Des Monuments et des Hommes

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À À Claude Degauquier, Marc Jeuniau, Thierry De Gyns et Joël Godaert qui, chacun à leur manière, m’ont communiqué leur passion du cyclisme et des classements. À mon épouse Bouchra, pour sa patience et ses conseils. À Valérie qui m’a réappris à économiser les mots.

Avenue du Château Jaco, 1 - 1410 Waterloo www.renaissancedulivre.be Renaissance du Livre @editionsrl Des Monuments et des Hommes Philippe Vandenbergh Couverture et maquette : Aplanos Corrections : Raymond Beduin Crédits photographiques : © Presse Sports (sauf page 51 : © Museo de la Madonna del Ghisallo (Italia) et pages 178, 179 et 205 : © Reporters) Imprimerie : V.D. (Temse, Belgique) ISBN : 978-2-507-05328-4 Dépôt légal : D /2016/12.763/33 © Renaissance du livre, 2016 Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.


Préface de Bernard Hinault Préface d’Eddy Merckx

L’histoire des cinq plus grandes classiques du cyclisme

P H I L I P P E VA N D E N B E R G H



« QUAND ON GAGNE, ON NE COMPTE PAS ! » Quoi qu’on ait dit ou écrit, j’ai toujours aimé la campagne des classiques. Mais à partir du 15 avril ! Avant, c’était trop tôt pour moi. Tout simplement parce qu’à partir de là, j’étais à bloc jusqu’à la Lombardie. Quand j’ai découvert Milan-San Remo en 1975, je l’ai aimée tout de suite mais je n’étais pas prêt, voilà tout. Sauf en 1981 quand j’avais le maillot de champion du monde sur les épaules ; je venais de gagner le Critérium international et je me sentais super bien. Une gamelle monstre sur la Riviera au passage d’un pont a bloqué la moitié du peloton qui comptait 300 gaillards. J’étais dans la mauvaise moitié : deux minutes de retard, tu oublies ! Pareil pour le Tour des Flandres. Trop tôt. Mais là, c’est vrai que j’aimais moins le contexte. Quand j’ai appris que l’on faisait payer les spectateurs dans certains monts, j’ai demandé à être payé aussi pour prendre le départ. C’est dire si, à mon époque, on n’était pas obsédé par cette idée du grand chelem. Et je puis vous assurer que Merckx et De Vlaeminck, qui ont gagné les cinq « Monuments », ne l’étaient pas davantage. Pas plus que Van Looy, le troisième à avoir réussi cette performance, qui était pourtant un coureur de classiques essentiellement.

Mais c’est vrai que tous ces champions prenaient aussi le départ pour s’imposer. Ce n’est pas demain la veille que ces vainqueurs trouveront des successeurs. Aujourd’hui, pour des raisons qui leur sont propres, les gars viennent pour des blocs de trois semaines, puis on ne les voit plus en course : ils sont en stage ou à l’entraînement. Eddy et moi, on détestait l’entraînement. C’est pourquoi il faisait beaucoup de piste en hiver et moi, je mettais le premier tiers de la saison pour atteindre ma condition optimale. Je n’ai jamais renié ce que j’ai dit sur Paris-Roubaix, même si je l’ai gagnée en 1981. Avec le recul, je continue de penser qu’il s’agit d’une course pour spécialistes et que beaucoup de coureurs qui préparaient le Tour de France ont laissé pas mal d’espoirs sur les pavés. Comme je n’en veux pas à la fameuse Doyenne de 1980 où les conditions climatiques hivernales étaient si terribles, où le froid était si intense que j'ai perdu la sensibilité à deux doigts. Quand on gagne, on ne compte pas !

B E R N A R D H I N A U LT



« CHAQUE COURSE EST UN MONUMENT » Pour moi, toutes les courses étaient, en quelque sorte, des « Monuments ». Je veux dire par là que, lorsque je prenais le départ, c’était pour tenter de gagner la course. Je ne choisissais pas mes cibles comme on le fait aujourd’hui. Je voulais être présent tout au long de l’année et, très franchement, mes 525 victoires sur route m’ont toutes fait plaisir, surtout celles qui ont été difficiles à décrocher. Maintenant, je ne vais pas nier que certaines courses – et donc, certaines victoires – ont eu plus de retentissement que d’autres, mais on ne construit pas une carrière en se disant qu’on va gagner uniquement les plus grandes. D’ailleurs, si j’ai gagné 19 de ce qu’on appelle aujourd’hui

les « Monuments », j’ai gagné en tout 31 grandes classiques et croyez bien que mes adversaires ne m’ont pas laissé faire. Dans une course d’un jour, et a fortiori dans un « Monument », les équipiers comptent beaucoup et je ne remercierai jamais assez les miens de m’avoir épaulé tout au long de ma carrière. Je vous invite à prendre la roue de l’auteur pour découvrir ou redécouvrir ces moments qui ont marqué l’histoire du cyclisme.

E DDY M E RCKX



PAS DE « MONUMENTS » SANS LES HOMMES Les événements sportifs d’envergure mondiale, nés au tournant des XIXe et XXe siècles, et qui se déroulent encore chaque année, se comptent sur les doigts d’une main. Comme les cinq « Monuments » du cyclisme : Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-BastogneLiège et le Tour de Lombardie qui se partagent cette appellation. Autres points communs : ils sont tous nés en Europe occidentale et ils se disputent plus ou moins à la même période du calendrier depuis leur naissance. Ce double ancrage a tissé le berceau du cyclisme mondial, comme une rivière creuse son lit, abreuvant les commentaires dithyrambiques et nourrissant les espoirs les plus fous. Même si aujourd’hui le palmarès se décline à l’échelle planétaire, rien ne vaut, aux yeux d’un coureur, une victoire dans un des « Monuments » du cyclisme dès lors que le Tour de France, et dans une mesure moindre, ceux d’Italie et d’Espagne, font partie d’une autre catégorie. Le terme « Monument » n’est d’ailleurs apparu que récemment, en 2010, au détour d’un communiqué de presse de l’Union Cycliste Internationale (UCI), mais les amateurs s’en étaient emparés il y a bien plus longtemps, tant il est vrai qu’en matière de cyclisme, la vox populi a souvent droit de cité. Ils ne sont que trois coureurs à avoir gagné les cinq «Monuments» et ils sont belges : Eddy Merckx (qui en gagna 19 en tout), Roger De Vlaeminck (11) et Rik

Van Looy (8). Mais peut-on pour autant oublier un Sean Kelly, un Hennie Kuiper, un Fred De Bruyne, un Louison Bobet ou un Germain Derycke qui échouèrent à une victoire du quintuplé ? Sans parler des Girardengo, Coppi, Bartali, Moser, Argentin, Petit-Breton, Poulidor, Fignon, Hinault, Cancellara, Boonen, Van Steenbergen, Gilbert ou Valverde, sans qui le cyclisme et ses classiques ne seraient pas ce qu’ils sont. À l’aube, déjà bien entamée, du XXIe siècle, et à une période où le cyclisme prête trop le flanc à des critiques pas toujours justifiées, il nous a semblé opportun de remonter le fil de cette histoire, de s’attarder sur la genèse de ces courses, sur les lieux mythiques qu’elles ont mis en évidence – du Poggio au Col de Ghisallo, en passant par la tranchée d’Arenberg, le Koppenberg ou La Redoute – et sur des hommes qui ont écrit leur légende dans la sueur, parfois dans le sang, en leur rendant un hommage appuyé, exhaustif, jamais publié jusqu’à présent. Pour la première fois, en effet, un livre donne ainsi le palmarès complet de chaque épreuve, des origines à nos jours, du premier au dernier coureur classé. Parce que ceux qui ont gravi ces « Monuments » avant de retomber quelquefois dans l’anonymat, méritaient qu’on les cite au moins une fois. Pour ne plus les oublier.

P H I L I P P E VA N D E N B E R G H


La Primavera En mars. Créée en 1907. En 2015, 106 éditions disputées depuis sa création. 50 victoires italiennes, 20 belges, 12 françaises, 6 allemandes, 5 espagnoles, 3 néerlandaises, 2 irlandaises, 2 suisses, 2 britanniques, 2 australiennes, 1 allemande et 1 norvégienne. Sept succès pour Eddy Merckx (1966, 1967, 1969, 1971, 1972, 1975 et 1976), 6 pour Girardengo, 4 pour Bartali et Zabel, 3 pour Coppi et De Vlaeminck. 293 km de Milan à San Remo, c’est la plus longue des cinq monuments. Un col. Cinq côtes. Le col de Turchino, la zone des capi (Mele, Cervo, Berta),

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la Cipressa, le Poggio, la Via Roma de San Remo.


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MILAN SAN REMO


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Liège–Bastogne–LIège


« Une loterie ? Vous en connaissez beaucoup qui gagnent 7 fois de suite le gros lot avec le même ticket ? »

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E DDY M E RCKX


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Voltri 7 m

PASSO DEL TURCHINO 532 m

Masone 397 m

CAMPO LIGURE 342 m

Rossiglione 288 m

Ovada 186 m

Capriata d’Orba 138 m

Novi Ligure 196 m

Pozzolo Formigaro 171 m

Tortona 121 m

Pontecurone 103 m

Voghera 97 m

Casteggio 89 m

Bressana Bottarone 65 m

Pavia 63 m

Certosa di Pavia 89 m

Binasco 104 m


LA GENÈSE

LA PREMIÈRE À DEVENIR LA CLASSICISSIMA et promet un beau récit dans les pages de la Gazzetta et sa bienveillance pour la suite. Les trois coureurs relèvent le défi, dans des conditions très difficiles, sans assistance, ni changement de vélo. Écrasés de fatigue après un effort quasi impensable, ils scellent le sort de ce qui allait devenir Milan–San Remo.

Gagner de guerre lasse

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POGGIO DI SANREMO 160 m

Arma di Taggia 5 m

Pompeiana 262 m

Riva Ligure 13 m

CIPRESSA 239 m

San Lorenzo al Mare 3 m

Encore faut-il lever les fonds pour que cet essai soit transformé en réalité tangible. Il y a bien des souscriptions publiques, le soutien de nombreux cyclo-clubs mais on parvient difficilement aux 700 lires de l’époque alors qu’une prime de 300 lires est promise au vainqueur. C’est alors que l’ingénieux Sghirla intervient. Il se tourne vers la France toute proche, fraîchement auréolée du succès de son Tour, né en 1903, et dont la réputation a largement dépassé les frontières. Fin février 1907, il a entendu dire que les coureurs Petit-Breton, Garrigou ou encore Trousselier prenaient leurs quartiers d’hiver sur la Côte d’Azur. Reste à les convaincre ! Malin, Lucien Petit-Breton, très solide espoir tricolore et détenteur du record de l’heure, exige d’être intégré à une équipe italienne pour prendre part à la course. Bianchi, le fabricant de cycles qui a déjà pignon sur rue – et pour longtemps encore – accepte. Si bien que l’on retrouve PetitBreton, Trousselier et Garrigou aux côtés de Giovanni Gerbi, le défricheur du Turchino, qui a plus d’un tour dans son sac à malices. Le dimanche 14 avril 1907, dans des conditions aussi dantesques que rocambolesques, Petit-Breton remporte cette première édition, au grand dam des tifosi. Costamagna et ses acolytes voulaient une course de guerriers. Ils l’ont eue. Mais il n’y a pas de guerre gagnée sans stratèges. Ils auront aussi une course d’usure, une course à part où tous les coups semblent permis : le monument Milan-San Remo est né.

Imperia P.to Maurizio 32 m

CAPO BERTA 130 m

CAPO CERVO 61 m

CAPO MELE 67 m

Alassio 11 m

Finale Ligure 9 m

Spotorno 6 m

Savona 13 m

Varazze 5 m

Arenzano 5 m

Voltri 7 m

Au caffé Rigolé, le début de la conversation n’a rien d’original. Le sujet principal reste l’envie d’accroître la renommée de San Remo au-delà

Albenga 9 m

Coup d’essai, coup de maître

CERIALE 8 m

La vie, Eugenio compte bien en profiter comme à chaque fois qu’il descend se reposer sur la Riviera dei Fiori dont il aime respirer les parfums subtils de jasmin et de roses, bien loin des fumées de l’industrieuse Milan. En ce soir du mois d’août 1906, il a rendezvous au caffé Rigolé, un de ces endroits chics de la cité balnéaire, très à la mode en cette frivole et enthousiasmante Belle Époque. Il doit y retrouver l’avocat Marcello Ameglio, l’ingénieur Stefano Sghirla et le banquier de renom, Giambattista Rubino, également président de l’union sportive sanremese. Eugenio Costamagna est loin de se douter que ces notables de San Remo veulent le convaincre de « couvrir » une course cycliste entre Milan et San Remo. Il est vrai que cela fait bien longtemps que la cité n’a pas fait la une de l’actualité sportive. On a bien essayé d’organiser une course à pied puis un rallye automobile mais ce furent à chaque fois des échecs cuisants tant les routes de la région sont impraticables.

des frontières italiennes. Il faut dire que le rocher de Monaco, pourtant distant de 50 km, a lui aussi son casino et bien d’autres charmes qui attirent les mondains du monde entier au détriment de la côte ligurienne, malgré les prix plus accessibles et la douceur de vivre de celle-ci. Eugenio écoute d’une oreille. Au fond de lui, il tient à son petit confort. Et il n’est pas le seul. L’autre soir, il est encore passé devant la superbe villa de style mauresque rachetée en 1891 par Alfred Nobel qui y mourra cinq ans plus tard. Pour lui, les bourgeois milanais cherchent le repos à San Remo, ce n’est pas plus mal comme cela. Quand les hommes ont fini de parler, il croit avaler son ristretto de travers. A-t-il bien entendu ? N’ont-ils pas le projet d’organiser une course cycliste entre Milan et San Remo ? Sur près de 300 km ? Attendez, dit-il en substance, pour votre rallye, il n’y a eu que deux autos sur trentetrois inscrites qui sont arrivées à Milan et vous voudriez faire réaliser cela en un jour par des cyclistes ? Impossible ! Il est vrai que l’état pitoyable des routes, la rudesse du climat au sortir d’un hiver qui joue les éternelles prolongations sur les reliefs et les 300 km à parcourir dans l’autre sens pour remonter sur Milan sont autant d’obstacles pour l’avènement d’une course cycliste. Qu’à cela ne tienne ! Pour convaincre le patron de la Gazzetta qu’ils savent amoureux du vélo, les trois hommes décident d’organiser un essai. Ils ont le parcours en tête : « descendre » par la plaine du Pô, passer par l’inévitable Turchino puis longer le littoral en allant chercher le Capo Mele, le Capo Cervo et le Capo Berta avant d’arriver dans le centre ville de San Remo. Du solide ! Ils font appel au premier vainqueur du Tour de Lombardie, le roublard « diable rouge » (en raison de la couleur de son maillot) Giovanni Gerbi. Il sera accompagné pour cette expérience un peu folle de Luigi Ganna et Carlo Galetti, respectivement 3e et 4e en Lombardie. Joueur, Costamagna est séduit

Pietra Ligure 7 m

Eugenio Camillo Costamagna est un homme occupé. Sa Gazzetta dello Sport se porte bien. Lancée en 1896 à l’occasion des nouveaux Jeux Olympiques, elle a trouvé un public et une identité. Son papier rose et son slogan « Tutto il rosa della vita » sont devenus incontournables.


Milan–San Remo DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

LES LIEUX MYTHIQUES

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Chaque année, quand le Printemps pointe à l’agenda du cyclisme mondial, tous les regards se tournent vers la Riviera dei fiori entre Cervo, à l’ouest de Gênes, et Vintimille, à la frontière franco-italienne, connue pour ses serres scintillant au soleil sur les flancs d’une terre qui s’abandonne à la mer.

Certes, le calendrier sportif a déjà bien frémi avec l’Étoile de Bessèges dans le Gard ou avec le circuit Het Nieuwsblad à Gand sans oublier le Trofeo Laigueglia sur la côte ligurienne mais, aux yeux de l’amateur affamé de la petite reine, rien ne vaut, le seul, l’unique, le vrai Milan-San Remo. Déjà il se réjouit de revoir les lieux mythiques de celle qu’on appelle aussi La Primavera : le Passo del Turchino, les Capi dont La Cipressa, le Poggio et la via Roma qui ont forgé la réputation de la course dans la mémoire collective.

