Revue DiptYque #2 - Lumières intérieures

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DiptYque #2

- revue littéraire et artistique semestrielle Hiver 2010- 2011 Lumières intérieures

DiptYque revue littéraire et artistique

Versant 2 : Lumières intérieures


Édition Numérique Responsable éditoriale : Florence Noël 11 Rue Bois des Fosses 1350 Enines Belgique ISSN : 2033-2939 Illustration de la première de couverture : Pierre Gaudu, “Deux songes” gouache encre et graphite 30x30 collection privée.


Ami, où que tu sois, ne t’arrête pas; Il faut sans cesse aller de lumière en lumière Ami; arrête là. Si tu veux lire encore, Va, toi même deviens l’écriture et l’essence” Angelus Silesius Le Voyageur chérubinique

Cette apostrophe s’adresse sans aucun doute à vous, chers lecteurs de Diptyque. Au moment de clôturer ce numéro par son éditorial, elle m’est littéralement « apparue » comme la meilleure entrée en matière pour ce qui ne sera pas des constats de fin d’année, mais des voeux de nouvel an. Deux-mille-onze a remplacé deux-mille-dix dans la date de livraison du numéro deux de DiptYque. Comme la lumière a remplacé l’ombre, l’espoir réinvestit les jours en les rallongeant. N’était-ce finalement pas le destin de ce numéro consacré aux lumières intérieure de naître en hiver, là où la clarté entame sa lutte cyclique contre la pénombre des étés finissant?

Oui, à l’invite de Silesius ne cessons d’aller de lumière en lumière, des textes aux oeuvres rassemblées en ce numéro. Dès son préambule, vous explorerez un dossier monté par Le Scriptorium de Marseilles de Dominique Sorrente : Lumières de Toscane en Provence... Auteurs italiens et français croisent leurs pas et leurs regards parmi les sentes et hauteurs de l’Isle sur la Sorgue, de Fontaine de Vaucluse et au Mont Ventoux. Voix à la Une jetant leurs lueurs polyphoniques sur nos pages. Davantage d’artistes pour davantage de cristaux colorés dans les lumières kaléidoscopique de cette thématique : intériorité des lieux ou des personnes de Clarisse Rebotier et Brahim Metiba, vieillesse immobile parcourue de zébrures incandescentes de Grégoire Philippidis, paysages d’un grain qu’on dirait peints de Jacques Vandenberg, poésie in blue de Danièle Colin à l’enfance d’ombres chinoises d’Anastassia Elias, lèvres pulpeuses d’un sac poubelle aux aurores de Raphaële Colombi, effilochures et textures d’Anne Huart. Œuvres picturales de Jean-Marie Denis, de Solange Knopf, d’Annik Reymond, de Marie Herckberg : sobriété ou profusion interrogent notre sens de la justesse et de l’éveil. Dès la couverture due à Pierre Gaudu, deux songes se mêlent en une lutte d’où rêves et sèves intimes nous raniment.

Edito

Certes DiptYque fait la part belle à la poésie, mais ce sont bien dix nouvelles et récits qui s’égrènent de pages en pages, sans ordre autre que de subtiles correspondances avec des oeuvres posées comme des lampes basses. Effleurant le fantastique ou l’étrange, traçant des itinéraires de pierres sacrées ou de jours finissants, nous donnant à voir les éclats des révoltes ou les lueurs de rémission. Tout comme dans notre premier numéro, notre anthologie de poésie consacrée cette fois aux lumières intérieures se propose comme un livre au sein du livre. Y figurent des auteurs de tous les horizons de la francophonie, jeunes ou plus établis, mais chacun inspiré de ce souffle presque charnu des lumières qu’ils côtoient au quotidien dans leur rapport à l’écrit. Entre cent autres, c’est à l’écho des vers de Véronique Daine, que je vous invite à cheminer, comme en écho de Silesius…. Ma mère ma toute petite c’est un matin du corps battu, un matin de fractures et de fragilités, un matin de la nuit poumon un matin de nudité aussi, un matin de nos nudités, nos effroyables nudités un matin de l’étrange douceur de ces nudités, même devant la mort un matin de l’étrange douceur du rejoindre Amis, surtout ne vous arrêtez pas, continuez de vous rejoindre dans ces voyages, dans vos lectures, dans vos plumes et vos pinceaux. Revenez-nous pour nos prochains numéros aux thématiques en miroir. Deux-mille onze ne fait que commencer….

Florence Noël 18 janvier 2011

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Solange Knopf

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Voix à la Une Chaque numéro de DiptYque s’ouvre sur une voix ou plusieurs voix particulières, voix à entendre malgré les pas qui se pressent, les cieux qui filent, les marches qu’on dévale, les trains à prendre, la vanité de tout. Voix résonnant avec la thématique du numéro. Pour ce deuxième numéro de DiptYque, un recueil dans la revue, un concert polyphonique et bilingue, baigné des lumières intérieures de Provence et de Toscane.

De Toscane en Provence Lumières d’un Jumelage au

Scriptorium

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Préface d’un atelier en mouvement

PAR DOMINIQUE SORRENTE

D’un paysage à l’autre, écrire en mouvement comme on relie des pages inconnues. Le pari de nos mots échangés : celui des couleurs qui s’ignorent encore mais se devinent complémentaires. Notre désir de jumelage poétique est fait de cette matière-là à inventer ensemble.

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Il faut imaginer un quadrillage de l’existant, sous parois numériques. Le sentiment confus mais permanent que le noyau de poésie qui donne souffle recule sans cesse de soi-même parce que les temps actuels sont ce qu’ils sont. Gestes marchandisés, technologie prenante de chaque instant, machinales répliques… Dans cette usure éprouvée, face aux obsessions de contrôle qui se paieraient bien d’une mise en conformité des nuages et de leurs humeurs, nous nous sentons poètes, avec notre part d’insurgence, nos désirs d’incise et de lenteur, nos foucades et nos effrois, nos scènes d’abandon mais poètes aussi, apprenants et lucides, refusant les escamotages du réel qui réclame en son multiple, en ses énigmes et ses appels insaisissables, nous éprouvons le sentiment qu’il nous faut apprendre à écrire, dans la façon nouvelle que nous cherchons, toujours à l’œuvre, en travers de l’époque. Se fondre dans l’indistinct, comment le pourrions-nous ? Mais que faire d’un culte du à part qui nous éloignerait de la poignée de mains familière, fraternelle ? C’est ainsi que le Scriptorium est né et a vécu depuis 1999 de cet instinct en quête de coïncidences à trouver. Comme sémaphore d’incandescence, lieu intermittent de la parole. Entre les noirs des brouillages caverneux et les signaux qui, d’un intervalle à l’autre (tel est le nom donné aux rencontres thématiques du groupe), nous remuent, nous orientent. Dans ce parcours chaotique, incertain, toujours à reprendre, nous avons appelé des temps particuliers. Des moments collectifs où faire naître un croisement de voix avec le pari que de ces rapprochements suscités, désirés pouvait naître un jeu de vibrations inédites. Le jumelage entre poètes venus de Toscane et poètes du Sud de la France est une belle manifestation de cette ferveur dessinée là, d’abord à Pistoia en 2009, puis en Provence en 2010. Après l’expérience vécue en Toscane, en ateliers de traduction, à travers lectures et échanges, conduits grâce à Paolo Fabrizio Iacuzzi, la Bibliothèque San Giorgio et la


Voix à la Une commune de Pistoia, il s’est agi de partager avec nos amis italiens réunis par l’Accademia del Ceppo un temps de perceptions mais aussi de concrétisations poétiques, cette fois en Provence, arrière-pays et littoral. Écrire en mouvement dans des lieux éprouvés : tel a été le parti-pris de ces journées de jumelage retour du Scriptorium, entreprises à l’Isle sur la Sorgue, à Fontaine de Vaucluse et au mont Ventoux, en amitié avec l’association Poïéo, puis dans les ports de Marseille de Malmousque et du vallon des Auffes, point d’ancrage du Scriptorium. Les textes qu’on lira ici sont les traces de cette aventure bilingue d’avril 2010, vécue à plusieurs voix. Maura del Serra, Laurence Verrey, Angèle Paoli, Martino Baldi, Paolo Fabrizio Iacuzzi, Olivier Bastide, André Ughetto et moi-même ; ce sont huit auteurs, de nationalité italienne, suisse et française, épaulés par les traducteurs, interprètes, accompagnateurs, Ilaria Tagliaferri, Valérie Brantôme, Francesco Dreoni, Moreno Fabbri, Yves Thomas, Mario Passerini, qui ont éprouvé les chants variables des eaux et des terres rencontrées, qui ont accueilli l’emprise de ces paysages et construit des gestes en commun dans les rues et sur les chemins de traverse. À leur manière, et par exemple dans le demi-cercle qu’ils formèrent, sur un flanc de neige du Ventoux, peut-être ont-ils appelé de leurs vœux l’avènement d’un temps où la poésie trouvera sa place à la table commune. Selon l’utopie revendiquée dans le texte de parole première du Portrait de groupe* n’est-il pas écrit : « L’aventure a déjà commencé. Demain, sur les routes du vaste monde, ils partent à la rencontre, le cœur devenu différent, l’esprit relié. Cette voix de la poésie que bâillonnait l’empêchement de l’ordinaire du jour se fait entendre à nouveau. Hasard incandescent. Et chacun à son pas rejoint les parvis. Le rire aux lèvres, nous sommes avec vous de ces quelques-uns qui œuvrent pour qu’habiter la terre signifie. » ? C’est une telle disposition secrète qui a prévalu en ces jours de l’heureux inattendu. Une jointure inédite pour nous relier au monde. Les poèmes que DiptYque nous a fait l’amitié d’accueillir dans son sommaire portent cette marque que nous nous réjouissons d’échanger. Mener l’obscur à la lumière, rendre la lumière à l’obscur : dans l’alternance des saisons et des mots, quelque chose circule. Et puis soudain, un rare surgissement. Le bras qui se dégage, le corps qui se tend et trouve une percée. Les voix amies qui s’ensoleillent. Il nous plaît de toucher à cette évidence-là pour respirer à nouveau dans l’ouvert. ___________________ * L’ouvrage Le Scriptorium Portrait de groupe en poésie (18€) peut être commandé directement aux éditions BoD (http:// www.bod.fr/index.php?id=1786&objk_id=335131). Pour connaître la vie de l’association, vous pouvez consulter le blog www.scriptorium-marseille.fr

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Sauvegarde par le nom 1.

Paolo Fabrizio Iacuzzi

Pendant que les iris d’eau en rangs serrés reprendront vie. Éclabousseront de jaune cette étoile dans un ossuaire après la guerre. Un tourbillon surgira-t-il de la profondeur? I : toi qui dans la pierre seras sauvé. Tu te demanderas par quelle géologie des astres désormais les pierres deviennent des os. Étoiles de pierre. Et le soleil est écaille d’eau qui naît du ventre et non du sol. I : toi qui es roue d’amour sadique.

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Dans la Sorgue, la soif de toi-même arrête le colvert. Oiseau repose-toi ! Reste signe sacré sur le pylône d’une même lumière. Passent les os. Réverbération de toi ? I : toi qui suis le courant. La lumière pénètre la maison et tout entière elle t’ouvre à la lumière. Divise-t-elle en carrés réguliers le paysage ? Du gel revenue à la vie tu deviens la bicyclette. I : Fleurs du cerisier. I : toi qui transportes la neige sur les sommets. Pourquoi alors m’as-tu mise à mort ? Me voilà changée en bicyclette. Moi Blanche tu m’as jetée comme huile sur l’onde. Et moi je revins inaperçue. Je suis passée et ta fureur s’est calmée. Maintenant doucement. I : toi qui fais doucement ? Parce que j’ai posé sur ton front le signe de la neige. Un flocon blanc. Étoile à peine à quelques pas du sommet. L’amour qui n’est pas viendra-t-il à l’existence ? I : toi qui à l’aube surgiras. Tu tournes le dos à la fenêtre, où tu te décomposes en losanges. Je te retiens dans le cadre. I comme une stèle. Un os enfoncé. Méridienne tu règles l’ombre. I : toi qui mesures la terre à travers le temps.

Traduction Laurence Verrey, Francesco Dreoni & Dominique Sorrente

Une éponge trempée dans le vinaigre passera sur le cantique des choses. D’en bas tu sèmeras des figures abrasées dans un autre monde. Le temps désarmera-t-il les amants ? I : toi qui désarmé t’en iras.


Voix à la Une Le désir est intact dans l’oeuvre du fleuve. Leurs os seuls resurgiront-ils ? Je pénètre dans le fleuve. Les abeilles vertes sont bourgeons du figuier. Dans l’eau prénatale. I : toi qui me mets au monde. Les rocs font éclater la lumière dans l’eau. Je serais forteresse dans l’espoir impatient de te sauver à jamais. La montagne s’apprête à te changer en pierre. Stèle d’I : Mon tibia. I : toi qui t’es reconstruit dans la pierre. La roue disparaîtra. Elle sortira de son axe. Elle coulera dans le fleuve. Tu resurgiras de l’écume. Enfin tu traverseras le fil de l’eau. Tu soulèveras les os. I : toi qui blesses de ton harpon l’étoile.

2. À première vue un phare. Une antenne striée qui voit loin d’en-haut. Sur toi la bonne étoile. Sous sa bannière tu cacheras la guerre. Capteras-tu les signaux du chant ? I : toi qui auras le suaire des saints. Sur le banc tu restes assise. Derrière un genêt qui perd ses fleurs. Iris jaunes plantés pour te séduire. Et finalement te transformer en eau. Changée en lame tu glisses Blanche. I : toi qui rayonnes. I : toi qui es faite étoile. Pendant que fond la neige jusqu'à mouiller la pierre. Nu maintenant tu transpires. Tu entraînes la montagne avec toi. Tu t'effrites avec la pierraille autour des conifères nains. I : toi qui emportes avec toi les carrés abandonnés par la neige. La montagne s'est distendue dans le vert de l'eau. I : toi que je mets à distance de mes yeux ! Te révéleras-tu comme une roche intacte ? Soudain tu flottes sur une eau qui ne mouille pas. I : toi qui es repoussante I. Dans les hauteurs tu respires la liberté. Amour. Le phare est dépouillé de toute ombre. I : toi qui te réchauffes dans le ciel clair lorsqu'un rayon te traverse. Tu es la roche des pierres tombales. I : toi qui me regardes emmuré.

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Quelle vérité sera révélée intacte dans ton mourir. À présent tu restes debout dans ta demeure. Hissée. Tu regardes vers en bas tandis que la neige se défait. La torture des virages. I : toi qui m'effleures la main. Il n'existe pas, le temps de l'amour. Toi seule existes dans un ossuaire. I de blondeur. I de cendres. Ils remontent en foule du fleuve vers la neige. Enfoncez les harpons. I : toi qui es comme un viatique pour les morts du Ventoux. Il y aura une liane pour toi. Une glycine t'enlacera de nouveau à la vie. La roue du moulin tournera-t-elle en sens inverse dans ton fleuve ? I : toi qui dans un poème d'amour portes déjà ton signe au cœur du désir. I dans ton prénom vers I dans ton nom.

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La rencontre Ce n’est que sur les roues de la Sorgue en Vaucluse que l’on peut trouver la mesure de la circonférence fleurie de la soif infinie qui nous lie à la frontière entre les cerisiers en fleurs et les livres flétris ; et ce n’est qu’en Vaucluse que la source est la muse et la Laure de pierre qui couronne celui auprès duquel le cœur des siècles résonne.

Traduction Yves Thomas, Moreno Fabbri, Valérie Brantôme

Maura del Serra


Voix à la Une à fontaine de vaucluse Ici notre présence est un coup d’épée dans l’eau, fracas du temps – perdu, retrouvé, immobile. L’Absolu silencieux du roc en surplomb, qui se tient (Stat Mater), parménidéen, gardant dans ses bras impersonnels le secret héraclitéen de la source cachée, qui se libère du continent rocheux comme les prisonniers de Michel-Ange de leur bloc de marbre. Ici les touristes multicolores globalisés et les étals des modestes marchands du Temple Pétrarque disparaissent comme figures d’un éventail qui se referme dans l’essence tranquille d’une gratitude sans adjectifs. Et la Pesanteur et la Grâce de Simone Weil sont brassées dans l’eau des moulins comme la farine des siècles.

Notre voyage out Poignante Isle sur la Sorgue, qui resplendit en accueillant notre «petite bande» franco-toscane en son printemps déployé, éventail virginal et maternel de veines d’eau, qui la nourrissent et se fondent à la fin’amor de la terre en une tranquille et joyeuse courtoisie d'un Eden hospitalier.

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Non l’automne somptueux des villes de lagune – Venise, Bruges – avec leur rêve hypnotique et spéculaire de pierre et d’eau, mais un avril jaillissant prêt à nous accueillir en sa ramure légère d’espace-temps, dans sa promesse de fruits d’amitié et de poésie renouvelées, dans le dolce tempo de l’etade (1) qui redevient prima, jeune, qui engendre à nouveau en chacun de nous l’étoile dansante de l’âme : mais sans le défi désespéré et visionnaire de Rimbaud ou de Nietzsche : parce que nous aussi, comme Pétrarque, nous nous retrouvons con le giniocchia de la mente inchine (2) face à la Vie, fille et mère de la Poésie. Nous sommes venus ici, comme en chaque lieu où la Beauté présente opère, pour nous rencontrer, et pour rêver ensemble la vérité du monde, pour être, avec elle et avec nous, un «tout-vivant», comme Proust définit sa Recherche. Et nous ici, cherchons à traduire l’un l’autre, les uns pour les autres, notre propre recherche non touristique, notre échange (voire notre aiguillage, qui consent à nos trains bilingues d’atteindre sans collision les quais du sens et du sentiment). C’est notre «voyage out», notre traversée des apparences, comme la nomma Virginia Woolf.

(1) Pétrarque, Il canzoniere (Nel dolce tempo de la Prima Etade, poème 23) (2) "ployant les genoux de l'esprit" - ibid (Vergine bella, che di sol vestita, 366)


André Ughetto Origine

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De loin venue obtenue d’un creuset de forge d’orages sur les reliefs calcaires et cassés : karstiques

aux grottes inviolées quels trésors elle brasse sous les orbites vides de dragons pétrifiés gardiens

(comme chez Léonard ils ferment le pays vallée close sur ce qui l’ouvre…)

longtemps après mois ou années elle est admise à l’ascension des cheminées qui l’émancipent faille insondable qui la hisse à la surface de son gouffre

bue et filtrée par terre émue aux semences sauvages : si vaste l’impluvium qu’on ne sait pas quels chemins fissurés la détournent la drainent pareille aux âmes qu’un Hermès aide à descendre vers l’Hadès quels réservoirs la ralentissent dans les viscères de la terre quelles lenteurs la purifient retiennent son humeur réduisent à soupirs sa grondeuse impatience quelles cavernes amplifient les échos de ses chutes et de quelles figures elle devient sculpteur dedans sa traversée millénaire des matières

frais volcan vert devient magma d’eau douce Laure liquide extasiée d’ivresse printanière blanc chaos éruptif énergie que la nuit ancienne avait accumulée dans ses tuyaux étroits (administrée à l’étiage quand le gouffre se calme par de pérennes sages griffons latéraux) que faire de la force en son joyeux furor, qui négocie mais ne transige pas avec l’amante de la rive ? des seuils mis en travers amadouent son élan en disciplinent la cascade au peigne fin, seuil d’une liberté n’ayant pour droit que pente.


Voix à la Une

Vallis Clausa

Angèle Paoli

Couchée sous un sapin noir mille aiguilles roussies sur la rocaille tu écoutes le vent il passe et te frôle lourd de la neige des sommets

- fugitive prière -

- souffles glacés -

- miroir et lumière -

- il ne manquerait pas grand-chose pour que te gagne l'engourdissement qui bleuit les lèvres et la voix.

Le Malaucène de Pétrarque par où entreprendre l'ascension du Ventoux

Le mont Ventoux déploie sa succession de courbes cimes douces sous les nuages les pensées filent à pleine vitesse emportées dans leur essor versatile

- par le Nord -

- quelques pépiements d'oiseaux invisibles te relient encore à la roche qui t'accueille tu pourrais te recroqueviller te laisser glisser jusqu'à te fondre pomme de pin gercée de gel pierre de cristal gemme sans éclat autre que le miroitement du ciel - cristaux de neige gagner le dernier mamelon Filhol du silence franchir est un rêve

tout en bas du côté de Malaucène des étangs d'eau

Seule au milieu de la pierraille léchée de neige tu griffonnes quelques mots que tu voudrais greffés sur les mots de Pétrarque mais l'écriture - tu le sais ne peut passer que par la solitude le presque recueillement l'oubli de soi et du monde propice à l'accueil des voix autres qui te composent - gisantes enfouies sous le poids des silences - lucioles du matin la lumière filtre à travers les frondaisons en fleurs platanes centenaires

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et les eaux bouillonnantes sourdent des montagnes peignées par des fanons de fer roulées sous d'énormes pales qui les drossent dans leur cours Un saint Georges de pierre terrasse le dragon dans sa masse l'un déclame des vers de Leopardi l'autre entonne des chants liturgiques - Belle voci che salgono tra le volte della chiesa romana -

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Vallis Clausa tu franchis la grille des ténèbres et pénètres dans la retraite de Pétrarque - comme autrefois dans les oreilles ardentes de Denys de Syracuse et les cyprès et les vallons et les excavations de roches cavernes de géants creusées par d'antiques sorgenti - Le triomphe de la mort plane en suspens sur les eaux Tu aperçois de la fenêtre une silhouette solitaire tu laisses monter en toi les mots qui se présentent - Va pensiero intorno alle acque profondi dove muore il tempo e splende la luna argentea un canard couve sa solitude bleue sous un frêne la Sorgue roule ses eaux voluptueuses entre les abrupts du temps immobile

dans la mouvance même des heures « Je meurs de soif auprès de la fontaine » ces mots de Charles d'Orléans suffisent à nourrir l'eau de ton émoi assoiffée d'absolu tu t'évades pourtant dans les voies de la facilité et dévies sans cesse du chemin des obstacles tu contournes les nuages noirs et lourds dans leur évanescence « Tous les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, le circuit de l'Océan et les mouvements des astres et ils s'oublient eux-mêmes. » Ainsi note Pétrarque dans L'Ascension du mont Ventoux ces mots de saint Augustin - son maître Tu as fait de même tout au long du jour détournée de la méditation par la beauté des lieux tourbillons enragés de la Sorgue et grandeur des falaises vertige silencieux de la vasque émeraude immensité glacée des rives du Ventoux l'orage gronde au-dessus de toi qui te tire de ta rêverie t'entraîne vers la vie - au rebours de ta peur -.


Voix à la Une Martino Baldi Traduction Angèle Paoli, Olivier Bastide, André Ughetto,

Déjà dans le jardin de Pétrarque chaque chose, si l'on veut bien y prêter attention, commande son contraire. Le capitaine Alexandre intime, d'une voix altérée : le lieu du combat est ailleurs. À Vaucluse, le courant dévale violent dans la vallée, fuyant la quiétude du miroir dans lequel se mirer est une joie. Le mystère de la source, rendue éternelle au nom de la douceur, est au contraire le hurlement des eaux furibondes, froides et rageuses. Puis nous montons au Ventoux, sur les vestiges des géants qui nous ont précédés. Des démons glacés semblent avoir marqué de leur empreinte le corps de la montagne. Le mal s'écaille à fleur de pierre. La montagne est un immense ossuaire brisé par un marteau sans nom et sans maître. Je fais des photos, je parle, je plaisante, je discute, je bois une verveine, je me promène. Comme un touriste sur un champ de bataille, le jour qui suit la tragédie. Nous repartons. Nous glissons en auto parmi les cerisiers et en même temps une voix lointaine, grave et insistante, pareille à une basse continue, me murmure le poème, mon ami, mon hypocrite ami, le poème est ascension furieuse. Et moi, je n'ai pas le courage de me retourner, par crainte de reconnaître les morts qui grimpent avec peine vers la cime.

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ODE AU MONT VENTOUX Par le soufre et par le sel corps écorché sur les marches de pierre

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Laurence Verrey

par l’ombre et par la faille lumière des cerisiers hissée sur le gouffre

Touche la montagne effluve et brume lointaine elle disparaît et tout à coup se donne

par la corde et par le geste cercle des voix accordées par la cime

désirée elle vibre libre qui pourrait s’en emparer si ce n’est la paume fraternelle des vents ?

le flambeau circule lent déserteur des querelles une poignée de flammes essaime

Par le cristal et par la neige beauté de nos commencements alliance scellée par le tonnerre

Là le ciel cède sa part là l’amande redonne souvenir de la fleur

Tout en bas le monde fait briller ses étangs dorés comme les nageoires de la plaine

de lèvres en lèvres passe la coupe et passe l’ivresse le vin de la parole Contre la force des lèvres l’abîme ne pourra rien il a perdu sa proie à l’échelle rude du vent il y a immense une ombre de prophète qui parle pour tous endosse la Voix reçoit le don et puis affirme comme l’aiguille du Nord un refus de la malédiction

il brille pour séduire le monde gronde comme une bête sous les pieds dragon qui ne sommeille pas longtemps sur la pierre martelée le souffle passe et nul ne peut s’en emparer Demeure le sommet contemplé l’œil vivant et cette douce rumeur qui nous tient lieu de psaume Une femme porte auréole éphémère trace des ponts où fusera la joie


Voix à la Une Olivier bastide

ÉCRIRE LE VENTOUX La montagne est permise si le regard apprend la pierre et sa respiration, si les bergers et charbonniers habitent notre marche. Je fais le vœu d’être homme sous son auspice. La tentation de l’ange surprend au détour des mots. Être chant et bêtes au sommet du mont quand s’ouvrent au vent nos bouches. Je ne peux dire si la rondeur des nuages est bonhomie. Je vais sans plus me questionner. Mon pas est calme. J’écris ce que veut l’instant. En retrait du sommet, la masse des nuages impose son ombre. Le mont demeure dans son immobile blancheur, guetteur serein de nos tourments. La terreur des gens d’en bas dure peut-être encore. J’en cherche trace au travers de la brume en bout de combe. Mon ami prédit la mémoire et l’espoir. Je mourrai et ne mourrai pas, car la terre, le vent, le sel auront saisi mon insistance. Dans le levant d’autres soleils, je transpercerai les planches de mon cercueil. Je serai vivant d’outre-tombe.

APOSTILLE à Elly Par les eaux et le pierrier, la femme aimée est principe de poésie. Elle anime l’emprunt des choses. Son âme est mon écorce.

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Laurier

Dominique Sorrente

Il faut tout un temps pour mâcher, toute une vie à chercher la juste couronne. La feuille n’a pas cette pratique laborieuse, hésitante, elle va son étirement, se lisse, apprend plus tard la courbe dure qui dialogue avec l’eau de pluie.

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Par la fenêtre du Musée, un poète absent se penche. C’est au deuxième étage, l’écran cathodique compose désormais sans lui. Un monde de bibliothèque a établi ses classements des temps anciens, Monde sous clefs faisant la pose en rayonnages. Un pied de visiteur pile l’effondrement des preuves ; Un doigt, trempé au miel, joue à la salve d’avenir. Et le temps actuel cligne de l’œil qui ne croit guère à ces formules proférées sous hypnose. Pourtant le jour fut dit. Il y a des bruitages au dehors, puis un lâcher de trilles sur la branche. Le saccage des entrailles hésite à se faire poème. La nuit sépara nos draps si longtemps, écrit la page toute seule.


Voix à la Une Il faut tout un temps pour mâcher, toute une vie pour chercher la juste couronne, Et encore toute une autre pour dessiner la tête où viendra se poser le juste geste d’un homme, d’une femme, happés pleine lumière au courant de la vie.

GOUFFRE Personne ne voit comme je suis abîmé de l’intérieur, dit le murmure. Je me suis retiré si longtemps de la parole pour tourner ma langue dans la perte des mots. Je me suis fait cri, tout au fond de la cavité, cri sur la paroi à l’écart, où les murs ont leur séjour abrupt. Du karst, troué d’avens, me suis fait. Cri devenu miaulé parmi les excentriques. Petit matin à peine d’homme deviendra ma saison sans toit, dit le murmure. Dans mes viscères remue tout un monde en repli de défaites avalées auquel nul n’accède. Seul, un filet de voix, à son destin de gouffre.

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Annik Reymond

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Le juste

Je ne prétends pas qu'il y ait, en matière de création, un juste et un faux dont je serais en mesure de donner la clé; ce juste que je recherche, il ne l'est que pour moi dans l'instant où il se laisse entrevoir, et peut-être aussi pour quelque regard aux semblables résonances. Ce juste, c'est la trace d'une correspondance fragile et éphémère entre ce que je ressens, ce dont j'ai conscience et ce que je trace. Lorsque cet alignement se produit, c'est une détonation silencieuse, un éblouissement de l'intérieur. C'est pour ce rare instant que je crée. ANNIK REYMOND

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Baptista des Caraïbes

Claudine Tondreau Il peut rester des heures au bord de l’étang, à scruter la peau de l’eau. L’eau est là, ellemême, à regarder le ciel. Et le ciel regarde Robert. Tous trois forment un triangle où je n’existe pas. Simplement je nourris Robert, je cure l’étang une fois l’an et le ciel, ma foi, j’en subis les caprices comme tout le monde. L’étang est le centre. C’est l’oeil du paysage. Les roseaux battent comme des cils les jours de grand vent. Et Robert l’observe alors par la fenêtre. Robert ne bouge plus. Plus rien chez lui ne trahit la vie. Il n’émet aucun son. Heureusement que le frigo vrombit tel un vieux moustique fatigué. Sans lui le silence serait total. Parfois je m’assieds à côté de Robert, l’été, et nous contemplons l’étang qui fait sa peau douce. Les algues et les nuages dessinent une carte de géographie : les algues représentent les continents, les nuages les océans. Les roseaux, avec leurs tiges embrouillées, figurent la forêt vierge. Ainsi, Robert continue à voyager par le vaste monde. Je sais qu’il est content, même s’il ne dit rien. S’il n’y avait cet oeil, au milieu de la pelouse, je ne pourrais garder Robert avec moi car pour Robert, c’est une compagnie. Pour ainsi dire, l’étang et lui, ils se comprennent. Robert est tout ridé. L’étang, lui aussi, parfois se ride. On dirait qu’ils ont le même


âge lorsque la brise passe. Je pense que cela ras- C’est tout ce qui lui reste de Baptista, ces mosure Robert : c’est comme si Baptista était en ments où le ciel couvert plombe l’étang. face de lui dans son visage de vieille pomme. Personne ne m’a crue quand j’ai dit que je pouvais Mais Baptista ne lui manque pas. Il semble l’avoir garder Robert chez moi. Nul ne comprenait mon oubliée, sauf peut-être ces jours où l’étang revêt sa histoire d’étang qui lui plairait plus que n’importe vieille peau. En tout cas, il n’est jamais fatigué de quel endroit où l’on voulait le placer. Et pourtant, contempler l’étang-Baptista. voilà qu’il ne s’en lasse pas. Robert n’a plus beaucoup d’échanges avec l’extérieur. Il n’entend même pas le téléphone sonner. Tous les matins, quand je l’installe, je me demande Il lui est tout à fait égal que je le nourrisse ou pas. ce qui va se raconter aujourd’hui, en fonction du Je pourrais tout aussi bien l’oublier. Il ne récla- ciel et de la réponse de l’étang. merait pas. En hiver, il arrive que les friselis se glacent, qu’ils emprisonnent des brindilles, les algues et les griAinsi, pour lui, il n’y a que l’étang qui compte. sailles épaisses rôdant autour. Le miroir alors perd C’est pour cette raison que tous les jours je place son tain et l’étang est comme un oeil aveugle. son fauteuil devant la fenêtre. Ces jours-là, Robert dort de longues heures dans Pour moi aussi, l’étang est important, et c’est peut- son fauteuil, sa tête retombe sur sa poitrine, on être la seule chose qui nous relie encore, Robert et pourrait croire qu’il est mort. De temps à autre, moi, l’amour de l’étang qui nous regarde de son je pose les doigts sur sa carotide pour contrôler les grand oeil doux. pulsations. Sa peau est douce comme celle d’un bébé dans les plis de son cou. Il arrive que l’étang, au lieu de refléter l’océan du ciel, revête sa peau noire. Ainsi, Robert rêve en- Ce dernier hiver, il fait le mort des jours et des core à Baptista des Caraïbes. Et moi je suis heu- jours car il fait très froid et l’étang reste embué. Il reuse de croire qu’il pense à Baptista. me faut le secouer pour le réveiller et l’alimenter de temps à autre. Je continue à le placer devant la C’est quand le ciel est très nuageux que l’étang de- fenêtre, espérant que le va-et-vient des mésanges vient sombre. Il se prépare à la nuit avec un peu se chamaillant devant le carreau attire son attend’avance. Il m’est arrivé d’oublier Robert dans tion. son fauteuil à contempler la peau noire de Baptista débordant l’étang, envahissant la totalité de A vrai dire, moi aussi je m’ennuie. L’étang la fenêtre. Peut-être même le frigo-moustique lui est devenu minéral et le ciel lui-même ne rerappelle-t-il ses nuits là-bas, sous la moustiquaire. garde plus personne. Seul le frigo-mous-

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tique,

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en

vrombissant,

met

de

la

vie. L’été arrive. Robert est guéri. Nous pouvons nous installer à nouveau au bord de l’étang. Robert Certains jours, je ne puis capter le bondissement fixe un point immobile, à la surface de l’eau, où du sang dans l’artère. Alors j’approche mon petit doit apparaître Baptista mais l’eau n’est que ciel, miroir de poche de ses lèvres. Et celui-ci se couvre nuages blancs et libellules mordorées. d’un peu de buée mate qui me rassure. Puis viennent les jours de canicule et l’étang est Les visiteurs s’inquiètent de ce trop long sommeil. d’azur du matin au soir. Robert doit s’abriter. Il Ils reviennent avec leur idée de placement. Je dis a du mal à respirer et les séances d’inhalation reque Robert hiberne, qu’il faut attendre que l’étang commencent. dégèle et qu’il se réveillera au printemps. Avec la sécheresse qui perdure, le niveau dans Le temps se radoucit enfin. Une mince pellicule l’étang baisse. Je ramasse quelques poissons morts. d’eau recouvre la glace. Puis le bloc se désagrège La peau de l’eau se couvre d’une mousse verte. mais il lui faut de longs jours avant de se diluer On dirait que la terre assoiffée aspire le liquide. tout à fait. L’eau reste épaisse et lourde, comme L’étang, progressivement, ferme son grand oeil. engourdie. Le dialogue tarde à se renouer avec le ciel. Robert maigrit. Un de ses yeux reste clos. L’autre attend que l’étang se libère. Le printemps revient d’une drôle de façon, brutale. Le vent s’engouffre sous les tuiles et les dis- De violents orages rendent à l’étang son regard. perse dans la pelouse. Cela me cause toutes sortes Une belle eau sombre s’empare de la surface et de soucis et réveille Robert qui peut voir par la Baptista revient en majesté. Il me semble aperfenêtre le manège des ouvriers. Les portes restent cevoir le jeu de ses bracelets dans les éclairs qui ouvertes et il prend froid. zèbrent le ciel. Robert tousse. Sa poitrine étroite siffle, comme si la bise y tournoyait sans trouver d’issue. Il doit prendre des tas de médicaments et respirer dans un inhalateur jusqu’à ce qu’à ce que la tempête en lui se calme. Je m’occupe beaucoup de lui et nous oublions l’étang.

