Ferez_Sport et genre

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Entre loisir et militantisme : Naissance d’une communauté sportive gay et lesbienne Ferez Sylvain "Génie des procédés symboliques en santé et en sport" (JE2416) Faculté des Sciences du Sport et de l’Education Physique Université Montpellier I WJH Mulier Instituut, Centre for research on sports in society ’s-Hertogenbosch et Université d’Amsterdam (UVA) Pays-Bas La littérature scientifique traitant du domaine « sport et homosexualité », si elle est peu développée en langue française, connaît un fort développement dans les revues de sciences sociales anglophones. Les travaux proposés relèvent ici essentiellement de deux domaines de recherche : le champ des travaux sur le genre [gender] et celui des études gays et lesbiennes [homostudies]. Trois principaux types d’objets de recherche sont abordés. Tout d’abord, un certain nombre d’études cherchent à analyser les structures idéologiques de l’hétérosexisme et de l’homophobie. Ces dernières, qui s’intéressent aux discours sociaux et aux images sur l’homosexualité, en particulier tels qu’ils sont élaborés dans les médias, sont la plupart du temps liés à la problématique de la

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construction du genre1. Le point de vue hétérosexiste et homophobe donné par les médias est alors compris comme un révélateur de la doxa du « sens commun »2. D’autres travaux portant sur l’identité des sportifs homosexuels, bien que centrées sur l’hétérosexisme et l’homophobie, n’étudient plus les fondements idéologiques qui structurent la construction de la réalité sportive pour préserver le sport comme un domaine masculin, mais tente de se situer au plus proche des expériences individuelles afin de décrire et de théoriser les mécanismes d’exclusion/inclusion de l’homosexualité dans les contextes sportifs classiques3. La question du 1

- John, Harris, Ben, Clayton, Feminity, Masculinity, Physically and the English Tabloid Press. The Case of Anna Kournikova, in International Review for Sociology of Sport, n°37 (3-4), 2002, 397-413. - Michael A., Messner, Margaret Carlische, Duncan, Cheryl, Cooky, Silence, Sports Bras, and Wrestling Porn. Women in Televised Sports and Highlights Shows, in Journal of Sport & Social Issues, n°27 (1), 2003, 38-51. - Janine M., Mikosza, Murray G., Phillips, Gender, Sport and the Body Politic. Framing Feminity in the "Golden Girls of Sport" Calendar and the "Atlanta Dream", in International Review for Sociology of Sport, n°34 (1), 1999, 5-16. - Deborah, Stenvenson, Competing Discourses of Sexuality and Nation, in Journal of Sport & Social Issues, n°26 (2), 2002, 209-225. 2 - M., Kane, H., Lensky, in L. Wenner, sous la direction de, Media Treatment of Female Athletes: Issues of Gender and Sexualities, London, Routledge, 1998. - Helen Jefferson, Lenskyj, Sport and the Threat to Gender Boundaries, in Sporting Traditions, n°12 (1), 1995, 47-60. - Gerd, von der Lippe, Media Image: Sport, Gender and National Identities in Five European Countries, in International Review for the Sociology of Sport, n°37 (3-4), 2002, 371-395. 3 - Gert, Hekma, “As long as they don’t make an issue of it…”: Gay and lesbians in organized sports in the Netherlands, in Journal of Homosexuality, n°35 (1), 1998, 123. - Christine, Mennesson, Jean-Paul, Clément, Homosociability and homosexuality. The Case of Soccer Played by Women, in International Review for Sociology of Sport, n°38 (3), 2003, 311-330. - Sheila, Scraton, Kari, Fasting, Gertrud, Pfister, Ana, Bunuel, It’s still Man’s Game? The Experiences of Top-Level European Women Footballers, in International Review for Sociology of Sport, n°34 (2), 1999, 99-111.

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dévoilement de l’identité sexuelle [coming out], et la suspicion sur cette dernière, deviennent ici des objets d’étude privilégiés afin de saisir la construction de l’identité dans les espaces sportifs4. Enfin,

parallèlement

aux

travaux

sur

l’homophobie

et

l’hétérosexisme véhiculés par les images et discours sociaux et aux études sur le rôle du sport dans la construction identitaire (celui-ci étant tantôt étudié comme un moyen de construction de l’identité, tantôt dans la perspective d’une résistance aux assignations de genre et à la stigmatisation sexuelle), quelques recherches abordent l’étude de clubs sportifs qui s’étiquettent ouvertement comme homosexuels5. Le terrain étudié n’est donc plus uniquement liés aux contextes sportifs "classiques" [straight] où l’homosexualité est stigmatisée, ou juste tolérée, mais des associations ou des événements sportifs s’affichant explicitement comme gay et lesbiennes6.

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- Eric, Anderson, Openly Gay Athletes. Contesting Hegemonic Masculinity in a Homophobic Environment, in Gender & Society, n°16 (6), 2002, 860-877. - Joah G., Ianotta, Mary Jo, Kane, Sexual stories as Resistance Narratives in Women’s Sports: Reconceptualizing Identity Performance, in Sociology of Sport Journal, n°19, 2002, 347-369. - Beth D., Kivel, Douglas A., Kleiber, Leisure in the Identity Formation of Lesbian/Gay Youth: Personnal, but Not Social, in Leisure Sciences, n°22, 2000, 215-232. 5 - Helen Jefferson, Lenskyj, Sexuality and Feminity in Sport Contexts : Issues and Alternatives, in Journal of sport and social issues, n°18 (4), 1994, 356-376. - Michael, Price, Rugby as a gay men’s game, Unpublished Ph.D. diss., University of Warwick, Coventry, UK, 2000. - Michael, Price, Andrew, Parker, Sport, Sexuality, and the Gender Order: Amateur Rugby Union, Gay Men, and Social Exclusion, in Sociology of Sport Journal, n°20, 2003, 108-126. 6 - Gert, Hekma, “As long as they don’t make an issue of it…”: Gay and lesbians in organized sports in the Netherlands, in Journal of Homosexuality, n°35 (1), 1998, 123.

