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La digitalisation
from Rapport annuel 2018
by SAM-TES
7LA DIGITALISATION
La digitalisation : ce n’est pas de la science-fiction
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Numérisation, informatisation, intelligence artificielle, technologie juridique, big data, etc. Ces termes ne semblent plus étranges à personne. Mais la numérisation est-elle irréversible et sera-t-elle réellement le facteur perturbateur de la société, de l’économie et du marché du travail actuels ?
Le fait est que nous ne pouvons ignorer la digitalisation, tant elle gagne en importance dans tous les segments de la société. Dans le monde juridique aussi, elle fait un bond en avant, notamment suite à l’explosion des données disponibles et des applications numériques pour gérer et traiter ces données.
Rester sur le quai alors que le train s’élance n’est pas une option, surtout pour un petit groupe professionnel comme celui des huissiers de justice. Toutefois, la nécessité de numériser ne doit pas susciter une panique aveugle, qui se traduirait par la nécessité de monter rapidement des projets coûteux. La numérisation doit d’abord et avant tout être un instrument qui permet au prestataire de services d’améliorer ses propres prestations et donc de renforcer sa propre nécessité dans la réalité juridique, socio-économique et sociale. La numérisation ne peut jamais être une fin en soi. Cela s’applique certainement à la profession d’huissier de justice, où le contact personnel avec le citoyen est un aspect essentiel du caractère unique de son office.
Ci-dessous, vous trouverez des informations sur les démarches entreprises par les huissiers de justice en 2018 dans le domaine de la digitalisation. Les principaux objectifs sont toujours les suivants : un service optimal, des procédures plus efficaces et plus rapides, ainsi que des coûts réduits pour l’utilisateur final. Veuillez noter que cet article concerne uniquement l’année 2018. Cela implique certainement que certains aspects sembleront obsolètes. Si tel est le cas, l’état actuel de la situation sera précisé en note de bas de page.
La signification électronique
Base légale
La loi Potpourri III1 a ouvert la voie à la signification par voie électronique, une nouvelle étape importante dans la réalisation de la procédure par voie électronique. Cette modification législative (articles 32 et suivants du Code judiciaire) a permis à l’huissier de justice d’opter pour la signification par voie électronique en complément de la voie traditionnelle. Ce n’est que dans les affaires pénales que le ministère public peut obliger l’huissier de justice à signifier l’acte à personne.
Cette méthode de signification supplémentaire se traduit par un gain de temps considérable, une productivité accrue et une simplification administrative.2 Tous les actes signifiés, que ce soit par la voie électronique ou traditionnelle, doivent être téléchargés dans le registre central des actes dématérialisés, endéans un délai de trois jours (RCAD).
Dans ce contexte, deux nouveaux concepts ont été ajoutés au Code judiciaire, à savoir : l’ « adresse judiciaire électronique » et l’ « adresse d’élection de domicile électronique ». L’adresse judiciaire électronique est une adresse électronique unique attribuée par l’autorité compétente à une personne physique ou morale. À l’heure actuelle, aucune adresse judiciaire électronique n’a été attribuée.
L’adresse d’élection de domicile électronique est toute adresse électronique autre que l’adresse judiciaire électronique à laquelle la signification peut être effectuée, et sur laquelle l’huissier de justice suppose que le destinataire est joignable, à condition qu’il ait donné son consentement exprès au préalable et pour chaque signification.
En pratique – phase de test
Il est important de procéder étape par étape, car la digitalisation ne doit pas diminuer la qualité des prestations de service. Le mode de signification doit toujours être adapté sur mesure pour le justiciable. La mise en œuvre pratique de la nouvelle législation est encore attendue.
Cela n’a pas empêché la Chambre nationale des huissiers de justice de développer une plate-forme qui rendra la signification électronique possible en pratique (art. 32 quater/2 du Code judiciaire). Il va sans dire que la législation relative à la signification électronique entreront en vigueur dès que le lien entre les différentes applications techniques sera établi.
Avant que la signification par voie électronique dans les affaires pénales ne puisse être étendue au niveau national, une phase pilote a été menée au Parquet d’Anvers.3 Pour l’instant, cela se limite à l’échange d’informations entre les huissiers de justice et les greffiers.
La phase test pour les affaires civiles sera menée dans un premier temps auprès des banques.4 La signification par voie électronique, en matière civile, pourra être déployée plus rapidement qu’en matière pénale.
