"Mon père des montagnes" de Madeline Roth - extrait

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Je sais, on passe la moitié du temps à espérer grandir au plus vite et s’en aller – moi il m’arrivait parfois de vouloir redevenir un tout petit enfant. Je ne savais pas vraiment. Comme si ça avait créé un manque. Comme si ça avait creusé un trou. On met presque deux heures pour rejoindre le chalet. Les derniers kilomètres, c’est un chemin de terre, seul mon père doit l’emprunter. Il roule au pas. Je l’aide à décharger la voiture. Il n’est pas venu ici depuis le mois d’octobre. On est le 13 avril. J’ai une semaine à passer avec lui. Son premier geste, c’est d’ouvrir toutes les portes et les fenêtres en grand. La maison n’a pas respiré depuis des mois. Je le regarde, et on dirait qu’il sourit enfin, comme si on avait retiré un voile de son visage, un film en noir et blanc qui passerait à la couleur. Ça se voit qu’il est heureux d’être ici, et je me demande encore quels mots on va bien trouver à se dire nous deux, toute cette semaine. Ça n’a pas toujours été comme ça, froid, entre lui et moi. Quand j’étais petit, je sais que c’est lui qui m’a appris à faire du vélo et on jouait au foot dans la rue, devant la maison. Parfois il m’emmenait au cinéma et on achetait du pop-corn. Et puis je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ignore de quand ça date, je ne me souviens pas d’un moment précis qui aurait basculé. Un jour je me suis rendu compte qu’on ne faisait presque plus rien ensemble, et qu’on se parlait de moins en 16


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