Robert respire mieux et peut se passer de l’inhalateur. Le jour où son oeil est resté clos, ses jambes n’ont plus voulu le porter et je l’ai installé dans une chaise roulante. Mais c’est devenu de plus en plus


difficile pour moi et j’ai fini par disposer son lit devant la fenêtre. Il me semble être bien là.

il contempler Baptista tout à loisir et il ne s’en prive pas de son oeil grand ouvert. Il est très calme dans son lit blanc devant la fenêtre. Je Les autres sont revenus avec leur idée de place- passe de longs moments à lui tenir la main, en ment et cela a provoqué un grand charivari. Heu- regardant les feuilles fouiller l’espace au dehors. reusement, Robert n’entend pas et reste l’oeil rivé Un matin d’hiver, sa bouche ne s’ouvre plus et son sur l’étang durant les discussions. Ces jours-là, les oeil reste fermé. Il ne peut voir le soleil blanc au jours de visite, je le rase, je le lave, je le coiffe et centre de l’étang. Mon miroir de poche, déposé il me semble que Baptista en profite. Le frigo- sur ses lèvres, reste étincelant. moustique se vide de toutes ses provisions et donc les visites me donnent beaucoup de soucis. Alors, pour mettre un peu de gaieté, je tente de capter la lumière dans le petit rectangle et je joue L’étang, tout l’automne, reste noir à cause du à la faire danser sur les murs. Puis, par la fenêtre, ciel bas chargé de nuages. Aussi Robert peut- je cherche l’étang.

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GrĂŠgoire Il a disparu. Philipidhis

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Camille Philibert-Rossignol

Une grosse dondon essoufflée pose un paquet Dupont d’Isigny sur la table basse et ajoute : - De la part de vos rejetons. Elle repart en traînant des sabots. Chouette, des bonbons ! Maximilien en avale sa salive ! Des caramels. Il déglutit d’avance. On mange si mal ici. Longue inspiration pour apprécier l’instant où il va découvrir cérémonieusement ce qu’il y a à l’intérieur. Il a toujours aimé découvrir. Déchirer la cellophane, une multitude de petites promesses de bonheur dans des emballages colorés. Il y en a moins que ce qu’il peut gober en une heure, dans ce salon vide où flotte une vague odeur d’urine. Un tantinet déçu, Maximilien se demande combien il faudrait de caramels pour arriver à trop. Est-ce que un, un de plus suffirait pour faire trop ? Il enfourne la confiserie. En matière de sucrerie pâteuse, est-ce que trop, c’est possible ? Et cette fois, son dentier, faut-il le garder pendant que la matière granuleuse ramollit à l’intérieur de sa joue. Le silence déferle. Ses lèvres se tordent, schhhlli aspiré qui réveille une mouche verte. Il brinquebale du chef en lisant une maxime sur le papier d’emballage: CHAQUE PAS EST UNE MONTAGNE, CHAQUE SOMMET UN CHEMIN. La petite phrase s’inscrit sous son front, petites lettres jaunes qui se trémoussent, ondulent, algues emportées dans un courant sans espoir. Samedi, minuit moins dix. Le ronronnement répétitif d’un grand frigo berce l’ancêtre flageolant même assis. Une heure déjà que celui qui m’intéresse, Monsieur Trombet, Maximilien pour les intimes, une heure qu’il s’est effondré sur cette chaise qui gèle le cul. Deux jours que je n’attends plus rien. Espoir mort. On n’est pas loin l’un de l’autre, deux cœurs congelés. Il toussote. Se frotte la jambe. J’ai l’impression qu’ici, on les nourrit de daube, les crou-

Or, la larme

Lundi, quinze heure vingt.

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lants sur le départ. A quoi bon concocter des ortolans pour des dentiers qui vont bientôt finir dans le trou. Il grimace, sa grosse soignante le néglige depuis peu. Depuis mardi, la gorgone renfrognée parfumée à la vanille synthétique laisse le vioc dans ses couches qui débordent, et lui fourre une paille dans la bouche pour qu’il avale plus vite, plus besoin de mettre un bavoir. (C’est quoi le nom à la grosse ?). Avant son potage, c’était au moins à la cuillère, des slurps âcres qui réchauffaient un chouïa quand même. CHAQUE PAS EST UNE MONTAGNE et Max ne peut plus se lever et le froid fige ses os malgré son épais peignoir. Descendre trois étages, cramponné à la rampe, à chaque mouvement vertige, trouille de se ramasser, il est arrivé à plat. Devenu nain. La faim gargouille. Un yaourt. Juste un yaourt… Chaque pas est une distance qui rétrécirait la sienne du frigo. Se lever, cheminer, se rencontrer. Vieille branche, viens donc m’offrir un prénom pour que j’entre dans le pays des humains. Trimballe ici ta carcasse. Que quelques pas pour un petit prénom. Lève-toi donc. T’es même plus en haute montagne. Rappelle-toi quand tu es arrivé au sommet du K2. Ce matin blême qui t’a vidé les boyaux.

que tes rejetons. Plus aucune autre âme en qui espérer. Sors-moi de là.

Un calme de caveau règne dans tout l’hospice, à part le rir-ror du frigo de la réserve. Max, t’as bien joué quand tu t’es glissé hors de la chambre, quand tu as descendu en catimini jusqu’à la réserve. Pendant que les aides-soignantes s’enfonçaient dans un sommeil sans rêve. Que la gorgone vanillée faisait glisser dans son gosier des cachetons à la vodka, remontait son drap de tergal jusqu’à son menton flasque. T’as plus vingt ans, cent au moins, c’est ma chance, mon salut repose sur un débris de chez débris. Un centenaire à bout de souffle qui veut son dessert. Un yaourt qui irriguerait tes boyaux renfrognés. T’as qu’à te servir, ouvre le frigidaire. Allez, hisse-toi sans surseoir, ramènetoi, bascule d’abord sur le dossier de la chaise, relève-toi en tremblotant… Bravo, tu tiens debout ! Même les muscles en caramel, faut que tu viennes. Papy, autant en profiter tant que ton cœur bat la mesure. Libère-moi de ton sésame. Chaque pas commence un chemin nouveau, pousse le buste en espérant que tes jambes suivent. (Quelle est la distance qui te sépare encore de mon corps) Tchabou, le battement bondit dans ton thorax. Pas à Mais qu’est-ce qui colle tes pieds au sol ? Lève- pas, l’avancée se poursuit, tes charentaises raclent. toi et marche, juste ça. Contracte le mollet, que Ton pied suspendu fait déferler un silence où j’encraque ta rotule. Debout. Y aller, nom de dieu, tends une mouche voler. Pas suivant. Ta cuisse se secoue toi. C’est ce que répètent tes enfants un durcit un peu. Encore. Va. L’effort. Ta main fend dimanche tous les six mois, secoue-toi, fais un délicatement l’air, se dresse en dépliant chacun de effort, allez papa. Mots du bout des lèvres, ton tes rhumatismes vers la poignée d’inox. Cette fine cœur rétrécit. Y croire, Maximilien, ma foi en toi barre glaciale, que la grosse a rabattue d’un coup est immense, ton instinct frétille encore, une faim sec en baissant le menton. Sur une poupée bleuie t’anime, tu as la force. Moi, j’ai plus besoin de toi dans un torchon blanc.


sésame, ouvre la porte, tu y es, presque/ clic, et tout s’entrouvrira

deuxième pas glissé qui rétrécit nettement l’espace entre lui et le frigo. Utilisant précautionneusement la faiblarde énergie qui lui reste, à une vitesse d’esMardi soir, un ouragan m’a saisi pendant cargot, décidé avancer, oh oui viens vers moi, il qu’une errance terrifiante m’aspirait, j’ai découvert s’ébranle. La main parcheminée traverse l’air froid, malgré moi la couleur noire, un espace si obscur, touche la poignée du frigo, il tangue un peu avant palpable et suintant. Tellement noir que je n’ai pas de trouver un appui sur sa jambe gauche. Aïe, une su pas quoi ressentir. Yeux clos, j’ai entr’aperçu morsure au mollet, déboire d’une crampe acide. Il la noirceur du noir. Tchabou, tchabou a résonné soupire. Recule en culbuto. Vacille. mon palpitant. La peur de ma vie. Recouverte de gelée gluante, dans un effort éclairé à la peur, re- difficile de marcher, chaque pas plus lourd que le prédoutant explosions et effondrements, j’ai progres- cédent qui pesait déjà sa tonne, ne pas repartir, le sé dans un goulot creusé au fur et à mesure de ma sommet héroïque n’attendait que toi, que reste gravé progression, ballottée par quelques rares souffles. dans ton âme ce que tu as gravi J’en ai gagné, du terrain, après chavirements et dérives organiques; moi, ne me souvenant plus de Mardi. ma destination finale quand /sol de marbre/ j’ai échoué. Si je pouvais respirer, je le ferais imméAtterrissant dans un foutoir, flaque pois- diatement. Respirer, c’est tellement joli. Ma preseuse, des carreaux acérés me rentrant dans le dos. mière respiration était une inspiration. Elle a Les jambes énormes encadrant le trou dilaté de résonné comme une claque dans tout mon squela grosse au-dessus de moi. Être mise bas et par lette. J’ai vu le jour dans une obscurité trouée de terre. Pas une seconde pour y penser. Maman m’a lueur jaune. Mon palpitant s’est emballé comme choppé illico. Pour le laminoir. un papillon dans l’orage. Tellement/ fort/ jaune/ joli. Moi partagée entre le choc de l’air abrasif qui Samedi, un peu avant minuit. envahissait les narines et les doigts de la grosse qui m’enserraient. Mes paupières se sont écarquillées, Quitter la chaise. Si ça pouvait changer mes lèvres ont frémi, elles ont esquissé un cercle quelque chose. Raclement de gorge, le vieillard parfait, une auréole de chair, pendant que mon ferme les yeux, se redresse; son poing serré sur nez reniflait un parfum étouffant de vanille. L’air une petite boule de papier où sont imprimées est descendu jusqu’à mes petons, au passage il a des lettres baveuses. Tendre de toutes ses forces ce déployé les poumons. Toute gonflée, j’étais, l’oxyqui lui reste de muscles. Un pas en avant, stagner gène allait remonter en faisant vibrer intensément dans l’air, bras légèrement écartés, paumes vers le les cordes vocales. Un cri allait jaillir. Le premier sol, équilibriste sans corde. Chancelante esquisse, cri de mon gosier allait déchirer la cave. L’espoir

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faisait boum boum dedans. Son tentacule moite, pés dans des emballages opalescents. Ne laisse pas cinq doigts épais se sont abattus sur mon cou. ce cri bloqué, ce coincement qui m’oppresse même Trop fort. Ils ont serré. Oppressés. Il est resté de- quand je volette dans les recoins de ton mouroir. dans, mon premier cri. Figé. Max s’agrippe à la poignée, une longue noir/noir/espoir inspiration en se campant le plus solidement sur ses cannes, il va appuyer sur le pressoir, ouvrir la La grosse, dégoulinante, a choppé mes trois kilos grosse porte. Cling ! A y est, la porte de ma cadeux grammes de nourrisson et les a vaguement verne frémit, ça s’entrebâille, rir-ror, une luminoemballé. Un torchon; en lin, seule. sité piquante inonde mon caveau glacé. Jolie, la lumière jaune ! Ta vieille tête, mais comme elle est j’ai été, et hop direct dans le frigidaire, rir-ror toute ridée, décatie, plus un pet de graisse, que des ravins de plis, plus pâle de d’habitude ! Ta bouche, Depuis, solitaire, amère, nostalgique du même pas de dents, comme elle est béante ! Ton souffle qui m’a traversée, de sa fraîcheur qui pro- immense main touche mon pied. Vraiment l’air mettait une vie de rosée et de miel, sidérée par les ahuri, avec tes gros yeux, qui sortent de tes oryeux vides de la grosse, sans patience, ni larmes, bites violets. Et dans le coin, cette larme qui reste, ni impatience, bercée par le rir-ror métallique de immobile. Avec un petit reflet incandescent qui la résistance qui rompt mécaniquement le silence danse dedans. Paillette d’or, jolie ! de la cave, depuis je t’attends. Le cri avalé résonne dans mon emballage de chair gelée. J’observe Dimanche. 0H17. ce qui se passe. Max a descendu une première marche, j’ai repris confiance. La montagne qu’est - Aaaaahhhh ! … chaque pas, je n’ai eu pas besoin de savoir marcher La mouche verte s’envole. Un hurlement monte pour comprendre comment elle est gigantesque. de la cave et ce cri de bête traquée qui alerte les Que ton parcours s’achève ici et éclaire ma moche siens fait s’envoler les rideaux. Décibels exutoires nuit. J’aurais aimé avoir un papy. Je serais venu le surgissant des entrailles du manoir, cri vif comme voir avec des caramels mous tendrement envelop- celui d’une nouvelle-née. L’air vibre.


Marie Hercberg

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Raphaële Colombi

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« Dans cette heureuse nuit Je me tenais dans le secret, personne ne me voyait, Et je n’apercevais rien Pour me guider que la lumière Qui brûlait dans mon cœur. » Extrait des Cantiques de l’âme de Saint Jean de la Croix


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Ces poubelles sont des contenants en plastique, une matière souple, qui n’a pas de forme en soi. Elles sont faites pour recueillir les déchets et jalonnent la ville entière. En cela elles sont assez représentatives de notre société de consommation. Mais quelquefois, quand je m’arrête à les contempler pour elles-mêmes, elles s’illuminent, comme si elles devenaient mon esprit. Photographies numériques

RAPHAËLE COLOMBI


Sylvie Durbec « Tant que le monde restera neuf chaque matin » AU VIF DU MONDE, Soutine-monologue Zeno Bianu, Marc Feld, édition Dumerchez, 2010

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D’abord dire que ce livre est singulier : inventer une langue-Soutine (Zeno Bianu), une peinture-Soutine (Marc Feld), ce n’est ni commun, ni facile tant le peintre Chaim Soutine a une présence forte dans nos mémoires et dans l’histoire de la peinture du XX°siècle. Ce livre n’est donc ni un recueil poétique, ni un texte théâtral illustré. C’est d’autre chose qu’il s’agit. Donner voix. Donner corps. Donner un livre. Trois hommes pour ce beau travail. Un poète, un peintre et un éditeur. Il s’agit d’entendre un « guerrier de l’émerveillement » et de voyager en sa compagnie au long d’une centaine de pages. Mais aussi en compagnie de deux « éclaireurs » que sont Zeno Bianu et Marc Feld. Ecrire Soutine, peindre Soutine, comme d’autres, la mer ou les montagnes. Entrer dans l’oeuvre par le je du peintre, par sa couleur, par son silence aussi que traduit le travail de Marc Feld. Écrire Soutine, comme on interprète Bach ou Albeniz, en démultipliant par le jeu son existence en autant de stations et de déambulations pour en saisir la puissance et la fragilité : « chez moi tout est peint en dansant », fait


dire Bianu à Soutine et cela s’applique aussi au travail de Marc Feld jouant à son tour sa partie dans ce qui est un éloge de la peinture : « Juif errant Non je ne suis pas le juif errant mais le peintre errant Je m’appelle Soutine je vous l’ai dit Chaim Soutine mais je me suis appelé Rembrandt Goya Van Gogh et je m’appellerai un jour Bacon Pollock De Kooning » Ce beau livre est une tentative de traduction : un poète et un peintre traduisent dans leur langue respective Soutine l’inclassable. On entend dans le texte de Zeno Bianu la voix vive du peintre et dans la peinture de Marc Feld on voit les visages et les arbres peints par Soutine dans leur surgissement. Il nous semble approcher un peu du mystère Soutine par la grâce de ces deux voix croisées. Nous sommes en face de Chaim, en face de son acharnement, de sa solitude et nous la reconnaissons d’une page à l’autre, d’un dessin à l’autre. « La peinture est un surgissement, le lieu d’une présence tremblée, le lieu de la rencontre avec les grands morts. Un surgissement vertigineux, inépuisable. », écrit Zeno Bianu en préambule. Et ce voyage est celui du lecteur accompagnant Soutine, lui-même à son tour accompagné d’un poète et d’un artiste, depuis la Russie lointaine jusqu’à Amsterdam en passant par Paris. « Je m’appelle Chaim Chaim Soutine Je reviens d’Amsterdam où j’ai vu les Rembrandt Non non je ne suis pas russe ni Polonais d’ailleurs Je suis juif – ou plutôt peintre » La seule nationalité que se reconnaît le peintre, que nous reconnaissons à notre tour, en ces temps d’incertitude et de recherche d’identité, ce n’est pas la nationalité donnée par un pays d’origine, c’est celle de l’art.

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Anastassia Elias


Anthologie poĂŠtique

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verso la lumière ce qui se rencontre un jour sur la page l’herbe les graviers l’épiphanie au seuil enserre le noir qui ferme un carillon de fenêtres et de lettres les murs n’enlèvent rien à l’aura à l’orage tondre l’herbe living hand par l’esprit je sais cela la clairière la verrière verso la luce ce qui court dans la plaine remplace l’amour je sais cela la terreur l’amour demande à ne pas se perdre l’abîme la pluie le pare-brise

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Nathalie riera

tant d’opacités où nous sommes où pas un seul secret nous détient derrière les fleurs ? ce qui choit ce qui menace sans embrasement la chair corps ce fruit de prophéties les chevaux sellés dès les enclos nous habitent les sonates en sourdine raso terra force fêlure va du vert au noir grand ouvert dans l’éclat hennit l’air l’horizon du cheval peaufine où flanche la beauté s’affadit le galop peaufine le vivant dans une verdure de fureur des voix aux dessins d’oiseaux à cheval dans le paysage te font partir même dans le doute ne vouloir plus trembler du vert à l’horizon que tu cherches que tu crées stries de bleus lys ondulations du chemin


Extraits de Sans arrêt les chevaux (inedit 2010)

in angulo en replis les mélodies liesse des chevaux liés au monde remonte après la mort après la faim

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l’amande la menthe où s’élève et retombe la poussière des terres du sud dans une confusion d’esprit vers l’automne dans l’ombre HORS DE L’ENCLOS ce que j’entends vient des lèvres sans mot robe de couleurs au fond de la grange

je n’ai pas d’histoire à raconter cela reste dans l’ombre une rhapsodie d’air et de sel je ne suis pas trop apprivoisée mes flèches ne sont pas d’un bois léger


Loyan

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Je participe des éléments, encore l’évidence me touche je ne suis plus face à un paysage ou un rivage je suis la fente d’un être en marche dont le corps relie le sable à l’air en traversant la mer la poussée verte, du sol au ciel la sérénité d’une lumière franche de mai, sans écart de peau la forme à sa source, stable à travers toute évolution la voussure quand joints nous sommes pleins de tiédeur et d’odeurs je suis et dis je pour tous


Le Flamboyant

Lionel-Édouard Martin

Ta gousse ajoute au ciel, flamboyant, sa lune, au bout de ta maturité, boomerang, décrocheur, en haut des sèves, des vieux morts clignotant dans la nuit. Crépitement de maracas : la brise attise une samba de morts, ô que j’entends, ma chasse galopine, les morts remontent, et c’est à la cime un bruit de crécelle, Un parler de riz mâché, que l’air hésite à avaler – celui qui meurt de faim garde aussi le manger longuement dans sa bouche, tâchant de tromper son ventre –, Ta gousse, flamboyant, samba de morts, dans l’alizé d’hivernage, et c’est cela qui laisse aux morts une parole qui dodine – pompant la sève, mes morts, derrick de branches et de feuilles. Et je vous reconnais, mes morts, la vieille langue en bouche, de Saintonge et Poitou, riz de rire, mes morts, qui libres de rivière et d’océan venez jusqu’ici me parler, Parole de mes vieux, mes morts, dans la gousse agitée du flamboyant, venus jusqu’à la cime de cet arbre où des oiseaux parleurs contrefont votre parlure, (Gallery torne, torne, Emporté par sen sort, Aquenit, triste et morne, Gle demonde la mort) Je leur entends parler la vieille langue, mon poitevin d’enfance et tous mes morts avec, menant la sarabande, et tout ce qui sur l’île Bruit d’un rythme sec, escorte cette quête du vieux dire habité de brande, et vous mes morts, parleurs de dialectes sonores, et la clochette au cou des chèvres : Leur pis balance entre les haies d’épines, des crins retenus aux buissons la mésange au redoux trame un chant d’existence.

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ile Eniger

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Toujours le sens de l'épine et de l'épure. La croisée des mondes, sa lumière sur les vignes. L'étrange voix d'air par la bouche des feuilles. La traverse des nuits empruntée chaque soir. La neige gantée qui recoud les terres. Le ruisseau d'impatience en ses chaussures d'eau. La petite robe rouge dans la vigueur du jour. L'homme qui rentre par le chemin du soir. L'odeur chauffée des sueurs. Ces choses maintes fois dites, faites. La vie dans ce méli-mélo qui va sans instructions. Est-ce là le battement sidéral du panier quotidien ? L'ange a un rire d'alouette quand il ne répond pas.

Elle étendait sa lessive. Avait levé les yeux pour interroger le temps. C'était un matin ni plus ni moins matin. Rien d'autre qu'un ciel et son poids de jour. Puis il y avait eu ce mouvement d'air sur ses mains. Quelque chose la touchait. La reconnaissait. La nommait. Quelque chose venu de loin. Du bout du bout. Qui la faisait vivante. Une jubilation levée d'une vieille racine. Quelque chose qui ouvrait les fers, la journée, la vie. Qui la portait jusqu'en haut. Une confiance. L'origine et le but. Elle enfin réunie. Souviens-toi la joie, avait-elle dit. Souviens-toi la joie. Puis elle avait continué à étendre son linge. Elle n'avait pas expliqué cet instant, sa plénitude. Elle n'avait pas les mots. Elle avait gardé la force et la lumière.


Louis Raoul

N

ous voici revenus à la lenteur, aux portées plus nombreuses de la lumière. Saison d’un retour de l’eau dans la parole. Et ces jours encore, où nous nous tiendrons dans l’épaisseur, puis l’orage nous perdra dans ses hautes pluies. Avec la fraîcheur du soir, nous aurons ce geste pour les retrouvailles des fenêtres qui ne se voyaient plus. *

S

aison de plus de feuilles, ces vaisseaux dans la lumière, le regard irrigué. La forêt au mieux de son étendue. Voir a passé la rive, jusqu’aux fenêtres dans le soir, quand tu te tiens trop loin de la parole, et qu’il n’y a que ce mouvement des lèvres de ceux qui respirent dans l’eau des lampes. *

L

a vie, et tout ce qui a passé avec, tu renonces pour un temps à poursuivre et cèdes au banc la forme d’un repos. Tu regardes les arbres dans le vent, répéter inlassablement l’allure d’un départ qui leur serait promis. Et le souffle des longues marches resté dans la lumière d’autres hivers. Maintenant tu te laisses distancer par le jour, tu penses à la maison prenant nuit de toutes parts, à l’or des lampes, qu’il faudra sauver. *

T

u penses toujours que tu es passé à côté de quelque chose qui aurait pu te révéler à toi-même, asseoir un peu plus le nom. Mais c’est peut-être ce qui te suit avec l’âge, cette présence ressentie, mais dans une autre lumière.

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Eric Dubois

À Marie-Isabelle

Je te cherche entre mes bras Ta langue sur ma langue obéit à l’oeil

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Parfois je pense à toi Mon sexe est douloureux à pointer ton absence D'autres femmes n'ont pas ta voix ni ton odeur Il faut les aimer me dit-on Mes mots s'assèchent Nous avons rencontré Dieu cette nuit-là Peau contre cheveu bouche contre mains seins contre vit Et Dieu semble me quitter par moments


Brigitte Célerier

Colère, ruée en fuite, les quitter, dégringoler vers la mer, gorgée de plaintes, suis tant frégate l’Incomprise, comme dit Papa la mer doucement s’endort, souvenir des rayons du soleil qui s’enfoncent en elle, lumière glissant sur le clapot, petits éclats qui dansent, et les larmes qui voulaient venir, paralysées par honte, jouent avec ce pointillé mouvant, la mer m’accueille, et la paix, et lentement, sur le noir qui vient, se plaquent, émergent, lumineux, leurs corps et leurs visages, et monte l’amour que nous nous portons, je le crois, qui m’emplit, me baigne, me dilate, délice, chaleur je m’y abime, laisse venir souplesse, humilité, et je m’en reviens, vers les reproches.

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Le soleil filtrant à travers les feuilles a illuminé, modelé son visage, à lui l’homme que l’on oubliait toujours, à la suite et en soutien de ces deux créatures de chaleur efficace, sa femme et sa fille, et il était beau, brusquement, c’était si évident, beau non de cet éclat qui le caressait, mais de ce qui, en lui, allait à sa rencontre, s’y mêlait, en tirait visibilité.

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Il est là, en face, vieillot, ensoleillé, fier, image de traditions anciennes, de transmission, noble mais plein d’une saveur terrienne dans sa presque maladresse, je le vois, l’imagine, comme ça, et qu’importe si je me trompe, je ne le regarde que furtivement, pas par crainte, ni par pudeur, rien d’aussi appliqué, simplement parce que c’est ainsi, qu’il est à lui, que nous sommes étrangers. Mais comme je m’approche je sens son oeil sur moi, et me crois scrutée. J’ai un peu froid sous ce regard, je me recroqueville dans un recoin de ma conscience, attentive mais aveuglée par la crainte. Et puis un toussotement, un bonjour, et je vois, il est lumineux, clair, accueillant. J’étais sotte – lentement, tranquillement, nous parlons.


Thomas Vinau DANS CETTE AUBE Le rire gras des nuages se moque de tout le monde. Le ciel a les dents blanches, je le vois ricaner. A chaque fois qu’un homme confond perdre et gagner. A chaque fois qu’il choisit entre donner et vendre. Il y a dans cette aube assez d’eau et de lumière pour nettoyer le monde. Il y a dans cette aube assez de peine et de chaleur pour lui inventer un prénom. Le ciel a des couleurs humaines. Des couleurs de sentiments. Le ciel a l’éclat légèrement triste du regard d’un enfant perdu dans un supermarché. Il y a dans cette aube assez de possibles pour se moquer d’hier. De la nuit. De la perte. Pour sourire aux absents.

47 UN PETIT DIMANCHE Vous êtes venus me réveiller dans le lit tous les deux. Il a fait chaud cette nuit et les draps sentent le vieux mouton. La chambre est restée dans la pénombre, lumière éteinte, juste ce qu’il faut de jaune sous le volet et par la fenêtre du couloir. J’ai mis mon front contre ton bras, mon nez dans ses cheveux. Me suis réveillé comme ça. En vous respirant. Je me suis demandé pourquoi vous n’étiez pas phosphorescents. Si les choses avaient un sens, vous devriez être phosphorescents comme ces êtres merveilleux dans les forêts islandaises. Mais peu importe. Je me suis levé et j’ai mis un vieux rock steady sur la platine. Si les choses ont un sens et que tout se passe normalement, le ciel devrait se transformer en fruit illicotement pour que nous fassions des granitas dans le ventre des fleurs. Nous n’aurons plus alors, qu’à bouillir comme des cachets effervescents pour rejoindre les nuages. Nous ne torturerons personne. Ce sera un petit dimanche simple en famille. L’AVENTURE Je regarde l’aube grimper à travers le store. Je pourrais m’endormir en une seconde ou piquer un cent mètres illico. Vous dormez à coté. Tous les deux. Je sors de la maternité manger un morceau. Les rues sont vides. La lumière est particulière. Vive. Jaune. Fraîche. L’aventure commence...


Zur Etroits

rayons

de nuit

nacrée

Ou les vapeurs de l'étant,

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ces colonnes

cérébrales

douleurs, ramifiées

crient le là de leur dedans, Trout dehors

plus hors du

que tout

((((( Et scandent la mort de l'intériorité ))))) (((((Stridulations Bataille extime)))))


françois teyssandier

Corps noué enraciné A la flamme qui le consume Sous le joug pesant du soleil Comme pierre lestée de mots Silex durci par le feu Qui perfore sans relâche La terre en travail de moissons futures Dans la lente montée des sèves Lumière tout empennée D’écume et de sang Qui gicle des vagues Et des miroirs aveugles Etrave acérée du soleil Qui fend par le travers Les vents en marche Et la chair opaque des songes Dans la nuit qui s’empourpre Et brûle de désirs L’incandescente et froide Clarté de l’éclair Eperonne l’âpre parole Et le rire narquois De ceux qui n’ont plus d’ombres A saisir à combattre

Extraits de “Gravir la lumière”

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Michel Brosseau

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avoir été comme l’ombre et le corps – enlacés jusqu’à perte brutale – que poursuivions-nous qui toujours nous échappait ? – que taisionsnous qui toujours nous hantait ? – avoir été comme l’ombre et le corps – nos mains coupées tendues vers l’horizon – nos doigts crispés de douleur muette – remués d’obscur à s’en entre-déchirer – avoir été comme l’ombre et le corps – mais si frêles aux lumières du matin – quand nos mots nus hors du fracas des nuits – fantomatiques sous la clarté naissante


Michèle Dujardin Couloir de lumière

couloir de lumière, murs pleins entre deux portes closes - sécurité des lieux, main calme posée sur le ventre qui dort le visage est sans fenêtre, le ciel loin, imaginé perdu derrière la porte, celle qui vibre sous le poids des voix tassées contre elle, de l’autre côté cela distrait la lumière, au milieu, la secoue, elle vient frapper à l’autre porte, celle aux verrous et capitons de cuir paume ronde, frisson audible dans la plainte, pétale tombé de l’hiver sourd, sur le ventre qui dort pas de ligne brisée, de géométrie qui blesse - les bras ont arrondi le temps, l’ont replié en aile par dessus des rêves, nus et délavés, orphelins de mère, endormis là contre une joue absente les mots-sexe ont ouvré la juste fente, à l’endroit où ils déposèrent le sens - l’eau est grasse, immobile, deux doigts y filent un cap, espérance doublée sur un tapis de langue, repue dans ses fourrures : lumière comble, donne rythme

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la boucle blonde aux désinences de pulpe, index en élytre, se décline dans la glu, le roulis, les ravines ; un verjus de haie vive, blanc, lampé de mémoire, coule encore aux commissures lâches pas d’éclats sur les cimes, pas d’arêtes, les cuisses ont arrondi l’espace, l’ont roulé dans la mare où la mue s’échappe d’un froissement de drap, au bord des grandes lèvres

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ce qui buissonne là cache des reptiles, des hommes-rats cernés par des flammes andalouses, des éponges à longs cils saturées de salive : rien à voir que l’étui rouge, où les bouches se mêlent dans la succion sans âge, intensément retournée à l’aveugle, prédatrice distendue dans sa nuit oblongue à la trace, pulse contre la hanche la chose autre, la rampante, toute sexe, chose fouilleuse, inlassable - sexe de l’autre flou qui dort oublié, non détaché sur le fond de sa chose lourde, toute de sexe, chose têtue qui lèche la hanche, respire - les coursives gonflent au-dedans, noyées de sang, le serpent a ses nœuds presque noirs dans la tension de l’arc : lumière force, délivre souffle, gémissement peau à craquer sur l’os de brousse, la renifleuse, la chose de sexe - du silence les tambours extraient une odeur, qui reste nue debout, là sur la hanche, en lumière, puis s’allonge parmi le sel, la houle ivre qui la monte jusqu’aux seins, au plus haut très brun, fripe le sable, infiltre la pointe, maintenant réveillée, à l’écoute


d’ailleurs la hanche bouge, nage mollement vers le fond, enferme ses chatons dans la faille - sur la litière d’algue, l’espace rétractile se retire sécurité des lieux - d’où vient qu’elle est là, la lumière, dans la paume, sur le visage sans fenêtre, sur la hanche sans jour, d’où vient qu’elle glisse, de la porte à la porte, sur le ventre, d’où vient qu’elle est nuit, insoupçonnable dans son habit de lumière mais nuit de face, manteau ouvert pour les fentes qui habitent ses vides, dorment dans ce feu pluriel qui les sépare du sexe, les rend à l’unité première nuit intacte, portée haut, grandie dans la lumière des peaux, devenue leur bien, leur territoire partagé - mais fragile, nuit griffée là par un soupir, un sursaut de l’épaule, la pointe réveillée du sein, à l’écoute - puis revient, égale à elle-même, lumière travaillée au corps, incessamment, par ses propres zones obscures - le doute, le suspens - nuit au-delà de toute mesure, force qui coud les corps défaits dans la même !lumière, des morceaux bien chauds, des portées de sexes - des bouts qui s’abouchent à la même colle sur les mêmes lèvres - ici, on ne parle pas de dire, ni de voir qui parle d’écrire ?