Accès à la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS)
Les huissiers de justice n’avaient accès aux données de la BCSS5 qu’après en avoir fait la demande écrite auprès des institutions de sécurité sociale, limitée à la BCSS et à l’ONSS.6 Cette demande écrite devait être accompagnée, sous peine de nullité, de ce qui suit : un timbre BCSS-ONSS et une copie du titre exécutoire.
2 Doc.parl., Ch., 2016, n° 1590/001. 3 État du dossier fin 2019 : dans les affaires pénales, le logiciel des tribunaux et des parquets (MACH) doit encore être adapté à la plate-forme de la CNHB. Dans les affaires civiles, la phase de test est en cours et est bientôt terminée.
4 La phase test des significations électroniques dans les affaires civiles a débuté en 2019, les premiers exploits électroniques ont été signifiés avec succès milieu de l’année 2019.
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6 Les données à caractère personnel se limitent à l’indication du statut de la personne concernée dans les différentes branches de la sécurité sociale, des périodes concernées et des institutions de sécurité sociale compétentes. Aucun montant n’est communiqué (ni salaire, ni indemnité). Délibération n° 96/65 du 10 septembre 1996 du Comité de Surveillance. Le Comité de surveillance est le prédécesseur du comité sectoriel SCSZ au sein de la Commission pour la protection de la vie privée. Aujourd’hui, on l’appelle « l’autorité de protection des données » (GDPR).
En janvier 2018, outre la méthode existante d’accès à la BCSS, une nouvelle méthode a été introduite : l’accès électronique.7 La demande de consultation électronique ne mentionne que la référence de l’étude et le titre.8 La BCSS pourra demander les titres exécutoires à intervalles réguliers. De cette manière, elle sera en mesure de vérifier la régularité de la consultation et pourra prendre « les mesures appropriées » à l’égard de l’huissier de justice qui commet une infraction.
Dans une prochaine phase, l’intention est également d’élargir le champ d’accès aux institutions de sécurité sociale (outre l’ONSS, également l’INASTI, la FAMIFED, l’ONEM, l’INAMI, etc.) À partir du 1er avril 20199, il sera possible de transmettre une demande d’informations uniquement par voie électronique à la BCSS et à l’ONSS (via une application web du serveur CIA). De cette manière, l’huissier de justice doit également pouvoir consulter les périodes significatives du salaire ou des indemnités, le type d’indemnités et l’identité du créancier.
L’accès électronique aux registres de toutes les institutions de sécurité sociale permettra de gagner beaucoup de temps (quelques semaines) en réduisant la charge administrative. Cela profitera non seulement à l’administration, mais aussi au débiteur et au créancier. Puisque l’huissier de justice peut se faire une idée plus rapide de la solvabilité du débiteur, un règlement peut être conclu plus rapidement. De cette façon, les coûts et les intérêts sont réduits.10
La vente publique par voie électronique
Jusqu’à présent, les huissiers de justice ne peuvent vendre publiquement les biens meubles saisis (articles 1499-1528 du Code judiciaire) que dans une salle de vente, sur le marché public voisin ou dans un lieu plus approprié avec l’autorisation du juge saisi (par exemple en ligne).
Les ventes publiques judiciaires traditionnelles de biens meubles ne touchent qu’une petite partie de la population, c’est-à-dire le groupe (principalement les professionnels) pour lequel il est d’usage de se rendre dans une salle de vente. Souvent, le citoyen ordinaire n’aura pas connaissance de l’organisation de ces ventes ou ne sera tout simplement pas en mesure de se libérer le jour de la vente.
Lors du Conseil des Ministres du 31 août 2018, l’avant-projet de loi en matière d’informatisation de la justice a été accepté, la loi dite ICT. L’avant-projet prévoit, outre la vente publique traditionnelle, la possibilité pour les huissiers de justice de vendre les biens meubles saisis par voie électronique, dans le cadre d’une cession judiciaire.
