regret, qu’il nuance en ajoutant avoir eu beaucoup de chance de faire des études, même tardives. L’ambition de bien faire du Dr Messikommer le pousse à sélectionner soigneusement sa


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formation post-graduée. La médecine générale l’attire longtemps, jusqu’à la rencontre de la chirurgie orthopédique, en Haut-Valais. Il poursuivra au CHUV, avec le Pr Livio et le Pr Berger, tant que son choix ne se sera pas définitivement fixé sur la chirurgie osseuse, notamment du dos. Chef de clinique, il quitte le CHUV en 1994, pour s’installer en cabinet à Clarens, travaille à l’Hôpital de Montreux et à la Clinique de la Prairie. Le Dr Messikommer est père de quatre enfants de vingt à treize ans et vit aujourd’hui séparé de leur mère.

RENCONTRE DES BESOINS ET D’UNE COMPÉTENCE Le tsunami de fin 2004 agit comme un déclic sur le Dr Messikommer qui souhaite, depuis longtemps, s’engager pour une action concrète et ponctuelle. Il ferme le cabinet pour un mois et rejoint l’organisation Paneco * à Sumatra. Il opérera dans quatre hôpitaux, heureux que les victimes amputées du tsunami aient toutes pu être appareillées. Or, l’histoire devient étonnante quand on sait que la vocation de base de Paneco est de sauvegarder les orangs-outans, race

* www.paneco.ch


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menacée par la déforestation, le morcellement de la faune et la folie des hommes qui n’hésitent pas, par exemple, à les blesser par jeu ou à capturer les petits pour les revendre comme animaux de compagnie ! C’est ainsi qu’après avoir soigné les victimes humaines le Dr Messikommer opérera des singes. Un nouveau défi qui ne pouvait que lui plaire. « N’ayant plus fait de chirurgie interne depuis belle lurette, j’ai vraiment eu peur au début, mais comme toujours une paix intérieure s’est installée au moment d’agir et tout s’est heureusement bien passé. » Par la suite, le Dr Messikommer retournera plusieurs fois à Sumatra pour opérer des orangs-outans au destin desquels il s’est manifestement attaché et sur lesquels il porte un regard plein de tendresse. Aujourd’hui, Andreas Messikommer continue à apporter son aide. En rassemblant du matériel opératoire pour les enfants d’un hôpital camerounais et en récoltant des fonds pour permettre à des petits Mozambicains d’étudier et d’apprendre un métier. Un autre projet, tout récent, lui tient à cœur : le soutien logistique à un hôpital du Kazakhstan dont le fonctionnement reste marqué par les années

soviétiques. Pour toutes ces actions, le Dr Messikommer collabore avec des personnes sur place qui connaissent les vrais besoins et disposent d’un réseau efficace. D’où lui vient cette envie d’aider, ailleurs aussi ? « Sûrement de l’exemple de mon père qui a exercé la médecine avec cette même philosophie. Mais je suis peutêtre simplement quelqu’un qui fait les choses au lieu d’en parler seulement ! » Le Dr Messikommer évoque en filigrane la dimension spirituelle de sa démarche, loin de tout dogme. Il dit aussi ses doutes par rapport à ce qu’il est, à ce qu’il fait. C’est sûr, un homme qui sait douter, continue à avancer. Paru en janvier-février 2008


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PR

RENÉ-OLIVIER MIRIMANOFF Le Pr René-Olivier Mirimanoff, 67 ans, continue à exercer son « merveilleux métier », dans le cadre de la Clinique de La Source après une carrière de radio-oncologue au CHUV couronnée de succès et de reconnaissance, en Suisse mais aussi dans le monde, notamment en Chine.

Comme Tintin et Chang… Né à Genève dans une famille de scientifiques et d’enseignants universitaires, le Pr René-Olivier Mirimanoff raconte que les valeurs protestantes qui ont cours dans sa famille l’ont marqué et l’habitent toujours. C’est peut-être ce qui donne à ses propos, même sur des sujets plus légers, tant de profondeur et d’humanité. Jeune homme, il se passionne pour l’architecture, mais inspiré par son entourage, choisit la médecine. Durant son post-grade – nous sommes dans les années 70 – il découvre combien les médecins sont encore impuissants devant les cancers. Scientifiquement passionnante et humainement riche, l’oncologie sera son domaine et la radiothérapie sa spécialisation. Il rappelle à ce propos l’influence du Pr Pierre Alberto qui l’a poussé vers cette voie. Heureux choix dont le Pr Mirimanoff accompagnera la formidable progression. Par une formation en médecine interne et des années de perfectionnement à l’Université de Pennsylvanie puis à Boston, il se sera préparé à jouer un rôle


de premier plan. De 1988 à 2012, il assume la responsabilité de chef du Service de radio-oncologie du CHUV et tisse un important réseau avec de nombreux centres en Europe et dans le monde. « Ce furent de belles années marquées par les avancées vers de plus en plus de guérisons, la diminution des complications dues aux traitements, la joie d’animer des équipes et de repenser architecturalement le service. Une manière de revenir à mes premières amours ! » C’est aussi depuis ce poste au CHUV que le chemin vers la Chine se dessinera.

DE LAUSANNE À PÉKIN Au début des années 90, un jeune médecin chinois, le Dr Li, fait ses offres au CHUV et le Pr Mirimanoff remarque


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très vite « ce franc-tireur », venu à Lausanne sans connaissances linguistiques et sans argent. « Il était avide d’apprendre et s’est avéré brillant, tant dans la recherche que dans la clinique », ajoute le professeur, avec un mélange de fierté et d’affection. Pendant trois ans, il lui prodiguera un soutien professionnel et pratique, l’aidera à publier et lui facilitera un perfectionnement aux Etats-Unis. Tous deux gardent contact et, lorsque le Pr Mirimanoff décide de prendre une année sabbatique en 2005, c’est chez son ami, devenu entretemps le Pr Li, responsable du principal centre de recherches sur le cancer de Pékin, qu’il choisira de la vivre. Il y est chaleureusement accueilli et participe pendant cinq mois à toute la vie du centre. Le Pr Mirimanoff souligne combien il admire l’extraordinaire capacité de développement des Chinois dont il dit apprendre beaucoup sur le plan humain. Le séjour se conclut par un long périple, sac au dos, en compagnie de son épouse qui « heureusement se débrouille en mandarin ». La relation avec cet hôpital se perpétue car le Pr Mirimanoff s’y rend tous les deux ans, élargit sans cesse son réseau sur place et enseigne à Pékin. « Une magnifique aventure

scientifique, amicale, culturelle et humaine », conclut-il sur ce sujet. Impossible enfin d’esquisser un portrait du Pr Mirimanoff sans s’attarder un peu sur sa passion pour la BD, plus spécialement la BD belge des années 40 à 70. Elle date de l’enfance et concerne toute une série de personnages, mais son préféré semble être Tintin. Il suffit de l’écouter évoquer l’amitié naissante entre Tintin et Chang dans le Lotus Bleu, ce qui nous ramène, comme par hasard, à la Chine et aux relations basées sur la tolérance. Pour René-Olivier Mirimanoff, la BD est une source de détente dont il parle en amoureux qui découvre encore et encore de nouveaux détails dans les histoires maintes fois lues et relues. « J’ai une collection de quelque 500 albums dont je ne me débarrasserais pour rien au monde », confie-t-il. La BD, qui raconte un monde où rien n’est vraiment grave, l’aura sans doute aidé à affronter la souffrance et la maladie… Paru en décembre 2013


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DR

DANIEL RUSS Lorsqu’il a quitté son cabinet de généraliste en 2010, le Dr Daniel Russ a organisé une grande fête. Une manière de tirer un trait sur une vie ancrée dans la région, mais aussi l’occasion de dire à ses patients : « Merci, et je pars et non Merci, mais je pars. » Une nuance qui illustre bien la manière dont Daniel Russ a exercé sa profession.


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Le désir de partager Daniel Russ naît à Vevey en 1945 ; ses parents s’étant séparés, il sera élevé surtout par sa mère et ses aînés. Son engagement dans le scoutisme l’aidera à se structurer, à développer son sens du partage et des responsabilités ; il éveillera aussi son amour pour la montagne. Son adolescence se termine par quelques mois culturellement enrichissants à Londres. Il entreprend des études de médecine suivant « un choix spirituel et par désir de partager le quotidien des gens ». En parallèle, il vit la première grande « entreprise » de sa vie : la création, sous la houlette fédératrice de Bertil Galland, des douze volumes de l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud. « Ce fut une aventure de vingt ans, littéraire, mais surtout humaine, que j’ai partagée avec mon épouse et une vingtaine d’amis avec lesquels nous sommes toujours liés. » Pendant sa formation au CHUV, alors qu’il est déjà père de deux de ses trois enfants, le jeune Dr Russ accepte un remplacement dans un hôpital de brousse au Mozambique, au nord de Maputo. Ce séjour durera de 1974 à 1975 ; il sera fort en expériences humaines, en développement de soi, en connaissances apprises « sur le tas, mais néanmoins de façon cohérente. C’était aussi une manière de découvrir mes propres limites et … de savoir comment les déplacer ! » ajoute le Dr Russ dans un grand rire. De retour en Suisse, Daniel Russ éprouve le désir de s’installer et de vivre dans une région. Un dernier stage à St-Loup avec le Pr Emile-Charles Bonard, son maître, confirme ce choix. En 1978, il se joint au Dr Luc Anex à Echallens et ils inaugurent ensemble un « groupe de cabinets ». « Nous avons partagé les installations techniques et… la cafétéria, une option qui a toute son importance ! » précise Daniel Russ. Le Dr Jean-Pierre Pavillon rejoint ses deux confrères trois ans plus tard et cette association fonctionnera


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parfaitement pendant plus de trois décennies. Avec sa famille, Daniel Russ s’est enraciné dans le Gros-de-Vaud, dans ses structures sociales, religieuses et culturelles. Il a trouvé son bonheur dans l’exercice d’une médecine générale et de proximité, en relation étroite avec ses patients. A 65 ans, le Dr Russ fait le point : au vu notamment des changements fondamentaux du rôle de médecin de famille dans une société en mutation, il décide de prendre sa retraite. Il estime que le temps est venu pour que le groupe de cabinets continue sans lui et peut-être sous une forme adaptée aux réalités actuelles. Même s’il regrette la relation qui le liait à ses malades, il se réjouit aujourd’hui de croiser dans la rue ses patients qui ne lui parlent plus en tant que médecin, mais en tant qu’homme. On ne saurait esquisser le portrait du Dr Russ sans mentionner qu’il a présidé la Commission de déontologie de la SVM pendant huit ans, un engagement qui s’est révélé aussi enrichissant qu’ardu dans une période de « fatigue et de grands questionnements ».

Daniel Russ reste actif, par exemple au travers de la présidence du conseil régional de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud. Il retrouve dans cette responsabilité des valeurs qui l’ont toujours animé : relations humaines, éthique, partage et accompagnement. Le Dr Daniel Russ parle de sa vie avec des mots choisis et dont il a mesuré le sens. Il évoque aussi des expériences douloureuses, tels des abandons ou des face-à-face avec la mort, ici et ailleurs. Derrière sa sérénité dynamique, on décèle une émotion restée intacte et la pudeur des grands sensibles. Paru en juin-juillet 2011


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PR

MARIE-DENISE SCHALLER Quand le Dr Patrick Ruchat, président du Groupement des médecins-cadres du CHUV, parle de la Pr Marie-Denise Schaller, médecin cheffe dans le Service de Médecine Intensive Adulte du CHUV, il évoque son « dévouement sans faille à la cause et la défense du patient et son engagement dans la formation » ainsi que ses « qualités de rigueur morale et médicale ». Portrait d’une femme qui a une haute vision de son métier et qui applique les valeurs qu’elle défend.

Lorsqu’humain s’écrit avec un grand H Née dans un village jurassien en 1950 – « une époque où les filles ne songeaient pas à faire des études » – Marie-Denise Schaller a la chance de grandir dans une famille simple où on cultive des valeurs et où l’on est attentif au développement et aux talents des quatre enfants. Adolescente, Marie-Denise se pose déjà des questions sur le sens qu’elle veut donner à sa vie et choisit la médecine, la profession qui lui offre « la plus forte composante humaine ». Après sa maturité à Porrentruy, elle commence ses études de médecine à Lausanne. Elle avoue aujourd’hui qu’elle aurait renoncé à ses études si elle avait raté un examen, car elle ne voulait


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pas « perdre de temps, par respect pour mes parents ». Ce ne sera évidemment pas le cas et elle obtient son diplôme en 1976. Elle se voit médecin de campagne, dans ce milieu terrien qu’elle aime et où elle a ses racines. Ses stages et peut-être le destin la conduisent à l’Hôpital cantonal de Fribourg. Auprès du Pr Raymond Lapp, qu’elle considère comme son maître, son parcours prend une autre tournure et la jeune Dresse Schaller se tourne vers la médecine interne et une carrière hospitalière. « J’ai beaucoup aimé travailler à Fribourg, dans une institution à dimension humaine. C’est un lieu d’apprentissage idéal et complémentaire au CHUV. » C’est néanmoins à Lausanne qu’elle devient, à 29 ans, cheffe de clinique adjointe en Médecine interne. Elle consacre ensuite deux ans à la recherche et à la rédaction de sa thèse. A part la volonté, l’assiduité et le talent de la Dresse Schaller, on retrouve là l’un de ses credos : « Dans notre métier, nous donnons certes beaucoup, mais nous recevons tout autant, des patients, des collègues, du personnel soignant… J’ai toujours considéré comme un privilège de pouvoir apprendre et travailler. Et pour apprendre il faut être là au

bon moment ! » Après une année aux Etats-Unis, elle devient médecin adjointe du Pr C. Perret, et obtient le titre de privat-docent. En 1996, elle est nommée médecin cheffe des Soins Intensifs de Médecine, aujourd’hui fusionnés avec ceux de Chirurgie. Depuis 2004, elle est professeure associée. Elle considère que la transmission du savoir est importante, que ce soit aux médecins, aux infirmières ou aux étudiants en médecine dont elle supervise les stages de cinquième année. On ne s’étonnera pas non plus de la savoir engagée depuis des années au sein de la Société suisse de médecine intensive. Soucieuse de voir les femmes bénéficier des mêmes chances professionnelles que les hommes, elle a aussi longtemps présidé la Commission d’égalité de l’Université de Lausanne.

CHAQUE PATIENT EST UNIQUE C’est peu dire que Marie-Denise Schaller aime son métier. Les soins intensifs lui apportent le bonheur d’exercer dans un environnement hautement technique mais aussi de travailler en équipe, de poser des diagnostics et de rester en


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contact direct avec les malades et leur famille. « Pour moi, le patient reste au centre de tout ce que nous accomplissons. Chaque personne constitue un être unique, avec son vécu, et possiblement son aspiration à se diriger vers quelque chose de plus haut, son besoin de transcendance. » Etre attentive à la dimension spirituelle semble, aujourd’hui plus que jamais, occuper intensément la Pr Schaller et guider ses engagements professionnels et privés. Après plus de 30 ans d’exercice de la médecine et de transmission de ses connaissances, elle continue à s’interroger sur le sens de la vie et des destins individuels et collectifs. Ouverte et chaleureuse, elle pousse l’empathie – ou la pudeur ? – à ne parler d’elle qu’à travers les autres : de sa famille qu’elle chérit, de son compagnon prématurément décédé, du jardin de sa maison à La Valsainte. Un lieu qui lui tient à cœur et où, il est certain, elle cultive aussi… son jardin secret ! Paru en mars 2007



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MÉDECIN ET PASTEUR

MARC SUBILIA Marc Subilia parle avec plaisir de son parcours qu’il qualifie de « pas linéaire ». Pourtant, malgré quelques (r)évolutions, les étapes de sa vie se suivent selon une ligne qu’il semble n’avoir jamais trahie.

L’amour de Dieu et des hommes Né en 1948 à Lausanne, dernier de quatre enfants, Marc Subilia raconte une enfance heureuse et entourée d’amour. Son père est enseignant, sa famille compte plusieurs pasteurs mais le jeune Marc ne se sent pas vraiment « appelé à l’heure du choix de la profession ». Il opte pour la médecine, curieux qu’il a toujours été de savoir comment fonctionnent la tête et le corps, mais aussi de se connaître soi-même. Nous sommes dans les années 70 et Marc Subilia, qui a pour livre de chevet La Peste de Camus, réfléchit beaucoup : à la nécessaire révolte et à son envie de se battre contre le mal omniprésent. C’est ainsi que, son diplôme en poche, il part avec deux copains pour Katmandou. L’expérience dure une année, elle est marquante par la découverte de cultures, de valeurs et de vies différentes. A son retour, il entreprend sa formation post-grade et prépare une thèse en médecine sociale et préventive. Son dernier poste, en psychologie médicale au CHUV, le confronte fortement à la grande question du sens qui, elle, fait resurgir celle de Dieu.


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« Je ne doutais pas de son existence, mais pris par le stress et les obligations de la vie hospitalière j’avais négligé l’essentiel, soit de savoir qui Il était pour moi et qui j’étais pour Lui », explique-t-il.

