Distorsions 4

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Niaque

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Gnaque

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petit

ressĂŠrĂŠ

moyen

vaste


ÉDITO.

NIAQUE GNAQUE NIAK du Gascon gnaca : mordre au masculin comme au féminin il est question de mordant et de combativité dans un langage familier, disent les dictionnaires et pour vous ? et pour nous ? qu'en est-il de cette énergie qui donne envie de saisir un instant du réel avec les dents ? tout va mal : les élections, le temps, l'économie mondiale, le moral des troupes et l'immoralité des transactions boursières tout va bien aussi et qui monte : le nombre des sms pour se dire bonne année, l'énergie à faire entendre ses insatisfactions, ses coups de colère, ses désirs ils sont plusieurs ici qui se saisissent d'une énergie pour faire entendre et voir des insatisfactions et des désirs et surtout une grande soif d'exprimer des perceptions du monde singulières avec du mordant Distorsions répond à l'appel de la niaque pour faire voir et lire une énergie à la fois âcre et ravigorante.

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INFINI



06 // Niaque

// Dorothée F.

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// Mojitos

// Dominique Monteau

34 // Un destin en jachère

// Didier Saillier

38 // Les enfants les regardent

// Marie de Quatrebarbes

42 // Josh - Une deuxième chance

// Hugo Falcone

58 // Vu de la lune. Exploser sa race

// Laurence Faure

70 // Trois quatorze

// Charles Lefranc

76 // Courroux

// Marielle Gramm

96 // Niaque la chienne

// Pierre Clément Julien

102 // Offrande

// Catherine Bédarida

108 // Dépassement

// Laurent G.

120 // Voyage en province

// Nicolas Louis

130 // Poème de métro

// Benoît Richter

132 // Les morts sont de dangereux maniaques

// Jean Marc R.

142 // Tueuse

// Valérie Navon

152 // Tumulte

// Pascale Flavigny

154 // Pékin 08

// Jean-Paul Honoré

166 // A hauteur du vide, il ne faut pas faillir

// Myriam Linguanotto

178 // Intrusion

// Camille Philibert

242 // Bach a la niaque

// Olivier Salon


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Niaque — 6 —

. D o r o t h é e

?


Rentre le ventre. Tiens-toi droite. Souris. Dents blanches. Lèvres rouges. Ta langue est morte. Tu te gaines de silence. Amputée. Cuirasse de chair sur le vide. L’âme grelotte. Crever l’œil vert au fond du miroir. Sortir. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Inspirer. Marche. Couleurs. Fards. Comédie. Un pied devant l’autre. Le corps parade à découvert. Poussez pas. Chaud devant. Éclats de rire. Garde l’équilibre. Avance. Hanches. Fesses. Cuisses. Genoux. Mollets. Chevilles. Talons. Le vacillement de tes jambes s’articule. Gauche. Droite. De l’avant, toujours de l’allant. — distorsions 4 —

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Café rose néon. Bouffée froide. L’œil vert dans la vitre qui grimace et te disloque. Oblique. Gueules grandes ouvertes sur le zinc. Revue des croupes. Clin d’œil. Œuf dur. Main au cul. Continue. Tu hurles à la lune les joues gonflées de blanc. La bouche muette. Le cri ne vient pas. Deux doigts au fond de la gorge. Quoi faire pour sortir. Relancer ses larmes. Le gant du boucher fait sa révérence et te change en carcasse. Il lit les présages dans la traîne de tes entrailles. Tu sais qu’il dort dans la chambre froide la tête posée sur un cœur. Il a ses manies. Sa main écarlate dessine tes pas sur l’acier. Tu glisses. Le sang rigole. Le poing s’abat. Avec ceci ? Avoir des tripes. Se remettre debout. Droite pour ne pas fléchir. En appui sur ses pieds de corps dressé à baisser les yeux, à tenir sa langue. Mordre. Un trou dans la chair. Au dedans, creuser la béance. Déraciner la langue. Dévider le désespoir, la fureur, la rage. — distorsions 4 —

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Traverser la ville. La bataille de tes ailes sur le dos. Cabrée. À chaque enjambée découvrir le désordre nu de ta peau. Ton carnage. L’effroi. À l’assaut. Gagner le no man’s land.

Partir.

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Il a dit qu’Einstein a dit qu’il ne fallait pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Premier mojito, accoudé au bar. Je le regarde, il est frais, il a des yeux clairs, délavés par l’eau des piscines qu’il fréquente depuis qu’il est petit. Il me parle, ou il parle à la cantonade, je ne sais pas. Pétri de trouille. Il en crève

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d’avoir les miquettes, comme on disait avant dans les cours de récréation. “L’humanité s’est couverte de problèmes,” rajoute-t-il, “comme on dit de certaines femmes qu’elles sont couvertes de bijoux”. Il pense que notre French touch, c’est eux. Pas les bijoux, les problèmes. Que nous sommes un pays de ce genre-là, de ceux qui se demandent où ont bien pu se barrer ceux qui nous ont légué tout ça, de


M O J I T O S Dominique Monteau

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quel côté de quelle frontière. Il commande un deuxième mojito, rêvant à un autre pays, sans doute barricadé, où se trouveraient des solutions, et que si on y avait accès, on pourrait piocher et alors, tout irait mieux. Et il s’en va s’attabler, après m’avoir fait un petit signe de la main. Mon petit chéri, je pense en le voyant s’éloigner.

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Il est habillé de sombre, du vert. Toujours aussi blond qu’avant, trente ans presque. La fille avec qui il a rendezvous arrive toute de satin rose. Il ressemble à un maki un peu affaissé dans sa coupelle, en fin de journée, et, elle, l’entourant de ses bras couleur gingembre, elle vient se lover contre lui. Entre eux, l’amour est déclaré. Et, soudain, les problèmes du monde s’élèvent vers le plafond, là où les pâles du


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grand ventilo, comme des machettes aiguisées, les broient sans états d’âme. Tout ça me met en appétit. Ici, personne n’a d’états d’âme. Tous n’ont que des crocs, mélange de devoir social d’arrivisme et vrais désirs d’estomac. Le chef arrive, la toque négligemment coincée dans sa ceinture. Il a fait ses classes

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chez Alain Ducasse puis, renié l’esprit du légume avant de le réhabiliter, croquant ou alangui selon les assiettes et selon les jours. Lui aussi me fait un petit signe avant d’aller faire le tour de la salle, serrer quelques mains, embrasser des joues de femmes tout près de l’oreille. Plusieurs personnes l’appellent par son prénom, Damien. Ça me fait penser à Hirst, Damien Hirst, l’homme qui coupe vaches et veaux


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transversalement, les fige dans le formol et oblige le public à circuler entre des aquariums à tripes bovines. La postérité de la digestion congelée et taillée à la tronçonneuse et le haut du panier du marché de l’art. C’est du grand art de séparer les mères et les fils, non? Le chef Damien s’approche de moi et dit “M’man, prépare-

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moi un mojito, s’il te plaît. Fais en sorte que les feuilles de menthe luisent comme de la végétation tropicale sur les glaçons concassés. Et l’eau, juste gazeuse, hein?” Des fois j’ai la main lourde, c’est vrai, ça m’est arrivé d’ajouter de l’eau à très, très grosses bulles et alors ça noie la menthe et ça évacue direct l’idée des tropiques. Elle aussi déchiquetée par les machettes du ventilateur. Si j’arrive à parfaire ma


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recette de cocktail, on pourra l’intégrer aux classiques, l’imprimer en lettres gothiques sur la carte. Une façon de gagner mes galons. Le garçon maki a déplié son long corps, il se dirige vers moi et réclame plus de glace dans son verre. Sa belle amie croise et recroise ses jambes tout en parlant avec Damien. Gingembre et

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légumes, ça se marie pas mal, je me surprends à penser. Mon beau blond titube un peu, il n’a pourtant que deux mojitos au compteur. Ce garçon tient mal l’alcool, sa belle devra le raccompagner s’il continue. Ou alors, il a du chagrin. On sait bien que ceux qu’ont du chagrin condensent les degrés d’alcool dans leur petit coeur et ça les saoule immédiatement. T’inquiètes, je t’ai à l’oeil, disje silencieusement.


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Le chef Damien s’est installé à une table proche de mon comptoir, il traduit sa carte en anglais, comme un musicien qui décrypte sa partition alors que c’est toujours mieux quand c’est chanté. L’homme au gros appétit -je le déduis de sa grande taille et de ses mains de bucheron, vient du nord des EtatsUnis, je l’entends raconter son refus de la guerre du

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Vietnam, sa fuite au Canada et son emballement pour la dynamite, tu comprends, tu sculptes le rocher en direct, tu te prends pour l’érosion à la puissance 1000, après tu peux construire. Il a déposé un très gros sac au vestiaire -j’en toucherai un mot au chef Damien après qu’il aura cessé de promener ses yeux sur les jambes de gingembre. L’américain fixe le ventilo tandis que j’entends très — distorsions 4 —


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clairement la bande son des hélicos de l’armée américaine qui s’approchent. Mon envie furieuse de me planquer derrière le bar est tempérée par le chef Damien qui me glisse “On y est presque, pour le mojito et les tropiques”, avant de s’engouffrer dans sa cuisine. Quelque part, depuis cette région rêveuse et incertaine née des ancestraux triturages du ventilateur, de ses capacités à déchiqueter les problèmes et à recracher des bribes de solutions, Hemingway, accoudé au comptoir de la Bodeguita del Medio à La Havane, m’adresse un clin d’oeil. OK, l’Ecrivain, lui disent mes yeux, courage à tous les étages, il est temps de reprendre la situation en main. Je me mets à presser frénétiquement une montagne de citrons verts. — distorsions 4 —

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Des bruits de couverts et d’assiette et de conversations feutrées enveloppent la salle. Une hôtesse en petit tailleur noir circule entre les tables pour s’assurer que tout va bien. Loin du troupeau clairsemé des gastronomes, le garçon maki fait l’effet d’un écorché. Avec une couronne d’épines fraîchement posée, il ferait un parfait Christ d’avant crucifixion. Soudain, il se met à boire les propos de son amie comme un buvard et ça lui redonne un teint de jeune fille. Elle, a l’air plus fatigué. S’éloigne vers les toilettes. Toujours les filles vont se poudrer le nez, pourrait être l’épitaphe de la soirée. Le garçon maki sourit aux anges accrochés aux pâles du ventilo. Seul lui les voit. Le chef Damien sort de sa cuisine et scanne des yeux — distorsions 4 —

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la salle. Sa toque cramoisie lui donne un air royal, le voilà roi pourpre en quête de… L’américain l’appelle, il veut tout savoir sur les chaud-froids au chocolat, il ne comprend pas bien. Damien se lance dans l’éloge de l’oxymore en poésie comme en cuisine, l’américain hoche doucement la tête. “Tous nous avons accès à la splendeur du monde”, répète le chef Damien au moment où miss gingembre émerge du sous-sol. Cette fille outrage le temps, elle lui tient tête, elle le trafique. Ressuscitée, elle s’assied à la table de l’amerloque, prête à taper le poker, à abattre des arbres tout en fourrant son index dans le mi-cuit. J’ai envie d’envoyer une lettre anonyme au garçon maki, laisse scintiller c’est trop tard, tourne la page, — distorsions 4 —

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chamboule rien de ta vie. Lui il est toujours branché sur ses anges qui gesticulent au plafond. Je vais lever le camp, j’articule silencieusement en direction du chef Damien qui arque un sourcil vers mon comptoir. Ton frère vient avec moi, je précise. L’hôtesse en tailleur a repris sa ronde du bien-être. Mon garçon maki s’approche du bar, je lui passe une main dans les cheveux. “Le temps est venu de lécher ses plaies”, je dis, en jetant un dernier regard vers le vestiaire au passage. “Tout le monde, c’est pareil pour tout le monde. Les lécher avec soin, avec douceur, avec constance. Laisse-leur la niaque, va, fils, on rentre à la maison!”

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©Olivier Verdy — distorsions 4 —


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j a c h è r e D

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A quel moment je me suis dit ça ne peut plus durer ? Par la fenêtre, j’ai aperçu une silhouette. C’était moi. Toutes ces mois dans mon fauteuil à méditer sur le destin qui m’attendait avait fini par m’endormir. Mon présent était plein de rêve et mon passé de projets avortés. Et pourtant je n’étais qu’un jeune homme. La politique ne m’intéressait pas. Quand j’ouvrais les journaux par inadvertance, un bâillement s’en suivait. Les carrières militaire ou littéraire se ressemblaient trop pour m’attirer : de la stratégie vide de sens. Mon métier d’archiviste me permettrait-il de rencontrer mon destin ? Bien sûr, je pouvais briguer la direction de mon service, décider quels documents exhumer des dossiers poussiéreux ou au contraire les y ensevelir. Mais à bien y réfléchir, cette promotion possible ne pouvait être un projet de vie. Je n’avais aucun goût pour la réussite — sociale ou autre. En observant les hommes que je croisais au cours de mes pérégrinations, je constatais que l’amour était un de leur moteur. Jusqu’à ce jour, ce sentiment ne m’avait atteint, encore moins bouleversé. Je n’éprouvais rien pour tous ces bipèdes féminins, aux jambes recouvertes de toile sombre transparente, qui déambulaient dans les rues, qui empruntaient les escalators des grands magasins. On se croisait sans se reconnaître. Quand je parvenais à en isoler un modèle, de l’avoir derrière une table d’un café, sa conversation m’assoupissait. Pour être honnête, la mienne ne valait guère mieux. Nos monologues se heurtaient aux murs de nos solitudes. Satisfaits – du moins c’est ce que nous prétendions – nous nous félicitions d’avoir passé un moment si intense. Il faudrait remettre cela.

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J’étais jeune, il me fallait acquérir de l’expérience, forger le corps des femmes pour devenir forgeron. Repensant à l’idée de Blaise : à force de mimer la croyance, la foi finit par vous foudroyer, je décidais de pratiquer la religion de l’amour et pour cela fouler les allées du jardin du Luxembourg. Seule sur un banc, une femme lisait. Ni une ni deux, je m’asseyais à ses côtés sans attendre son autorisation. Au bout d’un instant, je lui déclarais tout de go que le livre qu’elle tenait entre les mains avait changé le cours de ma vie. C’était une entrée en matière comme une autre ; médiocre, diront certains. Elle leva la tête et tendit le livre sous mes yeux : SAS à San Salvador. Je lui indiquais sans me démonter que je m’étais mépris : Gérard de Nerval

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/ Gérard de Villiers, c’était du kif kif. Que pouvait-on faire contre les lapsus de lecture ? Elle replongea dans les pages qui semblaient la captiver ; je n’avais pu retenir son attention. Je continuais ma promenade autour du jardin. Des joggeuses me croisaient, bien que coureur en apprentissage, je ne me résolus pas à les poursuivre ; pourtant je ne manquais pas d’air, mais le souffle m’aurait manqué. Derrière un bosquet, j’aperçus une jeune fille qui écrivait dans un cahier d’écolier. Elle ne remarqua pas ma venue ; derrière son épaule, mon regard plongea. Ses réflexions portaient sur le sentiment de solitude, ses angoisses face à l’existence si effrayante. La dernière notation me fut d’un réel bénéfice : « je me sens si seule aujourd’hui dans ce parc ; personne ne me dit jamais je t’aime ». Oh oh, me dis-je, en voici une accessible. Je me raclai la gorge et pris une voix grave d’homme sûr de sa séduction. « Vous écrivez ? Si j’en crois mon instinct, vous êtes une romantique, et


je m’y connais. De loin, je vous ai pris pour une apparition qui, à mesure de mon approche, devenait de plus en plus concrète. Assise sur ce banc, vous ressemblez à la reine Hortense à Aix-les-Bains peinte par Antoine Duclaux ». Elle avait levé la tête comme hébétée, puis s’était ressaisie ; son visage s’empourpra : « C’est tout ce que vous avez trouvé, l’originalité n’est pas votre fort, si vous croyez que c’est comme ça que vous allez me glisser dans votre lit, vous vous gourez fortement, mon petit monsieur ; vous n’êtes pas le premier à tenter de me prendre par les sentiments. Tout ça c’est du flanc, je vous connais bien, vous et vos congénères, vous mériteriez une beigne dans la tronche ». Quel langage pour une charmante jeune fille si menue. Je ne m’étais pas attendu à une telle apostrophe et déguerpissais sans attendre le point final. J’avais cru qu’elle était un poids mouche. Quelle erreur ! Un poids welters, oui, avec du punch à revendre, rapide et puissante à vous estourbir un buffle. Je jetais l’éponge, il ne fallait pas se tromper de catégorie ; je n’étais pas de taille. Je m’éloignais à grands pas tandis qu’elle ne cessait de m’injurier ; derrière les grilles j’entendais encore le son de sa voix qui finit par se perdre dans le bruit de la circulation. Revenu dans mon appartement, je m’assis dans mon fauteuil qui me fit la fête. Reprenant son contrôle, il se figea dans une pose dédaigneuse. Mon inconstance l’avait blessé, je le sentais bien à ses faux airs indifférents. C’est que moi je remarque tout, faut pas croire, hé hé. Je me suis roulé une cigarette ; le tabac était frais, facile à ouvrager. Je l’ai allumée avec mon zippo Jack Daniel’s et ai aspiré une large bouffée qui me donna un petit vertige. Les volutes de fumée s’enroulaient les unes aux autres. Les yeux me piquèrent et je finis par m’endormir — j’étais bien.

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L e s enfants l e s regardent M a r i e

d e

Q u a t r e b a r b e s


One, one , one, one, one, one, one, one, ready for the show down Dans le salon, dans la cuisine, un peu partout dans la maison, ce tee-shirt et ce short, ces tennis, je vais me changer, pas cellelà, que je veux vraiment, on est toutes seules sans les parents, change pas la musique. J’en ai marre de ces vêtements. Sauvons-nous en cœur, les amies, tu ne m’attraperas pas. Ah voilà, oui, c’est bien ça. C’est celle-là que tu laisses, Zo. Ne me regarde pas comme ça. Tu ne remarques rien ? J’ai fais tomber les marches des escaliers : tac tac tic, non Nina, pousses-toi, tic tic, tac, tu ne te déplaces pas. Après tu changes de pied en sautant. Tac. Tu sautes pas, tu sautes pas, tu sautes pas, tu sautes et tu marches. Faut que t’arrives sur le pied droit, quand t’as fini le petit truc, ensuite tu changes, ensuite tu fais tac, ensuite tu fais tac, ensuite tu fais tac. Ensuite en accéléré tu fais tac. Non, pas comme ça. [ Un jour je serai danseuse ] Un nid de guêpe dans la maison, ça je peux pas tu comprends, dis Nina, laisse-la moi, ouvre la fenêtre ou la porte, j’en ai marre, je veux plus fort : la musique ! Tu peux l’écraser. One, one , one, one, one, one, one, one, ready for the show down. Cette plante est stupéfiante, ma préférée. Pluton c’est, oui, plutôt une planète. Uranus, Terre ou Neptune. This is the now generation. Il y a encore des petites filles pour rêver d’être danseuse. Tu tiens mal ton stylo, Zo. J’en ai si marre, herbivore, carnivore, quoi encore ? J’ai un cœur à la place des narines. Granivore ? Omnivore ? Mammifère, ça prend deux M. La reine des fleurs : La rose. Fleur de mai : Le muguet. Une fleur d’automne [ Ils sont marrants ceuxlà, avec leurs yeux allumés dans la nuit ] Dahlia, myosotis, tulipe. Des milliers d’espèces et comme la rétine qui ne se souvient pas. Mon dieu, mon dieu, fleur bleue, dahlia, tu savais ça ? Mon dieu, j’ai déjà entendu ça quelque part, myo-so-tis. — distorsions 4 —

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* St. Cirq Lapopie, Gratte-couille, pêche merle Violette, sinon la perle On ne va pas rester cinq minutes, Comme ça perché, musée du vin Petit musée, tourneur du vent Au revoir les magazines, frictions légères Printemps, été, où tu étais

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Dis-moi toujours, poussée violente Je vous connais sinon Violette Dans le moussu, contrebandières Moisson girofle, ça carabine Ou bien cliché petite chair Nuance givre, couleur papier.

