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L’ interview des experts
from Rapport annuel 2018
by SAM-TES
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L’ INTERVIEW DES EXPERTS
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En 2018, vous avez été chargé d’élaborer - dans un délai très court - un rapport sur la modernisation de la profession d’huissier de justice. Comment avez-vous commencé cette mission, comment vous êtes-vous préparé ?
Luc Chabot :
Maître André Michielsens et moi-même avons effectivement été désignés en mars 2018 ; il nous a été demandé par le Ministre de la Justice de rédiger un rapport pour le 30 juin au plus tard. Compte tenu de ce très bref délai, nous nous sommes répartis la tâche. André Michielsens était chargé de rédiger la partie « statut de l’huissier de justice » (fiches 11 à 20) tandis que le reste, à savoir les questions relatives à la pratique du « métier », m’incombait. Nous avons ensuite, bien entendu, beaucoup échangé entre nous, ce qui a généré des corrections, çà et là, afin de finaliser un texte commun.
Le centre d’expertise de la Chambre nationale a, dès notre désignation et spontanément, pris l’excellente initiative de procéder à une grande enquête auprès des futurs et actuels huissiers de justice titulaires. Il est clair que même si le Ministre nous avait à l’époque, expressément demandé de demeurer indépendants, nous avons pu néanmoins, en âme et conscience, tenir compte des résultats de cette grande enquête.
Nous avons également essayé de rencontrer le monde académique ainsi que la « société civile » durant les mois de mars, avril et mai 2018. Mais nous n’avons malheureusement pu rencontrer toutes les personnes que nous souhaitions car il fallait coucher nos idées respectives sur papier sans trop tarder. Nous avons donc, en vue de gagner du temps, adressé un certain nombre de questions aux avocats, aux associations de protection des consommateurs, aux notaires, aux divers observatoires du pays, aux banques etc.
En ce qui concerne la partie que j’ai rédigée, j’ai eu la grande chance de préparer un congrès de l’UFHJ en avril 2018, portant sur la nécessaire mutation de la profession d’huissier de justice. Cette préparation n’a pu qu’influencer fortement et positivement le rapport, dès lors que j’avais réfléchi à la problématique, de manière concrète et plus spécialement avec mon excellent confrère Etienne Leroy, depuis la fin de l’année 2017.
André Michielsens :
Cette mission était spéciale pour moi étant donné que j’ai exercé une autre fonction publique. J’ai donc d’abord appris à connaître la matière, j’ai lu beaucoup et j’ai posé énormément de questions.
J’ai immédiatement remarqué que l’âge moyen des titulaires était très élevé. C’est pourquoi je me suis tout d’abord concentré sur cet aspect. Une profession n’a un avenir que s’il y a une bonne transmission vers la génération suivante et si suffisamment de jeunes sont intéressés par l’exercice de cette profession. Les expériences que nous avons acquises dans le notariat au cours des 20 dernières années après les réformes de 1999 ont permis un tel rajeunissement, résultant d’un afflux suffisant de jeunes issus de l’enseignement universitaire. J’ai essayé de comparer les résultats positifs du notariat avec l’organisation de la profession d’huissiers de justice.
J’ai particulièrement remarqué que trop de temps s’écoule entre la fin des études universitaires et la nomination en tant que titulaire et qu’il y a trop d’incertitude quant à l’avenir. Une association à part entière entre les titulaires et les candidats, comme dans le notariat, me semblait être une solution.
De la même manière, j’ai étudié et comparé la structure de l’étude et la procédure disciplinaire. Avec le recul, il s’est avéré que les experts du notariat ont suivi la même ligne de pensée pour l’établissement d’un véritable tribunal disciplinaire. En passant en revue les règles déontologiques existantes, il est apparu que les huissiers de justice ont eu le courage de penser de manière progressiste (publicité, etc.).
Vous êtes vous-même huissier de justice depuis longtemps. Avez-vous ressenti cela comme une valeur ajoutée au cours du processus de rédaction ou avez-vous eu des difficultés à concilier le rôle d’expert indépendant avec votre profession ? (spécialement pour M. Chabot)
Luc Chabot :
J’exerce la fonction depuis une trentaine d’années, en effet, et il est évident que ça aide, ne fût-ce que pour avoir une idée juste de l’évolution qu’a empruntée le métier durant cette période.
