Impression 3D Moteur d'une nouvelle Architecture Vernaculaire // Romain Hamard

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IMPRESSION 3D M OT E U R D ’ U N E N O U V E L L E

ARCHITECTURE VERNACULAIRE Romain Hamard



IMPRESSION 3D M OT E U R D ’ U N E N O U V E L L E

ARCHITECTURE VERNACULAIRE

Romain HAMARD TRAVAIL DE FIN D’ÉTUDES 2014

Promoteur : Philippe LECOCQ Faculté d’Architecture LaCambre-Horta, Université Libre de Bruxelles



Remerciements

Je tiens à remercier mon promoteur,

Philippe Lecocq, pour ses conseils et son optimisme, la cafetière qui a toujours été là dans les moments les plus difficiles et, plus sérieusement, tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce travail. Un grand merci à tous.


Gauche Huttes perchĂŠes, photographe inconnu. Droite Canal House, DUS Architecture, 2012.



// SOMMAIRE

INTRODUCTION

11

LA CONNAISSANCE PARTAGÉE DANS L’HISTOIRE

15

Du vernaculaire à la spécialisation

20

Période vernaculaire

20

Révolutions industrielles

26

Ère de la globalisation

37

Retour au vernaculaire

44

Communautés numériques

44

Troisième Révolution Industrielle

48

Le Prosommateur

50

Artisanat 2.0

52

Partager pour mieux concevoir

62

Licences libres / Open Source

70

Vernaculaire 2.0

72


LE VERNACULAIRE COMME MODÈLE

75

« Nouvelle architecture vernaculaire »

78

Grown your Own House

80

Atelier d’Architecture Autogérée

82

Rural Studio

84

Imprimer sa maison

88

ProtoHouse 2.0

92

Canal House

94

Wiki House

98

Nouveau modèle urbain

100

Le fablab

100

Autres makerspaces

104

Relocalisation industrielle

106

Barcelone 5.0

108

CONCLUSION

113

BIBLIOGRAPHIE

118


‘‘ L’impression 3D […] a le potentiel de révolutionner la manière dont nous fabriquons pratiquement tout. ‘‘

- Barack Obama, Discours sur l’État de l’Union, 2013


// INTRODUCTION

Après être née dans l’esprit imaginatif de certains auteurs comme Hergé (en 1972, il imagine la « photocopieuse 1. La photocopieuse tridimensionnelle est une invention du professeur Tournesol dans Tintin et le lac aux requins, 1972.

tridimensionnelle1 ») ou Arthur C. Clark (l’Odyssée de l’espace), l’impression 3D devient une réalité il y a 25 ans. Elle est alors une technologie de pointe très onéreuse et complètement inaccessible au grand public. Son utilisation massive reste du domaine de la science-fiction. Aujourd’hui,

les

choses

changent.

L’impression

3D se démocratise et s’immisce même dans notre quotidien ; notamment par les médias de communication. L’importance d’une installation dans les ménages est telle que certains parlent même de « nouvelle révolution 2. « La nouvelle révolution industrielle » est une idée développée par Chris Anderson dans l’ouvrage Makers. 3. « La troisième révolution industrielle » est exposée par l’essayiste américain Jeremy Rifkin dans La troisième révolution industrielle, 2013

industrielle2 » ou de « troisième révolution industrielle3 » Il est évident que l’impression 3D n’est qu’un élément d’une possible révolution. Cependant, c’est probablement la technologie de construction automatisée qui associée à la puissance du réseau internet, peut changer radicalement la façon dont nous construisons le monde. Internet est la 11


ressource de savoirs grâce au partage de connaissances et l’imprimante 3D, le moyen constructif. De plus, dans le sens où l’utilisateur pourrait grâce aux technologies modernes redevenir le concepteur et le producteur de son environnement physique, il est envisageable que sa production soit spécifiquement adaptée à son utilisation et à ses environnements (géographique, culturel ou social), de la même façon que l’est la forme vernaculaire. Les questions principales qui animent ce travail sont donc les suivantes : En association à la connaissance partagée, la démocratisation des moyens de construction automatisée peut-elle permettre une réponse architecturale plus adaptée à son environnement ? Dans ce contexte, estil possible de voir apparaître une nouvelle architecture vernaculaire ? Pour répondre à ces questions, il me semble primordial dans un premier temps de définir ce qu’est le « vernaculaire » et de se demander comment et pourquoi il a été mis de côté par nos sociétés modernes obsédées par les experts et la norme. Le premier chapitre sera donc consacré à l’évolution de la connaissance partagée dans l’histoire. De sa forme vernaculaire jusqu’à son moment 12


de rupture puis du retour à la connaissance partagée dans l’univers du web. Le deuxième chapitre se concentre sur le vernaculaire comme modèle ; modèle pour une nouvelle architecture vernaculaire et modèle pour une nouvelle urbanité prenant en compte la construction automatisée et l’implantation d’une nouvelle micro-industrie locale. Une dernière partie me permettra de tirer les conclusions de ce travail et de tenter de répondre aux questionnements précités.

‘‘

Dans le droit romain est vernaculaire tout ce qui est produit pour l’autoconsommation et non destiné à être mis sur le marché.

‘‘

- Ivan Illich, Le Genre vernaculaire, 1983

13



// LA CONNAISSANCE PARTAGÉE DANS L’HISTOIRE

15


// LA CONNAISSANCE PARTAGÉE DANS L’HISTOIRE

L’architecture et plus généralement la construction telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas toujours été autant règlementée, normalisée et expertisée. Dans l’histoire, un glissement s’est opéré entre les sociétés vernaculaires et spontanées et le monde globalisé et administratif moderne. En d’autres termes, la connaissance partagée a lentement glissé vers la connaissance fragmentée. Le point clé de ce glissement est probablement la première révolution industrielle. En effet, le milieu du XIXe siècle est marqué par l’émergence du capitalisme industriel moderne et par la domination d’une organisation politique sur le reste du monde ; la colonisation. Si la révolution industrielle est le point de glissement alors elle définit un avant et un après. L’avant c’est la période vernaculaire ou insulaire, l’après c’est l’ère globalisée que nous connaissons aujourd’hui.

16

Page suivante Habitations en soussol de la région du Henan, Chine (photographie d’Architecture sans architectes, Bernard Rudofsky, 1977) et photographie de Michael Wolf, Architecture of density, 2013.


Pour le premier point de ce chapitre, il me semble intéressant de suivre ce phasage historique. Il est inspiré de l’article From Vernacularism to Globalism, 1994 de 4. Nezzar Alsayyad est un professeur d’architecture et d’urbanisme à l’université de Californie. Dans son article From Vernacularism to globalism, 1994. Il propose un phasage historique (période insulaire, période coloniale, ère de l’indépendance et ère de la globalisation) pour examiner la notion d’identité nationale et l’influence des changements dans la tradition sur la forme architecturale.

Nezzar Alsayyad4. La tendance actuelle comme elle a été évoquée dans l’introduction est le retour au partage de connaissances. La suite de ce chapitre sera donc consacrée à l’inversion du paradigme et au retour aux valeurs vernaculaires qui semblent émerger dans les communautés du numérique et d’internet.

‘‘

Par sa nature même, le savoir est le fruit d’une entreprise collective.

‘‘

- Vandama Shiva, La vie n’est pas une marchandise, 2003

17




Du vernaculaire à la spécialisation Fragmentation de la connaissance

Période vernaculaire ou insulaire

Selon Nezzar

Alsayyad la période insulaire est la période pendant laquelle les communautés avaient peu d’intérêt pour leurs voisins. Une communauté donnée était essentiellement occupée à faire face à ses propres contraintes et ses membres partageaient fortement connaissances, savoirfaire et ressources entre eux, mais peu avec les autres communautés. L’architecture vernaculaire se définit selon Bernard Rudofsky5 et Ivan Illich6 en opposition à l’architecture des experts, celle des architectes et autres ingénieurs. Elle est d’abord le fruit d’une activité spontanée et continue d’une communauté. C’est l’architecture historique par excellence puisqu’elle est la plus utilisée dans l’histoire de la construction. Cependant, elle est étrangement sous représentée dans les manuels d’architecture. Nous nous focalisons généralement sur les architectures « grandioses » qui sont naturellement les édifices conçus et fabriqués par et pour les plus riches personnages que l’histoire nous est donnée, ou pour leurs dieux. L’habitat traditionnel et local 20

5. Bernard Rudofsky est un écrivain et architecte américain. Il est l’auteur de l’Architecture sans architectes, 1977. 6. Figure importante de la critique de la société industrielle, Ivan Illich défend l’écologie politique. Il est notamment l’auteur de Le genre vernaculaire, 1982.


est très peu abordé. Mais l’architecture vernaculaire, spontanée, indigène, rurale, anonyme ou quel que soit le nom qu’on lui donne regorge également de solutions innovantes et généralement parfaitement adaptées à leurs environnements. En effet, cette architecture vernaculaire est quotidienne. Elle est une architecture de contraintes. Les contraintes sont liées à l’environnement, à la culture et aux usages des habitants. Les erreurs se lissent dans le temps et par la pratique. L’imitation de la nature et l’utilisation des ressources issues de l’environnement direct sont des éléments clés de la réussite de l’architecture vernaculaire. La transmission du savoir-faire est donc centrale pour garantir la pérennité des techniques. Elle est le mortier de la tradition. Trois exemples significatifs d’architecture vernaculaire sont présentés dans les pages qui suivent.

21


Habitats troglodytes, région Henan, Chine Dans la plaine du fleuve Jaune (Huang He), le lœss7 s’est déposé au fils du vent et des siècles pour former une

7. Le lœss est un dépôt minéral très fin (du limon) associé à de l’argile et du calcaire. Il est transporté et déposé par le vent.

terre meuble propice à l’agriculture. Ici la terre fait double usage : elle nourrit et elle abrite. En effet, les habitations sont creusées. Seule une cour d’environ la taille d’un terrain de tennis permet d’identifier la présence de l’habitat. Le paysage est découpé de carrés réguliers qui s’alignent dans une organisation rigoureuse8.

8. Voir photo page 16

La cour centrale permet l’ensoleillement et la ventilation des espaces de vie. L’accès se fait par un escalier en L. Les espaces couverts sont creusés directement dans le lœss de manière rayonnante. Sa profondeur moyenne de huit mètres permet d’avoir une inertie thermique extrêmement avantageuse. Avec une température moyenne d’environ 19°C toute l’année, ces habitations sont fraiches en été et chaudes en hiver. Haut Les ouvertures et les voûtes sont bâties en briques de terre cuite.

Gauche Les espaces couverts sont creusés autour de la cour centrale. Pierre Frey, Learning from Vernacular, 2010 22


Architecture de terre, Case Obus Mousgoum, Cameroun La case Mousgoum est une architecture de terre également. Elle est construite de façon additive en 9. La terre crue est un mélange de terre, de paille, de colle végétale et d’eau avec des corps organiques et minéraux. L’homme n’est pas la seule espèce à utiliser ce matériau de construction, de nombreux animaux l’utilisent pour construire.

terre crue9, à l’inverse de l’habitat troglodyte exposé précédemment qui procède de manière soustractive. Structurellement la coque de terre s’appuie sur une épaisseur plus importante de la base et s’amincit en

Bas Les cases obus mousgoum sont généralement composées de cinq unités aux fonctions propres. Pierre Frey, Learning from Vernacular, 2010

prenant de la hauteur. À l’extérieur, les moulures sur le dôme de terre permettent un meilleur écoulement des eaux et servent d’échelle lors de la construction ou en cas de dégâts. Elles sont directement inspirées de la forme et du matériau des termitières.

23


Gauche Pour construire sur les marécages, les Ma’dans assemblent des roseaux pour former des plateformes hors eau.