* Titre : sinon Violette / tombales Merci mon amour Tout droit sorti du col Cœur gris, gros comme la lune La meilleure heure pour parler Statue de sel comme un présent Cassante comme le verre Fait tout exprès, fait pas la fine L’un derrière l’autre en file indienne Laisse-nous murir, ça t’en ferait Et hop enfin ! Bête à lunettes Amphibien doué de langage Blâme Lucette, c’est cher à donner Luzerne dans un champ de blé Fille folle, fille à lier.


* Mon poisson dit mon poussin Bientôt fini c’est normal Point trop n’en faut, comme tu dirais Si tu regardes, les pieds courraient Les tout-autour, les mouches autour Tu ne parles de mon petit garçon Le torchon dans l’étagère Et tout au fond, sinon

* Corps, mon petit corps C’est juste un tout petit corps Du soutien s’il vous plait J’ai du mal à marcher S’abstient pas une seconde, est fragile Secours, secours s’il vous plaît du secours Juste un petit tour Pour le reste c’est pareil Vautour, vaut rien Ma petite pousse

Violette Les mouches autour du trou.

d’intelligence Belle, tu me manques encore Cruellement lorsqu’elle n’est pas Scrutins s’abstiennent Pose pas trop de questions quand même Lorsqu’ils viennent, ferment leur cœur Sers-toi de tes mains, petite fille.

* Le chien tourne autour de la maison en pleurant tourne autour de la maison en pleurant tourne autour de la maison en pleurant tourne autour de la maison en pleur…

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J o s h u n e deuxième chance *chance H u g o

F a l c o n e

Josh étira longuement ses vieux os : la nuit était interminable.

De sa petite cabine vitrée plantée au centre de la station service, il inspecta les alentours. Les ronds de lumière jaune, immobiles sur le macadam taché d’huile,

les pompes à essence désertées, des traces de pneus un peu plus loin, près de la sortie. Personne. Une bouillie orange flottait sur l’avenue qui passait devant. Pas une voiture. Pas un chat, nulle part. C’était le milieu de la


nuit et il était seul. Prisonnier d’une sphère sombre qui s’étendait à l’infini autour de lui et s’étageait très très loin au-dessus de sa tête. Coupé de tout. Mais il s’en foutait, il avait l’habitude. Alors, un café bien chaud au creux de la main, il se replongea dans la lecture de son journal. Quand le braqueur entra

en vociférant, Josh perçut les sons mais ne comprit pas les mots. Puis les mots le percutèrent : « Bouge pas ! ». N’arrivait pas à réaliser. L’intrus se précipita sur lui, ses doigts rugueux s’incrustèrent dans son cou et le plaquèrent violemment contre la vitre. « Ne me regarde pas, hurla-t-il en enfonçant le canon de son flingue dans sa joue, baisse les yeux j’ te dis ! Baisse les yeux ! » La voix était saturée d’adrénaline. — distorsions 4 —

Balayé par le tremblement qui menaçait de liquéfier son corps, il s’accrocha, comme un naufragé à son radeau, au souvenir qui venait de ressurgir, précis et douloureux comme une lame de rasoir. Non, il ne revivrait pas ça... une brûlure soudaine au creux de son ventre, un feulement de douleur à l’intérieur de lui... Non, pour rien au monde il ne revivrait ce cauchemar, mais il avait peur, peur, peur. A en être asphyxié. La même injonction, des années plus tôt, un autre braquage... Bien

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sûr qu’il avait baissé les yeux ! Et vite encore ! Ce bref instant s’était fiché dans sa mémoire comme une bombe à retardement. Sur le moment, il n’avait rien remarqué, l’agression s’était déroulée trop rapidement. Après avoir tout chamboulé dans la cabine et prit les quelques billets contenus dans la caisse, le type cagoulé, avant de s’enfuir, avait agité son arme dans sa direction , en criant : « si tu préviens les flics, on revient te tuer ! » C’était ridicule bien sûr ! Mais ce « on revient » se vrilla dans son plexus et fit tout éclater. La peur qu’il avait jusque là plus ou moins

contrôlé rompit la dernière digue et emporta sa raison. Le souffle court, la tête brûlante, il du faire un terrible effort pour décrocher le téléphone et appeler la police. Quand les flics étaient finalement arrivés, ils l’avaient trouvé, recroquevillé sous le comptoir, tremblant violemment de la tête aux pieds. Son patron lui avait donné deux jours de congés et Josh pensa que cela suffirait. Il était costaud. Mais très vite, il constata que ce serait plus difficile. Quelque chose le minait

qui l’empêchait de reprendre pied. Il sursautait à chaque fois qu’une voiture freinait un peu sèchement au pied de son immeuble. La nuit, il se réveillait couvert d’une sueur glacée, la respiration suspendue à l’écoute d’un frottement sur le balcon, ou d’un grincement des volets qui fermaient mal. Ils étaient revenus, ils allaient entrer et le massacrer. Qu’il habita au cinquième n’empê-


chait rien. Deux de ces voyous étaient là sur le balcon, cherchant en silence le moyen d’ouvrir les volets. C’était stupide, il le savait mais l’angoisse le tenait éveillé jusqu’au petit matin, tous les sens aux aguets. Au cas où. Tout le monde avait un poids, une réalité, lui, mystérieusement,

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l’avait perdu. Dehors, la peur lui sautait dessus à l’improviste, au frôlement d’un blouson à capuche, à la vue d’un bonnet trop enfoncé, ou d’un groupe de jeunes immobiles sous des arbres. Il se sentait à la merci du premier venu. — distorsions 4 —

Il était devenu un nobody que n’importe qui pouvait écraser comme ça. Comme une mouche. Jour et nuit, sa vie était balafrée de terreurs paranoïaques. Elles lui


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laissait de moins en moins de répit. Il avait beau les juger idiotes,

il ne pouvait rien contre elles. Josh sentait qu’il devenait fou. Il n’alla pas voir un psy. Ça ne faisait pas partie de son monde. Il pouvait aller demander

à un voisin un peu de sucre ou de café, les jours difficiles... mais demander de l’aide, pour lui ? Toute sa vie, il avait juste chercher à survivre. Un pas après l’autre, un mois après l’autre. Sans lever les yeux. Pourtant au creux


de ses longues nuits de veille, il lui arrivait parfois d’avoir comme des flashs. Il sentait alors une brûlure palpiter sous son cuir épais, une douleur aigüe qui lui soufflait : une autre vie existe. Quelque part ailleurs. Très loin. Trop loin sans doute pour un type comme lui. Le dimanche surtout, cette sensation le tarau-

dait. Dans les jardins, quand il croisait une de ces familles béates qui chaloupaient à pas lents, repues de bonheur, au milieu d’un chaos dansant d’enfants criards. Ou bien dans le métro quand un couple venait se coller à lui et commençait à s’embrasser à pleine bouche, sans se soucier de sa solitude. Tout cela repoussait Josh. La vraie vie ne pouvait pas ressembler à ça. Mais c’est quoi, la vraie — distorsions 4 —

vie ? Il avait continuer à tracer le sillon de la sienne sans rien demander. Il avait toujours cru en sa force. Quelque chose de coriace, de dur, de noueux comme un bois de chêne. Il pouvait compter sur elle, et cela lui suffisait. Cet effondrement soudain durant le premier braquage, l’avait anéanti. Découvrir sous cette écorce qu’il croyait si solide, imperméable à tout, cette chose faible et gélatineuse, prête à se répandre à la première menace sérieuse... Une nuit, à bout de souf-

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france, quelque chose lâcha. Il vérifiait une dernière fois, dans le miroir usé de l’entrée, que la salopette verte qu’il venait de revêtir n’avait ni faux plis ni tâche et s’apprêtait à partir quand le craquement d’une marche dans l’escalier de l’immeuble le mit en alerte. Il essaya de se raisonner, en vain. Hier, la lumière avait sauté dans l’escalier et l’ascenseur était en panne depuis une semaine. La main sur la poignée, l’autre tripotant le gros logo jaune cerclé de rouge qui lui barrait la poitrine, il hésitait, l’oreille tendue. Après une pause, les craquements reprirent leur

progression précautionneuse. Il donna immédiatement un autre tour de clé et vérifia les trois verrous. Puis il regagna précipitamment sa chambre et s’affala sur son lit, l’esprit en déroute. Pour tromper son angoisse, il commença à compter les minuscules fleurs beiges qui piquaient le papier peint en face de lui. Mais les images du braquage ne le laissèrent pas longtemps tranquille. Leur assaut, ce soir-là, fut particulièrement violent. Le film des évènements

passa et repassa un nombre incalculable de fois devant ses yeux clos. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter. L’instant où le braqueur lui intimait l’ordre de baisser les yeux, le tordait d’une douleur aiguë, insoutenable. Il aurait voulu accélérer, sauter la séquence, mais c’était impossible. Le film ralentissait toujours au même endroit, « Baisse les yeux ! », jusqu’à se décomposer image par image.


A chaque fois, son angoisse augmentait. Puis le rythme s’accéléra. La film n’alla plus jusqu’au bout. Il boucla sur la séquence que Josh redoutait le plus « Ne me regarde pas ! » « Baisse les yeux ! J’ te dis ! Baisse les yeux ! » obligeant Josh à la revivre jusqu’à plus soif. Il avait l’impression d’être enchainé

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à un train fou, lancé à toute allure sur des montagnes russes. Son cœur cahotait dans sa poitrine, deux tours de plus et il se disloquait. Puis il y eu une lueur. Comme une porte qui s’entrebâille : c’était de la honte ! cette douleur, — distorsions 4 —

à ce moment précis, ce n’était pas de la peur, c’était de la honte !! Il attendit le prochain passage tous les sens en éveil. Malgré sa nausée, il tendit sa concentra-


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tion à l’extrême quand il entendit à nouveau la voix rauque lui hurlé «

Baisse les yeux ! », et soudain, tout s’éclaira: sa précipitation, la précipitation avec laquelle il s’était exécuté !! Cette toute petite fraction de seconde, souve-

nir infime inscrit dans sa chair et qu’il n’avait pas digéré, explosait enfin et lui ouvrait la compréhension de tout le reste. Baisser les yeux bien sûr, que faire d’autre ? Mais pourquoi si vite... ? Rien ne l’y avait forcé. C’est ça


qu’il n’avait pas encaissé. Tout bêtement ! Un courant d’air frais le balaya intérieurement. Josh exultait. D’un bond, il sauta hors du lit et esquissa quelques pas d’allégresse sur le parquet. Douce chaleur de la caresse du bois souple sous ses pieds nus. En glissant, il alla à la fenêtre et ouvrit

en grand les volets, les faisant claquer avec jubilation. Personne sur le balcon. Il était libre. Il venait de s’évader. Un vent coupant lui brula les narines. Il aspira goulument. Longuement. Puis, ivre et transi, Josh finit par regagner son lit en titubant, éreinté comme après un match de boxe. Il s’enroula dans ses couvertures et s’endormit d’un coup. Josh retourna à sa vie de tous les jours. Les — distorsions 4 —

choses étaient redevenues comme avant. A part un détail. Les enfants du quartier semblaient avoir moins peur de lui. Encore n’auraitil rien remarquer si il n’y avait pas eu cette petite fille à la boulangerie, un matin où il rentrait épuisé par sa nuit. Elle lui avait tendu un crocodile en guimauve bleu. Surpris, il avait ouvert lentement sa main. L’espace d’un chatouillis, il s’était retrouvé avec un petit saurien, aux écailles poudrées de blanc, niché au creux de sa grosse pogne. La petite

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fille lui avait souri gentiment dans la lumière froide des néons. Il lui avait souri à son tour, timidement. Il avait gardé très longtemps le petit croco dans sa bouche, le suçant avec précaution pour qu’il dure. Quelques jours plus tard, il en avait acheté. Les mêmes. Des bleus, mais aussi des jaunes et des rouges. Le soir, devant sa télé, de temps en temps, il en laissait fondre un tout tout doucement dans sa bouche. Le dimanche, quand il sortait faire sa promenade au jardin, il avait pris l’habitude d’en glisser quelques uns dans sa poche. Avec le secret espoir que peut-être...

on ne sait jamais, un enfant s’approcherait suffisamment de lui pour qu’il puisse lui en offrir. Cela n’était pas arrivé souvent mais ce n’était pas très grave. Pendant qu’il somnolait sur son banc, à l’ombre des châtaigniers, il les tournait et les retournait entre ses doigts à travers la douce cellophane qui les enveloppait, et cela suffisait à le rendre heureux. Parfois, il repensait à cette nuit, à ce regard qu’il avait baissé trop vite. Cela lui faisait l’effet d’un cailloux dans sa chaussure, et

pendant quelques jours, il claudiquait, malheureux. Il avait trainé ce regret pendant des années. Aussi, cette nuit, une chose était sûre : si le nobody devait mourir, ce ne serait pas sans résistance. Cette fois, il ne se coucherait pas de lui-même comme un chien devant son maître. Son agresseur hurla à nouveau. Malgré la tremblote qui secouait sa vieille carcasse, Josh se força à comp-


ter jusqu’à cinq, en détachant bien chaque chiffre dans sa tête. Plutôt mourir que de retrouver en lui le goût de cette soumission précipitée qu’il sentait juste là dans son ventre prête à tout submerger. Arrivé à cinq, au bord de la panique, il fit encore une petite pause, pour être sûr, puis aussi lentement qu’il put, il

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détourna les yeux. La main qui lui broyait le cou, le courba sans ménagement et claqua sa tête contre le formica éraillé du comptoir. « Bouge pas où je te tue ! » Mais Josh n’avait aucune intention de résister maintenant. Il — distorsions 4 —

avait déjà gagné. Pendant que la petite racaille vidait bruyamment la caisse, Josh observait le visage qui se reflétait dans la vitre en face de lui. Un visage


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dont les rides étaient presque effacées par une paire d’yeux noirs

où flambait une joie silencieuse... Une chaleur inconnue pulsait dans ses veines. Alors, dans un élan soudain, Josh, de tout son être, remercia le destin qui

lui avait offert une deuxième chance. Il entendit le braqueur s’éloigner en courant. Redressant la tête, il l’entraperçut s’engouffrer dans une petite bagnole où s’entassaient déjà deux autres gars. La voiture bondit rageu-


sement sur l’avenue et la nuit cotonneuse avala rapidement les petites taches sanglantes de ses feux arrières. Lentement, il sortit faire quelques pas devant la cabine. Il se sentait vivant. Vivant et heureux comme jamais auparavant. Entre les deux rangées de pompes, une petite souris, le museau frémissant, entrepre-

nait à pas menus de contourner une grande flaque d’huile qui dessinait sur le goudron une mer inconnue. Un poids lourd passa en trombe sur l’avenue. « Faudrait peut-être que j’appelle les flics !». Il était un peu surpris de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il écoutait sa respiration aller et venir librement. Tout autour de lui, la nuit s’étendait toujours à l’infini mais, sur ses épaules, elle ne — distorsions 4 —

pesait pas plus qu’une plume. Josh farfouilla dans les poches de sa salopette à la recherche d’un petit crocodile. Il finit par en dénicher un, coincé dans la doublure et le porta à son nez. Il sentait le tabac et l’essence, il avait séché, sa peau était dure. Cela devait faire un moment qu’il croupissait au fond de sa poche. Il le glissa dans sa bouche et mordit dedans avec précaution. La peau craqua facilement et Josh sentit avec délectation se répandre sur sa langue le cœur fondant du petit animal.

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Niaque // ©Pierre Clément Julien


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Vu — 58 —

de la Lune ×

Exploser

sa race laurence FAURE


Votre véhicule vient enfin d’alunir mais les mauvaises conditions de ce voyage et de l’alunissage ayant définitivement évincé les raisons de conserver le dit véhicule, vous voilà donc dans l’obligation de le quitter et de rejoindre la fusée mère distante de 150 kilomètres du cratère où vous déballez désormais ce qui peut encore être sauvé Dans la précipitation vous sortez tout. Vous avez raison. Et même si l’inquiétude est grande vous avez quand même la prudence élémentaire d’enfiler votre armure de cosmonaute. Ainsi, vous voilà, avec vos quatre autres compères, en tenue, chacun indépendant et autonome pour 4 heures en termes d’oxygène, de nourriture et d’élimination. Tout est déballé sur le sol de ce qui pouvait être sauvé du véhicule désormais inerte et qui périra sous le joug des radiations interstellaires. Alors, puisque vous ne pouvez pas tout prendre de toute cette masse d’objets et d’ingrédients sommairement retenus d’envols probables par un système de cordages, et que vous avez néanmoins à parcourir ces 150 kilomètres, de cratère à cratère, pour rejoindre un peu de terrienne civilisation, et que votre vitesse de déplacement, à pied, sur la Lune, en tenue adéquate, requerra de votre corps physique un plein emploi de 4 jours, vous avez pour mission de choisir tactiquement ce qui est INDISPENSABLE à votre survie….

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Voici une liste et vous devez sélectionner ce qui est pour vous dans ces circonstances le plus important : -

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-

allumettes canot de sauvetage bombonnes d’oxygène microscope nucléaire BD de Rahan aliments lyophilisés en sachets câbles poches intestinales pour déjections humaines carte du ciel fusée lumineuses – 3 – les autres ayant été écrasées parachutes – plus que 2 drapeau montres – 7 piolets – 3 cordes – 100 mètres de diamètre 3.5 – 300 mètres de diamètre 20.5 trousse de réparation armures – 2 rustines…


Camille entendit la porte d’entrée claquer puis un soupir et une chute de sac. C’était Maman qui venait de rentrer du boulot. Elle était probablement en train de retirer ses chaussures dans l’entrée, puis ensuite irait-elle dans la cuisine faire chauffer de l’eau pour le thé.

Pas de sachet de thé dans la liste. Maman adore le thé. Maman ne peut pas devenir cosmonaute. Ou alors en buvant du thé en cachette.

- Camille, ma chérie, tu es dans ta chambre ? Maman revisite les choses point par point. Maman ne se laisse jamais embarquer par les évidences. En cela, Maman ne peut pas se faire surprendre par les aléas de la réalité que Maman réinterroge régulièrement. Pour vérifier l’état du monde.