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Véronique Daine

Ma mère ma toute petite

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Ma mère ma toute petite c’est un matin de petit bleu, un matin d’été fatigué, avec le doux de cette fatigue, le doux de sa muqueuse et de sa nuit c’est un matin d’utérus et de poumon Ma mère ma toute petite mon souffle s’enfonce lentement dans mon corps, dans des galeries de mon corps, des couloirs qui se perdent dans la terre Ma mère ma toute petite dans le sous-bois ou les jardins, des pies crient vers le soleil, crient les poings vers le soleil et c’est Santiago ou Madrid, ma mère ma toute petite, c’est de la pellicule militaire, de la douleur à la rétine Toutes les mères les sœurs du monde sont là, ma mère ma toute petite, mais moi, je ne sais rien, j’ai juste des écoulements d’amour avec Thérèse et Hadewijch dans le ventre et le ventre qui s’écoule miel dans les mains qui veulent encore de lui Ma mère ma toute petite, ma sans-abri les choses ont vieilli en quelques instants Comme tes seins ressemblent aux miens à présent, petits sacs desséchés et inutiles Si amoureux pourtant nos seins sur la pellicule militaire Si amoureux nos seins vers le soleil Ma mère ma toute petite sois sans peur, j’ai vieilli bien avant toi et des lieux de l’amour sont sans parole, sans douleur à la rétine. On y calcine utérus et poumon mais des histoires y commencent, qui sont aussi nos histoires. Des amours sans porte ni fenêtre, sans lieu où dormir, des amours qui sentent l’urine et la sueur et qu’on recoud sous des lumières livides, mais des amours qui sont aussi nos amours, ma mère ma toute petite, des amours qui sont nos amours parce qu’ils sont juste d’avant mourir.


Ma mère ma toute petite il y a des matins de nourriture des matins de bleu et de nourriture avec un peu de rose au revers du bleu ou de la nourriture des matins avec toute la colère et l’amour du lanceur de dés* dans les oreilles et dans le ventre surtout dans le ventre Ma mère ma toute petite il y a une vie qui bat, qui continue à battre avec l’oud, avec le ventre de l’oud qui bat dans le ventre, toute une vie avec ses images et peut-être ses paumes et son haleine, oui, son haleine qui bat dans le ventre et les tissus du ventre qui se collent à cette haleine à chaque instant chaque respir Une matière s’anime, ma mère ma toute petite une matière s’anime quand je crie corps ! et je crie corps ! dans la voiture qui file dans la nuit je crie corps ! au Palestinien qui crie son chant arabe dans le désordre de ses verbes je crie corps ! à la nuit des cerfs sous les grands arbres et corps ! quand je ne peux plus lâcher la main des femmes, des sœurs du monde et que nos yeux sont fermés ou pleins de douceur je crie corps ! quand je prononce oiseaux migrateurs poème je dis comme un amour mais je crie corps ! je crie corps ! quand il n’y a plus de corps, ma mère ma toute petite j’appelle la matière, ma matière j’appelle ma matière cadence corps

Ma mère ma toute petite c’est un matin du corps battu, un matin de fractures et de fragilités, un matin de la nuit poumon un matin de nudité aussi, un matin de nos nudités, nos effroyables nudités un matin de l’étrange douceur de ces nudités, même devant la mort un matin de l’étrange douceur du rejoindre et je crois, je veux croire à ce rejoindre et à sa douceur, même devant la mort Ma mère ma toute petite j’ai le cœur battu dans la nuit poumon et pourtant le cœur battu et la nuit poumon font lever l’amour en moi et j’aime, ma mère ma toute petite j’aime tellement plus vaste et tellement plus doux

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Ma mère ma toute petite il y a bien des matins encore de la lumière déchirée, bien des matins couteaux qui travaillent le ventre et la pupille antérieure, bien des matins vacillement du monde. Et on voudrait tant garder mémoire de ce vacillement du monde, tant garder la lumière de ses rideaux fermés, tant retenir un corps entre les portes automatiques du terminal des bus au croisement de la rue Maisonneuve et de la rue saint Denis. Ma mère ma toute petite on entre dans cet âge où chaque fois qu’on aime on ouvre une blessure qui ne se fermera plus. On se dit que c’est heureux et qu’au moment de mourir, il faudrait n’être plus que blessure. Ma mère ma toute petite je te parle d’un automne et d’un incompréhensible des choses comme une douceur qui serait juste à recevoir, une abondance. Ma mère ma toute petite je te parle d’un pain, un incompréhensible pain qui serait juste à recevoir et, te parlant de ce pain, il me semble que je deviens blessure, que je deviens flamboyante blessure.

56 Pénétrée de toute part. On dit parfois ça dans ma bouche, ma mère ma toute petite, ma sans abri. Pénétrée de toute part. Et c’est alors Thérèse et Hadewijch, c’est leur nom, c’est la lumière de leur nom, c’est la lumière et l’instrument de leur nom.

Ma mère ma toute petite je prononce ma mère ma toute petite, ma sans abri pour appeler une chose qui ne sait pas venir, une chose orpheline dont moi aussi je suis orpheline. Ma mère ma toute petite, mon orpheline les noms ont des instruments de chirurgie pour découper le sternum et écarter les os. Avec les instruments de ton nom, je cherche la vie à cœur ouvert, le vacillement du monde.

Ma mère ma toute petite, mon orpheline tu es la gueule qui me réclame, la gueule de Darwich, de Ritsos et de tous les autres, celle qui sans cesse dévore la bouche et qu’on voudrait fourrer entre ses cuisses pour traverser une seule de nos nuits.


Patrick Packwood Extraits de “Les yeux fermés” 3.

2.

parfois le sentier de lumière insomnise sur un scénario écrit sur un tableau noir avec la craie des regrets des peurs

la lumière paradoxale se divise se subdivise encore encore en écran multicellulaire

chemin qui tourne sur lui-même pour négocier dans la souffrance les courbes grinçantes des points d’interrogation

pour se partager à l’aiguillage de l’âme

spirales de spirales évanouies aux premiers rayons de l’aube à l’épuisement trouble

éclats noirs des terreurs lueurs des leurres doux de l’inassouvi ternes reflets du jour fulgurances étranges de souche inconnue marquise récurrente sur les rails fous de l’esprit au repos jusqu’à la prochaine fourche encore jusqu’à la dernière qui mène à la gare du petit matin

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4. il y a la volonté de l’éveil vivre soi à huis clos machette et balai à la main broussailles et poussières s’écartent de la route tunnel en entonnoir frôler les parois de l’impasse à la lumière douloureuse de l’abrasion mentale

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rentrée atmosphérique au cœur de la personne

5. ténèbres la vie concentrée dans un point de suspension qui s’amenuise fronts interne - externe une lutte s’engage sur un champ gris coma flottement hors du temps englué de discontinuité mystérieuse loin du corps loin de la conscience rien ne bouge sinon l’essentiel jusqu’à l’endolorissement du retour à la vie et aux aveuglantes lumières extérieures


Kouki ROSSI Demain l’Amazone On est venu cette nuit mourir à ta porte Sans relâche je suis venue à ton seuil et tu n’as pas ouvert Comme un vrai homme pourtant tu riais et pleurais Toi le Père Noël Le porteur de pain de mains apaisantes de lendemains dorés Toi buveur de sourires et de vins Dénicheur de frissons Goûteur de miels de fiels dans le lit des ridules miennes Toi Le diseur de poèmes Fantasque décousu Fabricant de nos hasards tu n’as rien entendu Ni les sonneries éperdues les cailloux au carreau non plus les chiens rendus fous de tant de fracas Fracas de mon amour à tes portes cochères

Pénétrées dans l’obscur les bêtes hurlaient plus fort puis j’ai crié ton nom au monde noir Si noir qu’il est devenu bleu Je suis morte à ta porte cette nuit en chienne Tu m’as laissée éparpillée sur le trottoir et tu lisais probable ton journal Au petit matin Froide j’en ai fait des bateaux Embarquée dans les rigoles fendues par la sagaie nouvelle d’un soleil couronné J’ai souri

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Jean-Marc Lafrenière

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Un texte traîne sur ma table de chevet. Je ne me souviens plus de m’être réveillé pour écrire. Un drôle de texte. Un paragraphe au costume étriqué. Un autre aux pantalons trop longs. Les virgules éclatent comme des clous sur le plancher des phrases. Les lettres dansent sur le papier. Les parenthèses flottent comme des barques en dérive. C’est plein d’esperluettes épinglées sans raison. Vraiment un drôle de texte aux images tordues. Des accents circonflexes aux sourcils en broussaille, des accents graves ayant perdu la voix, des trémas en béquilles, des verbes en guenilles, des compléments pleins de directs au corps, des majuscules se prenant pour un autre, des minuscules hantées par des sorcières folles. L’encre est encore humide comme le sang d’une blessure. Des mots bleuissent comme des ecchymoses. D’autres ont la tête à l’envers et le sens égaré. Des points s’ouvrent comme des yeux de bête aux regards éperdus. Les voyelles penchent à gauche et les consonnes à droite. On entend rire entre les lignes et pleurer dans la marge. Je ne reconnais pas mon écriture. Les marques de crayon ressemblent à du braille. C’est un texte en bataille, en colère, en couleurs. Il n’y a pas de blancs mais des ombres qui bougent. D’un paragraphe à l’autre, les phrases changent de rythme. Les mots changent de ton. Un ange bat des ailes devant les métaphores comme des appels de phares. Un texte sans queue ni tête, plus brouillard que brouillon. Je le laisse tel quel. Sans correction. Je n’aime pas qu’on punisse un enfant. Je sors prendre l’air sans même le relire.


UN DRÔLE DE TEXTE

À mon retour, la page est encore blanche. Des miettes de mots survivent. Des phrases en filigrane s’étiolent peu à peu. Les images s’effacent. Où ai-je perdu la vue, la vérité, la vie ? Où ai-je perdu l’esprit, la poésie, l’espoir ? Empêtré dans la prose, je ne distingue plus le rêve du réel. J’écris pour les aveugles et les analphabètes, les écureuils et les souris, les abeilles et les guêpes. Je me perds en chemin. J’ai les doigts tachés d’encre et la peau d’un buvard. J’invente une histoire sans connaître la fin ni même le début, sans rien entre les deux qu’une question de plus. Où ai-je perdu la tête, égaré mes lunettes, délacé mes neurones ? Où ai-je traîné mon cœur pour qu’il batte si fort ? J’écris avec la main qui tremble. Le stylo dérape au milieu d’une phrase et l’encre fait des pâtes, des pattes de mouches, des pas d’ivrogne. Où ai-je perdu la voix, la moitié des voyelles, le tiers des consonnes ? La grammaire est en feu et les pompiers sont loin. Où ai-je perdu la main, la manière, le style ? Où ai-je mis mon stylo ? Je ne reconnais plus mes paraphes d’enfant, mes paragraphes de myope, mes parages d’oiseau. Le corps du texte est mou comme le dedans d’un œuf. Je déjeune sur la page, les yeux dans les plats et le cœur en compote, tartinant le papier avec l’encre du jour. Je ressors prendre l’air sans terminer ma phrase. À mon retour, il n’y a plus sur la page que quelques miettes de pain, des crottes de souris, un drôle de sourire dans le grain du papier. Balayant tout d’une main, je sors mon crayon et commence à écrire.

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Sabine Huynh Les pelures

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Les pelures de pommes de terre tachent doigts, mains, avant-bras figure d’enfant fatiguée, bouillies dans l’eau brunâtre mal écrasées sous la spatule fendue les saucisses de Toulouse saignent dessus devant les regards baissés les frères se donnent des coups de pied la mère est absente mais sa voix crie le mal qu’ils ne lui font pas seul le père se sert la fillette attend le moment des phrases lues sous la couette des trésors trouant l’obscurité la porcelaine de ses dents au fin fond de la nuit des familles luit.


Il ne faudra pas confier à ses beaux yeux sombres & lumineux mes rêves pénibles Mais debout, effacé par l’univers qui va trop vite veiller de loin sur les diamants de son cœur sur sa voix sur ses paupières chaudes

Même si les quatre consonnes ne font plus entendre le bruit des anges

Quand sa bouche soulèvera une autre lumière plus légère plus cachée

La grâce passe entre les gouttes sur ce visage que le Nom visite.

entre les fenêtres de sa chambre.

& que du sang sèche aux murs des maisons

Hachem

La jeune femme

Pascal Boulanger

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Prêt à tomber & ne tombant pas dans la poussière dorée Des sillons creusent le visage la réalité gifle un passant Le Nom est-il captif lui aussi ?

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Tout fait retour le coquillage l’écho du ressac le piano & la chaise au milieu du jardin qui mène à la splendeur des choses Je ne range pas mes souvenirs dans un coffret je n’efface pas ce que j’écris les absents n’ont jamais tort Chaque heure dessine une adoration dans les vents violents Sur l’étagère où s’entassent livres photos les voiliers prennent le large sans l’oubli.

Celui qui renonce au repas sanglant la goutte d’encre est sa nuit Il nomme la mer il aime & il chante avec le souvenir de la mer il sauve des coquillages dans un tumulte de livres puis il tourne la tête sur l’oreiller éclatant.

L’encre

Le jardin de Flainville

à Madeleine Hirsch


La page tourne

La bouche les fruits le soleil le soleil dans les fruits Un corps renaît de ses cendres un autre crève à ronger l’os moelleux Midi la rose qui vivait sous un ciel vide & bleu perd ses pétales perd lentement ses pétales dans le ciboire La lune flotte dans l’or dans l’organe pareil à l’enfant qui sourit à sa mère sous Domitien comme sous Titus avec la vue consolante du mal qu’il n’éprouve pas Des mains s’agitent au-dessus des vagues Je me penche pour regarder les fourmis sur la dalle brûlante J’envoie un baiser au soleil dans sa chute il creuse un trou dans la mer Un insecte se cogne contre la vitre Je suis l’ange qui veille dans la douceur du soir Quand la page tourne dans mon regard dans mon sommeil Dans le sommeil qui engendre des monstres dans le miroir qui déborde de lumière.

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france Burghelle-Rey

Mon cœur est silence couronné de halos Dans tous les cas je parle j'ex-prime mes étoiles et si mon ciel se cache c'est qu'il a un soleil

66 Mon cœur est écoeuré par tant de silences par l'éclat du miroir qui altère le rouge mais ce rose qui reste je l'éclaire par ma flamme

Mon cœur est lumière le premier feu à prendre au bas du monde* qui occulte des morts par millions et leurs camps Même si certaines ombres ont des parfums

*Yves Bonnefoy, Les Planches courbes, Poésie Gallimard, 60


Roland Dauxois

L

ibre

Vitres, murs, ciment, tout m’écorchait me signifiait que je n’étais pas libre.

P

our certains écrire le mot lumière c’est entrer en religion, comme s’il suffisait d’écrire ténèbres pour basculer chez les démons !

Routes, véhicules rapides, vitesse toujours, tout m’étourdissait me signifiait que je n’étais pas libre.

Usine, production, ordres, tout m’épuisait me signifiait que je n’étais pas libre. Un jour j’ai poussé la porte du poème, il y avait de la lumière à l’intérieur et tout ici me signifiait que j’étais vivant et libre.

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N

ombreux nous sommes, à parler à longueur de vers de nos belles lumières intérieures, alors, que dans les secrets de nos fondations, ne brillent que des faïences brisées.

O

ù puiser dehors cette lumière qui nous manque tant en dedans ?


Nicolas Vasse la pluie la mocheuse le peigne dans les cils blancs tout a vieilli

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tout est ruiné mais le soleil passe entre les brins de lunes jusqu'au fond des yeux sombres qui intensément touchent la pluie celle qui laisse encore de l'espace de la lumière au-dedans

chapelle briques chaque tache du mortier coule le long des os le corps le temps des actes quel brillant dans le crâne quelle faille qui tremble dans une seule pièce un seul cadenas de chair


Extraits de “Celle qui manque” (Inédit)

Cathy garcia

Si j’écris donc, je vais mot dire. Cris, clameurs, siècles, foules et le chuchotis d’une fleur. C’est vrai, un rouge-gorge peut m’arracher des larmes. Une mésange au soleil. Du pain trempé, une flaque d’eau. Douce lumière du présent parfait. Le sourire intérieur s’épanche aux lèvres. Partager ? Alors j’écris, je te parle, du fleuve, du cœur. Je te parle du labyrinthe et je crois savoir que tu m’attends là. Au centre, au cœur de la cible.

(…)

Ce qui s’écrit sur ce que j’écris n’est pas moi et ainsi à mon tour je deviens personnage. Passe-passe, il y a toujours un magicien quelque part planqué au fond d’une armoire. Tout mot à sa geôle, son déjà dit, préconçu, préjugé. Arracher un mot à la nuit noire, le fracasser en mille autres mots, puis cesser le bavardage. Celle qui manque ici n’a besoin de rien. Ses trous laissent passer l’air et la lumière. Celle qui manque s’adonne à l’amour du vivant. Celle qui manque préfère le vide où rêver encore.

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Sébastien Ecorce

(…) Taches flottantes et libérées Dans l’écart palpitant Le geste nerveux Pulsionnel

De petites pulsions ou circuits

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Elémentaires

Dessiner la forme Jaillir fuser la faire

Déjoue la présence Pour l’intensité

Le mouvement Pour l’agitation (…) Fourrage du

Sanglier

Durer en sa disparition Brillante

Ce parfum des viandes Qui monte en suspension

La maintenir lyrique

Vers les narines de la

Dans son passage

Conscience

(…) Dans l’épaisseur Cette animalité de la puissance

Ce qui reste dans

De la peinture

Le franchir les obstacles


La traversée des règnes

Au regard

Réapparaître de l’autre côté

Sublime boitant

De la nuit

Qu’importe ruine Hors de tout sens

La mémoire commune Non réifiable Les cris de la colère Jaunes rouges Le renforcement de la

N’exclut rien N’abolit rien -

Ce qui reste dans La répétition

Matière L’infini variation Cri Ces chiens dits enragés

Lutte sur la Vision Comme la parole est Guerre et folie

Se modifie Solidifie seul Demeure

Cette part d’espace (...)

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Mathieu Brosseau

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Parler, parler, la logorrhée s’en vient entre deux miroirs qui se reflètent, entre un sujet et un objet qui se devient, c'est-à-dire qu’il y a une alternance de sujets, une dynamique, ce qui était sujet devient l’objet de l’autre, et dans ce frottement arrive la parole, avant, avant le miroir, c’est le silence, la vision seule ! Entre ces reflets, je me reviens spectralement, je suis mon fantôme et c’est pourquoi je me double sans cesse, salut mon coco, tu vas bien ? et c’est pourquoi les drogues me parviennent comme une solution au miroir, l’action, le çaction devrait repartir audelà du miroir, comme instrument de vue, une lunette astronomique. Je t’aime. J’aime le sommeil car c’est la fin du voir et le début des reflets. /////// J’aime le début du voir car c’est la naissance du çaction en pleine lumière, la fin des reflets, être des lumières… Il me faut parler de l’être en lumière, il est une lumière qui dissout les reflets, croyez cela et votre vie sera sauve, mais vous n’avez pas peur de mourir, vous avez peur de voir la fin du voir, il est une lumière qui dissout les reflets, éclair, un instant et qui éclaire la parole magique, la parole de vie, le çaction perd sa cédille et le silence rend L’UBIQUITé. Aujourd’hui c’est le jour de la nuit, la parole du silence, ce qui se dit entre les lignes, une vacuité qui s’opère, la fin des spectres. La fin du biographique, c’est la fin du çaction, c’est la fin de son c cédille, c’est la fin du pronominal réfléchissant, c’est la naissance du voir, de son action, c’est l’aurore Pour que la vie ne soit plus commentée, pour que le commentaire ne soit que l’appareil de la nausée, pour que la parole soit l’instrument du seul étui de la pensée, la poche, la délicate merveille du monde, nous sommes des Dieux inaboutis, des repères de la langue, pas de Dieu, pas de Dieu à prière, une seule blague, le tabac, tu le ranges où, c’est pour la cure, le tabac tu le déposes sur la tombe, il n’y a qu’un seul Dieu pluriel, qu’un seul secret, celui du réseau des âmes, celui dans lequel tu te confonds, la fin du biographique, c’est le début de l’âme, marre, mort au biographique, gare au fait, si on vous trouve, on vous déchirera, pas de fait, pas de mort, l’immortel, de la vie à son commentaire, la soudure, ce mouvement de l’âme, soit, soyez mes enfants, soyez, c’est l’aurore, le çaction doit perdre son c cédille, il n’y a plus de maux de crâne, il n’y a plus, c’est l’aurore, les médicaments, je les ai pris, il n’y a plus de mère, il n’y a plus de père que dans les fonds obscurs de la soudure, ce bas-relief, ce scintillement métallique de la suture, ce mouvement de l’âme prouve que l’âme est une étendue, c’est l’aurore, il n’y a plus...


je me laisserai consumer par ce feu blanc qui me broie

Juliette Zara

cette attente indicible en stigmates sur la croix je me ferai expansion silencieuse dans le dehors vacant mon cri muet déchirera le voile ce point dans le saint des saints invisible dans l’arche vide je m’écorcherai l’âme contre le mur d’un corps en ruine je me laisserai envelopper par les flammes de sa parole je me ferai lune en révolution pour éclairer ma nuit folle enchaînée par l’attente qui me brûle dans le dedans de lui je me ferai langue et lame pour qu’il me brandisse je m’écrirai révélation et je serai nue quand le voile bleu de la nuit aura quitté mes épaules et alors il dira mon nom

« Les armes quand les chuchotements se taisent Tirent mon humanité sur une croix et les larmes Ont puisé une vie dans leurs veines racinaires » J’ai regardé ton énigme et ses bourgeons Ta douleur intestine et cette poussière d’or Devant ton rire je voudrais comprendre Comment la lumière pourrait disparaître Dans le creux de ta main close J’ai senti tout à coup ta douleur Nichée là où tu l’avais dit Et je suis tombée Dans ta mort Que tu gardais secrète Dans le creux de ta main close

Enigme

Il dira mon nom

Je me ferai point minuscule et incandescence fragile

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Deux tiges de bambou Plantées dans le sable Totems Pour la désirance

Arnaud delcorte

*

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Ne ressortent des sables Que les victimes et les crabes Soliloques de fortune Aux girations solaires * Tremplins d’aventure Le pourpoint des lames Sabres divisionnaires A flanc d’iris * Un disque blanc un rayon un halo Sous la pointe bic Miroirs incoercibles Du monde vibratoire

maui


Mauna Hina Kama’Oli’i Honokahua Bouches censurées de cendre Où enfle implacablement Le hurlement tellurique * Mishima raconte le désir dans le désir Avec le tranchant adamantin d’une épiphanie

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diary

(extraits)

* Debout sur une opale jaune Tatouages à l’épaule Métaphore hawaiienne Au torse évasé de rose * Des membres soyeux luminescents sous la surface des flots Des lombes lézardées d’azur Après Le silence


Philippe Leuckx

1 Je bois marchant l'ampoule glauque de l'âme je sais le ciel si sombre tout en moi et au-delà de ces murs la lumière nue des yeux des causes perdues

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La fatigue là à ras de souffle et pauvre lune qui s'essouffle avec les mots de tous la lumière intimée aux pèlerins de l'heure

Qu'un peu de salive nous tisse et que l'enfant maigre me soit dense réconfort sang illuminé de sève

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Le coeur ne cède que sa part la moins sombre les vers de la tribu partagés à même la peau et ma peur d'une nuit à passer à moi-même le creux vain de mon ombre

Nous allions boire l'aube et l'ombre sur les joues la lumière allait de soi et le linge ce ciel convenu ces étoiles filées sans que le coeur s'accorde


Extraits de “L’O”

Catherine Ysmal

L’O gicle géant furieux, humain d’os, enchante Et des yeux le torrent précipite ma mise La chaine tirée Un pas puis l’autre avec cette drôle de hampe dont on tient les drapeaux et qui croise le fil. Nous sommes couchés en postures animale, enfantine, adulte, vieille, joyeuse nous pressant d’un bleu nuit courant vers la blancheur. Je ne vois pas les rouge, feu, encre, argile, les croutes les cercles de ta fumée Je suis à ta salive, à cet argent doré une ardeur poreuse.

Interne, ça fuse, fuit, s’infiltre par des mots au cordeau, CROA-CROA éparpille l’Oeil rond. Elle le répète. Les couleurs tintent. Vert veineux battu d’armées de poils, rouge écorchure, fantaisie rose, violettes fleurs de lèvres, pulpe d’automne, notre ombre renversée et lumineuse.

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Fragments de Voix (extraits)

Thélyson Orélien

IV

III

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Je serai poète de faubourgs minijupes en extase sens jubilatoires Ma fumée tapageuse à stupeur de songes gluants Le néant transfiguré éparpillé jusqu’à l’audace de l’étincelle Mémoire mutilée déchiquetée sous la terreur chaos frénétique comme des seins de femme ayant allaité le monde dans la métamorphose des dieux somnambules Dommage le temps par degré d’averses se déménage quelque fois quelque part de la quiddité des eaux Commémoraison musicienne frappée de transes épileptiques

Le vent pleure dans le sommeil des rues rêve à nos conquêtes d’ile nos corps à corps Les eaux transportent nos rêves des étincelles en fuites Je tourne le temps et m’entretiens avec le soleil V Terre inégale enfoncée dans un massif de songe Terre jonchée de contrastes Le clair de lune tomba dans le bleu pur comme un morceau de ciel Quelquefois la démarche du silence n’est qu’une corvée d’étreintes Nuits réverbères de flaques promeneuses comme grêles de piano mon tango abracadabrant


Xavier Lainé Il y a l'œil qui voit et décompose ce qu’il voit en teintes et demiteintes Il y a ce que les couleurs chuchotent à l’oreille Il y a l’oreille qui entend qui entend des sons venus des profondeurs et que nul n’entend s’il n’est entraîné à cette subtilité de l’écoute muette Il y a ce que la bouche déguste Il y a ce que la bouche déguste les mets délicats la soupe ou le brouet Il y a ce que le nez sent d’effluves subtiles ou nauséabondes Il y a cette résonance dans les battements du cœur Il y a le frisson à même la peau La respiration tout à coup plus courte ou accélérée Il y a tout ce que chacun peut sentir voir entendre

et que pourtant il ne voit n’entend ne sent C’est chaque jour la mise en abîme du corps et de l’âme la brutale vibration à l’unisson du monde C’est l’enfer et la joie qui viennent sans mots-dire Comme s’en viennent la toile et le calame les mots et les couleurs Nuitamment s’en vient le trait Ce qui traverse cette demeure Ce qui vibre et transpire

Il y a chaque nuit de la matière transformée Un monde naissant dans les profondeurs de l’âme Un univers jaillissant de la mémoire palpable Il y a chaque nuit ce qui nous traverse et se jette sous les roues des yeux incrédules

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jack Keguenne

fond d'œil un tremblement (la lumière ne se dépense pas en ligne droite) retenir l'ordre des paroles, le moment d'un sourire déterminer l'abrupt d'un souvenir, le devenir à convaincre aux horizons inaccoutumés des augures dorénavant quelques rides pourtant, et le soir déjà venu

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♦ il n'y a pas d'innocence et l'ombre ne fait pas de miracle à la pâleur émue fournir l'arsenal indigo

♦ bleu comme le vitrail d'une cathédrale le pli à l'aisselle au creux du ventre, des enchaînements d'été des blés blonds en garantie d'audace (lait, miel et abondance) monter n'indique pas de lueur risquer accueille les profondeurs ardentes


croire n'exprime aucune limite vin convergent et paupières colorées (la lumière s'atrophie aux demeures incertaines) brasier, brasier encore qui d'étincelles décime l'impossible ou bien coquille qui garde précieuse sa nacre au-dedans

♦ 81 avoir soif d'incandescence une hargne d'éblouissement aucun écart dans l'aventure, même sous ciel de chiffons suivre le doigt qui renseigne les timides chemins de cannelle

derrière non, rien derrière — tout devant et assuré


pas un halo ni la saison des charrues et des herses dans l'ordre creux et gras pas une source dont la nuit aiguise les mousses sur la pierre non plus un rempart perclus de craintes et de soumissions

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un nom fécond fructueux d'étoiles et d'une promesse de lucioles

♦ prométhée bien au-delà de consumer foudre intestine guirlande émancipée ramasser au sol sa part de ciel


Denis Heudré

Quand il y a le souvenir, que le temps passé repasse vers l’avant, le ventre se met à se rappeler tous les détails qui ont fait œuvre de temps. Au cerveau les images, au ventre une mémoire-matière de corps, faite pour donner à l’émotion une sensation physique. Une sorte de route empruntée, un itinéraire profond propice à se retourner. (Faire pas c’est aussi se retourner. Et s’arrêter aussi.) Une nostalgie de tripes. Le passé. Les cercles concentriques qui marquent notre âge et nos racines. Tous ces instants accumulés comme des protéines. Assimilés dans le sang. Un moment, comme l’estomac repu envoie au cerveau un message de satiété, le corps transmets aux yeux un signe de lumière. Un rayonnement venant de l’intérieur. Comme pour dire à l’extérieur « attention, ici souvenirs à profusion ». Le passé transformé en lumière. Tel est le miracle de l’Homme. Mais l’enfant, me direz-vous. L’enfant possède déjà en ces gènes la satiété de ces ancêtres. Malheureusement, il s’en débarrassera bêtement à l’adolescence et aura beaucoup de mal à la retrouver. Le travail du poète est là. Fouiller dans ces lumières. Rassembler dans les mêmes territoires d’écriture, ces lumières intérieures de l’Homme avec celle de la Langue.

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Alain Helissen

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Fragment 1.

Fragment 3.

De la figure du tout je n’aurai rien gardé que des lambeaux abstraits recollés mais sans goût de reconstitution

Je / vois / si près / coupures tranchées / sous / les / ciseaux dé / voilant / les / colonnes comme / totems / as / sortis

J’ai laissé les couleurs chevaucher des fragments perdus de l’origine

Fragment 2. Et puis je suis sorti du paysage j’ai vu mes vers couverts de vert fondus décomposés J’épelle des mots absents J’appelle encore des noms disparu sous les lés D’en réclamer la liste me coûte la peau du temps

Je vois superposées les strates similaires d’une généalogie pétrie d’un tronc commun Et taches violacées marquer l’éclaboussure

Fragments 4. La déchirure des blocs en leurs socles mêlés Le rouge a pris le pas figé là trace informe J’ai évoqué le sang mais ne sais quelle scène le fit gicler ici où je n’ai qu’une plume pour en fixer l’histoire


fragments écrits en écho à des « collages peints » de Max Partezana, chacun a fait l’objet d’un livre d’artiste au tirage limité à 1 exemplaire. La présente version est donc inédite.

Fragment 5. Du tout n’apparaît rien qu’une surface peinte découpée rassemblée déconstruite reconstruite Je cherche le tableau la fresque intégrale sur un grand mur absent Et ne vois que fragments juxtaposer le doute

Fragment 6. Je n’ai pas su parler J’ai laissé la lumière percer en ses clairières d’un rose d’aube pâle C’est le silence ici peint serein et qui brille Je n’ai pas pu parler J’ai fait corps avec lui en son ravissement

Fragment 7. Du tout observé là en chacun des chantiers Figures fragmentées et proches néanmoins d’une unité parfaite En fondu-enchaîné je vois les variations de plan se succéder …tous les films n’en font qu’un...

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Michel Gerbal

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Flaque dans la ruelle. Crêtes volcaniques à l’Est. Côte brûlée au Nord-Est nuages dans la mer. Empreinte calcinée d’une semelle de géant vers les rias de l’Est. Neige, groupes de neige, troupetons de neige. Là où était - la mer - là où sera la flaque, la rue, le Sud, le Nord : neige.

*

A été décidé, par Platon et par Thomas au nom de l’art des aiguilles du mélèze quand elles fusent armées et marchés de bannir la poésie du poème.

*

... et a l’assaut de la banalité en entourant de bandes l’appareil-photo Lumix Leica XM-400

*

Par quoi sera remplacé le chant du chant ? Par quoi le sens glissera-t-il vers la plaie libre, l’heureuse (thym, feuilles de carottes), par quoi le mouvement sera-t-il borné —

Toi ! toi, tu as renverséd’un coup ! la herse gravante au bord de l’omoplate tu as brûlé- d’un doigt ! la sentence là.

*


Au coeur du monde, il y a le mot au coeur du mot, de ce mot là, c’est une source, qu’il y a — au milieu de cet il-y-a c’est - te souviens-tu du t’en souviens : la flamme enclose dans la cire éclairait - toi, nos mains, nos doigts - éclairait la lumière de tes pulpes ceci dans une autre lumière (celle, mouillée, des trains heureux) : margelle, demi-coquille d’oeuf, couronne - en un mot, oui : un visage dont le tien sera fût et décalque car la grâce se revêt des plumes des oiseaux.

*

Là elles volent vers toi ne gardent pas les prismes du rayon - jardins d’air dans l’oignon de lumière o cette lumière ! c’est trop ! le monde, pierraille des mulets, est ce mot là.

*

Ce silence, aussi, tu peux dire glaire, chaise avec joie et frissons nid de lèvres mais non, dis : ce silence, o ce silence. Ce silence. Cris entre les pavés ! stries ! stries et stries ! o ce silence non, tu ne sais pas, tu ne nais pas. O ce qui file avec vers l’air dans la stridulation où vibrera l’étoile. Tout poète est béni. Tout poète réside dans la Chine avec la main blanchie d’une très vieille femme - Alzheimer est le mot qui croise de minuscules stries. C’est bien, dit-elle, ça fait un dessin. Elle me montre les vastes paysages de l’oubli. Mémoire, mémoire, disent-ils.