Architecture de graminée, Plaine de Bassora, Irak Un dernier exemple pour montrer la variété des solutions possibles est celui des Ma’dans (« Arabes des marais ») d’Amara dans le sud de L’Irak. Dans les marécages dans lesquels ils vivent l’unique ressource pour pouvoir construire est le roseau. Ils s’en servent en premier lieu pour créer les fondations et une assise sur le marécage. Ils construisent ensuite dessus habitations, étables, et mudhifs qui sont de grandes maisons collectives pour les activités communautaires. Haut La structure des moudhif est constituée d’un nombre impair d’arches. Chaque arche est constituée de deux colonnes de roseaux tressés. Pierre Frey, Learning from Vernacular, 2010.

24


‘‘

Créer des habitations n’est pas le propre de l’architecte. [...] Chacun devient un maître bâtisseur vernaculaire en grandissant d’une initiation à l’autre, en devenant une habitante, un habitant. Par conséquent, l’espace cartésien, tridimensionnel, homogène que les architectes conçoivent et l’espace vernaculaire que l’usage fait exister, sont des catégories entièrement distinctes.

‘‘

- Ivan Illich, In the Mirror of the Past, 1992

25


Révolutions industrielles

Les deux révolutions

industrielles ont été les moments charnières du basculement, du vernaculaire vers la société de consommation globalisée dans laquelle nous vivons. Selon Jeremy Rifkin, chaque grande révolution industrielle est marquée par la convergence d’un nouveau régime énergétique et d’un nouveau moyen de communication. Au milieu du XIXe, la première révolution émergea avec l’apparition de la machine à vapeur qui a profondément changé notre façon de produire ; pour la première fois, une partie des tâches manuelles de l’homme va être remplacée par le mouvement mécanique d’une machine. L’artisanat du tissu va se transformer en industrie du textile. Les biens se standardisent pour pouvoir être produits mécaniquement. L’impression typographique10 va devenir industrielle également. Journaux, revues et livres sont produits

10. L’impression typographique fut inventée vers 1450 par Gutenberg. Elle consiste en l’utilisation de caractères mobiles en métal et d’une presse.

beaucoup plus rapidement et à moindre coût. Cela va permettre une diffusion massive du savoir et de la connaissance, les pays les plus riches s’alphabétisent. Les transformations sociétales sont pharaoniques et redessinent nos villes. Les richesses issues des colonies alimentent le développement,

et

l’influence

politique

des

pays

occidentaux impose notre nouveau modèle administratif à une grande partie du monde. 26

Droite Étude comparative entre la ville médiévale et la ville industrielle Augustus Pugins, Contrasts, 1841


27


En accord avec la première révolution industrielle, les théories hygiénismes vont transformer la ville historique. Parmi les recommandations des médecins, les plus importantes sont l’ouverture de la ville en dehors des anciennes fortifications ce qui permet de diminuer la densité des villes et la création de grandes avenues pour permettre une meilleure circulation des biens, des personnes et de l’air. C’est également durant cette période que quelques bras de fleuves vont être comblés ou voûtés comme la Senne à Bruxelles.

Bas Caricature d’Haussmann. Ses travaux, qui ont délogé une grande partie de la population parisienne, étaient le sujet de vives critiques.

La transformation de Paris est un exemple significatif de ces recommandations. Les travaux initiés par le préfet Rambuteau, à la suite des grandes épidémies de choléra, puis par Haussmann vont permettre le tracé de grands axes pour faciliter les circulations et la mise en place de transport en commun pour garantir l’extension de la ville. De plus, le réseau d’égouts va être modernisé et étendu. Sur base des 100 kilomètres d’égouts déjà existants, Haussmann va en construire plus de 500 supplémentaires.

‘‘ Paris embellie, Paris agrandie, Paris assainie. ‘‘ - Georges Eugène Haussmann, 1853

28


Ces transformations profondes des villes (environ 60% de Paris est transformé en 17 ans) sont aussi le résultat d’une planification « par le haut », c’est-à-dire du pouvoir des élites vers la base, le peuple. Les contextes sociaux, naturels et urbains ne sont donc pas pris en compte. À cette époque, en plus des principes esthétiques et hygiénistes, Bas Coupe d’une rue avec son système d’égouts. Pierre Patte, Profil d’une rue, Memories sur les objets les plus importants de l’architecture, 1769.

les transformations urbanistiques représentent également l’affirmation du pouvoir et de l’ordre.

29


Le Familistère de Guise (ou Palais Social) est un exemple de l’architecture qui va se développer avec l’augmentation massive de la classe ouvrière. Son fondateur, l’industriel Jean-Baptiste André Godin, construit le familistère à partir de 1858 en suivant un grand nombre des descriptions du

Haut Initié par l’industriel Godin, le Familistère de Guise propose d’organiser la vie ouvrière.

Phalanstère de Charles Fourier. Godin va également appliquer les recommandations hygiénistes pour proposer à ses ouvriers un cadre de vie idéal et leur offrir « les équivalents de la richesse12 ». Les valeurs de coopération sont incitées et organisées dans le familière. Par exemple, le partage des bénéfices de l’entreprise sont répartis entre quatre catégories13 hiérarchisés. L’école est également obligatoire jusqu’à 14 ans et des activités récréatives telles que le théâtre sont

12. Désigne l’ensemble des conditions de confort, de salubrité, que la bourgeoisie s’offre par l’argent et que les Familistériens pourront s’offrir par la coopération.

13. Les Associés (versant plus de 500 francs au Fonds social), les Sociétaires (entre 250 et 500F), les Participants (moins de 250F) et les Intéressés (les autres).

accessibles aux ouvriers et à leurs familles. D’un point de vue spatial, le Palais Social se compose de plusieurs pavillons, le premier fut l’aile gauche, puis face au succès de celui-ci, le pavillon central fut construit en 1862. Deux autres suivront : l’aile droite et le pavillon Cambrai. Le théâtre et l’école font face au pavillon central. Chaque pavillon est organisé autour d’une cour centrale qui a un rôle social ; épiceries, mercerie, et autres boutiques de vente au détail se trouvent au rez-de-chaussée de cette cour. Les logements, distribués par des coursives, donnent également sur cette cour. C’est aussi dans cette dernière 30

Haut La cour centrale est le haut lieu de la vie collective.


que les fêtes familistériennes sont organisées. Dans Palais Social, les conditions des travailleurs sont effectivement globalement meilleures que dans le reste des industries, mais malgré l’idéalisme prôné, le travail reste fortement hiérarchisé, dur et épuisant pour l’ouvrier. Au-dessus de la chaîne hiérarchisée de son organisation, il reste toujours un homme, lui, Jean-Baptiste André Godin. Le Familistère a permis à Godin de contrôler ses ouvriers tout en les gardant en bonne santé et aptes à travailler « pour la collectivité ». En plus de cela, la prime au rendement restait l’incitation la plus efficace pour accroitre 14. L’Organisation Scientifique du Travail (ou OST) divise de façon extrême les taches de l’ouvrier dans l’usine mécanisée. Chacun à une tache précise et unique à exécuter à la chaine dans un délai chronométré. La performance est encouragée par un système de prime.

la productivité. L’ « Organisation Scientifique du Travail14 » définie par Taylor n’est pas très loin. En 1872, Friedrich Engels, dans la question du logement qualifia le familistère de Guise ‘‘d’expérience socialiste… devenue finalement, elle-aussi, un simple foyer de l’exploitation ouvrière.‘‘

‘‘ Les prôneurs de petites maisons ne remarquent pas qu’en descendant un peu, à partir de la petite maison, on voit poindre la hutte du sauvage. ‘‘

- Jean-Baptiste André Godin, 1871

31


La deuxième révolution industrielle va suivre rapidement, au début du XXe la communication électrique va rencontrer les premiers moteurs à combustion. C’est le début des biens produits en série11. L’automobile et le fordisme en sont les exemples les plus emblématiques.

Pour faire face à la demande de pétrole grandissant, l’exploration du sol s’accélère, les forages se multiplient. Pour transporter cette nouvelle énergie, et les nouveaux biens de consommation, les anciens trains et bateaux à vapeur, trop lents, sont remplacés. Pour garantir la communication à longue distance, des milliers de kilomètres de lignes téléphoniques ont été posés. Radio et télévision s’implantent comme un relais majeur de la communication et de la transmission d’informations. Ceux-ci sont à sens unique et ne permettent pas l’échange. 32

11. Dans la production en série, la standardisation de tous les éléments du produit est telle que la chaîne de fabrication permet au produit de passer linéairement de poste en poste jusqu’à l’objet final.

Haut La Ford T est le symbole de la production en série du début du XXe siècle.


À cette période des solutions innovantes sont imaginées par les architectes pour loger la nouvelle classe moyenne grandissante qui quitte les campagnes pour s’installer en ville et dans sa périphérie. Bas Schéma de l’organisation en réseau des cités-jardins. Howard, To-morrow : A Peaceful Path to Real Reform, 1898.

Les cités-jardins, décrites par Howard en 1898, sont pensées comme un véritable réseau avec les avantages de la nouvelle ville industrielle et de la campagne sans les désagréments des deux. Les cités sont des villes autonomes qui sont organisées en satellites autour d’une plus grande cité-jardin, créant ainsi un ensemble cohérent. Mais, bien que ce principe urbanistique ait eu une influence sur la réalisation des villes nouvelles, notamment autour de Paris ou de Lille, l’application de la cité-jardin se limitera souvent, comme en Belgique, à des banlieues résidentielles

Bas Dessins de Jean Prouvé décrivant les étapes de construction du système Métropole, 1952.

avec quelques équipements collectifs, ce ne sont pas des villes autonomes. L’industrialisation va inspirer également à Jean Prouvé une nouvelle architecture. En standardisant la construction, il avait pour objectif de concevoir des maisons de type industriel, faites essentiellement d’acier. Mais bien que possédant de nombreux avantages d’un point de vue du temps de réalisation et de la facilité d’assemblage, de la pérennité et de l’adaptabilité, les maisons individuelles de Jean Prouvé n’auront pas le succès attendu par son inventeur. En effet, bien que rationnelles, ses réalisations 33


demandent un aller-retour constant entre pratique et réflexion. Pour Jean Prouvé, le chantier et la pratique sont les moteurs du projet.

‘‘ Sur le chantier, on ne déchire pas, on ne détruit pas, on construit. ‘‘ - Jean Prouvé, 1945 Mais, face à l’extension des villes du début de XXe puis, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et son explosion démographique qui sera accompagnée de la décolonisation et du retour en métropole d’un grand nombre de personnes, les autorités optent pour une autre solution. En effet, l’histoire va préférer les grands ensembles d’habitations ; ils permettent de répondre rapidement à la demande, et de loger le plus grand nombre. Ces architectures de béton sont peu onéreuses et se présentent comme de véritables « machines à habiter ». Dès les années 1920, les utopies de villes verticales apparaissent et l’émergence du « style international » en accord avec les idées du Mouvement Moderne et du Bauhaus se fait sentir dans le monde entier. L’architecture doit être en accord avec son temps, elle doit être fonctionnelle, égalitaire et prendre en compte les aspects économiques et sociaux de la ville industrielle. En Europe, le manque important de logements sera une opportunité exceptionnelle pour mettre en pratique ces logements de masse. 34

Droite Plan et perspective de la ville contemporaine de 3 millions d’habitants, Le Corbusier, 1922.


35


Le travail d’architecte, comme celui de Le Corbusier, qui aura un rôle prépondérant dans la définition du modernisme en architecture, a tout de l’utopie, prônant collectivité, travail et loisirs. En effet des réalisations, comme l’Unité d’Habitation est toujours considérée, à raison, comme un chef d’œuvre15 de l’architecture, mais force est de constater que les grands ensembles, souvent bien moins inspirés que celle de l’Unité d’Habitation, ont été dans la plupart des cas des échecs, notamment dans leur intégration aux villes, au manque de liens avec le site et, probablement dans la naïveté de croire que tout le monde voudrait vivre dans les mêmes standards définis par les experts que sont les architectes. La paupérisation des banlieues avec la crise naissante de la fin des années 60, l’évolution technologique qui réduit les emplois industriels et le chômage finissent d’anéantir le rêve de collectivité des modernistes.