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En privilégiant les mécanismes de construction identitaire et les stratégies

individuelles

de défense

ou

de

résistance contre

l’homophobie et l’hétérosexisme dans le sport, et en étudiant isolément et à un autre niveau les structures idéologiques sur lesquels ils se fondent, les études présentées ont accordées peu d’attention aux processus d’organisation collective conduisant de l’isolement des expériences personnelles à la création d’associations sportives gays et lesbiennes. En dépit du constat répété des limites des stratégies individuelles et des positions libérales pour subvertir les frontières de genre et pour résister à des mécanismes de stigmatisation qui s’élaborent à un niveau plus global, les alternatives offertes par des actions plus collectives et plus structurées ont été peu ou pas analysées. Il est symptomatique que le plus haut niveau d’organisation collective étudié correspond aux associations sportives ou à des ligues nord-américaines, alors qu’aucun travaux n’a considéré les instances nationales, européennes et internationales du mouvement sportif homosexuel institué. L’histoire sociale de ce mouvement doit encore être faite, alors même que par ailleurs certains se sont employés à faire celle du mouvement social gay et lesbien7. De plus, les activités sportives gay et lesbiennes ont toujours été interrogées au regard du - Agnes, Elling, Paul, De Knop, Annelies, Knoppers, Gay/Lesbian Sport Clubs and Events, in International Review for the Sociology of Sport, n°38 (4), 2003, 441456. 7 - Barry D., Adam, The Rise of a Gay and Lesbian Movement, New York, Twayne Publishers, Social Movements past & present, 1987. - Barry D., Adam, Jan Willem, Duyvendak, André, Krouwel, sous la dir., The Global Emergence of Gay and Lesbian Politics: National Imprints of a Worldwide Movement, Philadelphia, Temple University Press, 1999.

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champ des pratiques sportives, et jamais, ou très rarement, en rapport avec la configuration proposée par la « communauté » ou la « subculture » homosexuelle. Un regard plus large sur les pratiques sportives gay et lesbiennes qui serait à la fois attentif aux spécificités nationales et à l’inscription au sein d’une dynamique internationale semble nécessaire et heuristique en l’état actuel des enjeux et discussions théoriques. Cet éclairage pourrait, outre favoriser le développement des connaissances sur les caractéristiques sociales de la population homosexuelle et sur les usages sociaux du sport, participer de l’enrichissement des théories du mouvement social. Ces dernières, si elles ont été utilisées pour étudier l’articulation entre les situations nationales et l’émergence de politiques gay et lesbiennes dans le cadre d’un mouvement mondial8, n’ont jamais été mises en œuvre pour appréhender les organisations liées au sport et à l’homosexualité. Ces organisations attestent pourtant d’une structuration descendante qui prend sa source dans des événements sportifs internationaux avant de se diffuser à des niveaux géopolitiques plus restreints. Le mouvement sportif homosexuel est ainsi structuré autour d’associations et de jeux ou quasi-jeux sportifs indépendants à l’égard 8

- Jan Willem, Duyvendak, From Revolution to Involution: The Disappearence of the French Gay Movement, in Journal of Homosexuality, n°29 (4), 1995, 369-385. - Olivier, Fillieule, Mobilisation gay en temps de sida. Changement de tableau, in Didier, Eribon, sous la dir., Les études gay et lesbiennes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 1998, 81-96. - Olivier, Filleule, Jan Willem, Duyvendak, Gay and Lesbian Activism in France: Between Integration and Community-Oriented Movements, in Barry, Adams, Jan Willem, Duyvendak, André, Krouwel, sous la dir., The Global Emergence of Gay and Lesbian Politics: National Imprints of a Worldwide Movement, Philadelphia, Temple University Press, 1999, 184-213.

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du mouvement sportif traditionnel. Le mouvement a en réalité émergé initialement à l’échelle internationale avec les jeux organisés à San Francisco en 1982. Une Fédération des Jeux Gay (Federation of Gay Games, FGG) s’est par la suite structurée en s’appuyant sur des équipes représentant des villes (team San Francisco, team Vancouver, team Paris, etc.). Ainsi, il n’existe pas d’instance nationale, exceptée la Fédération Gay et Lesbienne CGPIF (Comité Paris Ile-de-France), association multisport créée en 1986 par des athlètes qui s’étaient rendus à San Francisco en 1982. En plus de l’émergence d’associations multisports, les Jeux Gay ont contribué à faire apparaître, avec le développement de clubs gays dans certains sports, des structures internationales spécialisées dans certaines pratiques, comme l’IGLA (International Gay and Lesbian Aquatics) pour les sports aquatiques ou l’IAGALMA (International Association of Gay and Lesbian Martial Arts) pour les arts martiaux. Parallèlement à la multiplication des associations sportives gays et lesbiennes et à la mise en place d’instances sportives internationales spécialisées selon les activités, une fédération sportive gay et lesbienne européenne (European Gay and Lesbian Sport Federation, EGLSF) est née en 1989 à La Haye (aux Pays-Bas), où eurent lieu en 1992 les premiers Euro Games. Le mouvement est in fine caractérisé par une institutionnalisation trouvant sa source dans une dynamique sportive globale au plan internationale se prolongeant à la fois dans un essaimage au niveau local et dans logique de spécialisation sportive.