- Oui, Maman

-

Camille déclencha la lecture aléatoire de fichiers sons sur son ordinateur. Un hurlement suivi d’un riff envahirent la pièce. Pourquoi des rustines et des cosmonautes ? Les cosmonautes sont des nostalgique de leurs chutes de vélos d’enfants ou les auteurs croient que les lecteurs sont cons ? — distorsions 4 —

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- Maman ? De la cuisine, parvient la voix lointaine qui peine à se faire entendre au milieu du rock qui démarre

- Oui, ma chérie ? - Tu m’en donneras à moi aussi du thé ? Si j’étais cosmonaute, je m’arrangerais déjà pour avoir le droit absolu d’avoir une armure rose sang avec des stickers noirs et blancs collés partout écrits : ELLE DECHIRE SA RACE !!!! Et puis non, être cosmonaute, ne pas emmener de rustine mais pouvoir écouter Iron Maiden en regardant la Terre, de loin.

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- Camille, de la cuisine je ne t’entends pas avec cette musique. Baisse ! - Quoi ? - Baisse ! Est-ce qu’on pourrait dire : ELLE BAISE SA RACE ?

- Baisse ! - Ok ! Quand je serai cosmonaute, et que j’écouterai ce que je veux au volume que je veux, et que ma mère sera dans une maison de retraite où des gens lui feront du thé au goûter,


je saurai déjà depuis longtemps pour l’avoir vécu que la chose la plus importante, c’est déjà respirer et manger - Bombonnes d’oxygène - Aliments lyo Camille appuie sur une touche. Un tonnerre se calme dans les enceintes

- Ok Et que si on est loin d’une station mère et que celle-ci ne peut pas se rapprocher de vous, c’est à vous de tout faire pour sauver votre peau et tout faire pour vous rapprocher d’elle. - Carte du ciel La mère entre dans la chambre

- - - -

Ta chambre est un vrai bordel ! C’est normal, tu n’as pas fait le ménage et la force est avec moi Tu exagères Ils m’ont déposée et Lou est venu me filer un truc, ça s’appelle : Vu de la Lune. - Et alors ? - Nul …. Tu connais Rahan ? La mère sourit et s’assoit près du siège. Elle se penche vers Camille. Elles s’embrassent, malgré les fils et les tubes.

- Un peu. Un personnage d’un autre âge, l’âge de pierre, des cavernes, je lisais ça quand j’étais petite. Quel rapport avec la lune ? — distorsions 4 —

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- Laisse tomber. L’auteur du truc qui se veut une énigme est au moins aussi vieux que toi. - Merci, ça fait plaisir. - Oui, mais lui, il est pas ma mère qui va me sortir de ma super armure électronique d’handicapée du 21ème siècle qui se déplace un peu en apesanteur grâce à son équipement ultra sophistiqué - J’aime pas quand tu parles de toi comme ça - Maman, je voudrais être cosmonaute ! Et faire l’amour en apesanteur, je vais avoir 14 ans et depuis cette explosion plus un seul mec pour me regarder avec les yeux de la concupiscence ! Il ya Lou. Mais lui, on se connaît depuis la maternelle. Piolet, microscope nucléaire et BD de Rahan pour qu’il soit beau et fort et intelligent et que si on est tout les deux paumés dans la galaxie, il me réparera et on fera l’amour en apesanteur pour l’éternité de nos bombonnes d’oxygène. Il, se serait Lou ?

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- Ma chérie ! N’oubliez pas que vos repères connaissent de solides remises en question sur la Lune. Sur la Terre !

Et que votre temps, limité, nécessite des prises de décision rapides.

Je le sais, je le sais, je le sais. Ça fait longtemps que je le sais.


Depuis l’explosion et depuis le coma et depuis mon corps éclaté. La corde, toute la corde, quel que soit le diamètre, et puis des câbles, pour me relier de moi à moi, pour faire tout se reconnecter qu’il n’y ait plus un seul bout de viande inanimée Et des allumettes, et des fusées lumineuses pour fêter ça : le rebranchement de la comète abimée que l’on croyait définitivement perdue qui se remet à parler, à penser, à sentir, mais pas de partout

- Ma chérie ! tu pleures… tu as mal ? - Arrête de me traiter comme une gamine. Je suis une femme ! Je veux que tu me fasses faire des stickers chez un imprimeur pour mon anniversaire ! 150 ! et que ce soit Lou qui me les apporte, et qu’il m’en colle partout sur mon siège de cosmonaute et mes appareils. - - En parachute, en canot de sauvetage, avec ou sans trousse, sans poche intestinale, on plantera un drapeau et on arrêtera nos montres. Et tout ça parce qu’un jour, il aura collé des rustines magiques, 150, sur tout mon corps, le vrai, le faux, l’électrique, l’organique, avec écrit dessus : - ELLE EXPLOSE SA RACE !!! La mère dépose une tasse de thé avec une paille à côté du clavier. — distorsions 4 —

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Elle sourit dans un grand visage qui a envie de pleurer aussi.

- C’est la Lune qui te fait ça ? tu sais, quand j’étais petite, voir la Lune en plein jour, c’était une expression détournée pour dire qu’on avait vu les fesses de quelqu’un.. - T’as tout compris Maman. J’aimerais bien montrer la Lune. Mais après travaux, elle est encore en montage.. - Tu veux que je te laisse ? - Pour mon anniversaire, tu me laisses faire une super fête, c’est ça ? - Oui - Et tu acceptes de partir ce jour-là ? - Oui, si tu veux, tu m’expliqueras ce qu’il faut préparer mais tu ne peux pas rester toute seule.. - T’inquiète, si Lou est d’accord, il dormira ici. Il assure. Et puis tu vois, rien qu’avec son Vu de la Lune, il sait me faire voyager. Maman, j’ai besoin que ça déchire..

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N’oubliez pas que l’important dans les situations extrêmes est de respirer, de se ravitailler et assurer les conditions de son voyage.

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Sans titre // ©ssdp31121988


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T r o i s — 70 —

quatorze

C h a r l e s

L e f r a n c


Il balaye d’un regard trois-cent-soixante degré le monde qui l’entoure. Tout est calme, parallèle. Cloîtré dans sa voiture, cube roulant qu’il ne quitte plus, il fixe un point de la maison lumières éteintes, somnolante dans le silence de la nuit. Il a pris sa décision depuis maintenant sept jours. Sept journées et trois mille six cent cinquante autres à ronger son frein. Ca fait un bail qu’il rumine son envie et maintenant il va agir, le soustraire, aussi sur que deux et deux font quatre. Il regarde dans le rétro et touche du bout des doigts ses grains de beauté qui foisonnent sous son oreille ; présence rassurante d’un héritage génétique, inconnu, réel et présent. Depuis qu’il avait quitté l’école, il cumule les petits boulots, erre approximativement partout, à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un, lui qui était né sous X. Mais le résultat est qu’il se trouve de nouveau au point de départ avec comme combinaison, cet homme dans sa demeure. Une ligne droite entre lui et ce vieux, pour le gommer, tel sera l’équation finale.

À sept heures cinquante-six, il verrait les lumières et trois minutes plus tard le vieux entrerait dans la cuisine. Il connaissait l’emploi du temps de l’homme à la minute près. — distorsions 4 —

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Pareil ce vieux il y a dix ans, entrant dans la classe pile à l’heure, ne supportant pas une minute de retard, additionnant les sanctions pour les plus mauvais élèves. Son prof de math et lui souffredouleur. Debout derrière un tableau à devoir répondre quart de tour aux tables de multiplication, avec autant de rapidité qu’un abruti de candidat de jeu télé. Sauf qu’il était devenu le perdant qui revenait toujours en deuxième, en troisième, en quatrième semaine. Perpétuelle victime d’un sadique des chiffres. Six fois sept ? Trois fois neuf ? Sept fois huit ? Et les craies commençaient à pleuvoir sur

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sa tête. De temps à autre il pouvait voir le sourire de ses camarades jubilant devant sa mise au pilori quotidienne. Et la voix du vieux qui l’enfonçait toujours plus. Y’a vraiment rien qui rendre dans votre tête d’abruti, un vrai zéro, nul ! En fait il arrivait quand même un peu à compter ; combien de coups lui défonceraient le crâne, la dimension de la lame qui tracerait un demi-cercle sur sa gorge tangeante à son sourire, le théorème qu’il graverait sur sa gueule après l’avoir refaite à l’équerre. Un jour l’enfer s’est arrêté, le vieux a pris sa retraite, lui est parti compter fleurette ailleurs. Sauf que le compte à rebours s’était mis en marche, il lui était insupportable que les jours défilent sans remettre


les pendules à l’heure. L’équation devenait simple : lui en moins égale moi en mieux, s’était-il dit.

Il est temps d’y aller, la lumière donne le signal. Il vérifie la batte cachée dans sa manche et entrouvre la porte. Le couloir amène à la cuisine qui lui montre le vieillard assis sur une chaise. Le dos de l’homme est voûté tel une courbe faite au compas, pourtant tout paraît dysimétrique. Le crâne est dégarni, les mains tremblantes. Fugacement il voit. Dans le cou du vieux, sous son lobe droit d’oreille un parterre de grain de beauté. Son coeur joue plus vite que la musique. Cette proximité physique lui donne un goût spécial dans la bouche, sa température monte en pic. Ces variations stoppe son élan, il attend dans l’angle caché de la porte. L’espace se réduit, en une fraction de seconde il comprend. Il est le centre, hauteur, largeur de sa folie. Même la troisième dimension qui résonne en lui ne fonctionne plus. Pied droit trainant suivi du gauche plus lentement, il refait le chemin en marche arrière, le père s’effaçant au fur et à mesure de son regard zombie.

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L'énergie // ©Jérôme Dem


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Cour— 76 —

roux

Marielle Gramm


corps des fils ou des filles. dents. les moi filaments qu’il savoure. sous ses ongles, sous terre. sur le stimule, vitaminé. parle d’une voix traînante. sur le nourrit de là ; ne parle pas d’elle ; que là n’est d’elle ? versent le voir. de la tête. je. réelle, l’histoire s’inspire de fait. elle a choisi. brûle de langue. sang sur canines. n’entend de silence. personne. la langue principale que seule l’enfant. dimensions trois. d’en. toucher de peu qu’elle : mordre, retenir, couper. du corps. raccroche blanc, l’enfant d’elle (ne fait pas membre principal). une cause du vivre et chanter. les t’arrêtes, inverse de soit là : TU et les meurs du TU. par la canalisation de la et le. l’écran sur elle. privilège : leur pas en avant. N’y a-t-il pas une image de que, sur une fenêtre de là ? s’ouvre trappe d’où quelques secondes. même sans dent. le soixantième d’après pagine. nous croquons. d’elle lui. trame de bonnes choses. d’une de ces histoires. le plutôt métaphorique de peu de l’ONU et la crise, non ? voltige haut des bruits ici, écrans divisés. type de journée, voici en dollars U.S : elle assiste à la faim de là. parle des films, elle, des différents films. la tête des souffles hors d’I. nerfs des larmes, fatiguent les fils. affect 15. sous moi.

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dans la tête des souffles hors d’ici. corps du fils de dessous, clous sous le son, couvertures : avec le sol des larmes d’I. Qu’il existe d’autres liens, sur d’autres plans, entre ces deux affaires, c’est possible. quand chute dans l’hors l’héroïne. de là indique bouche globale la scène érotique du bruit en date. ne dirige pas. croque de la sorte. par le drain et l’écran de dessus. elle. de service image. cela goutte l’épice et l’orient. une fenêtre s’ouvre sur la saveur du croquant. le soixantième selon pagine écrit. de la trappe. rit de lui. tissez le bon d’un. plutôt autrement de métaphorique de la petite O.N.U, n’est-ce pas? maintenant, à la fumée nécessaire. tueur d’artérielle. pour la faim, inverse de ton volette en lui. type de jour ici de dollars U.S : nombres d’éclat ; compte de lui ; pour excaver des goûts d’elle, la dépense – ils ont pour voir – retourné. de la sorte, un salaire de cela (il de moins en moins). presse évènement. façon pour tous, incompétent complexe : aussi l’O.N.U à écrire ni d’Eve ni d’Adam. là de bouffe de je, nerfs, sous moi, de la tête aux pieds, filaments. la de bouffe d’en tête. savoure. corps du fils, de la fille, ongles dessous, déchire sa voix/terre. et de là.


de parle de : elle n’est de là, le de que de ? versent le voir. canines. s’inspire de faits réels de l’histoire. et bouffe la tête. quelqu’un choisit celui. qu’elle a lu. brûle de langue : O.N.U. Le core/op lui incite. qu’elle touche de peu et mordre, retenir. couper. l’enfant. se raccroche : un corps. membre du corpus. on se régale. Jus. de fruit. adrénaline. du privilège de leur. cou. secondes d’où quelques fenêtres et la trappe. écrites s’ouvrent les pagines. il rit. de la sorte. d’elle, une impasse. trame de bonnes choses a choisi. dactylographiez, voici. sa journée : assiste d’elle. des différents. d’Ici hors des soufflés et du sang : tête, larmes, nerfs. appréciez d’ici les pneumatiques. le pointu. l’ivoire. avec le sol des. molaires. l’héroïne de descendeur de quand l’enfant. d’où elle indique la date et le bruit. monte de ne jamais. là là : petit O.N.U plutôt métaphorique, non ? goûts excavés, la dépense. le pas, bien sûr. façon de tous. le Pas. Bien sûr. parle d’un fruit. réel. tire. ouvre la scène. serre mâchoires et poings. stimule. coupe. du sol, les presse. dont il jouit. brûle et croque. toute vie ouverte. sur.

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©Vudici ©Namco/Iwatani


& © Namco / Iwatani

© vudici

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avoir la gnaque …

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ici


j'ai la gnaque

tu as la gnaque

il a la gnaque

nous avons la gnaque

vous avez la gnaque

ils ont la gnaque

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ici

ici ici

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ici

là-bas

ici aussi


Blinky a la gnaque Pinky a la gnaque Inky a la gnaque Clyde a la gnaque

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NIAQUE LA CHIENNE

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Pierre-Clément Julien


Il était l’heure. La chienne l’attendait déjà au bas de la porte d’entrée. Il prit la laisse posée sur la commode branlante qu’il avait récupérée en bas de son immeuble, actionna la poignée pour que Puce-­puce aille l’attendre dans le couloir. Pendant que la chienne le regardait verrouiller la serrure, Octave se demanda s’il devait prendre son parapluie. Il haussa les épaules, pour se dire à lui-­même : « A quoi bon ! ». Il prit les escaliers et non l’ascenseur pour que la chienne fasse de l’exercice. Il pensait que c’était bon qu’elle descente à quatre pattes les cinq étages, donc excellent pour son transit intestinal, pensait-­il. Le ciel était obscur, presque patibulaire. La pluie n’avait pas commencé à tomber. Il fallait à tout prix que la chienne chie rapidement. Octave respira l’atmosphère polluée du Boulevard Voltaire. Il observa Puce-­puce pour estimer le temps qu’elle allait mettre à cette pause matinale incontournable. Puce-­puce ne sembla pas être ni pressée, ni stressée d’accomplir sa tâche. Elle reniflait les odeurs du trottoir. Elle semblait rechercher une crotte pour pouvoir à son tour déféquer. Or c’était d’une propreté impeccable. Les employés de la ville venaient de passer. Paris devenait désespérément aseptisé. Le temps passait, et rien ne se sortait. Octave devint contrarié devant la constipation de Puce-­puce. Il se remémora ce qu’il lui avait donné à manger hier soir. Il ne parvenait pas à prendre la décision s’il continuait la promenade ou s’il remontait à l’appartement. Il encouragea Puce-­puce du regard, puis par des : « allez mon bébé, je n’ai pas que ça à faire, dépêche-­toi un peu, ma chérie ». Il regarda sa montre d’un œil désabusé. Toujours rien. Bah, se dit-­ — distorsions 4 —

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il, elle fera à la prochaine sortie. Le soir arriva, il descendit Puce-­ puce pour sa promenade nocturne. Octave commença à s‘inquiéter. Dans l’après-­midi, il avait eu la visite d’un huissier pour des loyers impayés. Sans travail, avec un revenu minimum, c’est sûr que dans quelques jours, on allait les expulser. Il soupira en imaginant sa Puce-­Puce près de lui la nuit sous un pont du Canal Saint Martin. Jamais elle se supporterait cette situation. Elle avait besoin d’un minimum de confort. Pour l’instant, il fallait qu’elle fasse cette chienne, qu’elle chie Nom de Dieu ! C’était vital sinon elle allait éclater, crever dans des douleurs atroces. Octave en avait des sueurs froides. Il lui donna alors des conseils. Il l’exhorta de se concentrer pour qu’elle expulse tout ce qu’elle avait en elle. Devant le bureau de tabac, il hurlait sur sa Puce-­puce qu’elle devait chier. Les gens le regardaient l’air effaré, ne comprenant toujours pas très bien le sens de ses propos. De rage, pour se calmer, Octave rentra dans le magasin et fit avec les deux euros qu’il lui restait en poche une grille de Loto. Quand il ressortit du bureau de tabac, sur le trottoir, une belle et grosse crotte l’attendait avec une Puce-­puce qui remuait joyeusement de la queue. Le soir devant le poste de télévision, Octave jouit de voir qu’il avait gagné le gros lot, un peu plus de vingt millions d’Euros. Depuis Octave a la niaque, car chaque fois que sa chienne chie, sa vie s’embellit. Aux dernières nouvelles, Octave vit entre New-­‐York et les Baha-

La Niaque

mas. Il a rebaptisé sa chienne . Elle est devenue après la une de « Time Magazine » la coqueluche du tout Hollywood.