36

15. L’appartement n°50 de l’unité d’habitation de Marseille (la Cité Radieuse) est classé par arrêté depuis 1995 et en 1999, l’ensemble du bâtiment a reçu le Label « Patrimoine du XXe siècle ».


Ère de la globalisation

À la suite de la deuxième

révolution industrielle s’est développée une économie de marché mondialisé organisant l’offre et la demande à une nouvelle échelle dans l’histoire de l’humanité. La recherche de profils de l’investisseur et l’obsession du prix le plus bas du consommateur moderne poussent la production à se délocaliser des lieux de consommation, là où la main d’œuvre est peu onéreuse. C’est la désinstrualisation des pays riches. Le monde est alors divisé en deux : les pays «

développés

»,

ceux

des

concepteurs

et

des

consommateurs, qui envoient du capital au pays « en développement », ceux des usines. Une fois produit, le bien est acheminé vers les pays consommateurs. Nous perdons totalement le lien quotidien entre production et consommation.

Droite Organisation de la «production centralisée». D’après le pfd de présentation de Tomás Diez lors de la conférence «Fab Labs in the City», en mars 2013 au TEDxZwolle. 37


Seuls les moyens de communication et de transport actuels nous permettent d’organiser ce système productif globalisé. L’invention d’internet et de l’ordinateur personnel ont joué un rôle majeur dans la croissance de la « production centralisée ». Depuis, notre ingestion de biens de consommation ne fait qu’augmenter et pour continuer à augmenter, il faut jeter. Cette croissance engendre également l’augmentation de l’utilisation et de la demande en énergie fossile (pétrole, charbon et gaz), soit la principale source d’énergie qui est utilisée dans le monde. Elle est extrêmement polluante. Nous construisons vite et mal une quantité affolante d’immeubles de logements standardisés. Ceux-ci ne sont plus seulement destinés à répondre à la demande, mais aussi à la spéculation. L’exemple de la bulle immobilière d’Espagne et particulièrement à Valence que j’ai pu étudier dans le cadre de l’atelier Architecture et Anthropologie de Guy Adant et de Jean-Marc Sterno, est particulièrement affligeant. Pour doper l’économie, l’accès à la propriété individuelle est encouragé et les nouveaux crédits permettent même aux moins fortunés de s’endetter sur des dizaines d’années. Pour continuer de donner accès à des crédits, les moyens de financements sont de plus complexes et les risques pour l’acquéreur de plus en plus important. Cette évolution aboutira sur la crise des subprimes aux États-Unis et en conséquence à la crise mondiale de 2007. 38


Haut En 1991, dans Edward aux mains d’argent, Tim Burton se moque de la société de consommation et des cités dortoirs dans lesquelles le seul marqueur de l’individualité est la couleur.

Face à l’afflux des travailleurs vers les villes et l’augmentation des prix du logement, l’étalement urbain prend de l’ampleur et les zones périurbaines se voient recouvertes de zones pavillonnaires. L’échec du logement collectif des grands ensembles est remplacé par des immeubles de plus petite dimension et des habitations individuelles. Beaucoup de ces villes nouvelles ne fonctionnent pas en autonomie et sont liées à la grande ville proche, elles deviennent de gigantesques citésdortoirs. L’enrichissement personnel individualise la société, et chacun aspire à avoir sa maison et son jardin. En résulte, les zones pavillonnaires autour des grandes villes qui accueillent les classes moyennes et relativement aisées. Dans les zones pavillonnaires, les maisons produites en masse sur un modèle industriel sont souvent construites sur le même modèle et l’individualisation est réduite à sa plus simple expression. 39


La « production centralisée » et l’économie de marché qui y est liée ont permis une croissance phénoménale de nos pays, mais engendrent gaspillages, pollutions, guerres et discriminations sociales à tel point qu’on vit aujourd’hui une succession de crises économiques, sociales et énergétiques mondiales. Là où la période vernaculaire s’appuyait sur la tradition (le passé) et la période des modernistes sur l’évolution (l’avenir) pour trouver des solutions, nous semblons, aujourd’hui, perdus dans notre rapport au temps. Nous préférons l’éphémérité du présent. La recherche de satisfactions rapides a remplacé la transmission et le désir de transformation de la société. Notre modèle industriel de production ultra standardisé et expertisé semble déjà être à bout et les changements climatiques qui l’accompagnent nous obligent à revoir l’organisation du monde globalisé. Un nouveau glissement est en cours. Droite Stulpture de Duane Hanson, Supermaket Lady, 1970.

Page suivante Photographies de Michael Wolf, The Real Toy Story, Chine, 2012 et photographe inconnu, fablab d’Aubusson, France, 2014. 40


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Retour au vernaculaire

La connaissance partagée aujourd’hui

Communautés numériques

Internet et les moyens

de communication modernes ont radicalement changé les choses. Ils sont incontestablement liés à la globalisation du monde, sans eux, pas de mondialisation. Mais dans un même temps, ils sont aussi le moteur d’une nouvelle révolution, une révolution dont on aperçoit déjà les contours. Le contexte de cette révolution est bien différent des précédentes. En effet, elle se définit d’abord par une prise de conscience, par l’action du peuple, elle part de la base. Tout cela est rendu possible, premièrement, par une remise en cause généralisée de nos élites/expert dans leur capacité à organiser le monde, les différentes crises globales qui se succèdent en sont les stigmates. Puis, en conséquence, par un désir du peuple de reprendre le pouvoir, d’être maitre de son propre avenir. C’est là que les nouvelles technologies numériques (internet en tête) entrent en jeux. Elles permettent déjà et permettrons encore plus demain de s’autogérer. En effet, en mettant le monde en réseau, le lieu libre et immatériel qu’est internet a permis un partage de connaissances impensable avant. Les gens se lient sans 44


limites sociales ou culturelles, sans frontières pour créer sans contraintes technico-administratives. L’autogestion est l’organisation majoritaire sur internet. En d’autres termes, ce sont des communautés qui se forment. Ces communautés sont certes bien différentes de celles de la période insulaire, mais leurs productions pourraient avoir une valeur tout aussi vernaculaire, car elles sont issues d’un partage de connaissances horizontal qui s’oppose à la pile de savoirs verticalisés de notre société administrative. De plus, le partage de connaissances et d’informations entre citoyens se fait essentiellement sans intention pécuniaire.

Vernaculaire : du latin vernaculum («indigène», « de la maison ») désigne tout ce qui a été élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison. - Wikipédia

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Ces communautés ont déjà créé bon nombre d’outils ou plateformes immatérielles que nous utilisons tous les jours et auxquels nous contribuons également, Wikipédia par exemple. Les forums qui permettent l’échange de tous sur tous les sujets inimaginables en sont aussi de bons exemples. Certaines

communautés

s’efforcent

aujourd’hui

de

démocratiser les moyens de production en créant ellesmêmes leurs propres outils et en partageant les plans de construction sur le web. L’imprimante 3D est le plus médiatique de ces outils. Leur objectif est de faire avec la production d’objet réel, la même chose qu’ils ont fait avec l’information et la connaissance il y a 20 ans. C’est-à-dire la rendre accessible à tous.

46


‘‘

Un art communautaire produit, non par quelques intellectuelles ou quelques spécialistes, mais par l’activité spontanée et continue d’un peuple tout entier, dépositaire d’un héritage commun et obéissant aux leçons d’une commune expérience. ‘‘ - Pietro Belluschi dans Bernard Rudofsky, Architecture sans architectes, 1977

47


Troisième Révolution Industrielle Nous entendons régulièrement parler de « Troisième Révolution Industrielle » ou de « nouvelle révolution industrielle », mais ces deux expressions renvoient à deux théories futuristes qui ne sont pas tout à fait les mêmes. « La nouvelle révolution industrielle » est une vision employée par l’auteur de Makers, Chris Anderson16. Utopique, elle désigne essentiellement une industrialisation locale des pays les plus riches par l’utilisation des

16. Ancien rédacteur en chef de The Wired, Chris Anderson est l’auteur de plusieurs ouvrages à succès consacrés à l’économie d’internet. Les plus connus sont La longue traine (2006) et Makers (2012).

nouvelles technologies comme internet et l’imprimante 3D. Son approche est celle du « geek » et de la « bidouille ». En ce sens il est proche de l’esprit Do It Yourself17 (DIY).

17. Traduction : Fais-le toi-même.

« La nouvelle révolution industrielle » est souvent associée à la théorie de « Troisième Révolution Industrielle » énoncée par l’économiste Jeremy Rifkin. Ces deux visions sont effectivement liées en raison de leur ancrage dans l’ère numérique. Mais la révolution décrite par Rifkin18 est essentiellement énergétique. Il défend une production locale et partagée d’énergie verte. Celle-ci serait alors échangée comme on le fait actuellement avec l’information sur internet.

48

18. Jeremy Rifkin est un économiste et essayiste américain. Sa vision prospective (économique et scientifique) a une forte influence en Europe. Il a notamment conseillé la commission et le parlement européen ainsi que certains des dirigeants d’états membres pour aider à façonner la troisième révolution industrielle.


Finalement, tous deux défendent la relocalisation et le partage grâce aux technologies modernes. De façon plus générale, Jeremy Rifkin et Chris Anderson annoncent la transcription du système autogéré d’internet dans l’économie réelle. Tout le monde devient à la fois Bas Shéma explicatif de l’énergie partagée selon la théorie de Troisième Révolution Industrielle de Jeremy Rifkin.

producteur et consommateur.

Organisation actuelle de l’acheminement en électricité

Actuellement les habitations qui produisent de l’électricité sont isolées

Avec la Troisième Révolution Industrielle chacun devient tour à tour producteur et consommateur d’électricité. 49


Le prosommateur

Si l’industrie de masse a créé le

consommateur boulimique, alors la nouvelle révolution industrielle prône l’avènement d’une nouvelle race : le consommateur intelligent ou prosommateur. « Prosommateur » est une traduction du terme anglais « prosumer ». La notion apparaît pour la première fois en 1980 dans la « la troisième vague » d’Alvin Toffler. Le terme est issu de la concaténation entre « producteur » et « consommateur ». Le prosommateur est donc un consommateur qui participe à la production, conception ou distribution d’un bien. Il n’est pas passif face à sa consommation. Un exemple intéressant de stratégie commerciale qui se base sur l’idée de prosommateur est celui de Lego, surtout qu’il s’est développé et a pris une nouvelle dimension avec internet. Le principe de Lego est simple : proposer à ses clients un système avec lequel il peut assembler ses propres inventions ou suivre une notice pour fabriquer ce que Lego a prévu pour lui. Une multitude de boites sont disponibles dans le commerce qui contient à chaque fois une notice et les pièces nécessaires à l’assemblage. De plus, toutes les boites sont compatibles en elles. Le plaisir instauré par Lego vient du fait de ne pas acheter un objet fini, mais de s’offrir des possibilités. 50


La possibilité de fabriquer selon la notice, comme la possibilité d’inventer autre chose, d’être un créateur. Le consommateur est actif. Depuis quelques années, Lego va plus loin dans la contribution de ses clients. Il propose sur internet un outil qui permet d’assembler virtuellement des pièces de Lego. L’utilisateur a le choix parmi toutes les pièces du catalogue. Une fois sa création terminée, le créateur peut la commander à Lego qui lui enverra tout ce qui est nécessaire à sa réalisation. Le créateur amateur peut également, via une plateforme 19. https://ideas.lego.com/

dédiée19, proposer sa création à la communauté. Et si sa réalisation obtient le nombre de votes nécessaire, Lego s’engage à la commercialiser. Grâce aux outils mis à sa disposition (la brique de construction, l’outil de conception et l’outil de communication), le consommateur a une part active dans la stratégie Lego ; il devient prosommateur. Ce système permet d’accroitre l’innovation, le choix dans les modèles et d’impliquer le client.

+ Consommateur

Producteur

Prosommateur

51


Artisanat 2.020 Imaginons un monde dans lequel tout un chacun serait capable de fabriquer des objets dépassant un degré de précision et de rapidité inégalable par le meilleur des menuisiers ou bijoutiers. C’est le futur que nous proposent les makers21 et leurs outils numériques.