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1- Affects et organisation : entre subjectivation et militantisme Les données proposées ont été recueillies dans le cadre du travail d’un collectif de recherche sur le sport et l’homosexualité regroupée autour d’Yves Le Pogam. Elles bénéficient ainsi de recherches sur le sport et l’homosexualité en France, et notamment sur l’émergence du mouvement sportif homosexuel9, sur la dynamique de création d’associations sportives gays et lesbiennes10 et sur l’organisation d’événements sportifs spécifiques, comme par exemple les Euro Games V qui eurent lieu Mais le travail profite également des recherches connexes menées sur l’homophobie dans le sport en France11. Entre expérience de l’homophobie dans les groupes sportifs traditionnels et enjeux d’organisation, la réflexion est d’emblée située à l’articulation entre la dimension identitaire et la dimension de la mobilisation et de l’action collective : entre subjectivation et militantisme. La structuration des jeux sportifs homosexuels ne peut ainsi pas être saisie en dehors de la réalité vécue par les gays et les lesbiennes dans l’univers sportif « normal » ou « habituel »12. Il s’agit pour la

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- Laurence, Falcetta, L’Emergence du mouvement sportif homosexuel, Mémoire de Maîtrise S.T.A.P.S., (dir. Yves Le Pogam), Faculté des Sciences du Sport, Université Montpellier I, 1997. 10 - Samuel, Gouyet, Le sport homosexuel en France, http://perso.wanadoo.fr/cgif/reseau/français:conferencereport.htm, 1999. 11 - Philippe, Liotard, Sport, in J.-L., Tin, sous la dir., Dictionnaire de l’homophobie, Paris, PUF, 2003, 383-386. - Guillemette, Pouliquen, L’homophobie dans le sport, Mémoire de DEA (Dir. Martine Xiberras, Philippe Liotard), Université Montpellier III, 2002, 74 p. 12 - Yves, Le Pogam, Philippe, Liotard, Sylvain, Ferez, Jean-Bernard, Moles, Guillemette, Pouliquen, Homophobie et structuration des jeux sportifs homosexuels,

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comprendre de percevoir les liens qui se nouent entre trois dimensions : celle des idéologies fondatrices des institutions sportives émergentes et de la « culture des sentiments » ou des affects qui les soutiennent13,

celle

de

la

dynamique

des

structures

des

organisations14, et celle de la force symbolique des événements sportifs15. L’investigation des relations entre ces trois dimensions idéologique, organisationnelle et événementielle s’est organisé ici au travers d’un double recueil de données. D’un côté les discours produits par le mouvement sportif homosexuel sont étudiés à partir du bulletin d’information de la fédération CGPIF entre 1996 et 2001. Ce sont en tout 249 articles de 30 numéros parus dans la revue titrée Sprint jusqu’en mars/avril 1997, rebaptisée Sprint Express en janvier 1998, puis Le Mag à l’automne 2000, qui ont fait l’objet d’un traitement détaillé. L’analyse quantitative et qualitative de l’évolution des thèmes traités permet de souligner les points d’accord et de débats, mais aussi de repérer les

in Corps et Culture, Métissages, n°6-7, 2004, 57-98. 13 - Pierre, Ansart, L’imaginaire social, in Encyclopædia Universalis, supplément Les Enjeux, 1984, 710-713. - Pierre, Ansart, L’imprévu et l’inédit en politique, in Revue de l'Institut de Sociologie, Les nouveaux enjeux de l'anthropologie, Autour de Georges Balandier, n°3-4, 1988, 191-200. - Pierre, Ansart, Les émotions politiques, in Eugène, Enriquez, sous la dir., Le Goût de l’altérité, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, 191-202. - Eric, Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996. 14 - Michel, Crozier, Erhard, Friedberg, L'Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977. Erhard, Friedberg, Le Pouvoir et la Règle, Dynamique de l'action organisée, Paris, Seuil, 1993. 15 - Marc, Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier, 1994. - Yves, Le Pogam, Rites du sport et générativité du social, in Corps et Culture, Corps, sports et rites, n°4, 1999, 147-175.

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déplacements d’intérêt et de logique discursive en fonction des événements (Gay Games et Euro Games en particuliers) et de la dynamique du mouvement. D’un autre côté, l’évolution des pratiques sportives est saisie au travers des trajectoires sportives dans les histoires de vie des acteurs du mouvement sportif homosexuel. Des récits de vie ont ainsi été élaborés à partir de la transcription de 2h à 4h d’entretien avec 13 sujets. Ils ont été menés auprès d’un échantillon comprenant trois adhérents d’associations sportives gay et lesbiennes (deux femmes et trois hommes) et dix sujets (neuf hommes et une femme) ayant eu des responsabilités dans des associations sportives gays et lesbiennes.

2- Des origines internationales : l’effet Gay Games 2-1- Naissance du mouvement à partir d’un événement mondial : les Gay Games Les Gay Games et les Euro Games sont le second sujet le plus évoqué dans le bulletin de la fédération CGPIF, puisque ce thème apparaît dans 59,84% des articles, derrière les aspects liés à l’organisation d’événement sportifs en général (tournois, courses, stages) (70.68%), et devant l’attention apportée aux aspects conviviaux et de loisir (57.43%), aux questions liées à la communication (55.42%) et à celles touchant aux aspects psycho ou socio-politiques (46.18%). Cette réalité objective s’articule sur une réalité subjective inscrite dans la manière dont les acteurs impliqués présentent l’histoire officielle du mouvement.