1981, ANNÉE CHARNIÈRE « Après avoir rempli les exigences pour mon FMH en médecine interne, je me suis senti coincé. Ce que je croyais savoir ne me suffisait plus », se souvient Marc Subilia. Son évolution intérieure est rude mais aboutit à un sentiment de liberté et de joie qui le décide à changer de cap et à commencer des études de théologie. C’est cette même année qu’il se marie, deux enfants naissent et la vie de famille s’organise : Ruth Subilia continue à exercer comme infirmière tandis que son mari étudie, donne des cours de pathologie et s’occupe en partie des enfants, un bonheur pour cet homme très attaché aux siens. La licence en théologie obtenue, Marc Subilia part se perfectionner au Québec où il exerce comme aumônier en clinique psychiatrique d’urgence et réalise la complémen-

tarité entre le travail du médecin et celui du pasteur. Il sera néanmoins « pasteur à 100 %, sachant peut-être mieux écouter puisque certains m’ont dit : vous qui avez été médecin, vous comprendrez ». Consacré pasteur en 1988, Marc Subilia exercera en Lavaux, à Clarens puis dix ans dans la paroisse de Bellevaux et onze dans celle de Renens qu’il a quittée en 2011 pour prendre sa retraite. Dans ses deux derniers postes, le pasteur Subilia s’est donné pleinement à sa mission avec une population venant des quatre coins du monde, fragilisée, avec des personnes mal-aimées, d’abord par elles-mêmes. « Mon enjeu a consisté à leur montrer qu’à l’horizon il y a malgré tout une joie, une plénitude et une espérance. J’ai partagé avec elles mon credo, à savoir que ce Dieu qu’on ne connaît pas, qui reste largement une énigme, est venu à travers Jésus-Christ nous déclarer son amour et que cet amour est pour tous, avec une attention privilégiée pour ceux qui souffrent. Et j’ai aussi eu la joie de les voir se projeter dans l’avenir », ajoutet-il. Marc Subilia et son épouse vivent aujourd’hui dans un lumineux appartement à Brent, où une chambre est d’ores et déjà


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réservée pour leurs futurs petits-enfants. Il s’épanouit dans cette nouvelle vie de retraité actif en assumant des remplacements et en s’engageant dans la lutte contre la torture au sein de l’ACAT, en chantant dans le Chœur de l’Université populaire ainsi qu’en prenant le temps de profiter des beautés de la région. Médecin et pasteur restent liés en Marc Subilia : il évoque des thèmes tels que la foi et la guérison, l’anamnèse médicale et l’écoute pastorale ou le dialogue avec le Divin. Et son empathie naturelle le pousse même à se raconter… en parlant d’autrui ! Paru en décembre 2012


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DR

CLAUDE YERSIN Le Dr Claude Yersin dit que sa vie s’est déroulée en quatre étapes. La cinquième commencera l’année prochaine et aura pour cœur la peinture.

Partir pour mieux revenir Se définissant de « pur Vaudois », le Dr Claude Yersin a toutefois passé une bonne partie de sa vie hors du canton et à l’étranger. Né à Lausanne en 1944 dans une famille d’enseignants, il grandit entre une mère très présente, un père souvent absent et deux sœurs. Titulaire d’une maturité math-spé, il opte pour la médecine « parce qu’en choisissant la faculté la plus difficile je devais crocher les bretelles, quitte à me recycler dans autre chose en cas d’échec ». Et d’ajouter que son caractère étant de prendre goût aux choses une fois qu’il les a entreprises, il se passionne pour cet art en le pratiquant, et surtout pour la médecine générale « parce qu’on peut l’exercer partout dans le monde ». Ce goût de liberté et de découvertes se manifeste dès ses études qu’il interrompra régulièrement pour effectuer des voyages de six mois, sac au dos à travers l’Europe ou autour de la Méditerranée. « En lisant pendant mes absences les polycopiés que j’emportais, je n’ai finalement pas perdu de temps », avoue le Dr Yersin en souriant mais sans afficher de fierté, fidèle à cette attitude bien de chez nous de ne



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pas mettre ses dons et aptitudes en avant. Plus tard, au volant de sa 2CV, il visitera, en compagnie de sa jeune épouse, l’Inde, le Népal, l’Afghanistan, l’Iran, le Pakistan, l’Irak et la Syrie.

BASSECOURTLES SEYCHELLESLAUSANNE En 1977, vient le temps d’ouvrir un cabinet. Avec un confrère, le Dr Yersin choisit de s’installer dans la région romande qui manque le plus de généralistes. Ce sera Bassecourt où il pratiquera pendant douze ans « une authentique médecine générale de campagne ». Et c’est du canton du Jura que sa route bifurquera vers les Seychelles ! La relation entre ces deux coins du monde remonte au XIXe siècle lorsque des prêtres du monastère de Delémont partirent évangéliser les Seychelles. Autre coïncidence historique : le canton du Jura naît en même temps que les Seychelles signent leur indépendance de l’Angleterre. Le nouveau ministre de la santé seychellois, venu visiter le couvent de Delémont, se lie d’amitié avec François Lachat. Ils décident de monter une Coopération dont le

Dr Yersin sera l’un des médecins. A priori peu enthousiaste face à ce changement, il s’embarque néanmoins en 1989 avec sa famille qui compte maintenant deux fillettes. Comme d’habitude, Claude Yersin s’épanouira dans cette nouvelle vie une fois installé. Séparé de son épouse, puis remarié à une autochtone, il apprend le créole et acquiert même la nationalité seychelloise. Douze années passeront ainsi au sein de l’unique et grand hôpital de l’île qui vit dans un système de santé étatisé, bien organisé et gratuit. Le Dr Yersin pratiquera essentiellement la médecine interne et, avec d’autres coopérants, se consacrera aussi à la recherche. Il décrochera une bourse pour préparer, à Lima, un diplôme de médecine tropicale. Malgré sa réserve naturelle, le Dr Yersin parle avec un plaisir évident de ces années dans un pays « au gouvernement de gauche très autoritaire, mais qui savait manœuvrer intelligemment, par exemple dans ses relations avec les Etats-Unis ».


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Arrivé à la mi-cinquantaine, Claude Yersin sent le besoin de revenir au pays. En 2001, il s’associe au cabinet lausannois du Dr R. Prince qui prépare sa retraite et sa succession. Aujourd’hui, la vie du Dr Yersin se caractérise toujours par son engagement professionnel mais aussi par sa passion pour la peinture. Une activité récente si on excepte les poyas qu’il a créées aux Seychelles, remplaçant les sapins par des palmiers et les vaches par des tortues ! Se qualifiant de peintre du dimanche, Claude Yersin s’est déjà essayé au crayon, au pastel et à l’aquarelle. C’est toutefois à l’huile que va sa préférence, une découverte qui l’attend dans un futur proche : sa vie de retraité se déroulera entre Château-d’Œx et le Portugal, patrie de sa compagne. Voilà de quoi bien nourrir son inspiration ! Paru en mars-avril 2013



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LES MILITANTS Ils s’impliquent en politique, s’engagent dans leur région et pour la profession


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CHARLES-ABRAM FAVROD-COUNE A Château-d’Œx, dans le chalet du XVIIe siècle des Favrod-Coune, l’histoire familiale est quasi perceptible. Lieu de vie et de travail, la maison abrite deux cabinets de généralistes : celui de Catherine et de Charles-Abram qui exerce dans le bureau de son père et de son arrière-grand-oncle.


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Un libéral à l’esprit libre Le cabinet du Dr Charles-A. Favrod-Coune a des dimensions modestes. Le plus grand espace est dévolu au lit d’examen et au confortable fauteuil destiné aux malades. Un aménagement qui en dit long sur la place que son occupant réserve à ses patients dont il dit apprendre beaucoup. « C’est ce que préconisait déjà Hippocrate et j’incite mes jeunes confrères à suivre cette voie. » Une approche de son art qui l’a aussi aidé à se forger une philosophie de vie. Né à Château-d’Œx, le Dr Favrod-Coune reste très attaché à la terre que ses aïeux ont cultivée et à la région à la prospérité de laquelle ils ont contribué. En choisissant de devenir médecin, en s’engageant très tôt dans le parti libéral et en prenant des responsabilités au sein de la collectivité, il a, semble-t-il tout naturellement, poursuivi dans cette même voie. Après ses études, il quitte Lausanne pour Genève, se destinant à la recherche. Il y découvre « le caractère fantasque des scientifiques, qui sont des créateurs, donc ce n’est pas étonnant ». Plus sérieusement, le Dr Favrod-Coune insiste sur la chance d’avoir eu pour maître le Pr Alex F. Muller ( « surnommé dura lex, sed Alex ! » ), dont les méthodes innovantes mais respectueuses de l’esprit de la médecine lui ont beaucoup apporté. A Genève – où les trois enfants du couple sont nés – les Favrod-Coune ont également cultivé le plaisir de vivre en ville. Après une période parisienne, la famille s’installe à Château-d’Œx en 1990. Pour Charles-Abram et Catherine, ce retour en terre damounaise « correspond à nos émotions les plus profondes et nous permet depuis bientôt 25 ans de nous ressourcer par la marche en montagne, en toutes saisons ». Il est aisé de les imaginer cheminant côte à côte, en silence, elle se passant des opéras dans la tête et lui réfléchissant à la relation entre la psychologie et la philosophie, un domaine qui l’intéresse depuis sa jeunesse et avec lequel il renoue aujourd’hui.


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DES ACTES CITOYENS OU LA LIBERTÉ DANS LA COLLECTIVITÉ Pour le Dr Favrod-Coune, être libéral et libre n’est pas en contradiction avec une participation active à la vie de la communauté. Après avoir travaillé en vue d’une nouvelle orientation de la politique de la santé au sein de l’administration cantonale, le Dr Favrod-Coune est entré au Comité de la SVM au début des années 90 et en sera le président de 2000 à 2008. « Nous avons bien défendu au jour le jour les intérêts des médecins vaudois, lancé un certain nombre d’idées qui se sont avérées efficaces et nous avons modernisé nos relations avec l’Etat », se souvient-il. Ayant quitté la présidence de la SVM, c’est celle de la SMSR qui l’attendra pour quatre ans. Le bilan est, cette fois, mitigé, « les Romands n’arrivant décidemment pas à se mettre ensemble pour défendre leurs intérêts ». L’ancien président se déclare néanmoins heureux d’avoir réussi, avec son Comité, de faire de la SMSR une association capable de se défendre en tant que société. Dans son engagement pour la profession

ou au sein de la municipalité de Château-d’Œx, le Dr Favrod-Coune respecte la liberté des autres et attend qu’on respecte la sienne. « Je veux bien contribuer à la collectivité mais je ne veux pas qu’elle décide à ma place, une attitude bien éloignée de la pensée unique du jour ! » précise-t-il. Une position qu’il avoue avoir eu parfois de la peine à faire comprendre. A 62 ans, quel regard porte le Dr Favrod-Coune sur son parcours ? « Un regard ébloui, j’ai honte de l’avouer car j’ai eu toutes les chances, les choses se sont données à moi », nous dit-il s’enflammant soudain. A vrai dire, on se serait bien douté que derrière la sage sérénité qu’il affiche se cache une personnalité qui sait se passionner, aimer et être aimée. En toute liberté. Paru en mai 2014


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YVES GUISAN La détermination, l’affirmation claire de ses convictions et la vision pragmatique des sujets qu’il traite contrastent avec la modération apparente du Dr Yves Guisan. Rencontre avec le néo-retraité chirurgien du Pays-d’Enhaut et ancien conseiller national qui quittera bientôt la vice-présidence de la FMH.

« J’ai apporté ma pierre » Un père qui a grandi en France, une mère d’origine britannique, les racines du Dr Yves Guisan sont, à l’évidence, européennes. Il naît en 1941 à Lausanne, au sein d’une famille de scientifiques et de lettrés. Se destinant d’abord à la philosophie et à l’étude des religions, il opte pour la médecine par « curiosité des mécanismes de la vie ». Ses années de post-grade se passent au Canada ( « j’ai beaucoup aimé l’approche scientifique nord-américaine non hiérarchisée et stimulante » ) et à Bâle où il apprend rigueur et méthodes de travail. Le jeune Dr Guisan espère se consacrer à la chirurgie expérimentale. Mais cette voie ne s’ouvre pas devant lui, ce qu’il évoque avec quelque regret, voire de l’amertume. Chirurgien, il trouve par contre son épanouissement en choisissant la médecine en périphérie qui « m’a permis d’agir dans plusieurs secteurs et de pratiquer une approche plus complète des patients ». Il devient ainsi, dès 1975, « le docteur qui opère » en Pays-d’Enhaut.


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UN PROJET RÉGIONAL ORIGINAL A Château-d’Œx, le Dr Guisan, qui a 34 ans, trouve la stimulation dont il a besoin : modernisation, puis construction d’un nouvel hôpital tout d’abord. Ensuite, la constitution d’une équipe pluridisciplinaire autour de l’hôpital. On sent poindre l’homme qui s’engagera plus tard en politique professionnelle et en politique tout court. Par sa démarche, Yves Guisan cherche à réunir les forces et les compétences, à mieux gérer économiquement la santé dans la région et à garder la qualité des soins aux patients. « Cela a partiellement réussi et j’aurais aimé que ce modèle rationnel fasse école dans le canton », regrette-t-il aujourd’hui. Il a néanmoins pris sereinement sa retraite de médecin fin 2005, laissant une équipe performante et soudée. Autre credo du Dr Guisan, qu’il partage d’ailleurs avec Pierre-Yves Maillard : la collaboration intercantonale. Pour sa région, elle s’est d’abord instaurée avec les médecins bernois et se poursuit actuellement avec les fribourgeois.

L’HOMME ENGAGÉ Doyen de l’Hôpital de Château-d’Œx, le Dr Yves Guisan est de facto associé à la politique hospitalière vaudoise. « J’avais envie de me battre pour essayer de faire valoir la liberté thérapeutique avant les nécessités économiques, un combat essentiel qui est loin d’être terminé ! » Il rejoint le Comité de la FMH en 1987 et le quittera en 2008. L’engagement politique du Dr Guisan vient prolonger celui pour sa profession. Au plan fédéral, il se concrétise en 1995 et vient de s’achever. Ses modèles sont Pierre Mendès France et Jean-Pascal Delamuraz, « un libéral humaniste » dont il admire le pragmatisme. On sait combien le conseiller


national vaudois se sera battu et exposé pour la liberté thérapeutique et le maintien de la médecine libérale à chaque fois qu’elle a été mise en danger. L’amélioration de la compensation des risques fait partie de ses derniers combats et ultimes satisfactions politiques. « J’ai apporté ma pierre et je n’ai qu’un regret : n’avoir pas pu finir le travail… », conclut le Dr Guisan qui avoue aujourd’hui « avoir mené une vie de fou ». Gageons que de belles années attendent encore Yves Guisan. Il les souhaite sereines et, enfin,

équilibrées. « Je rêve d’appliquer le principe de st Benoît : huit heures d’activité intellectuelle, huit d’activité manuelle et huit de repos. » Au programme du Dr Guisan, on trouve la (re)lecture des classiques et des philosophes, un peu de sport mais aussi l’exercice de la médecine générale à temps partiel. Dans quelques mois, Yves Guisan déménagera à Gibraltar, le lieu idéal pour cet helvetico-britannique, heureux époux d’une citoyenne portugaise qui est née à Tanger et a vécu à Madrid ! Paru en décembre 2007


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JACQUES-ANDRÉ HAURY Le Dr Jacques-André Haury, ORL à Lausanne et député depuis 1998, explique qu’il s’identifie aux hommes et aux femmes qui ont la force intellectuelle, morale et physique de conduire leur destinée.

Un homme debout et en marche « Etre libéral, c’est être un individu selbstständig », affirme d’emblée le Dr Haury. Et c’est cette conviction qui l’a de tout temps conduit à prendre et à défendre des positions engagées et à assumer des responsabilités. Fondamentalement opposé à tout ce qui met l’être humain sous dépendance, à ce qui entrave la construction de sa personnalité et l’empêche d’acquérir la capacité à franchir les obstacles, il salue les récents développements de la réforme de l’enseignement vaudois, un combat qu’il mène depuis des années. Dans son métier, il adopte aussi une attitude qui va dans le sens de l’indépendance du patient notamment à l’égard des médicaments pris à long terme. A la notion de prise en charge, le Dr Haury préfère celle d’aide ou de réponse à la demande. Et de décrocher, en passant, une flèche contre la médecine préventive pharmacologique, « ressource financière pour l’industrie », et d’affirmer son choix d’une prévention qui passe par une hygiène de vie physique et psychique, qui « devrait aider à


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tenir debout dans la tempête et à dépasser ses problèmes ». Enraciné dans le canton de Vaud, Jacques-André Haury s’est engagé très tôt selon ses valeurs, se félicitant « de ne pas s’être perdu dans les idées de gauche de mai 68, quitte à avoir été qualifié de réac au Gymnase ! » Il garde un souvenir admiratif de certains de ses professeurs dont l’enseignement « nous a aidés à nous structurer, à nous élever, à créer des hiérarchies de valeurs et à accepter les différences ». On comprend dès lors son choix du libéralisme qui n’est pas, pour le Dr Haury, une soumission aux intérêts de la finance et de l’économie. Il s’est d’ailleurs trouvé parfois en conflit avec une partie des membres de son parti à ce sujet. D’autant plus que, pour lui, la Selbstständigkeit qui lui est si chère ne va pas sans le développement d’une relation de respect de son environnement et un souci de durabilité. S’il n’a créé que récemment le Parti vert’libéral vaudois, le Dr Haury se souvient que dans sa famille on a toujours eu une attitude écologique, une manière pour lui « d’être bien élevé ». Il souligne que dans les années septante déjà, les Jeunes Libéraux avaient tenté d’amener

des considérations écologiques dans l’action du parti. « Mais nous nous sommes fait gronder par les anciens », confie Jacques-André Haury en riant.