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Clarisse Rebotier

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Dolores Polo

Cellule blanche. Comme un glacier. Rien n’est nécessaire. Tout est haut. Rendu plus haut par l’exiguïté. Je ne veux rien se disait-elle. Se le répétait aussi autant de fois qu’elle le voulait, le matin, le soir, elle était toujours seule, surtout au lit, dans ce lit monacal qui entre le sol et le sommier avait l’espace d’une valise et au-delà de la valise jaune bien cachée, ses pieds au-dessus du lit qui dépassaient comme des pieds de morte, est-ce que le moine, le dernier qui avait dormi là, avait des jambes fines ou des jambes torses, et son visage se renversait-il, pleurait-il, avait-il trouvé la mort dans son sommeil et la douleur avant de mourir, ou le désir, plus savant que lui et qui lui faisait tourner la tête de gauche et de droite ? Tôt levée. La première. Paroi de la montagne dressée. A glisser le long de la petite fenêtre. Je glisse. Rien ne tient. La cellule n’a pas de miroir. Ablutions dans la salle de bains commune. Le paon, la cour aux poules, un reste de lune qui aurait pu être jeté là, comme une graine ou un os que de petits chiens parmi les poules seraient venus la nuit ronger et si je songe aux chiens c’est qu’ils hurlent la nuit depuis le dîner que nous faisons durer, est-ce hurler à la mort quand d’une ferme à l’autre ils pleurent et gémissent sur le sort vague qui est le leur et celui de leur maître et le mien comme si je pouvais me cogner aux murs et que sans miroir l’horizontal n’existe pas ni l’image ni la profondeur, il faut tout inventer y compris les chiens qu’on ne fait qu’entendre. D’objets ? Que la rose du jardin. Mise dans un verre. Accueil muet. Je ne sais qui. Je garderai la rose. Ce qu’elle se disait. Ce qu’elle a fait. Jusqu’au bout de la fleur. Quand d’elle il n’y eut plus. Que fragments comme des ongles. Des peaux. Puis des cendres. Elle a cueilli un matin. Avant tous les autres. Les quelques jours où ils n’étaient plus que quatre dans le Monastère, une deuxième rose avec hésitation, croyant trop prendre, avec précaution craignant que son élan ne lui fit couper un bouton aussi, elle avait levé les yeux vers la rangée de fenêtres, la sienne ouverte, sa culotte et son soutien-gorge qui séchaient, elle le savait mais d’en bas on apercevait juste un bout de tissu rouge, elle savait encore qu’un peu à gauche du verre, il y avait un tout petit cadre avec la photo de ses enfants, eux aussi comme une rangée de fenêtres sur un fond blanc, l’ordinateur, l’imprimante et les cahiers tenaient tout le reste et on les aurait dit rangés par une sage écolière, la seule qui faisait désordre et qui d’ailleurs changeait constamment de place, qu’elle prenait dans sa main parfois pour en remonter le

Chambre sans miroir

Nouvelle inédite extraite du recueil «Chienne de plainte» « J’ai donné un nom à ma souffrance et je l’appelle ‘chienne‘, - elle est tout aussi fidèle, tout aussi importune et impudente, tout aussi divertissante, tout aussi avisée qu’une autre chienne. »- Nietzsche -

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petit mécanisme, c’était sa grenouille-fétiche verte et blanche. Si nue et nacrée. Cellule retournée contre moi. A voix haute ajoutait. Comme une lame, comme une arme. Photos, rose. Ne suffisent pas. A me rendre le dehors. Lentement, lentement. Serait-ce une décomposition ? Modifiée élément par élément, de plus en plus subtilement, c’est le moine que je deviens, je ne sais pas lequel, plus qu’à un personnage auquel j’irai ressemblant, c’est un état et j’y adhère, orteil contre orteil, mollet contre mollet, cuisse, sexe, ventre, poitrine, cou, bouche, nez, les uns contre les autres, les fronts se touchant et quand je l’ai senti, pour échapper à la métamorphose, j’ai passé la paume de ma main contre les aspérités du mur mais cela n’a pas suffi, si ce n’est à faire une égratignure, alors je me suis allongée, les cuisses serrées puis ouvertes, avec la fente qui apparaissait dans le galbe des chairs, jambes alternativement écartées et refermées comme des branchies par lesquelles j’aurais respiré parce que à hauteur de ma poitrine, il y avait un poids, celui de la cellule blanche et étroite, j’ai craint aussi, s’avouait-elle, le corps du moine juste avant qu’il ne meure et c’était un moine coléreux qui retournait sa colère contre moi. Sans visage. J’ai encore. Un tee-shirt moulant. Des petits talons. Même allongée et s’y exerçant. Rien de la rigidité du moine. Qui avait dû mourir là. Des moines, les uns après les autres. Venant mourir, alors qu’elle sentait toujours sous sa peau comme de fins petits poissons, rampant, ondoyant, gonflant, aspirant, voyageant tant et tant qu’elle s’en trémoussait les yeux rivés sur l’arête à peine perceptible de la voûte dans le blanc uniforme, échappant, imaginait-elle, aux bras, au ventre de bois, au double cercueil des jambes de ce moine qui sous elle avait taillé le lit au matelas ferme, au linge blanc que chaque matin, aux aurores, elle tirait impeccablement, elle dormait peu, des libellules entraient par l’étroite ouverture de la fenêtre et qui,

dans l’espace clos de la cellule faisaient racler leurs ailes sur le ciment, volaient dru et sec pour s’immobiliser brutalement, ne comprenant pas que la fenêtre restait ouverte, que la porte avait été ouverte, que je jouais au toréador avec un paréo pour les chasser, mais toutes les libellules, soir après soir, allaient finalement griller sur la lampe halogène, laissant derrière elles une odeur âcre mais je refermais encore la porte de la cellule sur moi car je n’avais jamais fini d’écrire, se trouvait-elle bien forcée d’admettre chaque nuit, avec la petite colonne de fumée de cet enfer miniature au-dessus de la lampe. L’air un peu frais. Du matin. Avant la douche. Avant la gymnastique à même le sol. Avant que le soleil. Avant que le parfum. Des roses. Ne monte et recouvre. Celui des plantes aromatiques. Plus matinales. Avant le bruit. La question. Les questions. Comme pluie inondant le visage, petits grêlons mordant le visage, braises, marteaux, d’où venons-nous, où allons-nous, à briser, à ronger les côtes, à mordiller aux tempes, les chiens invisibles de la nuit revenaient, c’est peut-être eux qui avaient mangé Dieu, tripe par tripe, mordu les culs dont les moines avaient si honte, et la femme-jardinier qui s’abaissait entre les rangées de tomates et de capucines avait les fesses hautes et bien dessinées, la terre était brune et les bêtes laissaient des empreintes étoilées que je devinais, penchée à la fenêtre avec la divinité en croupe, et les religieux et les silences religieux de la journée quand nous travaillions tous dans nos cellules, avec cette paroi de montagne que le soleil réfléchissait comme un miroir et que je regardais de temps en temps, détournant la tête de mon devoir de page avant d’y revenir, voilà ce qu’elle avait en tête tandis que dans le creux de sa main, la grenouille aux yeux blancs dont le mécanisme remuait comme une petite queue, avait peu de temps, le temps réduit du mécanisme, pour se décider à sauter hors de la main, hors de la cellule, hors du jardin du Monastère.


Guidu Antonietti di Cinarca

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Mocajo

Angèle Paoli

Elle ouvre les yeux. Le noir est intense. Elle ne distingue autour d’elle ni la forme de l’espace ni la configuration des lieux les plus proches. Où peut-elle se trouver ? Depuis combien de temps est-elle là ? Que fait-elle dans cette nuit pareille à la plus obscure des nuits ? Elle a beau solliciter sa mémoire, elle ne sent qu’un immense vide, un vide d’une intensité sombre qui l’empoigne tout entière. Un vide vide de sens et d'échos. Elle se frotte les yeux et hasarde ses mains sur son corps pour en palper les contours. Elle veut renouer avec ses propres limites, ses propres frontières. Son cou lui semble frêle. Ses seins, menus et fermes, lui rappellent les pommes rondes d’un verger. Le verger de la tenuta ? La Tenuta ! Tenuta Mocajo. Où était-ce ? D’où ce nom lui vient-il ? Des fleurs ailées papillonnent dans ses yeux. Des fleurs ailées, d'un mauve carmin mêlé de pourpre et de violine, cherchent à se frayer un chemin à travers les membranes de ses paupières. Des images surgissent, myriades d'ocelles tirées des profondeurs. Elle se frotte les yeux, caresse l'ovale de son visage, redessine la forme de sa bouche, lèvres disjointes, légèrement fendillées, tâtonne le long de ses hanches. De ventre, elle n’a point et son pubis imberbe est tout juste une fente close sur la douceur de la chair. Quel âge peut-elle avoir ? Elle n’en a pas la moindre idée. Il lui semble qu’à son réveil elle est identique à celle qu’elle croyait avoir laissée la veille. La veille ? Quand s'est-elle endormie ? Combien de temps a duré son sommeil ? Une nuit ou plusieurs milliers de nuits ? Des nuits innombrables, indissolublement soudées les unes aux autres, parfaitement identiques depuis les origines jusqu’à ce jour. Elle ne peut distinguer les limites du temps, pas davantage les siennes propres. Elle sent monter jusqu'à elle une étrange humidité à laquelle se mêle une odeur de salpêtre. Une humidité sournoise qui gagne ses os, et se fraie doucement un passage sous sa peau. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Que sont devenus les siens ? Depuis combien de temps se trouve-t-elle là, enfermée dans le noir de cette nuit d’encre, terriblement silencieuse ? Elle en est là de son questionnement lorsqu’un rai de lumière filtre autour d’elle. Elle suit des yeux la ligne lumineuse. Son regard est conduit jusqu’à une mince lucarne qui lui fait face et qu'elle n'avait pas distinguée jusqu’alors. Le rai de lumière et ses multiples lucioles lui permettent de discerner peu à peu d’autres formes. Des lignes sombres et sobres, des voûtes et des arceaux, la brillance mate de la pierre sur le mur opposé au sien. Et, plus loin, un ovale ou peut-être un demi-cercle. Où se trouve-t-elle ?


Elle sent sur sa peau les feuilletés de sable s’écarter autour d’elle et lui céder le passage. C’est sous ses doigts une surface lisse ou au contraire d’étranges granules roulant sous leur pulpe. Elle se sent happée hors de sa gangue granitique par strates successives ; elle se laisse guider sans résistance vers ce qui lui semble être la lumière. Elle avance vers le jour dans le fil étroit d’un couloir dont elle ne perçoit pas les bords. D’un geste machinal, elle écarte le voile qui empèse son corps et semble ajouter encore à l’opacité du monde. Tout en accomplissant ce geste familier, elle recouvre peu à peu ses sens et sa mémoire. Une vague de chaleur circule dans son ventre. Ses jambes se désengourdissent. Elle hasarde quelques pas en avant puis d’autres viennent, plus assurés. Le voile qui faisait obstacle à ses gestes s’écarte peu à peu, laissant venir jusqu’à elle le rai de lumière. Elle est arrivée sur le seuil. Elle s’immobilise sur la frange du mur. Est-ce là la nef d’une église déserte ou celle d’un galion abandonné ? Elle revoit, enveloppées dans un halo de brume, de longues travées trouées de chapelles, des dalles de marbre éventrées, des groupes d'enfants cachant leurs effronteries derrière les piliers, de vieilles femmes agenouillées dans leur silence. Tout cela, pêle-mêle, lui revient en mémoire, sans qu'elle puisse mettre de l’ordre dans ces visions ou nommer les lieux et les visages qui se montrent à elle. Les strates rêches de la paroi éraflent sa peau par endroits. Elle regarde tout autour d’elle mais ses yeux ne parviennent pas à percer l’obscurité qui l’enveloppe. Elle écarte un pli de son voile puis un autre encore. Elle déplie la tenture qui s’ouvre peu à peu sous son geste. Elle perçoit un souffle, troublée soudain par le sentiment d’une présence autre. Du côté opposé au sien, derrière l’autre pan de tenture, une silhouette semble vouloir surgir, elle aussi délivrée d’un passé innombrable. La jeune fille s’avance. Une autre apparaît, qui lui fait face. Elle regarde autour d’elle, les yeux grands ouverts sur l’inconnu. D’une main, elle tient le pan de rideau écarté devant elle. De l’autre, le pan de sa robe d’ange. En apercevant celle qui lui fait face, elle sourit. Toutes deux se dévisagent, étonnées de se découvrir, immobiles sur le même seuil. Elles s’avancent l’une vers l’autre, encore hésitantes. Elles rejoignent l'enceinte, enjambent un muret. L’espace qui les sépare s’élargit à mesure qu’elles tentent de se rejoindre. Il semble que les deux rives

travaillent à s’interposer entre elles. Mues par une volonté invisible connue d’elles seules, elles s’enhardissent. Les voilà côte à côte. Elles s'observent longuement, se regardent sans pour autant se reconnaître. Elles se ressemblent, comme deux angelots sortis de la voûte céleste et tombés là, pareils à deux gouttes d’eau jumelles. Elles continuent de s’observer en silence, chacune prenant de l’autre la tendre mesure de ses traits. L’une d’elles tend la main et la promène sur l’épaule de sa compagne. L’épaule se découvre légèrement, laissant voir l’arrondi du bras puis, plus bas, des lettres incrustées dans les plis de la chair. Le doigt se promène sur la peau tendre. Un peu de poussière s’efface. La voix murmure en hésitant : Lu-ci-ll-a. Le visage de Lucilla s’illumine d’un sourire. Lucilla hasarde le même geste sur l’épaule de sa compagne. De nouveau la poussière s’écarte au passage du doigt. Le nom surgit, qui se cache dans les plis de la peau. Lucilla murmure : Pe-la-gia. Pélagia acquiesce d’un hochement de tête. Les syllabes qui composent son nom lui semblent familières. Encouragées par leur présence mutuelle ainsi que par leurs découvertes, les jeunes filles s’enhardissent. Elles s’aventurent davantage, franchissant un seuil puis un autre. Elles parviennent à la surface du mur qui les tient depuis si longtemps à merci. Depuis combien de temps au juste ? Ni l’une ni l’autre ne saurait dire ce qu’elle fait là ni depuis quand elle se trouve recluse dans cet univers de silence, d’humidité granuleuse et d’obscurité. Un grincement de gonds les tire de leur rêverie. La porte du fond, une lourde porte cloutée, s’entrebâille, laissant s’engouffrer une vague de lumière. Le vaisseau prend de l’ampleur. Les arcatures se déploient. La voûte se libère audessus de leur tête. Des pas résonnent, qui trouent le silence de leur martèlement régulier. Un couple s’avance dans la nef. Les deux jeunes filles reculent, chacune derrière le pan de rideau qui camoufle leur présence. Ainsi peuvent-elles observer à loisir sans être vues. Le couple marche lentement dans la pénombre. Comme à tâtons. Puis se sépare. Lui continue d’avancer. Peut-être vers le chœur, peut-être vers la crypte. Il s'éloigne, comme happé. La jeune femme s’arrête face à la paroi. Les jumelles retiennent leur souffle. Elles ne reconnaissent pas cette femme dont le regard erre sur la trace indécise des couleurs. Elle porte d'étranges braies très ajustées, pareilles à celles que

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portaient jadis les hommes de la « tenuta ». Les robes amples des femmes frémissent sous les grands arbres ; les toilettes de brocart, les lourdes chevelures de fête passent comme un mirage. Leur revient en mémoire le temps passé devant le miroir à torsader les boucles blondes. La rumeur sourde des batailles monte à l'assaut des collines ; le ferraillement des armes et les clameurs des hommes couvrent l'horizon. Làbas, dans le damier des champs où s'affrontent les chevaux, les étendards claquent au vent.

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Ensemble, elles observent en silence le visage de celle qui fouille le mystère de la paroi. Ces paupières lourdes, tenues baissées sur les yeux en amande, ce regard d'or empreint de tristesse, où l'ont-elles rencontré ? La visiteuse perçoit un frémissement. À peine. Un tremblé. À peine. Elle fait un pas en arrière. C’est la pierre qui respire. Les pans de rideaux semblent vouloir s’écarter. Elle fleure une présence invisible. Une haleine douce qui passe comme une onde. Elle cède à la tentation d’effleurer du bout des doigts les restes de stuc. Les jeunes filles se rétractent dans les strates du mur tandis que des croûtes humides se délitent sous la pression des doigts de l’intruse, laissant apparaître les porosités rêches de la pierre. Une fine poussière bleue s’effrite, qui bruine sur les dalles. La paroi respire. De menus souffles font tressaillir le crépi du mur, soulèvent par minuscules parcelles des fragments de la fresque. Le cœur en émoi, la visiteuse s’approche. Sur la gauche, un pan de rideau palpite qui laisse entrevoir dans la gaze de ses plis une silhouette bleue. Un visage se dessine qui prend forme dans l’obscurité de l’abside. Un visage d’enfant blond. Un ange, sans doute, ou peut-être un page. Des boucles vagabondes volettent autour de l’ovale fin et translucide. Des mèches folles, animées par la brise automnale qui pénètre par à-coups dans la nef. Les voiles s’agitent, crissent de leur mouvement de mousseline. Les yeux d’un bleu perçant fouillent l’obscurité, interrogent le regard qui s’absorbe dans les effritements de la paroi. La visiteuse se déplace, s’approche, recule, s’approche à nouveau. Sa robe de mousseline souple frôle les nappes de couleur. Une autre silhouette bleue apparaît. Un autre ange ou un page, peut-être. Même ovale, même blondeur, même regard bleu. Même geste du bras qui soulève le pan de rideau pour hasarder un regard alentour. Même invitation à laisser le re-

gard de l'autre glisser à travers voiles, à franchir les strates du mur. Qu’y a-t-il au-delà ? Un corridor conduisant à la Chambre des époux ? Le long couloir obscur d'un palais qui donne sur un patio ? Un patio derrière le mur. Et des arbres exotiques, pins et palmiers qui effilent leurs formes fuselées au-delà des arcades de marbre. Peut-être aussi sur le gouffre d’un tourbillon céleste ouvrant sur des volutes divines. Elle ne sait, mais l’exacte symétrie des deux anges, leur regard lumineux, l'incitent à pénétrer plus loin entre les voussures de la cloison. La visiteuse pousse une porte. Les deux silhouettes se retirent, silencieuses. Elles s’effacent à reculons, s'estompent dans les menues anfractuosités de la pierre. Un cloître s’ouvre plein ciel, flanqué d’une tour qui tente d’en rejoindre les cimes. Une muraille ocre, percée de trous réguliers, dresse sa paroi puissante et ceinture l’espace. La vie semble suspendue. Un roucoulement régulier troue le silence maussade de la forteresse d'automne. La visiteuse lève les yeux. Des tourterelles ! Elles gitent dans les cavités de ce damier vertical. Sans vertige. La jeune femme revient sur ses pas. Pousse à nouveau la porte basse. Un escalier à vis qu’elle n’avait pas vu jusqu'alors grimpe le long du mur. Hésitante, elle s'accroche à la rampe. Elle se hisse. Une marche, une autre, une autre marche encore. Elle monte, monte toujours plus haut. Ses pas résonnent dans le vide. Elle n'ose hasarder un regard vers l'espace qui la sépare du sol. Elle pense aux dalles disjointes. La tentation est grande de se laisser distraire. Elle lève les yeux vers le haut. La tête lui tourne, prise dans le vertige de l'oculus de lumière. Est-ce encore loin le haut ? L'escalier à vis rétrécit à vue d'œil. Une encoche dans l'épaisseur du mur laisse place à un palier. La visiteuse s'arrête, reprend haleine, se courbe, se redresse. Elle se heurte au linteau de bois, pousse la porte. Une nef de lumière déploie à l'infini sa charpente en arceaux. Vaste vaisseau du ciel. Elle avance, pivote sur elle-même. Les jointures du plancher grincent sous ses pas. Toute une sarabande de personnages étranges, bottes et sabots figés dans les lattes de bois, fixe sur elle ses yeux de lune. Elle s'approche avec précaution.


Une face rubiconde dans un corps de chien grimace sa désapprobation un homme à tête de cochon ricane sourire lardé de graisse des ongles fendus trépignent cloués sur leurs planches à roulette une danseuse fuseau de truite observe une distance glacée une femme-oiseau pieds palmés surgit de son ventre obèse bec et tête et grouine sur son passage un bébé-vieillard lisse son poil de hérisson et lance vers le ciel ses piaillements hybrides un être mi-homme mi-âne secoue son bonnet agite ses grelots une vache bigarrée offre sa croupe à ses comparses yeux blêmes et regards libidineux. Le carnaval de porcelaine roule et se déhanche dans le vaisseau céleste qui tangue sur ses étais. La visiteuse figée assiste incrédule à cette mascarade. Qui a parqué là ces doux monstres imbéciles ? Quel artiste fébrile leur a donné simulacre de vie ? Un sentiment étrange tourmente la visiteuse soudain secouée des soubresauts du rire. Elle voudrait amadouer ces funambules immobiles, leur dire son sentiment de compréhension à les savoir inutiles, agencés dans leur foule hilare et mutique prêts à distraire de leur propre monstruosité des visiteurs improbables. Elle salue. Une pirouette répond à leur grimace par un piedde-nez, hasarde une glissade entre les corps difformes, les contourne, les caresse du regard, leur jette les miettes d'un croissant qui s'effritait au fond d'une poche. Elle leur tourne le dos, les abandonne figés à leur déglutition d'automate. Elle rejoint l'escalier à vis. Commence alors la descente. Ne pas regarder vers le bas. Tourner le dos au vide. Ne penser à rien sinon à bien positionner le pied sur la marche. Une marche après l'autre. Oublier les facéties hommanimales. Avancer, lentement, précautionneusement. Quelques marches encore. Elle sent ses muscles qui se tendent, son cœur qui bat, ses mollets

qui tressaillent, sa chair secrète qui gonfle au rythme de son sang, s'ouvre se ferme pareille à ces petits mollusque bivalves et bleus qui envahissent la mer aux premiers jours du printemps. Elle ramène sur sa poitrine les plis de son chemisier, bord à bord. Elle frissonne, prise de vertige. Ce n'est que l'escalier à vis. Elle retrouve enfin le sol stable de la nef. Elle se redresse, étire sa silhouette, aspire à grandes bolées l'air frais qui glisse le long des murs et le long de sa chair. Elle se sent le cœur empli de tristesse. Une vague inquiétude la saisit. Serait-ce le chant de gorge des tourterelles ? Ou sa rencontre avec les monstres du vaisseau céleste ? Elle se souvient de son compagnon abandonné. Il a depuis si longtemps disparu dans le silence froid de la nef ! La visiteuse revient sur ses pas. Elle pénètre à nouveau dans l’abside. Elle cherche dans le noir les silhouettes bleues. Le mur est vide. Lisse de toute empreinte. Les tentures ont disparu. Les formes jumelles aussi, qui en écartaient les pans. Elle cherche, certaine de ne pas se tromper, de n’avoir pas rêvé l’instant d’avant. Elle caresse la fresque du bout des doigts. Des perles de rosée mêlées de poudre blonde s’accrochent à sa peau. Le mur respire. Quelque chose tremble, un frémissement. La croûte de chaux semble se soulever entre les strates. De petites bulles gonflent qui crèvent dès que la visiteuse s'approche de trop près. Son souffle à elle, parfumé, volatil, sa respiration enfantine suffisent à susciter ce menu tremblement. Elle reste immobile sur le seuil. Les deux angelots ont déserté le mur. Peut-être la présence indiscrète les a-t-elle happés avant de les dissoudre. Elle voudrait sentir à nouveau leur regard bleu percer le sien. Il ne reste du fragment de leur présence que de larges flaques de couleurs déteintes, des ocres et des roses pâles, quelques traces de bleu de jaune ici là la paroi susurre un chant léger.

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Georges Guillain ♦ Timotéo Sergoï ♦ Jean-Luc Wauthier ♦ Jérôme Ferrari Dominique Sorrente ♦ Angèle Paoli ♦ Christine Jeanney

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PAR

Sylvie Durbec ♦ Phlippe Leuckx ♦ Angèle Paoli Florence Noël ♦ Sylvie Salicetti ♦ Brigitte Célerier


Compris dans le paysage de Georges Guillain par Sylvie Durbec Dès le livre en main, plusieurs singularités : la couverture et dès l’ouverture, les deux citations, l’une de Bob Sheppard, et l’autre de Vassili Grossman. L’une met l’accent sur la beauté d’un paysage et l’autre évoque le mot figures pour désigner les corps humains, « 100 figures, 200 figures ». La première citation se termine ainsi : « Mais c’est devant qu’il faut regarder. » Et puis il y a l’italique qui est utilisé dans tout le recueil, depuis les citations jusqu’à la coda. Le titre, les mots de Sheppard, la fermeture éclair sur le dessin nous rapprochent d’un lieu, perdu dans le « …moutonnement des Vosges », le camp de concentration du Struthof, nom que je ne découvre écrit qu’après avoir lu tous les textes, puisqu’il figure à la page 10, soit juste avant les citations. Nom d’un lieu perdu, à retrouver, à tenter d’apercevoir. Il n’est pas anodin que je ne l’aie pas vu. Voir, il s’agit donc de voir. Des jardins. il y aurait des jardins des fleurs des papillons des murs les gestes d’autrefois le bleu des fours des torchons épaissis de pâte les noms La beauté et les figures. Beauté d’un paysage. Mais Georges Guillain parle aussi une langue où la faiblesse des mots s’inscrit contre ce qui se voit et qui cache ce qui a été là. l’écrire pour me souvenir Voir, c’est aussi passer à travers le vert/le rouge/tout le mûri/, pour ceux qui n’ont pas fait partie des figures et qui ont à mener une vie, leur vie : une vie ordinaire sans rien sans souvenirs immondes sans grincements de dents

C’est de cette vie-là que part celui qui écrit devant ce paysage rempli d’absence et devant cette couleur devenue majuscule : oui ROUGE je l’écris cherche les mots/hésite après dans les failles ce qu’on entend/du Rouge/ici les lettres le détachent/un bloc dont se fissure la présence entre les maisons bien assises sur la place qu’on traversait encore ingénument le soir/ leur toit/ROUGE/et/ le saisissement de se voir/ là/dans le tremblement/l’effarement/ de la phrase (…) Alors Georges Guillain invente une ponctuation, un rythme qui parle d’un lent retour, d’une montée vers une hauteur prête à disparaître. Tout en avançant sur cette route, doutant de tout ce que pauvrement (je) il possède il égrène des cailloux d’ombre et la page ressemble à un ciel brûlé d’étoiles. Les figures deviennent présences et les fleurs elles-mêmes se peuplent de mots hésitants à leur redonner poids. Jusqu’à cette fin d’été qui conduit à l’automne et au froid du camp :

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figure humaine au bois fendu comme les fentes des persiennes

La CODA nous rappelle aux couleurs, au linge, aux pommes, au pré, à ce qui bouge :

un mur de bois de haches dans le froid où pousse aussi ton corps déjà l’hiver dans la forêt qui dure (…)

simples vols d’oiseaux surpris qui disparaissent agitent un peu

Les figures sont des corps et ce sont eux qui nourrissent la terre :

Et le poète écrit le mot caché sous celui de figures / morts/ et à son tour il est compris dans le paysage :

la haie

et tant pis si toujours la pression de la vie s’obstine s’exténue à déformer le monde en rythmes un peu bancals

cette misère d’eux balayée ramassée (…)

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traçant à sa manière un chant dont on peut dire qu’il éclaire ce qui n’a pas de lumière.

⦆ George Guillain, Compris dans le paysage, éditions Potentille, 2010 ⦅

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Il voyage loin le Timotéo. Il embarque loin dans les mots et les îles Timotéo Sergoï, grand voyageur, artiste de rue et du monde, ne joue pas seulement du mouvement et des linges des marionnettes; il instille à ses textes vagabonds, nomades une pleine et pure poésie. Avec Le Tour du monde est large comme tes hanches (Editions Tétras Lyre, 20 euros, 2010), le poète a mûri. Ses textes ont non seulement du souffle, de l'ampleur, une tendresse jamais mièvre, un humour pétri de poésie, de bon sens, mais encore la vitalité d'une langue apte à saisir, dans une rythmique des chemins (l'on sent très fort le pas, la marche, la scansion du coeur aimant et partageant), les histoires, les temps forts, le physique (ah! ces mains de l'artiste) du monde.

Il faudrait tout citer de ces proses qui coulent de logique et de sens, ces poèmes versifiés bondés de jeux de langue, entre mots et douleurs : Les comptines pour enfants « Chat dans la farine, chien dans le charbon, Ce matin, je marche, bougon, Sur le trottoir près des usines. » Ou, comme un poète essentiel : « Je porte sur mon dos deux grands seaux d'eau de larmes. Le premier vient de mon enfance Il borde encore mes yeux. »


Du chagrin, le poète Sergoï tire « une cuillère à larmes » et de l'amour - il en porte en ses yeux, sur la tête, ce grand clown poète - « il attend un baiser ».

« Je garde, dit-il, toujours à portée de ma bouche, un petit morceau de chair neuve. A embrasser. Ou à mordre vraiment.» « Viens. / Que je t'envahisse. / La vie donne chaud, tu ne trouves pas ? / »

Ces poèmes plairont autant aux adultes quémandeurs de tendresse perdue qu'aux enfants qui s'époumonent à retarder l'heure du sommeil, pour des jeux qui les prennent par les yeux, l'âme.

Près de cent pages de textes, d'illustrations de Laurence Léonard (bien dans l'esprit du livre) et d'un compact disque audio.

Rester enfant quand on est poète, c'est un gage de simplicité royale. Timotéo l'est à plein vent ce poète-enfant, coureur de merveilles et usager des langues qui résonnent :

Quittons ce bel univers avec un constat digne de son auteur : « J'ai la tristesse insondable des clowns ». Merci, poète. Je suis en plein dans tes papiers de rêve.

⦆ Timotéo Sergoï, Le Tour du monde est large comme tes hanches, Editions Tétras Lyre, 2010 ⦅

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Lecture de « Manteau de silence » de Jean-Luc Wauthier, éditions d’écarts, 2010. Tout le livre est placé sous la bannière de deux vers de Tarpinian : Jeter un grand manteau d'amour/ sur les épaules du silence. Le poète des « Fruits de l'ombre » nous attend avec des poèmes qui dérogent à ce que l'on sait de lui; à l'éloquence brillante de nombre de pièces répond ici la sobriété d'aveux essentiels. A l'écart de la production actuelle, surtout faite d'échos signifiants, voilà une poésie d'emblée en écho aux plus insignes préoccupations : qu'ils soient visibles ou tissés à l'insu, les poèmes de Wauthier disent « les tessons » de la coupure, le regard ironique à l'adresse même du scripteur, ce désir non feint de se taire plutôt que d'en dire trop, les « dialogues » avec soi, sur des questions de premier ordre. Que l'on énumère les mentions d' « effacement » de « taire » ! L'on ne sera guère surpris d'y toucher l'essentielle littérature

de celui qui, après vingt livres et quelque, sait mesurer « le miroir » trompeur du temps, pointer la mort proche en la nuit, en sa mémoire d'homme aguerri. On a même « jeté aux orties » ses textes. On lui a « coupé gorge ». Le poète saisi de l'essence de son art ? Oui, en quelque sorte, puisque écrire, c'est jouer d'un duo impossible, entre soi et soi. C'est aussi ces recours insensés aux si pauvres souvenirs. Le temps, ce grand infidèle à nos peaux ! Wauthier sait ce qu'écrire poésie veut dire : La mort, je la vois comme une piqûre d'ortie (…) La vie, ce fleuve qu'on brûle d'arrêter aux rives de l'enfance (…)

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Sensibilité et acuité greffent la vie/la mort en ces textes où l'haleine meurtrie du monde monte de Gaza ou d'ailleurs. Oui, « de grands manteaux de silence/ sèchent au vent ». Et si l'enfance – domaine préservé du Père en sa terre retrouvée, et si l'écrire, pouvaient devenir baumes à l'usage de cet homme un peu perdu, mais qu'affûte sans cesse le devoir d'user de la langue pour rester debout. Ayguesparse eût bien aimé ces poèmes sans un mot de trop, ces « coupures » de réel incisives et nobles.

il revient au pays. Dans un texte de toute beauté, à la fin du livre – et manière de le relire par ce biais d'enfance -, Wauthier décrit avec acuité, et l'accent d'un enfant qui retrouve ses marques, le « pays comme on revient au père ». « Le Nom du père » (au Tétras Lyre) en avait déjà retranscrit l'émotion. Ici, sérénité renouée, le poète ranime « le souffle des morts ». Les images (la truite veille) signent un hommage doux à la nature du côté du père, fagne heureuse et silencieuse où les mots résonnent drus et vrais. Un très grand livre.