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Michel, qui a été président du CGPIF et délégué à la Fédération des Gay Games, rappelle ainsi que le mouvement est véritablement né sous l’impulsion de Tom Waddell. Cette figure emblématique située à l’origine du mouvement est un ancien athlète inscrit à l’épreuve de décathlon des J.O. de Mexico de 1968 qui a organisé en 1982 à San Francisco un rassemblement sportif sous la désignation Olympic Gay Games16. Cette événement, ouvert à tout le monde, sans aucune discrimination (d’âge, de sexe ou couleur), met d’emblée en avant la participation et la réalisation du meilleur de soi-même, et non la performance absolue, en antinomie par rapport au mouvement olympique de l’époque. Michel précise que, ayant fréquenté un milieu américain sportif très homophobe, Waddell entendait proposer une autre image du sport renouant avec l’esprit de l’olympisme moderne : « Donc il a eu cette idée de faire un mouvement qui soit plus dans la filiation de Coubertin, donc véritablement où l’essentiel est de participer et non pas de gagner, où tout le monde peu le faire et où les gens se sentent mieux, et donc s’acceptent mieux ». C’est ainsi par exemple que, opposé au nationalisme sportif, Waddell avait fait le choix d’une organisation par ville et non pas pays. Il s’agissait aussi d’affirmer le caractère trans-national de la

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La référence à Waddell est fréquente lorsqu’il s’agit d’évoquer les Gay Games : « le sens des Gay Games c’est avant tout la pratique du sport selon les valeurs de l’olympisme chères à Tom Waddell, décathlonien aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, et fondateur des ‘Gay Olympic Games’ qui eurent lieu pour la première fois en 1980 à San Francisco » (Le Mag, n°21, printemps 2001).

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communauté gay et lesbienne17. Suite à la rencontre de 1982, il crée le San Francisco Arts & Athletics (SFAA) et, reprenant le rythme olympique de jeux quadriennaux, propose une nouvelle édition des Olympic Gay Games qui réunie 3.500 athlètes et plus de 30.000 spectateurs du monde entier à San Francisco en 198618. Attaquée en justice

par

les

instances

sportives

olympiques

américaines,

l’association est forcée à rebaptiser l’évènement Gay Games suite à une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis en 1987. Dans le Sprint de décembre 1996 consacré aux dix ans de la fédération CGPIF, Nathalie, première présidente de l’association (1986-1990), raconte la naissance de ce qui ne devait initialement être qu’une structure régionale dans le cadre d’une structure nationale appelée CGF (Comité Gai Français). En mars 1986, ce Comité Gai Français,

une

association

savoyarde,

avait

fait

paraître

un

communiqué dans les deux hebdomadaires Gai pied et Lesbia annonçant les jeux organisés à San Francisco. Vingt à Vingt-cinq personnes y représentèrent la France par leur participation sportive ou leurs encouragements : « Les français(es) furent particulièrement fêtés car ils (elles) représentaient la seule délégation européenne ».

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« Il y a plus de ressemblance entre un gay de Berlin et un gay de Paris qu’entre le gay de Mont-de-Marsac et de Paris, quoi… bon… [sourire] deux univers quelques peu différents ». 18 Nathalie, première présidente du CGPIF, souligne la présence d’athlètes de tout âge, race et confession lors de ces 2nd Olympic Gay Games : « Quelques malades et handicapés concoururent aussi. Ils étaient soutenus et acclamés par une foule imposante. Au niveau de l’infrastructure tout avait été mis en place pour que les sourds et muets puissent suivre et participer aux activités sans se sentir exclus » (Sprint, décembre 1996).

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Cette participation fût si bouleversante, note Nathalie, que la nécessité de faire connaître l’événement aux autres gais et lesbiennes français se fit ressentir. Le Comité régional de l’Ile de France fut donc créé par cinq personnes en août 1986. Il devait se fédérer au sein du CGF, mais ce dernier disparut quelques mois après la création du premier. L’association eut d’emblée le soutien de Lesbia et Gai pied, qui parlèrent d’elle et couvrirent l’événement des jeux. Une journée d’information (avec photos, vidéos, affiches, récits, etc.) fut organisée dans un café du 13ème arrondissement de Paris fin 1986, grâce au maire-adjoint et délégué au sport de l’arrondissement. Les statuts du CGPIF furent eux approuvés par la préfecture de Paris et annoncés au journal officiel en janvier 1987.