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Modification Polaroïdienne // ©ssdp31121988 — distorsions 4 —


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e d n a r f f O — 102 —

Catherine Bédarida


gions a t n co jour, herche e d elles chaque c ce, b , t i a de nu re amer, sse la gl cas s e l l Be . Suc aoule. Ca , un fra se t û f f à l’a , le suc s n flacon ? L’ivres ue e lle ne chaq un frisso me fréti de vitess ui e an j’offr ements, q sses à gr lées, e ôl sa de fr e ses prom Boissons is, je me pl ; ag e. prop orescent Dans les ’évapore s. m ph phos s poivrée replis, je prise. s de ap para dans me ie d’être e; pr dépli nuit, je la dans pête m e t i o es-m moi t i a f s, ezarbre , virevolt z-moi ne es plum ourbillon xaucée e ,t vents it, on m’a u une n ut que o n t a t s m c’e je me mante , une s , i s u e i p s a e d je m’ des cares , s i u dep argenté l’ , je ique dans e magnét caresses es nc abse argenté d l’ es, je s s dans te e r en es ca m’inv rgenté d l’a une e dans ut s o je p to c’est n ventre, o s nsée te sur m le, e p s i il an ro jonqu olettes, t e et je ch vi dr deux et je ten tend se at j’arro celle qui is je su pérer s s e e i à litan à venir, is je su — distorsions 4 —

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t oi, rs, s veu u m u e t o fl e n mes urgeons s à qui on bo mes ous donn n nous ut et le , o e t r n t i c’es ts à crie ur la Se ui ,s des n e pleine ntemps etits p n i , u r s l une oux du p branche d les saule at sous mot bb ppel. n a a u s . n n s u é u touff été étiré, nuit de é s e rir é rép . une mi e livre. r u m mur herbeuse ains, je m . m re le paro de, à ces me déliv u je mara s lèvres, ant, un ce ch dans cri, un un c’est lement t pas u l e i o i t e a t u ’ s n rec n, c’e st la vie, i t a au m son, c’e uis un b peur rs t leu n e d scan : “Ni s e u tasq veux-tu ste ça, n a f elles uche que i jour, ju Elles b s e D . bo it n u à n ant” , s i n n n e a t , g r n slo futu ant, mai leurs pas i n é pass , un inst usses à c elles, là ve eco juste t, mille s s yeux. A ce ; j’en ur nan en invit lairs à le ide s’av cre effro éc sa um mille ntagne h time. Un . o is ’in une m vrille à l s, je fléch i is, roug re, je frém exs e f r f u s té s’o mmis o c . verte u o ’ r ent s. quise


c. ant. i h m c a i chic illant, d c i h c r elles. rillant, b b ! elles, ! ! ha tendu. a h h e es. waou astes, fêt anctuair f ,s elles, , susurre lant, l i r s b n ! . deda ha ! ha s lèvres le s! souri ngue sur t. n a n’est l a ? . s s r s e e ell renv est-ce pa , t n a ? n’ brill s a ui. p o e , c i u t o n’es ? chère. oui, : e i s r ce pa o. solo. c , claque. rg e. tre emba res, mon ha, crach ! a , oi mâch atorio, ha lo. ha ! h so or gros sanglots. ha, ha ! raque, te .c ro, tripo zéro. zé , égosille lle éro num e, éparpi que, ra lèr accé ac-clac. t cl crie. ac-clac. cl , prie. dans e n d e am s. au d n e c stop nds. des s. u pour e o c s s s a s e e p d d . re ssus r. basta e d s san a douleu pour oms c l a s e p a c ber qui ? as vue, p r u o toi, p rquoi ? p , non, pas. e u i i o r u p o toi, ais-toi. s pas. ne .t di prise pas. ne ns ne se . lie supp ille.

et ve

ne.

g et co

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mon tout

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tra-

e gagn r u e ma t cœ d n t u a r d v uée ne so er, a Une b veux cri ais rien lysie des Je ra e. ,m vers. partent udre, pa nte vacill fo les ce qu’el . Coup de e fluores albutie : he gu eb bouc , ma lan gorge, j ma les paro ne dans ière, m u i l p ains explose Une é s”. m s e que nd e, s “atte x lumièr e bourras ma vitre, n e eu Ses y e. Vite, u e, derrièr s, courbe lor ul ule j’imp écale. Se . Ses épa ppel de d re ,a et me et je dési décolleté e la rend e s n je rêv resse. So l’origine e de ride ue nd err de te s. J’invoq on cou, t ventre, se n ts cares Il y avai avait so frande. e. ly of contr uceur ; i leur et d’ ns pas”, do vie ha réet de ille de c ns”, “ne our la cé p ssa vie brou ayait : “ masques ég es Elle b éparais l pr jour, et je e d s e. sque nant. a t n moni a t, f luci i l u a n h es de en fluide lactées, u q s a Fant e dérive s, étoiles so. Blues di un ne chac s noctur tail Para Pôle à s. e. on ck Boiss ment. Co nts voyou à cascad e eire me déch Effleure s, cascad îlot, dev ée o. vre indig vres à lè ant cri. N venant lè de u en pôle, ffle, dev urmure, es, aperç m ou fé Née s éan. Née ses dégra s vêtei oc le nant ème. Chem ain sous m h . blasp bres. Une t tremblé la peur. é en m des o miroitem ai profan J’ s, ment é la nuit. êv J’ai r


ave. r g n au so ins s g n s go . Les ma rae l s é dan syncopes la callig p o l a s J’ai g ueilli les igts dans mots sou s cc do J’ai a soie, les noire. Le la he sous la fourc t ardent. de an onde phie s à l’inst b a g u nt va es myoa n l’hum e sé d dev s , u e o d oma ont p née n oignets, t un i sp a e r t m x à j’ai e , s o s d soti sac à n o de m the ilés, u g n i r r a laby des n e é m parfu s e é e chu m p u r u q o f a c la ch es Dans ’ombre d métisse, doigts, e u ux el pass s. Musiqu issimo a e à la pea é ian pp affam haque, p es. Je fra proche, c ap or chote do aux p ffre une n :o glissa tambour s n rf de so ’orée. Ne el es in i ouvr d o l s, mé éserts, é r d pou ce des d s e x és, se e, patien d r o c r c désa Je désaltè ières. iv s. finie nce des r tie impa liane t n a even ant étoile d , e i rt n en née o llou, dev nt chemi e ai qu na née c be, deve ant musi er en née h nce, dev ile née s

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Dépassement Laurent G.


8h07 dimanche 21 avril : Pierre commence à trottiner pour s’échauffer. Toujours difficile de démarrer dehors aussi matinal après une dure semaine enfermée à la régulation du trafic ferroviaire. Réguler sans faille le tempo des trains et passagers, gérer la synchronisation

sans

faille des déplacements des uns et des autres c’est un sacerdoce, et quel bonheur de respirer enfin librement l’air frais du matin ! Pierre contourne la marina des péniches endormies, passe le pont de briques qui enjambe le canal du Midi, rejoint le chemin de halage défoncé par les racines des platanes centenaires et accélère doucement sa course. 8h12 : Martial sort de sa voiture, juste descendu des collines de Vigoulet-Auzil : le canal du Midi est de loin l’endroit le plus plat et le plus agréable pour courir dans le coin. Il se gare maintenant devant l’église de Castanet-Tolosan, à quelques centaines de mètres du canal, parce qu’une fois, garé près de l’écluse, il avait retrouvé sa voiture sur cales et sans roues. Déjà en tenue de course, il — distorsions 4 —

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s’étire un peu en marchant, et commence à courir souplement sur le bord de la route. Pierre court toujours seul. Son niveau

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n’est ni aussi élevé que celui d’un sportif de haute compétition, ni aussi lent que celui de ses amis moins entraînés. Il s’est habitué depuis des années à cette heure de tranquillité qui lui permet de se débarrasser des soucis de la semaine. Le cerveau occupé à éviter les chausse-

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trapes du chemin s’égoutte de tout, pai-

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siblement, à chaque foulée ; cette course matinale lui procure toujours une merveilleuse sensation de bien-être et de délassement. Martial est un athlète entraîné, petit de taille, râblé et puissant. Jeune retraité des commandos parachutistes, il a gardé de ses années d’armée le goût de l’effort physique intense et quotidien. Après la course, il fera le parcours d’obstacles qui borde le Canal, des séries de pompes, abdominaux, tractions et assouplissements divers pour entretenir tout le corps. La course, il connaît : on l’a déposé


plusieurs fois en terrain ennemi avec son barda loin de l’objectif à la nuit tombée. Planquer le parachute, retrouver le commando, trimballer vingt-cinq kilos de matériel, les rations, les armes, les munitions, la radio, au pas de course sur vingt kilomètres, dans le noir, pour arriver frais au combat avant l’aube, tirer et échapper aux balles, avec de l’entraînement c’est de la gnognotte. Et porter un camarade blessé sur la même distance au retour, ils doivent tous pouvoir le faire. Le plus fort survit, et c’est tout. Le rythme du souffle de Pierre se cale sur le rythme des jambes, gauche droite, deux inspirations, gauche droite, deux expirations, le cœur monte en cadence vers son rythme de croisière de cent quinze battements par minute. Le silence est à peine troublé par le son sourd des voitures au loin sur l’autoroute. A gauche, le paysage s’anime, une série de champs encore nus et de petites fermes vieillottes. A droite, les arbres défilent, quelques branches tombées pen— distorsions 4 —

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dant l’hiver, la nage d’un rat musqué traversant l’eau crée un train de rides à la surface désespérément lisse du canal. Quelques effluves de décomposition

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de feuillages remontent de l’eau vert sombre.

Maintenant, Martial s’entraîne pour le Marathon, avec l’objectif de moins de deux heures quarante. Et là, c’est sacrément tranquille : short de course et maillot moulants, chaussures ultra-lé-

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gères et amortissantes, une heure de

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course, café au bar au retour, brochettes au barbecue à midi, la belle vie ! Martial aime sentir sa foulée prendre de l’ampleur au fur et à mesure qu’il s’échauffe. Encore un peu et il aura son rythme de croisière. Le Canal se rapproche, un petit pont de briques roses l’enjambe en une arche qui surélève la route. De l’autre coté à gauche, venant de la direction de Toulouse, un autre coureur longe le canal, et passe devant Martial alors qu’il franchit le pont. 8h17 : Pierre arrive au premier pont du parcours. Il voit un autre coureur le


franchir et lui emboîter le pas quelques mètres en arrière. L’autre, plutôt petit, semble avoir un bon niveau aussi. Un peu distancié au début, il recolle doucement. Le léger choc cadencé de ses semelles parvient progressivement à ses oreilles. Martial tourne à droite et lui emboîte le pas. L’autre coureur est un peu plus grand que lui, une foulée plus longue, mais Martial est déjà plus véloce. L’air de rien, sans forcer, il le rattrape progressivement, venant presque à son niveau. Dépasser un autre coureur à peine plus rapide, c’est long, une connivence se crée avec les pas et les souffles mêlés, parfois une sorte de compétition et de comparaison virile et amicale pendant quelques minutes pour un bout de parcours commun. D’autre fois, c’est le grand plaisir de Martial de dépasser rapidement un concurrent plus jeune, l’entendre peiner et rester derrière, alors que le chemin se dégage pour une course à nouveau solitaire. Courant à la même vitesse, la cadence des jambes de Pierre n’est pas la même. Son — distorsions 4 —

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lent toum toum toum s’entrelace avec le tam tam tam plus rapide de l’autre dans un rythme déphasé : toum ta toum ta touam touam taoum taoum ta toum ta toum ta

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toum ta touam touam taoum taoum ta toum ta toum ta toum ta touam touam… Pierre se concentre sur le pas de l’autre, plus rapide, plus sonore dans le calme de la campagne. Pierre perd sa cadence, Pierre se désunit, Pierre s’essouffle, Pierre a perdu sa solitude bienheureuse. Il fait

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des efforts pour se reconcentrer, la

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course devient vaine et impossible. Complètement désynchronisé, il se laisse doubler et distancer, toutes les endorphines générées disparaissent en un instant pour laisser place à une violente montée d’adrénaline. Aujourd’hui, après quelques pas de concert, l’autre coureur se laisse soudain dépasser, sans doute incapable de soutenir le rythme rapide de Martial. Ne pas se désunir, savourer sa petite victoire facilement acquise. Poursuivre son effort physique avec une énergie renouvelée.


Les contractions du cœur de Pierre augmentent, ses bronches se dilatent, sa tension artérielle remonte en deux secondes. Dopé par une énergie nouvelle, il accélère soudain de toute sa vitesse derrière l’autre. Trois intervalles d’arbres plus loin, Martial entend derrière lui se rapprocher à toute vitesse et courant comme un dératé celui qu’il vient de dépasser. Un dernier baroud d’honneur pour le doubler sans doute, il le retrouvera plus loin, marchant, complètement épuisé par cet effort disproportionné. Martial se décale sur le chemin pour mieux le laisser passer, se rapprochant du bord du canal. Pierre rattrape l’ennemi, le pousse violemment d’un coup sur le côté gauche, dévie sa trajectoire et l’envoie plonger tête la première dans le canal immonde. Un choc terrible et soudain atteint Martial par l’épaule : déséquilibré, désaxé de sa trajectoire, incapable de s’arrêter, il fait deux pas dans les feuilles, glisse sur l’herbe du bord et plonge dans l’eau glacée du canal. — distorsions 4 —

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Juste le temps de prendre une respiration, le froid le saisit brusquement, la vase s’englue sur sa tête, rentre dans ses narines, des branches en putréfaction

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griffent son visage et ses bras. Agression ! Fureur ! Cerveau hyperconscient. Répondre à l’attaque, en commando. Survie et réflexes de combattant. Remonter sur la berge, courser l’agresseur, porter les coups de close-combat, le ramener aux autorités.

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Pierre s’arrête et saisit par terre une

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lourde et longue branche, attentif au bouillonnement de l’eau.

D’abord sortir de cette eau et de cette vase dégoûtantes. Faire surface. Sortir la tête de l’eau. S’essuyer les yeux pour repérer l’autre. Respirer. Martial se retourne, pose les pieds sur le fond instable, se redresse. L’autre ressort soudain, les yeux enduits de vase, battant l’eau de ses bras. De toutes ses forces, en un coup parfaitement ciblé et définitif, Pierre abat sur la tête grimaçante le poids rageur de sa rancœur.


Brouillard vaseux, une forme sombre et rapide vers sa tête. Pas de temps pour l’esquiver. Une lourde masse s‘abat violemment sur son crâne. Une pointe pénètre son cerveau, le sang gicle de ses yeux. Il ne sent soudain plus ses mains ni ses jambes. Il ne sent plus rien du tout. La nuit tombe brusquement. L’eau envahit sa bouche. 8h 21 : Pierre regarde les vagues du canal s’éloigner doucement en cercles et s’aplanir. Dans la cime des arbres, les jeunes feuilles vertes laissent encore passer le bleu du ciel. Une pie traverse dans un vol silencieux l’espace entre les rangées d’arbres. Les battements de son cœur s’atténuent, son souffle se calme. Sur le chemin dégagé, Pierre reprend sa course régulière

l’âme apaisée et l’es-

prit libre.

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Course à la niaque // ©ssdp31121988 — distorsions 4 —


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voya g e — 120 —

en province n i c o l a s

l o u i s


Lire Gerry Browntolevich. Lire, lire, lire. Lire « Manuel de survie en province. » Important. Lire. Encore et encore. Jusqu'à plus soif. Je veux, je veux, je veux. Cet américain sait. Il sait. La province, c'est dangereux. L’a écrit. A décrit ces coupeurs de têtes, ces barbares, ces policiers véreux. Il les connaît. Les a vus. De ses yeux. Années 1980. Aujourd'hui, 2011, pareil. Je sais. Lire attentivement. Ne pas croiser le regard des gens, ne pas parler, ne pas interroger, ne pas enquêter, ne pas se faire remarquer, ne pas serrer des mains… Attention. Père et mère, la bas. Je sais. Moi, partir. Demain. Partir demain. Oui. Médecin m’a dit : « cancer de la gorge. » Mourir, je vais mourir. Attention. Je vais mourir, je meurs, je meurs, je meurs. Cancer. Et alors ? Arrêter mon travail ! Arrêter jardinier ! Plus de Mairie de Paris ! Jardin du Luxembourg, Buttes Chaumont, jardin de Bercy, fini ! Demain, je pars. Oui je pars. Allo ? Allo ? Hertz ? Je veux louer

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une voiture. Je veux. Demain matin. Je passe. Demain. Oui, je sais. Agence Hertz, avenue de Flandres. Je sais, je sais. Moi rue du Maroc. Connais. Oui à demain. ************************** C'était il y a très longtemps, il y a quarante six ans très exactement. J’avais à peine huit ans lorsque les

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sœurs sont venues me chercher chez mes parents à Montceau-les-Mines pour m’emmener loin de ma famille. Elles m'ont recueilli dans leur couvent à Paris et grâce à l’amour qu’elles m’ont transmise, j’ai pu grandir comme n'importe quel gamin. Dans leur jardin, j'ai appris la beauté de chaque geste pour tailler les rosiers, éclaircir les rangs de carottes, cueillir les tomates… J'ai apprécié les saisons qui passent : printemps, été, automne, hiver, je les connais toutes. La nature est mon amie, je suis jardinier, moi.


************************** En voiture toute ! Bourgogne, direction la Bourgogne. Ne pas demander sa route. Ne pas s'arrêter. Crimes, barbarie, complot. Je sais. Je sais. Je sais. Attention. Faire attention. Montceau-les-Mines, Saône et Loire, facile. Après, plus compliqué. Une carte. La carte. Grandeur et décadence de la France !! Une carte de Montceau-lesMines. J'ai entre les mains la carte de Montceau-les-Mines ! Y a des gens qui prennent le temps de retracer la carte de Montceau-les-Mines. Ce trou à rat. Ce bled paumé. Bordel. « Impasse des champs petits ». C'est là qu'ils habitent. Je sais. Rouler. Encore et encore. Panneau : Montceau-les-Mines. J'y suis. Regarde. Des gens dans la rue. Chut. Regarde. Des vieux, là, regarde. Sales, hypocrites. Beurk. Pas beau. Chut. Ne pas croiser le regard, baisser la tête. Je sais. Je sais. Je sais. J'accélère. Aller.

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La carte dit : direction Gourdon. Faut prendre direction Gourdon. Avancer. Chut. Aller. Regarde. Ça y est. C'est bon, j'y suis. Sortie de Montceau-lesMines. Un panneau. C'est marqué « impasse des champs petits. » C'est bien là. Putain. J'y suis. Moi jardinier. Une allée d'arbres. J'avance. Le temps est gris. Ça brumasse. J’avance lentement. Il flotte sans flotter. Bordel. J'ai peur. Une immense cour de ferme.

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Une grande bâtisse. Là dedans. C'est là, oui c'est là. J'suis arrivé. Je me gare. Je coupe mon monteur. ************************** Mon père possédait une fonderie et nous habitions, avec ma mère et ma petite sœur, en face au 51 rue de Tercy. Nous vivions tous dans une grande pièce qui servait à la fois de cuisine et de chambre. Chacun avait sa paillasse pour dormir. La mienne, à côté de celle de ma petite sœur, près du


poêle à bois et celle de mes parents, près de la fenêtre. Mon père était un homme secret au caractère méfiant et à la colère sourde. Il aimait l'ordre et nous disait souvent que tout irait bien à condition que nous lui obéissions. Le jour où les huissiers sont venus le menacer de rembourser ses dettes, il n'a pas supporté. Un soir de pleine lune, il a tué deux fermiers pour s'emparer de leurs terres. Et pour prouver aux autres qu'il n’avait peur de rien, il a enfourné ma petite sœur dans le four de la fonderie. Au matin, il est allé déposer son corps calciné devant la gendarmerie avec, à ses côté, une liasse de billet pour acheter les forces de l'ordre. D'autres actes de folies ont suivi avec à chaque fois le crime pour s'emparer du bien des autres. Peu à peu, mon père est devenu le plus gros fermier de la région. On l'appelait le tyran de Monceau. A l'école, les sœurs sont venues me chercher pour m'emmener loin de là.

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Voyage au centre du miroir // ©ssdp31121988


************************** Avancer. Aller, avancer. La porte. Sonner. Ding dong. J'entends quelqu'un. Attention. Faire attention. Ça s'ouvre. Un grand hall d'entrée. Une femme. Vieille. Peur. Colère. Ma mère. Là. Moi. Terrifiant. Gueuler. « C'est Bastien ! Tu me reconnais ! Il est où ? Quoi, oui c'est moi. Pousse. Dégage. Holdup. Dégage je dis. Il est où bordel. La chambre, c'est ça ? Où la chambre ? » Avancer. Aller, avancer. Un salon. Dorure. Moquette. Haut plafond. Impressionnant. Sale bourgeois. Haine. Vomissure. Cette putain de chambre. Où ce putain de père. Avancer. Je vais hurler. Elle est où cette chambre ! Sales rats de provinces. Aller. Avancer. Un couloir. Des lustres. Lumière tamisé. Où la chambre ? Avancer. Première porte. Toilettes. Pas bon. Toilettes. Dégueulasse. Fermer. Beurk. Aller. Avancer. Deuxième ouvrir.

