Clap! n°10

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époque, « beaucoup de grands metteurs en scène, comme Lumet ou Frankenheimer, avaient fait leurs armes dans des émissions de direct ». « La télé ne souffrait pas de la même réputation qu’aujourd’hui » a-t-il dit tristement. Puis les anecdotes heureuses sur Alfred Hitchcock ont plu. Friedkin nous a raconté, l’œil frisant encore, sa première rencontre avec le réalisateur des Oiseaux : « Je l’admirais depuis de longues années déjà. J’étais un jeune homme lorsque l’on m’a proposé de tourner l’un des épisodes de Alfred Hitchcock présente. C’était alors la dixième saison du show. Alfred venait une fois par semaine sur le plateau, pour lire ses textes d’introduction - qu’il présentait au début de chaque épisode. Un jour, un groupe d’hommes, tous habillés d’un costume noir et d’une cravate noire, ont débarqué devant moi. Ils accompagnaient Hitchcock. Ce dernier m’a regardé et m’a dit “Monsieur Friedkin, les réalisateurs de ce programme portent normalement un costume réglementaire”. J’ai d’abord cru qu’il se payait ma tête. Mais non. Je lui ai alors répondu : “J’ai oublié ma cravate en partant”. Je portais un t-shirt... ». Tonnerre d’applaudissements.

celle sur la séquence de métro dans

film ».

droit qu’à une prise. Nous tournions en équipe réduite, de façon illégale. Pas d’autorisation de tournage. D’ailleurs il n’y a pas de figurants dans cette séquence, seulement des travailleurs qui se rendent au boulot. Je voulais utiliser la lumière naturelle, le bruit de la rame. Ce qui m’intéresse en tant

revenu, à travers les films évoqués, sur la construction des personnages chez Friedkin, sur la frontière floue qui se trace entre les bons et les mauvais : « des impulsifs, des maladroits, des nerveux, des caractères ambigus » qui se développent à mesure de la filmographie. « Ce qui m’intéresse en effet, c’est de montrer la mince limite qui sépare le truand du flic, le bon gars du mauvais. Il est très juste de dire que c’est un thème qui m’est cher, un thème que j’ai brodé film après film ».

French Connection). « Nous n’avions le Jean-François Rauger est également

‘‘ Je ne sais pas pourquoi je fais des films d’une telle violence ’’

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Des extraits de French Connection et du Convoi de la peur sont projetés et Friedkin justifie ses choix d’angle et de montage, abreuvant l’audience d’anecdotes de tournage (notamment

que réalisateur, c’est la spontanéité. Pas la perfection ; celle-là m’ennuie. La prise unique, voilà ce qui me stimule, toujours ». Il ajoute : « Aujourd’hui, l’attention du spectateur se réduit comme peau de chagrin. Dans les films d’action, on change désormais d’angle de caméra toutes les cinq secondes, tout ça pour donner du rythme, tout ça parce que vous avez déjà tout vu et que presque plus rien ne vous surprend. À l’époque de French Connection, on pouvait prendre son temps car l’attention du public était plus soutenue, moins saccadée. Si j’avais aujourd’hui dû refaire la séquence du métro dans French Connection, il y aurait eu dix fois plus de cuts et de plans insérés. Je n’aurais pas pu tourner avec une seule caméra mais une équipe de caméramen pour shooter chaque détail de la scène d’action. Ça n’aurait plus été le même

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C’est d’ailleurs, une fois encore, sur cette frontière entre le bien et le mal que William Friedkin joue magistralement dans Killer Joe, pour clôturer la deuxième journée du festival. Un film d’une violence extrême, sensationnel par son casting et sa narration. « Comme je le disais tout à l’heure, je ne sais pas pourquoi je fais des films d’une telle violence. Je ne me sens pas moi-même quelqu’un de brutal. J’aurais préféré faire des films comme Chantons sous la pluie ou Un américain à Paris. Mais, si la violence s’imprime tant dans mes films, c’est que, forcément, quelque part en moi, elle se fond. Un journaliste a un jour demandé à Flaubert comment il avait fait pour adopter, pendant tout un roman, le point de vue d’une femme. Flaubert lui a répondu : Madame Bovary, c’est moi. Et bien je vais vous faire une confidence : Killer Joe, c’est moi ». Propos recueillis par Ava Cahen


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