Le Turchino, le passo obligé En italien, Turchino signifie bleu foncé. Mais où est le bleu de ce petit col ingrat ? Ses 588 mètres et ses pentes à 4,5 % de moyenne sur 20 km d’ascension ne lui permettent même pas de tutoyer le bleu du ciel tellement il a la réputation d’être souvent plongé dans le brouillard. C’est tout simplement la pierre bleue qui entre dans la fabrication du verre présente sur le site depuis le XIIIe siècle qui lui a donné son nom. Le Passo (tunnel) est creusé en 1872 et supplante rapidement l’ancienne route médiévale de la Canellona. Long de 180 m, il a pris, au fil du temps, sans doute à cause de son aspect un peu lugubre et de sa chaussée très étroite, une importance stratégique dans la course. Présent sur le parcours de Milan-San Remo depuis la première édition en 1907 (à l’exception des années 2000 et 2001, en raison de travaux), le Passo del Turchino se trouve en effet à un point charnière et donc névralgique. Le Turchino est le passage, quasi obligé, entre deux mondes : « de l’univers laborieux

Le passage du Turchino reste un moment-clé de la course, comme ici en 1955. Malheur à celui qui reste à l’arrière.


RASER LE TURCHINO ?

à la Zola de l’arrière-pays génois à la promesse d’une vie meilleure », comme l’écrit si bien le journaliste Philippe Brunel1. De la plaine du Pô où l’on s’attend à trouver Pepone ou Don Camillo au détour d’un virage, on plonge brutalement sur la mer bordée par Gênes et la Rivieria dei fiori pour filer vers la France et sa Côte d’Azur par San Remo où le soleil couchant attend depuis des lustres les voyageurs fatigués. Certes, progressivement, le Turchino a perdu son caractère sélectif car situé bien trop loin de l’arrivée (140 km) et adouci par les améliorations du revêtement qui favorisent la circulation des voitures et chassent les chèvres. Mais le peloton sait depuis toujours que ses favoris doivent se trouver en tête à son passage sous peine de devoir abandonner déjà toute prétention à la victoire finale. Dans le premier tiers de l’existence, désormais plus que centenaire, de La Primavera, le Turchino s’est érigé en « Juge de Paix », comme on dit dans le jargon : sur 14 des 39 premières éditions, le premier au sommet est le vainqueur de la course. Et entre 1917 et 1921, ce fut à chaque fois le cas.

Des exploits de légende ont été imprimés à jamais dans ses flancs, comme le calvaire physique d’Eugène Christophe transi de froid en 1910, la longue attaque en solitaire de Girardengo en 1918 (200 km !) ou la chevauchée fantastique de Coppi en 1946, redonnant ainsi un campionissimo à une Italie meurtrie par la guerre.

Un capo, des capi En Italie, plusieurs promontoires qui s’avancent dans la mer en courbant le dos ont reçu le nom de capo. Depuis la première édition, le tracé de Milan-San Remo comprend la zone des capi. Une trilogie historique avec, dans l’ordre, le capo Mele, le capo Cervo et le capo Berta auxquels est venue s’ajouter en 1982 la Cipressa. D’après Sir Robert Dudley, explorateur et sujet de sa gracieuse majesté Elisabeth 1re à la fin du XVIe siècle, c’est à la hauteur du capo Mele que commence la Mer Méditerranée. Pour un coureur, il sert surtout de repère tant géographique que psychologique : il sait que, s’il est premier au passage d’un capo, il a encore de fortes chances de gagner.

Rien de bien méchant en vérité que ces capi en termes de longueur et de dénivelé mais leur succession, alors que l’on est de 62 à 32 km de l’arrivée, attise les tensions et use les patins de freins ainsi que les organismes. Ajoutée en 1982, la Cipressa, par sa longueur (5,5 km) et sa position stratégique après les trois premiers capi, et avant le légendaire Poggio, opère toujours une sérieuse sélection même si, au fil de ces dernières années, la puissance des coureurs surentraînés et leur appétit en début de saison font que ces capi sont avalés comme de simples hors-d’œuvres. C’est pourquoi, depuis au moins une dizaine d’années, les organisateurs cherchent à corser encore le parcours au grand dam des sprinteurs et des puristes; les premiers estimant qu’on devrait bien leur laisser une course et les seconds revendiquant l’intangibilité du tracé qui participe à son statut de classique. C’est ainsi que le col de La Manie est introduit en 2008. Situé avant la zone des Capi (à une centaine de km de l’arrivée, entre Savone et Albenga), et comprenant une descente aussi technique que

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En 1978, au cours de l’émission télévisée italienne Portobello animée par Enzo Tortora, Piero Diacono, un conducteur de tram milanais, propose très sérieusement d’aplanir le Turchino pour améliorer la circulation de l’air et ainsi chasser le brouillard qui se forme régulièrement à son sommet avant d’envahir la plaine et l’arrière-pays génois. La séquence est toujours visible sur YouTube (Demolire il Turchino) et vaut son pesant de rigolade. Pourtant la chose est prise très au sérieux par d’illustres météorologistes qui lancent un débat majeur, amplifié par les médias, sur la circulation de l’air marin. Il est vrai que l’ancien tunnel avait été remplacé en 1977 par l’autoroute A 26 en contrebas et ne servait plus qu’au trafic local. Finalement, on ne toucha pas au tunnel et la course y passe encore aujourd’hui.


Milan–San Remo DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

50 000 ¤ DE PRIX

Milan-San Remo distribue aujourd’hui 50 000 € : 20 000 € au vainqueur, 10 000 € au 2e, 5 000 € au 3e, 2 500 € au 4e, 2 000 € au 5e, 1 500 € pour le 6e et le 7e, 1 000 € pour le 8e et le 9e et 500 € du 10e au 20e. Rappelons que dans le peloton, les primes et les prix sont très souvent partagés entre tous les équipiers d’une même équipe.

particulièrement dangereuse, il est retiré en 2014. Les organisateurs pensent le remplacer par la Pompeiana, une jolie bosse de 5 km à une moyenne de 5% de déclivité et des passages à 14%, idéalement située entre la Cipressa et le Poggio. Les baroudeurs comme Gilbert applaudissent des deux mains, là où les sprinteurs tels Cavendish poussent des hauts cris. Des éboulements survenus lors de l’hiver 2013-2014 ramènent tout le monde à une certaine raison. Une grande majorité se réjouit même de voir la rivière Milan-San Remo regagner son lit douillet. Une classique reste une classique.

Le Poggio di Eddy Merckx

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Quand on quitte la route du littoral désormais méditerranéen, et non plus ligurien, pour obliquer subitement sur la droite dans la direction de San Remo, on a le cœur qui fait un bond dans la poitrine et la tête, un saut dans la mémoire. C’est ici, sur cette pente qui monte mollement vers un hameau loti entre serres et vignes que, depuis 1960, de nombreux espoirs de victoire sont nés avant d’être irrémédiablement déçus. Car ici, il y a beaucoup d’appelés et un seul élu. « Celui qui parvient à mettre dix mètres dans la vue des autres au sommet du Poggio est sûr de gagner, à condition bien sûr de faire une descente impeccable », affirme Eddy Merckx, orfèvre en la matière avec ses sept

Eddy Merckx a toujours mis le Poggio à profit pour élaborer ses sept victoires, que ce soit dans le sens de la montée (ici, en 1972, devant André Dierickx) ou de la descente.

victoires et l’un des rares, sinon le seul, à avoir pu déjouer à ce point les sortilèges du Poggio (« monticule » en italien). La descente est en fait bien plus stratégique que la montée. Cette dernière est un long sprint d’un peu moins de 3 km avec une petite pause sur le léger faux plat du sanctuaire della Guardia dont la vue, sur la mer et les grands pétroliers qui croisent au large, est imprenable. Il faut être dans les deux ou trois premiers à basculer sur la gauche, dans un virage serré qui a rendu célèbre au fil des éditions une bien anonyme cabine téléphonique, pour espérer conserver ses chances de victoire. La descente n’est pas vertigineuse comme dans un col alpin mais très technique avec ses 23 virages dont 7 épingles bordées par des murets que plus d’un coureur a effleurés dangeureusement. Milan-San Remo peut se gagner dans la descente du Poggio après une course d’usure de près de 300 km pendant laquelle il ne faut commettre aucune erreur. Mais pas seulement. La montée est aussi le théâtre d’attaques qui s’avèrent décisives, donnant à ce lieu mythique ses lettres de noblesse. À condition, bien sûr, que l’arrivée se juge sur la via Roma, plus proche du pied du Poggio que les autres sites d’arrivée, comme c’est à nouveau le cas depuis l’édition 2015. Le Poggio retrouve ainsi toute son acuité. Va bene cosi.

Un retour aux sources avec la Via Roma Eddy Merckx parle rarement pour ne rien dire. Le 17 juin 2015, quand la presse lui rend un hommage appuyé à l’occasion de ses 70 ans, le septuple vainqueur de Milan-San Remo livre un petit secret en remerciant « le faux plat de la via Roma ». Il nous avait déjà appris que, si un coureur possède 10 mètres d’avance au sommet du Poggio et qu’il fait une descente impeccable, il a de grandes chances de remporter la course. Mais personne n’avait encore entendu parler de ce faux plat. Parce que personne ne va plus sur le terrain. Parce que tout se fait en voiture ou via des reconnaissances virtuelles sur internet. Juché sur un vélo, on éprouve évidemment une sensation différente, d’autant qu’un faux plat est rarement perceptible à l’œil nu. À ce moment-là, c’est vrai qu’une dent de plus, poussée par une puissance de taureau, peut faire la différence. En épluchant toutes les arrivées depuis 1966 – première victoire d’Eddy Merckx – on constate que, très souvent, le cas de figure « des dix mètres d’avance au sommet » s’est vérifié. À quelques variantes près, bien sûr. Notamment pour les arrivées en solitaire ou légèrement détaché. C’est alors le critère de la distance entre le pied du Poggio et la ligne


MOZART AU SECOURS DE BUGNO

de lèse-majesté cycliste, décident de déplacer la course du samedi au dimanche pour ne pas déranger le shopping de la fin de semaine. Mal leur en prend. Non seulement ce n’est pas un Italien qui triomphe face à la puissance du finisseur allemand Gerald Ciolek, mais, en plus, le temps est tellement exécrable que la course est interrompue et que les grands favoris refusent de descendre de leur bus, tronquant ainsi complètement la fin de cette édition 2013. On ne badine pas avec les traditions dans cette région du globe cycliste, comme dans d’autres. Les organisateurs, tout en gardant l’arrivée le dimanche, reviennent à de meilleurs sentiments et donc à une arrivée sur la via Roma en 2015. C’est quand même un sprinteur, l’Allemand John Degenkolb, qui gagne. Comme c’est d’ailleurs le cas depuis ces vingt dernières années.

1. Ph. Brunel, Belles d’un Jour, collectif, S.N.C. L’Équipe, Paris, 2007.

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Gianni Bugno, l’élégant champion italien, est connu pour être un piètre descendeur depuis une terrible chute dans le Giro 1988. Pourtant, ce 7 mars 1990, il fait la descente de sa vie et conserve à l’arrivée les quatre secondes prises sur l’Allemand Rolf Gölz, au sommet du Poggio. Il remporte ainsi Milan-San Remo, six ans après la dernière victoire italienne de Francesco Moser, s’octroyant, en prime, le record de vitesse de la course qui tient toujours : 45,806 km/h. Comment a-t-il pu réaliser cet exploit ? Grâce à Mozart ! Gianni Bugno a en effet suivi une thérapie à base des notes uniques et si légères du grand compositeur, au point de lui enlever la peur qui le paralysait. Si non è vero, è ben trovato.

d’arrivée qui intervient : moins de 2,5 km si on arrive sur la via Roma comme pour la majeure partie des éditions – sauf entre 2007 et 2014 – et 4,5 à 6 km si l’arrivée se fait sur le Corso Ligure Italo Calvino. Soit le laps de temps et le nombre de mètres nécessaires aux sprinteurs pour revenir du diable Vauvert. L’abandon, finalement provisoire, de la via Roma et de sa fameuse fontaine, lieu emblématique de l’arrivée depuis des temps immémoriaux, est tout simplement dû à une bouderie commerçante. Les magasins ont déjà subi des désagréments pendant la transformation en piétonnier des voiries du centre, dont la célèbre via. Alors, en 2008, c’est un no catégorique à l’arrivée sur la via Roma – qui plus est, un samedi – à peine contesté par des organisateurs qui semblent préférer le Corso Calvino. Avec la secrète perspective de voir les sprinteurs italiens Petacchi ou Pozzato rééditer leur victoire de 2005 et 2006 ? En 2013, et toujours sous la poussée des commerçants, les organisateurs, frisant le crime

L’arrivée de l’édition 2015 (1. Degenkolb, 2. Kristoff, 3. Matthews, 4. Sagan, 5. Bonifazio) montre bien le léger faux-plat de la Via Roma.


Liège–Bastogne–LIège DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

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Les conditions climatiques sont souvent très changeantes sur la Primavera. Celles de l’édition de 2013 resteront dans les annales tant elles furent épouvantables.


« Une loterie ? Vous en connaissez beaucoup qui gagne 7 fois de suite le gros lot avec le même ticket ? »

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Eddy Merckx


Le Ronde En avril. Créée en 1913. En 2015, 99 éditions ont été disputées depuis sa création. 68 victoires belges, 10 italiennes, 9 néerlandaises, 4 suisses, 3 françaises, 2 allemandes, 1 britannique, 1 danoise et 1 norvégienne. Six coureurs ont remporté trois fois l’épreuve : l’Italien Fiorenzo Magni, les Belges Achiel Buysse, Eric Leman, Johan Museeuw et Tom Boonen et le Suisse Fabian Cancellara. Depuis 2011, 255,9 km de Bruges à Audenarde dont 18 côtes appelées « bergs » et 7 tronçons pavés. Le Koppenberg, le Mur de Grammont,

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le Vieux Quaremont et le Paterberg.


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LE TOUR DES FLANDRES


56 DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Liège–Bastogne–LIège


« Le Tour des Flandres est une des courses les plus horribles à courir mais une des plus grandes à gagner. » 57

S E A N K E L LY


LA GENÈSE

LE RONDE, C’EST AUSSI LA FRONDE DU PEUPLE FLAMAND ses camarades travaillent la terre depuis leurs 12 ans et souvent même bien avant. Karel enchaîne ensuite une série de petits boulots et c’est un peu contraint et forcé qu’à 17 ans, il entre comme clerc chez un notaire à Torhout. C’est à cette même époque que sa passion du vélo se développe. Il est fasciné par les courses sur le vélodrome d’Ostende. Des courses frénétiques et dangereuses mais dont le public raffole. Karel rêve d’y participer, d’imiter les coureurs et il achète son premier vélo de course. Entre 1902 et 1905, il commence une carrière cycliste professionnelle mais il reconnaît volontiers son manque de talent qui ne peut lui faire espérer autre chose que « recevoir ce qui reste quand les prix sont distribués ».

Carolus Ludovicus Steyaert voit le jour le 16 novembre 1882 à Torhout, alors une simple bourgade à deux pas de la mer du Nord. Son père y tient une auberge, pompeusement appelée « Le duc de Wellington » en hommage à celui qui, au début de ce siècle, vainquit Napoléon à Waterloo. Karel – son prénom en flamand – issu d’une famille très nombreuse, grandit dans la montée du Mouvement Flamand pour lequel il prendra fait et cause bien des années plus tard. Le décès prématuré de son père à 38 ans et le remariage de sa mère avec un agriculteur, un an et demi plus tard, conduisent toute la famille dans un hameau proche du château de Wijnendaele. À cette époque, les tâches sont inégalement réparties entre l’école et le travail dans les champs. Un site consacré à Karel rappelle que le curé du village décèle chez celui-ci une prédisposition pour les études et convainc sa mère de le laisser étudier jusqu’à sa quatorzième année alors que la plupart de

Une promo pour la presse

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Zwalm

Oudenaarde

Maarkedal Oudenaarde Maarkedal Oudenaarde

Maarkedal

Kluisbergen

Wortegem-Petegem

Oudenaarde

Kruishoutem

Zingem

Kruishoutem

Zulte

Dentergem

Deinze Dentergem

Tielt Pittem

Ardooie

Roeselare

Hooglede

Kortemark

Torhout

Brugge Zedelgem

Oostkamp

Brugge

Ronse

Son amour du vélo s’accompagne également d’un goût pour la littérature et la communication.