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Ouvrir. Une chambre. Un lit. Avancer. Mon père. Lui. Là. Allongé. Les yeux fermés. Visage anguleux. Vieux. Maigre. « Réveille-toi assassin ! Réveille toi j'ai dit ! » La chaise. Prendre la chaise. Tout casser. Fenêtre, armoire, tableau. En morceaux bordel. « Ça y est, t'es réveillé ? T'as peur ? Hein t'as peur ? Tu me reconnais ? J'suis de retour. C'est Bastien. Ton fils. C'est moi. Lève-toi. Lève-toi, j'ai dit. Direction

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voiture. Quoi t'arrives pas à parler. Tu peux pas marcher. M'en fou. Lèvetoi. » Carcasse inerte. Le soulever du lit. Vite. Vite. Chemin inverse. Le sortir de là. Le traîner dans le couloir. Lui et son pyjama rayé. Beurk. Sac à merde. Le salon. Mère encore là. Attention. Faire attention. Ne pas croiser son regard. Traîtresse. Traîner mon père. L'emmener dehors. Aller. Vite. Voiture. Ouvrir la porte arrière. « Aller monte. En voiture assassin. » Partir. Vite. S'enfuir. ***********************************


Je file à 180 sur l'autoroute du soleil vers Paris. Ma Renault Clio III 1,5 Dci 85 Exeption semble glisser sur l’asphalte. Les hauts parleurs crachent en boucle la 9ème symphonie de Beethoven. A l’arrière, mon père ne dit pas un mot, les yeux hagards. « Ton voyage est bientôt terminé. » Il est bientôt 23 heures et j’entre dans la Capitale. Je prends la sortie Porte de Pantin puis je longe l’avenue Jean Jaurès pour me diriger vers le commissariat de police du 19ème arrondissement. Je gare ma voiture en face du numéro 3 de la rue Erik Satie. Je fais sortir mon père et l'aide à marcher. J'ouvre la porte du commissariat. Deux policiers sont assis derrière un bureau. Je vais tout leurs expliquer.

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P o è m e d — 130 —

e

m é t r o 1 0

n o v e m b r e

B E N O I T

2 0 0 8

R I C H T E R


Un jour dans le métro j’ai vu Un homme qui perdait l’équilibre, c’était un vieux à l’air un peu triste Il s’était placé derrière une jeune fille en jupe et, à la faveur d’une embardée S’était laissé glisser au sol en se retenant d’une main caressante au derrière d’icelle Qui, sitot retournée, l’aida à se relever d’une main généreuse et inquiète À huit places de là, mes voisins et moi avions échangés des regards effarés, oui, nous avions bien assistés à ce qu’en bon français on nomme une main au cul, elle avait été préméditée et éxécutée si l’on peut dire de main de maitre Et nous ne savions quelle attitude adopter... Détromper la jeune fille en accusant grand-père ? Est-ce le pathétique de la scène ou l’ingéniosité du stratagème qui le sauva ? Personne ne broncha. — distorsions 4 —

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Les morts sont de — 132 —

dangereux maniaques

· J e a n - M a r c

R .


« Je m’appelle Chasi Goura, je suis Irakien, je suis réfugié politique. » Il n’avait rien dit d’autre, rien lâché. Et puis au bout de 40 heures, ils l’avaient laissé sortir, sans plus d’explication que lorsqu’ils l’avaient mis en garde-à-vue, sans plus de réponse que : «Je m’appelle Chasi Goura, je suis Irakien, je suis réfugié politique». Chasi zozotait. «Zazie», comme il le prononçait, regardait dans le rétro. Au pays, malgré ses diplômes en ribambelle, ses responsabilités éminentes, ses décorations académiques, on se fichait pas mal de lui pour son défaut de prononciation. Les étudiants lui avaient même décerné le vexant titre de docteur «ès». Chasi n’était ni opposant, ni un pacifiste, c’était juste quelqu’un qui n’arrivait plus à dormir. Moqué, calomnié, craignant à tout moment la dénonciation, il en était arrivé à quitter son pays sans pour autant retrouver le — distorsions 4 —

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sommeil. Veilleur de nuit était un emploi modeste pour l’ancien scientifique en charge du projet nucléaire irakien, mais parfaitement adapté à l’insomniaque chronique. Jawad, il l’avait croisé par hasard, à l’aube, en train de débarder du papier pour alimenter les imprimantes de la Compagnie Générale d’Assurance. Jawad et ses menaces, Jawad

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et ses conspirations imaginaires, Jawad et son goût pour la dénonciation, Jawad et ses allures de grand con. Il avait invité l’ancien directeur en chef de la sécurité, exilé depuis la dernière guerre, à prendre le café en signe de paix. Il avait trouvé une utilisation judicieuse à la capsule de cyanure qu’il avait rapporté de Bagdad. Le local technique s’était avéré une excellente solution de proximité pour déposer le corps. ** « Cela fait deux jours qu’il ne répond plus


à ses mails », se disait monsieur Louis, le directeur adjoint de la Compagnie Générale d’Assurance, « non mais qu’est-ce qu’il croit, il commence à me taper sur les nerds celui-là !» C’est en descendant dans le local informatique que monsieur Louis s’aperçut que son ingénieur avait bugué. Pour un homme qui avait en charge l’installation du réseau sans fil dans tout le bâtiment, c’était raté : il s’était pendu avec un cordon USB. Et pour ce qui était de lui souffler dans les bronches, c’était trop tard. Une des grandes qualités de monsieur Louis était de savoir prendre des décisions rapides et efficaces dans les situations de stress. Il ne tenait pas à avoir les syndicats sur le dos et savait quelles complications ce suicide sur le lieu de travail engendrerait. Il dépendit l’ingénieur, le posa quelque part, devant un écran, simula à la va-vite la mise — distorsions 4 —

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en scène d’un meurtre comme il l’avait vue dans un vieux film et quitta les lieux sans prévenir personne. ** Les vrais fous, on les reconnaît à ce qu’ils se prennent toujours pour des gens vraiment célèbres : Napoléon, Cléopatre ou Landru. Serge se prenait pour Louis XIV. Et comme il était nul, mais vraiment nul en histoire,

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il avait développé une paranoïa aiguë de la guillotine. Malgré cette fantaisie, Serge s’en sortait pas mal à la Compagnie Générale d’Assurance, il y mettait autant de perfection que s’il avait été responsable d’un Etat. Il radiait les mauvais payeurs comme on aurait révoqué l’Edit de Nantes. Un jour qu’il était resté travaillé tard, un collègue claqua la porte un peu trop fort en partant. Le bruit métallique faisait sans doute penser à celui d’un lame tranchante.


Il eut une attaque et décéda sur-le-champ. ** Le voisin du dessus aurait pu jouer moins fort, ou moins mal, ou moins souvent, mais voilà. Il poussait péniblement des couacs poisseux, il couinait comme une poule qui pond un oeuf d’autruche et on avait bien envie de la lui faire ravaler, sa trompette. En bon mélomane, Jean l’assassinat un soir, vers minuit. Avec un silencieux. Le massacre de l’interprétation foireuse de la transposition de l’air de « la reine de la nuit » à la trompette était en soi une raison suffisante pour excuser le meurtre, du moins une circonstance largement atténuante. Jean aurait pu se livrer, il avait confiance en la justice de son pays. Mais il y avait cette histoire qui traînait de la fuite du bidet de son voisin du dessus. Il fit d’une pierre deux coups et alla, en signe de protestation déposer le cadavre encore — distorsions 4 —

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tiède dans les locaux de la Compagnie Générale d’Assurance qui s’entêtait à lui refuser son remboursement. Sur le chemin du retour, la trompette posée sur le siège passager, il se prit à rêver d’un tranquille pavillon de banlieue. ** Parce que vous croyez que ça m’amusait, moi, de rédiger des rapports de police,

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avec pièces jointes, interrogatoires détaillés, emploi du temps, alibi et empreintes digitales ? Est-ce que vous croyez que ça m’amuse, moi, de me farcir les invraisemblables affaires de la Compagnie Générale d’Assurance ? La Hiérarchie qui ne manque pas une occasion d’innover dans les pratiques les plus débiles, au troisième cadavre a commencé à s’exciter pour de bon. La hiérarchie a supposé que ci, la hiérarchie supputé que ça. La Hiérarchie me


demande d’aller chercher du côté des réseaux satanistes ou bien des terroristes situationnistes. C’est la dernière ! Quitte à faire n’importe quoi, je préfère aller interroger les filles du Crazy Horse en tenue de scène !

Et ces cons de morts qui viennent squatter les bâtiments de cette société d’assurrance, non mais moi, est-ce que je vais dormir sur leur tombe ? Les cadavres, parlonsen. Quand je suis passé à la morgue, ils ne faisaient pas trop les malins. J’en ai pris un, je l’ai mis dans le coffre, et je suis allé le déposer moi-même à la Compagnie Général d’Assurance. Juste pour les faire chier la Hiérachie !

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Mariage de raison n°1 // ©ssdp31121988 — distorsions 4 —


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Tueuse — 142 —

× V a l é r i e N

a

v

o

n


La chose est là. Elle se rapproche. Bientôt elle sentira son haleine chaude sur sa nuque, son odeur âcre de bois brûlé. La chose veut sa mort. Elle veut se repaître de son corps, boire son sang, dévorer sa chair. Nuit après nuit, la chose la poursuit, embusquée dans ses rêves. Nuit après nuit, elle court pour lui échapper. En vain. La chose est là, en elle, qui l’attend. Durant le jour, elle parvient à la maintenir à distance. Mais pas la nuit. Les somnifères n’y peuvent rien. Doubler, tripler les doses est inutile. Bientôt, elle le sait, elle ne pourra plus lui échapper. Et La chose la tuera. Elle se réveille en sursaut, avec un sentiment d’étrangeté qui n’est pas seulement dû à la distance que mettent, entre le monde et elle, les somnifères qu’elle prend chaque soir. Sur la commode, face à son lit, les cadres argentés des photos scintillent. Ses parents, sa grand-mère, Carole et Lola lui sourient dans un rayon de soleil. Voilà ce qui n’est pas normal : le soleil et les sourires. Il y a longtemps qu’elle ne les voit plus. Longtemps qu’elle se terre, qu’elle vit repliée en elle comme dans une forteresse vide. Depuis des mois, elle se lève alors qu’il fait nuit, se glisse du lit à la douche, s’habille sans — distorsions 4 —

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y penser, toujours la même tenue, jupe ou pantalon noir, chemisier blanc, escarpins vernis : son armure. Une tasse de thé avalée à la hâte, une pomme qu’elle croquera dans le métro, un peu de poudre, de mascara, les cheveux noués en chignon et la voici prête au combat. Avant de partir, elle inspecte les lieux, la chambre, le salon, la cuisine, vérifie que tout est en ordre, net, impeccable. Sans vie. Ainsi est-elle, figée dans sa carapace noire et blanche. Mais ce matin, il y a du soleil dans la chambre. Il y a des sourires, de l’amour, il y a du danger. Et pour la première fois depuis longtemps, elle ne sait pas ce qui l’attend. Elle soulève la tête pour regarder son réveil. Huit heures. Deux heures de retard. A cette heure, le métro est bondé. Elle ferme les yeux pour se soustraire du mieux qu’elle peut à cette proximité qui la dégoûte. Aux corps qui heurtent le sien. Elle pense aux squelettes en dessous, aux orbites vides, aux mâchoires édentées, aux os qui claquent. Elle pense à la chose, elle pense qu’elle est là aussi au milieu du wagon, tapie dans chacun de ces corps, elle pense qu’elle va surgir et la dévorer. Et la panique l’envahit, son cœur s’accélère,


son souffle devient court, elle n’arrive plus à respirer, ses mains sont moites, elle étouffe, il faut qu’elle sorte, il faut qu’elle descende, sinon elle va mourir ici, dans ce wagon bondé. Elle est prête à pousser, à crier, laissez-moi sortir, quand le métro s’arrête. C’est sa station. Sur le quai elle reprend son souffle. Dehors, sur le parvis, elle respire. La voici maintenant dans l’ascenseur. Là aussi les corps. Leur chaleur, leur densité, leur volume. Des mois durant, elle s’est ingéniée à les éviter. Arrive tôt le matin, part tard le soir. Mange à son bureau une salade qu’elle se fait livrer. Communique principalement par mail ou par téléphone, tente de limiter ses déplacements aux toilettes des femmes. Elle ne supporte plus qu’on la touche, tolère à peine qu’on la regarde. Elle s’est mise à travailler avec acharnement. Elle est efficace, lucide, incisive. Une vraie machine de guerre. Elle ne se sent bien que parmi les chiffres, leur logique froide, impitoyable. Elle voudrait être l’un d’eux, ne plus avoir ni sentiment ni mémoire. Elle ne lit plus. Les mots, elle le pressent, sont dangereux. Elle ne sait pas où ils pourraient la mener, quelle brèche ils pourraient rouvrir — distorsions 4 —

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en elle. Alors elle se tait, elle ne dit rien que l’utile ou le pratique. Malgré son jeune âge, ses collègues la craignent, ils ne l’aiment pas et c’est très bien comme ça. Ils l’appellent La Tueuse. Elle a perçu leurs chuchotements, les voix qui baissent quand elle approche. Avant, elle n’était pas comme ça, elle aimait discuter et rire, regarder les garçons. Après, tout a basculé. Elle ne veut pas en parler. A personne, jamais. Si elle le fait, elle en mourra. De chagrin, de honte, de douleur. Elle ne sait pas. Ce qu’elle sait, c’est que les mots la détruiront. Il faut que le passé reste figé dans sa glace. Que rien ne bouge. Que le temps disparaisse, emportant avec lui les images, les bruits, les odeurs. Si elle reste immobile derrière l’écran de son ordinateur à analyser des colonnes de chiffres, si elle ne laisse aucune trace d’elle-même, si elle devient maigre jusqu’à la transparence, alors peut-être le temps l’oubliera et sa mémoire se répandra sous elle comme les déjections d’une vieille femme incontinente. Mais la chose ? Serat-elle emportée elle aussi ? Restera-telle à hanter ses nuits ? S’ils savaient, les autres, que toutes les nuits elle s’enfuit, que toutes les nuits elle a peur ! Ils riraient d’elle, qui ferme les yeux


dans l’ascenseur qui monte, qui monte, elle pense à la petite bête, mais elle n’a pas envie de rire, plutôt envie de pleurer mais même ça, elle ne peut plus, son chagrin la chose l’a dévoré. Les portes s’ouvrent sur le 28e étage. Bousculade de ceux qui, arrivés à destination, veulent sortir. Un homme passe à côté d’elle. Elle reconnaît son parfum, odeur de poivre et de bois brûlé.

Elle essaie de se concentrer sur les colonnes des bilans, pour y trouver l’erreur, la faille dans laquelle s’engouffrer, disparaître. Elle n’y parvient pas. A leur tour, les chiffres lui échappent. Ils glissent devant ses yeux, tourbillonnent, s’entrechoquent, fusent de tout côté sans qu’elle puisse en retenir aucun. Elle n’a plus d’abri, plus de refuge. Elle est à découvert, vulnérable, fragile, elle suffoque. Ses mâchoires claquent. Il est là, à côté d’elle, l’homme, la chose qui la poursuit. Un décalage de deux heures a mis en pièce sa défense. Elle ne veut pas revivre cette soirée. Que les images s’assemblent et reconstituent dans sa mémoire ce puzzle maudit. Elle doit lutter. Contre les images, contre les mots. Tout garder en — distorsions 4 —

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elle, tout enfouir au plus profond, tout nier pour survivre. Son téléphone sonne. Carole. Un rendez-vous dans le quartier qui a été annulé. Pourquoi ne pas déjeuner ensemble ? Se retrouver au Chinois, tu sais celui qui… Elle sait. Le Chinois où elles allaient autrefois avec Lola, elles s’y rejoignaient le soir en quittant la tour, pour manger, discuter et rire. Elle hésite. Elle n’a pas faim. Carole insiste. Allez, pour une fois, ça fait si longtemps, tu peux bien sortir pour une heure, non ? Et puis, j’ai des tas de choses à te raconter. La voix de Carole s’insinue dans son corps. Elle n’entend plus les mots, se laisse aller à cette sensation chaude, apaisante. En elle, la peur se délie, la brèche s’entrouvre. Un fourmillement dans sa gorge. Les mots commencent à s’assembler. Moi aussi j’ai à te parler, il m’est arrivé… je dois te dire… tu sais ce collègue qui… A nouveau tout se mélange, tout est confus, et les mots se retirent, ils fuient devant la chose, ils s’échappent loin, ils cavalent, ils l’abandonnent. Sa main se resserre sur le combiné. Elle a froid. Non elle ne peut pas. Trop de travail. Pas le temps. Elle regrette, une autre fois. En raccrochant, elle sait pourtant qu’il n’y aura jamais


d’autre fois. Toute l’après-midi elle a essayé de lutter. En vain. Impossible de colmater la brèche. Les images l’ont suivie jusque chez elle. Elle ne peut plus les contenir. Elles bousculent l’espace froid de son appartement, rebondissent sur les murs, sèment partout leur désordre, leur violence, leur folie. Elle dans l’ascenseur avec la chose. Le béton jaune du parking. La portière noire de la voiture. Le cuir froid du siège passager. Sa main droite frappant la vitre. Son ventre retrouve la douleur, ce mal planté en elle à coups de reins et qui cherche, nuit après nuit, à la tuer. Elle passe de l’eau froide sur son visage. Dans le miroir de la salle de bains, voit ses yeux rouges, ses larmes, son menton qui tremble. Un visage de victime. De qui subit, de qui se laisse détruire en silence sans rien dire, de celle qui l’a bien mérité après tout, qui l’a cherché et qui peut-être même a aimé ça, la preuve elle n’a rien dit à personne, elle a fait comme si rien n’était arrivé, elle ne se souvient pas d’après, comment elle est rentrée chez elle, elle se souvient qu’elle pleurait dans la baignoire rose là, juste à côté, ça lui revient maintenant, elle aurait voulu se laisser glis— distorsions 4 —

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ser dans l’eau, s’y noyer, elle n’a pas eu ce courage, en sortant de son bain elle se sentait toujours aussi sale, alors pour se nettoyer à l’intérieur elle s’est versé un verre de whisky, l’a avalé d’un trait, ça l’a fait tousser, mal à la gorge quand elle tousse, elle a une trace rouge sur le cou, une trace de quoi, les images se brouillent, elle se glisse dans son lit, elle s’endort. Retrouve la chose. Elle regarde son visage et la haine l’envahit. La haine d’elle-même et la haine de l’homme. Elle n’est plus une victime, elle est La Tueuse. Celle qu’elle est devenue, celle qui fait peur, celle qu’on redoute. Elle ne va plus se laisser faire, plus jamais. Elle ne va plus souffrir, elle va se battre, elle va mordre, elle va tuer. Après trois heures de route, elle est arrivée dans la Sarthe. Les phares de sa voiture éclairent la Longère. Ses parents y passent leurs week-ends depuis qu’elle a huit ans. Pourtant ce n’est que l’été dernier que son père lui a montré l’arme qu’il cache dans sa chambre à coucher. « On ne sait jamais, a-t-il dit, si tu viens passer quelques jours seule ou avec une copine, avec toutes les histoires qu’on entend, je serais plus rassuré si tu sais où


il se trouve. » Elle avait pris le pistolet en main, il était lourd et froid, une bête morte. Ce soir, il est tout le contraire. Un ami, un allié, un double. Maintenant, elle va retourner à Paris. Avant de partir, elle a cherché l’adresse sur Internet puis étudié l’itinéraire. Elle sait exactement comment faire. Elle prendra le périphérique, sortira porte de Bagnolet. Elle s’engagera sur le boulevard, trouvera une place dans la contre-allée. Elle ne connaît pas le code d’entrée de l’immeuble alors elle attendra que quelqu’un y entre pour se glisser par la porte. Elle repérera le nom sur la boîte aux lettres dans le hall, avec l’étage et le numéro de l’appartement. Elle montera les trois étages à pied. Calmement. Elle s’arrêtera devant la porte 323. Elle ouvrira son sac à main. En sortira le revolver. L’armera. De sa main libre, elle appuiera sur la sonnette. Elle prendra une profonde inspiration. Et quand la porte s’ouvrira, en expirant, elle tuera la chose.