20. « 2.0 » fait référence au web 2.0 qui désigne l’évolution du réseau internet vers plus d’accessibilité et d’appropriation de ces fonctionnalités, notamment celles sociales qui vont permettre à l’internaute de devenir acteur de sa création. Dès lors, il n’est plus nécessaire d’avoir de connaissances techniques pour partager sur le web.

une tendance issue de l’esprit Do It Yourself22 (DIY) et plus

21. Le maker est défini par Chis Anderson dans son ouvrage Makers. Il désigne par ce terme une nouvelle génération de citoyens qui fabrique par lui-même les objets qui répondent spécifiquement à son besoin.

encore des bidouilleurs et autres hackers. Ces derniers

22. Traduction : Fais-le toi-même.

Le terme makers regroupe les personnes appartenant à

sont nés grâce à l’ordinateur personnel et à internet qui leur ont offert les outils et une plateforme de rencontres et de partages inégalable. On peut considérer les makers comme étant des prosommateurs. Comme leur nom l’indique, les makers fabriquent. Mais que fabriquent-ils ? Et surtout comment ? Car peu d’entre eux ont de réelles compétences d’artisans. La réponse à la première question est plutôt simple : ils fabriquent presque n’importe quoi et même la plupart du temps leurs propres outils numériques (software et hardware23). Nous allons, ici, nous intéresser au hardware, soit les machines de production. Pour fabriquer, le maker utilise son ordinateur et des outils de production automatisée, les plus courantes sont: une découpeuse laser, une fraiseuse numérique (CNC) et, de plus en plus, une imprimante 3D. Elles ont toutes un 52

23. Le sofware désigne le logiciel informatique et le harware, le matériel.


point commun, elles sont pilotées par un ordinateur, et non pas par la main de l’homme. Dans le cadre de l’option Design et Architecture de Victor Levy, ce sont les trois machines que nous avons commandées pour les débuts du CityLab, le fablab de notre faculté d’architecture.

53


La découpeuse laser Elle est probablement l’outil le plus facile à aborder pour se lancer. La machine découpe à partir d’un dessin vectoriel, donc en deux dimensions ; nous savons tous dessiner en deux dimensions. De plus certaines extensions au logiciel gratuit sketchup

permettent de préparer

les différentes pièces à découper et à assembler pour construire une maquette en trois dimensions. En réglant

x

y

Haut Le laser fonctionne uniquement sur les axes x et y. C’est un outil bidimensionnel.

la puissance du laser, il est également possible de graver. Une grande variété de matériaux est utilisable. La plus courante est le contreplaqué bois, mais carton, papier, cuir, textile, mousse ou du plexiglas entre autres sont aussi des possibilités. La contrainte principale est l’épaisseur de la matière première (on dépasse rarement 3 cm). La découpe laser est rapide, précise et extrêmement efficace pour faire du prototypage ou des maquettes.

Gauche La découpeuse laser Speedy 500 de Trotec. 54


La fraiseuse numérique (CNC) La CNC fonctionne - en apparence - de façon assez

z

similaire à la découpe laser, mais certaines spécificités la rendent bien plus compliquée à utiliser quand on est novice. Il faut prendre en compte l’épaisseur de la mèche x

y

Haut La CNC fonctionne sur les axes x, y et z. C’est un outil tridimensionnel.

de fraisage et la profondeur de découpe. En effet, la CNC est un outil en 3 dimensions, elle gère l’axe z (à l’inverse de la découpeuse laser), ce qui permet de travailler avec des épaisseurs plus importantes. Certaines machines industrielles sont également capables d’incliner leur mèche pour pouvoir évoluer sur quatre axes. La fraiseuse numérique et la découpeuse laser sont des machines qui fonctionnent par soustraction de matière. Il y a donc perte et gâchis d’une quantité assez importante

Bas La Edie Stool de Joni et David Steiner est disponible sur la plateforme OpenDesk. Elle est totament fabriquable à la CNC.

de matière première.

55


L’imprimante 3D Bien que l’impression 3D n’apparaît au grand public que depuis un ou deux ans, les premières machines appelées imprimantes 3D sont commercialisées à la fin des années 80. Il n’existe alors que la technique de la stéréolithographie (SLA)24. Les machines sont très chères, encombrantes, et les logiciels de modélisation 3D inabordables en dehors des industries de pointe. Elles servent uniquement à faire du prototypage rapide pour les sociétés aéronautiques, automobiles ou militaires.

24. La stéréolithographie est une technique d’impression par photopolymérisation. C’est-à-dire qu’elle utilise des polymères liquides (photopolymères) qui sont capables de se solidifier à la lumière. En passant sur la surface d’un bac rempli de polymères, un rayon laser ultraviolet solidifie les photopolymères liquides exposés à la surface, créant la première tranche de l’objet. La plate-forme mobile descend ensuite d’une fraction de millimètre pour que le laser puisse tracer la tranche suivante.

D’autres techniques apparaissent ensuite comme l’impression par liage de poudre (SLS)25 et l’impression par dépôt de matière fondue (FDM)26. On doit la démocratisation de l’impression 3D avant tout à cette dernière, car, son système est le plus simple à mettre en œuvre et les machines sont donc généralement plus compactes et beaucoup moins chères. Dans le domaine industriel, les techniques privilégiées restent la SLA et la

25. La particularité du système SLS est d’utiliser de la poudre comme matière première. Cela permet d’avoir une grande variété de matériaux. Grâce à un laser très puissant, elle permet de faire fusionner les particules de poudre entre elles. Un rouleau dépose une couche très fine de poudre sur la plateforme d’impression, le laser fusionne la poudre selon le tracé à imprimer. Une deuxième couche de poudre est ensuite placée et ainsi de suite.

SLS pour leur précision. Ces trois techniques sont certes différentes, mais le principe de fabrication reste le même : l’objet est assemblé couche après coupe, chacune d’elle se superposant à la précédente, jusqu’à obtenir l’identique du modèle numérique. Tout cela est géré informatiquement par l’ordinateur. Ce procédé se nomme fabrication additive. 56

26. La technique FDM consiste à déposer de façon successive un filament de matière fondu. Chaque couche se superpose comme avec les autres techniques pour former l’objet dans son intégralité. Elle a été popularisée par l’arrivée des imprimantes 3D personnelles notamment grâce au projet RepRap et la société MakerBot.


Impression par stéréolithographie (SLA) Avantages : qualité et précision de l’impression, très grandes pièces possible (plus de 2 mètres), surveillance non nécessaire. Limites/Inconvénients : chère, choix de matériaux restreint, rendu semi-transparent (pas de couleurs), lent.

Impression par liage de poudre (SLS) Avantages : prix, solidité, large choix de matériaux. Limites/Inconvénients : moins précis que la technique SLA, apparence parfois sableuse et rugueuse, taille des objets restreintes (maximum 70 x 60 x 40 cm.).

Impression par dépôt de matière fondue (FDM) Avantages : prix, large choix de matières et de couleurs, simple d’utilisation, rapide. Limites : précision, en fonction de l’imprimante le filament peut parfois être difficile à maitriser.

57


Le matériau principalement utilisé est le plastique (ABS27 ou PLA28), mais les nouvelles variantes des techniques précitées permettent aujourd’hui d’imprimer en métal, en pâte de bois, en nylon, en sable et en béton, par exemple. Les volumes d’impression sont en général de 20x20x20 cm pour les imprimantes domestiques (technique par dépôt de matière), mais les plus grandes sont capables d’imprimer des objets qui se comptent en mètres. La technique d’impression 3D est très intéressante en termes d’économie de matière, car son principe d’addition permet de n’utiliser que la matière nécessaire, il y a très peu de pertes.

58

27. L’ABS est un plastique (polymère thermoplastique) dérivé de l’exploitation du pétrole. 28. Le PLA est un polymère entièrement biodégradable, il est généralement utilisé dans l’emballage alimentaire.


Droite La réplicator 2 de MakerBot. Elle est actuellement l’imprimante 3D personnelle la plus vendue dans le monde. Elle a une résolution de 100 microns (0,1 mm) pour un volume d’impression 28,5x15,3x15,5 cm.

La limite principale est liée à la technique additive ; puisque chaque couche repose sur la précédente il est difficile de faire des porte-à-faux importants. Pour pallier, en partie, au problème, les logiciels de gestion de l’imprimante tracent une structure portante qui est à enlever une fois l’impression terminée. Les imprimantes 3D sont de plus en plus abordables pour un résultat et une rapidité qui ne fait que s’améliorer. Leur utilisation est également de plus en plus simple, plus besoin d’être un geek pour modéliser (ou chercher sur internet) un objet et lancer son impression. Par leur accessibilité financière et technique, les moyens de production – et l’imprimante 3D en tête – se Gauche La société i.materialise permet d’imprimer des objets complexes en métal grâce à la stéréolithographie. Elle utilise de la poudre de métal et du liant.

démocratisent. Le temps du simple prototypage rapide est révolu, on est aujourd’hui capable de fabriquer des objets finis avec ces techniques. 59


Gauche L’impression 3D en nylon ouvre de nouvelles possibilités à l’industrie de la mode. Dans cet exemple, scanner le corps du mannequin a permis de concevoir des vêtements parfaitement adaptés.

Droite La makerbot Replicator 2 permet d’imprimer cette figurine de 10 centimètres en environ 4 heures.

60


Haut La D-Shape est l’une des plus grandes imprimantes 3D du marché (6x6x6 mètres). Son fonctionnement est proche de la stéréolithographie. Elle utilise du sable et un liant chimique.

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Partager pour mieux concevoir

Ce que nous

pourrions appeler artisanat 2.0 ne se résume pas à la simplification et la précision des outils de fabrication. L’artisanat 2.0 révolutionne également la conception. La particularité d’un objet avec un tel processus est ce lien si particulier entre conception et production. Dans « l’objet numérique », ce lien tend à disparaitre, la conception et la production fusionnent. La production est de moins en moins une contrainte puisque la machine automatisée transpose dans le monde réel ce qui s’affiche sur l’écran de l’ordinateur. En premier lieu, la révolution en matière de conception est permise par la nature même des machines présentées précédemment. En effet, elles permettent un prototypage extrêmement rapide, grâce notamment à la découpeuse laser dans le cadre d’une activité de designer/architecte. À titre d’exemple, dans l’option Design et architecture, il nous a été possible de faire trois ou quatre maquettes par jour. Le fichier Autocad était directement modifié en conséquence de l’analyse de la maquette et redécoupé dans la foulée. La possibilité de vérification et le gain de temps sont phénoménaux. Le deuxième point n’est pas directement lié aux machines de production, mais est, à mon sens, bien plus important. La plus grande révolution dans la conception, 62


c’est la mise en réseau de milliers de passionnés et curieux. La différence c’est internet. Comme mentionné précédemment, les makers sont nés des communautés internet de hackers, des spécialistes de la bidouille et du détournement informatique. Ils se sont approprié les outils numériques habituellement destinés aux grands groupes industriels, les ont modifiés, améliorés 29. Licences adaptées pour le partage. Ces termes sont expliqués plus en détail page 54. 30. RepRap est un projet, sous licence libre (GNU), d’imprimantes autoréplicantes (http:// forums.reprap.org/index.php). Sa conception a commencé en 2005 à l’université britannique de Bath.

le plus souvent sous licences libres ou open source29. RepRap30 est probablement le projet le plus connu d’imprimantes 3D libre. Des milliers de passionnés s’entraident chaque jour pour améliorer leurs imprimantes et en faire profiter la communauté. En effet, le forum de discussions RepRap représente un énorme centre de recherche et développement mondial. À partir du modèle de base, il existe aujourd’hui six modèles d’imprimantes qui ont eux-mêmes de nombreuses variantes. Elles ont été développées avec des axes de recherches propres comme la vitesse d’impression, la facilité d’assemblage, la portabilité, la précision, etc. Pas besoin d’être diplômé d’une grande école ou d’avoir de l’expérience, toute bonne idée est susceptible d’être utilisée. Ceux qui n’ont pas les capacités de concevoir ou de résoudre leur problème seul peuvent utiliser l’énorme ressource que constitue la communauté. 63


Il est même possible de revendre à titre personnel une imprimante RepRap, en kit ou déjà assemblée. Et cela, en utilisant à profit, les ressources gratuites de la conception collaborative.