Et le poète qui ne veut pas voir mourir l'enfant en lui est assurément le devin de son avenir : les mots, il les protège, et

⦆ Jean-Luc Wauthier, Manteau de silence, Editions d’Écart, 2010 ⦅

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Un chemin d’écriture vers l’impossible vérité de l’homme

Où donc le capitaine Degorce a-t-il laissé son âme? Dans quels méandres de son histoire personnelle l'a-t-il laissé s'égarer? À quel enfer l'a-t-il vouée? Quelle issue reste-t-il à cet homme que ni l'amour ni la foi ne peuvent plus sauver? Dernier roman de Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, soulève, au-delà de tout manichéisme simpliste opposant le bien et le mal, les questions fondamentales inhérentes à l'homme, à sa condition essentielle et à son destin. Comment, confronté à des circonstances extrêmes, l'homme, le même homme, peut-il passer de victime à bourreau? Comment de jeune résistant, arrêté et interrogé en 1944, puis déporté, devient-on tortionnaire? Entre les deux extrêmes de la même trajectoire d'une vie, entre le héros et l'assassin, les frontières sont poreuses et brouillées. Ne dit-on pas qu'en tout homme existe un monstre qui sommeille? Confronté à l'horreur, à son impitoyable logique, l'homme est contraint de se découvrir tel qu'il est, un « homme nu ». Un homme tout entier livré à la barbarie et au men-

songe. C'est de cette vérité-là que souffre Degorce, une vérité aveuglante, qui torture et déchire. « Il a laissé son âme en chemin, quelque part derrière lui, et il ne sait pas où. » Incarnée par deux personnages à la fois proches et antithétiques - le lieutenant Horace Andreani et le capitaine André Degorce - la figure du tortionnaire prend dans le roman de Jérôme Ferrari les traits d'un Janus Bifrons aux accents inconciliables. Andreani, qui a fait, selon lui, le choix de la loyauté en rejoignant l'O.A.S, pratique la torture sans sentimentalisme ni état d'âme. En proie aux complexités contradictoires de son âme, en proie à l'obsession obscène du péché, Degorce tente de trouver dans la Bible sinon des réponses du moins un réconfort passager. Derrière les dissensions tenaces qui les opposent, un passé commun sert de terreau aux deux hommes et alimente la réflexion du lieutenant corse. Ce passé commun, c'est Diên


Biên Phu. Rescapé des camps viets après l'avoir été du camp nazi de Buchenwald, Degorce est un héros à qui Andreani voue un amour indéfectible et une admiration sans borne : « Nous avons été engendrés par la même bataille, sous les pluies de la mousson, et jamais je n'ai cessé de vous aimer comme un frère », confie Andreani au capitaine Degorce. Pourtant, réunis dans l'horreur de nouveaux combats par la guerre d'Algérie, les deux hommes ne se comprennent plus. Le chef rebelle arabe Tarik Hadj Nacer, dit Tahar, responsable du sang versé dans le bordel de Si Messaoud, dans la haute Casbah, est pour Andreani un terroriste dont il rêve que la capture lui vaudra la reconnaissance amicale de Degorce. Au lieu de cela, Degorce lui rend les honneurs « devant une rangée de soldats français qui lui présentaient les armes ». Andreani en est quitte pour ravaler sa honte. Quant à Degorce, c'est auprès du sourire énigmatique de Tahar, tenu prisonnier dans sa geôle, qu'il trouve, en se confiant à lui, une forme d'apaisement à ses angoisses. « Nul ne sait quelle loi secrète régit les âmes »! Il est pourtant évident pour Tahar que Degorce est perdu puisqu'il a perdu la foi : « ... vous avez perdu la foi et vous ne pourrez la retrouver, parce que tout ce pour quoi vous vous battez, ça n'existe déjà plus. Et je suis désolé pour vous. » Mené de main de maître, construit et structuré en trois chapitres autour des trois dates des 27, 28 et 29 mars 1957, le récit du narrateur fait revivre aux personnages trois journées de la guerre d'Algérie. Au quartier Saint-Eugène d'Alger, l'une des villas abrite les séances d'intimidation morales et de tortures physiques d'une extrême violence auxquelles se livrent Degorce et Andreani. Du côté de la partie adverse, les actions ne sont pas moins abjectes et les attentats sanglants déchirent la population. Au cours de ces trois journées, assimilées à travers la sensibilité de Degorce à la Passion du Christ, le capitaine, accroché à l'organigramme des arrestations qu'il coche d'une croix et attaché aux tortures qu'il surveille et régit, suspend provisoirement de se mettre en quête de son âme. Ce soir-là, le second soir - placé sous l'égide de l'évangéliste Matthieu - plongé dans l'angoisse qui le lie au sort de Tahar, Degorce se remémore l'angoisse de Ponce Pilate responsable de la mise à mort du Christ. Mais

le capitaine a beau vouloir s'accrocher aux versets bibliques, leur résonance s'est effacée en lui. Seul demeure, qui le réconforte, le sourire « christique » de Tahar. Face aux trois personnages masculins, la figure féminine de Jeanne-Marie Antonetti, épouse de Degorce, occupe une place particulière dans le récit. Restée extérieure à la guerre, Jeanne-Marie est reliée à son mari par les lettres qu'elle lui adresse. Degorce les lit par bribes, puis ne les lit plus. Un fossé insondable le sépare désormais des siens. L'amour de Jeanne-Marie pour celui qu'elle a jadis soigné à son retour de Buchenwald est intact. Un amour étrange tout de même, davantage maternel que marital. Car Jeanne-Marie, veuve de guerre ayant peu connu l'amour, de plusieurs années l'aînée de Degorce, s'adresse à André comme à un fils. « Mon enfant, mon aimé », scande-t-elle dans chacune de ses lettres. Son amour, qui semble davantage celui d'une mère que d'une amante fait penser à l'amour de la Vierge Marie pour son fils crucifié. L'amour d'une mère consolatrice, attachée, corps et âme aux souffrances de l'être aimé. La rédemption serait-elle au bout du chemin? L'enfer est là, au contraire, parmi les vivants. Où chercher, alors? De quel côté se tourner? Quelle piste emprunter? Jeanne-Marie est une femme corse. L'amour qu'elle porte à son époux est cet amour exclusif que les mères corses portent à leurs fils. Or, c'est au sein du gynécée corse, mais peut-être aussi méditerranéen, que tout se joue. La mère relégant l'amante à l'arrière-plan et la relayant, l'enfant mâle l'emporte un jour sur l'époux. Étroitement tenus sous le joug invisible de la femme, affaiblis par l'autorité débordante de leur mère, les fils tentent parfois d’échapper à la castration qui les guette. La violence est là, hors du gynécée, virile et triomphante, qui se vit au cœur des révoltes, dans les actions secrètes vécues à l'extérieur du giron maternel. Il y a dans le capitaine Degorce quelque chose de cet ordre-là. Loin d'être une épouse salvatrice, Jeanne-Marie ne serait-elle pas cette mère-mante archétypal ? De celles qui inconsciemment absorbent une part de l'âme de leur époux ? De l'enfer où se débat Degorce, l'amour qui le reliait à Jeanne-Marie sort exsangue. Du côté de l'amour, point de salut!

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Quarante ans après les événements qui les ont réunis à Alger, le lieutenant Horace Andreani s'adresse au capitaine Degorce. Dans un monologue intérieur d'une densité qui tient le lecteur en haleine, s'entrelace, sans interruption, le discours décalé des deux hommes. Aux reproches qui affluent à l'esprit du lieutenant se mêlent les souvenirs qui ont scellé leur amitié et leur complicité. Leur histoire s'entrecroise, portée par un rythme puissant qu'aucune ponctuation superflue ne vient endiguer. Annoncées par la longue référence au roman de Boulgakov, Le Maître et Marguerite, exergue qui joue le rôle de fil conducteur, ces trente premières pages bouleversantes, hors dates, portent en germe les prémices des trois chapitres qui vont suivre. Par delà le bien et le mal.

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cette mélopée nostalgique qui monte vers le ciel. Et relie Andreani et Degorce, dans le même rêve, sur la route désertique, éclairée par le croissant de lune, quelque part entre Taghit et Béchar. Roman métaphysique puissant, porté par des formules fortes et souvent très belles, Où j'ai laissé mon âme est un roman courageux et fondateur. Courageux parce que Jérôme Ferrari y aborde sans concession ni pathos le sujet brûlant et tabou de la guerre d'Algérie. Tabou et brûlant parce que passé sous silence et douloureusement présent dans nos consciences. À travers les pages incandescentes de cette fiction philosophique tout autant qu'historique, Jérôme Ferrari ramène à la surface, pour la première fois dans l'histoire de la littérature contemporaine, les nœuds inextricables et à vif qui unissent la Corse à l'Algérie. Fondateur, parce qu'en s'attaquant à la lourde chape de silence qui tient l'île à sa merci, le jeune écrivain inaugure avec un tel texte « L'Après Riacquistu ». Une ère nouvelle commence peut-être, qui ouvre la voie à une possible rédemption.

Car l'histoire toujours recommence, amnésique. Mémoire et oubli. Aux exactions d'hier succèdent les tragédies d'aujourd'hui. La haine aveugle des islamistes s'est installée en Algérie. Mais toujours persiste, au-delà du temps qui passe et des meurtres qui sont perpétrés dans le sang, la « très vieille chanson que chantait souvent Belkacem, le harki », la chanson à Sara. Peut-être la rédemption est-elle là, cachée dans

⦆ Jerôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud, 2010 ⦅

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Un voyage aux “Pays sous les Continents” de Dominique Sorrente Fin 2009 est parue aux éditions MLD une anthologie de l’œuvre poétique de Dominique Sorrente, Pays sous les continents, rassemblant des morceaux choisis d’une vingtaine de recueils parus entre 1978 et 2008. Trente ans d’ « itinéraire poétique » dont la tonalité varie souvent, subtilement, non pas selon une simple maturité dans la maîtrise de la forme, mais selon les humeurs géographes du poète. Poésie de concrétion dans ses premières années d’écriture (1978), dans l’abandon savant des liaisons et articles pour

quêter une langue proche d’une gangue où le silence se fait passe-droit, elle devient, au fil des recueils et des trente années d’écriture, exploratrice, scandée, lyrique, voire épique, tantôt rieuse en diable, verbeuse aussi, dans le noble sens du mot Verbe qui toujours trouve à s’incarner. A propos de cette poésie évolutive, dynamique, se jouant des étiquettes où l’on aimerait caser le poète, Jean-Marie Berthier énonce dans sa préface un avertissement au lecteur : « Il faudra abandonner ses certitudes, ses points d’appui quotidiens, ses ré-


flexes conditionnés par l’usage de la vie au jour le jour ». Perturbant donc, dans cette mouvance des lieux d’exploration et dans cette manière toujours changeante d’approcher le sujet d’écriture, Dominique Sorrente ramasse pourtant dans cette anthologie ce qu’il convient d’appeler une Œuvre, dont la constance réside dans sa justesse. Et même si, selon le mot du poète dans Lampe allumée sur Patmos, « il n’existe aucune justification qui ne tienne devant la nuit ». Noms de lieux, noms de Dieu Déjà le poète avait choisi jadis, comme un geste de fondation, d’habiter un lieu comme nom de plume, Sorrente, nom francisé de la ville italienne de Sorrento dans la baie de Naples, ville qui sans doute lui ressemble dans sa géographie intime qui se dérobe à l’évidence. Ainsi le poète habite-t-il le nom d’une autre langue dans sa langue et illustre-t-il l’étrangeté éprouvée qui préside à l’acte de réexplorer le langage. Pareillement l’anthologie se structure selon autant de bornes dans cette géographie de l’imaginaire : Pays sous les continents comme une cartographie émotionnelle dérivant sous la croûte terrestre (« Sous chaque rive est une rive. Autorise-toi à effeuiller le palimpseste »), îles innombrables dont Patmos n’est pas la moindre, côtes et ports, dont celui de Marseille où il réside. « Hier à Collioure, aujourd’hui sur un bras du Mékong, c’est ainsi, d’île en île que flotte le ciel inversé où j’apprends encore et toujours à te déchiffrer. » C’est une citation de O. V. de L. Milosz, ouvrant un de ses premiers recueils (Citadelles et mers, 1978) qui sonne le bourdon où s’ajustent tous les recueils postérieurs. « (…) La paix qui m’environne n’est si parfaite que parce qu’elle n’a plus de nom à me donner. Elle est en moi et je suis en elle, et dans ce Lieu comme nous innomé, où s’est accomplie notre union, il n’est pas jusqu’au mot le plus universel, Ici, qui n’ait perdu à jamais son sens… ». La quête du Ici et Maintenant se présente sous la forme d’une géographie invisible qui toujours se meut. Ainsi le Bruges de la jeunesse, décrit dans l’Apparent de lumière (1980) reflète le figé d’un Ici inscrit dans un Lieu traversé par une expérience fondatrice pour Dominique Sorrente ; conjonction présidant à un bonheur qui à jamais sera, hors du lieu et de cette époque, teinté de nostalgie féconde.

Sang noir et sang d’encre Accentuée à l’encre noire, invisible à qui n’y prête qu’un regard distrait par la forme, la voix de Dominique Sorrente glisse à chaque étape une confrontation renouvelée entre certitude et doute dans le chemin qu’il parcourt. « Les mots nous viennent en aide, travaillent à devenir. Ils recréent pourtant un peu de vide, chaque fois. Nul ne s’appartient en eux. / Mais du désert et de la tourmente, il est déjà tant d’amour, à raviver du sang noir au fond des voix, tant de souffle à libérer les derniers chants brisés » (La lampe allumée sur Patmos, 1982). Du sang noir, au sang d’encre, ce sang de l’écrivain souffrant du vide de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit qui conditionnent la fragilité de l’homme, sourd une panique, assumée comme condition existentielle. Par l’écriture, il y a lieu de concordance entre affolement généralisé de l’être qui accepte qu’un noyau éclate et que par cette fragmentation des certitudes, la création vienne pour colmater les grandes peurs ontologiques. Alors ce qui n’était que crainte peut devenir jouissance. Réappropriation du mystère à défaut d’apprivoiser les mots pour le dire, se laisser panser et penser par eux pour accéder, peut-être, oui, à une sorte de jubilation. « Dans la tourmente, garde toujours près de toi une queue de sirène » (Oiseau passeur, 2004) « A quel appel répondre ? / (…) Nous sommes à la merci de celui qui jettera la pierre et nous rappellera à notre peur. / (…) Pourtant la terre jubile, même sèche. Nous vénérons la terre sans eau qui nous ressemble, ne nous désaltère pas, celle qui descend des étoiles et subjugue l’incendie. » (La lampe allumée sur Patmos, 1982). Écrire pour advenir ou recevoir ce qui advient, voila ce qui importe à Dominique Sorrente. Et aussi colmater les trous de la grande peur et rire en enfant de toujours, rajouterat-il. Être inspiré, certes, mais l’être aussi comme le sont les enfants, dans la clownerie parfois, dans la légèreté toujours ? Retourner sa naissance « J’écris comme on décide, par fragments, le temps d’une lettre cachée qui me retourne vers ma naissance. Le monde, sous cette main, est une mise à feu multipliée » (Empire du Milieu Intérieur, Journal, 2003) Tantôt dessinée, tantôt revendiquée

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par l’auteur, la poétique de Dominique Sorrente apparaît comme indissociable de l’acte de création. Sans cesse, sont ainsi égrenées, au fil des pages et des recueils, des déclarations d’être en écriture, dont certaines troublantes dans leur révélation nous amènent à nous interroger sur ce qui précède le verbe et qui est de l’ordre de la mise au monde, comme une mise à feu du questionnement. Une brève biographie autorisée sur Wikipédia nous renseigne sur ces commencements : « Sorti indemne d’une passe d’armes entre la vie et la mort, à sa naissance, en a tiré de précieux enseignements pour la suite des opérations. ». Comment s’étonner après ce qui apparaît comme une scène première de tremblement vécu, de cette quête de la naissance, en reflet, en envers, en jouissance pleine, en écho d’éternité, cet autre mot qui dévore chaque ligne du poète comme un ostinato implicite ?

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« À mille endroits, à mille envers/ de ma naissance, j’écris/ce qui ne me ressemble plus » dit l’homme embarqué dans la rythmique saccadée du train (Lettre d’un passager, 2008), et de cet entre-deux du voyage, le poète rappelle en incise « puisqu’un train peut en cacher un autre »…. « puisqu’un poème peut en cacher un autre », puisque cette impatience d’une rencontre au bout du quai, en ville du Nord ou bien du Sud, peut simplement cacher une rencontre avec son « autre page », avec son bout de chemin au « bout de la nuit », où viendra cet Autre, ce « quelqu’un qui sortira du train, /dans la gare sacrée/ l’heureux été des retrouvailles ». Car une promesse qui, le soleil précaire des voyageurs en est témoin, est tout autant augure, vole devant les yeux du poète : « Alors tu lâcheras un jour / la paroi, dit-elle, / et ce qui creuse à l’intérieur /te montrera / tel que tu es / comme un jour que tu ne sais pas. » La transgression du vivre et de l’écrire Homme en pleine prise avec la société depuis ses études en sciences politiques à Paris au professorat en Culture et Humanités en Écoles Supérieures de Commerce en passant par des études internationales européennes au Collège d’Europe de Bruges, Dominique Sorrrente connaît ce monde qu’il pratique avec passion. La poésie, l’écriture n’ont cessé de fleurir en parallèle de son parcours, contrepoint méditatif indispen-

sable face aux vents tourbillonnants et quelquefois contraires venus de l’évolution du monde du travail actuel, dans ses penchants déréalisants. C’est sans doute pourquoi le poète a-t-il mis ces vers d’Hölderlin en exergue de ses Ephémérides (1980), « Plein de mérites, pourtant c’est en poète/ que l’homme habite sur cette terre ». En effet, ajoute-t-il dans la distance d’un sourire : « Le monde est important mais il n’est pas de la dernière importance./ La vanité des princes un jour retourne à la poussière ». (…) « Dans ce monde où le verbe est emprisonné pour observation, Arlequin a mis bouffons et gargouilles à sa portée. Dans la cité à naître, il proclame en silence que le meilleur vin n’a pas été servi » (Poésie en Habits d’Arlequin, 1998) La poétique de Dominique Sorrente s’érige par étages successifs sur la fondation d’un Verbe et de leurs Noces auxquels, sensiblement, le poète s’invite et nous avec lui…. Tablée surprenante, tablée magnifique où Arlequin préside à nos dérives. Guidée par « la faim qui appelle à la gorge une poignée de mots, groupés ou éclatés, peu importe », la poétique de l’auteur ne fait pas fi de la sensation, mais cherche plutôt, pour qu’elle cesse de « demeurer une algue », cette conciliation avec les formes du langage réinventées. Là, le poète peut pénétrer de plein écrit, dans l’Empire du Milieu Intérieur. Mais la philosophie d’écriture de Dominique Sorrente se profère très souvent aussi dans des actes de transgression salvateurs : « A ceux qui ne posent les règles de l’écriture qu’à travers le prisme du discours gestionnaire, je réponds que j’écris en me faisant arbre, en me balançant dans les branches, en jouant avec une toupie (…) Je réfute le marché de la lisibilité jouée d’avance ». Faut-il, si l’on doute de la permanence de l’Ici, s’accorder à penser de manière permanente sa vie réelle ? La réponse se fait jour dans la lutte contre les apparences, le vent vain des choses que chacun -et même les écrivains installés- serait tenté d’épouser pour statufier sa propre reconnaissance, se laisser absorber par l’image nette, se dérober à ses floutés, aux soubresauts qui laissent vivre l’enfant, l’âme libre, dans son chaos indiscipliné où se niche plus d’une vérité. La poétique se polémique alors volontiers, lieu de renouvellement, lieu d’interrogation, lieu vaste donc, où inviter d’autres hommes et femmes en chemin d’écri-


ture à partager cette quête de l’écrire et du dire poétique. Ce passeur naïf

Sorrente l’affirme haut et fort, la vocation du poète est ouverture au monde, geste de transparence et non d’opacité, elle « œuvre en commun, hic et nunc, pour mettre en lumière le réel. »

« Les continents se fracturent ; les neiges se dispersent» constate Dominique Sorrente, « L’univers invoque la vibration de l’origine. Dure journée pour un passeur naïf ». (Poésie en habits d’Arlequin, 1998). Ce vers sonne comme le faire-part du Scriptorium de Marseille. Fondé symboliquement fin 1999, au passage des deux millénaires, le Scriptorium se définit au fil des événements qu’il organise comme «un lieu-dit de paroles croisées, marqué du signe de la poésie», lieu de partage d’écriture, de jumelage avec la grande fraternité poétique, lieu de confiance où surgira en prophétesse instinctive la parole créatrice, le verbe agissant au cœur des relations humaines. Lieu militant qui « récuse autant la marginalisation des poètes que l’hyper-individualisme contemporain ». Sur son site « http://www.scriptorium-marseille.fr/ » Dominique

Quant à nous, lecteurs, nous garderons à l’esprit, derrière les gestes de jumelages et les stratégies de passeurs, cette résidence première du poète, le mystère, sa réalité soupesée comme espoir. L’hypothèse de sa rencontre comme jauge de la justesse, toujours quémandée : « C’est ma capacité à rejoindre le sacré – d’un autre lieu, d’une autre main – qui fera tenir mon poème ou, au contraire, le ruinera ». Que ce dialogue avec le sacré emprunte les voies de la gravité lyrique ou de la malice impertinente du troubadour, il ne cesse de désorienter nos repères de lecteurs. C’est l’abandon des formes apprises qui nous permettra de rejoindre, au cœur de la poésie de Dominique Sorrente, notre propre part de mystère.

105 ⦆ Dominique Sorrente, Pays sous les continents, Editions MLD, 2010 ⦅

* L’ÉCRITURE CONTRE LES FORTERESSES Carnets de Marche d’Angèle Paoli

Les livres ne sont pas faits pour être lus. Selon son meilleur destin, le livre libère, meurtrit, pénètre, indiffère, vit ou meurt c’est selon. Il brûle, coule à pic au fond de la mare au diable, finit confisqué dans le port d’Alexandrie, il s’offre sur l’étagère basse de la bibliothèque prévue à cet effet, tendant sa tranche cartonnée aux griffes

du chat heureux. Il tombe des mains, nulle envie de le ramasser. Il est parfois le seul à pouvoir nous porter secours. Ainsi de ces fractures d’amour qui nous laissent pantelants comme des cordes au bout desquelles se balance l’autre moitié de nous-mêmes. La narratrice, amante délaissée et écrivain, a


rendez-vous avec le manque. (Où est son bien ? Elle le cherche. Il la fuit. Sa nature même lui échappe. [p. 84]). Chaque seconde de sa vie relève du combat contre la souffrance, si abyssale que l’on doute que l’écriture même soit apte à lui venir en aide. Exil de l’autre, âme sœur, amante dont l’auteur appelle la chaleur physique, mais que faire à travers le rempart de silence où s’est enfermé son « moussaillon du pavé parisien », emportant leur tendresse d’avant ? Tendresse à chaque ligne. Exil de soi, corps et âme happés, emprisonnés par cet emmurement décidé par l’autre (à propos de laquelle on s’interroge : le froid de sa prison n’est-il pas plus malheureux que le vent balayant les chemins insulaires ?). Pour paraphraser Vladimir Jankélévitch, l’amante lui manque, non parce que l’amante est extraordinaire, mais l’amante est extraordinaire parce qu'elle lui manque.

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Ainsi le mal du pays ne s’appelle pas Ithaque, il se nomme « elle », la femme aimée. Nostalgie aussi de cette part de soi laissée dans tout amour cassé. Double deuil. Triple en réalité, une dimension viscérale transcendant, comme pour le parfaire, cet amour-ci : la passion partagée des deux femmes pour la poésie et pour la littérature. D’où probablement la sensation de tout perdre dans une même coupure, la blessure et sa cicatrice, la sève et sa fleur, ensemble la chair et le verbe. Elle a cru mourir, dit-elle. Que reste-t-il pour survivre ? Marcher. Écrire. Tout est dit. (Elle s’agrippe aux bouquets d’euphorbes, au chant solitaire d’un oiseau qui appelle sa compagne lointaine, p. 84). De bout en bout, hymne éblouissant à la nature. Unité de lieu : le Cap Corse, cette Terre qui finit, quelle meilleure allégorie pour le voyage et l’initiation ? Pour ma part, j’ai bien lu le récit d’une initiation, laquelle étymologiquement marque le commencement. Des qualités, foisonnantes, généreuses de l’écriture émanent : Une tendresse continue, déferlante, animale (J’ai envie de rendre visite aux chevreaux (…) l’un d’eux s’est pris d’affection pour mon carnet. Il en grignote les pages. J’aime les petites frénésies de sa truffe et de sa langue. Un autre vient se frotter à son tour, p. 112).

La nostalgie, « La cristallisation de la nostalgie confère ainsi de grandes vertus aux terres natales et connues », en l’occurrence la Corse décrite magistralement. La lumière des chemins y frémit, inépuisable. Les paysages surgissent comme des mots, et gageons que cette longue marche solitaire demeurera parmi les actes fondateurs de la littérature corse contemporaine. L’île serait-elle en souffrance autant que la femme héroïne ? La plaie est profonde, encore creusée sous l’écorce de l’âme entaillée. Il n’est pas anodin que la trêve lui vienne d’une marche au travers des arbres, ceux-là mêmes qui se sauvent en se dépouillant de leurs feuilles. Homonymie, retour tactile aux origines de la matière papier, la femme qui marche à travers les arbres laisse échapper sang et sève. Sa marche traverse autant qu’elle est traversée, par la trêve, le souffle retrouvé, touches de mots aussi fines que les pointillés d’une toile de Monet. Belle et sauvage, paradis perdu, Kallisté. (De là où tu es, tu découvres d’autres toits de tôle, d’autres baraquements construits à la va-vite. Tu comprends les raisons du déboisage systématique du maquis. [p. 20]). Une liberté, absolument, résolument libre dans les formes, somme de ce qui est connu mais dépassé. Certains passages nous plantent dans l’univers balzacien d’une sauvageonne ou d’une petite Manon farouche qui se cache avec ses chèvres, avant une acuité poétique qui n’est pas sans rappeler Nicolas Pesquès. Une narration où se succèdent prose, poésie, références homériques ou très contemporaines, qu’importe ? Les points de vue s’alternent comme autant d’éclairages sur la part irréductible de l’ombre, le verbe irrigue notre présence. Une sensualité profonde qui affleure à chaque frémissement du vent. C’est que les livres aussi aiment. M. Yourcenar ne disait-elle pas que «Manier les mots, les soupeser, en explorer le sens, est une manière de faire l'amour» ? Ils sont nombreux, les écrivains qui ont témoigné de cette énergie originelle. Écrire, faire l’amour, explorer notre part irréductible, libre, sauvage, assoiffée de mystère, de création, de mort, de désir, de connaissance, de renaissance. N’est-elle pas là l’histoire de ce livre, exactement dans le verbe incarné ? Angèle Paoli traversée par l’écriture, atteste qu’on ne revient jamais d’un tel voyage, jamais la même.


Alors rejoindre quoi, rejoindre qui ? Quel visage pour quel retour ? La part de soi en déshérence ou l’être aimé retranché dans sa forteresse ? D’emblée l’instinct brut s’impose : survivre, rompre avec le sortilège du mal-être, ce qui soustend un rapprochement avec soi (Invisibles forces silencieuses au travail dans le secret des forges involontaires, p. 121), un dépouillement de tous les apparats et autres gribouillis sociaux, la position de repli au sein du ventre de l’île, ventre de consolation d’une nature qui la berce de son chant doux. La nostalgie amoureuse contre la survie. Plus elle se rapproche d’elle-même, plus elle s’éloigne des entrailles de l’autre et de leurs souvenirs d’autrefois. Au fil du récit, l’alternance entre les « elle » et « tu » qui désignent la narratrice finissent par laisser la part belle au « je », comme pour annoncer que l’objet de la quête se rapproche. Une histoire d’amour, un chemin d’écriture ne constituentils pas des expériences initiatiques ? En l’occurrence, tout y est : une héroïne-voyageuse, une topographie close, réelle et symbolique, sur laquelle la gravure s’inscrit, directe et sensuelle (Je veux renouer avec le lit de la terre dure au pied de la Mandorle. Je veux respirer à nouveau l’air d’humus et de mousse tiède, libérer le grand silence gris du jour qui tombe sur les amours de Didon et d’Énée, [p. 102]), un lieu de départ, cet ailleurs et cette vie d’avant abandonnés derrière soi. Le seuil, lieu de transition entre les mondes réel et surnaturel est lui constitué des chemins de la marche (Franchiras-tu l’enceinte sacrée […] ? Tu restes droite sur le seuil tu tournes autour de l’antique demeure […] [p. 70]). Quant aux méandres intérieurs, ils mènent vers un état spirituel supérieur à celui qui était familier avant cette traversée. Qu’a-t-elle appris la sauvageonne tendre, déchirée, solitaire, solaire et sombre? Qu’a-elle appris au milieu du bruit de ses pas, du bêlement des chèvres, des parfums d’asphodèles… ? Peut-être que le paysage corse est peuplé de visages : Hanging Rock, du nom d’une faille australienne, peuplé de présences. Est-ce pour cela que l’amante encore désirée, mais coupée du monde, ne veut y venir ? Qu’a-t-elle appris encore ? Partager son voyage avec un

double en écriture plonge les protagonistes dans une intimité dont les arcanes infinis finissent par égarer, donneraient l’illusion de « donner en partage sa solitude » (p. 10), pourquoi pas le butin de toute littérature : l’énigme et le silence ? Vivre une histoire de cette veine incarne le mystère. Au fil des corps caressés et embrassés, la peau s’offre comme un parchemin, à écrire ou à lire, c’est selon. Qu’y aurait-il d’autre, sur la cime de cet au-delà du dicible, que la chair devenue verbe ? Une histoire écrite d’emblée dans l’infinitude, à l’image de l’éternel féminin. S’unir, se désunir. S’il appartient à la poésie d’ouvrir quelque chose entre les mots et le silence, ces chemins de marche sont autant de voix/voies multiples. Rebelle, comme le maquis, farouche, l’âme de notre sauvageonne ressemble à la Terre, avec ses régions inexplorées, ses mondes, sa puissance, sa fierté indomptée, ses horizons sombres irrigués de lumière. Il n’y a rien qui soit soumis, ni verrou ni clé pour son cœur écorché, seulement la vague fracassant le récif, le soleil tourbillonnant sous le vent, le paysage tour à tour doux, d’une infinie tendresse puis en furie, à clair battant le ciel de toute sa beauté sauvage : Elle lui plante le coquelicot de Zanzotto dans le cœur. (p. 18) Qu’a-t-elle appris encore ? Il faudra lui demander… Pour conclure, la déchirure qui demeure aujourd’hui n’estelle pas toute dans l’impuissance finale à la ramener à elle par ses mots ? Dernier temps de la rupture, avant d’atteindre Hanging Rock, à la fois porter et fonder, car la littérature a besoin de ces deux actes. Demeure cet enjeu, tendu entre les lignes comme le fil du funambule : et l’écriture ? Laquelle des deux « la gardera » et puis… pour en faire quoi ? Il s’agira du voyage retour, dont on nous permettra de rêver, par une intrusion purement fantasmatique, que les héroïnes pourront l’accomplir ensemble puisqu’elles auront fait l’acquisition d’une certaine autonomie dans leur quête individuelle. Pour la narratrice , peut-être était-elle celle-là la quête ? une évidence au bout du chemin : Écrire oui. Mais écrire avec des mots de chair et d’os. Des mots de sang et de larmes. Des mots trempés aux eaux secrètes qui vagissent au creux du corps ; eaux tapies

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sous la peau. (p. 120) L’écriture contre les forteresses, mais encore ? La question demeure, avec elle l’encre/l’ancre de ce que la littérature a de plus beau à dire : le silence. « Un jour le monde avait ton sourire ». Ce vers de James Sacré, n’est-il pas habile à résumer toutes les histoires d’amour, ces nostalgies que ne prolonge que la littérature ?

Foisonnement et unité. Multiplicité et simplicité de la veine. Ombre et lumière du verbe. À quelle race appartiennent pour finir ces Carnets de marche ? À la race des livres qui ne sont pas faits pour être lus. Les grands livres ne sont écrits que pour être relus.

⦆ Angèle Paoli, Carnets de Marche, Les Éditions du Petit Pois, Béziers, juillet 2010 ⦅

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Les Tentatives de Brigitte Célerier Notes critiques de l’édition numérique Tentative de parler de Christine Jeanney ... Christine Jeanney collabore à des revues, dont celle de Publie.net http://www.publie.net/fr «D’Ici là». Elle a publié en décembre 2007 aux Éditions ArHens, un roman que je devrais lire compte tenu du goût que j’ai pour ses textes «Charlémoi», vient de publier en septembre 2010 aux Éditions Quadrature un recueil de nouvelles, «Une heure dans un supermarché» et chez Publie.net trois textes. ... dans «Voir B et autour» En novembre 2009, la première chose que j’ai lu d’elle : «Voir B et autour», sur la peinture, la fascination, un homme (le peintre), une ville : B, deux femmes – texte complexe et tendu.

Le peintre revient pour visiter, anonyme, une rétrospective de ses œuvres. Ses réflexions, ses souvenirs, et intercalées, insérées, la description des œuvres. Il y a la ville qu’il découvre, l’atelier, un journaliste qui vient l’interroger, la femme Lyne qui s’en est allée et à laquelle il pense, un livre qui raconte une rupture, et de l’autre côté de la cour, une femme dans un atelier, à la porte toujours ouverte, un sculpteur, d’autres artistes, plus un regroupement qu’une communauté. Il y a une femme Galathée qui peint une ville oppressante, et qu’il prend en affection, en compassion : «Je l’ai vue comme une détenue qui agite ses chaînes, dans l’espoir que les maillons cèdent. Quelqu’un qui se berce, s’hypnotise avec les tintements que provoquent ses sursauts.». Il y a la maladie, l’incapacité de peindre, les deux femmes, la guérison, le travail dans l’atelier partagé


avec Galathée etc... Il y a le rythme de l’écriture, toujours, chez Christine Jeanney, et la précision, le soin, le choix des mots pour cerner, rendre la sensation, comme dans les descriptions des tableaux ; «Rendez-moi Le fond est jaune indien uni. Au centre, un graphisme vert émeraude complexe, formé d’un long trait horizontal, de verticales peu hautes et de quelques boucles, à la fois écriture et signature. Deux silhouettes féminines sont crayonnées dans la partie gauche, au fusain. Un autre crayonnage, dans la partie basse à droite, figure un animal allongé, un chat faisant la sieste, avec un rond bleu turquoise plein en-dessous. Les femmes de ma vie, la création, le besoin de sérénité, voilà l’idée.»  ... dans «Folie passée à la chaux vive» En août 2010, d’abord un livre en commun avec une femme peintre haïtienne, vivant au Canada, Stéphane Martelly : «Folie passée à la chaux vive», des toiles fortes, recherche sur la folie, et les textes de Christine Jeanney qui est peintre elle aussi, en contrepoint, incursions, réactions. «Des yeux, je cherche le fil brûlant. Quand je le trouverai, j’y enroulerai mon corps, m’épinglerai au mur, écarterai les bras, que mon cœur cogne et frappe la surface dure, que je devienne horloge vivante d’un temps qui n’est pas partagé, le menton à minuit et de l’autre côté du cadran, mes yeux, deux rouages hors d’atteinte».  ... dans «Signes cliniques» Et puis, en août 2010 également, un beau texte, «Signes cliniques». En exergue :

«Statistiques: une femme sur sept. Je suis une femme sur sept. Je suis arrivée là parce qu’il a bien fallu» J’ai aimé cette relation distanciée grâce au passage par le travail d’écriture, mais habitée, sans pathos, pudique jusque dans la précision, et toujours le rythme qu’elle donne à ses phrases. «C’est une question de hiérarchie, une question d’échelle, une question de proportion, une question d’illogisme et de malédiction, une question de terreur qu’on ne dit pas à voix haute, qu’on ne chuchote pas, qu’on n’écrit pas non plus sans grand renfort de végétaux et d’animaux, qui me couperait en deux si je ne brandissais pas mes signes en bouclier, question critique.» Justesse extrême, les sensations fugitives prises dans une construction impeccable, notations de ces petits faits matériels : la montre que l’on regarde, bien inutilement, le livre qui tombe et qu’il faut rattraper en se penchant - mais sans sonner, surtout -, le sol qui se dérobe, «Dire l’instabilité pourrait lui donner corps. Elle s’installerait, calmement instable, immuablement instable et, au bout du filin dont je suppose l’existence, il n’y aurait pas de support plat où me poser. En tout cas pas dans cette chambre, la chambre où je demeure. Deux meurt. Le deux, justement.» Le plafond qui défile au dessus du brancard et la façon d’être présente/absente, prise dans tout cela, dans la géométrie de la chambre, des forces qui s’y jouent. «Mon esprit se ramasse depuis qu’il est à l’intérieur. Limité dans ses décisions, limité dans ses déplacements. C’est une question de limites» 

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Anne D’Huart

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Loïc Marchand

Lynch & Lights Dévoilante. Après avoir effleuré – abstractive – la surface granuleuse d’un pseudo-planétoïde, un

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moment confondue avec la figure hallucinée d’un personnage flottant à quatre-vingt-dix degrés. Eraserhead. Après avoir sous-entendu – surréelle – une connivence entre un machiniste délabré, l’artificielle horizontalité de l’homme auparavant entrevu et une vie embryonnaire. Après avoir accompagné – liquide – le plongeon de cette dernière, née d’un cri muet du second, dans les tréfonds d’une flaque peut-être issue des manipulations grinçantes du premier. Fondu au noir. Remontée vers une ouverture dont le blanc vif gagne à l’entour puis décroît. Jusqu’à céder la place aux contrastes d’une tête déjà connue, anxieuse, et de son improbable buisson capillaire.