2-2- Dynamique internationale et dynamique nationale : croissance et organisation Le CGPIF naît donc avec l’organisation d’une délégation représentant la France lors de ce qui deviendra en 1990, à Vancouver, les Gay Games. Michel prétend qu’en 1982, quelques français, peutêtre deux ou trois, sont partis aux premiers Gay Games à San Francisco . Il s’agissait selon lui de parisiens et de gens venant de l’Isère, de Grenoble, qui se sont retrouvés, et qui en revenant ont dit : "Il faut qu’on crée quelque chose pour faire comme les autres villes, et qu’on s’organise". En 1986, les athlètes français présents à San Francisco sont revenus dans ce même esprit et ont créé le Comité Gay Paris Ile-de-France alors que devait se créer aussi un Comité Gay

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Marseille, Grenoble, etc.. Ces comités ne virent jamais le jour, le CGPIF se développant de son côté dans le cadre d’une vocation à rassembler de personnes pour organiser des activités sportives et culturelles en préparation des Gay Games de Vancouver en 1990. Lorsque Nathalie conduit la délégation française aux Gay Games de Vancouver, le CGPIF compte 237 adhérents. Celle-ci observe que ces jeux ne suscitèrent pas le même enthousiasme chez elle que les précédents : cela était-il dû à la disparition de l’effet de surprise ou à leur plus grande ampleur (50.000 spectateurs et 10.000 athlètes) ? Pourtant, a en croire Pierre, membre de l’association de natation du CGPIF « Paris Aquatique » qui sera président du CGPIF dans les années 90, l’importance des Gay Games ne saurait se réduire à ce statut d’événement fondateur. C’est ainsi que, dans le Sprint spécial 10 ans de la fédération de décembre 1996, il affirme que la tâche d’écrire en quelques lignes l’histoire du CGPIF ne lui a semblé possible qu’en conservant en tête l’importance des Gay Games sur notre propre histoire. Pierre arrive au CGPIF en 1990, alors que certains s’apprêtent à partir à Vancouver. Il lui faudra attendre quatre ans pour découvrir l’événement en se rendant à l’édition suivante en juin 1994 à New York. Il se souvient que la présence françaises à ces jeux, si elle n’était certes pas pléthorique, était visible et réussie : « Dix jours magiques et inoubliables ». Naquit l’envie de montrer la capacité à construire de tels projets en France. Lors des Gay Games de 1994 la délégation française compte 100 sportifs. Ils seront 400 à défiler sous la bannière "Team France" (dont 200 licenciés de la fédération CGPIF) à la cérémonie d’ouverture des

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jeux d’Amsterdam en 1998. Cela correspond aussi à un essor croissant de l’importance des événements. Alors que le nombre de participants s’élevaient à 3.500 pour les premiers jeux de San Francisco en 1982, ils étaient 14.175 inscrits pour les 409 épreuves des jeux Amsterdam en 1998. De même, le nombre de disciplines sportives proposées est passé de 11 à 31 entre 1982 et 2002, et le nombre nations représentées de 45 à 88 entre 1994 et 1998. L’accroissement concerne aussi le nombre de spectateurs, tant pour les cérémonies d’ouverture (500 aux jeux de 1986 et 17.000 à ceux de 1998) et de fermeture que lors des épreuves (200 000 à Amsterdam, soit 45 000 personnes par jour)19. Les Gay Games sont parallèlement devenus de véritables entreprises économiques (12.500 dollars U.S. en 1982, 350 000 en 1986 ; 2,1 millions en 1990 ; 12 millions en 1994 et des retombées de 400 millions pour la ville de New York). A l’été 2001, un article du n°22 du Mag rappelle que les retombées économiques furent évalués à 375 M FRF pour les Gay Games d’Amsterdam 1998, alors que les projections pour les jeux de Sydney 2002 se situeraient à hauteur de 360 M FRF. Au total, la croissance des Gay Games a été telle qu’elle génère des conflits qui menacent à présent le mouvement d’éclatement au plan international. Paul, ex-président d’un club du CGPIF, explique ainsi que la Fédération des Gay Games (FGG) s’est aperçue que les 19

Selon Le Mag n°22 de l’été 2001, les directeurs de la FGG ont rappelé le 7 mai de la même année que : « Les Gay Games est un événement de stature internationale dont les projets de présentation sont maintenant soutenus par nombre de politiciens, d’athlètes olympiques, de célébrités et de leaders locaux. Environ 14.000 personnes participent aux activités sportives et culturelles des Gay Games et des dizaines de milliers d’autres y assistent en spectateurs ».

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Jeux Gay, d’édition en édition, tendaient vers le gigantisme par le nombre d’athlètes engagés, et systématiquement faisaient des déficits. Le risque de se planter définitivement et de mettre peut-être en jeu la survie des Gay Games l’a ainsi conduit à appeler à organiser des jeux un peu plus modestes20, message qu’ils ont tenté de faire passer à Montréal, ville qui avait été choisie pour le rassemblement de 2006 dès l’Assemblée Générale tenue à Johannesburg en octobre 2001. Or, le comité d’organisation a mal pris cette appel l’incitant à freiner ses ambitions. Suite à une série de négociations et de contre-négociations, un constat de désaccord définitif, irrévocable et insurmontable ayant été fait, la FGG a décidé, soi-disant "la mort dans l’âme", de retirer l’attribution des Gay Games à Montréal. Montréal, vexé par cette décision, a décidé de maintenir l’événement sportif organisé sous un autre nom, les Out Games, alors même que la FGG vient de choisir Chicago pour organiser les Gay Games de 2006. C’est ainsi que deux événements identiques se voulant de dimension mondiale devraient être proposés à 15 jours d’intervalle, mettant la fédération Gay et Lesbienne CGPIF, également membre de la FGG depuis 1999, mais qui avait voté pour Montréal en raison de sympathies francophones (les jeux ayant quasiment toujours été organisé en pays anglophones), en situation 20

Dans un compte-rendu de l’Assemblée Générale de la FGG de Seattle de 1998 dans le Sprint Express n°11 du 28 décembre 1998, il est noté à propos des jeux d’Amsterdam que, en dépit des difficultés financières et des scandales ou erreurs stratégiques de communication (Gay Canal Parade), une participation record (14500 personnes de 80 pays) a assuré le succès de cette fête du sport et de la culture. Il est ainsi prévue que les jeux de 2002 Sydney soient organisés avec un budget revu à la baisse en raison de la crise financière en Asie.