Kluisbergen

Rarement une course cycliste peut autant s’identifier à un combat social, voire politique. Né pour émanciper l’ouvrier flamand des brimades bourgeoises et communautaires, le Tour des Flandres est devenu aujourd’hui l’âme et le symbole de tout un peuple.


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Avelgem Wortegem – Petergem Oudenaarde

Kluisbergen

Ronse

Ronse

Kluisbergen

Ronse

1. P. Cossins, The Grit and the Glory of Cycling’s Greatest One-Day Races, Londres, Bloomsbury Publishing, 2014.

Oudenaarde

La mise en place du parcours se fait en moins de trois mois mais Van Den Haute rencontre des difficultés. Les villes de Lokeren et d’Audenarde refusent le passage ou exigent que la course soit neutralisée pour la traversée de leur territoire. Van Wijnendaele choisit la date du 25 mai 1913 pour le premier Tour des Flandres, et ce n’est pas un hasard. Pas davantage que les lieux de départ et d’arrivée. En effet, un mois plus tôt, l’Exposition universelle et internationale de Gand a été inaugurée dans les beaux et nouveaux quartiers. La bourgeoisie y étale les fruits de sa révolution industrielle. Une élite francophone qui, de l’industrie à l’armée, dirige tout et opprime le peuple flamand, en tout cas aux yeux des militants flamingants, dont Van Wijnendaele, est une des figures de proue. Karel décide de prendre le contrepied de l’Exposition

en choisissant le quartier commerçant du Korenmarkt pour le départ du premier Tour des Flandres. Chacun chez soi. Le parcours inaugural n’intègre pas encore les « monts » des Ardennes flamandes qui ne sont même pas visitées. Le tracé est donc rigoureusement plat mais long. Très long. Et inévitablement exposé au vent venant de la mer du Nord. L’itinéraire tourne en traversant les grandes villes des deux Flandres : Gand, Saint-Nicolas, Courtrai, Furnes, Ostende, Torhout, Roulers et Bruges pour se terminer sur le vélodrome de Gand-Mariakerke, théâtre fréquent de réjouissances populaires. Trois cent vingt-quatre kilomètres de prétendues « routes » recouvertes d’énormes pavés qui ressemblent à des chapeaux melons ou, pire, à des chapeaux de curés, très souvent disposés horizontalement de manière à écouler les pluies mais qui ne sont certainement pas propices à recevoir les roues des vélos. L’appel de l’organisateur n’est pas (encore) un très grand succès. Les coureurs ne sont que 55 à s’inscrire et seulement 37 au départ. Tous Belges. Flamands dans leur grande majorité. À six heures et quart du matin, Van Wijndendaele lance le fameux « Messieurs, partez ! » qu’il répétera de longues années encore. Sur les 16 coureurs classés, Paul Deman gagne au sprint à la moyenne de 26,8 km/h après 12 h 3’ 10’’ de course. Il gagne surtout 500 francs belges, l’équivalent d’environ 6 mois de salaire d’un professeur dans la Belgique d’avant-guerre1. La Flandre tient enfin son Tour. Elle ne le lâchera plus. Karel Van Wijndendaele a gagné son pari.

Maarkedal

« Messieurs, partez ! »

Maarkedal

Ellezelles Flobecq

Maarkedal

Horebeke

Zwaim

Zottegem

Zwalm

Bordeaux-Paris, Milan-San Remo ou ParisRoubaix. Cependant, la Flandre n’a pas encore « sa » grande course sur route alors que Liège-Bastogne-Liège (1892), Paris-Roubaix (1896), le Tour de Lombardie (1905) et Milan-San Remo (1907) jouissent déjà d’une réputation et d’une participation internationales enviables. Toute l’équipe du Sportwereld planche sur le sujet et, très rapidement, l’idée d’un Tour des Flandres s’impose. C’est Léo Van Den Haute, un collaborateur de Van Wijnendaele, qui en a l’idée et elle se résume à ceci : si La Gazzetta dello Sport a Milan-San Remo et le Tour de Lombardie, si L’Auto (l’ancêtre de L’Équipe) a le Tour de France et Paris-Roubaix, il faut que le Sportwereld ait « sa » course d’autant qu’en Wallonie, Liège-Bastogne-Liège vient de renaître de ses cendres en s’ouvrant aux professionnels. Si Van Wijnendaele tient le devant de la scène et les cordons de la bourse, dans les faits, Van Den Haute est le maître d’œuvre, l’homme de terrain, de l’ombre aussi. Son décès inopiné en 1933 le fera injustement sombrer dans l’oubli.

Maarkedal Kluisbergen Oudenaarde

Des petits hebdomadaires locaux rédigés en flamand naissent à gauche et à droite et Karel acquiert une certaine notoriété comme rédacteur sportif au Torhoutenaar. En 1909, il participe à la création du magazine sportif Sportvriend d’Izegem, sous le pseudonyme de Karel Van Wijnendaele, en souvenir du hameau où il a grandi. En août 1912, Van Wijnendaele est approché par Auguste De Maeght, une personnalité politique, futur bourgmestre de Halle, qui souhaite créer un nouveau magazine sportif flamand, appelé Sportwereld (Le monde du sport). Le projet est d’envergure. Pour Karel, c’est l’occasion rêvée de combiner ses trois passions : le vélo, la littérature et la Flandre. Le premier Sportwereld est imprimé le vendredi 13 septembre 1912, la veille du championnat de Flandre à Koolskamp. C’est dire à quel point, en Flandre comme ailleurs, le lien entre journalisme et cyclisme est profondément ancré. Par le biais du sport, Karel veut toucher non seulement le peuple, mais surtout le Flamand, en jouant sur la proximité avec les « idoles » locales et en s’exprimant dans une langue volontiers fleurie, populaire, prônant les vertus de la foi et de l’ardeur au travail. « Nous écrivions avec la plume du coeur et l’encre de l’âme », dira Van Wijnendaele. Fidèle à l’esprit de l’écrivain Hendrik Conscience, il est convaincu que le sport en général et le vélo en particulier sont d’excellents moyens d’émancipation sociale pour des personnes dures à la tâche, mais sans réelles perspectives économiques. Le cyclisme professionnel est un moyen difficile mais rapide de « s’en sortir ». La race des Flandriens, que les voisins d’outre-Quiévrain appellent les « Flahutes », est née. Karel se lance en même temps dans la direction sportive d’une équipe de coureurs professionnels sous le pseudonyme de Mac Bolle. Il renoue également un temps avec la compétition sur piste et ne cache pas son admiration pour Cyrille Van Hauwaert qui gagne des courses en ligne comme


Le Tour des Flandres DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

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LES LIEUX MYTHIQUES

Tom Boonen et Filippo Pozzato lors du passage au Vieux Quaremont dans le Tour des Flandres 2012. On y sent battre le cœur de la Flandre authentique.


Het landschap plooit zich naar geweld Van wind en wielen : twaalf uren lang Fietsen bestofte mannen door stad en dorp, Het adem stoot de stilte open Over het stuur de lamgeslagen koppen. Le paysage ploit sous la violence Du vent et des roues : douze heures durant Des cyclistes poussiéreux traversent villes et villages, À la recherche du souffle silencieux La tête inclinée sur le guidon. WILLIE VERHEGGHE

Il y en a vraiment beaucoup et, si l’on n’est pas issu de ce terroir bocageux, il n’est pas vraiment évident de s’y retrouver le jour de la course d’autant que l’itinéraire s’enchevêtre à foison en repassant, souvent plusieurs fois, au même endroit. Avec le temps et la force de l’âge, trois d’entre eux inspirent la crainte ou le respect : le Vieux Quaremont, le Koppenberg et le Mur de Grammont, tombé en relative disgrâce mais qui vient de retrouver droit de cité. Ce sont les juges de la Bataille des Ardennes flamandes. Des Juges de Paix ? Cela, c’est une autre histoire.

Quaremont, Vieux Quaremont et Paterberg, les trois font la paire Depuis 1919 et jusqu’au début des années 1970, le Quaremont (une contraction de quatre et de mont, le mont aux 4 côtés) sert de mise en bouche pour la finale du Tour des Flandres. Le chemin étroit et pavé offre les premières possibilités de sélection au sein du peloton, si le vent et les autres conditions météo ne s’en sont pas mêlés auparavant. Quand, en 1966, les pavés disparaissent sous une couche d’asphalte,

le Quaremont perd son caractère agressif, un peu comme une bouche sans dents. En 1974, les organisateurs décident d’ajouter, dans la continuité, le Vieux Quaremont, une côte pavée quasi parallèle, inconcevable jusqu’alors dans le parcours d’une course cycliste, fût-ce celui du Tour des Flandres. Au total, le Quaremont et le Vieux Quaremont présentent une première partie de 600 mètres sur asphalte, suivie de 1 600 mètres étroits recouverts de mauvais pavés, ce qui en fait la plus longue montée du Tour des Flandres. Le Paterberg, qui lui succède un peu après, constitue à lui seul toute une histoire. En 1982, un paysan veut éviter le passage de son bétail et de son tracteur par le Koppenberg. Il creuse alors son propre chemin dans ses terres pentues pour gagner 375 mètres. En 1985, la commune de Kluisbergen fait paver sa « Paterbergstraat » et accepte d’inclure dans ses travaux le raccourci du paysan. Ce dernier le propose aux organisateurs du Ronde qui l’adoptent avec enthousiasme. Le Paterberg devient ainsi le mont le plus pentu de la course avec une moyenne de près de 13 % et des passages à 20 %.

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Jacques Brel chantait que son Plat Pays avait des cathédrales pour uniques montagnes. Ce n’est pas tout à fait vrai dans cette région naturelle située entre l’Escaut et la Dendre. Ici, il y a aussi les « bergs » (monts), ces sentiers tortueux et piégeux sur lesquels le Tour des Flandres a toujours pu compter pour durcir sa course.


Le Tour des Flandres DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

LES « MONTS » LES PLUS PENTUS : Côtes

Paterberg

Moyenne de la pente

Passage maximum

12, 87 %

20,33%

Koppenberg

9,94 %

19,42 %

MuurKapelmuur

9,39 %

19,76 %

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Pour les autres « monts », la moyenne est de 7 % avec des passages maximum de 12 à 14 %.

En 2012, la direction de la course crée un enchaînement entre le Vieux Quaremont et le Paterberg et surtout décide de le faire franchir trois fois par les coureurs (Boonen gagnera cette édition « new look ») puis deux fois à partir de 2013 (édition remportée par Cancellara). Cet enchaînement augmente considérablement l’impact de ces deux monts d’autant plus que le deuxième passage s’effectue après 250 km de course. Mais tout cela a un prix et fait deux victimes : le Mur de Grammont, avec le fameux Mur de la Chapelle, et le Bosberg disparaissent en effet du parcours, au grand dam des amateurs férus de tradition. Les détracteurs de cette décision vont même jusqu’à prétendre que l’intention cachée des organisateurs est de rendre un jour ce circuit payant, ce qui va à l’encontre du principe de gratuité qui, à l’exception notable des championnats du monde, sont depuis toujours l’apanage du cyclisme, que ce soit dans les grandes classiques ou sur les grands Tours. Seuls les organisateurs de kermesses demandent parfois un droit d’entrée. L’avenir tranchera sur cette éternelle querelle des Anciens et des Modernes. Mais le retour du Mur de Grammont est quand même annoncé pour 2017.

Le Koppenberg, « Accusé, levez-vous ! » En 1980, le journaliste Jean-Pierre Breulet fait un procès fictif au Koppenberg dans les pages du Sport Magazine. « Accusé, levezvous ! », titre le journal. Depuis son introduction sur le parcours du Tour des Flandres en 1976, cet infâme boyau est en effet sur la sellette. Sa largeur maximale n’excède pas 3 mètres et sa longueur de 600 mètres est quasi rectiligne, creusée à flanc de prairie, ce qui ne laisse aucune place au public, très nombreux, campé sur les talus. Jusqu’à l’introduction du Paterberg, le Koppenberg représentait le pourcentage le plus pentu du Tour des Flandres (9,94 % avec des passages à 19,42 %) dont les 400 derniers mètres sont recouverts de pavés en forme de tête d’enfant qui lui donnent son nom (Koppenberg = mont des têtes). Autrement dit, le moindre incident mécanique ou humain peut avoir des conséquences dramatiques pour les coureurs coincés comme dans un jeu de dominos, d’autant qu’ils abordent cette côte après un virage serré, quasiment à l’arrêt. Et ces incidents ne vont pas manquer.

Vilipendé par les uns, loué par les autres, le Koppenberg ne laisse personne indifférent. L’étroit boyau de pavés grossiers a mis plus d’un coureur sur le flanc, comme ici, lors de l’édition de 1981. et la seule des neuf victoires hollandaises qui se soit muée en un tiercé complètement « oranje » : 1. Kuiper, 2. Pirart, 3. Van der Poel.


revanche, l’image de l’accident fait le tour du monde et l’année suivante le Koppenberg est retiré du parcours et en prend pour 15 ans (il reviendra en 2002). Il a pourtant ses défenseurs qui estiment qu’il est au Tour des Flandres ce que le Poggio est à Milan-San Remo ou ce que la tranchée de Wallers-Arenberg est à ParisRoubaix. Il fait partie de son ADN, de son âme. En 2002, il est réintégré mais le sursis ne dure que cinq ans. Il est à nouveau supprimé en 2007 suite aux réclamations des coureurs qui, après de nouvelles chutes, se retrouvent encore une fois obligés de faire son ascension à pied. En 2008, il refait son apparition sur le Ronde, après avoir subi quelques aménagements, mais les voitures n’y sont plus autorisées. Même les voitures officielles.

Le Mur de Grammont en pénitence Le Mur de Grammont est connu pour avoir depuis toujours abrité des rites païens tels ceux pratiqués par les notables de la ville qui venaient y boire une eau mélangée à des poissons vivants et ainsi s’assurer une protection céleste. À partir du XVIIe siècle, une chapelle dédiée à la Vierge Marie est construite à son sommet et le Mur de Grammont devient alors un haut lieu de pèlerinage. Introduit dans le parcours du Tour des Flandres en 1950 après avoir fait ses

gammes au Circuit Het Volk (futur Circuit Het Nieuwsblad), le Mur de Grammont joue souvent le rôle de juge de paix quel que soit le versant par lequel il est abordé2. Ses 1 075 mètres de long et son pourcentage moyen de 9,39 % (avec des passages à 19,76 %) surviennent après une succession de « montées » qui usent les organismes. Dès son introduction dans le parcours, le Mur de Grammont crée la surprise. En effet, là où l’on attendait les coureurs flamands, c’est l’Italien Fiorenzo Magni qui leur dame le pion en étant, non seulement le premier au sommet, mais aussi à l’arrivée. Il rééditera d’ailleurs sa victoire en 1951 et en 1952, ce qui lui vaudra le surnom de « Lion des Flandres ». Depuis 2012, le Mur de Grammont a été retiré du parcours au profit de l’enchaînement Vieux Quaremont – Paterberg, entraînant la suppression du Bosberg voisin. Nombreux sont les amateurs qui déploraient cette décision, attachés au parcours d’origine, quasi sacré comme l’est le site de la Chapelle de Onze Lieve Vrouw (Notre-Dame). Il semblerait qu’ils aient été entendus. 1. M. Guérin, Les lieux mythiques du vélo, Paris, Éditions Jacob-Duvernet, 2011. 2. Kloosterstraat (Rue des Monastères) : 1953-1955; 1957-1960; 1966-1969. Kloosterstraat (Rue des Monastères) + Muur (Mur) : 1950-1952; 1970-1980. Kloosterstraat (Rue des Monastères) + Muur (Mur) + Kapelmuur (Mur de la Chapelle) : 1981-1997. Markt (Place du Marché) + Muur (Mur) + Kapelmuur (Mur de la Chapelle) : 1998-2012.