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TUMULTE — 152 —

Pascale

Flavigny


Chez nous est à la surface du monde Sur la terre, partout, où des jeunes bondissent Coiffés de masques d’animaux qu’ils font rugir, Partout où de plus vieux s’égarent ou sont sages Où des femmes sur le toit parlent entre elles, comme de délicats éclairs Où la foule en rafales se précipite à l’intérieur puis à l’extérieur des édifices Où des femmes s’allument dans le noir Où les hommes et les femmes sont des électrons qui se déplacent à une vitesse folle Les scorpions dansent sous la lumière Le monde est un chaos d’eau et de feu Des réacteurs se fissurent au bord de la mer Chez nous est-il quelque part ? Sur la terre, sur le toit Menacent les discordes, les serpes, les chiffres, Les manques, des crevasses s’installent. Dans le lit même s’agitent des monstres hérités d’autres temps, des idoles anciennes La surface du monde se brise Des hommes confinent des femmes, dans leur sexe isolées. Dans une cour d’hôtel, des carreaux lentement fendillés S’ouvrent sur le sous-sol que façonnent herbe vive et racines Mes pieds accompagnent l’arbre sous la terre Où le mufle de l’obscurité Me baigne d’un velours sombre dans lequel je mords Dans lequel j’ouvre une oreille rare; Elle cherche à entendre des traces des Myrmidons-fourmis En moi l’obscurité résonne de façon trouble et tumultueuse Cumul, tueuse, tumulus, cul par-dessus tête, Ah! j’inverse le mouvement Ah! pas le tumulus, ni la tumeur – qui comme le tumulte se soulève Plutôt l’impétueux message de la terre et de nos corps Plutôt la fugace seconde, compacte, une seule seconde suffit Pour extraire la joie, pour extraire des sons du monde Plutôt un gâteau de cris d’oiseaux, de paroles humaines, de vent modulant dans les feuilles. — distorsions 4 —

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P

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Jean-Paul Honoré extrait de L’Eté corse (2008, inédit).


1 La touche bleue l’éclair de sabre le cri d’acier l’hymne perçant les yeux américains C’est fait championne elle (cheveux blonds) Salue le public Qui est parti très vite même si On passe du dos sur le ventre le (Virage de la loutre) et regardez Qui va arriver deuxième Attention quand même LE CANADA Boules noires aux yeux crâne lisse Oh ça va se jouer à rien du tout Des bras des bras des bras des bras des bras (L’eau blanchit)

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2 Quatre assis bariolés mélancoliques mains Aux chevilles dans le bateau Enchaînés à la poutre ligne d’eau FRA USA SWE soudain flèches Hisse hisse hisse Comment cet insecte on l’appelait déjà Pattes en croix légère puis file Sur l’étang mi-course blanc rouge jaune vert Hisse hisse hisse hisse Quatre bustes métronomes suivent leur pointe On ne voit qui premier qui second qui Hisse hisse hisse Chacun la nuque devant du précédent Hisse hisse hisse Hisse hisse hisse


Petits points depuis la berge crient et puis des arbres Hisse hisse hisse Danemark La Pologne est bien aussi Hisse hisse hisse hisse revient dessus Hisse hisse résiste résiste Hisse hisse Qui devant les tribunes qui Trompette DEN POL SWI GBR FRA Sont dressés cris silence lèvent les bras Debout hurlent assis pleurent Mains aux chevilles tête (Bariolés) très bas très Belle course

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3 Lui juste une question les trois comment vous faites Eux on est on se retrouve merci notre force aujourd’hui Lui on va commencer par comment ça se passe comment Eux avec nos tripes une histoire humaine à coups de pelles Lui y a des Chypriotes des y en a deux là c’est parti dans le paquet vous vous êtes dit quoi Eux comme on savait faire les Britanniques c’est tout pour nos pour nous donc voilà Lui c’est 6 minutes dans une vie alors comment Eux rendez-vous en Enfer on en chie au charbon il se peut Lui reste que le long petite déception sur la ligne quand même le Néo-Zélandais


Eux très grand intouchable très imbattable en ce moment Lui belle compensation de la joie la France entière Eux confiants concentrés même quand toujours cru oui Lui un entraîneur il était a apporté la culture le petit plus la gagne enfin Eux encore plus grand son sens du rythme quart demi et puis Lui ça sera champagne de bronze pour tout le monde Eux un grand merci à tous les gens qui nous ont soutenu le vélo

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4 Le voici face Daouda A un énorme client La boxe est faite de surprises Cogne gnon Allonge allonge Daouda très propre cogne cogne Bien joué le Français gnon ATTENTION Le crochet droit arrivé à la pointe Cogne cogne gnon Visage noir sueur sueur bleu rouge gnon Cogne gnon gnon Allonge allonge Daouda est un Ch’ti cogne Je peux vous dire dans la banlieue de Lille gnon gnon Ca doit vibrer OUI OH ATTENTION LE CONTRE gnon gnon Il est dans sa demi-finale gnon gnon


Allonge allonge et voilà il est là Trompette (Le coach lui met la main sur le cœur serviette Souffle souffle) Deuxième reprise gnon gnon dans les gants OUI oui dommage Allonge allonge bleu rouge Cogne cogne gnon gnon gnon gnon cogne Ca se durcit OUI DAOUDA il est très beau en ce moment OUI cogne gnon OUI BIEN JOUÉ OUI OUI

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7 – 5 à présent trompette (Ligne bleue du protège-dents la bouche ouverte Souffle souffle Crache un peu d’eau) regardez le ralenti cogne Et derrière ça revient Trompette troisième reprise Cogne cogne gnon Jambes jambes Cogne cogne gnon Jambes jambes C’est leur spécialité aux Cubains Cogne OUI LA gnon SUPERBE C’est jouable gnon gnon CUB 7 FRA 8 gnon gnon Jambes jambes Gnon gnon allonge L’arbitre n’a pas grand chose à faire Bleu rouge front contre front visages noirs gnon gnon Sueur sueur les deux boxeurs sont propres Gnon OUI gnon gnon oui VOILA


OH OUI OUI BIEN JOUÉ DAOUDA Trompette Souffle souffle Franchement Daouda nous impressionne Serviette Le coin du Français demande à son boxeur De souffler ventiler trompette Dernière reprise gnon gnon Le Cubain est obligé de gnon gnon Allonge allonge Encore une touche pour le OUI LE CROCHET DROIT qui arrive à la tempe Gnon gnon cogne gnon bleu rouge cogne OUI ELLE EST ARRIVÉE CELLE-LÀ Jambes jambes C’est magnifique ce qu’il nous fait gnon gnon On se jette pas voilà VOILA je peux vous dire Gnon gnon

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FAUT BOUGER MAINTENANT DAOUDA Cogne cogne gnon Le Cubain est perdu du côté D’Amiens de Lille OUAIS ça doit vibrer Cogne gnon cogne gnon Doucement Daouda déroule déroule Allonge jambes jambes il fait le show TrompettOUI DAOUDA TU ES EN DEMI-FINALE Des jeux olympiques Il a sorti le CHAMPION DU MONDE cubain Il en revient pas Daouda Ca s’est bien ralenti quand même Sur une base de 3:39 Parti tard ah NON C’EST PAS VRAI Mais oui NON OUI va chercher


La petite porte NON Il avait un gros gros potentiel Il avait un gros gros retard C’est quand c’est brutal à la fin Quand faut répondre comment Aviez-vous Envisagé Au train Décroché J’avais plus rien plus rien plus rien Néo-zélandais sur la gauche C’est comme ça loin du peloton Plein d’années devant vous Leur offrez une grande part Votre cœur oui j’embrasse et j’embrasse Et j’embrasse aussi et j’embrasse SUPER Mehdi super Mehdi vraiment Tombé au bord les pieds Dans les fleurs

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A hauteur du vide il ne faut pas faiblir M y r i a m

L i n g u a n o t t o


Dans son plus lointain souvenir, Chloé accompagnait son père et sa sœur Petra aux pieds des falaises. Elle les regardait escalader jusqu’au premier sommet, fascinée. Son père lui disait : Toi, tu es encore trop petite, trop fragile, trop… trop... Alors elle attendait leur retour, puis enroulait la corde et rangeait le matériel dans le sac qu’elle portait sur le chemin. Le père mourut quand elle eut quatorze ans ; Chloé n’avait encore jamais posé un pied sur le rocher. Sa sœur prit la relève du père et l’emmena grimper. Elle lui montra comment apprivoiser la falaise, ne faire qu’une avec la paroi, prendre sa force du rocher. Elle lui apprit à être indissociable... L’une retenait la corde, l’autre montait. Et vice et versa. Elles s’entraînèrent jour après jour. Petra devint encore plus experte, Chloé marchait dans ses pas. Deux années passèrent. Un jour, Petra proposa à Chloé d’aller, au-delà du premier sommet, explorer les voies vierges qui avaient servi autrefois de sépultures. Le village derrière elles, une tache de boue recroquevillée quand elles arrivent au pied des falaises. La voie courre, plantée de pitons sur les cinquante premiers mètres. Petra prend les devants : sac vidé sur le sol, en moins de temps — distorsions 4 —

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qu’il ne faut pour enfiler le baudrier et dérouler la corde, elle démarre, un pas en appelle un autre, elle monte, danse sur le rocher, plus légère qu’un faucheux. Elle enchaîne la voie, se déplace en un quart de secondes, toujours en équilibre, toujours plus haut. Au cliquetis du mousqueton, Chloé tend la corde et contrôle son défilement : laisser assez de mou pour que sa sœur s’écarte de la falaise et repère les prises. Au moindre tressaillement, serrer le poing d’un coup sec, clac, fermement pour ne pas que la corde déchiquète la peau jusqu’à l’os au cas où elle s’emballe. La corde défile au creux de la paume, un son rêche sature l’espace. Une trentaine de mètres audessus, Petra a déjà atteint la première petite plateforme. Elle s’assure et lui crie : « A toi. C’est facile. » Le rocher est encore froid de la nuit, les premières prises assez larges pour que Chloé passe facilement. Moins leste, engoncée dans son baudrier qui lui scie les fesses, elle joue avec l’apesanteur pour grimper. La précision des pieds, ses mains qui tâtonnent : elle retrouve le corps de Petra, chaud. Il y a juste assez d’espace pour deux. Debout contre la paroi, des gestes raccourcis pour ne pas défier le vide, elles


retiennent leurs paroles. Petra observe le rocher, regard acéré dévisageant la paroi, scrutant les replis, entailles, fissures et la voie qui s’éloigne vers la gauche jusqu’à un surplomb. Elle repart, doigts crispés aux failles, pieds plantés sur des prises d’à peine un centimètre. Lui laisser assez de mou mais pas trop. Et toujours cette corde tendue entre elles qui retient au-dessus du vide, les nuages gris qui cisaillent l’horizon. « Alors tu te bouges ? T’attends quoi ? » Son fracassé aux tympans, brutal comme une volée de coups de poing, des brisures de verre éclatées dans la cage thoracique, la tête en vrac et les mots qui s’emmêlent. ALORS QUOI TU BOUGES ? T’ATTENDS ???? La bouche muette malgré l’air abrasif qui racle, qui racle. Cette salope de Petra… Remontée comme un ressort à l’odeur du rocher. Toujours à en bouffer. Si elle pouvait s’écraser, fermer sa gueule une bonne fois … Se souvient du jour où elle paniquait sur la paroi au milieu d’une voie, du rire de Petra : « Aloorrrrrs ? Grrrriiiiiiiimpe ! T’es assurée, tu craiiiiiins riiiiiiien ». Se souvient du père, quand il regardait Petra caracoler sur la falaise, de ses yeux de chat pour — distorsions 4 —

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Petra qui n’avait peur de rien, Petra qui grimpait mieux qu’un chamois. A chaque fois, les mots en rafale comme des éperons qui lui entaillaient l’estomac, et toujours la bouche cousue, écumant à voir la silhouette tout en jambes de sa sœur, flexible pour attraper les prises espacées, toujours en... La corde se raidit. « Hey… mais tu rêves, on va pas y passer la nuit ! » Elle regarde Petra, un vingtaine de mètres plus haut ; elle a déjà passé le surplomb. La corde se tend, nerveuse. Chloé démarre, mâchoires crispées, salive au bord des lèvres, grimpe lourdement jusqu’au dernier mousqueton, s’accroche aux bourrelets du rocher. La corde tire sur le baudrier, tire encore... Le baudrier l’enserre, les mots collés au fond de la gorge. En équilibre sur un gratton, elle s’agrippe, prend son élan, avec toute la force de ses pieds et se hisse d’un coup au-dessus de la boursouflure. Alors qu’elles s’arriment au rocher, baudriers et corde à leurs pieds à cinquante mètres du sol, deux masses brunes s’approchent avec des glapissements à hérisser les poils. Elles sont à hauteur des premiers nids d’aigles. Elles ne sont jamais montées plus haut, la voie sans un piton pour s’accrocher serpente jusqu’au sommet.


Chloé lève la tête, frémit, électrisée par la paroi lisse, dressée comme un couteau jusqu’aux nuages. Elle veut tout voir, le village éclaté adossé à la montagne, aplati par la distance comme si on l’avait écrasé d’un coup de poing, les moindres parcelles de terre retournée et les fermes attenantes où vivent les familles de la vallée, toutes issues de la même ascendance, prisonnières des falaises épaisses comme des murailles que, depuis des générations, personne n’a jamais pu franchir. Ceux qui ont tenté de les escalader en ouvrant des voies sur les cent premiers mètres n’en sont pas revenus. Leurs rêves d’ailleurs, accrochés aux montagnes, crevés avant même de pouvoir éclore. Ces familles qui, à force d’unions et de mariages consanguins ont pris le défaut de s’étriper pour n’importe quoi, un champ mal labouré, un chemin pas entretenu, un sanglier trouvé mort dont on se dispute la viande. Petra enroule la corde qu’elle passe en travers du buste. Ses mains auscultent déjà le rocher, elle parle fort, souffle entrecoupé : « Par ici… c’est… mieux. Oui… ça passe… là. Non… C’est… bon. Ça… va, ça va aller… ça va… aller… ». Sa voix tremblote, son visage se tend, ses yeux exorbités à force de scruter les fissures. Est-ce qu’elle aurait peur ? — distorsions 4 —

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Chloé sourit, une petite brèche bat en elle ; l’air est grisant, plus léger qu’en bas où les vents brassent les reflux de la vallée. Elle voit Petra s’élancer, la voilà qui s’accroche, prises écartées, le vide entre les jambes. Corps à corps avec le rocher, souffle rauque. Chloé l’observe : un seul faux pas et c’est la chute, foudroyante, cinquante mètres plus bas. Ecrabouillée sur le sol. Et cette paroi lisse, avec à peine quelques fissures qui l’entaillent comme une cicatrice béante où elle cherche à mettre son pied, sa main pour se cramponner de tout son poids. Elle hésite, Chloé retient son souffle : est-ce qu’elle ne saurait plus où aller ? Est-ce qu’elle ne saurait plus comment monter, sans cette corde qui la retient du vide ? Chloé jubile, des petites rafales fouettent ses joues et lui donnent envie de rire, quand elle entend Petra crier : elle a atteint un endroit où s’arrêter, une cavité dans la falaise, de quoi reprendre des forces. A son tour. Elle n’a qu’à suivre le même chemin. Ne pas penser. Ne pas avoir peur. Ne pas hésiter. Enchaîner les pas dans les siens. Le reste viendra. Chloé se dresse contre le rocher. Jambes lourdes, gorge serrée, le cœur rebondit dans la poitrine, la sueur dégouline sur les tempes, la roche suinte d’humidité sous ses doigts. Petra la guide, ses mots résonnent, amplifiés par le vent


qui gicle, le vent qui joue avec les mots, les mots qui tourbillonnent avec le vent. DE NE PLUS LA… PLUS… ALLEZ LA MONTE… DEUX DES… NON PAS… BOUGE… PAS… LÀ…. ALLEZ… PIED TROP… SERRE… VA LA MONTE… TROP… Son visage est tellement près de la paroi qu’elle sent l’odeur de la pierre. Un goût de rouille. Un goût âcre. Un goût de sang. ENCORE… LA… TROP… PLUS… MONTE… MOONTE… MOOONTE… MOOOONNTE… Les sons roulent dans le vent, ses jambes n’obéissent plus qu’à la voix, le vent s’entortille et chaque mouvement décuple son énergie, elle monte, vite pour échapper au vide en dessous, estomac planté dans les talons, nausée au bord des lèvres. Un bras puis l’autre comme si ses mains collaient à la pierre. Un pied sur une minuscule fissure. Elle est près de Petra. Ne pas regarder au-dessous. Serrées l’une contre l’autre, à moins de dix centimètres du gouffre, sans un mouvement. Sans parler. Les aigles s’agitent et se percutent comme s’ils s’arrachaient leur proie, leurs cris stridents trouent le silence. Petra tressaille aux becs heurtés, un œil éclate, un filet vermillon coule sur — distorsions 4 —

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une gorge ; les ailes s’affolent, froissent l’air glacé. L’aigle blessé virevolte, son œil sombre brille d’une lueur brève. Chloé tend le bras, hoche la tête dans sa direction. Petra prend peur, elle s’énerve à la sentir bouger. Elle tremble, claque des dents, sans savoir ce qui du froid ou de la frayeur tétanise ses muscles. Elle gémit qu’elle voudrait repartir, dans un sens ou dans l’autre. Mais, sans la corde, comment redescendre ? Comment en finir avec cette falaise ? Elle agrippe le bras de Chloé, le serre violemment, se blottit contre elle pour ne plus voir, autour, le rocher où elle perçoit plus haut les minuscules grottes, des trous béants noirs comme un regard d’encre. Elle pense aux sépultures, aux visages ébahis, aux corps momifiés qu’on a gardés là. Un temps long s’écoule aux cris des aigles en furie fendant l’air pour se rapprocher du corps compact contre la paroi. Une plainte s’échappe de la masse agglutinée sur l’entaille de la falaise. Les sursauts de peur de l’une secouent l’autre. Chloé sent les éperons s’agiter encore, Petra qui tremble collée à elle, mâchoires entrouvertes, ses dents comme une petite chaine de montagne pointue et osseuse et dans l’oreille, ce son plaintif et fuyant. Ne pas faiblir. Pas maintenant. Elles sont si près. Elle est si près… Et quitter la vallée, passer de l’autre côté des fa-


laises, elle en a tellement rêvé ! Elle transpire sous le poids de Petra, ses tremblements qu’elle voudrait arrêter, sans perdre l’équilibre, sans basculer dans le vide… Petra qui, gorge sèche, bras paralysés par la peur, halète de plus en plus fort. Chloé la regarde, observe les aigles, leurs yeux vitreux, leurs pattes courtes et épaisses. Elle étouffe si près de Petra, elle suffoque. Ce poids tout contre elle, est-ce qu’elle pourrait s’en défaire ? Et monter plus rapidement… Elle sent battre un souffle vivifiant au creux du ventre, à cette hauteur le vent cinglant l’excite. Est-ce que ça ne serait pas plus facile sans l’autre qui l’encombre ? Au sommet, les choses sont-elles plus légères une fois débarrassé de tout ce qui pèse ? Dans un geste large et brusque, Chloé se détache. D’un élan, elle repousse Petra pour se hisser sur la falaise. Sans plus se retourner sur sa sœur qui a basculé, bouche écarquillée, yeux fendus de frayeur, Petra qui n’est plus qu’un cri écartelé s’éloignant dans le vide, percutant la falaise en rebondissant de tout son poids sur la paroi, une pauvre tache inerte tourbillonnant dans l’air. Alors Chloé franchit l’aiguille, un goût salé sur les lèvres. — distorsions 4 —

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©Michel SFEZ


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Intru— 178 —

s i o n . Camille

Philibert


D'une inconcevable découverte incompréhensible, des désagréments qui en découlèrent et changèrent la vie d'Emmanuelle.