EN SUIVANT DES TRACES ANONYMES ET HISTORIQUES Comme les nombreux engagements du Dr Haury sont publics et connus, nous nous attacherons à pénétrer un peu dans son jardin secret : on y trouve, par exemple, la recherche de vieux chemins, surtout en montagne. « Il est très émouvant d’imaginer que, deux ou trois siècles avant nous, des hommes aient pu se frayer des passages dont on ne connaît pas toujours le sens. » Ces traces de civilisation l’interrogent et cette quête lui permet de conjuguer la marche avec son intérêt pour ses semblables et pour l’Histoire. Passionné par les voies de transports en général, il évoque les anciennes routes de l’airain à travers nos Alpes, celles prises par Napoléon ou l’armée de Souvarov. Il rêve de passer le Simplon sur les pas de ceux qui le franchissaient à pied et à cheval. Il se mettrait volontiers un jour au service de Suisse Rando


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pour marquer les passages qu’il aura découverts. Mais ça, c’est de la musique d’avenir car, à 59 ans, le Dr Haury est encore pleinement actif dans la vie politique et dans sa profession qu’il espère « continuer à exercer longtemps et avec le même esprit critique ». Gageons qu’on peut lui faire confiance ! Paru en août-septembre 2011


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DRESSE

MARIANNE HUGUENIN Le décor du bureau de la syndique de Renens, Marianne Huguenin, est simple, avec quelques touches personnelles, illustrant son amour de la montagne et ses intérêts culturels. Il diffère sans doute peu de celui de sa consultation à laquelle elle a renoncé il y a bientôt dix ans.

Une femme de convictions Les signes annonçant une carrière politique de gauche semblent présents dès la naissance de Marianne Huguenin un 1er mai ( cela ne s’invente pas ! ) à Berne. Elle grandit au Locle et à La Chaux-de-Fonds, donc dans une région à forte tradition socialo-popiste. Comme beaucoup de futurs médecins, elle choisit cette voie car elle réunit sciences humaines et sciences exactes. « Et pourtant, plaisante-t-elle, la médecine, m’a-t-on dit, n’est parfois ni l’une ni l’autre ! » Au début des années 70, elle fera partie de la minorité des femmes qui fréquentent la Faculté de médecine de Lausanne, ce qui, doublé de son engagement au sein du POP, lui vaudra à coup sûr quelques refus pour des postes à responsabilités potentielles. La médecine sociale et préventive et la psychiatrie notamment la préparent à une carrière de généraliste qu’elle commencera en 1987 dans un petit cabinet de groupe à Renens. « Après avoir tourné dix ans dans les hôpitaux, j’ai été contente de continuer à


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travailler en équipe, même si j’aurais aussi volontiers exercé comme salariée à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays », raconte-t-elle.

LA MÉDECIN MILITANTE Citoyenne engagée dès l’âge de vingt ans, Marianne Huguenin ne voulait pas « adhérer à un parti pour œuvrer avec des fils de bourgeois comme moi ! » Elle a donc rejoint le POP, à contre-courant des intellectuels de gauche de l’époque, plutôt maoïstes et trotskistes. C’est la rencontre avec des gens de tous milieux sociaux qui l’intéresse et son désir de s’installer à Renens ne tient pas du hasard. Une implantation qui lui permet aussi de poursuivre l’un des grands combats – sinon le plus grand – de sa vie : la prise en charge par la « médecine noble » des toxicomanies. Elle contribuera, avec d’autres dont des politiciens, à la faire reconnaître comme une vraie branche médicale. « Et, il reste des combats à gagner, précise-t-elle, TarMed, l’ingérence des caisses maladie et de leur approche juridique dans la pratique médicale ou les DRG tant il est vrai que ce n’est pas la moyenne qui gère le médecin ! » Etonnant que d’écouter cette femme de gauche défendre la médecine libérale… Rappelons brièvement le parcours politique de Marianne Huguenin, carrière au cours de laquelle on la retrouve au premier rang de luttes pour des causes telles que l’interruption de grossesse et sa dépénalisation, le congé maternité ou l’accueil des réfugiés : députée au Grand Conseil vaudois de 1990 à 1999, elle préside le POP du canton de 1991 à 1996. Elue conseillère nationale en 2003, elle démissionne quatre ans plus tard, bien que réélue, pour se consacrer entièrement à sa vie de municipale commencée en 1996 et de syndique depuis 2006. Si la double tâche de médecin et de politicienne est lourde et chronophage, Marianne Huguenin semble avoir avoir gardé un excellent souvenir de ces années de dur labeur :


« Mes activités se nourrissaient l’une de l’autre. Après le relationnel individuel de la consultation où on éponge beaucoup de soucis et de tristesse, on va volontiers vers des réflexions plus générales, vers des concepts, et vice-versa. »

Après mûre réflexion et avec reconnaissance pour tout ce que ses dix-sept ans de pratique médicale lui ont apporté, la Dresse Huguenin quitte définitivement son cabinet en 2004. Elle est toutefois restée membre de la SVM !

Conjuguant donc avec bonheur un engagement politique et sa consultation dans une région où le melting pot socio-culturel est une réalité quotidienne, Marianne Huguenin doit néanmoins consentir à choisir, à un moment où elle a « l’impression de tout mal faire ».

L’avenir ? Dans ce métier de syndique qui l’épanouit et certainement en continuant à se battre sur le terrain contre les inégalités ainsi que pour une meilleure reconnaissance sociale des individus. Paru en février 2014


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DR

HENRI JACCOTTET †

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La Dr Henri Jaccottet, ancien médecin interniste à Lausanne, a présidé la SVM de 1976 à 1978. Les combats – notamment économiques – étaient déjà à l’ordre du jour.


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Le bonheur de s’engager pour sa profession Qu’est-ce qui a poussé le Dr Jaccottet à s’intéresser aux activités de la SVM dès l’ouverture de son cabinet en 1960 ? « Je me suis senti concerné par les problèmes qui se posent entre les médecins, les malades, les caisses maladie et l’Etat », raconte-t-il. A l’époque déjà, il assiste régulièrement aux assemblées générales de la SVM et constate que le président assume d’écrasantes responsabilités, sans autre soutien que l’aide de sa propre secrétaire. Le Dr Jaccottet – et il n’est pas le seul – pose aussi un regard critique sur les membres présents aux assemblées générales « peu à même de prendre des décisions qui engageaient pourtant l’avenir de la médecine de notre pays ». Au milieu des années soixante, il fait partie des médecins qui décident d’agir et de créer le groupe des 21 : ils sont traités de dangereux révolutionnaires par certains de leurs pairs. Le Dr Jaccottet et le Dr Jean-Pierre Muller – futur président de la SVM nouvelle mouture – prennent exemple sur l’organisation professionnelle des médecins belges et œuvrent à mettre en place des changements fondamentaux à la SVM, avec les difficultés que cela suppose. « L’acceptation des statuts, donnant une structure professionnelle à notre association, a constitué un véritable combat. » En 1969, la SVM s’installe à la route d’Oron et engage Monsieur Willy Schüpbach, son premier secrétaire général. « Doté de grandes qualités humaines, il maîtrisait l’ensemble des tâches administratives dont nous avons ainsi compris l’importance. » Parmi les nouveautés qui sont nées ces années-là, le Dr Jaccottet cite les groupements régionaux, la votation générale pour toutes les décisions importantes ainsi qu’un service de permanence pour les membres et tous les interlocuteurs. Acteur de cette nouvelle vision de la SVM, le Dr Jaccottet ne rejoindra son comité qu’en 1974


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et deviendra président en 1976, organisant ses journées entre son cabinet, La Source et la SVM. Les grands thèmes des deux années de présidence du Dr Jaccottet furent nombreux : créer des commissions de travail ad hoc pour préparer les décisions concernant en particulier la garde, « un vrai serpent de mer », ou prendre une part active dans l’organisation des soins à domicile. Il s’est aussi agi de définir les compétences respectives des consultations extérieures des services du CHUV et des médecins installés. « Nous avons également réglé les archives avec la Bibliothèque cantonale et défendu notre position dans les questions liées au plan hospitalier cantonal. Je dois avouer que dans certaines commissions paritaires il nous est parfois arrivé, face à des personnes formées à la stratégie et à la négociation, de nous faire avoir… C’est dire que nous avons dû gérer quelques conflits ! On parlait aussi des économies que nous devions nous imposer, après l’euphorie des années soixante, et nous avons livré des batailles concernant les tarifs. Heureusement, j’ai toujours été efficacement secondé par les membres du comité. » Parmi les nombreux entretiens et négociations, ceux avec Claude

Perey, chef du Département de la Santé publique – « un vrai homme d’Etat, disponible et ouvert » – ont marqué le Dr Jaccottet. Autre bonheur au cours de ses années de présidence : il a personnellement reçu chaque nouveau membre de la SVM. Et si c’était à refaire ? « Oui, sûrement, je m’engagerais. Voire, si j’avais la cinquantaine aujourd’hui, je rejoindrais volontiers le comité ! » A 79 ans, le Dr Jaccottet ne reste pas inactif : il vient d’achever un manuscrit consacré aux réflexions sur ses nombreuses lectures, intitulé Glané au fil des jours et qui devrait paraître en 2005. Paru en décembre 2004


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EDMOND PRADERVAND Officiellement en vacances, le Dr Edmond Pradervand garde néanmoins son cabinet de généraliste à Avenches ouvert. Il nous y reçoit donc en blouse blanche, disponible et chaleureux.

Exercer avec enthousiasme un « métier juste » « Je suis trop proche des gens pour m’être intéressé à une autre voie que la médecine générale », affirme d’entrée de jeu le Dr Edmond Pradervand. Même s’il a grandi à Lausanne où il est né en 1949, il est resté attaché à la campagne et à la Broye-Vully dont sa famille est originaire. C’est donc tout naturellement que le Dr Pradervand s’y installera en 1982, premier médecin généraliste formé FMH dans la région. S’il considère ses anciens assistants-aînés, les futurs Prs Philippe Leuenberger et Alain Pécoud, comme ses pères en médecine, il rappelle qu’il est le fils de Jean-Pierre Pradervand, politicien bien connu qui s’engagea sur plusieurs fronts, notamment humanitaires. Il en parle avec admiration, soulignant combien la forte personnalité paternelle l’a stimulé. Sa vocation trouve aussi ses sources dans cette relation puisque son père aurait voulu devenir médecin, rêve auquel il avait dû renoncer pour des raisons matérielles. « S’engager comme médecin, c’est être certain de faire le choix ‘ d’un métier juste ’, quelles que soient les


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conditions socio-politiques dans lesquelles tu l’exerceras », lui avait dit son père, marqué par les horreurs de la guerre. Des valeurs que le Dr Pradervand traduira en s’investissant pour et dans sa région, touchant, selon sa vocation et ses talents généralistes, à des domaines variés. On l’a ainsi vu – et en partie on le voit encore – médecin délégué du District, médecin scolaire, médecin d’un EMS, médecin militaire, membre du Conseil de santé vaudois ainsi que du comité de l’Hôpital de zone de Payerne qui a été, rappelle-t-il avec une certaine fierté, le premier établissement intercantonal.

LE PIONNIER DES SOINS À DOMICILE ORGANISÉS Attaché à l’évidence à la médecine de proximité, le Dr Pradervand est désigné, en 1988, médecin conseil du premier CMS vaudois officiellement constitué, celui d’Avenches. L’évocation de cette création l’amène à rappeler que ce fut « un des premiers pas d’une évolution incontournable qui a conduit à limiter l’activité du médecin indépendant au profit d’institutions étatiques. L’intention de départ était louable et nécessaire, il s’agissait

de soulager les médecins, de retarder ou d’éviter l’entrée en EMS et de diminuer les coûts. Aujourd’hui, le résultat n’est pas toujours à la hauteur de ces ambitions. » Malgré son constat qu’une médecine hautement technologique remplace peu à peu la médecine


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générale, globale et diverse, malgré la lente disparition des maîtresmodèles, malgré le désengagement dans certaines disciplines faute d’intérêt ( telle la médecine scolaire ), le Dr Pradervand pense qu’il exerce un très beau métier et incite les jeunes à ne pas y renoncer.

LE CAVALIER Parmi ses engagements para-professionnels, n’oublions pas celui de médecin officiel de la Fédération suisse de sports équestres. De même, on ne saurait ignorer que son installation dans la région avait aussi pour raison sa passion des chevaux, une passion que partagent sa femme et ses trois enfants. Pour lui, l’équitation est une école de vie, mais c’est aussi l’activité où il se ressource, par n’importe quel temps et « presque à n’importe quelle heure », ajoute cet homme heureux de n’avoir besoin que de peu de sommeil. A propos de ses horaires chargés, il précise encore qu’il n’aurait pas pu se consacrer à autant d’activités si son épouse n’avait pas accepté cette manière de vivre et renoncé en partie à sa propre carrière de médecin. Et si vous esquissez l’idée d’une retraite qui se profilerait à l’horizon, le Dr Pradervand pourra bientôt répliquer en citant un confrère alémanique : « Je suis à deux ans de la retraite… depuis six ans ! » Paru en novembre 2011


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PHILIPPE REIGNER Rencontre avec le Dr Philippe Reigner, anesthésiste et urgentiste, entre vignes et forêts, chez lui à Antagnes/Ollon.

Le père des SMUR « Cette maison est un havre de paix, un lieu où j’ai pu me ressourcer et qui m’a sauvé la vie à plusieurs reprises », déclare d’emblée Philippe Reigner, jeune retraité, heureux d’en profiter maintenant « à plein temps ». Il nous y reçoit chaleureusement, s’étant préparé à parler de son riche parcours et à en documenter les jalons. Fils d’infirmiers, le jeune Philippe ne se projetait pas dans un métier où il devrait côtoyer la souffrance et vivre dans un milieu hospitalier. A l’adolescence, il changera d’avis. Deux raisons dicteront son choix, jamais regretté, de devenir médecin : la passion (un mot écrit en lettres majuscules parmi les notes prises en vue de notre rencontre) et la volonté d’aller vers les gens. Un véritable credo qui sous-tendra ses engagements et son action. Au fil de ses stages, et notamment sous l’influence des Prs Claude Perret et Frédéric Saegesser, puis du Pr Eric Zander, le Dr Philippe Reigner choisit de devenir anesthésiste. « Une spécialité qui me convenait parfaitement parce qu’à côté


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des gestes techniques elle exige de la réflexion, de l’anticipation et une capacité à agir rapidement et juste », précise-t-il. Cette activité exercée au CHUV le met aussi face à une réalité qui le dérange : de nombreux patients arrivent dans un état compromis aux urgences, faute d’avoir pu bénéficier de soins préalables. C’est décidé,

le Dr Reigner fera désormais tout pour « rapprocher l’hôpital du patient », soit mettre à disposition des gens dans la détresse des moyens qui leur permettent de s’en sortir mieux. « J’avais un magma d’idées au départ et tout s’est peu à peu construit », raconte le Dr Reigner, manifestement doué pour allier créativité et organisation.


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Depuis 1989, la mise en place des SMUR s’est faite, comme beaucoup de choses dans notre canton, pas à pas. L’engagement du Dr Reigner a été protéiforme mais ne doit rien au hasard. En parallèle à son activité d’anesthésiste à l’Hôpital d’Aigle où il a exercé dès 1982, il s’est intéressé à ce qui se passait à l’étranger dans ce domaine et a établi des contacts en Allemagne et en France où le SAMU existait déjà. Il s’est investi dans la formation des ambulanciers, est devenu le directeur médical du CESU puis a participé à la professionnalisation de ce métier qui exige aujourd’hui plus de 4 500 heures de formation. Citons aussi qu’il a décroché un diplôme d’urgentiste et présidé une commission de premiers secours de la Croix-Rouge. Au début des années 90, il a initié et mené une expérience pilote, avec deux voitures équipées dans le canton. L’une financée par le CHUV (le « SMUR des villes ») et la sienne ( le « SMUR des champs » ). « J’ai même changé de véhicule pour un modèle identique à celui du CHUV, une opération prise en charge par l’argent du ménage ! » raconte Philippe Reigner en riant. En véritable pionnier et missionnaire de sa cause, il sillonnera la

Suisse romande pour convaincre les uns et les autres de copier l’expérience vaudoise. Même s’il s’est souvent engagé seul, il rend hommage à tous ceux qui ont été ses partenaires et soutiens pour atteindre son but. Avec un succès dont il peut à juste titre être fier. Marié depuis plus de 40 ans, père de trois enfants, le Dr Reigner semble avoir mené une vie personnelle harmonieuse, enrichie aujourd’hui par la présence de huit petits-enfants. Il se dit heureux d’avoir enfin le temps pour tout ce qu’il a mis de côté pendant sa vie active : l’étude des chemins de fer et des bateaux, l’histoire, la géopolitique, l’approche des forces occultes qui influencent la vie des gens, mais aussi le jardinage, les balades, la musique, l’exercice du cornet à piston ainsi que l’écriture de deux ouvrages collectifs consacrés à des questions philosophico-sociétales. L’être humain reste donc au centre de la vie du Dr Philippe Reigner, avec PASSION ! Paru en août-septembre 2013


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JEAN-PAUL RUBIN Le cabinet lausannois du pédiatre Jean-Paul Rubin, situé dans le quartier de Chailly, est désert en ce jeudi après-midi mais la présence des enfants est quasi palpable : photos et dessins témoignent de la qualité des relations qu’il a entretenues pendant 44 ans avec ses petits patients et leurs parents. Nous sommes en décembre 2008, le Dr Rubin est sur le point de transmettre son cabinet.