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délicate21. Montréal a en outre annoncé en 2004 qu’il créait une nouvelle fédération internationale, GLISA (Gay and Lesbian International Sport Association), en opposition à la FGG.

3- Occultation du Sida et montée des loisirs physiques dans la subculture gay 3-1- Le Sida : une origine oubliée ? Le développement du mouvement sportif homosexuel au milieu des années 80 correspond à une conjoncture spécifique où la communauté gay, après des années d’engagement politique fort en lien avec des groupes « gauchisants », est marquée par un désinvestissement

militant

et

l’émergence

d’associations

subculturelles22. Le mouvement sportif bénéficie-t-il de cette accroissement de la demande de loisirs gay et lesbiennes, sorte d’hibernation du mouvement social, qui renaîtra brutalement avec la prise de conscience de l’épidémie de sida à la fin de la décennie ? La réponse semble a priori négative au regard la forte articulation entre 21

Voir sur ce point les efforts des deux représentant français pour que la langue française deviennent langue officielle des jeux lors de la Assemblée Générale de la FGG de Seattle de 1998, alors qu’ils viennent présenter le CGPIF au poste d’administrateur de cette fédération, (ce qu’il deviendra fait l’année suivante). Le compte-rendu de cette Assemblée Générale proposé dans le Sprint Express n°11 (28 décembre 1998) souligne ainsi que les deux participants français ont obtenus l’acceptation du Français comme 4ème langue officielle des Jeux Gais (« au dépens de l’Allemand et du Néerlandais, aux côtés de l’Espagnol, du Chinois et de l’Anglais bien sûr ! »). La fédération CGPIF doit ainsi désormais traduire en Français les publications sur Internet de la FFG. 22 - Olivier, Fillieule, Mobilisation gay en temps de sida. Changement de tableau, in Didier, Eribon, sous la dir., Les études gay et lesbiennes, Paris, Editions du Centre Pompidou, 1998, 81-96.

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l’histoire des Gay Games et l’activisme en rapport avec le Sida. Elle devra néanmoins être nuancée par la suite en pointant les liens qui se nouent entre le mouvement sportif homosexuel et la multiplication antérieure d’associations de randonnée gay et lesbiennes. Tom Waddell, l’emblématique initiateur des Jeux Gay, mais également médecin, devient rapidement un symbole de la lutte contre la maladie endémique que représente le Sida, dont il décède en 1987. Ainsi, les second jeux de San Francisco, en 1986, sont marqués dès leur ouverture par une minute de silence. L’événement sportif devient une occasion de parler de la maladie sur un nouveau mode : non pas comme un problème qui toucherait exclusivement les homosexuels mais comme une question politique. Dans les années 80-90, à l’heure où un grand nombre de doutes et d’inconnues planent sur la maladie et son traitement, la lutte contre le Sida prend une place importante dans le sport homosexuel, où sa ritualisation est utilisée pour amplifier symboliquement sa dramatisation. Ainsi, lors de la cérémonie d’ouverture des Gay Games de Vancouver en 1990, Brent Nicholson, qui a couru 10 000 miles en 23 mois en 1986-1987 afin d’informer les américains sur la maladie, se fait porteur du drapeau arc-en-ciel, symbole de la fierté gaie, et rappelle qu’il a couru, entre autres, en l’honneur de Tom Waddell. Au Gay Games de New York, en 1994, des athlètes sidéens participent à l’activité de body building notamment, sans que cela pose problème. Les participants sidéens sont fiers d’être là, face à l’incertitude de la mort, et luttent pour la préservation d’un corps appelé à se dégrader sous l’effet du virus, dans une institution où la norme est celle du

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corps vaillant et performant. Il existe aussi pendant la durée des jeux, mais en dehors des stades, des manifestations périphériques très ritualisées dans les cathédrales où les chœurs invitent à chanter « We are living with Aids », auxquels se joignent les parents des gais ou des lesbiennes qui se battent pour leur dignité, dont certains ont perdu leurs enfants à cause du Sida. Curieusement, la question du Sida n’est pas abordée au sein de la fédération CGPIF avant la toute fin des années 90. C’est Christophe Claudel qui, dans la rubrique « La tête sur les épaules » du n°16 de Sprint Express (octobre 1999) écrit un article au titre significatif : « VIH et Sport : sujet tabou ou grand projet ? ». Il rapporte ici la gêne suscitée par la sollicitation du magazine Têtu en vue d’informations sur les liens entre VIH et sport et du recueil de témoignage de sportifs séropositifs pour constituer un guide sur le VIH : « Cette démarche n’a pas été sans susciter un embarras aussi compréhensible qu’éloquent dans notre fédération. Le CGPIF ne peut en effet se transformer en "agence de renseignement" sur un sujet aussi délicat qui touche l’intimité des personnes. La fédération s’est donc contentée d’une attitude neutre, informant ses licenciés de l’initiative et invitant ceux que le souhaiteraient à contacter directement le magazine. Il est vrai que la transparence sur son statut sérologique ne semble pas dans les habitudes des clubs, alors qu’elle peut davantage se concevoir dans des associations "spécialisées". Quand au coming out, autant il paraît problématique et exceptionnel à propos de l’homosexualité dans le milieu sportif traditionnel, autant il est rarissime en ce qui concerne la séropositivité. Le sport, machine à