Des signes fluorescents s'inscrivent sur la tablette qu'elle tient dans ses gants, la jeune femme, petite et casquée, treillis kaki. Incompréhensibles, les signes clignotent puis s'effacent. Affichage en cyrillique, les lettres tremblent, se transforment en écriture latine. Des mots en anglais apparaissent, se brouillent à nouveau et se stabilisent en français. Emmanuelle baisse le volume grésillant des écouteurs de son casque et ne peut détacher ses yeux de ce qu'elle lit. Le désert de sable aux buissons d'épines, le ciel épais de cumulus violets, ainsi que l'immense usine grise n'ont plus d'importance.

G u i de

de

survie

et

conquête

du

te r r i t o i r e

humain.

Chers confraternels gurtraxteys des milles galaxies, le guide de survie et conquête du

territoire humain a été

conçu pour permettre une utilisation maximale de cet espace que certains nomment Terre, et de sa formidable composante psychobiotique. Ce guide délivre les conseils essentiels pour survivre en territoire humain et le conquérir. — distorsions 4 —

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Tous ces conseils avisés sont tirés de l'expérience de nos courageux éclaireurs, qui dans certains cas, n'ont pas hésité à risquer leurs tentacules pour nous apporter les informations vitales facilitant l'envahissement. Reconnaître les humains L'humain se reconnaît à sa fragilité: pas de griffes, pas de crocs. Il a besoin de chaleur (feu ou électricité) et d'eau. L'humain est bruyant. Au fond de ses yeux orgueil et mépris. Il est toujours à la recherche de provisions. Ne sachant patienter, il est en mouvement. Ne sachant être discret, il s'habille de couleurs vives et se déplace dans des engins bruyants. Les humains se répartissent en trois types familiaux: ·

Type A; famille mono nucléaire latitude et lon-

gitude européenne.·

Type B, famille polynucléaire de race asia-

tique. ·

Type C, famille exogame latitude et longitude

africain. Survivre dans le désert ou les steppes. — distorsions 4 —

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Règle 1 : quand vous apercevez un humain, forez immédiatement un trou profond de 12 m et large de 50 cm pour vous laisser glisser au fond en n'oubliant pas de reboucher l'extrémité avec des feuilles ou des pierres plates. Règle 2: quand vous respirez l'odeur âcre de leurs chairs, partez en courant dans le sens du vent et dissimulez-vous derrière un rocher, un arbre ou une dune. Règle 3: quand vous repérez des traces humaines, débris, déchets, vomis ou sécrétions, même minimes, prélevez des échantillons en petit nombre, placez les dans la machine à analyser. Celle-ci vous fournit leur nombre, leurs coutumes, leur sentiments en données psychiques auto-assimilables et surtout leur type familial : à chaque type correspond une réponse pratique et facile à mettre en œuvre: ·

Type A. Préparer le laser à induction organique

·

Type B Enclencher le décompte de la bombe à in-

jection quadriphasée. ·

Type C faites appel à la base avec le protocole

plutonio777@1 et le code afférent qui vous a été gravé dans le plis du zgontax au départ de notre chère ???

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Booster la vision. Pour survivre dans les conditions rudes du territoire humain, il est conseillé de se cautériser une à une toutes les facettes des yeux. Ne conserver qu'une seule de leur multiples ommatidies. En effet, chers confraternels, nos pupilles multitâches ont trop tendance à sangloter sous l'intensité de l'éblouissante lumière solaire. En cautérisant vos 806 ommatidies et en épargnant une, vos yeux n'exhaleront plus que de mini-sanglots au son inférieur à 0,007 décibels, (quasi indétectable pour l'oreille humaine). Développer le camouflage. Pour augmenter votre aptitude au camouflage sur la Terre, misez sur nos alliés objectifs, à savoir l'écorce de hêtre; les pythons ; les antennes de portables : · L'écorce de hêtre, parce sa couleur est raccord à celle de notre surface extérieure, ce qui permet un camouflage aisé. · Les pythons, parce que leur vitesse de reptation est synchrone avec la nôtre Lorsque nous avançons dans les parages de ce reptile, nos ondes cérébrales se fondent avec leurs reptations, ce qui nous garantit une invisibilité à coût énergétique nul. Cet effet a comme conséquence pour

nous de privilégier certains points d'accès

au territoire humains, ceux où se trouvent les pythons; — distorsions 4 —

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c'est pourquoi le débarquement ultime est prévu dans la ceinture équatoriale du lieu-dit « Afrique ». ·

Les antennes de portables, qui impulsent des vibra-

tions accélérant notre régénérescence cellulaire et boostant notre vélocité en fixant un acide essentiel à la base de notre troisième cortex antérieur. Sachez bien que si les trois conditions sont réunies (écorce d'hêtre, pythons et antenne de téléphone portable), alors nos capacités invasives sont centuplées. Conquête du territoire : Au Gabon, notre première ligne se déploiera en octogone pour un repérage en deux phases: détection des forces humaines; repérages irradiants. A partir de cette base, nous procéderons à la conquête totale du territoire humain; à son regroupement dans un second temps ; à son transfert dans la galaxie grise dans un troisième. En effet, chers confraternels, notre gouvernement est en train de finir le grand laboratoire psychobiotique nécessaire pour recycler l'énergie humaine et ainsi renforcer notre espèce pendant douze kalpas. Nous procéderons enfin à la dissolution des déchets dans la Voie Lactée.

C'est pas vrai, ils sont déjà là ! Jusqu'à présent, il ne — distorsions 4 —

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s'agissait que d'une rumeur, il paraîtrait que les premiers, entraperçus sur des radars baltes, auraient atterri au Ghana pendant que les températures battaient des records de baisse...Ils auraient déjà nidifié, nymphé, cocooné, préparant l'arrivée de leurs semblables. Il n'y a eu que les sites journalistiques de seconde zone pour relayer ces légendes. On avait noté des disparitions de villages entiers, de ça de là en Afrique, des villages entiers rayés de carte du jour au lendemain. Ces faits inaccoutumés avaient été avalés dans la grande brasseuse de l'actualité mondiale. Dans les commandos marins dont fait parti Emmanuelle, il y a eu quelques entraînements étranges contre des entités floues, qualifiées de cibles OW, puis de clones irradiés. Perso, elle n'a jamais gobé ces conneries. Ses acolytes discutaient à voix basses de suppositions où l'ennemi n'avait pas de visage. Ils pensaient qu'il s’agissait d’une préparation anti-terroriste un peu plus musclée que d'habitude. Après la lecture de cette tablette, on venait de passer au niveau supérieur, l'invasion a déjà commencé. Elle est la seule humaine à le savoir. Pourquoi est-ce tombé sur elle ? Son regard gris balaye le paysage, l'horizon a beau être dégagé, le grand laminoir abandonné, le désert sec aux buissons éparpillés, rien d'inattendu, mais tout devient subtilement oppressant. Sa perception bascule, un espace soudain hostile que lentement, dans un repérage millimétré du moindre indice, à la traque du moindre détail incongru... Emmanuelle décrypte précisément en essayant de faire — distorsions 4 —

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baisser son rythme cardiaque. Tout est scripté, questionné, enregistré dans son esprit entrainé au combat. Dans l'ombre de l'usine désaffectée, quelques débris rouillés, des carcasses de véhicules abandonnés, elle ne repère aucune trace de présence, ni animale, ni humaine, ni...

D' u n

atterrissa ge

d 'E mmanuelle

avec

imprévu, son

n +1

conséquences et

autres

dans

les

catastrophes

relations annoncées.

Dans le micro intégré de son casque, elle appelle son abruti de n+1 : - Opération Sisyphe demandée, en urgence, may day, may day. Gros bourdon véloce, l’hélicoptère de sa section la rejoint. N+1 sort en courant, suivi de deux autres soldats, Paul, matricule 8065 et Marie, matricule 42586. L'hélicoptère décolle lentement. N+1 lance: - Qu'est-ce que c'est cette histoire ? J'espère que tu n'as pas déclenché ce bordel pour rien ? — distorsions 4 —

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Elle lui tend la tablette, d'un œil perçant il la parcourt, ses traits se décomposent progressivement. Effarement, quand elle se met à grésiller, des vapeurs jaunes puantes en émanent, des volutes soufrées envahissent l'écran qui se tord et se gondole. De toutes ses forces n+1 balance la tablette loin devant lui, elle traverse l'air dans un crissement aigu et s'écrase sur le rotor de l'hélicoptère ascendant. Une voix exaspérée hurle: - Tous à terre, à l'abri ! Emmanuelle a à peine le temps de s'aplatir quand le rotor, composé aluminium solide et de fibre de verre, se tord, endommagé, ce qui déstabilise l'engin. Il tente de poursuivre sa route cahin-caha. Les surfaces verticales de l'aéronef essaye de stabiliser l'appareil et de l'empêcher de descendre en vrille et de s'écraser. Le pilote dirige l'appareil en jouant sur le régime du moteur en vol stationnaire. Cela ne marche pas. Il déconnecte alors le moteur du rotor principal. Quand – Bouumm ! retentit une explosion, l'hélicoptère s'embrase, puis plus tonitruante, une deuxième explosion. Des déflagrations successives qui n'en finissent pas de résonner. Le cri du pilote, un hurlement animal qui se transforme hurlement bestial. Odeur étouffante du combustible qui brûle. L'hélicoptère n'est plus qu'une carcasse tordue par des flammes bleues. La fumée dégagée recouvre le paysage dé— distorsions 4 —

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sertique d'un rideau épais, avant de lentement refluer, laissant apparaitre le laminoir abandonné. Emmanuelle lève la tête, un profond cratère s'est creusé sous les restes de l'hélicoptère. Plus aucun retour possible par les airs. Elle croise le regard vide de N+1, il inspire profondément puis se reprend: - Vite à couvert. Faut alerter la base. - Mais qu'est-ce que c'est ? - Pas maintenant, je t'expliquerai, priorité, on se couvre. La jeune femme tente de reprendre son souffle. Envie subite de se persuader que la tablette n'était qu'un gag, qu'elle est sur le point d'émerger d'un cauchemar vide. Avec n+1 et les deux autres soldats, elle se précipite dans l'usine. Ils pénètrent dans l'immense hall, grimpent au deuxième étage, se réfugient dans un bureau poussiéreux. La possibilité d'une invasion non-humaine hante leurs esprits. On ne les a pas envoyés ici pour traquer des terroristes, non, c'est une autre menace, sans aucun point commun avec ce qu'ils connaissent, ce qu'ils maitrisent, ce qu'ils ont combattu jusqu'ici. Une sueur âcre dégouline dans le cou d'Emmanuelle, n+1 tremble de la tête au pied, Paul affiche un visage hagard, Marie se passe la main sur les yeux. Emmanuelle reprend ses es— distorsions 4 —

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prits la première, n+1 leur fait signe de se coucher à terre, tous s'accroupissent...On entend juste le bruit doux du vent. Paul sort un radar qu'il observe attentivement: la zone apparaît entièrement, reliefs statiques du paysage, dessins déchiquetés des reliefs, creux sensible d'une vallée. Et là, sur l'écran, des tâches rouges et rondes qui apparaissent quelques secondes pour disparaître, puis réapparaître un peu plus loin, faisant des avancées invisibles de 30 mètres. - Mais c'est quoi, cette merde murmure Marie. - Un volontaire pour un repérage visuel, dit N+1 - Moi fait Emmanuelle, tiraillée entre la panique de rester planquée et l'angoisse de découvrir les autres. Paul lui tend des lunettes infrarouge pour détecter les mouvements dans les ombres, elle redescend silencieusement au rez-de-chaussée, se cale en biais sous une baie vitrée. Une étendue sableuse pâle s'étend à perte de vue, quelques petits rochers gris, des arbustes rabougris, des buissons décharnés, nulle âme qui vive. Ses lunettes ne montrent aucune vie. De temps à autre le vent soulève des nuées de poussières et fait rouler des amas de ronces. Elle guette en balayant de ses yeux plissés ce paysage monotone. Un bruit derrière elle, c'est n+1 qui l'a rejoint et scrute à son tour. Un nuage de poussière se soulève derrière les restes calcinés de l'hélicoptère, — distorsions 4 —

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un nuage tournoyant qui grossit et enfle, se densifie, des petits éclairs verdâtres en jaillissent. Les deux guetteurs serrent leurs fusils, parés à viser. Maintenant noir comme une tache d'encre contaminant l'eau pure d'un lac, le nuage s'étend et s'étire en une gigantesque écharpe sombre, une écharpe immatérielle crissante et crépitante qui maintenant enserre le bâtiment. - Zéro visuel, lâche Emmanuelle, n+1 répète en serrant les dents - Ca craint, ça craint. Il appelle Paul : - Lance une alerte, l'alerte CODERA ! Emmanuelle trouve étrange sa manière de trainer sur certaines syllabes, son accent belge. Dans ce contexte elle le trouve carrément grotesque et se retient pour ne pas pouffer, ou ce sont ses nerfs qui lâchent. - C'est fait ! répond la voix caverneuse de Paul - Et alors, z'arrivent quand ? glapit N+1 - Ils sont en route, patron, la cavalerie rapplique et ils apportent... La voix grave de Paul s'effrite, comme un bruit de pneu — distorsions 4 —

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qui se dégonfle... N+1 et Emmanuelle entendent ses halètements rauques qui n'en finissent pas de chuinter avant de disparaitre, un silence blanc interrompu par un plop sourd...Ne subsiste que le bourdonnement de la communication radio. -Qu'est ce qui se passe, là haut, on a perdu le contact, Paul, réponds, réponds, c'est un ordre !

D' u n qui

péta g e

plon g ent

de

plomb

l ' hé r o ï n e

soudain, dans

de

autres

catastrophes

gr a v e s

tourments.

en

chaine

Emmanuelle s'étonne des yeux exorbités du chef, qui saute sur ses pieds en petits bonds déséquilibrés, jette partout des regards métalliques et fait signe de le suivre. À moitié courbés ils longent le mur bétonné du hall, se penchent sous chaque baie vitrée, pendant que dehors le nuage a tout recouvert de son obscurité fracassante. On n'aperçoit plus rien à trois mètres, une tempête de sable, un sable plus noir que l'enfer. Des interférences sonores déferlent dans leurs casques, des sons hyper-aigus puis assourdissants, très graves qui martèlent leurs tympans, doublés d'autres modulations à la limite de l'inaudible. Emmanuelle ralentit, un liquide chaud suinte de son oreille gauche, du sang. N+1 se retourne vers — distorsions 4 —

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elle, les yeux perdus. Une coulée de sang dégouline sur son cou, c'est comme si elle se liquéfiait. Elle prend une forte inspiration, arrache son casque et le jette par terre, balance un coup de Rangers dedans. Le corps de n+1 est parcouru de convulsions, il charge son Uzzi et commence à tirer, tire partout, tire n'importe où, dans toutes les directions. De fines coulées rouges dégoulinent aussi de ses oreilles. Emmanuelle lui fait signe d'enlever son casque. Une balle siffle à côté d'elle, la poussière noire du nuage commence à s'immiscer sous la porte. La nuée sombre glisse lentement dans l'immense espace du laminoir, un tapis d'encre impalpable qui dilue tout sur son passage. Les volutes progressent à ras le sol. Emmanuelle plonge sous une grosse presse. N+1 reste ballot au milieu du hall, cerné par les vagues noires, son uniforme marbré de rouge sur les épaules, un tragique pantin qui tourne sur lui-même, l'Uzzi dans une main un pistolet dans l'autre. Eblouissants, des éclairs magnétiques montent du sol et créent une cage mouvante, zigzagante, crépitante. Ultime sursaut de l'homme se précipitant poursuivi par une nuée d'éclairs froids. Le dos du crâne d'Emmanuelle heurte un point métallique et glacé, une voix tordue à l'accent belge crie derrière elle : - Bouge pas un cil, si tu ne veux pas que ton précieux cerveau explose ! - Mais patron, c'est moi, matricule 57655, ton alliée — distorsions 4 —

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c'est moi... - La ferme ! - Par pitié enlève ton casque, le casque est dangereux, faut t'en débarrasser ! - Ta gueule ! Un coup sec s'abat sur sa nuque, elle chancelle, amorce un mouvement en direction de son pistolet, elle sent l'acidité de sa sueur. Rouge, un rideau qui passe devant ses yeux. Sûr, cet abruti va tirer, des forces obscures ont pris le contrôle de ce pantin, il va tirer - quel bruit va faire son crâne à l'instant où la balle va pénétrer, L'OS DU CRANE, va-t-il exploser directement ou se fendre en craquelant pendant que la cervelle en bouillie se réduira en petits bouts LE CRAQUEMENT DE L'OS résonne-t-il longtemps, les neurones se déchirer comme une toile d'araignée par une matinée froide escargot écrabouillé CORTEX EN BOUILLIE Moite la matière grise se liquéfie MAL est-ce que ça va être douloureux, un peu, beaucoup, la zone de la sensibilité sera touchée la première et aucun ressenti pour le moment, ce n'est pas normal DOULEUR se propager à vitesse de l’éclair jusqu’à extrémités de son corps EFFACEMENT chaos CRI dans sa bouche, un peu de chance ce serait de ne rien NE RIEN RESSENTIR la pression du canon s'accentue au dessus de la tempe gauche BOUGER ENCORE — distorsions 4 —

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quelques secondes après le tir comme un canard sans tête continue d'avancer, son corps bougera-t-il encore après l'explosion de sa conscience RALENTIR RESPIRATION mais pourquoi il ne tire pas maintenant NUEE NOIRE qui monte du sol et envahit tout, elle ne voit plus rien

D' u ne

fin

éberlu a n t e ,

l ’ i névitable

qui

emmène

comme très

on

n’en

très

souhaite

à

personne,

de

loin…

Ses mains ont disparu dans la purée de pois, mieux vautil fermer les yeux pour mourir. Ou les garder grands ouverts ? Si ça se trouve LA MORT un couloir de LUMIERES... donc il vaut peut être mieux les fermer... elle ferme les paupières puis les écarquille sans pouvoir se décider... les ouvre mais ne voit plus rien, peut-être est-elle déjà passée de l'autre côté ? PAF ! Bruit sec, une déflagration, le tracé lumineux d'une balle au-dessus de son crâne, un corps s'affaisse, N+1 s'est effondré brusquement et le brouillard est partout, Emmanuelle règle ses lunettes infrarouges au niveau le plus lumineux. D'une démarche hésitante, trébuchant un pas sur deux, elle se dirige vers la sortie, mains levées en avant.