Plus de 50 ans de pédiatrie et de combat pour le rôle des médecins Jean-Paul Rubin est né il y a 79 ans à la Vallée de Joux. Au gré du travail de son père, ramoneur, sa famille déménagera souvent et il sera « élevé comme un petit paysan ». Ce qui ne l’empêchera pas de passer un bac classique à Lausanne, puis d’entreprendre des études de médecine, accomplies grâce à une bourse et en travaillant en parallèle. Le Dr Rubin se souvient que son intérêt pour la médecine est né en découvrant, enfant, le récit de la vie d’un médecin missionnaire et qu’il s’est concrétisé au gymnase, en écoutant le Pr Jequier-Doge parler de son métier. De ses origines modestes et peut-être aussi de cette lecture fondatrice, le Dr Rubin a gardé le goût de la justice, du partage équitable des biens ainsi qu’un esprit d’ouverture et de générosité. Il



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suffit de l’écouter évoquer ses années d’assistanat entre les Hôpitaux Universitaires de Lausanne et Genève (pédiatrie, chirurgie pédiatrique, pathologie pédiatrique, dermatologie), l’Hôpital de l’Enfance, l’Hôpital de Cery et le Sanatorium militaire de Montana, sa pratique quotidienne au chevet des enfants, de jour comme de nuit, ou son engagement en tant que médecin de la Fareas. Mais, de son propre aveu, le grand combat de sa carrière est celui qu’il a mené pour sa profession. Il ajoute, assez satisfait somme toute de ce constat, que « les uns me considèrent ultra-libéral, d’autres me prennent pour un communiste ! »

L’ENGAGEMENT POUR SES PAIRS Le Dr Rubin a été membre du Comité de la SVM de 1982 à 1994, puis président du GMI pendant plusieurs années. Une période riche en remises en cause et en négociations, souvent difficiles, avec les partenaires. « Nous n’avions pas l’habitude de défendre notre profession, nos combats n’étaient pas assez partisans. Je salue d’autant plus le travail accompli ces dernières années par les présidents de la SVM, leurs Comités et le secrétaire général. » Le Dr Rubin trouve néanmoins que les médecins « devraient être plus combatifs et ne pas s’endormir sur leurs lauriers, comme au lendemain de la votation du 1er juin dernier ! » La voix du Dr Rubin devient plus forte, son geste se fait plus large : il parle de la mainmise des caisses maladie sur les médecins, sans conteste son cheval de bataille. Il raconte, avec force et indignation, la création en 2000 de la caisse Accorda, née à l’initiative de médecins – dont lui, bien sûr – et de pharmaciens. « Nous nous étions adjoint deux assureurs expérimentés pour diriger la caisse et plusieurs milliers d’assurés nous ont fait confiance. Notre gestion était économiquement valable, nous avons prouvé qu’on peut administrer


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à un coût moindre. » L’expérience, pourtant prometteuse, cesse brutalement après trois ans, lorsqu’un contrôle fédéral relève que « les deux directeurs ont fondé une société bidon au sein de la caisse, empochant un demi-million de francs par année sur le dos des assurés et sur le nôtre ! » Ces deux personnes ont été arrêtées et l’affaire est encore en cours, mais Accorda a dû cesser son activité et le portefeuille de clients a été remis à la CSS. Une aventure qui reste une plaie ouverte pour le Dr Rubin et qui ne fait qu’attiser le feu de ses revendications pour la place du médecin, contre les prises de position de Pascal Couchepin et contre les lobbyistes dont il déplore l’omniprésence à Berne. Il rêve d’un parlement dont les membres seraient mieux payés mais interdits de conseils d’administrations divers. Il craint l’arrivée de réseaux de santé dont le financement serait entre les mains des caisses maladie.

A l’heure de quitter l’exercice actif d’une profession qu’il a « adorée mais qui est devenue un peu fatigante », le Dr Rubin défend ses opinions avec une égale détermination. Mais il songe aussi avec bonheur au temps qu’il va pouvoir accorder à cultiver, en famille, son amour de la nature, de l’Histoire et de la lecture. Paru en février 2009


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DR

PATRICK SCHERRER Le Dr Patrick Scherrer, 61 ans, interniste et médecin chef à l’Hôpital du Pays-d’Enhaut a plusieurs cordes à son arc professionnel mais aussi privé.

« Je suis un homme de terrain qui n’aime pas la bureaucratie » « Même si tout me destinait à une carrière scientifique, j’ai suivi des études classiques », raconte Patrick Scherrer, né à La Tour-de-Peilz, aîné d’une fratrie de quatre. Attiré a priori par l’enseignement des sports et du grec, il choisit de devenir médecin, ce qui, de son propre aveu, n’était pas une vocation mais une heureuse combinaison de la science pure et des sciences humaines. La rencontre, au gymnase à Lausanne, de sa future épouse qui, elle, se destinait à la médecine, n’est sûrement pas étrangère à cette orientation. Même si cette dernière finira par fréquenter les Beaux-Arts. L’aîné de leurs enfants naît pendant la préparation du final, ce qui pousse Patrick Scherrer à retourner momentanément vivre chez sa mère pour échapper aux pleurs du bébé ! Trois autres enfants suivront, ils sont aujourd’hui adultes et s’épanouissent dans des carrières artistiques et techniques. Après une série de stages en Suisse alémanique, le Dr Scherrer, désireux de se perfectionner en chirurgie, rejoint le Dr Yves Guisan, alors à la recherche de jeunes forces pour le tout


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nouvel Hôpital du Pays-d’Enhaut. « Je le considère comme mon mentor », précise-t-il. « C’est d’ailleurs dans son sillage que je me suis engagé dans la politique professionnelle, au sein de la SVM et dans les associations de médecins hospitaliers. » Une période de quatre ans au CHUV parachève la formation du Dr Scherrer, notamment en gastro-entérologie, en néphrologie et en anesthésie, tout cela déjà dans la perspective d’ouvrir un cabinet d’interniste à l’Hôpital à Château-d’Œx. Il devient ainsi le premier médecin de cette spécialité dans la région. La formidable variété de sa pratique enchante Patrick Scherrer. Au cabinet, au lit du malade ou en salle d’opération, il se sent privilégié de rester sur le terrain, de cultiver le contact direct et suivi avec les patients, et cela « avec le moins de paperasse possible ». A quelques années d’une retraite qu’il imagine active, la mise en place d’une relève dans le Pays-d’Enhaut occupe aussi le Dr Scherrer. La solution se profile concrètement aujourd’hui par la mise sur pied d’un centre de santé ambulatoire, « un beau projet, soutenu par P.-Y. Maillard et en voie de réalisation pour 2016 ou 2018 au plus tard », affirme le Dr Scherrer qui considère cette évolution aussi importante pour la région que la création du nouvel hôpital il y a trente ans.

UNE VIE DE TRAVAIL DANS UN LIEU PRIVILÉGIÉ Les membres de la famille Scherrer se sont facilement intégrés dans le Pays-d’Enhaut. Les enfants ont bénéficié des excellentes écoles à disposition, Madame s’est investie dans des activités artistiques, des travaux de traduction et l’enseignement. « Nous aimons cette région qui offre, à une heure de voiture de Lausanne ou de Berne, une qualité de vie exceptionnelle, proche de la nature que nous arpentons à vélo ou à ski de fond », souligne le Dr Scherrer qui, au-delà


de son engagement professionnel, a pris des responsabilités au sein de sa communauté. Président de l’Office du tourisme par exemple, il a créé et dirige le festival de musique Le Bois qui Chante qui « accueille mélomanes et amis de la nature pour célébrer le bois, surtout celui dont on fait des instruments ! Son organisation m’habite toute l’année », avoue Patrick Scherrer qui par ailleurs s’est aussi mis à l’exercice du violoncelle. S’il regrette d’en jouer un peu irrégulièrement pour le moment, il est néanmoins membre du Petit Orchestre du Pays-d’Enhaut. Enfin,

et c’est sûrement une joie toute particulière, l’un de ses petits-fils de six ans partage son amour de cet instrument. Le Dr Scherrer se raconte calmement, avec sérénité, voire une certaine réserve. Peut-être pour masquer sa timidité mais probablement par manque d’habitude de se mettre en avant. Il n’en affirme pas moins ses convictions et se plaît à évoquer ce qui l’anime, le préoccupe ou le rend tout simplement heureux. Paru en novembre 2012


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FRANCIS THÉVOZ Pour le cinquantième portrait qui paraît dans le CMV, nous avons rencontré une personnalité qui a joué un rôle certain au sein de la SVM mais aussi dans la vie vaudoise et lausannoise : à 74 ans, le Dr Francis Thévoz reste actif mais renonce peu à peu à certains de ses engagements, par exemple celui de membre de la rédaction du CMV.


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Plusieurs vies en une seule En évoquant sa vie, Francis Thévoz multiplie les anecdotes et passe d’un sujet à un autre, comme pressé de ne rien oublier d’essentiel. Il faut dire que son parcours est riche, sinueux et linéaire à la fois. Sixième enfant d’une famille paysanne broyarde, engagée dans l’Eglise libre, le petit Francis étudie au collège Pierre Viret. Un privilège à double tranchant : si l’école lui a donné une excellente préparation intellectuelle, il y souffre du regard que les élèves « de bonne famille » posent sur lui. Il en sortira libre-penseur, rationaliste, révolté. A dix-huit ans, il monte à Paris, se confronte aux idées, aux penseurs et aux événements qui ont agité les années d’après-guerre. C’est l’heure de la première prise de conscience politique et de son adhésion aux combats de la gauche. Revenu à Lausanne en 1956, il entreprend des études de médecine. Boursier, il exerce divers métiers pour entretenir la famille qu’il vient de fonder et monte sur les planches avec son ami Charles Apothéloz. Inscrit au POP, conseiller communal, il militera pour toutes les causes que la gauche soutient à cette époque. « Ici, les rouges ne deviendront pas médecins », une déclaration professorale qui alerte l’étudiant Francis Thévoz. « J’ai démissionné du Conseil communal, fini mes études la peur au ventre et je suis sorti premier de ma volée ! » rappelle-t-il avec fierté mais sans amertume. Sur le conseil du Pr Saegesser, le jeune Dr Thévoz travaillera à Genève sous la houlette du Pr Rutishauser, pathologue, puis avec le Pr Hahn : la chirurgie cardiaque devient alors sa voie et sa passion. Pendant les années genevoises, Francis Thévoz reste politiquement engagé dans cette gauche qu’il quittera définitivement à la fin des années 60. Epoque de changements dans tous les domaines, marquée par un divorce, un remariage et le départ pour Glasgow,


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puis Pittsburgh, Montréal et enfin Toronto. Le Dr Thévoz parle avec un enthousiasme intact de ces années d’intense activité dans des hôpitaux à la pointe de la chirurgie cardiaque.

UN TOURNANT… RADICAL ! Fin 1974, le Dr Thévoz revient à Lausanne, s’installe en privé, opère à la Clinique Cecil mais aussi à l’Hôpital d’Orbe et au Samaritain de Vevey. Devenant membre de la SVM, puis de son Comité au début des années 80, il en devient président et découvre le syndicalisme médical. Il participe activement à faire bouger le système établi, à réorganiser la SVM. Il est d’ailleurs l’un des initiateurs du CMV : « Je me suis ainsi retrouvé tout naturellement à défendre des intérêts économiques libéraux. Je n’ai rien trahi, car vingt ans s’étaient écoulés depuis mon engagement à gauche », préciset-il. Son adhésion au Parti radical est suivie, on ne s’en étonnera pas, d’un engagement concret dans la vie locale. Elu au Conseil communal et au Grand Conseil, Francis Thévoz est propulsé à la Municipalité de Lausanne en 1993

où il prend la tête des Finances. Ce nouveau métier arrive à point nommé dans sa vie de médecin et l’enthousiasmera pendant huit ans. Francis Thévoz se définit comme un homme trop pressé, trop idéaliste, trop ambitieux. Malgré un parcours d’une richesse et d’une diversité rares, malgré un passé et un présent actif et engagé, il dit aujourd’hui avoir un regret : celui de n’avoir pas pu devenir professeur de chirurgie cardiaque. Il apparaît néanmoins évident que ses talents et sa capacité à s’engager – voire à s’enflammer – pour une cause, quitte à se tromper, ont séduit. Ils lui ont en tout cas assuré une vie passionnante. Et tous ceux qui l’ont côtoyé – hier, aujourd’hui et sans doute demain – apprécient son franc-parler, ses visions avant tout humanistes et même ses excès qu’il sait modérer au moment où il le faut. Paru en août-septembre 2010


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DR

PHILIPPE VUILLEMIN Le Dr Philippe Vuillemin s’intéresse à l’Histoire depuis son enfance. C’est aussi de sa prime jeunesse que date sa vocation de médecin.

« J’ai appris à lire l’espace de maintenant sans négliger ce qui l’a construit » Né en 1953 à Burgdorf, Philippe Vuillemin est bilingue, une corde à son arc fort utile tout au long de sa carrière. Ses années d’enfance passées en Normandie lui ont ouvert d’autres horizons, ne serait-ce qu’à travers l’excellence de l’enseignement dont il a bénéficié au Lycée Malherbe de Caen. C’est à Lausanne qu’il passe sa maturité et accomplit ses études de médecine, tout en menant une carrière militaire. Diplômé en 1979, doué pour la psychiatrie, il y renonce, malgré le soutien affiché du Pr Christian Muller, rebuté par le côté « coupeur de cheveux en huit » de ses futurs confrères. La médecine générale lui permettra de mettre aussi en pratique ce qu’il a appris à Cery. En 1985, le Dr Vuillemin ouvre son cabinet à Lausanne, dans le quartier multiculturel des Boveresses où il vit depuis maintenant 36 ans et au développement duquel il a activement participé.


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MÉDECINE, ARMÉE, POLITIQUE ET HISTOIRE Elu en 1981 au Conseil communal lausannois, Philippe Vuillemin siège depuis dix-neuf ans au Grand Conseil. Issu d’une famille de la classe moyenne dont plusieurs membres ont été politiquement actifs à gauche comme à droite, le Dr Vuillemin sent de la reconnaissance pour son pays qui lui a permis de « devenir médecin sans avoir des parents médecins ou au moins riches ». Il lui est donc apparu naturel de grader à l’armée et de s’engager en politique. Il a rejoint les rangs du parti libéral « parce qu’on peut y exprimer ce que l’on pense et qu’on ne m’y impose pas ce que je n’ai pas choisi ». Le lien avec l’Histoire, autre passion de sa vie, est dès lors quasi évident et parfaitement cohérent. « Ne déformons pas les événements par la vision qu’on peut en avoir aujourd’hui ! » : c’est à la lecture exacte des faits, documentée, référenciée et positionnée dans le temps que Philippe Vuillemin est viscéralement attaché. S’il a ses périodes de prédilection ( le 1er Empire, ou l’Histoire de la Suisse et de sa profession ), il cherche aussi ailleurs les clés que le passé nous donne pour expliquer le présent. Ecoutez-le condamner, par exemple, le révisionnisme ou les discours anti-européens de ceux qui font ainsi preuve de « leur inculture historique ! » « Lisez-donc les textes, s’échauffet-il, on peut penser ce que l’on veut de l’UE d’aujourd’hui, mais on ne peut ignorer les buts et la vision des créateurs de l’Europe ! » Lire les textes, le grand mot est lâché : chasseur de vérité dans les livres anciens, chercheur infatigable dans les librairies spécialisées, il est à l’affût de documents rares, de liens originaux et suit les traces que les références des ouvrages historiques lui indiquent. Il possède aujourd’hui


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une évidente fierté. Attaché à la vérité mais également aux destins individuels et collectifs, Philippe Vuillemin nous conseille d’aborder l’Histoire à travers des témoignages écrits moins de cinq ans ou plus de soixante ans après les événements. « Entre deux, les auteurs ont une vision qui tend à détruire ce qui a été pour justifier leurs propres actes. » Depuis quelques années, et là on retrouve sans doute le médecin qui a failli devenir psychiatre, Philippe Vuillemin explore l’enfance des grands de ce monde et l’influence qu’elle a eue sur leurs actes. Erudit, il nous livre ses connaissances avec fougue et sans pédantisme. Pratiquant un verbe haut et fleuri, soulignant ses propos de gestes larges, il ponctue ses déclarations de sonores éclats de rire. L’orateur à la tribune n’est jamais très loin chez cet homme convaincu et convainquant. Paru en octobre 2011 plusieurs trésors qu’il achète dans le cadre d’un budget qu’il s’est fixé. Quand il qualifie « d’assez sympa » sa récente acquisition d’une lettre, signée de François 1er et écrite aux Zurichois en 1523, on sent que cet understatement masque



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PR

GÉRARD WAEBER Dire que le Pr Gérard Waeber, chef du Service de médecine interne du CHUV, est un professionnel reconnu et sollicité tient de l’évidence. Sa disponibilité, sa simplicité chaleureuse, son souci à nous répondre sur l’essentiel sans trop se dévoiler esquissent les contours de sa personnalité.

Trois R comme ligne de conduite Fribourgeois de naissance et de cœur, Gérard Waeber est issu d’un milieu modeste et a fréquenté le Collège St-Michel. Il mentionne les efforts consentis par sa famille pour que son frère Bernard et lui deviennent médecins. De sa période de formation, il retient plus particulièrement les quatre années à Harvard, consacrées à la recherche et à la clinique. A son retour en Suisse en 1992, il est lauréat d’une bourse de relève académique très compétitive qui lui a permis de mener de front des projets de recherche et une activité clinique. Il a ensuite gravi, pas à pas, les échelons de la hiérarchie hospitalière et académique. Trois mots-clés, qu’il transmet à ses collaborateurs et à ses étudiants, illustrent la ligne de conduite du Pr Waeber : Recherche, Relation et Relève.


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Dans le domaine de la Recherche, le Pr Waeber insiste sur l’importance de la formulation de la question de base qui structure tout le projet et le rend publiable, donc utile. Et de citer CoLaus, une des nombreuses études auxquelles il a participé et dont il est l’un des investigateurs principaux. « Cela marche extraordinairement bien, le travail de notre équipe est reconnu hors de nos frontières, une centaine d’articles issus de cette étude ont déjà été publiés en quelques années », précise-t-il encore avec une légitime satisfaction. La Relation, propre à tous les médecins, est, pour le Pr Waeber, un moment qu’il qualifie de « délicieux et privilégié avec les patients, collègues, assistants et étudiants ». Le parrainage et le mentorat institués dans son service depuis des années lui tiennent aussi à cœur. Il confie que la Relève constitue « une des plus belles missions académiques, sans enjeu financier ni personnel et requiert un engagement important ». A ce chapitre, mentionnons sa longue implication au sein du Comité de la SVM et les dix-sept années durant lesquelles il fut membre puis président de la Commission de la formation continue, fonction qu’il a récemment quittée. « Les Jeudis de la Vaudoise ont pris une forme participative et sont très fréquentés », se réjouit-il. Rendant en passant hommage à ceux qui l’ont formé, Gérard Waeber est content que nous ne vivions plus à l’ère des mandarins. « Aujourd’hui, on juge la qualité d’un professeur par rapport à l’équipe qui l’entoure et qui participe à préparer la relève. » Et quand on sait le grand nombre de médecins qui passent chaque année dans son service, on comprend qu’il affirme que son plaisir est d’assister au départ des personnes qu’il a contribué à former vers d’autres horizons, « comme des parents qui voient leurs enfants réussir ».