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Dès son introduction en 1976, le Koppenberg fait parler de lui et pas uniquement en bien. L’image d’Eddy Merckx, obligé de pousser son vélo à pied après la chute de Walter Godefroot sur les pavés mouillés, est restée dans les mémoires. « Même pour le Cannibale, la pente était trop sévère », rappelle Michel Guérin1. Ses détracteurs, surtout dans la presse internationale, vont jusqu’à penser que ce n’est pas la fatalité qui fait chuter les coureurs, mais bien la volonté de bloquer le passage et de favoriser une attaque à l’avant. Aucun fait concret ne vient corroborer ce procès d’intention un peu malveillant, mais il est clair que le Koppenberg alimente la polémique. En 1986, c’est le Français Bruno Wojtinek qui tombe, entraînant la chute des coureurs placés derrière lui et favorisant, bien involontairement, une échappée de dix hommes à l’avant d’où émerge Adrie van der Poel qui bat Sean Kelly au sprint. L’année suivante, en 1987, c’est la goutte qui fait déborder le vase. La voiture du directeur de course, Jacques Martens, poussée dans le dos par le peloton, accélère brusquement et accroche le jeune Danois Jesper Skibby, alors en tête. Celui-ci a juste le temps de trouver refuge sur le talus tandis que la voiture officielle roule sur son vélo. Du jamais vu ! La course n’est pas réellement faussée car le peloton n’était pas loin. La victoire en solitaire de Claude Criquielion – seul Wallon à avoir gagné le Tour des Flandres – est d’ailleurs indiscutable. En

1981 – Le tiercé est « oranje » au bout du Mur de Grammont : 1. Kuiper, 2. Pirart, 3. Van der Poel.


Le Tour des Flandres DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

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1985 – Eric Vanderaerden place un démarrage qui s’avère victorieux dans le Mur de Grammont. La pluie et le vent s’invitent régulièrement sur la course mais sans la perturber en profondeur. Comme si les coureurs y étaient habitués.


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La Reine des classique En avril. Créée en 1896. En 2015, 113 éditions ont été disputées depuis sa création. 56 victoires belges, 30 françaises, 6 néerlandaises, 4 suisses, 2 irlandaises, 2 allemandes, 1 luxembourgeoise, 1 ukrainienne, 1 suédoise et 1 australienne. Quatre victoires pour les Belges Roger De Vlaeminck (1972, 1974, 1975 et 1977) et Tom Boonen (2005, 2008, 2009 et 2012). 257,8 km de Compiègne à Roubaix. 52,8 km de pavés répartis en 27 secteurs. La trouée de Wallers-Arenberg, le Carrefour

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de l’Arbre, le Vélodrome de Roubaix.


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PARIS ROUBAIX


94 DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Liège–Bastogne–LIège


B E R N A R D H I N A U LT après sa victoire en 1981.

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« Je ne pleurerai pas si on m’annonce qu’un jour cette course a disparu. »


LA GENÈSE

UNE CLASSIQUE UNIQUE PAVÉE DE MAUVAISES INTENTIONS

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Capelle à Ruesnes

Vertain à Saint-Martin

SOLESMES

Saint-Python

Viesly à Quiévy

Le dimanche 9 juin 1895, une compétition composée de sept épreuves opposant 90 coureurs inaugure le « Vélodrome roubaisien » devant près de 8 000 spectateurs. Durant les années suivantes, il voit s’affronter les meilleurs pistards dont le futur vainqueur du premier Tour de France, Maurice Garin, qui vient d’ouvrir un magasin de cycles avec ses deux frères dans la cité nordiste, ou Octave Lapize, qui sera le premier à réaliser le triplé dans un ParisRoubaix qui n’est encore qu’en gestation, et enfin Marshall « Major » Taylor, second athlète de couleur à décrocher un titre

Quiévy à Saint-Python

280 KM, un jeu d’enfant

mondial après le boxeur canadien George Dixon et qui électrisait les foules partout où il se produisait1. Les deux entrepreneurs attendent encore la confirmation du succès du vélodrome qu’ils réfléchissent déjà à un autre projet ambitieux : une course en ligne qui mettrait en avant Roubaix et de ce fait, leurs propres activités. En cette fin de XIXe siècle, le calendrier des compétitions sur route est moins dense que celui réservé aux épreuves sur piste. La première édition de Paris-Brest-Paris en 1891, les débuts de Paris-Bruxelles (1893) et surtout de Bordeaux-Paris (1891) sont des courses qui commencent à se faire une solide réputation. En février 1896, Vienne et Pérez ont l’idée de créer une course qui partirait de Paris pour arriver dans leur nouveau vélodrome. Ils espèrent obtenir le soutien du quotidien Vélo et de son directeur de l’époque, Paul Rousseau, en lui envoyant, début mars 1896, la lettre ainsi libellée : Cher Monsieur Rousseau, Bordeaux-Paris approche, la grande épreuve annuelle a tant fait pour la propagande cycliste qu’il nous est venu une idée. Que penseriez-vous d’une course d’entraînement précédant Bordeaux-Paris de quatre semaines ? Paris-Roubaix présente un parcours de 280 kilomètres environ, ce serait donc un jeu d’enfant pour les futurs participants de Bordeaux-Paris (600 km, ndlr). L’arrivée s’effectuerait au Vélodrome roubaisien par quelques tours de piste. L’accueil fait à tous sera enthousiaste, d’autant plus que nos

Troisvilles à Inchy

NOYON

Compiègne – Clairoix 33 m

Toutes les familles, des hommes aux femmes et même les enfants, travaillent pour cette « Révolution industrielle » qui ne leur dit rien mais qui permet de mettre du pain sur la table. Après la douzaine d’heures de boulot, les « gueules noires » et les « filateurs » refont le monde dans le bistrot du coin où les attendent, bien alignés, les verres de genièvre et où s’élèvent les discours enflammés des premiers syndicalistes. Le dimanche, c’est autre chose. À Roubaix, en tout cas. Le parc Barbieux est réputé comme l’un des plus beaux du nord de la France. Dans les quartiers un peu plus bourgeois où l’on a délaissé les « Corons » de la proche périphérie, on se met sur son 31 et, après la messe, on file au parc, le temps d’une éclaircie, pour jouer aux boules ou danser à la guinguette, histoire de se dire

que le noir a aussi des nuances de vert et de bleu. Deux magnats de la filature l’ont bien compris. À l’image des charbonnages qui fournissent le logis et le chauffage à leurs « protégés », Théodore Vienne et Maurice Pérez veillent au bonheur, fût-il fugace, de leur personnel. Les courses cyclistes sur piste sont très en vogue à l’époque. Surtout depuis l’invention des frères Michelin qui, dans leur usine de Clermont-Ferrand, fabriquent ces pneumatiques qui ont fait la fortune de Monsieur Dunlop outre-Manche et qui donnent un élan démocratique à la bicyclette. Vienne et Pérez décident d’édifier un vélodrome à Roubaix et achètent un terrain situé à proximité du parc Barbieux, sur le territoire de la commune de Croix. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les travaux débutent en avril 1895 et s’achèvent dès la fin du mois suivant.

SAINT-QUENTIN

Ici, on est « din ch’Nord ». Dans cette région, tassée entre Lille et la frontière belge, où les cheminées des filatures, les chevalets et les terrils des charbonnages noircissent l’horizon, la vie n’est pas toujours rose et le ciel est souvent gris dans ce XIXe siècle qui n’en finit pas.


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Gruson Willems à Hem ROUBAIX

Carrefour de l’Arbre

Camphin-en-Pévèle

Bourghelles à Wannehain

Cysoing à Bourghelles

Templeuve

Pont-Thibaut à Ennevelin

1. P. Cossins , The Monuments, The Grit and The Glory od Cycling’s Greatest One-Day Races, Londres, Bloomsbury Editions, 2014. 2. Une somme importante quand on sait que le salaire moyen quotidien en 1896 est de 4 francs. 3. Futur secrétaire général de l’Union Cycliste Internationale. Il est à l’origine de l’expression « C’est l’enfer ! » devant les ravages du premier conflit mondial, expression qui donnera naissance à l’appellation l’Enfer du Nord. 4. H. Quiquerré et A. Pauper, 100 ans de Paris-Roubaix, Paris, Éditions Flammarion, 2002. 5. M. Dargenton et P. Sergent, Paris-Roubaix, une classique unique, Seraing, Éditions Coups de Pédales, 2009.

Mérignies à Avelin

Mons-en-Pévèle

Auchy à Bersée

Orchies

Beuvry à Orchies

BEUVRY-LA-FORÊT

Tilloy à Sars-et-Rosières

Wallers à Hélesmes

Trouée d’Arenberg

Haveluy à Wallers

Maing à Monchaux

Quérénaing à Maing

Capelle à Ruesnes

Rousseau est séduit et confie le projet de la course au principal rédacteur de sa rubrique cycliste, Victor Breyer3, qui est d’abord chargé de reconnaître le parcours. Il effectue une première partie du trajet en voiture jusqu’à Amiens, puis le lendemain s’élance à bicyclette en direction de Roubaix. Épuisé après une journée passée sous une pluie battante, sur des routes boueuses ou pavées, piégeuses et défoncées, Breyer veut envoyer un télégramme à son chef, Louis Minart, pour le pousser à annuler ce « projet diabolique », qu’il considère comme infaisable et dangereux pour les coureurs. Il se ravise et change même complètement d’avis après une soirée manifestement excellente, passée en compagnie des généreux Vienne et Pérez. Vélo annonce le premier Paris-Roubaix pour le dimanche 19 avril 1896, le jour de Pâques, ce qui soulève l’objection du clergé, omniprésent à l’époque, qui estime

Warlaing à Brillon

Victor Breyer, du « projet diabolique » à « l’enfer »

L’Italien Maurice Garin, roubaisien d’adoption, fait de cette course un objectif prioritaire qui pourrait lui apporter une bonne publicité ainsi qu’à son commerce de cycles. C’est sans compter sur la force du solide Allemand Josef Fischer qui rejoint le Gallois Arthur Linton au contrôle d’Amiens. Garin a déjà cinq minutes de retard. Mais un peu plus loin, un chien affolé heurte les roues de Linton provoquant sa chute sur le bas-côté. Le Gallois ne met que quelques minutes à recevoir un autre vélo mais Fischer est déjà loin. Celui-ci fait d’ailleurs preuve de plus d’adresse en évitant un cheval apeuré et un troupeau de vaches qu’il trouve sur sa route. Ces péripéties feront dire à certains détracteurs que cette édition tenait du cirque à plus d’un titre. Une réputation qui ne va pas lâcher Paris-Roubaix de sitôt. Après 9 heures et 17 minutes d’une course disputée sous un temps frais mais sec, Josef Fischer s’impose en solitaire avec une moyenne de 31,162 km/h devant le Danois Charles Meyer à 26 minutes, Maurice Garin à 28 minutes et le Gallois Arthur Linton à 43 minutes. Le premier Français, Lucien Stein, termine 5e à un peu plus d’une heure du vainqueur. Un Allemand, un Danois et un Italien sur le podium : Paris-Roubaix frappe ainsi, sans le savoir, à la porte des grandes courses internationales. Une course de légende est née.

que la course empêcherait coureurs et spectateurs d’assister à l’office pascal. Vienne, malin comme un singe, propose alors la célébration d’une messe avant la course à la chapelle de la famille d’Orléans, près du lieu de départ prévu devant le Café Gillet, Boulevard Maillot, non loin du Bois de Boulogne. L’heure matinale de la course – 5 h 30 – empêche finalement la tenue de cet office religieux, mais l’intention était là. Cent dix-huit coureurs répondent à l’appel pour cette course qui avait été bien vendue dans les colonnes du Vélo comme étant une excellente préparation à Bordeaux-Paris, un mois plus tard. Les premiers participants arrivent la veille de la course. Seule la moitié des inscrits est présente : 51 coureurs dont 45 professionnels et 6 amateurs de la région de Lille signent la feuille de départ le matin du 19 avril 1896, au café Gillet. À 5 h 30 pétantes (3 h 30 pour les « régionaux »), Paul Rousseau donne le départ du tout premier Paris-Roubaix. C’est parti pour 280 kilomètres de course et pratiquement autant d’inconnues. Les coureurs ont le droit, pendant la course, d’être entraînés par un autre vélo plus rapide, souvent un tandem ou même une triplette, quand ce n’est pas un petit vélomoteur comme le derny de la piste, voire une moto ou même une auto. Les organisateurs ne font donc pas preuve de beaucoup d’originalité en empruntant la formule qui fait le succès de Bordeaux-Paris4. Une colonne impressionnante s’ébranle plein Nord en direction d’Amiens (km 149,5) puis Arras (km 217,5) en passant par la côte longue et rectiligne de Doullens (km 179,5). Elle poursuit sa route sur le plateau picard souvent battu par les vents et rejoint Wattignies (km 260,5) et Ascq (km 272) avant de déboucher sur le Vélodrome Roubaisien. Il n’y a pas de pavés au sens où on l’entend aujourd’hui sauf dans les villes traversées. Le reste des routes est en terre ou, dans le meilleur des cas, recouvert d’une couche de gros graviers5.

Hornaing à Wandignies

concitoyens n’ont jamais eu le spectacle d’une grande course sur route ; à ce sujet du reste, nous comptons assez d’amis pour croire que Roubaix est véritablement une ville hospitalière. Comme prix, nous inscrivons d’ores et déjà un premier prix de 1 000 francs2 au nom du Vélodrome roubaisien et nous allons nous occuper de le faire suivre d’une respectable série d’autres prix pour donner satisfaction à tous. Comme date, nous croyons que le 3 mai conviendrait parfaitement car les coureurs de Bordeaux-Paris seront déjà en bonne forme à cette date et il leur restera trois semaines jusqu’à la grande épreuve pour se remettre. Et maintenant pouvons-nous compter sur le patronage du Vélo et sur votre concours pour l’organisation, le départ , etc.? Si oui, annoncez de suite notre great event (sic) et ouvrez dans vos colonnes la liste des engagements. Veuillez agréer nos amicales salutations.


Paris–Roubaix DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

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De sa création en 1896 à 1965, le parcours de ParisRoubaix n’a pas changé. Partant de Paris ou de sa banlieue, la course passe par Pontoise, Beauvais, Amiens, Doullens, Arras, Hénin-Liétard et Roubaix en contournant Lille par de petites entités.

À partir de 1966, elle part de Picardie : de Chantilly de 1966 à 1976, puis de Compiègne depuis 1977, en raison de la raréfaction des secteurs pavés qu’il fallut aller chercher en déplaçant la course vers l’est là où, auparavant, elle se dirigeait plein Nord. Aujourd’hui, le parcours de Paris-Roubaix compte véritablement trois lieux mythiques : la Tranchée de Wallers-Arenberg qui gagne ses lettres de noblesse en 1967, le Carrefour de l’Arbre qui se fait un nom en 1980 et le sésame des sésames, tant désiré par tous les coureurs, le vélodrome André-Pétrieux à Roubaix qui accueille la course depuis 1943.

Wallers-Arenberg, la Tranchée dans le vif La tranchée ou trouée d’Arenberg – de son vrai nom « La Drève des Boules d’Hérin » – est le secteur le plus difficile de la course. Son approche se fait par une ligne droite de 600 m le long de la zone minière de Wallers-Arenberg, qui a servi de lieu de tournage au film Germinal (de Claude Berri avec Renaud dans le rôle de Lantier).

Même en 2015, le public et les photographes prennent parfois des risques inconsidérés pour saisir les efforts de leurs favoris surtout dans les secteurs pavés comme dans la célèbre tranchée de Wallers-Arenberg.