Seul un huissier disposant d’une équipe organisée au sein de son étude pouvait rédiger un rapport sur la modernisation de la profession en un temps aussi bref. Le fait de m’être toujours intéressé au sort de la profession, en participant à de nombreux groupes de réflexions organisés au sein de la Chambre nationale des huissiers de justice, mais également au sein de l’Union Francophone des huissiers de Justice m’a permis d’avancer assez rapidement dans l’élaboration de la partie de rapport qui m’était impartie.
Mais, en aucun cas, je ne me considère, ainsi que l’a appelé le Ministre, comme un « expert » de la profession; je ne suis en réalité qu’un modeste praticien, gestionnaire au quotidien d’une étude d’huissiers de justice qui a consacré trois mois de sa vie à coucher sur papier ce qu’il pensait personnellement (et en accord avec bon nombre de confrères!) que l’huissier de justice devait (re)devenir.
Si vous deviez réécrire le rapport aujourd’hui, le feriez-vous différemment ?
Luc Chabot :
Je ne pense pas (tout au plus aurais-je fait en sorte d’obtenir une traduction dans les deux langues mieux aboutie, mais à nouveau le temps pressait …) ; cela ne voulant pas dire que je suis pleinement satisfait de ce qui a été écrit dans les 150 pages du rapport. Il est évident qu’il est perfectible, mais je dois vous avouer y avoir consacré 100% de mon temps durant trois mois. Et je vous dirai, avec une petite pointe d’ironie, que je ne sais pas comment j’aurais pu procéder sans disposer de la possibilité, durant ce moment, de me faire suppléer, etc.
André Michielsens :
Je demanderais plus de temps. Techniquement, il ne nous était pas possible de vérifier certaines réflexions sur le fond. J’aurais certainement voulu consacrer plus d’attention au recouvrement des créances et au rôle de médiateur de l’huissier de justice. Il s’agit là d’une problématique intéressante : dans quelle mesure l’huissier de justice est-il encore un officier public ? Dans quelle mesure la fonction publique est-elle une réelle et unique porte d’accès au recouvrement extrajudiciaire ? Qu’en est-il de la protection en tant qu’officier public ? Il y a encore beaucoup de questions importantes dans ce domaine.
Pensez-vous que votre plan inspirera le prochain ministre de la Justice à élaborer un plan d’action ?
Luc Chabot :
Je n’en sais strictement rien, mais je l’espère bien entendu, sinon à quoi bon ? Ce que je sais, c’est que la profession, suivant les résultats d’une enquête effectuée par le centre d’étude de la CN (postérieurement au dépôt du rapport – fin juin 2018) auprès des stagiaires, candidats et huissiers de justice titulaires, a accueilli celui-ci sur 80 % des propositions suggérées au Ministre de la Justice Koen Geens. Le mémorandum 2019-2024 de la Chambre nationale, rédigé en collaboration avec l’ANCSHJ, la CVG et l’UFHJ s’est manifestement inspiré de certaines idées et solutions proposées dans le rapport.
Je trouverais regrettable que le prochain Ministre de la Justice et le Ministre de l’Économie ne tiennent pas compte du rapport notamment en veillant à poursuivre la discussion globale concernant les services que le Justiciable et la société sont en droit d’obtenir de la profession. Je pense aussi que le mouvement initié par le Ministre, à savoir un dialogue constructif entre les professions juridiques, en faisant fi des corporatismes nuisibles au justiciable, doit continuer.
André Michielsens :
J’espère en particulier que le rapport sera le point de départ de nouvelles initiatives. Les professions juridiques doivent d’abord et avant tout s’appuyer l’une sur l’autre. J’ai l’impression que les huissiers et les notaires peuvent se retrouver, mais je constate que les barreaux préfèrent suivre leur propre voie. Il y a alors un danger que tout s’arrête : un choix agressif pour l’intérêt personnel conduit à une attitude défensive et à un arrêt.
Tant qu’il n’y aura pas de déclaration gouvernementale, nous ne pouvons qu’espérer que le mémorandum de la Chambre nationale et de SAM-TES pourra servir d’inspiration lors des discussions de formation. En outre, il faut également être conscient de ce qui se passe ailleurs dans l’Union européenne : l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Le renforcement de la coopération européenne dans le domaine juridique offre des opportunités et des défis, d’autant plus que l’important portefeuille de la justice est proche de nous. La Chambre nationale devra jouer pleinement son rôle et le savoir-faire technique de SAM-TES représente un changement pour l’avenir, mais surtout, la base devra suivre et penser de manière innovante.