Les huissiers de justice, tout comme les notaires (Biddit), pourront donc, dans un certain temps, vendre des biens par voie électronique, sans l’intervention d’un juge.11
Délibération n° 17/088 du 7 novembre 2017 du Comité sectoriel de la sécurité sociale et de la santé, modifiée le 9 janvier 2018. La liste des titres exécutoires est élargie : (1) l’ordonnance, (2) les décisions administratives, (3) le procès-verbal de noncontestation, (4) l’injonction de payer européenne, (5) le titre exécutoire européen et (6) les décisions rendues par la juridiction d’un autre état membre de l‘Union européenne. 9 Cela a, en effet, été introduit en 2019. 10 Le nombre de demandes soumises par voie électronique est impressionnant. Alors qu’avant 2018, la BCSS recevait en moyenne 2.000 demandes papier par an et l’ONSS environ 40.000, le nombre de demandes électroniques à la fin juin 2019 était de ± 10.000 par mois. 11 Le projet de loi est entré en vigueur le 5 mai 2019, M.B. du 19 juin 2019 (nouveaux articles 1511, 1516, 1519, 1522, 1523 et 1526 du Code judiciaire). Un arrêté royal devra déterminer les modalités pratiques de la vente par voie électronique (publication, vente, attribution et paiement).
Le RCI et l’application européenne
Application et conditions
À travers la directive européenne concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, le Parlement européen oblige les États membres de l’Union européenne à prévoir une procédure qui, en cas de dettes d’argent incontestées, permet d’obtenir un titre exécutoire à bref délai.12
Le législateur belge a repris cette procédure aux articles 1394/20 et 1394/21 du Code judiciaire. La procédure pour les dettes d’argent non contestées (ci-après la procédure RCI) est d’application depuis juillet 2016. Cette procédure est plus rapide pour le créancier car il obtient généralement un titre exécutoire après 1 mois et 8 jours. De plus, dans presque 40 % des cas, le créancier reçoit son argent sans devoir obtenir un titre. La procédure RCI est moins chère pour le débiteur, car de nombreux coûts sont éliminés, tels que les frais de justice, les droits de rôle, les frais d’enregistrement et les frais de citation. Enfin, les intérêts et la clause pénale sont limités à 10 % de la somme principale. Les résultats sont entretemps positifs, la procédure est massivement utilisée par les entreprises.
Arrêté royal du 17/08/2018
Le champ d’application ratione personae de la procédure RCI a été étendu. Le roi a déclaré par arrêté royal du 17 août 2018 (M.B. du 17 septembre 2018) l’équivalence de certaines bases de données étrangères à notre Banque-Carrefour de Entreprise.
Depuis le 1er octobre 2018, il est dès lors légalement possible d’utiliser la procédure RCI si une ou plusieurs parties sont officiellement inscrites dans l’un des registres du commerce étrangers suivants13 :
1) Pour les Pays-Bas : « het Handelsregister » visé dans la loi néerlandaise du 22 mars 2007 contenant les règles relatives à un registre de base des sociétés et des personnes morales ; 2) Pour la France : « Le Registre du commerce et des sociétés », visé à l’article L.123-1 du Code de commerce français ; 3) Pour l’Allemagne : « das Handelsregister », visé au § 8 du Handelsgesetzbuch allemand ; 4) Pour le Grand-Duché de Luxembourg : « Le Registre de commerce et des sociétés », conformément à la loi luxembourgeoise du 19 décembre 2002 relative à l’immatriculation du commerce et des sociétés ; 5) Pour l’Italie : « Il Registro delle Imprese », prévu à l’article 8 de la loi italienne no 580 de 1993; 6) Pour l’Espagne : « El Registro Mercanti », conformément à la loi espagnole 19/1989 du 25 juillet 1989 ; 7) Pour l’Autriche : « das Firmenbuch », telles que visé dans le Firmenbuchgesetz autrichienne de 1990.
12 Directive 2011/7 UE du Parlement Européen et du Conseil, 16 février 2011 sur la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, Journal Officiel de l’Union européenne, 23 février 2011, L 48/1, art. 10.1. 13 Le Registre Central des Créances Incontestées (RCCI) sera techniquement mis au point fin 2019.
En pratique
Dans l’hypothèse où un commerçant étranger souhaiterait utiliser cette procédure à l’encontre d’une société débitrice belge, le procès-verbal de non-contestation, devenu exécutoire, peut logiquement être exécuté sur notre territoire sans aucun problème. Inversement, il en va de même pour le créancier belge à l’égard d’un débiteur étranger ayant un établissement en Belgique.