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L’image ne tient pas du hasard car la famille occupe une place centrale dans la vie de Gérard Waeber. Marié à un médecin, père de trois enfants dont l’aînée est déjà dans la profession, il confie que les rapports avec les siens présentent des aspects fusionnels. Parmi les sports qu’il pratique, la marche est celui qu’il privilégie aujourd’hui. « Elle permet non seulement la découverte du monde extérieur souvent en s’élevant vers des sommets mais également l’introspection et la discussion avec votre partenaire », ajoute cet homme qui semble savoir se donner le temps de réfléchir, d’aimer et d’agir. Et aussi d’écouter : sait-on que son chalet a été construit par un architecte d’origine vietnamienne qui a remplacé le projet traditionnel concocté par les Waeber par une approche basée sur les règles du Feng Shui et des options architecturales inattendues dans nos Préalpes ? D’abord sceptique puis enthousiasmée par cette alternative, la famille se ressource aujourd’hui dans la « zenitude » de ce lieu.

Au fil de la conversation, d’autres R surgissent : Respect d’une certaine éthique, besoin de rester dans la Réalité, envie de Réagir en continuant à écrire sur la politique de la santé, Reprendre du service au sein de la SVM… Le téléphone sonne, le Pr Waeber répond « J’arrive ! » Nous nous quittons. Le quotidien a repris ses droits. Paru en octobre 2012


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PIERRE WIDMER Le Dr Pierre Widmer, généraliste, est installé à Crans-près-Céligny, dans une région qu’il affectionne particulièrement. Depuis vingt ans, les étés du Dr Widmer et de sa femme tournent autour d’un événement qui a pris l’envergure que l’on sait : le festival Paléo et, en l’occurrence, son service médical. Le Dr Widmer reste amateur de rock des années 70, la musique de son adolescence. Il profite néanmoins du festival pour découvrir d’autres artistes, souvent sur le conseil de ses filles qui sont aujourd’hui également bénévoles à Paléo.

Quand la fièvre monte à Paléo Passionné de sports, le Dr Pierre Widmer a assuré la permanence médicale des manifestations des clubs locaux dès son installation en Terre Sainte. Ce qui a sans doute incité, en 1987, le Dr Jean Walther, responsable médical du jeune festival Paléo, à l’inviter à s’intégrer à sa petite équipe. Louise Widmer, infirmière et ambulancière, rejoindra son mari quelques années plus tard. En 2001, au départ du Dr Walther, Pierre Widmer reprend le poste, non sans quelques hésitations. « Ma femme était responsable de l’infirmerie et nous n’étions pas très chauds à l’idée de créer une relation hiérarchique entre nous, mais finalement nous n’avons jamais rencontré de problème. »


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BOBOLOGUE DE L’ASSE Le travail du Dr Widmer et de sa femme commence bien avant le festival : commande des médicaments – offerts par une trentaine d’entreprises pharmaceutiques –, organisation des équipes, planning des horaires, mesures de sécurité, pour ne citer que ces tâches-là. Médecins, anesthésistes, ambulanciers, infirmiers, brancardiers et téléphonistes composent la fidèle équipe médicale de 55 personnes. Une vingtaine d’entre eux sont à la disposition chaque soir des 40 000 spectateurs. Pendant le festival, le Dr Widmer passe une douzaine d’heures par jour à l’Asse. Membre de l’équipe multidisciplinaire de responsables de tous secteurs, sa journée commence par une séance de « debriefing » de la veille et la préparation de la soirée. « Dès quinze heures, j’ouvre l’infirmerie que mon épouse fermera vers trois, quatre heures du matin. Paléo est une petite ville, présentant beaucoup de problèmes médicaux potentiels dans un court laps de temps. Quelque 200 personnes nous sollicitent chaque

soir, à 95 % pour de la bobologie. Mais on dispose aussi de plans catastrophes, préparés en collaboration avec les services cantonaux de la santé. » Grâce aux diverses mesures prises, l’équipe médicale de Paléo ne doit heureusement plus faire face à des décès par overdose, affrontant actuellement plutôt des cas de mélange d’alcool et de cannabis. Parmi les nombreuses anecdotes, le Dr Widmer se rappelle en souriant les deux sexagénaires « bcbg » qui sont arrivées complètement hallucinées à l’infirmerie après avoir mangé un gâteau acheté à de gentils campeurs et en faveur d’une bonne cause : en


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fait, il s’agissait de space cakes ! Si l’équipe n’intervient que rarement auprès des artistes, le Dr Widmer se souvient d’avoir remis sur pied – au moins temporairement – un chanteur terrassé par une crise de calcul rénal juste avant son entrée en scène.

PIERRE WIDMER CHEZ LES ROLLING STONES Cette année, les Widmer ont vécu une nouvelle aventure : la responsabilité médicale du concert des Rolling Stones à Lausanne. « J’ai abordé cette expérience avec une certaine crainte, avoue le Dr Widmer, 42 000 personnes autour d’un grand événement unique, dans un lieu inconnu, avec une équipe certes professionnelle, mais dont les membres ne m’étaient pas familiers… Heureusement, tout s’est passé à merveille, cela restera un souvenir inoubliable. »

Le Dr Widmer se dit prêt à rempiler dans sa fonction, au moins aussi longtemps que son épouse fera partie de l’aventure. « Pour moi, Paléo n’est ni du travail, ni des vacances, c’est une semaine dans une autre dimension. L’occasion aussi de pratiquer une activité en famille, de retrouver des gens que je ne vois pas le reste de l’année. Et c’est un plaisir particulier que de faire partie d’une entreprise qui fonctionne bien et dans laquelle on se sent immédiatement utile. » Paru en octobre 2007


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DR

CLAUDE WILLA †

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Interniste et pneumologue, le Dr Claude Willa est aussi président des examens fédéraux de médecine pour l’Université de Lausanne. Rencontre avec un homme chaleureux, ouvert aux gens et aux idées.

« Pater familias » des étudiants en médecine Ancien chef de clinique, le Dr Willa a étudié à Lausanne et à Paris, « en mai 68 », précise-t-il avec le brin de nostalgie propre à ceux qui ont vécu cette période. Il ouvre son cabinet en 1971. Aujourd’hui président de la Fondation de La Source, il est l’un des fondateurs des services de soins à domicile de Lausanne. Marié, père de trois fils adultes et grand-père de trois petits-enfants, le Dr Willa est un homme de culture : il consacre ses loisirs à la lecture, à la musique ainsi qu’à des escapades européennes. En 1999, le Dr Willa prend la responsabilité des examens fédéraux, heureux de garder le contact avec les étudiants et les différentes branches enseignées à la Faculté. Pourquoi a-t-on fait appel à lui ? « Peut-être parce que je suis un homme qui préfère la médiation au conflit, denrée inutile à ce poste », confie-t-il. « L’une de mes fonctions – et pas des moindres – est celle d’être une espèce de Pater familias pour les étudiants. Je les vois s’ils le souhaitent, je parle



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avec eux de leurs doutes, de leurs angoisses et, au besoin, je les guide dans les arcanes de la législation fédérale des examens. » Bien sûr, la responsabilité de ce poste comporte des tâches que le Dr Willa accomplit avec l’aide précieuse d’une secrétaire. Il s’agit notamment de l’administration des horaires, de la coordination des examinateurs, de la surveillance des épreuves ainsi que de la gestion des recours. On ne saurait esquisser un portrait du Dr Willa sans parler de son humanisme et de sa constante empathie pour ses semblables. « J’ai fait de la médecine parce que je voulais voir comment cela marche… Aujourd’hui, et cela va vous paraître étrange, il m’est arrivé de donner à un malade un poème à lire au lieu d’une ordonnance ! Je n’abandonne bien entendu pas l’aspect scientifique des choses, mais, plus j’avance en âge, plus je trouve que la relation et l’échange entre le médecin et son malade sont importants. » Ces réflexions et cette évolution personnelles ne sont sans doute pas étrangères à l’intérêt que porte le Dr Willa à la formation. « Malgré TarMed, malgré l’évolution méthodologique de l’enseignement et les progrès technologiques, la relation

humaine sera toujours le centre de la consultation. C’est en tout cas ce que j’espère pour l’avenir de nous tous comme aussi pour celui de la médecine. » Paru en juillet 2004



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LES SPORTIFS Ils gardent la forme pour sauvegarder leur équilibre



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CARLO BAGUTTI Le Dr Carlo Bagutti, 52 ans, généraliste et médecin du sport, s’occupe et se préoccupe de la santé des danseurs, notamment des jeunes candidats au prestigieux Prix de Lausanne.

Il investit dans le capital (santé) des danseurs Les jeunes années du Dr Carlo Bagutti se passent au Tessin dans une ambiance familiale sportive. Enfant, c’est suite à une appendicite et à quelques accidents de sports qu’il découvre « le miracle d’être guéri et l’envie de devenir l’acteur de ce miracle ». Pendant ses études de médecine à Lausanne, il noue des liens, bases d’un réseau professionnel et amical qu’il cultive encore aujourd’hui. Il se destine à la médecine générale, songe à la pédiatrie mais trouve sa voie lors d’un stage sous la houlette du Pr Alex Chantraine à Genève : il découvre la médecine du sport, discipline encore marginale à l’époque, mais qui fait « partie intégrante de mon arsenal du médecin généraliste ». Dans son cabinet, le Dr Bagutti applique cette conviction et montre l’exemple en pratiquant régulièrement le foot, le volley, le tennis, le vélo, la course à pied, la plongée et la voile. Avant de s’installer en 1992, il « bourlingue avec femme et enfants » et passe une année aux Maldives à soigner les autochtones comme les touristes.


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Dans l’évocation de l’enfance et de la formation de Carlo Bagutti, on trouve les bases de la suite de son parcours : passion des sports, respect de son corps, besoin d’approfondir, de partager et de jeter des ponts entre des mondes différents. Une philosophie présente dans sa vie professionnelle, comme dans sa vie privée : il fonde, avec huit confrères, Vidy-Med et vit dans un château en compagnie de seize autres familles. « J’apprécie les fonctionnements basés sur un partage démocratique, par ailleurs socialement et économiquement intéressants. »

RENCONTRE AVEC LA DANSE Sollicité en 1996 pour traiter une fracture chez un jeune candidat russe au Prix de Lausanne, le Dr Bagutti découvre le monde de la danse classique. Il est touché par la volonté, la maturité et la passion qui animent ces adolescents qui expriment leur riche personnalité et leurs émotions en prenant parfois des risques pour leur santé. « Plutôt que de développer progressivement leurs talents, quelques jeunes sont tentés d’imiter les qualités physiques

exceptionnelles de certains danseurs », affirme Carlo Bagutti qui assure depuis 1997 un suivi médical pendant le Prix. En côtoyant les problématiques diverses de santé de ces jeunes, il comprend que le rôle de « mécanicien qui répare » est insuffisant. En collaboration avec la direction artistique du Prix, il met en place une intervention plus globale et préventive créant un lien nouveau entre le milieu de la danse et celui de la médecine. Quelques mois avant chaque concours, les candidats envoient au Dr Bagutti un dossier médical, rempli avec leur médecin, retraçant notamment leur croissance et leurs habitudes alimentaires. « C’est surtout une démarche préventive et une manière de faciliter la prise en charge médicale des jeunes danseurs. » Encouragé par la prise de conscience que cette procédure a constituée, Carlo Bagutti note avec satisfaction que les jeunes danseurs sont en meilleure santé qu’il y a dix ans, gèrent mieux leurs performances ainsi que la durée de leur carrière. Il sensibilise aussi – à travers des séminaires – les chorégraphes, directeurs d’écoles ou de compagnies, ainsi que les familles des danseurs à la relation entre la santé et leur art.


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Heureux que Lausanne soit une « capitale de la danse », le Dr Carlo Bagutti poursuit son engagement : une étude, réalisée en collaboration avec le Pr Peter Burckhardt, est en cours de publication *. Médecin de l’Ecole Rudra et de la nouvelle filière « danse-études » du Collège de Béthusy, il fait par ailleurs partie du team médical de l’équipe suisse d’athlétisme. Ce qui le confronte au dopage qui, bien sûr, le préoccupe. Le monde de la danse ne connaît pas ce problème. A ce propos, le Dr Bagutti cite une danseuse étoile, ancienne athlète : « Aujourd’hui quand je saute, ce n’est pas la longueur du saut qui compte mais l’impression que je n’atterrirai jamais. » Paru en novembre 2008

* Relationships between nutrition, body mass index, pubertal stage, dancing parameters and bone health, in adolescent female ballet dancers Emma Wynn 1, Marc-Antoine Krieg 1, Carlo Bagutti 2, Mohamed Faouzi 3 and Peter Burckhardt 4 1

Center of Bone Diseases, Lausanne University Hospital, Lausanne, Switzerland. 2 VIDY-MED Clinic, Lausanne, Switzerland. 3 Centre d’épidémiologie clinique, University Hospital, Lausanne, Switzerland. 4 Clinique Bois-Cerf, Osteoporosis Consultation, Lausanne, Switzerland.


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DR

CLAUDE BÉGUIN Pas de doute : le Dr Claude Béguin est un marin, et pas un marin d’eau douce. La décoration des murs de son cabinet de généraliste à Echallens ne manque pas de le rappeler. Il préfère la navigation hauturière à la navigation côtière car elle le conduit vers d’autres dimensions : celles d’espaces inconnus, mais surtout vers une perception différente du temps.

L’air du grand large Claude Béguin est né 1949 à Lausanne où il a fait ses études. Jeune médecin, il s’installe au début des années 80 à Echallens. Depuis une décennie, il partage ses locaux avec deux autres généralistes, les Drs Python et Maillard ; ces derniers ont respectivement dix et vingt ans de moins que lui. « Cette différence de génération professionnelle était un choix délibéré et elle enrichit notre collaboration ; nous traitons même certains patients en commun, suivant leur problème et selon l’alchimie entre eux et nous. » Cerise sur le gâteau : dans deux ans, la fille du Dr Béguin viendra prendre sa place au cabinet, laissant à son père plus de temps pour l’autre passion de sa vie, la navigation. « Enfant, je naviguais déjà sur une coquille de noix, avec un bout de pain et une bouteille d’eau », confie-t-il. Jeune homme, il passe plusieurs étés dans une école de voile en Bretagne ; il y devient enseignant.


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Marié, père de trois enfants, fraîchement installé, le Dr Béguin met ses désirs d’air du large entre parenthèses pendant quelques années. A la quarantaine, sa vitesse de croisière professionnelle trouvée, il revient à la navigation ; entre-temps, Madame Béguin a ouvert une librairie spécialisée et s’occupe du secrétariat d’une association marine. Le couple développe ensuite un centre de for-

mation de navigation en haute mer à Morges. Claude Béguin s’en occupera pendant treize ans, préparant à une licence quelque 400 marins. « Je me suis chargé des cours théoriques et peu de la pratique qui nécessitait de passer douze à quinze semaines par année en Bretagne. » Aujourd’hui, le magasin est vendu et le Dr Béguin n’a gardé que quelques cours. Transmettre son savoir semble une constante


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dans la vie de Claude Béguin puisque, avec ses confrères, il accueille régulièrement des assistants dans le cabinet. Le parallélisme entre la navigation hauturière et la médecine lui apparaît évident : travailler avec plusieurs paramètres, se remettre en question, évoluer, différencier erreur et négligence, gérer les risques, les angoisses, les questionnements et les solutions. Mais aussi « développer une relation intimiste sans voyeurisme et gérer le prévu en cas d’imprévu ! »

GWINDASK OU L’AVENTURE DU CONSTRUCTEURNAVIGATEUR Le défi qui tient probablement le plus au cœur du Dr Béguin – et qu’il qualifie lui-même de folie – est sans doute la construction d’un voilier de douze mètres. Gwindask est né en deux ans et demi de labeur pénible et passionnant, une période qu’il évoque avec humour : « Quand je voyais l’état des mains d’un intellectuel qui travaille, je n’osais imaginer le cerveau d’un manuel qui réfléchit… » En 1996, la famille Béguin connaît le bonheur de prendre la mer pour le voyage inaugural de Gibraltar

à la Bretagne. Depuis, elle a aussi découvert l’Irlande, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège, le Cap Nord et enfin le Spitzberg. Souvenirs inoubliables et rude confrontation avec la glace, le climat, le jour continu. Actuellement, le Gwindask est amarré sur la côte ouest de l’Ecosse. « La relation avec le bateau – comme toute relation affective – évolue : par exemple, cette année, nous avons découvert la navigation avec nos deux petits-enfants de quatre ans. » La tête toujours pleine de projets, le Dr Béguin songe maintenant à redescendre vers les côtes portugaises, les Açores et le Cap Vert. Et plus tard, naviguer vers la Patagonie et l’Amérique du Sud. Puis, un jour encore lointain, se limiter peutêtre à voguer sur une barque de pêcheur sur le lac de Neuchâtel… Intarissable sur sa passion, comme sur les liens entre sa vie d’homme et de médecin, Claude Béguin reste néanmoins pudique, voire secret. Mais on ne se lasse pas de l’écouter raconter ses expériences et ses découvertes qui « mettent les choses à leur vraie place ». Paru en novembre 2006


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DRESSE

SYLVIA BONANOMI SCHUMACHER Sur le bureau la Dresse Sylvia Bonanomi Schumacher, gynécologue à Pully, la place de choix n’est pas occupée par une photo de famille mais par une prise de vue des trois Mont-Blanc. C’est dire ce que la montagne représente pour elle, mais ce n’est de loin pas tout dire d’elle.