‘‘ On partage les bits et on vend les atomes.‘‘ Voilà comment Chris Anderson résume ce phénomène.

Cependant, pour rester dans le monde de l’impression 3D, tout le monde n’est pas capable aujourd’hui de modéliser en 3 dimensions l’objet qu’il voudrait imprimer. Bien que cela changera surement dans les générations futures grâce à l’éducation, à la simplification, à l’amélioration des logiciels informatiques et des interfaces homme-machine, modéliser un objet est aujourd’hui impossible pour la plupart des gens. Les plateformes de partage apparaissent dès lors indispensables. Un site comme Thingiverse31 propose des

Haut Le scanner 3D de Makerbot permet, à l’aide de deux lasers et d’une caméra, de numériser des objets de petite taille (20 x 20 cm.). En 12 minutes une réplique de l’objet est prête à être imprimée.

31. http://www.thingiverse.com/

millions d’objets prêts à imprimer. Ils sont modélisés par des bénévoles qui partagent leurs créations gratuitement. Le site Opendesk32 a un concept relativement similaire, mais pour découper des meubles en bois à l’aide d’une CNC. L’arrivée sur le marché de scanner 3D accessible est également une alternative. 64

32. https://www.opendesk.cc/ Les projets de chaises conçues et produites dans le cadre de l’option Design et Architecture sont accessibles sur cette plateforme.


Prusa i3 Hephestos, variante de la Prusa i3 avec bobine pour filament attaché à la structure.

Prusa Mendel 2, assemblage encore facilité grâce à plus de pièces imprimables et à emboiter.

Tricolor Mendel, une Mendel pouvant imprimer 3 couleurs.

Prusa i3 Rework, une prusa i3 avec châssis en métal.

Prusa i3, facile à assembler et plus rigide grâce à sa nouvelle structure, sa conception paramétrique lui permet d’être très adaptable.

Prusa Mendel, une Mendel conçue pour faciliter le plus possible la construction.

RostockMAX, Rostock conçu pour maximiser le volume d’impression.

RepRapPro Huxley, rapport encombrement/volume d’impression amélioré.

MendelMax, conçu pour faciliter le montage et maximiser le volume d’impression.

µDelta, plus simplifié et intuitive que la Rostock.

Rostock, première RepRap opérationnelle suivant le principe des robots delta.

Original Huxley, faible volume, mais grande portabilité.

Mendel Original, une évolution de la Darwin plus facile à construire.

Gauche Une partie de «l’arbre généalogique» des imprimantes RepRap.

Darwin, La première RepRap.

«Darwin» et «Mendel» sont des hommages aux pères de la théorie de l’évolution et de la généalogie. Le lissage d’erreurs dans le temps et la pratique est au centre du projet RepRap. 65


La Rally Figther est la première voiture conçue en open source, grâce à la communauté regroupée autour du projet. Pour débuter, la société Local Motors a développé son propre châssis et a lancé un concours de design, la voiture devait s’inspirer d’un avion de la Seconde Guerre Mondiale et devait illustrer puissance, robustesse, agilité et beauté. D’abord, le design général a été choisi par vote ; c’est un étudiant en design graphique qui a gagné. Puis, ce sont des dizaines d’autres concours qui ont été lancés pour choisir les moindres détails de la voiture, de la peinture au rétroviseur. À chaque fois, les membres ont voté pour leurs solutions favorites. Le prix de revient a été calculé par les équipes de Local Motors et partagé avec la communauté, ce point est donc rentré en compte dans les choix. Depuis 2007, la première version homologuée de la voiture est disponible. Elle a été conçue avec l’aide de 160 personnes. Aujourd’hui, la communauté compte 20 000 passionnés qui continuent de l’améliorer bénévolement en fonction des retours des membres qui ont la voiture. Elle revient tout de même à 70 000 € et, esprit DIY oblige, il faut la construire soi-même avec, tout de même, l’aide d’experts. Le modèle d’organisation retenue a donc été le vote et la compétition, plutôt que le compromis et le consensus. Local Motors s’est offert le moins cher et le plus grand recherche et développement de l’histoire de l’automobile. De l’autre côté, les acheteurs, qui font tous partie de la communauté, et ont pu participer à la conception et la production de leur objet de consommation.

66


Depuis peu, le modèle de conception partagée tend à se démocratiser dans l’industrie. L’exemple de la voiture 33. Voir encadré ci-contre.

Rally Fighter33 est assez surprenant quand on sait le secret industriel qui entoure la conception d’une voiture chez les grands acteurs mondiaux de l’automobile. D’autres acteurs plus connus utilisent une stratégie similaire depuis un certain nombre d’années, Google par exemple, avec, entre autres, son système d’exploitation (OS) pour téléphone portable Android (lui-même basé sur l’OS libre Linux). Le code source de celui-ci est disponible en ligne. Une multitude de développeurs amateurs ou non en profite donc pour modifier et rajouter des fonctions au système. Ces nouvelles versions non officielles (Custom ROM) sont ensuite mises en ligne et tout le monde possédant un téléphone sous Android peut l’utiliser. Les retours des utilisateurs sont nombreux et les erreurs se lissent progressivement. Depuis la création d’Android, bon nombre des nouvelles fonctions implémentées par Google sont issues des Custom ROM.

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Producteur Designers Ingénieurs

Idée

Prototype Validation

Outils

détenus par le producteur

Production

Consommateurs

Conception pyramidale


Outils

mis à disposition des consommateurs

Prototype

Idée

Vérification

Communauté de prosommateurs

Production

Conception communautaire


Licence libre / Open Source

Pour éviter l’anarchie

la plus totale et organiser la conception partagée, des licences adaptées ont été créées. L’idée de « logiciel libre » est assez ancienne. On doit son émergence en tant qu’idée politique à Richard Stallman. En créant la Free Software Foundation et son projet GNU en 1984, il avait alors à cœur d’éviter la privatisation des programmes informatiques. Sa licence, respectant les codes du GNU, s’appelle Copyleft. Elle fait référence de manière ironique au Copyright et défend la liberté totale de l’utilisateur en autorisant la copie, plutôt que de l’interdire. Open Source peut être considéré comme un enfant du GNU, même si les défenseurs des deux modèles de licences s’opposent régulièrement. En partant du travail de Richard Stallman, ce nouveau modèle de licence définit plus précisément ce qui est libre de ce qui ne l’est pas. Il donne également un cadre légal plus clair pour l’exploitation lucrative des projets sous licences Open Source. Les droits sont plus équilibrés entre ceux de l’auteur et ceux de l’utilisateur. Elle fut énoncée en 1997 dans l’essai La cathédrale et le bazar d’Éric Raymond. L’année suivante, l’Open Source Initiative était lancé pour promouvoir et supporter les 70


licences Open Source. Les modèles Open Source et GNU sont très utilisés dans le monde informatique. On peut noter le noyau Linux, Attribution (BY): Signature de l’auteur.

Wikipédia, Blender ou Gimp. Mais certaines licences compatibles peuvent aussi encadrer la diffusion d’objets

Non Commercial (NC): Interdiction de tirer un profit commercial sans l’autorisation de l’auteur. No derivative works (ND): Impossibilité d’intégrer tout ou une partie dans une autre œuvre. Share alike (SA): Autorise le partage avec obligation d’utiliser la même licence ou une licence équivalente.

physiques. Les imprimantes RepRap sont par exemple encadrées par la licence Copyleft. Une des licences compatibles Open Source les plus utilisées aujourd’hui est probablement la Creative Commons (CC). Elle permet la distribution d’objets physiques ou non

34. La CC définie six possibilités combinées autour de quatre pôles (voir ci-dessus).

et définit de façon claire plusieurs niveaux de libertés34

35. Voir encadré page 50.

de la Rally Fighter35, par exemple, ou de la WikiHouse36

36. La WikiHouse est un projet d’habitat open source initié par le bureau d’Architecture 00. Plus de détail page 84.

dans un même projet. Les conceptions collaboratives utilisent la CC.

copyleft

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Vernaculaire 2.0

En conclusion à cette partie, il me

semble légitime de parler de vernaculaire 2.0. En outre, ce terme me semble adéquat pour deux raisons. Premièrement, car le fonctionnement et les objectifs des communautés internet se rapprochent de celles de la période insulaire ; ils partagent au sein d’une communauté et lissent les erreurs par la pratique. La grande différence (et non des moindres) est la dimension que peut prendre une communauté grâce à l’étendue d’internet. Deuxièmement, car la possible installation locale de moyens de production automatisée peut réellement créer un artisanat domestique répondant aux contextes (environnemental et social) du prosommateur.

72


‘‘ La nouvelle architecture vernaculaire sourd de partout, et se développe sur les friches et les ruines de la Babylone moderne avec la vigueur que lui confère la diversité.

‘‘

- Pierre Frey, Learning From Vernacular, 2010

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// LE VERNACULAIRE COMME MODÈLE

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// LE VERNACULAIRE COMME MODÈLE

Nous l’avons vue dans la première partie, le retour aux valeurs vernaculaires est fondamental dans la conception et la création des communautés numériques. À tel point que nous pourrions presque parler d’un retournement sociétal anti-élites préférant l’autogestion. Il est donc légitime de se poser la question de l’architecture ; y a-t-il un retour aux valeurs vernaculaires dans ce domaine ? L’architecture vernaculaire peut-elle être un modèle pour l’architecture d’aujourd’hui ? Des auteurs comme Pierre Frey défendent un retour à une architecture vernaculaire adaptée à notre société. La première partie se voudra être un support théorique et exposera donc « la nouvelle architecture vernaculaire » décrite dans l’ouvrage Learning from Vernacular de Pierre Frey. Il y propose une définition actualisée de la notion de vernaculaire. Mais bien que Pierre Frey fasse des références à 76


37. Do It Yourself.

l’esprit DIY37, il n’aborde pas les nouvelles technologies de construction automatisée qui sont issues des communautés numériques. Il écrit tout de même :

‘‘ Je crois à forme d’alliance malicieuse et

imprévisible, de rencontre entre le rouet de Gandhi, les idées de Danilo Dolci et d’Hassan Fathy, avec une dose de très hautes technologies.‘‘ - Pierre Frey, Learning From Vernacular, 2010 Quelle pourrait être cette « dose de très hautes technologies » ? Après avoir présenté la notion de « nouvelle architecture vernaculaire » et quelques exemples, ce chapitre se poursuivra sur des éléments de réponse à la question des « très hautes technologies ». Nous verrons les formes que peut prendre l’architecture construite grâce aux techniques de construction automatisée. Des exemples d’architecture « imprimée » seront présentés, ainsi que les technologies associées. Ensuite seront abordées les dynamiques urbanistiques qui répondent aux nouvelles contraintes de la production locale et le modèle de la ville en accord avec cette future révolution. 77


« Nouvelle architecture vernaculaire » Notion actualisée par Pierre Frey

Nous

associons

communément

l’architecture

vernaculaire au passé, mais cela apparaît particulièrement faux à la lecture de Pierre Frey. L’architecture vernaculaire est, par essence, une architecture qui s’adapte à son utilisation et à son environnement, nous l’avons vu précédemment. Les solutions qui ont été élaborées par des communautés entières

pendant

plusieurs

générations

possèdent

souvent de grandes qualités ; des qualités qui seraient parfois utiles pour nos sociétés modernes. Nous tendons souvent à l’oublier. Par conséquent, elle peut être source d’inspiration pour l’architecture d’aujourd’hui. Dans les pays riches, le marché de la construction, et en grande partie celui de l’habitat est accaparé par les experts que sont les industrielles du bâtiment, les pouvoirs publics et les architectes. Le constat est sans appel ; d’après le « Baromètre social 201338 » de l’Observatoire de la santé et du social Bruxelles-Capitale, le nombre de logements sociaux a augmenté de seulement sept en une année (2011-2012) alors que la demande s’élève à 74 405 et que moins de la moitié de cette demande est satisfaite 78

38. Le rapport complet est disponible à l’adresse suivante : http://www. observatbru.be/documents/publications/2013-barometre-barometer. xml?lang=fr


(47,7 %). Évidemment ces chiffres ne prennent pas en compte l’augmentation croissante des sans-abris. Bien qu’il n’existe pas de chiffre officiel, le Samusocial constate une nette augmentation à Bruxelles, en particulier pour les femmes seules et les familles avec enfants. Ce constat montre largement les limites de notre système actuel dans sa capacité à loger le plus grand nombre. C’est dans ce contexte que la « nouvelle architecture vernaculaire », définie par Pierre Frey en 2010 dans l’ouvrage Learning from Vernaculaire, émerge. 39. Ce projet est développé dans la suite du chapitre.