La trouée est proposée aux organisateurs en 1967 par Jean Stablinski, un coureur cycliste chevronné, qui connaît bien l’endroit pour avoir travaillé comme mineur de fond dans les mines d’Arenberg. L’ancien coureur Albert Bouvet, chargé par le directeur de l’épreuve, Jacques Goddet, de trouver de nouveaux secteurs pavés, l’introduit dans le parcours dès l’année suivante. Jusqu’en 1989, ils sont encore 2 400 mineurs à travailler sur le site. Le puits ferme le 24 mars et, depuis, les trois chevalets, ces structures d’acier que l’on appelle aussi Belle-Fleur en Belgique, qui permettaient de descendre et de remonter les mineurs, sont les gardiens silencieux de ce glorieux passé minier1. Entre 1974 et 1982, l’Office national des Forêts en interdit le passage, obligeant la course à l’abandonner provisoirement. Un rétrécissement présent à l’entrée du secteur, avant une première partie en faux plat descendant, fait que le peloton arrive dans la trouée, généralement lancé à près de 60 km/h. Depuis 1998 et le très grave


52 500 M

accident où Johan Museeuw faillit perdre la vie et à tout le moins sa jambe, la tranchée est prise à contresens, c’est-à-dire en faux plat montant2. Enfin, pour des raisons de sécurité, elle est retirée en 2005, suite à des effondrements souterrains, mais réintroduite en 2006 après les travaux d’aménagement nécessaires. L’autre particularité de ce secteur réside dans la morphologie de ses pavés, disjoints et non alignés, qui ne laissent aucune trajectoire idéale sur les 2 400 m de la trouée. Le temps est également souvent plus humide que sur le reste du parcours, du fait de l’environnement forestier. Située à une centaine de kilomètres du vélodrome de Roubaix, cette zone est le point stratégique de l’épreuve. La trouée d’Arenberg est moins décisive pour la victoire que d’autres secteurs, tels le Carrefour de l’Arbre, mais elle crée la première sélection entre les favoris. C’est l’endroit où on n’a pas encore gagné Paris-Roubaix mais c’est là où on peut le perdre, dit Tom Boonen, quadruple

vainqueur et co-recordman des victoires avec Roger De Vlaeminck. La trouée d’Arenberg est aujourd’hui un site protégé et une réserve ornithologique où viennent se reproduire des dizaines d’espèces d’oiseaux. On ne l’ouvre au public que le jour de la course. Même si, en dehors de ce jour-là, de nombreux cyclistes amateurs contournent les barrières et se lancent sur la piste pour essayer de ressentir les mêmes sensations que les coureurs, mais à une vitesse moindre, évidemment.

Le Carrefour de l’Arbre, la fin des maux croisés Est-ce parce que, sur le parcours de ParisRoubaix, le Carrefour de l’Arbre est le point central de la fameuse bataille de Bouvines en

12143 que cet endroit est devenu célèbre? Même pas. Introduit en 1980, ce secteur pavé est emprunté systématiquement depuis cette année-là pour faire la jonction logique entre Camphin-en-Pévèle et le lieu-dit du « Pavé du Luchin », le vrai nom du Carrefour de l’Arbre. Un carrefour qui donne l’impression de ne mener nulle part, perdu au milieu des champs. Tout n’est que pavés, bas-côtés traîtres battus par des vent quasi permanents qu’aucun obstacle n’arrête. Long de 2 100 m, coté 5 étoiles, il est l’un des plus difficiles parmi les 27 secteurs pavés que comprend la course aujourd’hui. Il est constitué de deux parties tout en faux plat montant. La première, ponctuée de virages gauche-droite, est faite de pavés très irréguliers, alors que la seconde partie où,

Jimmy Engoulvent au passage du Carrefour de l’Arbre lors de ses débuts professionnels avec l’équipe Bonjour en 2002. Le sympathique Manceau ne terminera toutefois pas la course gagnée ce jour-là en solitaire par Johan Museeuw.

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LES LIEUX MYTHIQUES

C’est la longueur totale des 27 secteurs pavés de la course. Le plus long est celui de Quiévy à Saint-Python (3,7 km) au km 107,5 d’une course qui en compte 254,5. Dans l’édition rénovée par Bouvet et Stablinski en 1968, il y avait 111 km de pavés. Le vainqueur est Eddy Merckx.


Paris–Roubaix

ou Tom Boonen en 2009, après une chute malheureuse du Norvégien Thor Hushovd. Sur le plan du prestige, enfin. Avec « Le Café de l’Arbre », un troquet qui n’ouvrait opportunément qu’une fois par an et qui est devenu un restaurant apprécié, il est aussi le rendez-vous incontournable pour de très nombreux spectateurs que l’on a dû réguler, tant leurs assauts impétueux rendaient la course dangereuse au passage des coureurs. Le public ne s’y trompe pas : il sait – et les coureurs aussi – que le Carrefour de l’Arbre, c’est la fin de la galère, la fin de l’Enfer. Et pour un seul d’entre ces visages, souvent crottés de boue et de poussière collée par la sueur, le début du Paradis. C’est l’endroit qui te conforte, explique Tom Boonen. C’est à la fois le passage le plus dur,

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DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

après un virage à angle droit, les coureurs sont obligés de relancer leur machine pour filer tout droit vers le Carrefour en question, est constituée de pavés plus réguliers. Cependant, d’autres raisons rendent cet endroit mythique. Son côté stratégique, d’abord. Il est situé à une quinzaine de kilomètres de l’arrivée. C’est le dernier endroit où il peut se passer quelque chose car les pavés de Hem, ou ceux situés juste avant l’entrée du vélodrome de Roubaix, sont moins redoutables.4 Sur le plan psychologique, ensuite. Celui qui sort en tête du Carrefour est réputé « aller au bout », comme on dit, à savoir arriver premier sur le vélodrome de Roubaix tels Marc Madiot en 1985 et 1991, Fabian Cancellara en 2006, Stuart O’Grady en 2007

Parfois les conditions climatiques sont telles que Paris-Roubaix ressemble davantage à un cyclo-cross qu’à une course en ligne. Ici, édition de 1970 remportée par Merckx (en 2e position dans le virage) avec plus de 5’ d’avance.


En plus des 30 000 euros, le vainqueur de Paris-Roubaix reçoit, depuis 1977, un trophée sous la forme d’un véritable pavé posé sur un socle en marbre où sont gravés son nom et l’année de la course. Le tout pèse environ 8 kg ce qui vaut toujours des images sympathiques et des langues tirées au moment où le vainqueur lève ce symbole au-dessus de sa tête. Ce pavé est du grès de Fontainebleau, connu pour sa beauté et sa relative symétrie. Il est produit à la marbrerie Slosse à Orchies et confié aux bons soins de Jean-Jacques Allou dont le premier devoir est de le fixer solidement sur le socle de marbre. Il perce le pavé et le relie au socle par trois tiges métalliques appelées goujons. Un travail qui demande environ 3 heures (P.-L. F., La Voix du Nord du 8 avril 2012). Vient ensuite la gravure dont le nom du vainqueur est évidemment inscrit à la dernière minute sur le site d’arrivée. Cette initiative des « Amis de Paris-Roubaix » est devenu un véritable « must » depuis près de 40 ans. Au point que ceux qui ne l’ont pas reçu le réclament. Les « Amis » ont pris les devants en l’attribuant notamment à Émile Masson (vainqueur en 1936), à André Mahé (vainqueur ex-aequo avec Serse Coppi en 1949) et surtout à Eddy Merckx (triple vainqueur en 1968, 1970 et 1973).

Le vélodrome de Roubaix ou l’envers du décor Construit en un temps record à la fin du XIXe siècle, le Vélodrome roubaisien cher aux fondateurs de la course n’a pas tenu très longtemps puisqu’il sera démoli en 1924. Il faudra ensuite attendre 1936 pour voir le Vélodrome André-Pétrieux prendre sa place et devenir, chaque année depuis 1943, le lieu d’arrivée de la célèbre course. Depuis lors, il est devenu le lieu mythique par excellence de Paris-Roubaix. Son béton, fierté de l’époque, résonne encore des cris de délire qui accueillent le futur vainqueur, surtout s’il pénètre seul sur le vélodrome. Une clameur indescriptible, « une représentation privée de l’air triomphal des Trompettes d’Aïda6 ». Tout cycliste professionnel qui se respecte rêve d’être l’objet de cette acclamation à nulle autre pareille, celle qui le fait entrer dans le Gotha aux côtés de Van Steenbergen, Coppi, Bobet, Van Looy, Merckx, De Vlaeminck, Moser, Hinault, Kelly, Madiot, Duclos-Lassalle, Museeuw, Boonen ou Cancellara. Le vélodrome André-Pétrieux a la particularité d’être ouvert au public toute l’année. On peut s’y promener en toute liberté et même rouler sur la piste en cendrée, en-dessous de la bande bleue que

l’on appelle la « Côte d’Azur ». Mais il n’y a personne pour vérifier qu’on n’emprunte pas aussi les virages relevés pour jouer à l’arrivée de Paris-Roubaix. Cette ouverture a un prix : celui de la dégradation. Chaque année, un peu avant la course, il faut nettoyer l’ensemble, rafraîchir les peintures, ajouter des publicités. Il est à l’abandon depuis 25 ans, souligne un employé communal à un journaliste. Et à l’intérieur, c’est pire encore. Des squatteurs et des drogués viennent ici en forçant les portes7. Quant aux douches mythiques, c’est un peu le même constat. Il est encore l’un ou l’autre coureur qui, le jour de la course, se perd dans cet endroit où des plaquettes au nom des vainqueurs sont accrochées dans les boxes, mais la plupart aujourd’hui prennent leur douche dans les bus géants, quand ce n’est pas à l’hôtel. L’Enfer du Nord a donc aussi son envers du décor. La ville de Roubaix prouve cependant son statut de « Ville du cyclisme » en érigeant en 2012 le superbe vélodrome couvert, le « Stab » (en mémoire de Jean Stablinski), un bijou à la piste aux essences rares, qui a coûté la bagatelle de 25 millions d’euros. Les Roubaisiens rêvent aujourd’hui d’un concept comme celui du Centrum Ronde van Vlaanderen à Audenarde où le merchandising et l’histoire peuvent faire bon ménage. Si Paris vaut bien une messe, Paris-Roubaix pourrait avoir aussi son lieu de culte.

1. J.-L. Gattelier, Belles d’un Jour. Histoire des grandes classiques, Paris, Éditions SNC L’Équipe, 2007. 2. M. Guérin, Les lieux mythiques du vélo, Paris, Éditions Jacob-Duvernet, 2011. 3. La bataille de Bouvines opposa les troupes du roi de France, Philippe Auguste, à une coalition de nobles et de seigneurs français emmenés par Jean Sans Terre. La victoire du roi de France signifia le début du déclin seigneurial. 4. M. Guérin, Les lieux mythiques du vélo, Paris, Éditions Jacob-Duvernet, 2011. 5. Ph. Le Gars, « Tom Boonen est votre guide », L’Équipe, 12 avril 2015. 6. J.-L. Gattelier, Belles d’un jour. Histoire des grandes classiques, Paris, Éditions SNC L’Équipe, 2007. 7. A. Traquet, « Derrière la scène », L’Équipe, vendredi 10 avril 2015.

Depuis sa création en 1977, sur une idée de l’Association des Amis de Paris-Roubaix, le trophée de la Reine des Classiques est composé d’un pavé de grès de Fontainebleau posé sur un socle de pierre bleue du Hainaut. Une pièce unique conçue chaque année par la marbrerie Sloss à Orchies.

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UN TROPHÉE RÉCLAMÉ

mais c’est aussi là que tu peux comprendre que la victoire est au bout. Ce secteur est bon pour le moral, quand tu sors de là avec deux ou trois coureurs et que tu sens que les jambes sont bonnes, on sourit intérieurement5.


Liège–Bastogne–LIège DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

La Doyenne En avril. Créée en 1892. En 2015, 101 éditions ont été disputées depuis sa création, mais seulement 90 ouvertes aux professionnels. 48 victoires belges, 12 italiennes, 6 suisses, 4 françaises, 3 néerlandaises, 3 kazakhes, 3 irlandaises, 3 espagnoles, 2 allemandes, 2 luxembourgeoises, 1 américaine, 1 russe, 1 danoise et 1 australienne. Cinq succès pour Eddy Merckx (1969, 1971, 1972, 1973 et 1974), quatre pour Moreno Argentin (1985, 1986, 1987 et 1991). 253 km de Liège à Bastogne et retour à Ans (banlieue liégeoise). Une dizaine de côtes et une nouvelle, la côte de Xhovémont, est annoncée pour 2016. La trilogie Wanne – Stockeu – Haute-Levée,

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La Redoute, la côte de Saint-Nicolas.


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LIÈGE BASTOGNE LIÈGE


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Liège–Bastogne–LIège


« Gagner cette course, c’est exceptionnel. Elle dépasse toutes les autres classiques. »

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M ICH E LE BARTOLI


UNE DOYENNE QUI N’EST PAS NÉCESSAIREMENT LA PLUS VIEILLE

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peu. La course cycliste Bordeaux-Paris vient d’être lancée avec, d’emblée, un succès qui a marqué les esprits. Paris-Brest-Paris a suivi dans la foulée mais les organisateurs, un peu dépassés par les événements, ne veulent la programmer que tous les dix ans. Il y a donc une place à prendre.

Accents très british

Côte de Saint-Roch 456m

BASTOGNE 521m

BERTOGNE 399m

Côte de la Roche en Ardenne 401m

Pourquoi pas Liège-Paris-Liège dont les 845 km passeraient par Bastogne, avant de filer vers Reims puis Paris et emprunteraient le chemin inverse au retour ? Le projet est ambitieux. Un peu trop, car il ne verra jamais le jour. En revanche, l’idée d’un départ et d’une arrivée à Liège, avec Bastogne comme point de contournement, subsiste. Elle a d’autant plus de sens que Bastogne est désormais joignable par chemin de fer, ce qui permettrait aux contrôleurs de la course d’aller et de revenir avant l’arrivée des coureurs. Du moins, en principe. LiègeBastogne-Liège, avec ses 250 km, serait un galop d’essai pour la grande épreuve cycliste dont rêvent encore certains administrateurs. Pendant près d’un an, dans une belle synergie provinciale, les hommes du Pesant

LA ROCHE EN ARDENNE 237m

Dochamps 487m

En ce printemps 1891, ces arbres sont devenus magnifiques et les promenades, sous les hêtres pleureurs le long de l’étang, sont particulièrement appréciées par la haute bourgeoisie, rendue opulente par les innovations technologiques de John Cockerill, notamment. Elle a investi massivement ces nouveaux quartiers, celui des Terrasses surtout, construisant par dizaines des immeubles de prestige. Au bas de l’un d’eux, le café Vedrin, sur le boulevard d‘Avroy, accueille les dames en crinoline et les messieurs en gibus venus goûter le délicieux café viennois qui deviendra, plus tard, le café liégeois. À l’étage, le Royal Cyclist’s Pesant Club Liégeois y tient ses réunions. Celui-ci tiendrait son nom d’un invité néerlandais qui, dans un discours en français, pour évoquer le « présent club », oubliait systématiquement de prononcer le « r ». Le nom est resté. Le côté « british so chic » aussi. Charles Legrand, Charles Van Haer, Ernest Huysmans et les frères Ernest et Fernand Mativa, lassés des concours de gymnastique et des fanfares à vélo, ont décidé de vivre avec leur temps et même de l’anticiper un petit

Bomal-sur-Ourthe 129m

LIÈGE 71m

Cèdres du Liban, cyprès chauves, noisetiers de Byzance, arbres de Judée et, surtout, de beaux alignements de platanes : rien n’était trop beau aux yeux de l’architecte Edouard Keilig, chargé par la Ville de Liège de dessiner le Parc d’Avroy, à la fin des années 1870.

AYWAILLE 158m

Liège–Bastogne–LIège DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

LA GENÈSE


qui décrit Houa au contrôle de Bastogne, en train de signer « d’une main ferme sous les acclamations d’une foule considérable et les accents d’une excellente musique qui entonne une Brabançonne en son honneur ». Cette négligence est corrigée en 1908 quand le quotidien L’Express soutient l’épreuve renaissante. Après les trois premières éditions remportées par Houa, Liège-Bastogne-Liège va en effet connaître une éclipse longue de quatorze années. Les organisateurs, qui aiment décidément vivre avec leur temps, préfèrent momentanément les courses sur piste, plus spectaculaires et plus rentables. Ce ne sera pas là la seule saute d’humeur d’une course qui mettra beaucoup de temps à trouver une certaine stabilité, changeant d’itinéraires, de sites de départ ou d’arrivée plus souvent qu’à son tour.