Dans son ventre, sous le nombril exactement, un sacré remue-ménage, quelque chose qui s'agite. Quelque chose qui prend de plus en plus de place vite, — distorsions 4 —

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très vite, quelque chose qui n'est pas elle. Quelque chose qui est elle. Un être informe qui s'élargit et grossit. Ca fait son poids, un poids qui engrange des dizaines de grammes par seconde. Son ventre elle le voit de plus en plus gros, de plus en plus compact et ça commence à bouger aussi l'intérieur : des petits coups et des petites secousses furtives, des tressaillements de tentacules.

Les doux tacles qu'elle ressent à l'inté-

rieur déforment maintenant la surface désormais bondée du ventre, qui tirait. Elle transpire à grosses gouttes. Devant eu milieu du nuage qui se disperse, la porte : la porte de ce qu'elle appelle à un vaisseau, une immense sphère grise vers laquelle convergent des centaines de femmes au ventre gros. Jeunes, vieilles, blondes, brunes, noires, petites, grandes, toutes ces femmes enceintes comme pénètrent les unes derrières les autres dans l'immense porte du vaisseau. Au rez-de-chaussée, des mains invisibles les guident et les trient avec délicatesse. Et les dirigent vers des cages.

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hochets d’œuvre didier lemaire

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— Niaque / Gnaque —

histoire du hochet

Archytas de Tarente

Tout remonte à (435-347 avant JC) philosophe grec, génie universel, Léonard de Vinci de l'Antiquité

Pythagore maître d'Empédocle

mathématicien et philosophe de l'école de

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ami de

Platon …................stratège et homme politique éclairé il gouverna sa cité en maintenant l'équilibre et l'égalité des partis

il eut l'idée d'appliquer le calcul à l'astronomie à la physique à l'acoustique à la musique il inventa le mésolabe pour produire des figures géométriques en trois dimensions une

colombe mécanique capable de voler la vis, la poulie, la crécelle


….....................mais sa trouvaille la plus extraordinaire pour occuper intelligemment les enfants

fut sans conteste

le hochet

il mourut dans un naufrage sur les côtes de l'Apulie

ses inventions et ses écrits se perdirent dans le limon des siècles

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— Niaque / Gnaque —

1/ hochet d'Archytas figure géométrique d'Archytas première courbe non plane qui permit de résoudre le problème de la duplication du cube

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gravés sur le socle ces vers d'Horace l'aumône d'un peu de poussière près du rivage de Matinum suffit pour te contenir Archytas toi qui mesurais la terre et comptais les sables de la mer et il ne t'a servi à rien d'avoir tenté les demeures aériennes et parcouru en esprit la voûte du ciel à toi qui devais mourir Odes, livre I-28 traduction Leconte de Lisle


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2/ hochet de carnaval

déguisez-vous en hochet

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…...........faites vous-même le grelot derrière le masque


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3/ hochet de poète poème-sculpture comme les bouliers que font rouler les enfants on tourne les cylindres pour lire chaque vers d'une « Mirlitonnade » de Samuel Beckett

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imagine si ceci un jour ceci un beau jour imagine si un jour un beau jour ceci cessait imagine


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4/ hochet de boxeur …....grelot punching-ball et gants de boxe à disposition...........

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5/ hochet parleur d'une voix grave (et peu intelligible) ….......il raconte son histoire

texte et voix d'Olivier Salon, membre de l'Oulipo

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6/ hochet phare lentille de Fresnel projecteur leds animé

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gravé sur le socle « éclairer la nuit ce n'est que la rendre plus évidente » Julien Torma Euphorismes


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7/ hochéguevara che vos !

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8/ hochet de la fortune

...........................une roue de vers tirés au

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hasard.......

on tourne on découvre les combinaisons folles qui s'offrent à nous et on s'enrichit


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— Niaque / Gnaque — 256 combinaisons possibles

Si l'heure dans les pendules s'endormait, Si cela pouvait nous mener plus loin qu'ailleurs,

la lumière finirait par devenir invisible.

Si la pluie était noire,

l'amour ne s'illuminerait qu'un instant.

Si quelque chose commençait, Si le jour passait comme les bruits de fin d'orage, Si le ciel, les haies et le soir voyageaient, Si l'on pouvait ouvrir sa porte sans savoir où aller, Si nos petits bonheurs s'évanouissaient dans les nuages, Si une main tiède glissait sans bruit sur nos paupières, Si l'on pouvait remonter les rouages des jours, Si le hasard était à l’œuvre, Si tout n'arrivait qu'en une seule fois, Si l'horizon parlait,

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il y aurait une clef pour ouvrir les ténèbres.

Si les matins se jouaient à la marelle, Si la suite était toujours remise au prochain numéro, Si les nuits étaient plus blanches,

un immense murmure se préparerait au fond de la terre. le silence nous brûlerait. on devinerait d'infimes marques de douleur. on rirait. un souvenir serait plus pénétrant qu'un parfum. on s'attacherait des yeux au bout des doigts frêles. le silex des mots étincelleraient dans nos voix. le vent réciterait des poèmes. il n'y aurait rien dans la nasse du soir. on pourrait mourir. nous formerions un monde plein d'espoir. les ombres frissonneraient dans les forêts. plus rien ne serait irréparable.


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— Niaque / Gnaque —

9/ hochéri-bibi ….............d'évasion en mutinerie

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— Niaque / Gnaque —

10/ hochet love story une boîte à musique un vieux hachoir tournez la manivelle

..........et tourne la ritournelle

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— Niaque / Gnaque —

11/ hochet à 3 balles la vie / l'amour / la mort une blanche.....une rouge.....une noire ….......c'est le jeu........

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quand la vie est lancée.....blanche rouge l'amour transmet................rouge blanche le mouvement à la mort...............noire blanche et quand la mort arrive....noire blanche la vie s'en va......................blanche rouge mais toujours l'amour demeure....rouge blanche telles sont les lois de la physique

…...........on peut jouer presque indéfiniment....


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— Niaque / Gnaque —

12/ hochetbaker

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— Niaque / Gnaque —

13/ hochet de Sisyphe silencieux portant sa pierre muet vainqueur Σίσυφος

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fils d'Eole et d'Enarété fut le fondateur de Corinthe il développa la navigation et le commerce déjoua Thanatos et pour avoir défié les dieux fut condamné à rouler éternellement un rocher au sommet d'une colline


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— Niaque / Gnaque —

B ac h a — 242 —

l a

niaque

Olivier Salon


Bach, ça claque Regardez-moi cette bête à claques Grand crack pas banal Et ses fugues qui claquent Ce crack qui traque les gammes Opaques et qui, pour chaque, Invente une fugue et un prélude Et il écrit ça du tac au tac, Le gars Bach Il sort aussi bien de son sac Il sort des inventions de son sac des magnificats de son sursac Des cantates de son havresac Ah, quel micmac ! Des cantates à la pelle des cantates du tac au tac Des cantates qui s’alignent Alignement de cantates Alignements de Carnac. Faut dire que Bach, ça claque Les notes il les traque Les tonalités, il les traque, Le gars Bach Les genres, il les traque Bach sème le vrac. Du Larzac à Figeac On chante Bach, on joue Bach De Pauillac à Cognac, On loue Bach, on joue Bach Où joue-t-on Bach ? On joue Bach à Nale On joue Bach à Râ On joue Bach à Rdi On joue Bach à Linje. Faut dire que Bach, ça claque Et pour qui joue-t-on Bach ? — distorsions 4 —

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On joue Bach aux Rabane On joue Bach aux Ney Faut dire que Bach, ça claque. Bach se joue droit, Bach se joue carré Bach ne supporte pas l’à-peu-près Il faut jouer Bach et d’équerre. Même Télémaque à Ithaque, Bach ça l’estomaque. Avec Bach, point besoin de Prozac Bach remplace le Prozac Prenez du Bach, pas du Prozac. Ecoutons Bach dans un hamac Ecoutons Bach au bivouac Faut dire que Bach, ça claque. Je tire ma photo à Bach Clic clac Kodak. Où joue-t-on Bach ? On joue Bach à Sable On joue Bach à Loréa. Bach est riche, Bach est le plus riche Qui pourrait trouver Bach chiche ? Bach est un architecte maniaque Bach a la niaque ! Il empile des briques Dans son bric à brac Ce que je dis là, c’est la rubrique à Bach (hommage discret à son troisième fils d’Anna Magdalena troisième sur treize et dont le prénom est Christian Gottlieb) Bach a eu sept enfants d’un premier mariage, Et treize du second Bach a la niaque !


Bach est à la musique Ce que Balzac est à la littérature Bach c’est Balzac Bach est immense et multiple Bach a la niaque ! Bach est-il Pierre Paul ou Jacques ? Non, Bach, c’est Bach Et Bach a la niaque ! Cet homme à l’orgue est orgiaque Cet homme à l’os est iliaque Cet homme est un maniaque Et Bach a la niaque ! Bach est paradisiaque Bach est paradisiaque Cet homme nous estomaque. Écouter Bach, quelle attaque, Bach a la niaque ! Quelle contre-attaque, Écoutez Bach, ça n’rend pas patraque Écoutez Bach, n’y a pas d’ammoniac Bach a la niaque Bach a la niaque ! quoique… Pourquoi donc en 1750 Bach vaque ? Bach ça estomaque Car Bach a la niaque ! Les notes il les traque Oui, Bach c’est Balzac Prenez du vrai Bach, Et pas du Prozac, Du beau, du bon, du Bach Prenez donc du vrai Bach, C’est la rubrique à Bach.

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—————————————— #1 / niaque —————————————— D o r o t h é e F . —————————————— #2 / mojitos —————————————— d o m i n i q u e m o n t r e a u Dominique Monteau, iconographe, historienne d'art. Un pied en France, un autre au Chili. Tourne autour de l'écriture depuis quelques années.

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—————————————— #3 / didier —————————————— d i d i e r s a i l l i e r Didier Saillier, de formation littéraire et en sciences sociales (EHESS), publie chaque mois des articles sur l’actualité culturelle dans le journal Culture et Liberté Île-de-France. Il écrit des nouvelles et s’est lancé dans son premier roman.

———————— #4 / les enfants les regardent ——————— m a r i e d e q u a t r e b a r b e s ———————— #5 / josh - une deuxième chance ———————— h u g o f a l c o n e Hugo Falcone, 58 ans, employé de banque, a découvert l'écriture il y a deux ans grâce aux ateliers de l'Aleph.


———————————— #6 / vu de la lune ———————————— l a u r e n c e f a u r e mime de formation, est aujourd’hui comédienne, formatrice et anime des ate- liers d’écriture. Gestuelle du corps, du texte. Toucher la matière avec les mots. Tant de mystères passionants.

——————————— #7 / trois quatorze ——————————— c h a r l e s l e f r a n c ———————————— #8 / courroux ———————————— m a r i e l l e g r a m m —————————— #9 / niaque la chienne —————————— p i e r r e - c l é m e n t J u l i e n vit et travaille à Paris. Artiste plasticien et vidéaste, il explore, en mots et en images, le monde qui l’entoure. Il vient de terminer un film sur la première femme transsexuelle du Grand Orient de France : « Ma Très Chère Sœur Olivia ».

———————————— #10 / offrande ———————————— c a t h e r i n e b e d a r i d a Poète et journaliste culturelle (Le Monde, Mouvement), Catherine Bédarida anime l’association Le Bout de la langue – Ecrire, Dire, Lire (www. leboutdelalangue.com). Elle co-organise des rencontres littéraires, notamment avec le festival de poésie Les Voix de la Méditerranée. Elle donne régulièrement des lectures de ses textes en s’accompagnant au piano.

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———————————— #11 / doublement ———————————— l a u r e n t G . Laurent G, ingénieur et lecteur vorace de milliers de livres, a commencé à écrire tout jeune, mais sans succès, des cartes postales toutes identiques pour sa famille nombreuse. D’un optimisme inébranlable, il persiste à trucider le héros de chaque texte.

————————— #12 / voyage en province ————————— n i c o l a s l o u i s Auteur de textes littéraires.

——————————— #13 / poème de metro ———————————

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Benoit richter, auteur, metteur en scène en librairie : "Histoire de la roue qui a inventé l'homme", éditions MeMo. En tournée : "Pion prend tour en D9", opéra de Bruno Giner http://www.snms.info/membres/fr/adherent/mb/ id/92/m/richter-benoît

——— #14 / les morts sont de dangereux maniaques ——— j e a n m a r c R . —————————————— #15 / tueuse —————————————— v a l é r i e n a v o n ———————————— #16 / tumulte ———————————— p a s c a l e f l a v i g n y voyages professionnels dans différentes structures artistiques, puis professeure de Lettres – fut en deuil du poème qu'elle n'écrivait plus – auteure


de textes et de poèmes, participe à des ateliers d'écriture.

———————————— #17 / pékin 08 ———————————— J e a n - P a u l H o n o r é Jean-Paul Honoré enseigne la linguistique et la grammaire dans une université de la région parisienne. Il a publié (en collaboration) Le Renouvellement des formes poétiques au 19è s. chez Nathan, ainsi que Formes brèves etTraque chez Poïein.

————— #18 / A hauteur du vide il ne faut pas faiblir ————— M y r i a m L i n g u a n o t t o Écrit des nouvelles et des 807 http://les807. blogspot.com/search/label/Myriam%20Linguanotto

———————————— #19 / intrusion ———————————— c a m i l l e p h i l i b e r t Écrit sur les807.blogspot.com, sur convoidesglossolales.blogspot.com, camillephi.blogspot.com et dans la revue Dyptique.

—————————— bach a la niaque ——————————— O L I V I E R S A L O N Olivier Salon est membre de l'Oulipo, il aime la poésie aux effets sonores. Les nuits de pleine lune, il joue du piano en compagnie des loups-garous.

————————— HOCHETS d i d i e r

D'ŒUVRE —————————— l e m a i r e

Allumeur de poèmes, scénographe, plasticien, il réalise des installations au carrefour de la poésie, du cinéma et des arts plastiques. Des oeuvres où le spectateur est aussi parfois

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acteur : des poèmes-sculptures, des parcours poétiques en résonnance avec les lieux et les gens, un « Bal des bougies » féérique et musical et des « Hochets d’oeuvre » pour « jouer le temps ».www. lumieres-secretes.com

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———————————— Niaque ———————————— p i e r r e - c l é m e n t J u l i e n Vit et travaille à Paris. Artiste plasticien et vidéaste, il explore, en mots et en images, le monde qui l’entoure. Il vient de terminer un film sur la première femme transsexuelle du Grand Orient de France : « Ma Très Chère Sœur Olivia ».

———————————— Course à la Niaque ———————————— S S D P 3 1 1 2 1 9 8 8 Vit, travaille et étudie à Paris. Graphiste en construction, elle est en constante quête d'influences, d'images, d'idées. Elle étudie le graphisme mais ne s'y limite pas. ssdp31121988@gmail.com ssdp.fr

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Graphiste/Concepteur Multimédia/Pigiste, vit à Paris

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Vikings e r

————————————— v e r d y

Né en 1967, près de Paris. Etudes d'art graphiques à L'ESAG puis à l'ESAT. Passionné de bandes dessinées et de cinéma. ses maitres : Moebius, H;Pratt, Bilal, Franquin,Katsuhiro Otomo et Hergé, bien sûr, pour la bande dessinée, Stanley Kubrick, Sergio Leone, M. Scorcese, et Ridley Scott sans oublier Georges Lucas et Spielberg pour le cinema. Voilà pour l'image. Mes lectures : Kafka, E.Emingway, Isaac Asimov, Philip K. Dick entre autres. Bande dessinée en Cours : Les Ombres de l'Apocalypse, Damnation.

———————————— photo du chien ———————————— M i c h e l S f e z Michel Sfez né en 1951, vit et travaille à Paris dans le XXè. Photographe et tireur n&b professionnel, il réalise et vend ses tirages à domicile, et donne des cours particuliers de labo n&b. Il appartient à la grande tradition des photographes humanistes, hors mode, hors école. Ouvrage publié : "Paris pour toujours..." www.laphototemps.com


———————————— série pacman ———————————— H E q u e t . v u d i c i Vudici est un imageur-photographe. Cette activité incite à mieux voir, mieux comprendre, mieux saisir la vie dans ses expressions fortuites… mais aussi la poésie … et toujours l'enfance et son vaste espace! hequet.vudici@yahoo.fr

————————————— sans titre ————————————— ———————— Modification Polaroïdienne ———————— ———————— voyage au centre du miroir ———————— ————————— MARIAGE DE RAISON N°1 —————————— S S D P 3 1 1 2 1 9 8 8 Née le 31 décembre 1988. Vit, travaille et étudie à Paris. Graphiste en construction, elle est en constante quête d'influences, d'images, d'idées. Elle étudie le graphisme mais ne s'y limite pas. ssdp31121988@gmail.com ssdp.fr

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à contribution ——————————————————————————————————————————————————

p e a u - c i e l ——————————————————————————————————————————————————


Le prochain numéro de la revue distorsions développe le thème peau-ciel. Nous attendons vos contributions pour le 28 mai 2012. Des textes à fleur de peau, des images à ciel ouvert, des poèmes peau de balle, des vidéos entre ciel et terre, des ziques qui vendent la peau de l'ours, des installations au septième ciel, et remuerons ciel et terre avec vous…

r e v u e d i s t o r s i o n s @ y a h o o . f r

La peau nous enveloppe. Cet organe particulier et multifonctionnel,

a

pour

fonction

d’envelopper

l’ensemble

du

corps afin de le protéger. La protection est aussi assurée par l’enveloppe imperméable et le mécanisme de cicatrisation qui évite l’entrée de microorganismes dans l’organisme. Elle représente également une barrière protectrice contre les rayons nocifs du soleil De plus, la peau accueille des structures nerveuses qui permettent la perception du toucher de la température et de la douleur.

Le ciel nous enveloppe. Le mot ciel vient du latin caelum

qui

implique

connotation

de

une

pureté

forme et

de

circulaire perfection

et

contient

harmonieuse.

une Le

ciel a l'aspect d'une voûte ou d'un hémisphère, raison pour laquelle on parle de "voûte" ou de sphère céleste.

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