Implacable. Censément absente des ruelles aveugles. Nécessaire, cependant, au cheminement du doc-

teur. À la découverte du calicot bien lisible : « The Terrible Elephant Man ». Obscurité de l’échoppe abandonnée, qu’ouvre le retour du montreur et de son acolyte. La mèche d’une lampe-tempête qu’on réveille. Dont le globe terne suffit à les guider le long d’un couloir lépreux. Vers une souillarde aux parois de briques. Là, une flamme en cage dont l’afflux de gaz ranime l’ardeur. Impossible dès lors, pour le visiteur, de se fondre dans la suie de la muraille. D’échapper à ce que cesse bientôt de cacher un simple rideau. De contenir ses émotions envers celui qu’on oblige à se lever, à s’écarter d’un pauvre brasero soulignant – comme à contrecoeur – sa difformité.

Étrang(èr)e. Ocre, à perte de vue. Baignant les vastes solitudes d’un monde lointain. L’arène gor-

gée d’Épice. Orangeant jusqu’aux sombres distilles des Fremen. Découpant sous l’horizon, par-delà Paul Muad’Dib, toute une théorie de leurs silhouettes. Que la chaleur rend floue. Coups sourds du marteleur. Frémissements révélateurs, exponentiels, des sables d’Arrakis – Dune. Avant le soulèvement attendu. En émerge Shai-Hulud. Implacable reptation du ver géant, dont l’héritier des Atréides gravit les anneaux tavelés. Éclat jaunâtre des innombrables dents tapissant la caverne ombreuse par laquelle se nourrit le Faiseur. Crépitement d’arcs fulgurants venus rythmer la messianique chevauchée.


Chromatique. À l’unisson du cercle pareillement qualifié. Alliance des corps amants : Sailor & Lula.

Flamboyance d’un baiser primaire – magenta. Vibrations de la basse tout contre batterie percutante. Face à face aux couleurs d’agrumes – orange puis citron. Poussées et gémissements acides parmi les draps dévastés. Be-Bop-A-Lula… cette dernière à califourchon. Le temps d’un intermède calmement secondaire – vert. Torse viril épousant bientôt les courbes dorsales qui l’accueillent. Consentement d’une nouvelle fréquence – cyan. Souffles au ralenti, en attente. De la rythmique échevelée propre à l’abandon final – violet. Ultime crispation d’une dextre dont les cinq extrémités se tendent de concert, bouclant la boucle à coups d’ongles écarlates.

Syncopée. D’abord d’un bleu laiteux. Inondant par saccade le wagon abandonné. Auréolant une ap-

parition céleste, angélique. Scintillement de mauvais augure autour de son aube moirée de noirceur. Clignotement à Laura Palmer seule épargné. Visage tuméfié que barre sans à-coup la courbure d’un halo. Sur le plancher, un pareil ovale blême. Ombre portée de la bague qui en franchit le périmètre. Que la victime désignée s’approprie et passe à son annulaire gauche. Sa main brandie dans le feu cru d’un projecteur. Twin Peaks : Fire Walk With Me. Rage mêlée de détresse en une lamentation singulière. Succession stroboscopique de coups portés et de bouches hurlantes, entrecoupée de néant. Jusqu’à l’ultime opacité d’une bâche de nylon.

Noctambule. Incendies jumeaux de moteurs accidentellement embrassés. Tandis que s’ouvre une por-

tière. Qu’en tombe, sa robe assortie aux ténèbres, une jeune femme brune, titubante. Le claquement de ses escarpins contre l’asphalte de Mulholland Drive. Son regard perdu sur les nitescences de Los Angeles. Sur sa constellation de petits joyaux brillants. Qu’il s’agit à tout prix d’atteindre, aussi malaisée que soit la progression parmi fourrés et taillis. Jusqu’à Franklin Avenue. Soudain éblouissement – pour s’être prise au piège des pinceaux lumineux d’une voiture. Artère bordée de hauts palmiers, mystérieusement nimbés. Fuite en avant sur Sunset Boulevard, où croisent les gyrophares d’un véhicule de patrouille. Sans toutefois interrompre leur ronde.

Caressante. D’une lampe torche, le faisceau. À l’instar d’une main détaillant la plastique de quelques

filles au maquillage de joie. Accessoire propre à fouiller les gouffres intérieurs. Balayant des formes alanguies, des gorges offertes, des épidermes tatoués, des épaules rondes, des cheveux teints, des paupières fardées et des lèvres pleines. Épinglant en contrechamp l’expression de Nikki – perdue dans le décor de son film – à moins qu’il ne s’agisse des traits de Sue – égarée dans les méandres de sa passion. Inland Empire. Sourires des unes, dont la lippe exprime les fantasmes susurrés. Douleur de l’autre, dont la commissure recueille les larmes échappées. Et qui, de ses dix doigts plaqués sur ses yeux clos, finit par se couper du rai.

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À l’écran

Mariane Brunschwig

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Ils m’ont dit “il faut quatre ans”. Ils m’ont dit aussi “tu verras, on t’entourera”. Mais il n’y a rien eu à entourer. Ils sont venus, se sont agités. J’ai dû faire des efforts pour marcher dans leur danse et ils ont dit: “je ne sais pas comment dire, tu vois ce que je veux dire”. Ils ont voulu me distraire. C’est Nelly qui a pris les devants. Elle a absolument voulu m’emmener au cinéma. C’était leur manière de me tirer vers la lumière. “Ca t’enlèvera tes idées noires”. Et puis, c’est devenu l’engrenage. Nelly s’est targuée de succès: “elle avait meilleure mine en sortant, tu sais!” Tous ceux que j’avais rencontrés au moins une fois sur cette terre et qui avaient appris la nouvelle, ont voulu faire leur B.A. en m’entraînant au cinéma. J’ai eu honte pour eux. J’ai coupé court très vite. Ils auraient tant voulu que je pleure. Moi je n’ai pas été triste. Je n’ai pas fait ce qu’ils attendaient. J’ai été ennuyée, gênée de l’avoir perdu. Pourtant je l’avais regardé consciencieusement pour l’avoir avec moi pendant toute la journée avant qu’on ne l’enterre. Il avait des cheveux cassants comme du verre. Ses yeux n’étaient pas tout à fait fermés. Il était pâle et mal rasé et il faisait froid dans sa chambre. Je lui ai parlé longuement et je n’ai pas pleuré qu’il ne réponde pas. Mais dès que je l’ai quitté, il a été perdu. Je l’ai cherché pendant tout le temps qu’a duré l’enterrement parce que je n’avais rien à faire et je l’ai cherché encore après, partout. J’avais cette gêne de perte installée en moi comme une mouche dans l’œil. Je fouillais mes poches, disais “zut de zut!”, soulevais mes livres, et regardais dans les placards. Chercher était devenu un tic. Je ne pouvais m’empêcher d’être à tout instant aux aguets et j’étais prête à le trouver tôt ou tard devant moi. J’ai refusé le piège des photos. Or elles se sont mises à fleurir sur tous les meubles, dans tous les livres. J’ai dû quitter famille, amis, tant ils étaient pétris de larmes et de vieux papiers. J’ai été chassée de la maison et des pays de connaissance. J’ai enragé de leurs retrouvailles avec mon frère en cadre, moi qui l’avais perdu. Ils en ont fait une marionnette: - “si Alex était là,...” “Tu aurais honte, s’il te voyait!” Chacun s’est reconstruit sur l’image du mort, s’est acheté une dignité, a filé dans son coin une nouvelle trame de vie sur la mort de mon frère. Il y a eu beaucoup trop de monde, des ombres. J’ai été tourmentée par une seule question : Mais enfin où ai-je bien pu mettre mon frère? Je me suis concentrée. J’ai convoqué son regard, ses mots, sa voix. Rien ne s’est présenté. Je lui ai


donné Rendez-vous à heures rigoureuses tous les jours. Personne n’est jamais venu. J’ai marché à grands pas, j’ai écarté les gens et les propositions de consolations pour prendre possession d’une place plus large. J’ai eu besoin de beaucoup d’air en plein air et en pleine lumière pour occuper l’espace pour deux. Et, peu à peu, toujours accompagnée d’une âme et d’un corps à deux places, je suis allée de temps en temps au cinéma, non pas pour y chercher un monde éclairé d’une autre manière, non pas non plus pour me distraire, mais comme on va au cinéma quelquefois par désoeuvrement. Le plus souvent j’arrivais à dessein quelques secondes en retard pour être sûre que la salle soit noire. Ensuite, assise, je gardais encore un instant les yeux fermés, pour ne les ouvrir qu’au cœur de l’histoire. Je ne suis pas cinéphile. J’aime la magie du cinéma et suis souvent décontenancée par les noms de ces enchanteurs que je ne lis qu’après, par convenance, dans le journal. Cette fois encore j’ai laissé filer le générique. La musique m’a touchée dès la première note. C’étaient des râgas d’Inde du Nord. Ces mélodies me bouleversent comme une plainte très intime. Mais je n’aime pas qu’on en parle. Or, quand j’ai vu ce film, elles étaient à la mode et il était bien vu de s’en gausser en y associant même des principes spirituels. Je détestais ce courantlà d’occident orientalisé. C’est pourquoi j’ai gardé les yeux fermés dans cette salle. J’avais peur du film, des images... Le risque était trop grand de perdre le bienêtre où j’étais maintenant, toute travaillée par les râgas dans l’obscurité anonyme. J’ai ensuite perçu du silence froissé par des branches, une course d’enfants. Il m’a semblé, sans rien en voir, que le film était en noir et blanc. J’ai entendu encore des bruits discrets de vaisselle, quelque chose comme un tintement de cuiller contre une soucoupe et du silence encore sur le fond des râgas. J’étais apprivoisée. Alors j’ai ouvert les yeux. Je me suis trouvée dans un

salon richement décoré d’après les nuances de gris des tapis. Une famille prenait le thé. Les gestes en étaient mesurés et ils auraient pu me sembler mous s’ils n’avaient été soutenus par la courbe de la musique et par le point que chacun portait entre les yeux, comme un centre. Un petit garçon, sans point sur le front, vif, raye l’image, court. Il rit. Sa culotte est déchirée et il n’a rien d’un fils d’aristocrates. Il ne dit pas un mot. Il rit seulement. Je ne vois que lui. La construction de l’image autour, l’édifice de l’Inde d’autrefois est devenue floue pour moi. Je ne sais plus ce que j’ai lu avant de venir voir ce film. J’attends, image après image, j’attends, car les plans sont très longs, que le petit garçon revienne. Et chaque fois qu’il vient, il s’enfuit. Je suis restée à toutes les séances de la journée et chaque début de séance a été pour moi comme le lever du soleil. J’avais trouvé mon film. Ce petit garçon me rendait mon frère. Il me donnait tout, son rire, sa rapidité, sa sauvagerie. J’avais même peur entre ses courses qu’il ne disparaisse à nouveau. Je scrutais les images dont il était absent comme s’il était en retard. J’étais “à l’écran” comme à ma fenêtre, prête à l’appeler pour la partie d’acrobatie que nous faisions tous les soirs, avant qu’il faille aller dîner. En deux heures j’avais retrouvé notre enfance. Le reste était dans les râgas. Je n’ai pas suivi l’histoire et quand on m’a demandé si j’avais vu le film, j’ai répondu chaque fois “non”. Ce que j’avais vu ne regardait personne. Par la suite, j’ai accepté d’aller au cinéma pour me distraire et autour de moi on a dit: “elle oublie, le temps fait son œuvre”. Mais s’il m’arrivait, par excès de fatigue de me dire parfois: “où diable ai-je bien pu mettre Alex?”, je savais où le trouver. J’allais voir mon film.

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Jean-Michel Deny

Il y a toujours une salle oÚ on le passe encore, c’est normal, Alex veille


Hermine marchait dans la grande salle avec une telle application, une telle frénésie, qu’on aurait dit qu’elle voulait être à elle seule tous les corps du château. — N’avez-vous pas de meilleure occupation, ma fille, que de faire les cent pas ? — Non, mon père. Hermine continua de marcher en rond dans la pièce en évitant soigneusement de s’approcher de la chaleur du feu de cheminée. Puis, quand elle eut marché en rond, elle marcha en carré, en rectangle, en ovale et même en losange. Elle ajouta : — Je ne fais pas les cent pas, père, je fais les mille pas, les deux mille, les dix mille ! Sans élever le ton, le père ajouta : — Et vous vous sentez, je suppose, ma fille, obligée de rester à l’écart de notre bon feu de chênes comme s’il brûlait de tous les feux de l’enfer ? — Précisément, mon père, précisément... Comme souvent, la jeune fille avait employé à dessein l’expression même de son père, mais pour une fois, ce n’était pas par complicité. Elle voulait le piquer de mille brûlures. Enguerrand d’Orvigny posa sa plume. Il s’en trouva un peu soulagé, l’humidité ambiante alourdissait ses articulations et rendait ses pleins et déliés laborieux. La plume et la main, toutes deux gonflées et ralenties, réclamaient du repos. Il tendit sa feuille vers sa fille qui continua à le fixer avec ce mélange de confiance et de défiance qui n’appartenait qu’à elle. Conformément aux usages, elle tenait sa tête légèrement et modestement inclinée vers l’avant, mais elle seule savait s’arranger pour transformer cette inclinaison en l’obstination d’un bélier qui charge. Elle brûlait d’un soleil assiégeant, d’un luminaire d’amour fou qui exigeait la justice. La main du maître de maison se sentit un peu allégée mais pas ses yeux ni son cœur. Cette fois, l’amour et le tissage étroit qui les rendaient si proches ne suffiraient pas.

Oncques ne vit visage plus ardent

“J’ai vairs yeux, petits sourcils Le chef blond, le nez traitis Rond menton, blanche gorgette Suis-je, suis-je, suis-je belle ?” (virelai du XIVe siècle)

Stéphane Méliade

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— Hermine, ma fille, observez mon écriture présente, je vous prie. À quoi vous fait-elle penser ? Elle n’eut pas besoin d’étudier longuement les lignes plus grasses, plus penchées et plus écrasées qu’à l’habitude pour lui répondre. — Père, vos lettres me font penser à un homme qui marche dans la boue, et qui lutte à chaque seconde un peu plus pour parvenir à faire le prochain pas la tête haute.

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Enguerrand d’Orvigny apprécia la réponse, tant pour ce qu’elle disait que pour ce qu’elle voilait. Il hocha la tête. Il savait déjà quel mot il allait employer. Le même qu’elle. — Précisément, ma fille, précisément... Un pétillement dans l’œil d’Hermine, pareil au clin de braise d’un bon bois qui brûle, le récompensa un peu. Un silence se posa, qui ne les gêna ni l’un ni l’autre. Ils avaient l’habitude de ces espaces partagés, qu’ils peuplaient chacun d’habitants complices, qui parfois se rejoignaient et parfois se laissaient tranquilles, mais qui toujours savaient s’apprécier. — Croyez-vous donc, ma fille, que j’ignore ce qui vous tracasse et croyez-vous donc que je n’en suis pas moi-même tracassé ? Hermine avait quinze ans, sa beauté était déjà célèbre à cinquante lieues à la ronde, mais elle gardait encore toute l’ardente impulsivité de l’enfance. Elle gifla plus qu’elle ne répondit. — Dans ce cas, pourquoi ne pas m’avoir écoutée ? Enguerrand se leva vivement. Le feu crépita et sa radiance accrue se refléta sur la résille de perles qui ceignait le front d’Hermine, baignant un instant la nacre d’une incandescence laiteuse. Il ouvrit largement et rageusement les bras. — Or ça, ma fille, prétendiez-vous donc bouleverser l’ordre du monde à vous toute seule ?

Hermine s’assit promptement sur le siège même que venait de libérer son père, le couvrant feu sur feu. Exprimer beaucoup de choses par un seul geste faisait aussi partie de ses talents. Elle lui épargna le «précisément» en réponse, car elle savait qu’il serait de trop, qu’elle lui ferait alors offense. Enguerrand se mit à son tour à faire les cent pas. Lui aussi évitait soigneusement de s’approcher du feu. Il poursuivit en s’animant : — Souhaiteriez-vous, ma fille, l’avènement d’un monde où tout soit cul par-dessus chef, où drôles et drôlesses coqueliqueraient ès-rues et champs ? Où les excentriques cultes païens, durant lesquels on se trémule sous la pleine lune, seraient élevés au même rang que l’adoration de Notre Seigneur... ? Exprès, Hermine se redressa de telle façon qu’à l’inverse des coutumes, sa poitrine, encore menue mais déjà harmonieuse saillait alors que son ventre rentrait. Elle compléta insolemment la phrase de son père. — ... Un monde où les filles oseraient s’asseoir pendant que leur père est debout ? Enguerrand se prit à regretter le moment où il peinait sur son parchemin. Pour être lourde, la plume n’en demeurait pas moins infiniment plus légère et supportable que le regard d’Hermine. — Précisément, ma fille, précisément... La jeune fille se radoucit. Elle rentra un peu sa poitrine et inclina un peu la tête. Très peu. — Non, père, sincèrement, je ne désirerais pas un tel monde. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Seulement... seulement, mon père bien-aimé, deviezvous absolument laisser se tenir cette horrible meurtrerie sur vos terres ? Enguerrand poussa un profond soupir. — Hermine… vous savez fort bien que je n’ai pas le choix. La loi le commande, puisque nous possédons la colline des Ornelles où ces… ces choses ont eu lieu. L’évêque n’a aucunement abusé de son pouvoir...


— L’évêque savait fort bien ce qu’il faisait, monsieur mon père ! Il voulait que la brûlerie se voie de loin ! Il voulait que l’on entende les cris de la Merlette jusqu’au hameau et qu’on voie briller son corps martyrisé depuis la lune ! — Précisément… je le sais bien. Et qu’y puisje ? — Vous y pouviez ! — Me dresser contre la Sainte Eglise ? Vous n’y songez pas, ma fille ? — Non père, pas contre la Sainte Eglise mais contre l’injustice qui aurait fait horreur à Notre-Seigneur lui-même ! Le rythme de leurs phrases se renvoyant l’esteuf rivalisait avec le crépitement du feu et n’était pas moins ardent. Et cette fois, père et fille se tenaient debout. Enguerrand attendit volontairement quelques secondes avant de répliquer, afin que sa fille ne soit pas amenée à prononcer des mots irréparables. Il soupira d’un soupir différent des précédents, humidifié d’une larme retenue. Hermine reprit la parole, beaucoup plus doucement. Blesser son père lui était extrêmement douloureux. — Vous savez, mon père bien-aimé, que le seul crime de la Merlette a été de sortir dans la nuit... Est-ce donc un blasphème de ne pas arriver à dormir ? Cela m’arrive aussi, vous savez. Songer certains songes de mon âge n’aide pas au sommeil, loin s’en faut... L’aveu si spontané et intime de sa fille qui devenait femme remplit Enguerrand de tendresse. Néanmoins, il prit sur lui et répondit le plus roidement qu’il lui fut possible : — Précisément… parlons-en, ma fille. Vous repoussez tous vos prétendants. Vous faites donc vousmême votre lit de braise... — J’espère le grand amour, père, le véritable amour et cela éclaire mes nuits, m’empêchant de fermer l’oeil, comme si une éternelle bougie brûlait en

moi sans qu’elle se puisse souffler. Est-ce là un blasphème ? Enguerrand tordit ses doigts et les fit craquer comme le bois dans un feu de cheminée. Il avait envie comme jamais d’en arriver à la fin de cette discussion et au terme de cette journée. — C’en serait un si un esprit malin intervenait ! Ce qui n’est pas votre cas, Hermine, mais bien celui de la Merlette ! — La Merlette est aussi innocente qu’un ange ! Enguerrand gonfla ses joues pour souffler sur les voiles de la mauvaise foi, les seules dont il disposait pour sauver son pauvre vaisseau en perdition. — Ses voisins ont assuré qu’elle se livrait à un sabbat frénétique, couvrant son corps nu de signes tracés à la peinture rouge, invoquant des démons de tous les cercles ! Ils en ont témoigné sous serment devant le tribunal de Dieu ! Hermine secoua la tête. — Ses voisins ? Ha ! Ceux qui convoitent la maison de la Merlette parce qu’elle est située près de la rivière et que cela leur serait de grande commodité ?… Voilà le fond de l’histoire et nous le savons tous deux ! Et ce soir, la Merlette va mourir affreusement pour cette seule raison et vous le savez ! Vous le savez ! Vous le savez ! Enguerrand cria sans plus de retenue : — Oui, je le sais, ma fille bien-aimée ! Oui, je le sais, Hermine ! Oui, je le sais tout comme toi ! Et j’en meurs, tu sais, oui j’en meurs à petit feu … Enguerrand était sincère. Tout le monde aimait la condamnée, lui compris. Tout le monde savait que le mal était complètement absent du corps et de l’esprit de la Merlette. Pourtant, le soir même, tout le monde serait obligé d’assister au révoltant spectacle de son im-

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molation, bénie par l’évêque. En un filet de voix presque inaudible, il souffla, gémit, supplia. — Comme tu es belle, quand tu es en colère et que tu as raison, Hermine, ma fille chérie, ma perle d’eau du ciel... mais même le roi de France ne peut pas aller contre l’ordre divin. Même le pape ne le peut ! Alors, nous, que pouvons-nous ? La voix d’Hermine avait retrouvé sa maîtrise et même sa chaleur naturelle lorsqu’elle répondit. — Précisément, nous l’aurions pu, père, nous l’aurions pu. Mon père, mon modèle que j’aime, respecte et chéris plus que tout, je t’en prie, pardonne moi. Pardonne-moi ce que je vais faire…

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Enguerrand crût d’abord que sa fille allait sortir sans prendre congé et. Il tenta de rassembler ses esprits, mais sa pensée fut interrompue par la voix d’Hermine à l’autre bout de la pièce. Semblant réconciliée avec le feu, elle s’était enfin approchée de la cheminée qu’elle évitait depuis le début de leur conversation. «Je brusle d’un feu dévorant peu me challent les glaces de la raison maugré la froidure de la saison oncques ne vit visage plus ardent» Elle chantait à mi-voix une chanson d’un de ces troubadours itinérants dont les vers et les notes montaient depuis quelques années grandement à la tête et aux sens des jeunes gens et filles. Enguerrand se dit qu’engager en son domaine un de ces traîne-pieds aux lèvres vermeilles, comme la mode s’en répandait parmi les seigneurs de la région, ferait

peut-être oublier à Hermine les tourments de la Merlette. Et, après tout, tant que son hymen n’en pâtissait pas précisément, si quelques gémissements de plaisir venaient à s’échapper de sa chambre virginale, il en serait presque reconnaissant au drôlet. Hermine chanta, cette fois tout bas. «Oncques ne vit visage plus ardent». Semblant surgi du fond d’un volcan, le hurlement de bête et le grésillement qui s’ensuivit trouèrent la poitrine d’Enguerrand comme une taupe crève le sol. Il se rua vers la cheminée mais il était trop tard. Sa fille lui tournait le dos et murmurait d’une voix méconnaissable, réduite à un râle aigu où subsistait une trace de mélodie «suis-je belle, suis-je belle ?». C’était une ligne d’une autre chanson de troubadour. Quand Hermine se retourna vers son père, son faciès boursouflé et marbré le blessa en pleine face comme un caillou jeté. Bien que connaissant la réponse à sa question, Enguerrand gémit dix fois de suite «Qu’avez-vous fait, ma fille, qu’avez-vous fait ?». Sa plainte continuait encore lorsqu’on le porta dans son lit et, le soir, dévasté par le chagrin, il ne put assister à l’immolation de la Merlette, pourtant organisée sur ses terres. Hermine vivrait, il le savait, mais elle ne serait plus jamais la lumière du château, plus jamais le soleil intransigeant que tous chérissaient. Dorénavant, à chaque fois qu’il apercevrait la parodie de visage de sa fille qui s’était brûlée à son trop grand cœur, il ne pourrait oublier que son cœur à lui, était mort sur le bûcher, condamné par l’être qu’il aimait le plus au monde.


Brahim Metiba

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Pierre Gaudu

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Florence Noël Spiegel im Spiegel

tout est blessé qui de son antre erre ou reflue ce qu’il y a d’eau et de feu sous la croûte des lèvres condense le soupir des marais l’élévation des chantres tout est blessé qui de son roseau pilé s’épuise au jour s’épuise à son esclandre de semailles il désespère l’amour lassé d’onde rigide en devient la pluie qu’aucun homme ne traverse plus il se fait tard l’heure où moudre le tain avec l’image subreptice d’un prochain matin revenir à l’eau les cendres de la bouche s’élèvent comme la furieuse épithète du mûr ne point dédire ne point maudire à chaque pas sa goulée de boue son exhalation d’embruns cet humus ce dit d’homme qui toujours nous fuit & nous force à la rencontre revenir à l’air quand l’eau s’y fond sulfureux mercure nous gouttelettes orantes élançons la grâce l’humide en tenue légère la dévoration des nuées pour nos âmes argentées de transe tout en tout est blessé

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....Où la lumière pleut

« Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui s’allume n’éclaire pas. C’est loin, très loin de vous, que le cercle s’illumine. » René Char

Isabelle Guilloteau

Rien d’autre ne m’obsède que la mort.

Le temps me dure. Vingt quatre heures d’agonie quotidiennement renouvelées. Pas une seconde où la pensée de la mort ne me quitte. Envahissante, elle colonise mes pensées et mes gestes. Je ne sais pas ce qui me pousse encore à me lever et à reprendre cette même route chaque matin, malgré la fatigue, l’épuisement, le tarissement des joies éphémères, la raréfaction des espoirs. L’impérieuse nécessité de me blottir contre les fantômes du passé ? Un défi lancé aux ombres qui m’appellent au pied des falaises ? L’illusion d’une lueur au-delà du cap ? Les tempêtes ont emporté mes remparts, détruit mes piliers. Depuis le séisme de la mort de ma mère, les répliques ont fait vaciller jusqu’à mes fondations. Je suis une funambule perdue dans les ténèbres. L’aube n’est plus qu’une promesse trompeuse, ma nuit d’orpheline n’en finit pas de retomber. Plus rien ne me porte vraiment au-dessus des champs de ruines et j’emprunte invariablement le même parcours semé de cadavres. Sur le bord de la route, un bouquet de fleurs artificielles me rappelle Sonia, nos jeux d’enfance, nos courses dans la lagune, son visage ensanglanté entre mes bras, le jour de l’accident. A la sortie du village, les croix du cimetière me transpercent, tandis que ma mère s’y décompose chaque jour davantage. De l’autre côté du cap, les remparts de Saint-Malo, au-dessus desquels mon amour s’est envolé, figent mon horizon sur un mur infranchissable. Depuis son départ, je n’ai plus la force de rouler d’une traite jusqu’au lycée. Je dois m’arrêter dans la lande, contempler le soleil levant sur les bruyères, m’abreuver d’embruns. Un rituel


destiné à me ressourcer, et devenu marche funèbre. A présent, je regarde naître chaque jour en espérant qu’il soit le dernier… Sur la pointe du cap, mon regard balaie l’étendue des dégâts, vue panoramique sur la route de grès, les croix de granit, les roches de la cité malouine. Et la mer, en contre bas, qui m’appelle de ses cris déchirés. Chaque matin, un peu plus distinctement, j’entends le bruit de mes os fracassés sur les pierres, et je perçois la lumière d’émeraude des profondeurs océanes. J’ignore ce qui me retient, mais bientôt, je sais que je rejoindrai les spectres confondus du passé et de l’avenir. Je ne parviens pas à déterminer ce qui me pousse à franchir l’enceinte du lycée. La flamme qui m’animait s’est éteinte dans les tempêtes et j’enseigne désormais en pilotage automatique. Les poètes sont mes interprètes, mes derniers abris fortifiés. Je ne suis même plus l’ombre de moi-même, juste celle d’une étrangère, aux portes de la folie ou du renoncement. Plus morte que vive. Par lâcheté, j’attends le moment où l’institution me débarquera, inquiète des répercussions de mes pensées morbides sur ses élèves. Au moins pour eux, il faudrait en finir… Mais tant que mes jambes me portent, je passe la grille, la cour, m’engouffre dans les escaliers. Je suis en retard, ils sont déjà montés. A chaque marche gravie, leurs rires me parviennent comme l’écho lointain d’une vie oubliée. Des salves juvéniles qui m’atteignent en plein cœur. Les larmes coulent sur mes joues, chaudes, irrépressibles. Je voudrais interrompre mon ascension, mais mon pas s’accélère malgré moi. Ce n’est plus marche ou crève mais marche et crève. Faire halte avant le troisième, me poser sur le palier, y évacuer ma peine… Il suffirait de pousser la porte du bureau des surveillants pour qu’ils mettent les enfants à l’abri. Je ne peux pas. Quelque chose dans leurs cris me hisse vers eux…

Le bruit de mes talons sur les dernières marches a eu raison de leurs bavardages. Au sommet, vingt quatre paires d’yeux graves sur moi braqués. Sontils déçus de ma présence ou frappés par mon visage bouffi de larmes ? Leur silence est une nouvelle nuit qui me drape. Je renifle, fais diversion en cherchant la clé de la salle au fond de mon sac, laisse échapper papiers et mouchoirs. Timidement, des chuchotements s’échangent dans les rangs, relayés par des regards de conspirateurs. Chacun gagne sa place. Je suis démunie, désarmée devant leur attente. Il y aurait bien ce cours inachevé, « Poésie et Résistance », ces vers de Char qu’ils avaient sélectionnés pour les mettre en voix. Mais à quoi bon ? L’idée de résistance m’est une blessure. Ils sont tous assis silencieux. Debout face à eux, devant ce tableau aussi noir que mon horizon, je reste muette, vide, sombre. Sensation que le premier mot prononcé pourrait me précipiter hors de tout. Ce n’est pas un mot, c’est un geste. Maëlle s’est levée. Solennelle, elle déclare : « La douleur est le dernier fruit immortel de la jeunesse ». A peine a-t-elle fini sa phrase qu’une autre voix se fait entendre, du fond de la classe : « Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer.» De tous côtés jaillissent vers et aphorismes. Les corps se redressent pour me foudroyer de mots. « Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.» Et Les Feuillets d’Hypnos s’envolent dans les rangs. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.» « Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée.» « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers

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ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.» C’est un concerto-ballet improvisé qui se joue sous mes yeux. La parole circule, fluide, limpide, dans ces bouches adolescentes qui me tendent cette vérité serrée entre leurs mâchoires : « Les vraies victoires ne se remportent qu’à long terme et le front contre la nuit.» Comme une vague qui se déroule, leurs silhouettes s’élèvent et se reposent, soulevées par la parole poétique. Celui qui jamais n’osait croiser mon regard me lâche : « Si nous habitons un éclair, il est au cœur de l’éternel.» Celle qui se terrait au dernier rang s’écrie : « c’est quand tu es ivre de chagrin que tu n’as plus de chagrin que le cristal.» Le rebelle à toute autorité me hurle : « Nous sommes ingouvernables... Le seul maître qui nous soit propice, c’est l’Éclair, qui tantôt nous illumine et tantôt nous pourfend.»

Des mots comme des uppercuts, et qui cependant, à chaque coup porté, m’aident à mieux respirer. Des mots qu’on croirait écrits par eux, pour moi, lancés comme des grappins sur les parois de mon précipice. Pluie de lumière, déluge d’images, l’âme sous perfusion je me nourris de poésie, goutte à goutte. Chaque phrase prononcée repousse l’échéance létale. Chaque avancée du Verbe est une victoire contre ma nuit. Vingt quatre bouches qui me lisent la poésie comme je ne l’ai jamais entendue, autant de paroles pour faire repartir la course de mes heures. Le chant s’est tu. La valse juvénile s’est arrêtée. De nouveau, quarante huit yeux convergent vers mon visage au souffle suspendu. Ils attendent le mot de la fin. C’est à moi qu’il revient. Mes lèvres tremblantes s’entrouvrent dans un cri devenu mien : « Rien ne m’obsède que la vie ! ». Dehors, le jour ne vacille plus sous mes pas et pour un temps, aussi fragile que fertile, « L’Eclair me dure ».