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ANS 184m

Côte de Saint-Nicolas 172m

LIÈGE 62m

Côte de la Roche-aux-Faucons 225m

Côte de La Redoute 314m

1. Paris-Rouen créée en 1879 ne connut qu’une édition et Milan-Turin, créée en 1876 existe toujours et fait d’ailleurs partie du non officiel Trittico d’autunno avec le Tour de Lombardie et le Tour du Piémont. 2. P. Cossins, The Monuments : The Grit and the Glory of Cycling’s Greatest One-Day Races, Londres, Éditions Bloomsbury, 2014. 3. D.Malempré, Liège-Bastogne-Liège, une Doyenne vénérable et vénérée, Liège, Éditions du Céfal, 2014.

SPRIMONT 296m

Col du Maquisand 367m

Spa 307m

Côte de Stockeu 401m

Côte de Wanne 499m

VIELSAM 392m

Limerlé 498m

Côte de Saint-Roch 456m

Léon Houa va marquer Liège-BastogneLiège de son empreinte en remportant les trois premières éditions. Pourtant, quatre mois avant le premier départ du 29 mai 1892, ce garçon de très bonne famille, « sportif accompli pratiquant aussi la boxe et l’escrime »2, n’avait encore jamais fait de vélo ! Cela ne l’empêche pas de rallier Bastogne en un peu moins de cinq heures et

Col du Rosier 565m

Sans l’appui de la presse

de mettre une heure de plus pour le retour, suite à une chute qui le prive d’une pédale pendant les dix derniers kilomètres. C’est donc sur une jambe que Léon Houa franchit la ligne d’arrivée après 10 h 48’ et 36’’, soit à la moyenne très respectable d’un peu plus de 23 km par heure. Léon Lhoest arrive 22 minutes plus tard et Louis Rasquinet à 44 minutes, 17 concurrents terminant ce premier Liège-Bastogne-Liège. Erreur de jeunesse! Les organisateurs négligent, pour cette première édition, de solliciter l’appui de la presse, d’ailleurs fort peu habituée à relater les informations sportives « autres que la colombophilie ou les courses hippiques3 ». Une leçon que retiendront les responsables des autres grandes courses qui chercheront toujours à s’appuyer sur un quotidien, important si possible. Seules quelques lignes dans le quotidien local La Meuse du 30 mai 1892 vont à l’essentiel : « Bornons-nous à constater la réussite complète de cette épreuve, la plus importante jusqu’à présent courue en Belgique, et le succès considérable de nos velocemen liégeois. Honneur surtout à Léon Houa, du Liège Cyclist’s Union, qui s’est révélé hier comme un coureur de tout premier ordre et à Trimpou (Léon Lhoest de son vrai nom, NDLR), du même cercle, qui serait mieux arrivé encore s’il n’avait eu de multiples incidents de machine. Le départ a été donné à 5 heures 39 minutes et 44 secondes du matin, Houa est arrivé à 4 heures 28 minutes et 22 secondes de l’après-midi ». Suivent quelques considérations anecdotiques comme celle

Côte de la Haute-Levée 506m STAVELOT 494m

montent la course avec l’aide du Liège Cyclist’s Union, du Safety Club Liégeois et du Velocemen Club de Wandre, sous le nom, aux accents britanniques très mondains, de Liège Cyclist’s Union. Ils ne savent pas encore qu’ils sont en train de donner corps à ce qui deviendra La Doyenne des courses cyclistes après la disparition de Paris-Brest-Paris en 1951 et de Bordeaux-Paris en 19881. Le dimanche 29 mai 1892, vers 5 h 30 du matin, une centaine de spectateurs assistent, avenue Rogier, au départ des 33 coureurs, tous Belges et tous amateurs, en ce compris leurs entraîneurs. Une bande d’intrépides qui ne savent pas très bien ce qui les attend tout au long de ces 250 km, dont l’itinéraire n’est pas si éloigné du tracé actuel. Partis des Terrasses, ils passent par Tilff, Esneux, Comblain, Aywaille, Bomal, Barvaux, Hotton, Marche, la Barrière de Champlon, Ortheuville et Bastogne, soit 125 km. Le retour se fait par l’itinéraire inverse. Cependant, à l’époque, les coureurs restent dans les vallées de l’Ourthe et de l’Amblève, les chemins de terre et les routes en pavés ne rendant pas encore nécessaire la succession des côtes qui font la réputation de la course aujourd’hui.


Liège–Bastogne–LIège DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

UNE HISTOIRE D’HOMMES L’histoire de Liège-Bastogne-Liège, comme celle de Paris-Roubaix, se différencie un peu des autres courses. Elles ont lié leur destin à la Société du Tour de France, devenue ASO (Amaury Sport Organisation) en septembre 1992. On y sent donc la même griffe, la même emprise tant l’expertise et le professionnalisme d’ASO sont connus et reconnus dans le monde entier. Le vélo et la course, c’est plus qu’un sport et qu’une compétition. C’est de l’aventure humaine, c’est de la vie sociale, ce sont des joies, des drames, des sentiments. Ce sont des gens à la rencontre d’autres gens, raconte l’ancien directeur du Tour de France, Jean-Marie Leblanc1. C’est aussi de la passion. De l’envie. Du rêve. C’est en 1989 qu’Arsène Vanhaeren, alors président du Pesant Club, personnage charismatique du cyclisme belge et wallon, trop tôt disparu, a l’audace un peu folle de venir frapper à la porte de la Société du Tour de France. Le Tour fait alors étape à Spa-Francorchamps avec le tout nouveau directeur des compétitions de la Société du Tour de France, Jean-Marie Leblanc. Un ancien coureur pro, journaliste de talent est aussi un nordiste du pays avesnois, déjà bien impliqué dans le renouveau de ParisRoubaix et toujours attentif à cette moitié de Belgique, dont il connaît et apprécie le parler, le tempérament simple et direct, le goût de la fête et de la convivialité. Bref, le mode de vie.2

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Respecter le droit belge Liège-Bastogne-Liège est alors une grande course pourtant gérée par des amateurs. Vanhaeren a la lucidité de reconnaître leurs limites et il souhaiterait s’appuyer sur le professionnalisme du Tour de France mais les choses ne sont pas si simples. Concernant La Doyenne, Jean-Marie

Leblanc a certes les yeux de Rodrigue pour Chimène. Pour moi, déjà comme coureur et comme journaliste, c’était la plus belle des classiques, celle que je préfère entre toutes. J’aime aussi Paris-Roubaix mais elle est tellement spécifique avec tous les pavés. Au contraire de la Doyenne, qui est faite pour tout type de coureurs. C’est LA classique, avec ses beaux parcours, ses beaux paysages, ses difficultés…3. Mais Jean-Marie Leblanc n’est pas le seul à décider. Il faut un projet qui respecte à la fois la propriété du Pesant et la pleine responsabilité d’ASO. En 1989, une structure de droit belge, PSO (Promotion Sport Organisation), est alors créée pour se donner les moyens d’organiser la classique. Leblanc sait que les premières années seront déficitaires mais ce n’est pas le seul problème. Il faut vraiment tout revoir sur le plan de l’organisation en comptant malgré tout sur les ressources locales qui ont la connaissance du terrain. Ce fragile équilibre est atteint après plusieurs années de tâtonnements grâce, une nouvelle fois, à un concours de bonnes volontés. Depuis le début des tractations avec la Société du Tour de France, la province de Liège intervient également. Cette collaboration débouchera sur une belle amitié entre Jean-Marie Leblanc et Paul Bolland qui, à l’époque, n’est pas encore gouverneur mais député permanent chargé des sports et du budget provincial. Cela aide. On a trouvé en Paul Bolland un interlocuteur

extrêmement réceptif, se souvient JeanMarie Leblanc. Il nous a aidés au maximum de ce qu’il pouvait faire. Il nous a ouvert les portes du palais provincial pour l’accueil de l’organisation dans un cadre cérémonial et pour la présentation des coureurs le samedi après-midi. Avant, il n’y avait rien 4. Quand il est nommé gouverneur en 1990, Paul Bolland convainc ses pairs politiques de lancer un vaste programme de restauration de l’image positive du « Pays de Liège ». La participation à de grands événements sportifs internationaux est la clé de voûte de ce programme. Les relations de Bolland sont considérables. Il va jusqu’à trouver un gros sponsor pour la course qui est toujours déficitaire. De son côté, Leblanc poursuit les tractations, au nom du Tour de France, pour obtenir des droits de télévision plus avantageux, ce qui a d’inévitables répercussions sur LiègeBastogne-Liège et sur la Flèche Wallonne, tombée également dans l’escarcelle de la Société du Tour de France. Jean-Marie Leblanc a même songé à relancer le « weekend ardennais » qu’il avait connu comme coureur mais sans succès. Aujourd’hui, les deux courses développent une identité bien spécifique aux mains des mêmes partenaires. Entre Liège et Paris, la communication fonctionne bien. Chacun écoute et respecte l’autre. Au fil des années, de véritables liens humains se tissent, des amitiés se révèlent, le savoir-faire se confirme, les engagements se tiennent. Aujourd’hui, ce n’est évidemment pas un hasard si Liège est une des rares villes à avoir accueilli deux fois le Grand Départ du Tour de France en 2004 et en 2012.

Bien au-delà d’une relation contractuelle Cette pyramide humaine aux rouages bien huilés doit aussi pouvoir compter sur des collaborateurs motivés et très efficaces. Des hommes de terrain expérimentés comme Christian Pétry et Joseph Crotteux au


pas à Liège-Bastogne-Liège (…) Tout cela va bien au-delà d’une relation contractuelle ou à caractère commercial. On a tous une passion commune. Cela dépasse le cadre du boulot 5. Au-delà des formules de circonstances, je peux certifier, pour l’avoir vécue de près, que cette histoire d’hommes a pris aussi, le temps venu, des allures récréatives qui n’ont jamais eu un caractère public. Comme de grands enfants, ils sont simplement contents que tout se soit bien passé, qu’il n’y ait pas eu d’accidents, que tout, finalement, se soit déroulé comme prévu. En ne laissant aucune place, si ce n’est sportive, au hasard. Et encore moins à l’enrichissement. Tout tourne autour du concept de gratuité, du plaisir populaire, de communion entre les hommes et de pérennité. Sans cela, sans la lucidité et l’audace d’Arsène Vanhaeren, sans ce tuteur français devenu le grand frère attentif, sans cette province qui place ses deniers publics comme des pions, sans la ténacité du Pesant dont Bolland a été le président de 2004 à 2014, Liège-Bastogne-Liège serait tombée aux oubliettes de l’histoire.

10 000 EUROS DE MOINS QUE PARIS-ROUBAIX

Le vainqueur de Liège-Bastogne-Liège empoche 20 000 euros, soit 4 000 euros de plus que celui de la Flèche Wallonne, mais 10 000 euros de moins que le gagnant de Paris-Roubaix. À noter que le passage en tête des côtes rapporte également 250 euros pour chacune des montées répertoriées. À l’image du maillot à pois du Tour de France, le meilleur grimpeur de la compétition gagne également 2 000 euros supplémentaires. L’usage dans le cyclisme veut que les prix soient partagés entre tous les membres de l’équipe.

1. Ph. Vandenbergh et F. Van Vlodorp, Le Tour de France en Wallonie, Bruxelles, Éditions Luc Pire, 2004. 2. Ph. Vandenbergh et F. Van Vlodorp, ibid. 3. D. Malempré, Liège-Bastogne-Liège, une Doyenne vénérable et vénérée, Liège, Éditions du Céfal, 2014. 4. D. Malempré, ibid. 5. Ibid.

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service des sports de la Province ou JeanFrançois Pescheux, un ancien coureur, à la direction technique de la Société du Tour de France. Tout le monde a été convaincu de la pertinence et de l’intérêt, sur le plan de la visibilité de l’institution provinciale et sur le plan des retombées économiques, de ce partenariat avec la France, estime Paul Bolland. Aujourd’hui, André Gilles, à la fois comme président du Collège provincial et comme responsable du département des Grands événements, et ceux qui l’entourent ont eu l’intelligence et la volonté de maintenir et de fortifier ce partenariat amical avec Christian Prudhomme et son équipe déclare celui qui est désormais remplacé par Thierry Govenou. « Nous sommes devenus, en quelque sorte l’interface entre La Doyenne et les communes traversées par la course. Et avec un grand enthousiasme, explique André Gilles. On a perpétué les choses avec un grand bonheur. Les hommes se sont succédé, aussi bien à l’ASO qu’à la Province. Personnellement, je n’ai fait que maintenir cette étroite collaboration qui ne se limite

1988 – Une saillie dans la route provoque une terrible embardée. Édition remportée au sprint par Adri van der Poel devant Michel Dernies et Robert Millar.


152 DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Liège–Bastogne–LIège


153 1952 – Arrivée de Louison Bobet au sprint qui se jugeait alors aux Terrasses de l’Avenue Rogier.


Liège–Bastogne–LIège DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

1892-1894

LÉON HOUA : LE PIONNIER DANDY À la fin du XIXe siècle, les vélocipèdes ne sont pas encore très répandus et restent l’apanage de nantis. À Liège, ils sont quelques privilégiés à s’essayer à cette bicyclette dans le tout nouveau Parc d’Avroy. Ces dandys sont bien loin d’imaginer qu’elle deviendra le moyen de locomotion le plus populaire dans la première moitié du siècle suivant et qu’elle déchaînera les passions sportives. En 1891, Charles Terront a gagné la première grande course cycliste Paris-Brest-Paris avec une bicyclette qui a démontré toute l’efficacité des prototypes Michelin. Ce sont les premiers pneumatiques démontables. Une adaptation intelligente de la véritable révolution provoquée par le vétérinaire écossais John Dunlop en 1888, quand il réinvente le « tube creux de caoutchouc gonflé d’air » (apparu sans succès en 1845) à la place d’un bandage plein sur une roue de bois. C’est l’avancée la plus déterminante pour le vélo depuis l’invention de la pédale par Pierre Michaux en 1860 et avant l’arrivée du dérailleur en 1908.

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22 minutes d’avance Au début de l’année 1892, Léon Houa n’est encore jamais monté sur un vélocipède. Héritier d’une grande famille liégeoise, habitant un immeuble cossu au 34 de la rue du Pont, non loin de la Place Saint-Lambert, Léon Houa, qui peut vivre de ses rentes, s’adonne au vélocipède avec le même succès

que dans ses autres disciplines favorites, la boxe et l’escrime. Il est un sportif accompli malgré sa petite taille (1,70 m pour 67 kg). Il trouve même un accord avec une firme pour courir, avec des pneumatiques spécifiques, la course Liège-Paris-Liège qui ne verra jamais le jour. Le dimanche 29 mai 1892, il remporte la première édition de Liège-Bastogne-Liège et les chiffres de cette première victoire étonnent : 250 km parcourus avec une moyenne d’un peu plus de 23 km/h pour terminer avec 22 minutes d’avance sur Léon Lhoest et 44 minutes sur Louis Rasquinet. Le tout avec un vélo pesant près de 12 kg, soit le double des vélos actuels en carbone ! Il fait encore mieux pour sa deuxième victoire en 1893 dans cette course toujours réservée aux amateurs. Il améliore son temps de 6’36’’ et termine avec 30 minutes d’avance sur Michel Borisowski, un bien curieux personnage et 32 minutes sur Charles Collette du RC Verviétois. J’ai perdu du temps en route, explique-t-il sur la place du Théâtre où est jugée l’arrivée. J’ai faussé

une pédale et j’ai dû changer quatre fois de machine avant d’en trouver une à ma taille 2. Il faut souligner que la presse de l’époque prie instamment les participants d’être prudents et de se considérer non comme des coureurs à qui la chaussée est réservée, mais comme des touristes qui doivent s’efforcer de ne pas déranger inutilement les personnes qu’ils croisent ou qu’ils dépassent 3. La course étant réservée aux amateurs, la très sourcilleuse Ligue vélocipédique belge (LVB) l’exclut peu après sa victoire, en raison de son accord avec la firme de pneumatiques, mais aussi pour avoir accepté de l’argent pour courir. La même LVB le réintègre cependant quelques mois plus tard, non sans avoir créé la catégorie des coureurs « libres » autrement dit des « professionnels ».