Si, en revanche, le titre exécutoire doit être exécuté sur le territoire d’un autre État membre dans les hypothèses précitées, la théorie diffère de la pratique. La fonction de l’huissier de justice peut être remplie différemment dans d’autres pays. En outre, il existe souvent des procédures administratives complexes et des problèmes linguistiques, et la question se pose quant à l’application du règlement Bruxelles I-bis.
L’élargissement du Registre Central des Actes authentiques Dématérialisés (RCAD)
Conformément à la loi ICT, au plus tard le 1er janvier 2020, tous les actes authentiques, qu’ils soient signifiés ou non, seront disponibles sous forme numérique sur la plate-forme créée à cet effet, à savoir le RCAD.14 La disponibilité numérique concerne à la fois les actes signifiés électroniquement et les actes signifiés traditionnellement, qui ont été numérisés par la suite.15
Le RCAD connaît une double finalité. D’une part, il répond à la demande de plus de transparence (dans le cadre du contrôle) sur les activités des huissiers de justice. D’autre part, il s’agit d’une réponse à la volonté du ministre de la Justice d’informatiser complètement la procédure du droit civil et pénal.16
La centralisation des actes des huissiers de justice dans un registre unique, comme porte ouverte sur un registre central des actes introductifs d’instance bénéficie donc (et continuera à bénéficier) du plein soutien de la CNHB.
L’accès au cadastre
Suite aux délibérations positives du Comité sectoriel pour l’Autorité Fédérale17, l’accès numérique des huissiers de justice aux données18 du cadastre est en cours d’exécution.19 Cet accès est encore limité pour les actes et les PV de saisie conservatoire ou d’exécution de biens immobiliers.
La CNHB et le SPF Finances rédigent un protocole qui établit les modalités de cet accès électronique.20
14 Art. 32quater/2, C. jud. 15 Voir supra « La signification électronique ». 16 K. GEENS, Court of the Future, FOD Justice, 25 octobre 2017, www.koengeens.be/policy/court-of-the-future. 17 Délibération SPF nr 15/2017 du 19 mai 2017 du Comité sectoriel pour l’Autorité Fédérale. 18 Les données suivantes sont visées : identification de(s) parcelle(s) cadastrale(s), identification du propriétaire, situation géographique de la parcelle, superficie de la parcelle et la nature cadastrale. 19 Voir aussi l’arrêté royal du 30 juillet 2018 concernant la création et la tenue à jour de la documentation cadastrale et fixation des modalités de remise des extraits cadastraux, M.B. 9 octobre 2018. 20 Les négociations sont entre-temps terminées et le protocole a été signé en juillet 2019. Le développement technique du protocole sera finalisé fin 2019.
Le point de contact central
En 2018, l’huissier de justice n’a pas d’accès direct au point de contact central pour les comptes et les contrats financiers (le PCC, plus connu sous le nom de registre bancaire), géré par la Banque Nationale de Belgique (ci-après BNB). Il est donc obligé de contacter au cas par cas toutes les institutions bancaires du pays afin de savoir où le débiteur concerné détient un compte. Il s’agit d’un processus long et coûteux.
À cet égard, un nouveau cadre juridique a été créé.21 Les créanciers européens ont accès aux informations pertinentes, mais uniquement en ce qui concerne une saisie conservatoire. Le créancier européen devra soumettre une demande à la juridiction étrangère compétente. Cette dernière demandera les informations nécessaires à la CNHB et la Chambre nationale s’adressera à son tour au PCC. Ainsi, la CNHB remplira le rôle de personne habilitée à recevoir l’information22 .
La CNHB continuera de promouvoir un accès plus large, sur la base des facteurs suivants23 :
1) l’huissier de justice doit avoir un accès direct au PCC de la BNB ; 2) l’huissier de justice doit pouvoir demander aussi l’information dans le cadre d’une saisie-exécution.
21 Loi du 18 juin 2018 portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges, M.B. 2 juillet 2018. 22 Toute personne physique ou morale légalement autorisée à demander les informations contenues dans le PCC afin d’accomplir les missions d’intérêt général qui lui sont confiées par le législateur, après avoir obtenu l’avis de l’autorité de protection des données. 23 Voyez aussi le projet de loi du 25 juin 2018 sur la simplification administrative et l’amélioration de la transparence dans le fonctionnement de l’huissier de justice (DOC 54 3199/001), qui est tombé après la chute du gouvernement à la fin 2018.