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fabriquer des héros inoxydables, s’accommoderait-il mal des différences qui touchent à l’intégrité du corps et de son image ». Quand il évoque le cas du basketteur américain Magic Johnson, l’auteur accompli un lapsus calami attestant du trouble collectif et de l’hésitation entre son admiration consciente pour le courage de l’athlète et sa peur inconsciente de la contagion, puisqu’il évoque « un héros coutageux dans le cœur des jeunes du monde entier ». Promoteur du "sport autrement", le CGPIF doit pour Christophe Claudel prolonger l’esprit des Gay Games qui, depuis leur origine, ont intégré le sida comme une réalité au cœur de la communauté. La participation et l’acclamation de personnes malades lors de ces jeux, loin de choquer, a ainsi toujours été un motif de fierté. Et si des initiatives ont été prises en matière de prévention dans les clubs du CGPIF, il convient de reconnaître que, en dépit du désir d’accueillir solidairement et sans discrimination toutes les personnes, aucune réflexion profonde n’a été jusqu’alors menée : « Ne devrait-on pas, en tant que fédération sportive gaie et lesbienne, se mobiliser pour engager un débat et mettre au point une stratégie de communication et d’action sur un thème aussi important ? ». L’auteur finit son article en posant les thèmes de réflexion susceptibles selon lui de clarifier les positions et d’adopter un discours commun vis-à-vis d’un sujet qui, loin d’être secondaire, pourrait contribuer à légitimer le fonction d’utilité publique de la fédération auprès des pouvoirs publics. Il est ainsi proposé qu’il devienne le thème d’une nouvelle équipe est qu’il constitue un des projets essentiels de l’an 2000.

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En fait, la thématique du Sida, à l’origine des Gay Games, semble avoir été occultée au sein du mouvement sport gay et lesbien français. Elle revient ainsi de l’extérieur, comme une question posée au mouvement en 1999. Elle revient aussi, à la même période, en raison de l’adhésion de la mouvement français à la Fédération des Gay Games (FGG), qui a conserver une commission de réflexion sur ce sujet (tableau 1)23. C’est pourquoi l’équipe Relations Publiques et Internationales met ce thème au cœur des débats de la fédération, comme le souligne Manuel F. Picaud (« VIH et sport », Le Mag, n°22, été 2001). Le texte fait suite aux résultats consternant d’une enquête de l’Institut National de Veille Sanitaire sur les comportements gay à l’égard de la prévention du Sida, résultats montrant un retour à la pire période

de

l’épidémie,

1983-1984,

lorsque

les

informations

demeuraient encore partielles24.

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L’article annonçant l’élection du CGPIF comme administrateur de la Fédération des Gay Games dans le Sprint Express n°17 (décembre 1999) souligne que les deux délégués élu par le Conseil d’Administration du CGPIF travailleront dans les commissions Adhésion, Développement, Sports et VIH. La participation à ces commissions est rappelée lors du passage consacré à l’équipe Fédération des Gay Games de l’article intitulé « Participez aux équipes du CGPIF » du Sprint Express n°19 (juillet 2000). 24 « Les causes de ce ″relapse″, d’ailleurs constaté au plan international, sont sans doute multiples : sous-information, notamment des jeunes, dépression d’adultes qui en perdent leurs réflexes auto-protecteurs, progrès de la médecine qui dans l’esprit du public fait de plus en plus du SIDA une maladie chronique qui se soigne, marre du préservatif, bare-backing… ».

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Santé25 FGG

1996-1997 -

1997-1998 1,92% (1 art)

1998-1999 1999-2000 10,26% (4 art) 7,46% (5 art) 25,64% (10 art)

2000-2001 3,85 (1 art) 19,23% (5 art)

Tableau 1 : Quantité relative d’articles évoquant la « santé » et la « FGG » dans le journal de la fédération CGPIF (1996-2001) C’est parce que le Sida fait encore souffrir et mourir en France que, rappelle l’auteur, le Comité Directeur de la fédération du 15 mai 2001 a lancé des réflexions sur des actions en trois directions : l’information et la prévention (en s’associant aux associations spécialisées et aux professionnels et en mettant à profit les différents supports de communication existant au sein de la fédération), l’accueil et la solidarité (en considérant la prise en charge des individus séropositifs ou fragiles et en voyant dans la pratique sportive un moyen de fournir un peu de bien-être et de confiance), la communication et la responsabilité (en s’engageant dans une campagne sur la responsabilité individuelle organisée par la Direction Générale de la Santé). C’est ainsi que le CGPIF sera reconnu par la Direction Générale de la Santé comme l’un des acteurs clés dans le dispositif de prévention du plan triennal 2002-2004 (Manuel F. Picaud, « Charte CGPIF : le Sport et le VIH », Le Mag, n°23, Automne 2001).

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Un seul des cinq articles évoquant des questions liées à la santé ne concerne pas le Sida. Il s’agit de l’interview accordée par Christophe Claudel à David Wilson dans le Sprint Express n°17 (décembre 1999), où il évoque les vertus thérapeutique reconnues par la médecine traditionnelle chinoise au travail de la connaissance du Qui (énergie interne) dans les arts martiaux chinois.