La concurrence de la piste La troisième édition de Liège-BastogneLiège connaît déjà de nombreux changements. Non seulement, la course est déplacée du mois de mai au mois d’août, mais, en raison de l’inauguration du vélodrome de Spa-Géronstère, son départ et son arrivée ont lieu à Spa et non plus à Liège, ce qui rend le parcours beaucoup plus accidenté. La course est réservée, cette fois, aux « professionnels ». Au départ, on retrouve le premier coureur français inscrit : un certain Maurice Garin, le « petit ramoneur de Maubeuge », qui va s’illustrer dans les premières éditions de Paris-Roubaix et du Tour de France.


SON PROPRE PORTRAIT EN PRIME

La distance est un peu moindre (223 km au lieu de 250) mais Houa s’impose quand même pour la troisième fois avec seulement 7 minutes d’avance sur Louis Rasquinet (3e et 5e des deux premières éditions) mais à la très honorable moyenne de 25,15 km/h. Sur 42 partants, il n’y a que 14 classés. Garin termine 4e à 43 minutes de Houa. Ce dernier remporte ainsi le premier titre national des professionnels en 1894 puis se tourne rapidement vers les épreuves sur piste, nettement plus rentables. Il opte ensuite pour les sports moteurs, moto et auto ; il se tuera dans un accident de la route, en 1918. La fin du XIXe siècle n’est pas favorable au développement du cyclisme sur route

en Belgique. La mode est aux longues distances, impossibles dans un aussi petit pays. La double concurrence de la piste et des sports motorisés, chéris par le public, est également un frein certain. Le cyclisme traverse depuis 1897 une crise que d’aucuns prétendent passagère, mais qui pourrait engendrer la décadence définitive, écrit Jules Hansez, le très pessimiste viceprésident de la LVB 4. L’avenir ne lui donnera pas raison. Mais Liège-Bastogne-Liège subit le contrecoup immédiat de cette crise. La course est supprimée pendant quatorze longues années. Elle ne reprendra qu’en 1908.

Léon Houa découvre le vélo alors qu’il s’adonne déjà à la boxe et à l’escrime. Il remportera les trois premières éditions de Liège-Bastogne-Liège en 1892, 1893 et 1894.

1. Inscrit par le RC Bruxellois, Michel Borisowski est présenté par certains comme un authentique prince russe. Il fonde le quotidien sportif Le Véloce avant de se retirer définitivement dans son château de Bleienberg. P. Chany, La fabuleuse histoire des grandes classiques et des championnats du monde, Paris, Éditions O.D.I.L., 1979. 2. La Meuse du 29 mai 1893, citée par D. Malempré, Liège-Bastogne-Liège, une Doyenne vénérable et vénérée, Liège, Éditions du Céfal, 2014. 3. P. Chany, op.cit. 4. P. Chany, ibid.

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Pour sa deuxième victoire de Liège-BastogneLiège en 1893, Léon Houa reçoit du Safety Club Liégeois, organisateur de l’épreuve, un prix de 250 francs belges, un insigne, une médaille en vermeil et… son propre portrait ! Le deuxième reçoit un objet d’art, un chèque de 150 FB et une aquarelle encadrée. Quant au troisième, il se contente d’un chèque de 100 FB. L’organisateur avait lancé un appel pressant dans les colonnes de La Revue Vélocipédique Belge Illustrée, priant chaque club de bien vouloir envoyer un don : Il est du devoir de tous les Belges d’encourager et de soutenir la grande épreuve nationale. (P. Chany, La fabuleuse histoire des grandes classiques et des championnats du monde, Paris, Éditions O.D.I.L., 1979.)


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DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Liège–Bastogne–LIège

1908-1913

LES HÉROÏQUES ANONYMES En 1908, la course renaît sous les auspices du quotidien liégeois L’Express 1 qui veut se faire une place parmi la centaine de quotidiens belges de l’époque. Il a l’idée d’organiser, avec le Pesant Club, une « Journée du Cyclisme », comprenant notamment une course dite pour les « tout petits » de Liège à Remouchamps et retour (57,5 km). Le point d’orgue de l’événement est le retour de Liège-Bastogne-Liège, à nouveau réservée aux amateurs et aux… motocyclettes. Tout le quartier des Terrasses, et particulièrement l’avenue Rogier, sont en liesse pour l’occasion. L’initiative rencontre un franc succès, d’ailleurs saluée par la concurrence, notamment dans La Meuse du 31 août 1908. André Trousselier, le frère de Louis, crée la surprise. Il est le premier coureur français à s’imposer et il en sera ainsi jusqu’en 1930. L’arrivée se fait pour la première fois au sprint. Il bat le record de Léon Houa de plus de deux heures en parcourant les 235 km en 8 h et 12’, à la moyenne de 29 km/h. Le matériel a évolué certes, mais un tel écart à 14 années de distance a de quoi interpeller. Le cadet des Trousselier s’impose devant Alphonse Lauwers et Henri Dubois dont les résultats, sans offenser leur mémoire, n’ont pas marqué les esprits. Le public est manifestement séduit par ce retour en grâce de la future Doyenne. L’année suivante, une foule impressionnante envahit les Terrasses pour assister à l’événement. Il est vrai que les organisateurs ont prévu de jumeler l’arrivée de LiègeBastogne-Liège amateurs avec celle de Paris-Liège réservée aux professionnels. Le

départ, quant à lui, a été donné depuis la petite localité de Streupas, dans la banlieue liégeoise après le premier départ fictif de l’histoire. En effet, le rendez-vous initial du peloton de 82 coureurs est fixé à 7 h devant les locaux de L’Express pour un départ réel donné à Streupas à 8 h 30.

Le retour des vrais pros Le très nombreux public sera récompensé de sa patience par un dénouement plein de suspens. Un peu avant 17 h, huit hommes débouchent de l’avenue Blonden pour se jeter dans le sprint, avenue Rogier. Un jeune Liégeois de dix-neuf ans, Victor Fastre, est en tête mais il est battu au sprint par Eugène Charlier, un Hennuyer encore plus jeune que lui (il n’a pas encore dix-huit ans !). Pourtant, c’est Fastre qui sera déclaré vainqueur suite au déclassement de Charlier. Ce dernier a en effet commis l’erreur de changer de vélo après un bris de fourche, ce qui est interdit par le règlement. Fastre est crédité du meilleur temps des 41 coureurs classés, en 8 h et 21’, soit 9’ de plus que Trousselier l’année précédente et confirme que le cyclisme est bien entré dans une autre ère. Malgré ce succès, le Pesant décide, sans qu’une raison impérieuse soit avancée, de ne pas organiser la course en 1910. En

1911, il relance l’épreuve en prévoyant un seul classement mais en deux catégorie : les amateurs « purs » et les amateurs dits « indépendants ». Les premiers ne sont que huit pour une centaine d’ « indé », comme on les surnommait. Forcément, le vainqueur se trouve parmi ces derniers. Joseph Van Daele s’impose, pratiquement dans le même temps que Fastre l’année précédente, avec 30’’ d’avance sur Armand Lenoir et 1’10 sur Victor Kraenen. L’arrivée ne se fait pas au centre-ville mais au vélodrome de ChênéeSauheid, inauguré en 1908. Le premier amateur « pur » est un certain Lekeux, dont les tablettes n’ont pas retenu le prénom, qui arrive 24e à 38’35’’ de Van Daele. Il y a 48 coureurs classés pour 108 partants.

Dérailleur interdit L’édition 1912 est marquée par le retour des vrais professionnels toujours accompagnés de ces fameux « indépendants » qui forment le gros de la troupe. Le départ a de nouveau lieu à Streupas après le rassemblement devant les locaux de L’Express où l’on distribue les dossards aux 49 coureurs (18 pros et 31 indépendants). Autre changement : le champ d’aviation d’Ans est choisi comme lieu d’arrivée. Le parcours est logiquement modifié et passe alors par Engis, Hozémont, Velroux, Hollogne et Grâce-Berleur 2. À l’arrivée, c’est une belle pagaille. La police ayant refusé d’apporter son aide aux organisateurs, la foule – au moins 5 000 personnes – envahit le champ d’aviation juste après l’explication finale entre le Flandrien Omer Verschoore, le champion national, et Jacques Coomans. Cette cohue gêne considérablement le comptage des concurrents, rendus méconnaissables de surcroît par la boue qui s’accroche à


la Plaine des Sports. Il n’y a plus que des « indépendants ». La direction oblige les coureurs à utiliser la roue dite « libre » pour interdire le dérailleur ou tout changement de vitesse. L’idée est de « donner les meilleurs résultats au point de vue de la dépense d’efforts de la part des routiers 3 ». C’était compter sans Dame Nature qui se montre bien capricieuse : la pluie, le vent imposent des « arrêts nécessaires » qui s’ajoutent aux ennuis techniques de tout poil. Sur le chemin du retour, ils ne sont plus que 21 coureurs (sur 49 partants) à Aywaille où on les informe que l’arrivée n’aura pas lieu sur la piste, détrempée et inutilisable, mais sur la pelouse où l’on s’est empressé de jeter des cendrées. Le Namurois Maurice Moritz y retrouve ses réflexes de pistier et s’impose au sprint devant Alphonse Fonson et Hubert Noel. Le lendemain, des critiques commencent à s’élever contre la multiplication des arrivées

au sprint au détriment des attaques, peu favorisées tant par les coureurs que par les organisateurs. Un problème qui, un siècle plus tard, est toujours d’actualité même si Liège-Bastogne-Liège n’a que rarement prêté le flanc à cette critique. Frappée de plein fouet par les affres de la Grande Guerre, la région liégeoise doit rentrer son pavillon pendant quatre longues années durant lesquelles la course n’est pas organisée. Elle perd aussi plusieurs de ses fils dont Victor Fastre, vainqueur en 1909, fauché dans les premières semaines d’un conflit ravageur qui fera des millions de victimes. 1. L’Express est l’ancêtre de La Dernière Heure. Il s’est associé avec Les Sports en 1977 et soutient LiègeBastogne-Liège aujourd’hui, côté francophone, le côté néerlandophone étant assuré par Het Laatste Nieuws. 2. D. Malempré, Liège-Bastogne-Liège, une Doyenne vénérable et vénérée, Liège, Éditions du Céfal, 2014. 3. D. Malempré, op.cit.

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leur dossard. Verschoore s’impose assez nettement alors qu’il a failli être privé de départ. Il n’avait pas versé son droit d’inscription et, sans l’intervention d’un généreux « sponsor », la 7e édition de LiègeBastogne-Liège aurait connu une tout autre issue. Chez les « indépendants », cela n’a pas été triste non plus. Jean Rossius et Dieudonné Gauthy défraient la chronique en provoquant le premier et unique ex-aequo de l’histoire de la course. Auteurs d’une longue échappée en duo, les deux hommes, amis dans la vie, choisissent de passer la ligne bras dessus, bras dessous, une image qui n’est pas sans évoquer celle, plus récente, de Bernard Hinault et Greg LeMond franchissant la ligne d’arrivée de l’Alpe d’Huez, les bras levés et joints lors du Tour de France 1986. L’édition de 1913 apporte également son lot de changements. L’arrivée aura lieu cette fois à Tilff, sur le vélodrome de

La fratrie des Trousselier a beaucoup donné au cyclisme du début du XXe siècle. André (à g.) a été le vainqueur du 1er Liège-Bastogne-Liège pour professionnels en 1908.


La Classique des feuilles mortes En octobre Créée en 1895. En 2015, 109 éditions ont été disputées depuis sa création. 68 victoires italiennes, 12 belges, 11 françaises, 5 suisses, 4 irlandaises, 3 néerlandaises, 2 espagnoles, 1 lituanienne, 1 luxembourgeoise, 1 russe et 1 britannique. Cinq succès pour Fausto Coppi (1946, 1947, 1948, 1949 et 1954), quatre pour Alfredo Binda (1925, 1926, 1927 et 1931). 245,8 km de Bergame à Côme. La course est longtemps partie de Milan. Sept côtes en 2015. La place du Dôme à Milan, le col de la Madonna de Ghisallo,

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le Mur de Sormano.


193

LE TOUR DE LOMBARDIE


194 DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Liège–Bastogne–LIège

« La più bella di tutte ! » LE C(H)ŒUR DES TIFOSI


« La piu bella di tutte ! »

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LE C(H)ŒUR DES TIFOSI


BUNI CONTRE BUFFALO BILL

Star des courses sur piste dans les années 1890 en Italie, Romolo Buni, l’homme qui donne le départ du premier Tour de Lombardie, est sans doute plus connu que les coureurs qui s’alignent devant son drapeau rouge, fierté de la Lombardie. En 1894, à Milan, il avait relevé le défi lancé par William Frederick Cody, plus connu sous le nom de « Buffalo Bill ». Les deux hommes, l’un à vélo, l’autre juché sur son cheval, devaient parcourir la plus longue distance en trois heures. Sur ses chevaux, devrait-on dire, puisque Cody montera pas moins de 10 chevaux successifs, alors que Buni restera en selle sur le même vélo. L’Américain couvrira 102 km et l’Italien 99. Mais ce dernier, par sa résistance et sa pugnacité, sera considéré comme le vainqueur moral et historique de l’épreuve.

LA GENÈSE

LES FEUILLES MORTES ONT AUSSI LEUR CLASSIQUE

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Galbiate 371 m

COLLE BRIANZA 533 m

Santa Maria Hoè 380 m

Calco 283 m

Ponte F. Adda 202 m

San Sosimo 270 m

Almeno San Salvatore 276 m

Villa d’Almé 295 m

Bergamo 263 m

suggérées par Stendhal, entre Robert, le lieutenant français et la jeune marquise Del Dongo, vivant à Grianta à l’abri d’ une des anses bleutées du lac de Côme. Le cinéma s’est aussi emparé de ce cadre. La Villa d’Este a été la demeure estivale de Luchino Visconti, alors que celle d’Oleana sert toujours de retraite à George Clooney. Dans la Villa Balbianello, on a même tourné des scènes de Star Wars et la Villa La Gaeta a vu James Bond – Daniel Craig – tirer sur M. White dans Casino Royale. Au moment où son patron, Eugenio Camillo Costamagna, se fait approcher par les dignitaires sanrémasques pour lancer la Primavera, qu’Armando Cougnet, le « monsieur vélo » de la Gazzetta dello Sport prend tout le monde de vitesse en mettant sur pied le premier Tour de Lombardie. Nous sommes en 1905 et la concurrence entre les journaux italiens fait rage. La Gazzetta, qui ne paraît alors que les lundis et les vendredis,

Alzano Lombardo 292 m

Albino 329 m

COLLE GALLO 763 m

Gaverina Terme 500 m

Casazza 318 m

Borgo di Terzo 300 m

Trescore Balneario 252 m

Mornico al Serio 170 m

Cologno al Serio 156 m

Spirano 154 m

Verdello 173 m

Stezzano 209 m

BERGAMO 235 m

Avant le Tour de Lombardie, il y eut le Grand Tour. Le lac de Côme, que les Italiens préfèrent appeler le Lario en référence à ses racines romaines, a été le point de départ ou d’arrivée des voyages entrepris à travers l’Europe du XVIIIe siècle par les jeunes nobles en quête de découvertes destinées à parfaire leur éducation.