Des projets comme Grown your own39 house de Simon Velez se base sur les techniques ancestrales de construction en bambou. Mais ce n’est pas pour autant que les maisons font l’impasse sur les techniques et le confort moderne. Leur conception souvent communautaire et donc leur rôle social, ainsi que le respect de leur environnement font de cette architecture une architecture vernaculaire selon les termes de Pierre Frey. La suite présente trois exemples qui s’inscrivent dans cette tendance.

79


Grown Your Own House, Simon Vélez Simon Vélez est un architecte colombien qui s’est illustré principalement en 2000 lors de l’exposition universelle de Hanovre, en Allemagne. En effet, il a présenté un gigantesque pavillon assemblé en bambous. Mais cette spectaculaire construction de 40 mètres n’a pu être construite directement en Allemagne. En effet, les autorisations de construire étant très strictes en Europe, une réplique a d’abord été érigée dans son pays d’origine, la Colombie. À partir de celle-ci, les experts allemands ont pu faire tous les tests de charges nécessaires à son permis. Ils ont tous été concluants. En Colombie, la construction en bambous est une tradition qui s’est perdue et que Simon Velez remet au goût du jour depuis quelques années. La souplesse de cette graminée géante en fait un élément structurel efficace, notamment dans sa capacité à résister au tremblement de terre ; et son abondance en fait une matière première bon marché. Peu de temps après l’exposition d’Hanovre, des expérimentations de petites maisons en bambou à 5000 $ étaient effectuées dans le Vitra Design Museum et un livre était édité. Gown Your Own House vante les avantages économiques, écologiques et structurels du bambou et 80


permet de faire connaitre son travail internationalement. Partant du constat que l’industrie de la construction est la plus grande consommatrice de ressources naturelles, l’architecte préconise un retour « à un régime plus équilibré, plus végétarien ». Précision et savoir-faire, usage réfléchi des ressources, technique et outillage simple orchestrent ses chantiers et les rendent exemplaires dans leurs empreintes sociales et environnementales. La démarche de Simón Vélez préconise une architecture qui assume Bas Une prototype de maison en Bambou à 5000 $. Elle fut construite en 1999 lors d’un workshop encadré par Simon Vélez au Domaine de Boisbuchet, France.

son enracinement dans les matériaux indigènes et valorise l’échange des savoirs et la circulation des compétences.

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L’Atelier d’Architecture Autogérée (AAA) AAA est un jeune bureau français qui acquiert progressivement une notoriété internationale grâce à son implantation ultra locale. En témoigne sa ré­cente invitation à la Biennale de Venise (2012), ainsi que l’approbation des habitants et usagers de l’EcoBOX. EcoBox est une série de projets autogérés situés à Porte de la Chapelle dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Initiés en 2001, ils encouragent l’investissement et la transformation critique des espaces urbains délaissés. Leurs travaux, sous forme de développements stra­ tégiques, se basent sur la notion de Bottom-up40, et sont

40. Du bas vers le haut : du peuple vers les élites.

ainsi générés par l’usage. Leur gestion du projet, du processus, laisse du temps et de l’espace à la construction et le chan­tier devient lui-même un lieu d’action culturelle et sociale grâce à la participation des acteurs locaux (habi­ tants, associations, écoles, etc.).

Droite Le projet EcoBOX propose des outils pour organiser l’investissement citoyen d’espaces urbains délaissés.

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Rural Studio Rural studio est le nom donné à un atelier d’architecture de l’université d’Auburn en Alabama. La particularité de l’atelier est d’être situé dans une petite ville de 200 habitants à 3 heures en voiture du campus universitaire. L’élève est littéralement mis en situation. Depuis 1993, l’objectif des deux professeurs fondateurs, Samuel Mockbee et Dennis K.Ruth, est de développer une démarche cohérente et interdisciplinaire, et d’étudier le développement d’un type de maison rurale adaptée aux conditions locales. Chaque projet est réalisé par les élèves en fonction des besoins de la localité. La grande pauvreté des habitants (environ 50% vivent sous le seuil de pauvreté) et l’isolement des élèves les poussent à concevoir de façon à optimiser avec les richesses du site (savoir-faire et matériaux). Ainsi, un projet d’église en 2001 fut réalisé en récupérant près de 85% des matériaux de l’ancienne chapelle. Ce projet a permis d’éviter la dispersion de la communauté. De plus, chaque nouveau projet commence par la visite des réalisations précédentes. La critique fait partie du processus créatif ce qui permet de lisser progressivement les erreurs en s’appuyant sur sa propre expérience, mais aussi, et surtout sur les expériences passées. Cela fait maintenant 21 ans que l’atelier est ouvert.

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Bien que l’expérience se concentre sur les valeurs locales, la technologie moderne n’est pas pour autant abandonnée quand elle apparaît la plus adaptée à répondre à un problème. De ce fait, une communauté numérique et mondiale s’est déjà formée, pendant un chantier, pour résoudre les problèmes structurels d’une charpente.

Bas Chapelle de Newbern, projet de fin d’études d’élèves de l’atelier Rural Studio.

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Pierre Frey nous livre ici une vision bien plus moderne de l’architecture vernaculaire. À l’inverse de Bernard Rudofsky ou d’Ivan Illich qui l’opposent au travail du spécialiste, Frey, lui, la place d’abord comme une façon de concevoir. La conception se doit de respecter son environnement, d’être en accord avec lui, certains diront écologique, mais pas au sens marketing qu’il a tendance à prendre aujourd’hui. Je dirais que c’est davantage une architecture de recyclage ; recyclage des savoir-faire locaux et des matériaux pour inventer un nouveau langage architectural. La conception se veut aussi plus communautaire, respectueuse des utilisateurs de l’architecture, parce que conçue avec eux. C’est un siècle de globalisation et de standardisation, de maisons individuelles identiques et de bâtiments d’architectes-stars qui sont pris à contre-pied par le retour aux fondamentaux vernaculaires. Le prix Pritzker n’est pas passé à côté du phénomène en nommant en 2012 le Chinois Wang Shu. Cet architecte peu connu avant le prix s’efforce de réfléchir et d’expérimenter des méthodes de conception à la fois modernes et respectant la tradition. Il ne construit que dans son pays. L’expérimentation et la contextualisation sont les deux piliers de son approche architecturale. Le nom du studio sonne lui-même comme une explication : Amateur Architecture Studio. 86


Le modèle vernaculaire peut donc être une source d’inspiration pour l’architecture. Dans sa capacité à répondre de façon convaincante aux crises écologiques et sociales que nous traversons, la « nouvelle architecture vernaculaire » est effectivement à prendre en compte. Dans sa vision, Pierre Frey replace également l’expert et l’architecte dans le processus. Dans la « nouvelle architecture vernaculaire », l’architecte est l’initiateur et le catalyseur d’une conception basée sur les richesses locales.

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Imprimer sa maison

Construction automatisée en architecture

La course pour la première maison imprimée en 3D a commencé. Des équipes de Londres et d’Amsterdam sont en compétitions pour produire la première structure habitable. Une telle prouesse pourrait transformer notre façon de construire des bâtiments. Le premier à avoir frappé a été le bureau hollandais Universe Architecture, qui, en janvier 2013, a présenté une habitation reprenant la boucle de Möbius. Elle est censée être directement imprimée en béton sur le site. En réalité, l’impression 3D sert à imprimer des moules pour pouvoir couler le béton, lui donnant ainsi des formes complexes. L’ensemble des pièces de béton est ensuite assemblé sur le site. Pour les moules, Universe Architecture a travaillé en collaboration avec l’ingénieur Enrico Dini, le concepteur de l’imprimante D-Shape41.

41. Avec un procédé proche de la stéréolithographie, la D-Shape est capable de construire de grandes structures (6 x 6 x 6 mètres) dans une matière qui s’apparente à de la pierre. Radiolaire (voir ci-dessus) est la première structure imprimée en 3D par la D-Shape. Elle fut réalisée pour Shiro Studio en 2009. Bas La Landscape House d’Universe Architecure.

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‘‘

Quand nous avons commencé nos recherches, nous naviguions dans la science-fiction. Tout le monde dans l’univers de l’architecture disait que cela ne serait possible que dans 50 ou 60 ans, mais quand nous sommes allés voir une compagnie d’impression 3D, ces personnes nous ont dit: pas de problème, nous allons pousser les recherches et le faire. Nous n’en avons donc pas pour si longtemps.

’’

- Gilles Retsin de Softkill Design, 2013

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Peu de temps après, un bureau anglais, Softkill Design, présenta sa solution : la Protohouse 2.042. Elle est faite

42. La ProtoHouse 2.0 est présentée page 78.

d’une structure fibreuse imitant celle d’un os. Dus Architects, un autre bureau d’Amsterdam a suivi. Leur projet, la Canal House43 est imprimée pièce par pièce. Ils utilisent une imprimante open source (la première Makerbot). Celle-ci a été modifiée et placée dans un container pour pouvoir imprimer de grand volume (2,2 x 2,2 x 3,5 mètres). Il y a peu de temps, une entreprise chinoise, non pas d’architecte, mais industrielle a dévoilé une maison imprimée en béton recyclé. Celui-ci est fabriqué à partir des déchets de démolition. Ce sont en réalité de grands murs de béton qui sont imprimés et ensuite assemblés pour former la maison. Il faut environ 20 heures pour fabriquer une maison de 200 m². D’autres sociétés emboitent le pas pour être les premiers à commercialiser une imprimante 3D capable de produire des maisons. Nous pouvons notamment noter l’entreprise slovène BetAbram qui prévoit la commercialisation d’une machine dès août 2014. Les recherches à l’Université de Caroline du Sud sont également à prendre en compte ; la technique de « Contour Crafting » a été une des premières solutions réalistes d’impression en béton à grande échelle. Les deux exemples, cités au paragraphe précédent, utilisent la technique du Contour Crafting. 90

43. La Canal House est présentée page 80.


Haut Grâce à la technique FDM, la Contour Cafting est théoriquement capable de construire une maison de 230 m² en moins de 24 heures.

91


Protohouse 2.0 Softkill

Design

propose

une

vision

prospective

et étonnante de l’utilisation de l’impression 3D en architecture. Là où, les recherches actuelles comme la Contour Crafting cherchent à transporter l’imprimante sur le site de construction parce qu’ils utilisent des matières lourdes comme le béton ou le sable, Softkill Design travaille délibérément en atelier en utilisant du bioplastique. Pour donner forme à la ProtoHouse, les architectes ont donc développé une structure poreuse, légère et résistante en utilisant les capacités physiques de la matière. L’ordinateur s’avère également indispensable dans leur processus. En effet, pour atteindre un rapport solidité/ légèreté viable à l’architecture, ils ont décidé d’imiter la structure fibreuse de l’os. Pour générer cette structure complexe, un algorithme informatique a été créé. Cela s’appelle de la conception paramétrique. La complexité de la structure, impossible à produire avec les techniques actuelles, peut, ici, être simplement reproduite en réelle grâce à l’imprimante. Cela permet d’optimiser la quantité de matière et donc de réduire les coûts de production. Les différentes pièces construites en postproduction sont ensuite assemblées sur le site grâce aux fibres de la structure « comme du velcro ». 92

Haut La nature comme modèle : la structure de la Protohouse de Softkill est inspirée de la fibre osseuse.