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3-2- Des associations de randonnées au mouvement sportif gay et lesbien Le mouvement sportif homosexuel français, s’il trouve son origine dans les Jeux Gais organisés au plan international à partir du début des années 80, occulte largement la force politique de ce qui lie ces événements à la réalité émergente du Sida. C’est sans doute parce que, lié d’une part au mouvement international des Gay Games, il l’est de l’autre à la dynamique de la demande nationale d’associations homosexuelles de loisirs physiques. Cette demande se matérialise par exemple par la multiplication des associations de marche et de randonnée gay et lesbiennes à partir du milieu des années 80, comme le montre les données recueillies par Gouyet à partir du Guide « Gaipied » (tableau 2)26. 1983 1984 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1984 1985 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Sport de loisir 1 1 1 1 1 0 1 2 2 2 0 2 0 2 Marche/ rando 0 0 2 4 6 5 7 10 7 8 2 5 5 11 Sport de compétition 0 0 2 2 1 1 1 7 7 8 8 12 13 19 Fédération sportive 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 2 2 1 Année

Tableau 2 : Evolution du nombre d’associations sportives et de loisir recensées dans le Guide « Gaipied », selon Gouyet (1999) Parallèlement au développement d’associations sportives fédérées au sein du CGPIF, avec même une dynamique plus importante entre 1986 et 1992, essaime un peu partout en France des associations 26

Ce Guide recense les coordonnées des activités gaies et lesbiennes, y compris pour les associations sportives. Gouyet précise que la source n’est pas totalement fiable, des organisations ayant pu oublier de se signaler (S. Gouyet, Le sport homosexuel en France, http://perso.wanadoo.fr/cgif/reseau/français:conferencereport.htm, 1999).

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homosexuelles de randonneurs. Antoine, membre d’une association de marche gay et lesbienne du sud de la France, dont il a été viceprésident, la différencie d’emblée de "Chemin des Cimes", une association homosexuelle omnisports montpelliéraine créée au début des années 2000 par deux passionnés de sport. Il admet avoir été luimême toujours été fâché avec le sport . Il n’aimait pas le sport à l’école et sa trajectoire sportive est, selon ses propres termes, nulle ou inexistante. C’est la raison pour laquelle, à 35 ans, il s’est orienté vers la rando en rentrant dans sa région d’origine, le LanguedocRoussillon, après une quinzaine d’année en région parisienne. Son plaisir pour la marche prend sens au regard de ces années enfermé dans de la ville, à devoir faire 2h de voiture pour commencé à trouver un peu d’espace vert. Elle correspond à une envie de se ressourcer : « Alors… marcher si tu veux, c’est un sport, mais pas violent, donc tout à fait adapté aux gens qui ne font pas trop de sport quand même, puisque… il est quand même assez agréable. Puis le faire donc dans une région que tu redécouvres, donc un bon moyen justement de visiter des coins reculés où t’as pas l’habitude d’aller ». Le projet d’Antoine est vraiment le fait de faire de la ballade avec des gens avec les mêmes sensibilités que lui. Ce projet est inscrit dans une logique de loisir qui, si elle s’oppose d’un côté à une pratique sportive trop intensive, se distancie de l’autre des pratiques de loisir et de consommation associées à un milieu gay parisien qu’Antoine, qui vivait en banlieue, ne fréquentait pas trop. Il affirme notamment que, dans le quartier du Marais, il y avait des choses qui ne lui plaisaient pas beaucoup. Il rappelle ainsi une certaine aspiration à la normalité

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rapprochant son discours de ceux tenus par les responsables des clubs sportifs gays et lesbiennes fédérées au sein de la fédération CGPIF. Il n’est pas quelqu’un de la nuit, ne s’intéresse ni aux bars, ni aux boites de nuit. Il ne se reconnaît pas dans les clichés et stéréotypes gays parisiens qui, pour tout dire, l’agace un peu : « Enfin ouais, les gays du Marais on fait plein de pub à la télé, on les voit dans plein d’émissions, mais c’est pas ce que tu cherches. Tu cherches quand même à avoir une vie effectivement peut-être différente, parce que tes choix sont différents, mais disons… entre guillemets, "normale" quoi. Je veux dire, comme tout un chacun ». En s’attachant trop exclusivement, comme y incite les discours des acteurs, à l’impact des Gay Games sur la création d’associations sportives homosexuelles, l’analyste risque toujours de négliger l’effet conjoncturel d’une période où, entre l’engagement militant des années 70 et la renaissance d’un mouvement revendicatif lié à la découverte de l’épidémie de Sida à la fin des années 80, l’ambiance était au relâchement du mouvement social avec le développement d’une subculture de loisirs. Il n’est pas possible de rendre compte d’une certaine occultation du lien entre le Sida et les Gay Games par la fédération CGPIF sans tenir compte de ce contexte. Le mouvement sportif homosexuel français parait finalement se situer au croisement entre un mouvement social homosexuel international représenté par la FGG et une subculture de loisir gay et lesbienne le situant au cousinage des associations de marche homosexuelles.

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20 18

14 12 10 8 6 4 2

sport de loisir

marche

sport de compétition

19 98 /1 99 9

19 97 /1 99 8

19 96 /1 99 7

19 95 /1 99 6

19 94 /1 99 5

19 93 /1 99 4

année

19 92 /1 99 3

19 91 /1 99 2

19 90 /1 99 1

19 89 /1 99 0

19 88 /1 98 9

19 87 /1 98 8

19 86 /1 98 7

19 85 /1 98 6

19 84 /1 98 5

0 19 83 /1 98 4

Nombre d'associations

16

fédération sportive

Schéma 1 : Evolution des associations sportives d’après les données recensées par le Guide « Gaipied » et en fonction du déroulement Gay Games, selon Gouyet (1999)

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