Ce texte fait pendant à l’essai sur la part de l’ombre dans les carnets d’Hypsos de René Char qu’Isabelle Guillauteau nous avait proposé dans le numéro 1 de DiptYque. Elle a ici choisi de traiter cette lumière de la parole poétique à travers une “fiction-hommage” à René Char.


Jacques Vandenberg AULNE

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HUELGOAT


MONTAGNE DE MARE

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À travers le corps

raymond Alcovère

Depuis longtemps je savais qu’un événement inconcevable allait arriver. Puis, un été chassant l’autre, une langueur s’est installée. À présent, me voici étrangement calme. Mais il faut commencer au début… J’ai vécu longtemps à l’écart du monde. Heureuse atmosphère de l’école, bavardages incessants, rires, rêves, désirs partagés. J’ai souffert de quitter mes parents. Ensuite, j’ai aimé cet enseignement magique, tous les récits merveilleux, les histoires qu’on nous racontait, bien réelles et la musique. La musique est comme la rêverie, la pensée, un supplément d’âme, un univers où se déploie, libre, convulsive, passionnée, la beauté du monde. Où elle passe à travers le corps. Ici, le temps n’est jamais froid, les étés brûlants mais les murs épais apportent une bienfaisante fraîcheur, ondulations du vélarium sous le vent tiède. Et la terre regorge de fruits délicieux. Ma mère jouait de la harpe avant que je m’endorme, ses mains étaient des mouettes, un battement d’ailes. J’apercevais la mer et la côte en échancrures, les oliviers pâles sur la terre rouge, les grenadiers, les lilas et les sycomores en taches multicolores sur l’horizon. J’aimais ce dialogue des couleurs, et le vol désordonné des papillons dans les senteurs fuchsia de l’été. J’ai vécu dans cette école à l’abri de la misère du monde. Étrange et sculpturale paix. J’ai lu, des années durant, les vieux textes, écouté les légendes, les vertigineuses épopées, les témoignages de mes ancêtres, leurs voyages merveilleux. Sur cette mer qui n’en est pas une, les nuits de lune, j’aimais glisser sur une barque et rêver, aux étoiles. Flotter sur l’onde comme un nénuphar, une fleur de lotus épanouie et détachée du monde dans la lumière lustrale. Je me sentais vide, mais mon corps et mon âme étaient un seul désir.


Étais-je différente ? Parce que je comprenais, acceptais ce que d’autres refusent, trouvant une harmonie là où règnent désordre, lâcheté, jalousie ? Je voyais cette noirceur s’emparer des âmes, la vérité dissimulée derrière les apparences. Alors que la terre est un jardin, que l’homme a tout pour être heureux, il se précipite tête baissée dans les turpitudes et la violence. Un voile tantôt léger ou lourd recouvre la vie. Je ne pouvais pas le supporter. Un jour, j’ai quitté l’école. J’avais changé mais il n’était pas encore temps. Je me marierais, mais mon destin irait bien au-delà des conventions du temps, je le savais. J’étais inquiète, et au contraire, cette rencontre a confirmé ma bonne étoile. La simplicité de mon mari, son humilité m’ont touchée. Je lui ai parlé de mon désir. Il m’a écouté avec attention, essayé de comprendre, pouvais-je en attendre plus ?

Les jours passaient. Au fur et à mesure, ma conscience affleurait, le futur se dessinait. Pourtant, rien ne serait facile. L’idée de traverser la douleur, la souffrance, d’un passage, était maintenant en moi. Hier, le soleil s’est couché dans un crépuscule grenat. L’horizon semblait pris de folie, un trou béant dans lequel j’ai eu envie de me noyer. Ce matin, il s’est levé pâle et fuyant. Avec cette atmosphère neigeuse du début du printemps, où tout semble ouvert, où les rêves s’envolent comme la brume dans le vent, plumes, plumes légères, virevoltant, attirées par le ciel. Quand l’ange est arrivé, je jouais de la musique et le reste de ma vie est devenu musique. Je tenais entre mes mains le monde entier. Il avait suffit d’une parole…

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KaOs mais debout

Jean Bourgeois

Un train à vapeur qui t’emporte dans la brume. Une plage de temps libre, une langue de sable, une mer qui s’endort. Des vagues un peu molles sous un ciel encore à tendre. Du linge au soleil. Un bateau qui s’en va pour ne jamais revenir. Un autre qui n’en mène pas large. Des lignes sur un cahier à petits carreaux et, derrière, quelqu’un à la fenêtre qui ne passera pas l’hiver. Des pêcheurs bredouilles qui se demandent est-ce que c’est ça une vie. Un miroir et son alouette. Un espoir déçu mais vivant, toujours. Un drapeau d’aucun pays flottant dans le vent, libre. Tout ce qu’on dit dans ce qu’on ne dit pas. Tout ce que les mots racontent d’une histoire illisible. Un dictionnaire à écrire sur le sens de nos vies. Des images, des mots du passé qui dessinent un avenir où tout n’est pas si noir, parce qu’il ne faut pas mourir, parce que vivre est précieux, dit-on. Une mémoire vive qui n’oubliera jamais rien. Où chaque souvenir sera toujours un cadeau, un présent, un aujourd’hui à sourire, quelque chose encore à faire, à cultiver, parce qu’on ne sait jamais. Deux mains douces pour y poser une bouche. Des yeux fermés pour imaginer un vaste monde. Un silence qui prend tout. Un cri pour le rompre. Une déchirure éternelle. Un orage intérieur. Un univers à l’envers. Une chaîne d’arpenteur pour en prendre la démesure. Une plume légère pour écrire des mots d’amour, et qui ne servirait qu’à ça. Une adresse où les envoyer. Oui mais l’adresse est perdue. Oui mais les mots sont les mêmes. Quand je dessine je pense à tout ça. Je trace des figures, des visages comme des paysages. Des enfances de lumière que la nuit va manger. Le sentiment confus qu’il n’y a pas de route, seulement des chemins de fortune. Des enfances la mort sous la peau. Je fume, j’efface, et je ne parle qu’à moi. C’est mauvais, souvent. Aussi âcre que cette poudre de saule au bout de mes doigts. Je recommence, je fume, j’efface encore, et tu pars pour toujours. C’est la vie. Ça fait mal, c’est comme ça. Ventre de pierre. Je barbouille le papier, histoire de m’occuper à autre chose que ce qui me hante. Et du noir émerge un chaos enlaçant sa douleur. Des papillons en lambeaux. La pluie du chagrin. Des chiens errants reniflant la blessure. Les entités blanches d’une galaxie défunte. Les serpents nichés dans mon crâne. Un chaos sans violence pourtant, et qui ne serait pas


la mort. Plutôt quelque chose d’immensément doux et tendre, noyé dans sa désespérance absolue. Dont je tenterais d’extraire la lumière essentielle. Je laisse tout venir, aussi, de ma propre enfance. Les hurlements des bêtes sacrifiées, le carnaval des fouets, les peurs emmurées dans la prison du silence, la prédation des géants. Je laisse tout venir, toute mon histoire. Je laisse tout venir dans ma tête où sont mes mains. Pour savoir où j’en suis, si l’humain a gagné un peu, encore, sur l’animal. Si ma punition est finie. Je dessine comme je vis, je vis comme je peux. Parfois ça déraille, ça sort du cadre, ça s’en va sur les murs parce que la feuille est trop petite, ça grimpe comme des araignées, des mots noirs, velus, avec des pattes. Les mots d’un dessein qui m’échappe. Revenir alors, revenir du vertige. Et puis écrire ce que j’échouerai toujours à montrer. Je dessine des visages, les figures d’un visage qui pourrait être le mien et celui de tous les hommes. Ce que chacun de nous reconnaît de soi dans ces têtes qui ne sont pas les nôtres, cette beauté profonde et fragile vouée à la disparition, que le temps, petit à petit, défigure. L’espérance dressée dans la nuit d’un regard. Quelle saveur aura le monde, le désert à venir ? Où trouver la force de vivre pour d’autres quand elle me manque pour moi-même ? Mais il y a des choses à faire, des choses ordinaires de la vie d’ici. Qui seront faites parce qu’il le faudra bien, pas le choix, même le regard vague, l’esprit ailleurs. Là-bas où l’indien fou cherchera sans trêve jusqu’à la fin des jours les traces de cette terre disparue où coule son sang. Je me souviens de ma chère amie, de nos promenades sur les landes, les soirs d’été, quand nous avions dix ans et une vie devant nous, quand rien de

nos existences ne s’était encore abîmé. Quand nous ne savions pas que rien ne tiendrait jamais debout. Qu’il n’y a rien à savoir. Qu’il n’y a que des choix à faire, et que nous nous trompons souvent. Que ce nous avons loupé nous ne l’avons pas assez voulu, peut-être. Et pourtant, pourtant... Le voisin est passé, deux minutes, il voulait un coup de main pour le bois. On a bu un verre, échangé trois mots. Je ne saurai jamais s’il est triste, il sourit rarement et quand il le fait c’est comme un effort. La pénombre est venue. Comme viendra la nuit aussi, l’immense nuit sans fond où se perdront mes songes. Dans l’atelier assombri de crépuscule, mains suspendues, aveugle, interdit, abandonné à la morsure, je me fige dans l’abstraction du monde. J’attends la vie pour qu’elle me rattrape. Je me penche à la fenêtre pour y regarder le ciel, respirer l’espace, je n’y vois que mon intérieur, un peu rabougri, un peu étouffant. Une cellule aux murs sombres et nus, écrans d’une projection intime où défilent les images d’un voyage sans but à travers une plaine déserte où coule une rivière se mourant dans un delta qui n’atteindra jamais la mer. Une boucle absurde qui s’annule dans la fin même qui la recommence. Je voudrais autre chose dont je ne sais pas le nom. Quelque chose qui toujours s’en va, ne fait jamais que passer et me file entre les doigts. Quelque chose. Quelqu’un. Qui aurait des yeux comme des portes, du bleu des ciels lavés des tempêtes. Et vient cette ombre qui toujours traversera le monde pour me rejoindre à mon appel incessant. Quand je dessine je pense à tout ça. Quand je ne dessine pas aussi.

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Humeur de... Xavier Lainé Lever les yeux du guidon poétique (Etat chronique de poésie 947)

Revues et Internet sont les derniers refuges d’une parole libre. Alors que tous les médias, les journaux, les maisons d’édition sont aux mains des affairistes, l’autocensure dans le monde de la culture officielle prend de l’ampleur.

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Car seuls apparaissent au devant des gondoles des grandes surfaces du livre et de la presse, ceux qui ont les moyens financiers. La culture, en quelques années, est devenue un produit comme un autre, qu’on promeut à grands coup de publicité pour ensuite, très rapidement, passer au pilon ce qui a été encensé hier. Dans un contexte de main mise absolue de l’idéologie libérale, il n’est plus de place pour autre chose que du bien pensant, un académisme invisible s’installe qui veut qu’une écriture libre ne puisse voir le jour sans l’accord condescendant des actionnaires tapis dans l’ombre et qui sont les mieux rémunérés de la « chaîne du livre ». L’auteur dans ces circonstances n’est que la dernière roue du carrosse, qu’il vienne à revendiquer juste salaire pour sa création et le voici promis aux oubliettes d’un monde désormais habitué à zapper, à passer rapidement d’un sujet à l’autre, puis à oublier... On bouffe du roman à la façon Mac-Do. On vend du livre comme boites de conserves. Le tout est de ne jamais aborder les sujets qui fâchent. Ne jamais remettre en cause l’ordre inégalitaire promu en modèle du développement humain, ne jamais revendiquer, ni protester devant les exclusions, les injustices, les copinages et la subordination sociale, il convient d’adopter un langage policé, capable d’être accepté par les prudes portefeuilles. Dans ce paysage, Internet est, provisoirement du moins, le dernier refuge d’une parole libre. On y trouve de tout, du meilleur comme du pire. Mais le verbe provocateur ou penseur peut y trouver refuge. Les réseaux sociaux jouent leur rôle pour permettre aux poètes, romanciers, philosophes de l’Underground, d’échanger leurs propos, dans un semblant de liberté. Non que Big Brother ne soit à l’affût, mais nous ne vivons pas encore tous sous régime chinois, et il reste quelques répugnances à museler ce dernier terrain de jeu d’une liberté par ailleurs mise à mal.


L’aventure des revues est un monde qui jaillit de ces entrailles : de la feuille pliée en quatre, distribuée gratuitement, à la revue savante, payante car en recherche d’une qualité esthétique, elles foisonnent, durent ce que durent les rosées, mais à chaque salve salutaire, elles ouvrent un espace respirable dans un monde étouffant sous le couvercle de la finance. Ici, on trouve ceux qui font ce travail de défrichage dans un total don d’eux-mêmes, d’autres qui, chômeurs de longue durée, s’inventent une place au soleil, en se laissant aller à leur passion. Tous ont un mérite qu’il convient de souligner. Quelle que soit leur option, ils sont le grain semé avant que ne meurent la liberté de penser. Ils sont ces bulles d’oxygène qui nous permettent encore d’espérer. Que vienne alors le débat de la gratuité et de la rémunération n’est que l’émergence du malaise qui habite une société qui exclut le travail intellectuel de ses paradigmes. Celle-là aime celui-ci à la condition expresse que sa pensée se traduise en monnaie sonnante et trébuchante. C’est d’ailleurs pour cette raison, sans doute, qu’elle ne laisse point tomber le couperet d’une censure absolue, incertaine que, parmi les penseurs de la marge, l’un ou l’autre, puisse être la vedette de demain dont on pourrait exploiter l’image pour le plus grand profit des actionnaires. On laisse un semblant de parole libre, mais le mieux payé doit demeurer celui qui tire les ficelles, non celui qui crée. Dans les souterrains de liberté chèrement acquise, les penseurs de l’ombre en arrivent parfois à s’invectiver, à chercher les soutiens financiers illusoires. Ces guerres intestines font la joie du monde culturel officiel qui tient les rênes et ne les lâchera pas, tant les grossiers appétits sont prompts à tout avaler pour le paraître, la mégalomanie rampante de quelques élus, les sombres calculs de rentabilité directe. Foin d’une création libre, désintéressée : il faut de la chair fraîche qui satisfasse à l’audimat. Nos querelles de salon ne font qu’alimenter cette négation de liberté fondamentale. Reconnaître aux auteurs, aux créateurs, un statut qui permette l’élaboration des oeuvres de demain, ou d’après demain, ce serait jeter les bases d’un monde se nourrissant d’autres priorités, d’autres nécessités que la seule cotation en bourse. Nous devons lever les yeux au-dessus de notre guidon poétique, non pour nous lamenter de n’avoir pas pignon sur rue, mais pour remercier l’engeance qui nous gouverne de cet honneur d’être rejetés dans la marge. Car nos herbes folles sont plus à l’aise au bord des sentiers buissonniers que dans les plates-bandes bien ordonnées. Manosque, 31 mars 2010

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Danièle Colin

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Ils avaient passé la nuit à l’hôtel « Isla Negra » sur les contreforts du cerro Artillera à Valparaiso. Elle était partie au petit matin, alors que l’aube grise commençait à peine à pénétrer la chambre. L’atmosphère y était trouble, l’air sentait l’iode, le sexe et l’alcool. Sur la table du salon elle lui avait laissé un mot avec son numéro de téléphone. Il savait déjà qu’il la rappellerait car sa tâche était longue et exigeante. Elle requérait de la rigueur, de la méthode et du sentiment. Couché sur le lit de la chambre, les yeux au plafond, il se rappela son enfance et toujours le même souvenir. Sa mère, ses sœurs et sa grand-mère sont penchées sur lui, leurs visages souriant en contrejour. Leurs longs cheveux d’or filtrent des poussières de soleil et déposent sur son front d’enfant la chaude caresse d’un premier jour d’été. La pièce, sa chambre probablement, est inondée d’une lumière douce et enveloppante. Puis après plus rien. Ses souvenirs se sont figés à la mort de sa mère quand il avait neuf ans, laissant sur la rétine de sa mémoire la trace de ce flash doux et entêtant. A partir de ce jour-là la lumière ne fut plus jamais la même. Elle devint froide et délavée, un vulgaire faisceau blanc dont il ne ressentait plus l’énergie électriser chaque particule de son corps. Il se leva pour aller au balcon fumer une cigarette. Dans sa tête tournaient les chiffres du numéro de téléphone d’Angelica : il les ajoutait, les divisait, les multipliait en les intégrant dans des combinaisons mathématiques complexes. Comme avec toutes les autres auparavant il espérait par Angelica retrouver la lumière et mettre fin à l’obscurité de ses jours. De l’hôtel, construit à flanc de colline sur une excroissance de terre, il avait une vue dégagée sur toute la baie. Ce matin-là les cargos, l’air et l’océan lui semblèrent immobiles et presque transparents. Un court instant, il crut à un décor de théâtre. Le soleil, jusque là accroché aux grues du port, progressa sur la colline, diffusant sur les toits de la ville sa lumière grise et sale. Un rayon s’attacha à son torse et glaça tout son corps. L’image d’un gisant de marbre traversa son esprit et le vida soudain de toute énergie. Il retourna se coucher. Rapidement, il s’assoupit et fit un rêve étrange. Il marchait au milieu des ruines d’Ephèse avec en arrièreplan, dans l’obscurité naissante du crépuscule, un chœur de murmures incessants. Il lui était difficile d’en situer précisément l’origine. Les voix étaient lointaines et affaiblies même si parfois elles semblaient toutes

Trace d’un flash

Mathieu Rivat

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proches, comme si soudain il se trouvait au cœur d’une assemblée de femmes susurrant. Jean avançait seul sur la voie Royale qui naguère menait à la mer Egée. Le vent était glacial et le ciel menaçant. Tout ici avait une odeur pourrie et cadavérique. Des touffes d’herbe rabougries saillaient entre les anciennes idoles et les frontons décrépis posés à même le sol. Ça et là des blocs de pierre arrachés, des socles éclatés, des restes de murs et des moitiés d’arcs. C’était comme traverser un champ d’ossements, tant les temples effondrés et les colonnes nues brillaient dans la clarté blafarde de la lune. Son corps était sec et sa voix, sous l’effet d’une solitude prolongée, n’était plus qu’un mince souffle intérieur. Il devait marcher ainsi depuis très longtemps, branché sur la fréquence des morts, des absents et des femmes perdues. Mais ce soir là, du susurrement confus et brouillé qu’il entendait habituellement, se détacha une voix masculine de plus en plus distincte. Elle disait : « Je suis le Premier et le Dernier (…) Je suis l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin (…) La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux (…) » et inlassablement la voix répéta ces mots extraits de l’Apocalypse. Dans la pénombre Jean crut distinguer des silhouettes glisser parmi les ruines et les cyprès. Il marcha jusqu’à l’amphithéâtre et s’assit sur les marches à mi-hauteur. Devant lui la plaine marine violette et désertique avec en arrière-plan, collée au ciel, la mince bande métallique de la mer Egée. Son regard fut attiré en bas dans l’arène par un halo de lumière vacillante. Il mit quelques instants à discerner un homme légèrement penché en avant, qui avançait précautionneusement, un pas après l’autre, vers l’extrémité opposée de l’arène. Grand et mince, vêtu d’un costume gris usé et d’un borsalino, il protégeait au creux de sa paume la flamme d’une bougie. Il devait avoir une centaine de mètres à parcourir. Jean voulut l’appeler mais aucun son ne sortit de sa gorge. L’homme était tout entier concentré sur les variations de la flamme soumise aux aléas du vent. Un souffle plus intense que les précédents tournoya dans l’enceinte et l’éteignit brusquement. Par contraste le noir parut pendant quelques secondes encore plus insondable. Plus un bruit. La voix s’était tue comme si elle aussi attendait quelque chose. Quelques instants plus tard il entendit le cliquetis d’un bri-

quet, une flamme s’alluma et l’homme à son point de départ ralluma la bougie. À nouveau il effectua le trajet vers l’extrémité opposée de l’arène. La lumière couleur d’ambre collée à sa poitrine réchauffa le cœur de Jean. Elle lui rappela le sein chaud et rond de sa mère. Pour la première fois depuis longtemps il se sentait bien. La voix avait fini par s’évanouir en un long soupir. Un espoir nouveau naissait. Mais à mi-chemin, la lumière dansa dangereusement et finit par s’éteindre. Sous ses doigts, Jean sentit la pierre se refroidir. Un frisson le parcourut. Plusieurs fois l’homme dut retourner à son point de départ, rallumer la bougie et repartir, avec toujours la même obstination calme et mécanique. Quand enfin il atteignit l’autre extrémité, il toucha la pierre du muret de sa main libre et souffla sur la flamme. Le noir à nouveau, mais cette fois-ci doux et apaisé. Jean respira à pleins poumons les antiques parfums de thym et de résine de pins. Puis mû par une étrange intuition il descendit dans l’arène pour se rendre là où l’homme quelques instants auparavant avait éteint la bougie. A tâtons il passa la main sur le muret et sentit gravé sous ses doigts, dans les âpres aspérités de la pierre, le chiffre 207. ** A son réveil Jean dut consigner ce rêve dans son « Carnet des signes », celui-là même que l’on retrouva sur la Panaméricaine chilienne entre Antofagasta et Iquique. Une lecture récente et plus attentive du texte a permis d’identifier une mystérieuse note en bas de page, écrite en lettres fines et minuscules : « ce songe pourrait être une métaphore de ma vie ». Cette découverte engendra dans les cercles initiés de nouvelles spéculations sur la vie et l’oeuvre de Jean. Le « Carnet des signes » de mille trois cent pages fut trouvé dans une mallette en contenant des dizaines d’autres d’une taille équivalente. Carnets de voyages, carnets de lecture, dialogues in vivo, carnets noircis d’équations mathématiques et de séries algébriques, carnets de femmes. Ils sont les dernières traces tangibles de la vie de Jean mais également les seules dont on dispose. La poussière, le soleil et le vent brûlants du proche désert d’Atacama ont endommagé certains carnets. Un long travail d’exégèse a permis d’établir des liens com-


plexes entre eux : ils fonctionneraient en réseau, comme un système de notes, de fiches et de récits se répondant les uns aux autres. Chaque lecture d’un nouveau texte transforme la trame initiale par l’introduction d’infimes détails, dessinant ainsi de nouvelles trames amenant à reconsidérer le sens de l’ensemble. Tout se mélange et se modifie à l’infini : le rêve et la réalité, le présent le futur et le passé. A partir de faits interprétés comme des signes et des présages Jean a écrit d’innombrables versions de sa vie qui sont autant de faux semblant pour le lecteur. Lui-même semble parfois s’y perdre. Dans certains textes le « je » narratif s’efface jusqu’à devenir un spectre se regardant errer sous d’autres identités dans les méandres de ses propres histoires. J’ai découvert l’oeuvre de Jean lorsque j’étais encore étudiant en thèse de mathématiques. Ses travaux sur la lumière, de renommée internationale, eurent sur mon jeune esprit de chercheur une influence majeure. En ce temps-là nous ne savions rien de lui. Il publiait dans les plus prestigieuses revues scientifiques des articles de recherche étranges, à la fois poétiques et rigoureusement scientifiques. Il avait inventé un nouveau langage, presque extraterrestre où les mathématiques devenaient de la poésie et la poésie des mathématiques. Il n’était affilié à aucun laboratoire de recherche ni à aucune école de pensée. Personne ne l’avait jamais vu. On disait qu’il vivait au Chili dans une communauté Mapuche sur les bords du lac Budi ou à Zapala en Patagonie argentine, là où finissent les voies de chemin de fer et où débute le désert. Aujourd’hui j’essaie de poursuivre son œuvre scientifique : traduire en langage mathématique toutes les variations de forme et d’intensité de la lumière, c'est-à-dire donner un fondement théorique solide aux phénomènes ondulatoires et corpusculaires de la lumière. Mais le mystère entourant le personnage et sa quête ont fini par m’obséder totalement, au point de me porter acquéreur de ses carnets et d’en publier certaines parties. Un peu plus de la moitié de son œuvre a été explorée. Il est probable que demain la trajectoire tracée aujourd’hui soit encore modifiée, voire totalement remise en cause. A maintes reprises, en cherchant à m’orienter dans les multiples trames, j’ai craint de me perdre. Plusieurs fois

même j’ai cru devenir fou. Seul un noyau d’éléments récurrents et vérifiés lient les histoires entre elles et constituent un îlot stable sur lequel s’appuyer. Différentes interprétations de la vie et de l’oeuvre de Jean sont en circulation. Voici la mienne : Dès son plus jeune âge il manifesta une aptitude des plus remarquables pour les sciences physiques et les mathématiques. Enfant sensible et passionné, la mort de sa mère le plongea dans un profond désarroi. Il arrêta l’école et passa ses années d’adolescent seul, à fumer de l’herbe et à étudier les mathématiques. Celles-ci devinrent l’un des rares langages par lequel il accédait encore à la réalité, il écrira : « L’expérience passe par le nombre ou n’est pas ». Jamais il ne mentionne ses sœurs ni une quelconque famille. Il parle d’une lumière désespérément grise au fond de lui et d’un port industriel presque mort, avec des grues immobiles comme des vautours. Sans que l’on sache à partir de quand précisément il se consacra à l’étude de la lumière, espérant trouver une sorte de cellule primordiale, l’origine des formes et des variations, qui lui permettrait de reconstituer la lumière disparue de son seul et obsédant souvenir d’enfance. Il écrivit dans un passage de ces « Carnets de voyage » : « Mon futur se rétracte à présent vers mon passé (…) Je suis sur une pirogue, ce pourrait être l’Amazone, avec les mathématiques comme seule boussole je remonte jusqu’à la source de mon souvenir pour lui redonner vie ». Il aurait effectué plusieurs voyages dans les bibliothèques de l’ancienne Babylone, du Caire et d’Istanbul à la recherche de textes originaux écrits par Pythagore. Il aurait séjourné sur son île natale, l’île de Samos au large d’Ephèse. Il y écrira des pages d’une sombre beauté : « A la sortie du bain ma peau vernie d’eau sent le sel et le soleil auquel viennent se mêler les essences de la terre. J’ai quasiment le goût de la lumière sur les lèvres, je l’entends même craquer dans le creux de la crique brûlante, et pourtant, quand je regarde autour de moi, le paysage paraît se dissoudre dans les cendres ». Comme Pythagore il s’attache à l’étude des nombres entiers et de leurs fractions et travaille sur les plus rares d’entre eux, les nombres parfaits. Avec cette phrase « dans les nombres parfaits et leurs rapports entre eux se cache la lumière de l’infini, source de toutes les lu-

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mières et de tous les mondes » je comprends qu’il fait référence à la kabbale. Le Zohar, comme toute la tradition kabbaliste, voit dans la question des diviseurs le geste fondateur de la création du monde : la division. Selon la genèse Dieu créa le monde en divisant et en séparant le ciel de la terre, le cosmos du chaos, les mers des continents… la lumière de l’obscurité. Mais cet intérêt pour les nombres parfaits m’aveugla. Dans toutes les séries algébriques et systèmes d’équations je me mis à les traquer, me perdant en de vaines conjectures. Las, j’étais sur le point d’abandonner lorsqu’un soir d’été, je relus ce rêve crépusculaire dans les ruines d’Ephèse. Et là, je ne sais pourquoi ce soir-là plus qu’un autre, le chiffre 207 gravé dans la pierre de l’amphithéâtre révéla son secret. Encore aujourd’hui, je me demande comment je ne l’ai pas vu plus tôt, tant la chose paraît évidente (mais peut-être est-ce précisément parce que le mystère était trop clair).

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Le mot « Lumière », en hébreu or, s’écrit aleph-vav-rèch, c'est-à-dire 1+6+200, soit 207. Il possède la même valeur numérique que le mot « Infini », en hébreu en sof. Je compris alors mon erreur : le x, l’inconnue des équations mathématiques, n’est pas un nombre parfait mais la lumière elle-même, le chiffre 207, le premier mot de la création, le premier chemin vers le divin « Et Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut… » ! Toute la vie de Jean est dans la quête de cette lumière primordiale qui effleura la courbe arrondie de la Terre comme celle de son front d’enfant et cela, je l’avais oublié ! Les semaines suivantes, je redoublai d’efforts pour découvrir ce qu’étaient censées exprimer ces innombrables équations. Comme tout fonctionne par échos je cherchai dans les carnets de femmes où il consigna en de longues fiches les mesures anthropométriques des femmes qu’il rencontra. Leur nombre est colossal ! Il est probable que la plupart d’entre elles furent des prostitués tant l’étrangeté de tels procédés ne pouvait être acceptée qu’en retour d’une somme d’argent. Voici un court extrait de ces fiches : Age 33 ans Taille 1m60 Epaules Etroites et fines (10 cm), clavicules saillantes (13 cm)

Mains Hanches Bassin env. ) Lèvres Bouche Nez

Longues et fines (du poignet au majeur, 20 cm) Epaisses et lourdes Large (a probablement enfanté à plusieurs reprises, Rouges, supérieure mince, inférieure charnue Commissures tombantes des peines passées (5 cm) Moyen ; petites narines (arête, 5 cm)

De ces feuillets et de leur lecture prolongée exhale une étrange poésie, tout à la fois malade et irréelle. Une nuit j’ai rêvé que toutes ces femmes avançaient vers moi comme des zombies, corps raides et imparfaits, chacune ayant à la place de la tête un œuf couleur chair. Pour chasser le goût aigre de ces visions, je me souviens au réveil d’avoir caressé le corps de ma femme en murmurant plusieurs fois son prénom. Un jour, je découvris dans un carnet des équations disposées de telle manière qu’elles représentaient une silhouette féminine. Cette étrange vision m’hypnotisa. Dans la marge Jean avait noté un vers extrait d’un calligramme d’Apollinaire dessinant le buste d’une femme coiffée d’un chapeau: « voici enfin l'imparfaite image de ton buste adoré vu comme à travers un nuage ». Il venait de me donner la clé de son système. Je retrouvai dans les équations les mesures anthropométriques des femmes et compris qu’il avait mis leurs corps en équation. Derrière les chiffres et les signes algébriques froids et figés se cachaient des êtres vivant en chair et en os. Voilà son secret et sa foi la plus profonde révélés : le corps des femmes est le chemin qui mène à la lumière. Peut-être chercha-t-il au fur et à mesure de ses rencontres à écrire l’équation la plus pure du corps féminin, celle qui lui permettrait d’accéder à la grande Lumière. Peut-être même a-t-il atteint son but. Dans les carnets toutes ces femmes sont anonymes sauf une, la dernière. En haut de la page il est écrit Angelica, avec endessous au feutre noir en diagonale l’annotation suivante : 207 ? Depuis je la cherche sans relâche.


Qu’est-ce que DiptYque ?

Diptyque est une revue littéraire et artistique semestrielle créée en 2010, qui comme son nom le suggère, explore chaque année deux versants d’une même thématique. Publiée sous forme papier, elle a, via le blog http://DiptYque.wordpress.com, son antenne numérique, proposant des sélections d’extraits, mais complétant aussi le contenu par des sons, des vidéos, des liens, les actualités des contributeurs et diffusant les appels à contribution.

DiptYque car les contributeurs sont invités à participer d’emblée aux deux numéros “miroirs” de la revue (un par semestre), DiptYque pour souligner sa vocation de promouvoir autant des contributions littéraires qu’artistiques (peintures, gravures, photographies, créations, collages…), DiptYque enfin, car un certain attachement à une juste représentation homme-femme est mis en oeuvre. Les appels à contributions sont très ouverts et tous types sollicités : poétiques, récits, nouvelles, chroniques, instantanés prosaïques, billets sous forme de journal, articles critiques sur un auteur ou une oeuvre, essais ou réflexions. La sélection se tiendra cependant scrupuleusement à la ligne du thème à la Une. Le tout tendant à présenter un contenu cohérent de format livre, d’un coût unitaire de 10 euros (13 euros prix librairie). La double thématique en diptyque prévue pour les deux prochains semestres se déclinera selon ces deux versants : - La thématique du numéro d’été de DiptYque (numéro 3) à paraître en juillet 2011 : Entre-deux Les soumissions sont à remettre pour le 20 mai au plus tard. [Réflexion, micro-essai, textes poétique ou en prose, photos, oeuvres plastiques traitant de l’entre-deux, espace intermédiaire, intervalles, franchissement, mise en suspens, temps d’altérité en rencontre, tension d’éloignement, road récit, temps de pérégrination, le silence, la mise en retrait, le temps de pause .....] - La thématique du numéro d’hiver de DiptYque (numéro 4) à paraître en janvier 2012 : Entrelacs Les soumissions sont à remettre pour le 15 septembre au grand plus tard. [Réflexion, micro-essai, textes poétique ou en prose, photos, oeuvres plastiques traitant de l’enlacement, les liens étroits, les entrelacs, les arabesques, les liens intimes, mystérieux ou mystiques, les jonctions, les connexions visibles ou invisibles, les destins liés,....] L’adresse de soumission est : revuediptyque@yahoo.fr Toute soumission doit comprendre une mini-bio du contributeur en deux lignes (dont le lieu de résidence, l’année de naissance), un résumé de la bibliographie et l’adresse d’un site si existant). Nous demandons d’envoyer une contribution de un à dix textes pour un ensemble ne dépassant pas trois pages A4 par numéro. Parmi ceux-ci une sélection sera opérée sur des critères de qualité et d’exigence. Les oeuvres visuelles (peintures, photographies, collages, ...) doivent être envoyées dans un format correct (min 300 DPI). L’artiste effectuera une première présélection dans ses oeuvres avant de les communiquer. Le comité de sélection est constitué de Florence Noël, Stéphane Méliade, et de tout collaborateur épisodique qu’il nous conviendra de consulter. L’éditeur responsable est : Florence Noël /11 rue Bois des Fosses/ 1350 Enines/ Belgique.

