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Littérature et Musique Noir Désir : La Rage... et Aprés?

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ien sûr, Noir Désir, c’est de la parole engagée, de la contestation, du cri de colère et de putain de société. un discours pseudo anticonformiste un soir de Victoires de la Musique en Prime Time, un mouvement de jeunes fidèles qui gobent. Un engagement qui fait tube : Un jour en France, l’homme pressé etc. Des tubes ressassés, quand le groupe bordelais est devenu réellement populaire : à ton étoile, le vent l’emportera, Aux Sombres héros de l’amer etc. … Des vagues de fans, vive le rock français avec des couilles, les 2 doigts protestataires en l’air, pendant des concerts où on saute, mort aux cons ! Bertrand Cantat en prison, fini tout ça. et c’est tout ? Non, il y a un autre Noir Désir. Un Noir Désir qui ne vient pas à nous. qu’il faut aller chercher.

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Septembre, en attendant Juste le temps de battre des cils, Un souffle, un éclat bleu, Un instant, qui dit mieux, L’équilibre est fragile J’ai tout vu Je n’ai rien retenu Pendant que ton ombre En douce te quitte Entends-tu les autres qui se battent A la périphérie Et même si tes yeux Dissolvent les comètes Qui me passent une à une Au travers de la tête J’y pense encore J’y pense A cette époque on n’écoutait qu’à peine Le clic-cloc des pendules A l’heure où je te parle Sans entraves... il circule En septembre, en attendant la suite Des carnages il se peut, qu’arrivent la limite J’y pense encore J’y pense Ensemble, maintenant On peut prendre la fuite Disparus, pfffuit Avant qu’ils aient fait ouf J’y pense encore J’y pense

A lire, à bien tendre les oreilles, ce Noir Désir là est jubilatoire. Mieux: il n’a aucun équivalent sur la scène française. Tellement plus puissant que ce que l’on appelle « la nouvelle chanson française ». Quand la contestation consensuelle se transforme en fougue poétique inouïe. Dans les textes. dans la voix. L’évolution des paroles du groupes est nette D’où veux tu qje rgarde à Des Visages des figures. De la révolte postadolescente au travail du texte. au travail la plume trempée de tripes. Et la certitude que le combat est là, quelque part entre texte et voix. Il y a le texte. puis la voix. et là pour comprendre, il faut entendre. entendre ce qu’il peut faire des mots, Cantat. ce qu’il peut faire passer. Du cri au chuchotement, du chuchotement au cri. Jeux de mots, recherche de langue et de sens. Fondamentalement équivoque. D’où la force de ces mots. la force poétique. Il y a une poésie aussi travaillée, féroce, touchante, que chez celle de ceux qu’on appelle « Les Grands Poètes ». A écouter, on ne les comprend sans doute pas, ces textes. ou bien on comprend ce qu’on veut. on est libre de les modeler. c’est simplement beau cette façon qu’aucun autre n’a de faire, de laisser sonner les mots, sonner les mots entre eux. Quelque chose de déchirant, de sinueux, de complexe dans cette recherche obscur dans le désir. Qu’on le lise, qu’on l’écoute, qu’on l’entende. Noir Désir est dense, grand, beau. Bouquet de nerfs Journée de la pleine lune Au sommet de la dune A caresser de loin ton chien T’oublies or not t’oublies Les ombres d’opalines au rendez-vous suivant, j’attends Au fond d’une autre limousine Qui ne vaut pas plus cher Que ce bouquet de nerfs A frôler la calanche Les étendues salines A perte de vue on s’imagine en Chine Trompe la mort et tais-toi Trois petits tours et puis s’en va J’opère tes amygdales Labyrinthiques, que dalle Ne m’est plus rien égal Je sais je n’ai offert que des bouquets de nerfs Rubis de Sade et jade, déjà je dis non Diamant, c’est éternel

Des fleurs, des bouts du ciel immense La liste des parfums capiteux Capitalistes c’est bien bien Mais olfacultatif Liste en boule, au panier Finalement j’ai offert quelques bouquets de nerfs Agendas donnez-moi De vos dates à damner Tous les bouddhas du monde Et la Guadalupe S’il arrive qu’un anglais Vienne me visiter Dans la métempsychose Je saurai recevoir je peux lui en faire voir de la sérénité Et même lui laisser un certain goût de fer Et ce bouquet de nerfs

L’exemple le plus représentatif est sans doute le concert unique donné à l’initiative de France Culture en 2002. A cette occasion Cantat compose un long poème de 55 minutes pour un concert hors normes qui a donné lieu à un recueil « Nous n’avons fait que fuir ». Pourquoi il chante, contre quoi il écrit, Cantat ? «Il

y a que tout ou presque se passe au bord de l’ombre, à demi-mot perdus, au carrefour des mystères, confluent souterrain. Nous n’avons fait que fuir, nous cogner dans les angles. Entre les lampadaires, à des années lumières, du salut éternel. Salut comment vas-tu ? moi ça va, toi ça va ? C’est très bien, c’est très bien. On a presque compris les murs sont familiers. Tu perds ta langue enfin ? tu as perdu ta langue? »


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