« La compétition est une victoire sur soi, pas sur les autres » Née à Neuchâtel il y a 55 ans, Sylvia Bonanomi a grandi dans une famille où se conjuguent avec bonheur science, sports et amour de la nature. Tous les éléments de sa vie future semblent déjà réunis, tout comme la détermination – affirmée dès l’âge de six ans – d’exercer un jour la médecine. Elle étudie à l’Université de Lausanne où elle rencontre son mari, le Dr Daniel Schumacher. A l’aise dans un milieu masculin – ses meilleurs amis sont encore aujourd’hui des hommes – Sylvia Bonanomi choisit la gynécologie, « parce que j’aime les femmes et que j’étais un peu pionnière dans cette spécialisation. Mais aussi parce que c’est un métier où on s’occupe souvent de grandes joies », raconte-t-elle. Les horaires de la Maternité du CHUV étant incompatibles avec


sa vie de jeune mère, la Dresse Bonanomi Schumacher, qui tient à continuer à travailler, s’engage entre 1984 et 1987 au Planning familial de Renens où elle prend plaisir à s’occuper de femmes très différentes, souvent démunies, marginales ou migrantes. Suivent « huit années de bonheur » à Martigny où exerce le Dr Schumacher, anésthésiste, période pendant laquelle son épouse reprend et termine sa formation post-grade et son FMH, à temps parfois partiel. Elle exerce notamment au CHUV où elle vit les débuts de la FIV. Au moment du retour de la famille à Lausanne en 1997, elle ouvre son cabinet avec un confrère. Aujourd’hui, elle


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y exerce toujours avec la même satisfaction mais selon un horaire allégé, en partageant sa consultation avec une jeune consœur.

L’ÉPANOUISSEMENT NÉCESSAIRE DANS LA NATURE « Mon besoin fondamental d’être dehors, à la lumière, se marie bien avec mon intérêt pour la botanique, pour les montagnes et les grands espaces. J’ai beaucoup pratiqué le ski et la marche avant de me lancer, un peu par hasard, dans mon premier Sierre-Zinal que j’ai préparé en deux semaines ! » se souvient Sylvia Bonanomi Schumacher. Une expérience concluante puisqu’elle a couru cette course pour la douzième fois cette année. Habituée des 10 km de Lausanne, elle a notamment participé aux marathons de Berlin, de New York, de Paris, de Florence et de Nice. « Plus vous courez, plus vous aimez courir », précise avec enthousiasme la Dresse Bonanomi qui s’entraîne quelque six heures par semaine avant les compétitions. « Préparer un marathon est un projet global qui dure des mois. Puis, on passe les trois quarts de la course à se

demander ce qu’on fait là et le dernier quart à se réjouir de pouvoir la refaire un jour ! » Pour Sylvia Bonanomi Schumacher, la « cerise sur la gâteau » reste la Patrouille des Glaciers et les entraînements entre amis, « un plaisir absolu, sans obsession de résultat, une victoire sur soi et pas sur les autres ». La Dresse Bonanomi aime marcher et voyager, en Valais ou ailleurs à la découverte d’horizons lointains. « Les mois que mon mari et moi avons passés à parcourir le Népal à pied, avant la naissance des enfants, reste notre plus beau souvenir ensemble », nous confiet-elle. S’avouant privilégiée, la Dresse Sylvia Bonanomi Schumacher a gardé une fibre sociale. Intéressée surtout par l’aspect scientifique de la médecine, elle a opté pour une spécialisation où le contact humain est primordial. Ambitieuse et féministe – « avec l’aide des hommes » – elle a cependant su choisir un compromis heureux entre carrière et famille. Ces paradoxes constituent-ils le secret de l’équilibre d’une personne qui a su faire des chances de sa vie un art de vivre ? Paru en novembre 2010


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DR

ERIC BREUSS L’ambiance est faussement calme en cette fin de matinée dans le cabinet du Dr Eric Breuss, généraliste à Pully. Attentif à décrire sa trajectoire atypique de médecin, son amour du tango, il surveille discrètement son téléphone portable : il faut dire que la naissance de son troisième enfant est imminente…

Le docteur tango-tango Né en 1962 dans le canton de Schwyz, Eric Breuss est le seul de sa fratrie de cinq à avoir entrepris des études supérieures : le chemin qui l’y conduira est d’ailleurs sinueux. Désireux de réaliser son rêve de travailler en Afrique, il obtient un CFC de mécanicien auto puis entreprend un début de formation d’ingénieur. Aucune possibilité de mission sur le continent africain ne se présentant pour un jeune mécanicien, il cherche une autre voie pour arriver à concrétiser son « idéal de jeunesse ». Après une maturité tardive, il commence, à 28 ans, des études de médecine, une profession qui « pouvait m’ouvrir plein de portes ». Et comme il ne craint pas les difficultés, il s’inscrit à l’Université de Lausanne. « La première année a été rude, j’étais constamment plongé dans mon dictionnaire », concède-t-il aujourd’hui. Pendant ses études encore, un premier séjour de neuf mois au Cameroun


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LA DANSE FUSION

vient récompenser ses efforts ; il y retournera en tant que médecin diplômé pour deux ans. « J’ai toujours gardé un pied en Afrique et je m’y rends régulièrement, souvent avec la tentation de rester… », avoue le Dr Breuss pourtant bien installé dans sa vie familiale et dans son cabinet pulliéran ouvert en 2002.

Si une étagère de sa bibliothèque du cabinet est réservée à des statuettes africaines, on ne trouve nulle trace de son intérêt pour le tango, qu’il pratique et enseigne depuis quelques années. « La danse appartient à ma sphère privée, même si certains de mes patients ont fini par découvrir cette facette un peu fantaisiste de ma personnalité », précise-t-il. Adolescent, le Dr Breuss a participé à des championnats de rock and roll acrobatique. La rencontre avec le tango, dont la musique le fascine depuis longtemps, se situe après son retour du Cameroun. En 1996, il se joint à une association lausannoise pour s’initier au tango. Huit ans plus tard, il fonde, avec des amis, L’Ecole de Tango de Lausanne * : il y danse et forme des amateurs de tous niveaux deux soirs par semaine. Cette petite école est très active : elle organise des soirées ( milongas ), pour découvrir et partager le plaisir de la danse à deux. Elle met sur pied des stages ( le prochain a lieu du * www.eltango.ch


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1er au 6 septembre, avec le concours de danseurs argentins ), des bals et d’autres événements. Chaque dimanche soir de l’été qui s’achève, les élèves de l’Ecole ont dansé sur le parvis du Musée Olympique pour la grande joie des visiteurs et des passants. Pour Eric Breuss, le tango, c’est la fusion de deux personnes autour d’une musique romantique et sensuelle. « On est deux, mais on est aussi seul à chercher comment guider sa partenaire, finement, par la manière dont on tient les bras et par l’axe de son corps. Le tango révèle si est on bien dans sa tête et dans son corps. Je remarque que plus on avance, plus on revient vers les bases. » Eric Breuss continue à se perfectionner, avec des danseurs argentins, se plaçant alternativement dans la position du danseur et de la danseuse. Au-delà du fait que le tango est actuellement à la mode, il aime cette activité artistique qui libère son esprit des soucis quotidiens. Il apprécie et écoute les nombreuses musiques de tango existantes. Il puise bonheur et énergie dans les airs de Piazzolla, bien sûr, de Carlos Di Sarlis, Pugliese, mais aussi dans la musique tangoelectro comme Otros Aires ou

expérimentale de René Aubry. Il suit avec intérêt d’autres artistes comme Grand Corps Malade, Cali ou Arno qui s’inspirent également du tango. Eric Breuss n’est encore jamais allé en Argentine. Peut-être parce qu’il ne sait pas s’il s’y rendrait seul, avec son épouse ou avec une partenaire de tango… Positif, stable, épicurien, il avoue détester qu’on lui marche sur les pieds, « sauf en dansant le tango, là c’est pardonnable ! » Paru en août-septembre 2009


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DR

HENRI-KIM DE HELLER Ceux qui connaissent le Dr Henri-Kim de Heller (42 ans, marié et père de trois enfants), interniste à Lausanne, savent que le football tient une grande place dans sa vie. Engagé dans plusieurs activités para-professionnelles, le Dr de Heller exerce en cabinet et aux urgences.

« Le foot est un plaisir continu » Les premiers souvenirs de Kim de Heller liés au football remontent à l’enfance. Il joue avec les juniors de Gland, de Rolle puis de Nyon. A dix-sept ans, avec les actifs de Rolle, il monte en deuxième ligue, un « souvenir merveilleux ». Il quitte la région et suit quelques mois HEC à St-Gall où il avoue en souriant s’être surtout consacré au foot et participé aux tournois interuniversitaires. De retour en Suisse romande, il entre à l’Ecole sociale tout en travaillant dans un EMS. C’est pendant ces années que son ancien entraîneur de Rolle lui propose de rejoindre la première équipe d’Yverdon qui évolue en ligue nationale B. « J’ai vraiment fait mes armes dans ce team, bénéficiant de l’enseignement de joueurs professionnels, certes en fin de carrière mais de très haut niveau. » A 24 ans, Kim de Heller change d’orientation : il commence la médecine, un choix qui, à l’évidence, le comble malgré la difficulté de redevenir étudiant après avoir été salarié. Les


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années universitaires relèguent un peu le football au deuxième plan, mais Kim de Heller n’abandonne pas son sport favori, bien au contraire. Il devient pendant deux ans entraîneur, à Yverdon, d’une équipe d’ex-juniors formée d’ados en difficultés, considérés comme « des traînards ». Ils finissent par devenir, grâce à l’esprit d’équipe mais peut-être aussi grâce à un peu de discipline, une belle formation de troisième ligue pratiquant, avec fair-play, un foot de qualité. Cette activité finance non seulement les études du Dr de Heller mais illustre sans doute bien sa personnalité : l’envie d’exercer une activité sociale, de mettre en pratique le rôle éducatif du sport d’équipe, de promouvoir la solidarité d’un groupe et de laisser émerger des talents. Kim de Heller aime le football « parce qu’il apprend à plier son individualité en faveur de l’intérêt collectif. Populaire, ce sport confronte et rassemble des gens de milieux très différents. Il reflète une réalité socio-culturelle dont nous médecins sommes parfois coupés et dont nous avons pourtant besoin pour exercer notre métier. » A Epalinges, où il joue aujourd’hui avec les vétérans, le

Dr de Heller apprécie tout particulièrement la « troisième mitemps », riche en contacts avec des personnes aux parcours différents du sien.

LES MÉDECINS ONT AUSSI LEUR ÉQUIPE La naissance de l’équipe suisse des médecins (une idée des Tessinois) remonte à 1999, au match d’ouverture de la rencontre Suisse-Italie à Lausanne. Une confrontation qui reste un des plus beaux souvenirs


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footballistiques du Dr de Heller. Par ailleurs, la création d’une équipe suisse de médecins avait tout pour le séduire : nouveauté, challenge, convivialité et occasion de faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Actuellement, cette formation, composée d’une quarantaine de médecins, dispute plusieurs matches par année. Son comité, dont Kim de Heller fut membre, se démène pour que le bénéfice de chaque match soit versé à une action caritative. Ces dernières années, l’équipe a aussi joué contre des Allemands, des Croates, des Français et des représentants d’autres métiers de la santé. Pour promouvoir la relève, Kim de Heller fonde en 2001 une équipe vaudoise des médecins, « une occasion sympathique d’échanges et de découvertes de confrères ! » Cette équipe, aujourd’hui réactivée, est ouverte à tous. « Maintenir un team en activité représente un travail considérable. C’est aussi pour cette raison que j’encourage la création d’un club sportif des médecins vaudois dont la gestion serait confiée à la SVM », conclut le Dr de Heller. Son pronostic pour l’Euro 2008 ? La Suisse, s’il écoute son cœur, et l’Italie, s’il écoute sa raison ! Paru en juin-juillet 2008


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DR

OLIVIER FAVRE Le cabinet moderne et lumineux est vide en cette fin de jeudi après-midi. A part quelques modèles d’avion sur la bibliothèque, rien n’indique que le Dr Olivier Favre, interniste au Mont-sur-Lausanne, est un as de la voltige aérienne.

Entre Icare et Hippocrate Le Dr Olivier Favre naît en 1958 à Lisbonne où son père étudie la médecine tropicale en vue de sa nouvelle vie de médecin-missionnaire au Mozambique. La jeunesse d’Olivier Favre – et de ses quatre frères – se passe à Chicumbane, station en brousse, à 200 km au sud de la capitale. Sous la surveillance de leur mère, ils étudient par correspondance à l’Ecole universelle de Paris ( ! ). La révolution mozambicaine de 1975 oblige la famille Favre à regagner la Suisse. Le Dr René Favre ouvre un cabinet au Mont-sur-Lausanne, un lieu qu’il partagera, bien plus tard, avec son fils. Pour Olivier, c’est l’entrée au gymnase et notamment la découverte du travail dans une classe avec d’autres élèves. S’il songe à des études de philosophie ou de physique, Olivier Favre choisit la médecine, attiré – comme pour beaucoup de ses confrères – par les rapports humains qui en régissent l’exercice.


UN PALMARÈS IMPRESSIONNANT Adolescent, Olivier Favre a eu l’occasion de s’initier au parachutisme et de prendre goût à la sensation de voler. Pourtant, ce n’est qu’en 1989, pendant qu’il effectue ses stages hospitaliers, qu’il passe son brevet de pilote à Yverdon-lesBains. Très vite, il s’intéresse à la voltige aérienne qui devient sa passion. Un baroudeur, le Dr Favre ? « Sûrement pas ! Ce sport requiert de l’organisation, de la précision, de la concentration et une bonne connaissance de soi. Et aussi le respect de l’environnement, de ses règles, ainsi que la maîtrise des éléments naturels. » Vice-champion suisse en 1993,


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le Dr Favre décroche, par la suite, six fois le titre national. En parallèle, il participe à des compétitions internationales et se classe au seizième rang mondial en 2001. Un véritable exploit si l’on sait que dans de nombreux pays ce sport ne se pratique pas en amateur comme en Suisse. « La voltige prend beaucoup de temps, il faut compter des heures de préparation et de déplacement pour… quinze minutes de bonheur absolu ! J’ai évidemment dû mettre ma vie privée un peu de côté et j’ai eu la chance de pouvoir compter sur l’aide de mon père pendant mes quelque deux mois d’absence annuelle du cabinet. » Pour le Dr Olivier Favre, voler c’est aussi vivre pleinement le moment présent, c’est se recentrer sur soi et ses capacités. Il parle avec une tendresse certaine du rapport quasiment physique avec l’avion, de la communion avec la nature et de la solitude du vol qui succède au travail de préparation intense qui implique tout un groupe. Disponibilité totale pendant un court laps de temps, concentration, maîtrise de nombreux paramètres, le rapport avec le travail quotidien du médecin est évidente et, pour le Dr Favre, ne doit rien au hasard.

UNE PAGE SE TOURNE ? 2004 marque un tournant dans la vie du pilote Favre : une panne de moteur a failli lui coûter la vie et a complètement détruit son avion. S’il s’en est tiré avec des blessures bénignes, l’expérience a été marquante. « J’ai repris la voltige mais pas l’entraînement intensif par manque d’avion compétitif et parce que je m’interroge sur la signification de cet événement. N’est-ce pas là l’occasion de faire le point sur soi, sur sa vie ? Je pense que je vais dorénavant privilégier mes autres intérêts, comme la philosophie, la psychologie, les voyages, les rencontres et les découvertes humaines. » Paru en octobre 2005


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DR

CHRISTIAN FRIGERIO Sous la lumière rasante d’une magnifique fin de journée d’hiver, le cabinet du Dr Christian Frigerio, interniste et allergologue à Paudex, semble en harmonie avec sa personnalité : simplicité, mais aussi un grand souci du détail. Objets souvenirs et photos témoignent d’affections, de rencontres et d’émotions partagées. Et surtout de sa passion pour la course à pied, notamment les marathons, « un peu plus de 42 km de bonheur ! »

La plénitude du coureur de fond Devenir médecin est peut-être la première manifestation du goût de Christian Frigerio pour les parcours de longue haleine. « Elève moyen, je n’étais bon qu’en gymnastique ! » précise-t-il en souriant. Rien ne le prédestinait donc à la médecine, si ce n’est son intérêt pour les métiers à dimension humaniste, des jobs de vacances en milieu hospitalier, sa capacité à relever les défis grâce à des parents qui lui ont toujours fait confiance et… une conférence sur Ambroise Paré au collège. Enfant, le Dr Frigerio a pratiqué spontanément plein de sports avec les copains du quartier où il a grandi à Lausanne. Par la suite, les études, les séjours à l’étranger,


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l’arrivée des enfants l’empêcheront quelque temps d’exercer un sport de manière suivie et organisée. Il revient à la course populaire en 2000 lorsqu’il court à nouveau les 20 km de Lausanne. C’est aussi une histoire d’amitié. Le Dr Frigerio explique, avec la pointe d’humour qu’il met dans toutes choses, que c’est suite à un pari dont l’enjeu était un repas gastronomique qu’il s’est lancé dans la course avec un ami. Prenant goût à ce « sport simple où vous êtes seul maître à bord », ils s’inscrivent ensuite au marathon de Lausanne. Depuis, ils en courent un par année et ne manquent pas les 20 km de Lausanne. En 2008, le Dr Frigerio portera avec plaisir le T-shirt Ton toubib se bouge.

COURIR, UN VOYAGE À DIMENSIONS MULTIPLES Quand il court, Christian Frigerio se déplace dans son corps et dans sa tête. Il savoure la liberté d’aller où il veut, au rythme qu’il s’est choisi. « Je cours généralement en fin de journée, j’aime cet effort régulier en contact avec la nature au fil des saisons et par tous les temps. Peu à peu, je me libère de mon corps, je m’allège des sou-

cis de la journée, je métabolise tranquillement tout en écoutant de la musique sur mon i-pod. » Le Dr Frigerio recommande aussi à ses patients cette « relaxation active » qui vous laisse libre et vise l’harmonie du corps et du mental.