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Et l’Abonnement ? Pour s’abonner à la revue semestrielle papier « Diptyque », chaque numéro d’environ 140 pages, vous pouvez choisir la formule « papier » de 20 euros/an (qui vous proposera aussi une version numérique) ou celle « numérique » seule de 8 euros/an. Concernant l’abonnement papier, un forfait de frais de port sera désormais ajouté pour permettre la viabilité financière de la revue. Il sera de 5 euros par abonnement.

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Parrainage Économisez ces frais d’abonnements en parrainant de nouveaux abonnés. Pour ce faire, demandez à vos amis qui s’abonnent sur votre conseil (quelle que soit la formule papier ou numérique) de signaler votre nom comme parrain dans leur mail d’abonnement. Ces frais vous seront décompté sur l’abonnement courant pour autant que vous n’ayez pas encore payé ou sur l’abonnement prochain. Diminution des frais de port pour les payements par virement bancaire Les abonnés non belges qui choisiront le virement bancaire plutôt que le chèque comme moyen de paiement seront exonérés de deux euros de frais de port. Coût librairie La revue sera mise en dépôt dans certaines librairies. Le coût unitaire sera de 13 euros pour tenir compte de la marge prise par les libraires. Les lieux de dépôts seront signalés sur le site. Comment concrètement s’abonner ? Veuillez copier et remplir dans votre courrier électronique le formulaire ci-dessous qui reprend vos coordonnées complètes et l’envoyer à l’adresse de revuediptyque@yahoo.fr avec comme sujet «abonnement».

Pour le paiement, deux moyens s’offrent à vous : - La solution préférentielle pour ceux qui peuvent faire un virement bancaire sans surcoût: IBAN : BE36 0016 0838 4581 BBAN : 001-6083845-81 BIC : GEBABEBB - Envoyer un chèque au nom de Florence Noël à l’adresse suivante: Revue Diptyque Florence Noël éditrice 11 rue Bois des Fosses 1350 Enines BELGIQUE Dans les deux cas, mettre en communication le nom et l’adresse d’abonnement et une adresse e-mail. Lors de la réception des chèques ou paiements, les abonnements seront confirmés par e-mail. Les numéros sont aussi achetable à la pièce, en cours d’année : 5 euros pièce par numéro numérique ou 13 euros pièce par numéro papier. Le surcoût est dû à la majoration des frais d’éditeur lié aux frais d’encaissement de chèques, aux frais de port, aux recommandes de tirages. Formulaire d’abonnement à renvoyer à l’adresse revuediptyque@yahoo.fr Abonnement à la revue semestrielle DiptYque : Type d’abonnement choisi (papier/numérique) : Nombre d’abonnement(s) : Parrainage : Nom : Prénom : Adresse d’abonnement: Rue et n°: Localité : Code postal : Pays :


Collaborateurs de ce numéro d’Hiver 2010-2011 Loïc Marchand, est né en 1967 et est professeur de lettres en Bretagne. A publié un essai narratif consacré aux traductions des textes de Lewis Carroll dans les pages d’Alambic (n°2, automne 1992), et beaucoup plus récemment deux nouvelles dans la revue Dissonances (n°17, hiver 2009 & n°18, été 2010). Thomas Vinau est né en 1978. Il vit au pied du Luberon avec sa petite famille. Cultive les miettes. Derniers titres parus en 2010 : Le noir dedans édition Cousu main, Tenir tête à l’orage éditions N&B, Fuyard debout édition Gros textes. À suivre sur etc-iste.blogspot.com Jean Bourgeois, est né en 1954, vit à Angers. Dépose plus ou moins régulièrement textes et images sur Souriredureste.blogspot.com Arnaud Delcorte est Professeur à l’Université de Louvain et aux Facultés Universitaires St Louis à Bruxelles. Il a publié deux recueils de poèmes. Il a participé au collectif « Poètes pour Haïti » à paraître à L’Harmattan. Claudine Tondreau est romancière belge, née en 1949. Elle a vécu de nombreuses années en Afrique et réside en Hesbaye. Auteur de romans « Paspalum », « L’œil du crocodile » Editions Le Cri. Elle anime des ateliers d’écriture à Bruxelles et Paris (Aleph écriture). Elle adore le réalisme magique dans tous les domaines de l’existence. Véronique Daine, poétesse belge, est née en 1964. Elle vit et enseigne dans le sud de la Belgique. Elle a publié plusieurs recueils de poésie aux éditions l’Arbre à parole et l’Herbe qui tremble. Stéphane Méliade, écrivain français, né en 1964 auteur d’une douzaine de livres jeunesse. Écrit en poésie (publié sur des revues en ligne principalement) et des nouvelles (publication dans « Nouvelle Donne ») anime aussi des ateliers d’écritures interscolaires. http://stephane.meliade. over-blog.fr/ Mathieu Rivat, auteur français, 29 ans, né à Aix-en-Provence, travaille à Paris après avoir beaucoup voyagé, notamment en Amérique Latine (Chili et Bolivie). A parcouru aussi l’Équateur et l’Argentine et écrit depuis peu pour des revues. Nourrit un goût tout particulier pour la littérature latino, Bolano et autres. Camille Phillibert-Rossignol, auteure française, nouvelliste et créatrice du fanzine graphique punk toi et moi pour toujours. Nouvelles publiées dans Des mois et des mots, Et leur musique jusque tard. Contributions dans la revue l’angoisse. Expositions: avatars à l’Elac, vertiges, roman interactif sur minitel aux immatériaux à Beaubourg. Exposition méliXmélo galerie Madé, vidéo et poèmes. Performance texte et danse, spectacle Brèves Urbaines à Micadance 2009. Participe à des ateliers d’écriture. http://camillephi.blogspot.com Philippe Leuckx, poète et critique littéraire et cinématographique belge, né en 1955. Il a publié une trentaine de recueils dont, entre autres “Une espèce de tourment?”, “Touché cœur”, “Sans l’armure des larmes”, “Rome rumeurs nomades”, “Selon le fleuve et la lumière” et des monographies consacrées à des poètes belges. Michel Brosseau, né en 1966, à Cholet. Enseigne à Orléans. Thèse de doctorat consacrée au Sens chez le héros romanesque célinien. A publié un récit aux éditions Publie.net, Mannish Boy, ainsi que deux polars aux éditions du Barbu. Participation régulière aux revues de création numérique D’ici là, et Chos’e. Présentation de ses chantiers d’écriture sur le site « à chat perché ». http://www.àchatperché.net/ Sylvie Durbec, écrivain, poète, traductrice française. Publiée depuis plus d’une dizaine d’années (Grandir, Fayard, Dumerchez, GramontRitter, Cousu main etc.… et traduite en italien, Fughe, aux éditions Joker) en littérature jeunesse et adulte. A reçu en octobre 2008 le prix Jean Follain pour un texte publié en 2009 chez l’éditeur Jacques Brémond, Marseille, éclats et quartiers. Anime depuis 2008 la Petite Librairie des Champs à Boulbon : http://lapetitelibrairiedeschamps.blogspot.com François Teyssandier, né en 1944 est français. Comédien, puis enseignant. A publié 3 pièces de théâtre et 2 recueils de poèmes (dont Livres du songe aux éd. Belfond). A publié des nouvelles dans Nota Bene, Roman, Brèves, Moebius, Rue Saint Ambroise, et des poèmes dans une vingtaine de revues en France et en Belgique. Vit à Paris et se consacre aujourd’hui entièrement à l’écriture. Cathy Garcia, née en 1970, poète, artiste interdisciplinaire, revuiste française (Nouveaux Délits, créée en 2003), vit à St Cirq-Lapopie (Lot). Dernières publications : Eskhatiaï (Ed de l’Atlantique), Etats du Big Bang, Ed. Nouveaux Délits, Trans(e)création ou l’art de sabrer le poulpe et la pulpe, Ed. Dlc. Ses blogs : http://delitdepoesie.hautetfort.com/ - http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com/ Photos http://imagesducausse.hautetfort.com/ Revue Nouveaux délits : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/ Denis Heudré est né en 1963, français, il participe à la rédaction de biographies de poètes bretons dans l’encyclopédie libre sur internet Wikipé-

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dia. Il a créé le site “Tout Rennes en Poésie”. Publie ses poèmes dans de nombreuses revues telles “La Page Blanche”, “Nouveaux délits”, “Microbe”, “Mots à Maux”, “Le Moulin de Poésie”, “Soleils et Cendre”, “Point Barre”, “Littérales”, “Les carnets d’Eucharis”. http://dheudre.over-blog.com. Ghislaine Leloup, est née le 1er février 1956. Enfance en Normandie près d’Omaha Beach. Vit à Paris. Études de littérature à Paris IIISorbonne. Travaille depuis 1983 dans le milieu artistique et culturel. Engagée dans le tissu associatif, elle est aussi rédactrice dans une revue humanitaire. Membre du P.E.N. Club France. ghyslaine-leloup2@orange.fr Louis Raoul, est un poète français né en 1953 à Paris. Il a publié plus d’une dizaine de recueils chez Encres Vives, Traces, Bartavelle, L’Harmattan, Opales /Pleine Page, Le Manuscrit, N&B/Pleine Page, Clapàs, Chloé des Lys et Ex Aequo. Eric Dubois, né en 1966 à Paris. Auteur, lecteur-récitant et performeur avec l’association Hélices et le Club-Poésie de Champigny sur Marne. Auteur de plusieurs recueils aux éditions Encres Vives, « Estuaires » (2006) aux éditions Hélices, « C’est encore l’hiver » aux éditions Publie.net, « Le canal », « Récurrences » (2004), « Acrylic blues »(2002) aux éditions Le Manuscrit, entre autres. Participations à de nombreuses revues, Responsable de la revue de poésie « Le Capital des Mots ». http://www.ericdubois.fr / http://ericdubois.over-blog.fr / http://le-capital-des-mots. over-blog.fr Juliette Zara, née en 1973 à Paris et vit depuis l’automne 2009 en Bretagne avec sa famille. Elle s’exerce sur le métier et tisse ses jours de mots qu’elle donne à lire sur son blog Enfantissages. http://enfantissages.free.fr/ Ile Eniger, Poète et romancière, vivant dans un minuscule village de l’arrière-pays niçois, entre le feu et la glace. A publié une vingtaine de recueils ou de romans aux éditions Alternatives et Culture, Corporandi, Cosmophonie, Chemins de plume, Collodion, La Libre Feuille, Amapola. Partage son temps entre revues littéraires et poétiques, participation Abrégé d’Histoire Littéraire Français/Roumain, lectures publiques, conférences, cafés littéraires, salons du Livre, ateliers d’écriture et spectacles poétiques avec la Cie La Dégaine Rêve. http://un-violon-sur-la-mer. over-blog.com Loyan (Laurent Campagnolle), né le 23 janvier 1970, à Orthez (Béarn, Pyrénées-Atlantiques), vit à Rouen. Poète, éditeur (Fondateur en 2000 des éditions d’Aldébaran) et photographe, il a publié quatre recueils notamment aux éditions Clarisse. Il expose aussi ses photographies. www.loyan.fr Dominique Sorrente, né à Nevers en 1953. Professeur en culture et sciences humaines, il vit à Marseille. Une vingtaine de livres jalonnent son parcours dont Pays sous les continents, un itinéraire poétique (1978-2008), éditions MLD. Tour à tour, Prix G.L.M, A. Artaud, L. Guillaume, L. Bérimont. Il contribue à de nombreuses revues françaises et internationales. Une exposition rétrospective lui a été consacrée à la Fondation Saint-John Perse en 1999, année où il fonde le groupe du Scriptorium, ancré dans le port du vallon des Auffes à Marseille. http://www.scriptorium-marseille.fr Michèle Dujardin est née à Marseille. Elle a publié en 2007 aux Éditions du Seuil un récit poétique : Abadon. http://abadon.fr/ Sébastien Ecorce, poète, né le 21 juin 1972 en région parisienne. Enseignant chercheur en Philosophie politique, éthique à Science Po Paris et à l’université Denis Diderot Paris VII. Publications dans le cadre d’ouvrages bibliophiles, livres d’arts, autour de peintres : Benrath, Duvillier, Dado ; dans des revues numériques : Sitaudis.com et Liminaire. Série “ Canto “ diffusée pour la première fois en Mai 2010 sur France Musique dans l’émission de Véronique Sauger, Contes du jour et de la nuit. Xavier Lainé, né en 1956 ; kinésithérapeute, praticien Feldenkrais, chanteur, écrivain, il vit à Manosque, France. Depuis 1989, il participe régulièrement à la revue Filigranes. En 1997, il crée “L’Itinéraire des poètes”, à Manosque, puis la revue “22 Rue du poète” qui deviendra “22 (Montée) des poètes”. A publié, en septembre 2009, « La mille et unième nuit, c’était hier », aux éditions L’Harmattan. http://www.atelierdupoete.unblog.fr/ Roland Dauxois, peintre et auteur français vivant à Lyon, auteur de recueils dont le dernier L’UNIQUE VEINE est paru aux éditions le Vampire Actif en 2007. Participe à des expositions collectives et individuelles de peinture. Fait des lectures publiques, sur des scènes slam et à la radio. Nombreuses publications en revues. http://www.flickr.com/photos/rolanddauxois/ et http://rolanddauxois.blogspot.com/ Zur (Nicolas (Zur)strassen) poète belge, philosophe, a publié un recueil, Néganthropiques- dits/fractions de bipèdes, aux éd.MaelstrÖm réévolution, a écrit de nombreux articles dans des revues “poélitiques”. http://intercession.over-blog.org/ Isabelle Guilloteau, française, habite en Bretagne, professeure de lettres en lycée, publiée dans la revue Dissonances (n° 16 et 17) dans la revue Chimères (n°70). Lauréate de concours de nouvelles celui des éditions Grimal en avril 2009 pour le texte “Annihilation” et celui du festival les Escales de Binic, en mars 2010, avec “Rendre l’âme à la mer”. Publiée dans un recueil collectif, “Si la vie est cadeau”, aux éditions Max Milo, en novembre 2010. Nathalie Riera est née en avril 1966, vit en Provence, auteur d’essai. La parole, derrière les verrous aux Editions de l’Amandier (2007), de recueils de poésie ClairVision aux Editions Publie.net et Puisque beauté il y a, éditions Lanskine (2010) d’articles critiques et notes de lectures


notamment dans la revue La Pensée de Midi/Actes Sud ou sur des sites consacrés à la poésie contemporaine et arts plastiques ainsi que revuiste avec la revue mensuelle numérique Les Carnets d’Eucharis qu’elle anime depuis mars 2008 http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com Brigitte Célerier est française et vit à Avignon. Elle tient un site « Paumée » où elle écrit prose et poésie et où elle chronique la vie culturelle de sa ville et les lieux numériques qu’elle parcourt assidûment. http://brigetoun.blogspot.com/ France Burghelle-Rey est française, professeur de lettres classiques, a publié dans une vingtaine de revues, écrit près de dix recueils et collabore avec le peintre Georges Badin pour des livres d’artistes. http://france.burghellerey.over-blog.com/ Marie Hercberg est une artiste peintre française qui vit à Roanne. Après l’obtention du diplôme des beaux-arts de l’école de Mâcon, a enseigné l’art plastique en cycle secondaire. Spécialisée dans l’art thérapie auprès de personnes déficientes mentales. Aujourd’hui, se consacre entièrement à son art. http://www.marieh-peinture.com Annik Reymond est née en 1958, vit et travaille en Haute-Savoie, diplômée de l’ESBA (HEAD) Genève. Enseignante d’arts plastiques, a travaillé comme graphiste et illustratrice. Expositions récentes : Allevard, Isère, sept. 10, collective. Galerie Arcade Chausse-Coq, Genève, nov. 10. Prévue : La Pinacothèque, Genève, oct. 11. http://annik-reymond.org Raphaële Colombi, plasticienne, née en 1963 à La Ciotat, française, habitant Paris. Allie photographie et peinture dans son travail. http:// rcolombi.free.fr/ http://in-errances.blog.lemonde.fr/ Nicolas Vasse, poète, peintre, photographe, né le 29 avril 1979, résidant près de Douai (59), France, présent sur facebook, ses blogs sont réunis sur la plate-forme netvibes : http://www.netvibes.com/nicolas-vasse#General Guidu Antonietti di Cinarca est né en 1950 à Ajaccio, Corsica. Il est architecte libéral à Aix-en-Provence. Il est aussi artiste plasticien et photographe. Ses photographies en noir et blanc : http://www.fotolog.com/dicinarca/ ses aquatintes : http://aquatintesenlignedeguidu.blogspot.com/ Solange Knopf, est une artiste belge, née a Ixelles (Bruxelles 1050) en 1957, vit et travaille à Bruxelles. http://solangeknopf.com Jean-Michel Deny, est un artiste peintre et auteur grenoblois. http://jm-deny.over-blog.com/ Patrick Packwood, est un poète québecquois, co-fondateur des soirées La Poésie du thé (Montréal, 2005). Ses poèmes sont publié sur le site Francopolis, dans les revues Steak Haché, L’Ascaris, Consigne et Alter texto, dans le recueil-souvenir de la journée Gilbert-Langevin 2003, ainsi que dans l’anthologie “Sur les récifs” des Publications Verlamer en 2004. “portraits paysages”, publié en 2006 par La Petite Fée, est son premier recueil de poèmes. Marianne Brunschwig est francaise, travaille et vit à paris, née en 1960. Spécialisée dans le genre de la Nouvelle, certaines sont publiées dans la revue “Rue Saint Ambroise”, d’autre ont paru dans les journaux des sans-abri comme “le Réverbère” ou le journal “Le Monde. Marianne fait partie du comité de lecture de la Revue “Rue Saint Ambroise”. Sabine Huynh est née en 1972 à Saïgon, elle a grandi à Lyon, puis vécu ailleurs. Poète, écrivain, traductrice littéraire, docteur en linguistique. Poèmes et nouvelles publiés en revues et anthologies depuis l’an 2000. Premier roman, La Mer et l’enfant, à paraître en France en 2011. Vit à Tel Aviv. https://sites.google.com/site/sabinehuynhspace/home Grégoire Philipidhis, photographe français, a été directeur artistique de presse et d’agences de publicités en 1979, en 1995 se consacre à la photographie de mode et de personnages. Il développe depuis 2002 un travail photographique personnel basé sur le portrait, qui est devenu aujourd’hui son activité principale (expositions à Paris, Pékin, Le Havre, Istanboul, Genève,…) www.philipidhis.com Clarisse Rebotier, photographe française, de 33 ans. Elle travaille à Paris et ses photos paraissent entre autres dans Le Figaro, Libération, La Croix, France Culture, Le Courrier de l’Atlas... distribuées par l’agence de Bayard Presse : http://www.photociric.com. Anastassia Elias est née en 1976 en Russie où elle a fait des études philologiques, puis journalistiques. Après s’être installée en France en 2001, elle se tourne vers l’illustration jeunesse avec différentes techniques : peinture, dessin et collage. Ce travail aboutit à deux publications, deux livres pour enfants : « Grand-mère arrose la lune » en 2006 et « Les yeux d’Yseut » en 2007. Parallèlement, elle participe à diverses expositions. Lionel-Edouard Martin est né dans la Vienne en 1956, poète et romancier, Lionel-Édouard Martin est à ce jour l’auteur d’une vingtaine de livres. Longs séjours à l’étranger. Vit et travaille en Martinique depuis 1998. Anne d’Huart est une plasticienne belge formée à l’Ecole des Arts de Braine-l’Alleud, elle se passionne pour des projets créatifs multiformes, de préférence hors des sentiers battus. Particulièrement intéressée par la lumière, elle explore actuellement de nouveaux chemins en photographie. http://www.flickr.com/photos/anne-minerve/ Jack Keguenne est un poète, romancier et essayiste belge né en 1957. Il a publié une vingtaine de livres dont, récemment, Notes sur l’amour, essai, Ordre d’apparaître, poèmes, et Presque blanc — notes sur la mer du Nord et la peinture d’Eric Fourez, essai (tous parus aux éd. aesth. en 2009). En parallèle, il a mené pendant 25 ans une carrière d’artiste plasticien traçant une écriture imaginaire nommée calligraphismes. Brahim Metiba est né en 1977 en Algérie, résidant en France depuis 10 ans et ayant la double nationalité Franco-Algérienne, est venu à la

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photo sur le tard. Inspiré par la photographie humaniste, après une première série dédiée à l’histoire de la solitude d’une femme, http://summilux. net/forums/viewtopic.php?p=416342#416342, il a réalisé une série de diptyques dont le but est de montrer la transversalité du sentiment et de l’esprit, indépendamment du sexe, origine ou âge de la personne qui les porte. Pierre Gaudu est un artiste peintre et photographe français né à Fécamp, autodidacte de formation, il vit actuellement à Grenoble où il s’adonne entièrement à son art, en vit depuis plusieurs années. Depuis 1975, il participe à de nombreuses expositions. Son site : http://pierre-gaudu.overblog.com/ Pascal Boulanger est français, né en 1957, bibliothécaire. Il publie des chroniques dans des revues, parmi lesquelles, “artpress” et “Europe”.Il est l’auteur d’une quinzaine de livres (poésie/critique) et notamment de : “Tacite” (Flammarion), “L’émotion L’émeute” (Tarabuste), “Fusées et paperoles” (L’Act Mem) et récemment “Un ciel ouvert en toute saison” (Le Corriddor bleu). Catherine Ysmal est née à Paris et est installée à Bruxelles depuis une quinzaine d’années. Philosophie, littérature et poésie construisent son univers ; elle se partage entre fiction et réalité, images et couleurs. Elle termine actuellement un roman. Textes parus dans la revue Dissonances en octobre 2010 et mai 2011. Raymond Alcovère, auteur français, né en 1956 à Montpellier où il vit et travaille, a 3 romans publiés à son actif : “Fugue baroque”, “Le sourire de Cézanne”, et “Le bonheur est un drôle de serpent”, un recueil de poésie : “L’aube a un goût de cerise” et une trentaine de nouvelles parues dans des revues, recueils et romans collectifs. http://raymondalcovere.hautetfort.com Jean-Marc La Frenière est un poète canadien, né au Québec, à Beloeil, en 1948. Habite depuis quinze ans à St-Ferdinand, dans la région des Bois-Francs. Il a publié six recueils de poésie dont le dernier «J’écris avec la terre», est sorti aux Éditions Chemins de Plume à Nice en 2010. Dolorès Polo est née à Santa Fe, après une enfance passée en Argentine, partage désormais son temps entre la France et l’Angleterre. Auteur d’une dizaine de courts romans et récits traduits en portugais et en anglais, contrebassiste. Les troubles politiques qui ont agité son pays ayant provoqué, dans les années 80, l’emprisonnement de plusieurs membres de sa famille et l’assassinat de son père, avocat, elle a fait le choix d’écrire exclusivement en français, langue que sa mère, d’origine charentaise, lui avait enseignée. Paolo Fabrizio Iacuzzi est né à Pistoia en 1961 ; il vit à Florence où il travaille pour une maison éditoriale. Poète, essayiste, critique littéraire, promoteur d’événements culturels, il est également directeur artistique du Prix littéraire national du Ceppo (Pistoia) et membre fondateur du Centre international Jorge Eielson et administrateur du Fonds Piero Bigongiari de la bibliothèque San Giorgio de Pistoia. Parmi les recueils de poésie publiés : Magnificat (Quaderni del Battello Ebbro,1996), Jacquerie (2000), Patricidio (2005) et Rosso degli affetti (2008) chez Nino Aragno Editore. Site web : www.paolofabrizioiacuzzi.it Maura del Serra est née à Pistoia en 1948. Elle enseigne la littérature comparée à l’Université de Florence. Poète, dramaturge, traductrice et critique littéraire , elle publie en 2006 chez Marsilio (Venise) L’opera del vento, qui regroupe, aux côtés de poèmes inédits, l’ensemble de son œuvre poétique de 1965 à 2005. En 1985, elle est lauréate du Prix littéraire du Ceppo. Son dernier recueil, Tentativi di certezza est paru en 2010 aux Éditions Marsilio. Angèle Paoli est née à Bastia en 1947. Après une carrière dans l’enseignement, elle se consacre à l’écriture et à la « revue littéraire, artistique & cap-corsaire » Terres de femmes qu’elle a créée en 2004 avec son mari Yves Thomas. Elle a publié en 2007 chez A Fior di Carta, (Barrettali Haute-Corse), Noir Écrin et Manfarinu, l’âne de Noël, aux éd. Les Aresquiers, À l’aplomb du mur blanc (2008) et Corps y es-tu ? (2009), Lalla ou le chant des sables, récit-poème (éd.Terres de femmes, 2008), Le Lion des Abruzzes, récit-poème (éd. Cousu Main, 2009) et Carnets de marche (Éd. du Petit Pois,Béziers, 2010). Martino Baldi est né à Pistoia en 1970. Bibliothécaire, docteur en littérature italienne contemporaine, il est organisateur de spectacles et d’événements culturels. Critique littéraire et cinématographique, il est également poète, ses écrits sont parus en ouvrages collectifs et revues. Il a publié en 2005 aux Éditions Atelier un recueil de poèmes intitulé Capitoli della commedia. Il est membre du jury du prix littéraire du Ceppo-Pistoia. André Ughetto est né en 1942 à l’Isle-sur-la-Sorgue. Poète, traducteur de poésie, critique littéraire, conférencier. Membre de la rédaction des revues Autre Sud et Les Archers à Marseille, collabore aux revues Sorgue (à l’Isle-sur-la-Sorgue) et Osiris (Old Deerfield, Massachusetts, USA). En poésie sont parus Qui saigne signe (SUD-Poésie, 1990) et Rues de la forêt belle, (éd. Le Taillis Pré, 2004) ainsi que la traduction, avec Philippe Jaccottet, de l’ouvrage de Piero Bigongiari, Les remparts de Pistoia (Éd. la Différence, 1992). Danièle Colin est originaire de Strasbourg, elle est documentaliste et pratique la photographie, le photomontage et la poésie sur son site http:// grain-de-sable.tsukinokeshi.over-blog.com/ Laurence Verrey est née à Lausanne en 1953. Elle vit à Morges en Suisse, où elle enseigne le français aux étrangers en voie d’intégration. Membre du jury du prix Schiller depuis 2008, elle a publié proses et recueils poétiques, dont Le Cantique du Feu (L’Aire 1986, prix Schiller 1987), D’Outre-Nuit (Éditions Empreintes,1993), Pour un Visage (L’Aire 2003), Vous nommerez le jour (éd. Samizdat 2005). Une brève


transe de cailloux (L’Aire, 2008). Son dernier recueil, Un seul geste est paru aux Éditions Empreintes en mai 2010. Site web : www.laurenceverrey.ch Olivier Bastide est né en 1962. Instituteur dans le Vaucluse, docteur es Lettres, il collabore avec la danseuse et chorégraphe Elena Berti. Parmi ses publications, figurent aux Solicendristes Certitude première (2001), L’Arpenteur (2002), BestiAire (2002), Le Matamore sous l’étoile (2008) ; Articles de ménage et de bazar (Polder 2002) ; chez Encres vives, Sédimentaires~Originaires (2003), Traverse (2005), Dans le ventre bleui du soufre, après le vent furieux, advint le jour (2010, collection Encres blanches) ; chez Klanba Éditions, Le Bouilleur de cru (2006). Kouki Rossi est née au Maroc en 1961 Elle vit actuellement en Vaucluse, livre régulièrement ses écrits sur son blog : Koukistories.blogspot.com Michel Gerbal est un poète et dramaturge français. Il consacre l’essentiel de sa vie à la composition d’une écriture longue - et de quelques autres poèmes. Son recueil Eldorado a obtenu le prix Val-de-Seine 2002. Mathieu Brosseau est un poète français né en 1977 à Lannion. Bibliothécaire, il vit en région parisienne. Il est membre des comités de rédaction des revues L’étrangère et Fusées. Il est l’auteur de nombreux recueils de poésie. Ses prochains livres à paraître sont “La Confusion de Faust” aux éditions Le Dernier Télégramme (mars 2011) et “Uns” aux éditions du Castor Astral (Juin 2011, préface de Jean-Luc Nancy). Alain Helissen est français, né en 1954. Il vit à Sarrebourg. Poète, chroniqueur dans plusieurs revues (dont Diérèse, Traversées et CCP) et sur quelques sites poétiques (Poézibao, Sitaudis, Libr’critique)), il dirige depuis 2000 la collection de poésie « Vents Contraires » chez VOIX éditions. Parmi ses dernières publications : « On joue tout seul » (Corps Puce, mars 2010), « Metz in Japan –digest- », livre boîte d’allumettes (VOIX éditions, 2010), « Passages », livre d’artiste réalisé avec le plasticien Max Partezana, tirage limité à 12 exemplaires, printemps 2010 et « Acanthes », livre d’artiste réalisé avec le collagiste Claude Ballaré (DROSERA, 2010) On peut consulter son blog pour en savoir plus : http:// alainhelissen.over-blog.com Thélyson Orélien est un poète francophone Haïtien. Il vit à Montréal. Il a débuté dans la chanson pour ensuite s’adonner à l’écriture poétique. Il a publié en collectif aux Éditions de l’Hèbe, en Suisse «Les couleurs de ma terre» qui lui a valu le Prix International Jeunes Auteurs -PIJA. Finaliste du Prix Arthur Rimbaud de la Fondation Emile Blémond pour «L’ombre qui colle à mes pas». On retrouve certains de ses textes dans plusieurs publications dont la «Nouvelle anthologie de la jeune poésie d’aujourd’hui» de la Maison de Poésie de Paris, dans «Le Persil» journal littéraire avant-gardiste de la Suisse romande, dans le collectif «Ancre des dattes» aux Éditions Page Ailée et dans l’Anthologie «Poètes pour Haïti» paru chez l’Harmattan.­Il étudie à la Faculté des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal. Sylvie Saliceti, née Ecuvillon, en 1966 à Saint-Julien en Genevois Sylvie-E. Saliceti vit à Marseille. Avocate, puis notaire, elle ne cesse d’écrire en parallèle, publiant dans quelques revues d’abord (La porte des poètes, Anthologies Flammes vives, Autre Sud…) jusqu’à ce qu’elle obtienne le premier prix poétique 2007 de l’Association Internationale des Belles Lettres. Depuis elle a publié un roman et des recueils de poésie dont son dernier recueil « Lettres Tibétaines » sortira aux éditions Flammes Vives. En mars 2009, elle a été honorée du Prix de l’Alliance Française de Genève. Florence Noël est une poète belge vivant dans le Brabant Wallon, née en 1973, a publié dans de nombreuses revues et anthologies, anime des ateliers d’écriture, fondatrice de Francopolis, actuellement revuiste de Diptyque. http://pantarei.hautetfort.com http://diptyque.wordpress.com

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Hiver 2010- 2011 Lumières intérieures

- revue littéraire et artistique semestrielle DiptYque #2

Sommaire Hiver 2010-2011 Edito : Florence Noël (1) Voix à la Une (3-17) De Toscane en Provence, Lumières d’un Jumelage au Scriptorium avec : Paolo Fabrizio Iaccuzi, Maura Del Serra, André Ughetto, Angèle Paoli, Martino Baldi, Laurence Verrey, Olivier Bastide et Dominique Sorrente. Nouvelles et récits de : Claudine Tondreau, Baptista des Caraïbes (20-23) Camille Philibert Rossignol, Or, la larme (27-30) Dolores Polo, Chambre sans miroir (89-90) Angèle Paoli, Mocajo (92-95) Marianne Brunschwig, À l’écran (114-115) Stéphane Méliade, Oncques ne vit visage plus ardent (117-120) Isabelle Guilloteau, Où la lumière pleut (124-126) Raymond Alcovère, - À Travers le corps (130-131) Jean Bourgeois - KaOs mais debout (132-133), Mathieu Rivat - Trace d’un flash (137-140) Anthologie poétique (37-87) des Lumières intérieures avec : Nathalie Riera, Loyan, Lionel Edouard-Martin, Ile Eniger, Louis Raoul, Eric Dubois, Brigitte Célerier, Thomas Vinau, Zur, François Teyssandier, Michel Brosseau, Michèle Dujardin, Véronique Daine, Patrick Packwood, Kouki Rossi, Jean-Marc La Frenière, Sabine Huynh, Pascal Boulanger, France

Burghelle-Rey, Roland Dauxois, Nicolas Vasse, Cathy Garcia, Sébastien Ecorce, Mathieu Brosseau, Juliette Zara, Arnaud Delcorte, Philippe Leuckx, Catherine Ysmal, Thélyson Orelien, Xavier Lainé, Jack Kéguenne, Denis Heudré, Alain Hélissen, Michel Gerbal Chroniques des Lumières intérieures et articles critiques de : Sylvie Durbec, Philippe Leuckx, Angèle Paoli, Sylvie Saliceti, Florence Noël Les Tentatives de critique de l’édition numérique de Brigitte Célerier (108-109) Un écho littéraire à Lynch par Loïc Marchand (112113) Un écho poétique de Florence Noël à une oeuvre de Pierre Gaudu (122-123) Une humeur de Xavier Lainé (134) Au gré des pages, oeuvres des artistes : Pierre Gaudu, Solange Knopf, Annik Reymond, Grégoire Philipidhis, Marie Hercberg, Raphaële Colombi, Anastassia Elias, Clarisse Rebotier, Guidu Antonietti Di Cinarca, Anne d’Huart, Jean-Michel Deny, Brahim Metiba, Jacques Vandenberg, Danièle Colin.

http://diptyque.wordpress.com/


Responsable Êditoriale : Florence NoÍl 11 Rue Bois des Fosses 1350 Enines Belgique ISSN : 2033-2939 Illustration de la première de couverture : Annik Reymond encre et lavis sur papier, 16 x 16 cm, mars 10

Les papiers utilisÊs pour la couverture et le corps de cet ouvrage sont certifiÊs FSC: ils sont issus de forêts gÊrÊes de manière durable et Êquitable.

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AchevÊ d’imprimer en juillet 2010 Sur presse offset numÊrique HP Indigo par l’Imprimerie Hengen s.à .r.l. – Luxembourg


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