93


Canal House Tout comme Softkill Design, DUS Architecture prévoit de travailler avec du bioplastique ou du plastique recyclé même s’ils travaillent actuellement avec du plastique ABS, donc non biodégradable. Leur approche est malgré tout différente de l’exemple précédent. Le résultat est moins extravagant, mais le travail tout aussi intéressant. Leur objectif est d’abord d’ouvrir le débat sur le futur du design et de l’architecture, pas de réinventer la roue. Les choses vont effectivement dans ce sens. Pour expérimenter et nourrir le débat, l’impression en taille réelle de leurs recherches a commencé l’été dernier. Pour cela il utilise leur propre imprimante : La KamerMaker44. Le chantier, sur les bords d’un canal d’Amsterdam, est ouvert au public. La participation y est encouragée. La Canal House est davantage un processus basé sur

44. Signifiant littéralement la « fabricatrice de maison », la KamerKamer est une Makerbot modifiée pour pouvoir imprimer de très grands modèles. Le tout a été placé dans un container, ce qui facilite grandement son déplacement. Les dimensions maximales d’impression sont de 2,2 x 2,2 x 3,5 mètres.

l’expérimentation, la collaboration et la discussion que la représentation figée d’une vision sur le futur de l’archicture. C’est également une jolie manœuvre de communication.

Droite Depuis l’été 2014, DUS Architecture expérimente sa Canal House dans un grand chantier ouvert au public.

94


95


Hormis la Canal House qui est en cours de réalisation, et des solutions d’industriels utilisant la technique du Contour Crafting, aucun de ces exemples n’a été testé entièrement à l’échelle 1/1. De ce fait, il y a un certain scepticisme entourant sa viabilité. La plupart des imprimantes actuelles sont capables d’imprimer de petits objets, mais ceux-ci n’ont pas à résister aux contraintes structurelles et environnementales d’une maison. Malgré cela, les architectes qui travaillent dessus sont convaincus que la production additive va transformer l’architecture et le monde de la construction. De plus, bien que proposant des systèmes adaptables, peu de ces projets sont réellement contextualisés, ce qui pourrait laisser penser qu’ils ne sont en rien vernaculaires. Dans les recherches actuelles d’architecture imprimée, le résultat apparaît souvent « déshumanisé ». En effet, l’architecture vernaculaire se caractérise par son intégration au site, mais aussi, par sa capacité à être faite par soimême. Ces projets sont certes ambitieux et promoteurs, mais, aucun des concepteurs experts n’a, encore, sauté le pas et rendu accessible à tous, ses moyens de conception et de production. C’est en cela que résidera la réelle expérimentation.

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D’autres concepteurs parlent de maisons à imprimer pour parler de leurs projets. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’impression, car ils n’utilisent pas d’imprimante, il est intéressant de les présenter, car ils font une utilisation réfléchie des outils de production personnelle. Dans ces cas-ci, il s’agit de CNC, une machine déjà adaptée à la fabrication de grands éléments. Il est bien plus facile de se projeter dans ce type d’architecture, car l’utilisation d’une matière connue, le bois, est rassurante. Les principaux défis des concepteurs sont d’imaginer des systèmes d’assemblage à la fois résistant et simple à mettre en œuvre. Nous pouvons notamment noter la FabHouse développée à Barcelone et la WikiHouse qui est présentée page suivante.

‘‘

L’Architecture pour les gens par les gens.

’’ - Alastair Parvin, Conférence TED, 2013

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La WikiHouse La WikiHouse est le plus exposé de ces projets. Il est open source et sa conception partagée a déjà permis des expérimentations à l’échelle 1/1 dans le monde entier. Les améliorations et les alternatives (à la fois formelles et techniques) proposées par la communauté ont fait évoluer la WikiHouse à une vitesse phénoménale depuis sa création en 2011 par Alastair Parvin et Nick Lerodiaconou. Elle est basée sur un système d’assemblage simple et accessible à tout le monde. Ainsi, la construction d’une WikiHouse ne demande que l’utilisation d’une CNC et de ses mains. Les outils nécessaires à l’assemblage des différents morceaux de la maison sont directement « imprimables » à la CNC, comme le maillet ou l’escabeau. La démarche n’est pas si éloignée que celle de Jean Prouvé, 80 ans plus tôt. La principale différence réside dans la possession des moyens de production. Là où Jean Prouvé ne donnait accès qu’au système d’assemblage, avec des éléments de construction usinés en amont par l’industriel classique, la WikiHouse permet de produire soi-même les éléments de l’habitat et donc d’adapter plus profondément la construction à son besoin propre.

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Haut Une wikihouse lors de la Maker Faire de 2013 à New York.


De plus, pour faciliter la conception communautaire et l’appropriation, un plug-in fonctionnant avec le logiciel gratuit Sketchup permet de modifier et de générer les planches à envoyer vers la fraiseuse numérique.

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Nouveau modèle urbain

La ville du prosommateur, le citoyen fabricant

Le Fablab

La nouvelle révolution industrielle se

matérialise dans nos villes dans des ateliers ouverts d’un nouveau genre : les Fablab. On trouve dans ces lieux des makers, des hackers45, des étudiants, des designers, des retraités, des ingénieurs ou plus simplement des amateurs. Ce savant mélange favorise le partage et l’échange de connaissances, le

45. Un hacker désigne une personne qui aime comprendre de façon approfondie le fonctionnement d’un système, en particulier celui d’un ordinateur ou d’un réseau informatique. Le pirate informatique de par sa compréhension des systèmes de sécurité informatique est un hacker.

savoir y est horizontalisé. Développer des pratiques d’autoproduction et d’expérimentation sont les principaux

Bas Les différents objectifs du lieu fablab.

objectifs des Fabblab ; l’esprit Do It Yourself n’est pas très loin. Le fablab est donc un lieu. Il est toujours en réseau pour partager avec les autres fablab et les communautés numériques.

Il

possède

une

série

de

machines

automatisant la production : une découpeuse laser, une fraiseuse numérique et une imprimante 3D sont les principales de ces machines46. Du matériel informatique libre (du type des cartes Arduino ou Raspberry Pie) et de quoi le programmer s’y trouvent également, ainsi que des « machines-outils » plus classiques, comme des scies à ruban ou des scies circulaires. 100

46. Elles sont toutes les trois expliquées plus en détail page 34.


S’il permet de produire des objets, le fablab accueille d’abord une communauté venue échanger. Ainsi l’espace du fablab organise la conception partagée. Il est alors évident de trouver généralement en son centre une grande table pour échanger et discuter entre les membres présent physiquement et ceux utilisant internet. En effet, c’est fréquemment ici que l’on trouve un dispositif de vidéoconférence pour communiquer avec les autres fablabs. Les plans de travail et les machines se placent de manière rayonnante autour de ce point.

Haut Croquis d’un fablab à Barcelone par Camille Bosqué, 2013

101


La création des premiers fablabs fait suite à l’initiative du professeur Neil Gershenfeld. C’est à la fin des années 90, au sein du Média Lab du Massachusetts Institute of Technologie (MIT) que le concept germe. Le cours « How to make (almost) anything » donné par Neil Gershenfeld met

Bas Un fab lab fonctionne grâce aux outils et aux ressources de la communauté.

à disposition des élèves des outils industriels de pointe. Dans ce contexte, les élèves vont s’approprier les machines pour fabriquer toutes sortes de choses, souvent destinées à leurs besoins propres. La fabrication personnelle née dans ces locaux. Dans un souci de communiquer les inventions et pour étendre l’expérience en dehors des murs de l’université, Neil Gershenfelf ouvre le Centre des Bits et Atomes (CBA) en 2001. Il propose également d’ouvrir d’autres ateliers numériques dans le monde47, ceux-ci devront rester connectés pour créer un réseau. La National Science Foundation soutient le projet et le premier fablab ouvre à

47. Un programme de cours en ligne appelé fab academy a également été mis en place, 27 fablabs dans 17 pays font actuellement partie du programme.

Boston la même année. Beaucoup d’autres vont suivre. 340 fablabs sont actuellement recensées dans le monde par le MIT, mais il en existe probablement beaucoup plus. Pour faire partie du réseau et porter le nom et le logo Fablab, il faut respecter un certain nombre de règles : la charte des fablabs (Fab Charter). Elle a été définie par Neil Gershenfeld et ses élèves.

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Droite Traduction personnelle de la Fab Charter. Version originale en anglais : http://fab.cba.mit.edu/about/charter/


The Fab Charter

Qu’est-ce qu’un fablab ?

Les fablabs sont un réseau mondial de laboratoire local, favorisant l’invention en mettant à disposition des outils de fabrication numérique.

Qu’est qu’il y a dans un fablab ?

Les fablabs partagent un inventaire évolutif d’outils de base pour fabriquer (presque) n’importe quoi, ils permettent le partage des gens et des personnes.

Que prévoit le réseau fablab ?

Assistance opérationnelle, éducative, technique, financière et logistique en plus de ce qui est disponible dans le laboratoire.

Qui peut utiliser un fablab ?

Les fablabs sont disponibles en tant que ressource communautaire, il offre un accès individuel dès lors qu’il participe à la capitalisation des connaissances et à l’institution des autres utilisateurs.

Qui est responsable ?

Sécurité : ne pas blesser les utilisateurs ou d’abimer les machines. Fonctionnement : aider au nettoyage, à la maintenance et à l’amélioration du laboratoire. Connaissances : contribuer à l’instruction et à l’éducation.

À qui appartiennent les inventions issues du fablab ?

Les objets et les processus développés au fablab peuvent être protégés et vendus au choix de l’inventeur, mais doivent rester accessibles pour une utilisation personnelle et pour pouvoir en tirer des apprentissages.

Comment le business peut-il utiliser un fablab ?

Des activités commerciales peuvent naître dans un fablab, mais ils ne doivent pas entraver les autres activités. Elles doivent se développer en dehors plutôt que dans le laboratoire. Les bénéfices devraient retomber sur les inventeurs, le laboratoire et le réseau qui a contribué au succès de l’invention.

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Les autres solutions

Les fablabs ne sont pas les

uniques lieux de la fabrication numérique. Ses différents espaces sont regroupés sous le terme makerspace. Bien que « fabriquer » est la raison principale de ces nouveaux lieux, leur modèle d’organisation et leurs engagements politiques diffèrent. Les techshops et les hackspaces sont les principales à avoir été identifiées. Le techshop est une entreprise, souvent de grande dimension, qui met à disposition de tous, les équipements et les outils liés à la fabrication personnelle. L’accès se fait par adhésion. Le techshop vend aussi des services : du conseil pour réaliser ses projets ou des cours d’utilisation des machines. Bien que plus grand, l’espace est relativement similaire à celui du fablab, on y trouve des salles de travail, des ateliers divisés selon le matériau utilisé (bois, acier, plastique, etc.). Le techshop est une sorte d’hybridation entre les espaces de coworking et les fablabs. Le hackerspace est moins définissable que le fablab ou le techshop. Les activités varient selon les personnes qui le composent. Il n’est généralement pas ouvert sur l’extérieur et ne possède donc pas d’organisation spatiale type. Il n’y a pas non plus d’outils types, bien que les machines à commande numérique y soient fréquentes. Comme leur nom l’indique, les hackerspaces empruntent 104

Haut Cet exemple de plan est fourni par la société TechShop.


beaucoup à la contre-culture du « hack », les membres sont donc la plupart du temps avides de comprendre et de détourner tout ce qui passe entre leurs mains, comme les hackers le fond avec l’informatique. Dans ces structures, l’organisation horizontale et l’autogestion sont primordiales. Il est également possible de produire directement chez soi, avec les machines personnelles, essentiellement des imprimantes 3D. Bien que cela soit encore assez peu rependu, le marché ne fait que croitre. Peut-être qu’un jour une imprimante 3D sera branchée à nos ordinateurs de la même manière qu’une imprimante à encre aujourd’hui. En outre, de plus en plus de petites boutiques, qui proposent des services de découpe laser ou d’impression 3D, sont présentes dans les villes. Le prix est fonction du temps d’exécution et de la quantité de matière. Modelo et Lasercut Lab en sont deux exemples pour la ville de Bruxelles. Des solutions immatérielles via des plateformes internet sont également disponibles. i.materialise, Sculpteo ou PrintaBit sont parmi les plus connus. Il offre une très grande variété de matières et de techniques.