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Il ne cherche pas la performance, juste à « titiller mes limites ». Il aime à dire qu’on ne triche pas avec la course à pied car « on ne peut rien faire de plus que ce que l’on vaut, mais une bonne gestion des capacités vous aide à faire le mieux de ce que vous valez ». Avant un marathon, le Dr Frigerio s’entraîne trois fois par semaine dans le Lavaux, au bord du lac et dans les bois du Jorat. Grâce à la course à pied, il a redécouvert Paris, Munich, Berlin et, tout récemment, New York.

CHRIS DANS LA GRANDE POMME Le marathon de New York est une course mythique, un rêve que le Dr Frigerio a réalisé l’an dernier, pour ses 50 ans. « C’est une course à la mesure de la démesure de NY, une occasion de rencontres exceptionnelles et multiculturelles. » Christian Frigerio est intarissable sur cette expérience : « Nous étions plus de 39 000 coureurs à traverser les cinq quartiers de la ville. Il faisait très beau. Je n’oublierai jamais le départ sur le pont Verasano, la plongée dans Manhattan depuis le Queensboro Bridge à la rencontre de milliers de New-Yorkais

amassés le long des rues qui scandaient go Chris ! * » Il a bien sûr couru en musique, au son de chansons des années 70 enregistrées en fonction des lieux qu’il allait traverser tout au long du parcours. Des mois après cette aventure, on sent le Dr Frigerio à nouveau ému, les yeux encore pleins de ces images marquantes. Il est vrai que le marathon de New York est porteur des valeurs qui l’animent, tels l’effort individuel, la découverte, l’improvisation (minutieusement préparée) et la solidarité qui dépasse les cultures et les frontières. Paru en mars-avril 2008

* Les prénoms des coureurs sont inscrits sur leur maillot (Ndlr).


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GÉRALD GREMION L’accueil paraît distant mais cette impression se dissipe rapidement : réservé, voire timide, le Dr Gérald Gremion, médecin du sport à l’Hôpital orthopédique de la Suisse romande à Lausanne, affirme avec chaleur ses convictions. Il parle avec ouverture, détermination et clairvoyance des réalités de son métier.

« Je milite pour la prévention et la protection » L’intérêt pour la médecine du sport a toujours habité Gérald Gremion qui pratique des sports d’endurance depuis son enfance. D’abord orthopédiste, il se spécialise finalement dans la rhumatologie et la rééducation. C’est tout naturellement que ses activités se tournent peu à peu vers la médecine du sport et la physiologie – « un domaine passionnant » – et son corollaire, le développement de la capacité d’entraînement. Médecin de l’Association olympique suisse (AOS) durant quatre ans, il prépare des athlètes en vue des JO d’Atlanta. En 1996, il entre à l’Hôpital orthopédique de la Suisse romande où se crée, à l’initiative du Pr Leyvraz, le service d’orthopédie et de traumatologie du sport. Le Dr Gremion en prend la responsabilité. « Devenu depuis deux ans le Swiss olympic medical center, reconnu par l’AOS, ce centre a pour objectif d’offrir la possibilité à tout


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sportif d’effectuer des tests d’effort, de force ou des tests généraux afin d’optimaliser son entraînement. Et cela dans un but de performance ou de plaisir. » Le Dr Gremion y a accueilli quelques stars, mais aussi des espoirs et des amateurs. Bien centré en Suisse romande, ce service de pointe connaît le succès mais aussi des difficultés. « L’Hôpital orthopédique étant peu à peu absorbé par le CHUV, les restrictions budgétaires cantonales nous touchent également ; nous n’avons par exemple pas les moyens d’engager des assistants. »

LE SPORT N’EST PAS TOUJOURS SAIN Le Dr Gremion consacre sa vie au sport – il s’entraîne tous les jours – et à sa promotion. Mais pas n’importe comment,


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pas à n’importe quel prix. « Le sport d’élite n’est pas une façon saine de faire du sport. Par contre, on a besoin de sportifs d’élite pour amener les gens à en faire ! Les événements, comme la Patrouille des Glaciers, attirent de plus en plus de sportifs amateurs qui nous consultent et se soumettent à des tests d’aptitude. » Le Dr Gremion regrette néanmoins une préparation souvent insuffisante et la recherche du « fun », sources de prises de risques inutiles. L’engouement pour les exploits sportifs reste par ailleurs sans effet sur la santé de la population suisse : les statistiques de ces dix dernières années montrent que 60 % d’entre nous restent insuffisamment actifs. Autre sujet qui tient au cœur du Dr Gremion : la lutte pour « la tolérance zéro en termes de dopage, y compris la prise du plus banal des médicaments ». Il s’engage et s’expose publiquement sur ce thème. Sa prise de position claire – « et un peu naïve car j’ai sousestimé la portée d’une déclaration à un journaliste lausannois » – au moment de l’affaire Festina lui a valu une gloire médiatique aussi encombrante qu’éphémère. Dans son album de souvenirs heureux,

on trouve des championnats d’Europe et du monde, notamment celui, en 1987, pour les handicapés. Un regret ? « Celui d’avoir été par deux fois sélectionné pour accompagner les JO et de n’avoir pu y aller, probablement parce que je suis romand… » Le Dr Gremion poursuit inlassablement ses combats : encourager une pratique saine du sport, diminuer, voire annuler la consommation de cigarettes, lutter contre la légalisation du H et retarder le plus possible l’usage du dopage génétique. C’est dire qu’il lui reste des batailles à livrer ! Paru en mars-avril 2006


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PIERRE KOHLER Le Dr Pierre Kohler, archer émérite, membre de l’Abbaye de l’Arc, évoque avec la discrétion qui est de mise ce « club » lausannois, au sens britannique du terme. Il parle par contre avec fougue et ferveur de sa passion : le tir à l’arc.

De la Fête du Bois à l’Abbaye de l’Arc Le Dr Pierre Kohler naît à Leysin : son père, spécialiste de la tuberculose osseuse, y exerce aux côtés du Pr Rollier. A la fermeture du sanatorium, la famille revient à Lausanne où le Dr Kohler père ouvre un cabinet. Bachelier en 1968, Pierre Kohler hésite entre le droit, la théologie et la médecine qu’il finit par choisir, malgré les difficultés de ce métier, notamment quant à ses répercutions sur la vie de famille. En effet, « l’idée de soigner et d’être utile » s’inscrit pour lui dans une filiation naturelle. Attiré par la chirurgie – la précision et la maîtrise du geste attirent-elles le futur archer ? –, il se tourne finalement vers la médecine générale qui lui « permet de prendre en charge le patient dans sa globalité et sa diversité ». Suivent trois ans au CHUV, puis deux ans à St-Loup. Etape importante puisque le Dr Kohler dit y avoir vraiment appris son métier et qu’il y rencontre son épouse, infirmière-anesthésiste. Ensemble, ils voyageront, sac au dos, quelques mois en Inde (Pierre Kohler passera aussi cinq mois de mission Croix-Rouge en Somalie, expérience



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dont il parle aujourd’hui encore avec l’enthousiasme de ses 30 ans) et planifient encore un an de travail africain. Le jeune couple y renonce finalement, l’état de santé du Dr Kohler père nécessitant la présence de son fils au cabinet. Une décision bien mûrie qui marque néanmoins la fin des années de jeunesse… En 1983, Pierre Kohler ouvre son propre cabinet et collaborera, de longues années encore, avec son père. Sportif depuis son enfance, le Dr Kohler se souvient volontiers des longues vacances passées sur un voilier, les courts de tennis ou les lattes. Si son premier contact avec le tir à l’arc remonte à la Fête du Bois (fête des enfants en fin d’année scolaire bien connue des Lausannois), ce n’est qu’au milieu des années 80 et à la faveur d’un séjour au Club Med, que le Dr Kohler touche sérieusement à un arc. Et ce sport, plus calme et complémentaire à ceux qu’il pratique, devient une passion qu’il espère bien vivre au-delà de ses 80 ans ! Son arrière-grand-père ayant été membre de l’Abbaye de l’Arc, il active son droit de postuler, se fait parrainer par un cousin et rejoint les membres de ce cercle en 1987.

UN SPORT EXIGEANT Le tir à l’arc est un art difficile, ne serait-ce que par les nombreux paramètres dont il faut tenir compte et maîtriser pour y exceller. « Je vois dans ce sport bien des liens avec la médecine, profession d’ailleurs largement représentée au sein des membres de l’Abbaye de l’Arc : la concentration, la maîtrise totale du geste comme du mental tellement utile à la prise en charge – parfois dans l’urgence – des patients. » D’autre part, le tir à l’arc constitue, pour le Dr Kohler, un vrai « sas de détente avant de rejoindre ma famille après


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une journée fatigante. Il participe à mon souci de recherche de la perfection. Il apprend aussi à se remettre en question, à se recentrer, à chercher et à corriger l’erreur. » La fierté du Dr Kohler ? Appartenir, depuis une dizaine d’années, au trio de tête des archers de l’Abbaye de l’Arc et d’avoir été le premier, depuis la création de l’Abbaye, à placer la totalité des 40 flèches dans le carton. « Aujourd’hui, d’autres ont pris la relève », conclut le Dr Kohler avec l’élégance discrète et le fairplay qui le caractérisent. Paru en janvier-février 2006

Fondée en 1691, l’Abbaye de l’Arc est un cercle au sens de la loi vaudoise destiné, à l’origine, aux archers. L’exercice de l’arc se pratique sur l’esplanade de Montbenon depuis le XVIIe siècle. C’est aussi là que se trouve la magnifique propriété, acquise en 1812 et classée monument historique en 1955, qui abrite actuellement l’Abbaye. Aujourd’hui, elle constitue pour ses membres – pas tous archers de nos jours – un lieu privilégié pour se réunir, se restaurer et, selon le Dr Kohler, un environnement propice aux échanges qui dépassent largement le cadre du tir à l’arc.


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DR

DOMENICO LEPORI Depuis l’ouverture du Centre d’imagerie du Flon en 2006, le Dr Domenico Lepori est un médecin entrepreneur. Il dirige ce lieu consacré à la femme avec son épouse, la Dresse Nathalie Beurret Lepori, gynécologue. Mais c’est la pratique de la course d’orientation qui nous a incités à rencontrer ce radiologue sportif.

« La course d’orientation est un sport d’idéaliste » « La course d’orientation est un sport qui existe depuis une centaine d’années et elle nous vient du nord », explique le Dr Domenico Lepori. Après avoir exercé cette discipline dans son adolescence, il l’abandonne – études obligent – puis s’y adonne à nouveau depuis une dizaine d’années. Relativement peu populaire en Suisse romande, la course d’orientation compte 100 à 150 adeptes dans notre canton alors qu’elle est plus largement pratiquée dans le reste du pays. Une dizaine de courses importantes sont organisées en Suisse chaque année, réunissant jusqu’à 2 500 participants. Sport complet, la course d’orientation s’exerce sur différents terrains, au cœur de la nature mais aussi en ville. Le but est d’effectuer un parcours selon un tracé optimal que le coureur choisira sur la base d’une carte très détaillée qu’il découvre au moment du départ. Ce document, à


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une échelle de 1 : 10 000, montre les reliefs, les chemins, la végétation, les fontaines, les arbres, les pierres et les ruisseaux. « Ce n’est pas un jeu de labyrinthe, il faut courir sans cesse, à fond, ne pas quitter le chemin idéal et passer par des postes », précise Domenico Lepori. Ce chemin idéal, en l’occurrence le plus court, n’est d’ailleurs pas forcément une ligne droite. La victoire appartient au coureur qui a fait le meilleur choix en fonction de ses capacités, du type de terrain et de sa compréhension de la configuration du parcours. La recherche de la qualité et de la performance sont chères au Dr Lepori pour qui « c’est le seul moyen d’avoir du plaisir ». Il soigne sa condition physique en s’entraînant quatre fois par semaine. Très actif – parfois même trop, avoue-t-il – il reste un bon gestionnaire de son temps et de son énergie : habitant au Mont s/Lausanne, il descend en bus à son cabinet mais remonte généralement en courant. La course d’orientation convient bien à Domenico Lepori parce qu’elle fait appel à des qualités personnelles et se pratique dans une certaine solitude, en harmonie avec la nature. Il raconte avoir vécu des moments rares de communion avec l’environnement dans lequel il courait, « de façon instinctive, presque animale, en se sentant plus chevreuil qu’humain ! » Sport d’idéaliste selon le Dr Lepori, la course d’orientation n’attire que peu de public. Cette discipline sera pourtant mise en lumière en 2012 à Lausanne puisque les championnats du monde s’y dérouleront. « Grâce à la bernoise Simone Luder, championne du monde et professionnelle de la course d’orientation, nous espérons attirer du monde et bénéficier pour une fois de l’intérêt des médias » précise Domenico Lepori. Membre actif de l’association Care Vevey Orientation *, il s’engage dans l’organisation de cet événement, notamment en préparant le tracé d’un parcours qui passera probablement de Vidy à Ouchy. * www.care-vevey-orientation.ch


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Le Dr Lepori, 46 ans, a grandi au Tessin et avoue avoir été un élève très moyen. Il n’a découvert le plaisir d’apprendre et d’obtenir de bons résultats qu’au cours de ses études de médecine à l’Université de Lausanne. « Cette motivation m’est venue pour plusieurs raisons : j’avais quitté ma région, mes études représentaient un sacrifice pour ma famille et j’ai surtout pris conscience que je bâtissais mon avenir », confie-t-il. D’abord peu intéressé par la radiologie, il vit une véritable révélation au cours d’un stage à l’Hôpital de Morges, dans le service du Pr C. Hessler qui devient son maître et son mentor. Il n’a jamais regretté son choix d’une spécialité hautement technologique où les relations humaines tiennent une grande place. Paru en mai 2010


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DR

JEAN-PIERRE RANDIN A 58 ans, le Dr Jean-Pierre Randin reste attaché aux valeurs qui lui sont essentielles et au lien entre les sensibilités et le savoir : dans la société, dans sa profession et dans sa vie privée.


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Un médecin dans la cité Intéressé par la biologie, Jean-Pierre Randin a choisi la médecine parce qu’il voulait être « au service de l’être humain et de la société ». Une attitude et une éthique auxquelles il restera fidèle et qui sous-tendent son parcours. Captivé par la psychiatrie, il devient néanmoins généraliste puis diabétologue. A noter que la conclusion de sa thèse, rédigée avec un confrère, est publiée en première lecture par Diabetes. « Une joie incroyable, mais aussi l’occasion pour moi de comprendre que ma vocation était de rester au contact des patients », raconte le Dr Randin, avec un enthousiasme intact. Il ouvre son cabinet à Lausanne en 1988. Le moment est alors venu de donner vie à l’autre dimension qui lui tient à cœur : être au service de la société d’une façon ou d’une autre, sans esprit partisan, en toute liberté de pensée et d’action. C’est ainsi qu’il devient médecin conseil de la Ville de Lausanne, fonction qu’il assume encore aujourd’hui. Conscient des dangers que son empathie et sa disponibilité naturelle peuvent engendrer, le Dr Randin se dit « heureux de ce mandat notamment parce qu’avoir plusieurs activités permet de se protéger, quitte à être débordé ! » Et il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. De garde dans la nuit de Noël 1989, il voit un patient mourir d’un arrêt cardiaque dans ses bras, faute de soins appropriés suffisamment rapides. Mesurant les lacunes du système d’urgences lausannois et convaincu que l’urgence vitale est un service public, il suit une formation complémentaire. Puis il mobilise les ambulanciers et la commission de la garde, interpelle les politiques, instaure une collaboration avec le CHUV, réunit tous les acteurs de la chaîne du secours. De cette fructueuse collaboration naissent le 144, le SMUR, la coopération avec les pompiers et la professionnalisation du métier d’ambulancier. Il confie aussi avec émotion que le destin a donné un sens plus intime à son action dans ce


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domaine puisque la vie de son frère a pu être sauvée grâce à ce dispositif. « C’est une grande satisfaction de voir qu’aujourd’hui tout le monde peut obtenir de l’aide en trois à six minutes. Le DPMA (Détachement Poste Médical Avancé), constitué de volontaires quasi bénévoles, mobilisables à toute heure en cas d’accident majeur, est la seule équipe de ce genre en Suisse romande. C’est mon œuvre et j’en suis fier. »

PRÉVENTION ET PARTAGE À TRAVERS LE SPORT Insistant sur le fait que sa « personnalité anxieuse et très consciencieuse » l’expose au danger d’un surmenage ( on se souviendra qu’il est à l’origine du CMV d’octobre 2011 consacré au burn-out ), Jean-Pierre Randin est un sportif assidu. Soucieux comme toujours de partager, il s’engage à promouvoir cette manière de lutter contre « la sédentarisation et la malbouffe dont notre société est malade ». Médecin des 20 km de Lausanne, il y intègre le DPMA qui est désormais présent dans toutes les grandes manifestations lausannoises. Le Dr Randin cultive de belles amitiés grâce à toutes ses

activités et salue le travail en équipe, lui qui dit « qu’on n’existe qu’à travers les autres ». De son enfance vécue dans une certaine précarité économique à Orbe, le Dr Randin garde les fortes valeurs morales que ses parents ont inculquées à leurs quatre enfants. Et il les perpétue au sein de sa famille, rendant au passage hommage à son épouse qui l’a toujours « finement épaulé » et à ses trois enfants dont il est fier. Sa manière de clamer les vérités – mêmes celles qui ne sont pas bonnes à dire – et son côté Winkelried ont sans doute valu au Dr Randin des succès mais aussi des déceptions, voire des expériences où il s’est personnellement mis en danger. Mais qu’on ne s’y trompe pas : derrière le verbe haut et les opinions parfois entières se cachent une grande émotivité, de la générosité et un profond humanisme. Paru en mars-avril 2012


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DR

THIERRY REYMOND On ne peut ignorer longtemps la place que la navigation tient dans la vie du Dr Thierry Reymond : de magnifiques maquettes de bateaux – en grande partie construites par lui – ornent les murs et étagères de son cabinet de généraliste à Lutry.