105


Relocalisation industrielle

Chris Anderson appelle

la « longue traine de bits » la capacité d’internet à créer une multitude de marchés de niches. C’est la possibilité de mettre en réseau des personnes ayant les mêmes besoins, envies ou passions, même s’ils sont séparés par des milliers de kilomètres. L’ordinateur connecté personnel joue un rôle majeur dans la « longue traine des bits ». L’idée de Chris Anderson est que la fabrication personnelle pourrait être à la base d’une « longue traine des atomes (objet physique) » et donc réindustrialiser nos pays. En effet, dans ce contexte de crise globale le consommateur est de plus en plus soucieux de ce qu’il achète. La crise économique et de confiance le pousse à s’autogérer en s’écartant du marché de masse. Dans les pays riches, la fabrication personnelle a donc deux avantages qui pourraient lui permettre de s’imposer comme un modèle : l’adaptabilité et le prix. Adaptabilité, parce qu’il est possible, grâce à l’impression 3D, de répondre de façon ultra spécifique à un problème propre. Par exemple, si une pièce du grillepain est cassée, il suffit de modéliser ou scanner la pièce et de l’imprimer. Chaque objet avec l’imprimante à la capacité de s’adapter parfaitement à une morphologie, à un environnement, à une envie. Le prix, parce qu’il n’est pas plus cher avec la fabrication 106


additive de fabriquer 100 objets différents ou 100 objets identiques. L’objet se destinant à un nombre très restreint de personnes (parce que très personnalisé), la fabrication additive est souvent bien plus intéressante que le moulage par injection utilisée pour les grandes séries.

Droite Comparaison entre le coût d’une production par injection et le coût d’une production par injection (impression 3D). Graphique tiré de Makers de Chris Anderson.

Les 48. Voir « partager pour mieux concevoir » page 44.

coûts

de

transport

et

de

recherche

et

développement48 sont également réduits. Et si nous considérons que le prix de la main d’œuvre ne fait qu’augmenter dans le monde alors la fabrication additive deviendra d’autant plus intéressante financièrement. Nos villes accueillent de plus en plus de petits magasins proposant des services de découpe laser ou d’impression 3D, les quantités de fablab explosent dans le monde et ce mêmes dans les pays les plus pauvres, dans lesquels les besoins sont très peu pris en compte par l’industrie de masse classique. La crise globale, la recherche du meilleur prix et l’augmentation des besoins individuels sont autant de vecteurs qui favorisent l’émergence d’une micro industrie locale capable de changer en profondeur nos villes. 107


Barcelone 5.0

C’est probablement à Barcelone, en

Espagne, dans un des pays les plus touchés par la crise que l’idée de la nouvelle ville industrielle semble le plus aboutie. Une des têtes de file de Barcelone 5.0 et de la Fab City est Tomás Diez49. L’idée est d’inventer une ville capable de remplacer la « production centralisée50 » par une « production distribuée ». Pour cela la ville est réorganisée autour d’une multitude de fablabs capables de produire en réponse aux besoins propres de la ville et de ses citoyens. Chaque quartier possède son atelier participatif qui a une spécialité (la fabrication de mobiliers, la production d’énergie, l’alimentation, la mobilité, etc.).

108

49. Tomás Diez est un urbaniste vénézuélien spécialisé dans la fabrication numérique. Il est professeur permanent à a Institute for Advanced Architecture of Catalonia, et est un particulièrement impliqué dans la fablab de Barcelone. 50. Voir « l’ère de la globalisation » page 27.


L’idée est donc que la ville fonctionne dans un réseau de micro industries interdépendantes et communicantes. Nous pouvons y voir une analgie de la ville préindustrielle qui s’organisait dans un réseau de quartiers ou petits villages avec une spécialité propre (pêcheur, menuisier, forgerons, teinturier, etc.). De plus, grâce au web, la ville et ses fablab sont également en réseau avec les autres Fab Cities. Ils peuvent partager informations et connaissances.

Droite De la Fab City à la Fab World.

Tomás Diez et la fablab de Barcelone proposent un modèle urbain capable d’organiser un nouveau modèle industriel en accord avec les idées de Jérémy Rifkin ou de Chris Anderson. L’idée du prosommateur y est centrale Gauche Les fab Labs dans la ville future : Une industrie de biens, de savoirs, de collaboration, d’échange et d’invention. D’après le pfd de présentation de Tomás Diez lors de la conférence «Fab Labs in the City», en mars 2013 au TEDxZwolle.

dans ce nouveau modèle urbain, car il invente une ville permettant l’émergence d’un citoyen intelligent capable de participer à la conception et la production de son objet de consommation. C’est la ville du prosommateur. 109




Page précédente Luc Schuiten, La ville résiliente, 2012.

‘‘ La ville est une entité et il est difficile de la concevoir tout simplement gérée par l’ensemble de la population. Il est plus simple de commencer par la dimension du quartier où chacun pourrait assumer une responsabilité et s’occuper d’une partie des besoins. C’est un niveau décisionnel très intéressant qui pourrait faire partie d’un système en cascade pouvant former une unité de valeurs en parvenant à ce que les différents voisins coopèrent les uns avec les autres.

‘‘ - Luc Schuiten, Interview pour YO!Mag, 2013


// CONCLUSION

Jusqu’à il y a peu de temps, l’homme vivait, le plus souvent, en relation forte avec son environnement, et dans le respect de sa terre nourricière. L’architecture vernaculaire qu’il pratiquait en est l’illustration. Aujourd’hui, après deux révolutions industrielles, le monde change à nouveau ; son système économique implose et sa planète s’épuise. Une transition indispensable est en marche. Elle est née des nouveaux réseaux sociaux et prend racine dans le monde virtuel que nous créons tous les jours : internet. Aujourd’hui, réussir la transition est donc en grande partie de notre responsabilité : celle du citoyen, pas de ses élites. 51. Le développement par vagues est une théorie d’Alvin et Heidi Toffler. Ils l’ont développé dans une série d’ouvrage entre 1971 et 1994.

J’utiliserai le terme « vague51 » plutôt que « révolution » pour décrire cette transition, car tout ne va pas disparaitre. Nous n’avons pas arrêté de parler quand l’écriture est apparue, nous envoyons toujours 30 millions de lettres papier par mois en Belgique alors que le web a envahi le monde depuis 20 ans. Nous tirons les leçons du passé 113


pour créer notre avenir. Internet est le moteur et le vecteur majeur de la vague qui réorganise le monde. Nous l’avons vu, la conception partagée

et

horizontale

y

remplace

l’organisation

pyramidale. L’efficacité de l’« intelligence collective » est telle que certains grands groupes industriels l’utilisent. Les systèmes de crédit des banques se voient concurrencer par le crowdfunding52. C’est également sur internet que les outils de conception et de fabrication habituellement détenus par les élites sont réappropriés pour être rendus accessibles à tous. L’autogestion citoyenne est possible sur internet. L’expert ne semble pas avoir beaucoup de place dans cette organisation, mais disparait-il pour autant ? Pierre Frey donne un élément de réponse à ce questionnement en faisant remarquer dans Learning from Vernacular que toutes les initiatives qu’il juge être de « nouvelles architectures vernaculaires » sont l’œuvre d’architectes. Il y a donc une place à donner à l’expert. Lors ce qu’il s’agit d’un l’architecte, son rôle est social, il doit être l’initiateur et le catalyseur d’un projet collectif. Beaucoup de ces initiatives vont dans le sens d’un retour au local, à l’identité d’un lieu et de ses habitants. Il faut concevoir et même construire avec ceux qui vont pratiquer l’architecture. 114

52. Le crowdfunding est un système de financement participatif. Chaque citoyen peut donner une somme voulue pour soutenir un projet. Il y a souvent des systèmes de récompenses en fonction du montant du don. Les plateformes de crowdsoursing les plus connus sont kickstarter et kisskissbankbank.


Partager les connaissances et utiliser les matières premières en abondance d’un site sont au cœur de l’architecture vernaculaire, cela est aussi au cœur de la « nouvelle architecture vernaculaire » décrite par Pierre Frey. L’imitation de la nature est également au centre des techniques ancestrales. Pour tous ces points, l’impression 3D pourrait être en accord avec l’émergence d’une nouvelle architecture vernaculaire et connectée. Premièrement,

car

la

transcription

directe

de

l’information numérique à la réalité d’un objet physique permet une grande adaptabilité aux contraintes propres (géographiques,

culturelles,

fonctionnelles,

etc.).

À

l’inverse de la production de masse, la demande est traitée individuellement et trouve donc une réponse personnelle. Deuxièmement, car l’imprimante est connectée à un ordinateur, qui est lui-même connecté à internet. Le lien rapide avec internet et les communautés numériques encouragent la conception partagée et l’échange de savoirs. Troisièmement, car la matière première utilisée pour imprimer peut être plus respectueuse de l’environnement. C’est pour cette raison que la course actuelle qui consiste à être le premier à inventer une machine capable 115


d’imprimer des maisons en béton en quelques heures et sans main d’œuvre ne me semble pas être la démarche la plus révolutionnaire. Bien que l’utilisation des déchets de démolition pour fabriquer un béton recyclé soit très intéressante, cela signifie qu’il faut nécessairement détruire pour construire ce qui peut paraitre absurde quand nous pourrions simplement reconvertir. Les recherches comme celle de la Protohouse qui imite la structure osseuse pour inventer une nouvelle architecture laissent réellement imaginer une nouvelle façon de concevoir et de construire. En plus des notions de partage, et d’adaptabilité des besoins spatiaux, c’est dans le sens de la Protohouse, de l’imitation de la nature que, selon moi, l’architecture imprimée peut réellement devenir vernaculaire. L’imitation de la nature ou biomimétisme est une source d’inspiration infinie, les architectures vernaculaires présentées dans ce travail en sont des exemples ; elles peuvent prendre une nouvelle dimension grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. Imaginez une ville dans laquelle on imprime des maisons avec des structures proches de celles des cocons d’insectes (une matière plus résistante et isolante que toutes nos techniques actuelles). Les fenêtres fabriquées à l’aide d’une matière proche d’une aile de libellule se 116


déformeraient lors d’un séisme plutôt que de se briser. Barcelone 5.0 et l’énergie partagée et autogérée décrite par Jeremy Rifkin peuvent être des modèles pour organiser cette ville. C’est en grande partie le futur dessiné par le Belge Luc 53. Luc Schuiten est un architecte et dessinateur belge. Il estime qu’il faut se souvenir que nous sommes avant tout des êtres biologiques et qu’il faut inventer une architecture plus en accord avec notre planète, elle-même vivante.

Schuiten53 : une ville végétale et imaginaire où l’invention est en harmonie avec la nature. Nous étudions depuis toujours la nature et nous la comprenons de mieux en mieux. En médecine l’impression en matières biologiques fait des progrès tous les jours. Pourquoi n’utiliserionsnous pas ces progrès en architecture ? Imiter la nature comme le fait l’architecture vernaculaire, mais avec les connaissances et techniques moderne est une voie pour faire de l’impression 3D le moteur d’une nouvelle architecture vernaculaire. L’impression 3D va très certainement transformer l’industrie, mais, si elle rend possible une nouvelle façon de penser la ville et le monde, plus en accord avec la nature de notre planète et de ses habitants, alors l’imprimante 3D pourrait peut-être être la machine à vapeur du XXIe siècle.

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// BIBLIOGRAPHIE

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Bruxelles, 2014 ImprimĂŠ sur papier en fibres de bambou.

romain.hamard@live.fr


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