Le partage du savoir et du plaisir La construction de maquettes de bateaux fait partie des loisirs du Dr Thierry Reymond depuis son enfance. Mais c’est une autre de ses activités qui nous a amenés à le rencontrer : depuis quatre ans, il organise des congrès médicaux flottants. « Tout est parti de l’Hôpital ouvert de Lavaux où j’ai vécu, avec mes collègues de la région, vingt ans de travail intense, de joies et de partage dans un hôpital sans hiérarchie, avec d’excellents spécialistes et une économicité exemplaire », précise d’emblée le Dr Reymond, non sans une certaine nostalgie d’ailleurs. Soucieux de leur formation continue, les membres de ce réseau fondent les Rencontres médicales de Lavaux. Et comme plusieurs d’entre eux aiment naviguer, l’idée d’associer le plaisir de la voile avec des conférences de haut niveau se concrétise dans l’esprit créatif et entreprenant du Dr Reymond.


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UN ENRICHISSEMENT HUMAIN ET PROFESSIONNEL Le concept est le suivant : réunir des collègues de différentes spécialités, leurs conjoints et amis, chacun finançant son voyage. Les participants se répartissent sur des voiliers confortables qui naviguent, en courtes étapes, avec un skipper (souvent l’un des vacanciers), deux marins confirmés, un skipper de flotille et un cook professionnel. Les conférences sont données par les médecins participants, chaque soir, lors des escales à terre. Le voyage de 2004 rencontre un succès immédiat : une soixantaine de participants répartis sur onze voiliers sillonnent les Iles Vierges britanniques pendant une semaine. Les croisières suivantes ont eu lieu en Turquie, aux Seychelles, en Croatie et, cette année, dans les Iles Eoliennes. C’est peu dire que le Dr Reymond s’investit dans cette organisation. Il l’assume seul tout en confiant la logistique à une professionnelle avec qui il effectue, au préalable, un voyage de repérage des lieux. Il se déplace avec son « centre de congrès mobile light » (écran, beamer et laptop et prend soin de faire valider les conférences par la SSMI et la SSMG. Thierry Reymond insiste sur le fait que cette formule n’existe que grâce à l’amitié de ses collègues qui offrent généreusement leur travail et leurs connaissances, en tant que skipper et/ou comme conférencier. Une aventure où chacun est solidaire et ouvert à l’autre. « J’aime écouter un chirurgien parler de métastase à un psychiatre, le soir sous les cocotiers… », ajoute Thierry Reymond que cette expérience rend manifestement heureux. Il fourmille de pro-


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actif est un euphémisme ! Dans son souci « d’associer des concepts », il organise aussi des conférences ( avec le designer d’Alinghi ou sur la Vaudoise ), ainsi que des concerts à but humanitaire, notamment d’aide à l’enfance. Au cabinet, il accueille depuis toujours des stagiaires, ses « filleuls » comme il dit : la récente nomination de l’un deux comme chef de la chirurgie de l’Hôpital de Morges fait sa fierté.

jets : Belize à Pâques 2010 (navigation en catamarans, visites de forêts et de sites archéologiques), l’île de la Magdalena (Sardaigne) et des conférences sur le Léman l’an prochain *. A 58 ans, après avoir surmonté des problèmes de santé qui lui ont fait découvrir « l’immense qualité des médecins de notre région », le Dr Reymond travaille un peu moins. Dire qu’il reste pleinement

Amateur d’art moderne, il se passionne pour tous ceux qui ont développé leur propre langage. La musique, baroque en particulier, tient aussi une « place vitale » dans sa vie. Ouvert aux changements, à l’apport des jeunes générations, il défend avec ardeur le partage des connaissances, comme la sauvegarde du sens pour l’exercice d’une médecine humaine et de qualité. Décidemment, on pourrait brosser un portrait du Dr Reymond sous bien des angles… Paru en octobre 2008

* Contenu des exposés et photos sur le site www.medmax.ch. Informations et inscriptions auprès de th.reymond@medmax.ch


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DR

BERTRAND VUILLEUMIER Le hasard n’existe pas : le Dr Bertrand Vuilleumier, chirurgien orthopédiste, se passionne pour les activités manuelles et la mécanique depuis son enfance. Passionné de moto, il est aujourd’hui médecin chef à l’Hôpital d’Yverdon.

« A moto, j’épouse le paysage » Pour parler de son hobby, le Dr Vuilleumier utilise des mots d’amour. Normal si l’on sait qu’il a rencontré son épouse, infirmière-anesthésiste dans l’hôpital où il faisait un stage, « grâce » à un accident de moto ! Elle partage son goût pour ce moyen de locomotion. Leur voyage de noces se déroulera en Scandinavie, sur « deux motos et dans une formidable liberté, c’est un superbe souvenir », précise le Dr Vuilleumier avec beaucoup de bonheur et un brin de nostalgie. Madame Vuilleumier renonce à la moto au moment de sa grossesse et son mari pratiquera seul cette activité jusqu’à ce que leur fils, Marc, ait atteint l’âge de la partager comme passager. Ils ont d’abord roulé – « prudemment » – sur route ouverte, profitant du bonheur de « maîtriser l’engin, de lire la route et d’apprécier la beauté de la trajectoire ». Aujourd’hui, c’est chacun sur sa machine qu’ils tournent ensemble sur des circuits de vitesse.


UN HOMME EN MOUVEMENT… Des rencontres importantes jalonnent le parcours du médecin motard : « Jacques Cornu, ambassadeur du sport mécanique suisse au-delà de nos frontières, ainsi que Philippe Coulon m’ont beaucoup appris. Ils m’ont aussi fait découvrir les circuits. Je les fréquente pour des entraînements libres, loin des risques de la conduite sur route ouverte. » Le plaisir du motard ? Pour le Dr Vuilleumier, c’est la relation entre la route, la moto et le pilote. C’est une relation sensuelle car elle a une dimension passionnelle et passe par les bruits, les odeurs, les vibrations, la température de l’air. Le Dr Vuilleumier s’est créé un large cercle de copains de tous horizons à travers son activité de motard. Depuis quelques années, il organise lui-même des sorties en circuits, auxquelles il a associé certains de ses amis pratiquant son deuxième hobby : l’aéromodélisme. Découvre-t-on des pays lorsqu’on est motard ? « Ce n’est pas mon but premier, c’est la route qui m’intéresse, avec ses courbes que vous devez analyser, le paysage que vous épousez

et que vous gravez dans votre mémoire. A moto, vous ne faites pas le même voyage qu’au volant d’une voiture. » Le Dr Vuilleumier aime la variété et les rythmes particuliers à chaque route, qu’elles soient de Toscane ou des Pyrénées, des Alpes ou du Jura.

… ET ENGAGÉ Le Dr Vuilleumier est membre depuis quatre ans du Comité de la SVM. Engagé depuis longtemps


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dans divers comités de pilotage de projets informatiques de codage, de financement et de gestion pour les médecins hospitaliers, il met aujourd’hui son expérience et ses connaissances dans ces domaines à la disposition de la SVM. Chirurgien orthopédiste dans un hôpital public, il en assume aussi la direction médicale. A la FHV (Fédération des hôpitaux vaudois), il préside la conférence des directeurs médicaux et il est membre du comité de l’ADIES. A la Société suisse d’orthopédie, il participe à divers comités et groupes de travail. C’est dire si son agenda est chargé ! « Bien que j’assiste le plus régulièrement possible aux séances du Comité, j’avoue que je me reproche de délaisser parfois un peu la SVM, sans pour autant négliger les dossiers qui nous occupent. »

Au moment où nous avons rencontré le Dr Vuilleumier, il était à la veille de partir en vacances au Botswana pour un grand voyage entre amis et à moto, bien sûr ! Paru en janvier-février 2005


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POSTFACE On ne saurait conclure ce recueil de portraits de médecins, sans citer quelques extraits de celui d’Hippocrate, un portrait imaginaire paru en juin 2006 et rédigé avec la complicité du Dr Louis-Alphonse Crespo. (…) Innovant par rapport à la tradition qui veut que les connaissances médicales ne se transmettent que de père en fils, Hippocrate ouvre les secrets de son art à ses disciples. Il perçoit un paiement pour son enseignement qu’il réserve cependant à ceux qui ont prêté son serment. Une attitude inspirée de Pythagore qui cultivait une génération avant lui l’art du secret et de l’ésotérisme. A ce propos, Hippocrate nous fait remarquer, avec une pointe de regret, que la divulgation actuelle du savoir médical à des membres de la cité non soumis aux devoirs qu’impose le serment, a ouvert la porte à une adultération de ce savoir qui finit par servir à d’autres fins que le bien du patient. Par exemple, rationner les soins aux individus qui souffrent dans le but d’éviter de rançonner excessivement les bien-portants qui financent nos systèmes de santé par les primes ou par l’impôt. (…) Que ferait Hippocrate aujourd’hui, dans quelle voie s’engagerait-il ? La réponse fuse : il prendrait ses distances avec le système établi, ne serait-ce que pour respecter les termes de son serment ! Il serait guérisseur, confie-t-il, un


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brin provocateur. Il reviendrait, au sens le plus strict, au colloque singulier qui lui est si cher et il soignerait tous ceux qui viendraient à lui, ne réclamant des honoraires qu’à ceux qui en ont les moyens. Hippocrate ne craint pas une médecine à vitesses multiples pour autant que tous soient traités avec conscience et dans le respect du serment. (…)


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INDEX A

Dresse Béatrice de Roguin 157

Dr Pierre Arnold 151

Dr Alain Depeursinge 105

B

E

Dr Carlo Bagutti 245

Pr Urs Eiholzer 108

Pr Vincent Barras 21

Dr Jean-Charles Estoppey 111

Dr Claude Béguin 248 Dr Nicolas Bergier 81

F

Pr Jacques Besson 84

Dr Olivier Favre 260

Pr Angelika Bischof Delaloye 87

Dresse Catherine Favrod-Coune 36

Dresse Sylvia Bonanomi Schumacher 251

Dr Charles-Abram Favrod-Coune 198

Dr Michel Borzykowski 24

Dr Bruno Fragnière 161

Dr Daniel Bourquin 27 Dr Eric Breuss 254 Pr Peter Burckhardt 90 Dr André Burdet 93

C Pr René Chioléro 96 Dr Pascal Chollet 99 Dr François Clément 30 Dr Armand Cohen 154 Dr Pierre Corbaz 33

D Dr Christian Danthe 102 Dr Henri-Kim de Heller 257

Dr Jean-Pierre Feihl 114 Dr Christian Frigerio 263

G Pr Blaise Genton 164 Pr Jean-Claude Givel 118 Dr Gérald Gremion 266 Dresse Rose-May Guignard 39 Dr Yves Guisan 201 Dresse Dominique Gyger 167

H Dr Jacques-André Haury 204 Dr Mir-Ahmad Hedjazi 42 Dresse Marianne Huguenin 207


288

J

Dresse Susanne Reymond Gruber 134

Dr Henri Jaccottet 210

Dr Patrick-Olivier Rosselet 137

Dr René-Marc Jolidon 46

Dr Michel Rossier 65

K

Dr Jean-Paul Rubin 219 Dr Daniel Russ 182

Dr Pierre Kohler 269 Pr Thomas Krompecher 121

L

S Dr Hassan E. Sajadi 141 Pr Marie-Denise Schaller 185

Dr Domenico Lepori 273

Dr Patrick Scherrer 223

Dr Pierre-Henri Leresche 124

Dr Philip Siegenthaler 68

Dresse Catherine Lomier Viret 170

M

Dr Ueli Stoll 71 Dr Marc Subilia 189

Dr Sébastien Martin 49

T

Dr Andreas Messikommer 176

Dr Francis Thévoz 226

Pr André Mermoud 173 Pr René-Olivier Mirimanoff 179

N

V Dr Bertrand Vuilleumier 282 Dr Philippe Vuillemin 229

Pr Pascal Nicod 52

P

W Pr Gérard Waeber 233

Dr Nicolas Paschoud 55

Dr Marc Wahli 144

Dr François Pellet 127

Dr Yves-Marie Wasem 75

Dr Jacques Perrin 58

Dr Pierre Widmer 236

Dr Edmond Pradervand 213

Dr Claude Willa 239

Dr Gérard Pralong 131

R Dr Ferenc Rakoczy 61 Dr Jean-Pierre Randin 276 Dr Philippe Reigner 216 Dr Thierry Reymond 279

Y Dr Claude Yersin

192


Articles inside

Postface Portrait imaginaire d’Hippocrate (extraits

1min
pages 285-286

Le partage du savoir et du plaisir

3min
pages 279-281

De la Fête du Bois à l’Abbaye de l’Arc

3min
pages 269-272

« A moto, j’épouse le paysage »

3min
pages 282-284

« La course d’orientation est un sport d’idéaliste »

3min
pages 273-275

« Je milite pour la prévention et la protection »

3min
pages 266-268

Un médecin dans la cité

3min
pages 276-278

La plénitude du coureur de fond

3min
pages 263-265

Entre Icare et Hippocrate

3min
pages 260-262

« Le foot est un plaisir continu »

3min
pages 257-259

L’air du grand large

3min
pages 248-250

« La compétition est une victoire sur soi, pas sur les autres »

3min
pages 251-253

Le docteur tango-tango

3min
pages 254-256

Il investit dans le capital (santé) des danseurs

3min
pages 245-247

Quand la fi èvre monte à Paléo

3min
pages 236-238

Trois R comme ligne de conduite

3min
pages 233-235

Exercer avec enthousiasme un « métier juste »

3min
pages 213-215

Le père des SMUR

3min
pages 216-218

Une femme de convictions

3min
pages 207-209

« J’ai appris à lire l’espace de maintenant sans négliger ce qui l’a construit »

3min
pages 229-232

Plus de 50 ans de pédiatrie et de combat pour le rôle des médecins

3min
pages 219-222

Plusieurs vies en une seule

3min
pages 226-228

« Je suis un homme de terrain qui n’aime pas la bureaucratie »

3min
pages 223-225

Un homme debout et en marche

3min
pages 204-206

« J’ai apporté ma pierre »

3min
pages 201-203

Un libéral à l’esprit libre

3min
pages 198-200

Lorsqu’humain s’écrit avec un grand H

3min
pages 185-188

L’amour de Dieu et des hommes

3min
pages 189-191

Partir pour mieux revenir

3min
pages 192-197

Le désir de partager

3min
pages 182-184

Comme Tintin et Chang

3min
pages 179-181

Des singes et des hommes

3min
pages 176-178

L’ophtalmo globe-trotter

3min
pages 173-175

A la découverte des autres à travers ce qu’ils font

3min
pages 170-172

« Aider les autres m’est indispensable, mais appartient à mon jardin secret »

3min
pages 161-163

« Exercer pour une ONG, ça soigne l’ego ! »

3min
pages 167-169

The right man at the right place

3min
pages 154-156

« J’ai exporté une partie de mon savoir »

3min
pages 157-160

Un nomade sédentaire

3min
pages 164-166

Une famille multicolore dans la Broye

3min
pages 151-153

Du ballon au bonsaï, un parcours zen

3min
pages 144-150

Chiraz – Le Sentier, simple course

3min
pages 141-143

« Une improvisation bien organisée »

3min
pages 134-136

Les reines de son cœur

3min
pages 131-133

L’action et la passion

3min
pages 118-120

Entre tradition et dérision

3min
pages 137-140

Médecin légiste, une autre façon d’aider

3min
pages 121-123

L’éloge de l’éclectisme

3min
pages 127-130

« Je suis resté un rêveur »

3min
pages 114-117

L’équilibre dans la diversité

3min
pages 111-113

Le médecin polymorphe

3min
pages 102-104

D’Hippocrate à Dionysos

3min
pages 105-107

« Un créatif qu’on essaie de trop cadrer devient destructeur »

3min
pages 108-110

Et l’Homme dans tout ça ?

3min
pages 96-98

Le Noé soixante-huitard

3min
pages 99-101

Une vie sous-tendue par le chant ample du violoncelle

3min
pages 71-74

Le docteur qui tutoie les étoiles

3min
pages 93-95

La satisfaction d’avoir été et de rester utile

3min
pages 90-92

Médecin et sculpteur, une même approche de l’intérieur

2min
pages 68-70

Amoureux de la beauté, sous toutes ses formes

3min
pages 81-83

« Je suis un intellectuel de l’action »

2min
pages 84-86

La médecine, une affaire de famille

3min
pages 87-89

La quête de l’état de grâce

3min
pages 65-67

« Entre la médecine et l’écriture, une alchimie bizarre… »

3min
pages 46-48

Ecouter, dire et écrire

3min
pages 61-64

Le goût du concret et du décalé

3min
pages 49-51

La médecine et la musique en héritage

3min
pages 58-60

Médecin et violoniste, pour rester proche de l’âme

3min
pages 52-54

La musique, l’eau et les couleurs

3min
pages 55-57

Du scalpel aux pinceaux

3min
pages 39-41

La dame aux trois M

3min
pages 36-38

Fonder la dignité du patient par la raison

3min
pages 33-35

Agnès Forbat

1min
pages 17-20

Médecin, historien, et « schizophrène pour le meilleur et pour le pire »

3min
pages 21-23

Pr Vincent Barras

1min
pages 15-16

Pierre-André Repond

1min
pages 13-14

La passion des mots, l’amour des hommes

3min
pages 30-32

« Je suis un généraliste absolu ! »

3min
pages 24-26

Un petit air de liberté

3min
pages 27-29
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