Ils seront bientôt suivis par les amateurs d’art, les artistes et les écrivains. De somptueuses villas sont ainsi venues, au fil du temps, peupler ses rives. Avec ses reflets tantôt bleus, tantôt gris, le lac – le 3e plus important d’Italie après le lac Majeur et le lac de Garde – fait environ 150 km de pourtour. Il a la forme d’un « Y » inversé avec Côme à gauche, Lecco à droite et Colico au nord. Une disposition géographique particulière qui favorise les capi idylliques ou les îlots perdus au charme mystérieux. Ces villas ont toutes une histoire et leurs fastueux jardins de rhododendrons, de camélias, d’azalées, de roses et de jasmin ont souvent abrité des amours tumultueuses. Comme cette folle passion, à Bellagio, entre Franz Liszt et Marie d’Agoult. De cette liaison, naîtront trois enfants dont Cosima, la future Madame Wagner. Sans parler, évidemment, de Fabrice Del Dongo, le héros de la Chartreuse de Parme, né des amours


1. C. Degauquier, Le Centenaire du Tour de Lombardie (préface), Seraing, Éditions Coups de Pédales, 2009. 2. P. Chany, La fabuleuse histoire des classiques et des championnats du monde, Paris, Editions O.D.I.L. 1979.

197

CIVIGLIO 613 m

Como 212 m

Nesso 285 m

Zelbio 802 m

COLMA DI SORMANO 1124 m Sormano 760 m

Bv. per Sormano 495 m

MADONNA DEL GHISALLO 754 m

Guello 632 m

Le dimanche 12 novembre, à 6 heures du matin, 53 des 74 coureurs inscrits, tous Italiens, se présentent à la Trattoria del Buschino à Rogoredo, un quartier du sudest de Milan. Il fait encore nuit. Sous les lueurs des lampes à acétylène, les coureurs apparaissent comme des mineurs de fond. Romolo Buni abaisse le drapeau rouge : le 1er Tour de Lombardie démarre. Deux cent trente kilomètres d’un parcours inviolé passant par Lodi, Crema, Bergame, Lecco, Côme, Varèse, Legnano et Milan (au Corso Sempione). Inviolé, sauf par Giovanni Gerbi. Le Piémontais a seulement 20 ans mais il a déjà compris que le cyclisme se court autant avec la tête qu’avec les jambes. Il reconnaît le parcours plutôt vingt fois qu’une, prend des notes et relève les endroits particulièrement piégeux. Il sait ainsi, que de Milan à Lodi, le parcours suit le trajet du tramway de la ligne Milan-Melagneno. Quand

COMO 201 m

Le Diable est dans les détails

Regatola 272 m

Onno 206 m

Valbrona 490 m

Asso 450 m

Canzo 402 m

Pusiano 264 m

Oggiono 273 m

Civate 277 m

Parè 205 m

Pescate 203 m

Galbiate 371 m

Toutefois, les motivations de Cougnet sont clairement sportives. Le Tour de Lombardie est le fruit de l’heureuse intuition de La Gazzetta dello Sport qui, pour mettre fin aux éternelles disputes entre les différents champions qui, à la fin de chaque année, se bagarraient pour élire le meilleur, pensa organiser une épreuve, la dernière du calendrier, qui fasse office de jugement sans appel, rappelle Carmine Castellano, l’ancien directeur du Giro1. En 1905, le cyclisme est en plein essor en Italie. Le public commence à s’intéresser aux épreuves sur route, au détriment des compétitions sur piste qui n’offrent pas le même sel aventureux, la même image héroïque. Par journaux interposés, Giovanni Gerbi, « Le Diable rouge » et le Piémontais Giovanni Cuniolo se disputent le titre de champion le plus charismatique de cette période. Cuniolo gagne la 8e édition de la « Coppa de Re » (Coupe du Roi) en 1905. Une course très importante à l’époque. Son dauphin, un certain Albini, conteste la victoire de Cuniolo et porte plainte pour une sombre histoire de changement de vélo après crevaison. Comme les vélos n’ont pas été poinçonnés la veille, les organisateurs sont incapables de démêler le vrai du faux. Dans le doute, ils confirment la victoire de Cuniolo. Mais nous sommes en Italie et les esprits s’échauffent rapidement. La colère gronde. Les « médias » soufflent sur les

Como 204 m

Jugement sans appel

il s’en écarte, c’est pour épouser des sentes particulièrement étroites « où l’on peut placer à peine un guidon de vélo2 ». À Lodi, il repère une bifurcation à gauche des rails du tram, alors que la course doit continuer tout droit; les rails se trouvent donc au milieu de la route. Il sait aussi que 50 mètres d’écart peuvent s’avérer décisifs. À l’approche de cet endroit stratégique, Gerbi force l’allure. Tous les autres, à commencer par Cuniolo, foncent derrière lui, tête baissée. Ils ne voient pas l’écueil ferré. C’est la chute collective. Gerbi, lui, enfonce les pédales. Seul un certain Parini s’accroche à ses basques, mais pas pour longtemps. Le « Diable rouge » survole la course. Dans sa cavalcade solitaire, il creuse sans cesse l’écart : 4’ à Crema (km 60), 18’ à Bergame (km 100). Derrière, Cuniolo et Rossignoli tentent de s’organiser. À Varèse (km 170), l’avance de Gerbi est de 36’ et on a l’impression que ni la boue, ni le froid ni la pluie n’ont de prise sur lui, ce qui n’est pas le cas pour ses adversaires. Cuniolo jette l’éponge. Une quarantaine de concurrents font de même. À l’arrivée à Milan, Gerbi reçoit une véritable ovation. Il termine avec 40’ et 11’’ d’avance sur Rossignoli et 40’46’’ sur Ganna qui prend la 3e place. Il n’y aura que neuf autres coureurs classés dont le dernier à plus de 2 h 40. La stratégie des rails sera suivie de beaucoup d’autres « combinazzione » pour une course qui, dans le pays de la tragédie et de l’art lyrique, touche aussi à la commedia dell’arte.

SAN FERMO DELLA BATTAGLIA 397 m

braises, chacun prenant parti pour l’un ou pour l’autre. Pour rétablir un semblant de justice, Cuniolo propose à son rival un défi sportif qui sacrera le meilleur des deux. Trois épreuves sur piste que Cuniolo enlève sans coup férir. Cougnet propose alors un défi bien plus grand : un « Giro di Lombardia » qui traverserait toutes les régions du Nord dont une partie du lac de Côme. La Gazzetta en fait état dans ses éditions du vendredi 6 octobre 1905. Elle annonce la course – « Un challenge d’automne que nous avons appelé Tour de Lombardie » – pour le 12 novembre. Parce qu’elle doit être l’« ultimà », la dernière. Personne ne sait encore qu’elle sera aussi la « più bella », la plus belle. Et qu’en cette période automnale, elle deviendra « la classique des feuilles mortes ».

Faggeto Lario 273 m

doit faire face à la concurrence d’un autre hebdomadaire, Gli Sports. Cougnet prépare ce Tour de Lombardie depuis deux ou trois ans. Il a des contacts suivis avec le Touring Club Ciclistico Italiano, créé en 1894 pour promouvoir les sites les plus reculés de la péninsule.


Le Tour de Lombardie

1905-1960 1961-1976 1977 1978-1982 1983 1984 1985-1989 1990-1994 1995-2001 2002 2003 2004-2006 2007-2009 2010 2012-2013 2014 2015

Milan à Milan Milan à Côme Seveso à Côme Milan à Côme Brescia à Côme Milan à Côme Côme à Milan Monza à Monza Varèse à Bergame Cantu à Bergame Côme à Bergame Mendrisio à Côme Varèse à Côme Milan à Lecco Bergame à Lecco Côme à Bergame Bergame à Côme

LES LIEUX MYTHIQUES Le charme des rives du lac de Côme les a rendues mythiques. Mais au niveau de la course, le col de Ghisallo et le Mur de Sormano le sont encore davantage.

Comme le Poggio, le Koppenberg, la Trouée D’Arenberg ou la Redoute, la montée de Ghisallo a une portée plus mythique que stratégique surtout ces dernières années, où le parcours va de Côme à Bergame, incluant le col de Ghisallo en début de parcours. Mais c’est aux mythes que le cycliste du dimanche aime s’accrocher. Pour marcher sur la trace des grands et partager, dans un souffle, le sentiment de leur gloire.

Le col de Ghisallo pour une prière à la Madonna Nous sommes en haut du col de Ghisallo, devant le sanctuaire de la Madonna del Ghisallo, une chapelle dont la construction remonte à 1623 grâce à un noble fortuné qui voulut remercier le ciel de n’avoir pas été dépouillé par des brigands dans les bois où il s’était égaré. Au fil du temps, elle est devenue un véritable sanctuaire du cyclisme. En 1948, le Pape Pie XII déclare la Madonna del Ghisallo, patronne universelle du cyclisme. La dimension religieuse du lieu n’échappe à personne, que l’on soit croyant ou non. En témoignent les nombreux ex-voto qui tapissent les murs de cette chapelle et l’autel grillagé qui abrite une flamme permanente, témoin du flambeau parti de Rome et porté jusqu’ici par Bartali et Coppi. Chaque année, les cloches de la chapelle sonnent au passage du Tour de Lombardie. À l’extérieur, à quelques mètres de l’entrée, domine une stèle à l’effigie de Coppi, surmontant cette inscription : Puis Dieu créa la bicyclette afin que l’homme en fasse un instrument d’effort et d’exaltation sur le dur chemin de la vie. À côté, deux autres, pour Bartali et pour Binda. Plus loin, une quatrième pour Vincenzo Torriani, le patron du Giro et du Tour de Lombardie pendant un demi siècle. Tout autour, un panorama d’une beauté à couper le souffle offre une vue absolument

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DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

UN PARCOURS QUI DONNE LE TOURNIS

2002 – La chapelle de la Madonna di Ghisallo, au sommet du col du même nom. Un passage incontournable du Tour de Lombardie.


de la pente qui affiche une déclivité de 5 %. Certains passages cependant, dans les virages notamment, dépassent les 10-12 %. C’est dans les derniers kilomètres, là où les virages sont nombreux, où la pente devient de plus en plus raide, que Coppi aimait placer ses démarrages et tester ses adversaires, lui qui a gagné le Tour de Lombardie cinq fois dont quatre fois de suite entre 1946 et 1949, et chaque fois en solitaire.

Le Mur de Sormano était un chemin de chèvres Introduit en 1960 pour durcir une course qui se terminait trop souvent par des sprints massifs, le Mur de Sormano ne résistera aux critiques que le temps de trois éditions. On le trouvait trop difficile, trop étroit, voire trop dangereux. Il sera retiré dès 1962 pour revenir en force un demi-siècle plus tard. Au début, c’était un authentique chemin de chèvre, un sentier forestier qui quittait la « route » principale séparant la plaine du Pô du lac de Côme. Il n’a été asphalté que tout récemment et n’est ouvert que pour le Tour de Lombardie. Le reste de l’année, une barrière empêche les voitures d’y accéder Long d’un peu moins de 2 km, le Mur de Sormano porte bien son nom, comme celui de Grammont ou de Huy. Il présente un

Une fois mis pied à terre dans le Sormano, comme ici en 1961, il est très difficile de repartir.

dénivelé moyen de 15 % avec des passages hallucinants à 25, voire 27 % ! Avec la poussière, la boue et le froid en prime, on comprend que les premiers pratiquants du Mur de Sormano l’aient voué aux gémonies. Lors de la première introduction du Mur en 1960, la plupart des coureurs le franchissent à pied, et c’est l’Italien Arnaldo Pambianco qui réalise la montée la plus rapide en 11’20’’. Ironie du sort, alors que les organisateurs espéraient secrètement la victoire d’un de leurs représentants, c’est le Belge Emile Daems qui s’impose, au sprint. En 1961, Imerio Massignan fait l’ascension du mur en 10’09’’ (mais sera battu de 3’ à l’arrivée par Vito Taccone) et, en 1962, c’est Ercole Baldini qui détient le record avec 9’24’’. Il ne terminera cependant pas la course qui sera remportée par Jo de Roo. Puis c’est l’oubli pendant 50 ans avant que le mur de Sormano, lors de sa réintroduction, ne soit franchi par le Français Romain Bardet à une moyenne de 9’02. Aujourd’hui, le Mur de Sormano fait partie intégrante du parcours qui va de Bergame à Côme. Au même titre que les côtes de Sosimo et d’Onno, que les cols de Brianza et de Ghisallo, ainsi que les deux détours par Civiglio, sur les hauteurs de Côme, et par San Fermo della Battaglia, avant de plonger vers l’arrivée au terme d’une descente technique de 5 km.

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exceptionnelle sur le lac de Lecco et la chaîne des Guigne. Il existe d’autres lieux de culte en France, en Espagne ou en Belgique qui tissent le lien étroit entre cyclisme et religion mais ils ne bénéficient pas de la même reconnaissance internationale. On vient au sanctuaire de Ghisallo comme on va en pèlerinage. On y sent battre, littéralement, le cœur du cyclisme. Ce n’est donc pas un hasard si, juste à côté de la chapelle, on a érigé un très beau musée international du cyclisme, inauguré par Fiorenzo Magni en 2006. Le col de Ghisallo est sur l’itinéraire du Tour de Lombardie depuis pratiquement le début mais son rôle stratégique diffère selon l’itinéraire, souvent changeant, de la Classique des feuilles mortes. La montée la plus difficile, empruntée par les professionnels, part de la petite ville de Bellagio, située à la pointe de terre qui sépare le lac de Côme de celui de Lecco. Des rives du lac, le col ne paraît pas trop impressionnant puisqu’il ne culmine qu’à 734 mètres. Mais dès qu’on l’aborde par la route, c’est une autre histoire. Il faut trouver son chemin dans un entrelacs de sentiers qui mènent partout sauf là où on souhaite aller. Le peloton n’a évidemment pas ce problème et peut aborder sans trop de difficultés les quatre premiers kilomètres


200 DES MONUM E NTS ET DES HOM M ES

Le Tour de Lombardie


201 1951 – Louison Bobet, que l’on voit ici de dos menant un groupe de tête, remporte cette édition.


TABLE DES MATIÈRES Préface de Bernard Hinault : « Quand on gagne, on ne compte pas ! »

5

Préface d’Eddy Merckx : « Chaque course est un monument »

7

Mot de l’auteur : Pas de « monuments » sans les hommes

9

MILAN – SAN REMO

10

La genèse : la première à devenir la classicissima

14

Les lieux mythiques

16

1907-1908 - Petit-Breton/Gerbi : déjà la combinazione

22

1910 - Eugène Christophe écrit la légende

24

1915-1928 - Costante Girardengo : le premier campionissimo

26

1935-1950 - Gino le pieux, Bartali le juste

28

1946-1949 - Fausto Coppi : le dernier des campionissimo

30

1951-1995 - Les Français d’après-guerre et Milan-San Remo : « Je t’aime moi non plus »

32

1956-1992 - De Bruyne et Kelly : la race des chasseurs

38

1966-1976 - Eddy Merckx : razzia sur la via Roma

40

1969-1984 - Les « secrets » de Roger De Vlaeminck

46

1997-2010 - Erik Zabel battu dans la course à l’Oscar

48

1949-1993 - Vincenzo Torriani : un géant et un gérant de la route

50


LE TOUR DES FLANDRES

54

La genèse : le Ronde, c’est aussi la fronde du peuple flamand

58

Les lieux mythiques

60

1931-1958 - Le cercle des Flandriens (presque) disparus

66

1941-1943 - Achiel Buysse : à la recherche du nom perdu

68

1942-1952 - Briek Schotte : le dernier des Flandriens. Vraiment ?

70

1949-1951 - Fiorenzo Magni : « Il leone delle fiandre »

71

1944-1969 - Van Steenbergen et Van Looy : le roi et l’empereur

72

1970-1973 - Eric Leman ou l’art de faire avec ses moyens

74

1973-1987 - Freddy Maertens : des vieux démons à l’ange gardien

76

1976-1988 - Avec les Planckaert, il se passe toujours quelque chose

80

1985 - Eric Vanderaerden : des lauriers trop fraîchement coupés ?

81

1989-1991 - Edwig Van Hooydonck : étoile ou météore ?

82

1999-2007 - Peter Van Petegem : la bête noire de Frank Vandenbroucke

83

1989-2004 - Johan Museeuw : au tournant du XXI siècle

84

2001 - Fabian Cancellara : moitié bûcheron, moitié horloger

86

2003 - Tom Boonen : le talent à l’heure mondiale

88

e

PARIS-ROUBAIX

92

La genèse : une classique unique pavée de mauvaises intentions

96

Les lieux mythiques

98

Sans les « amis », il n’y aurait plus de Paris-Roubaix

102

1897-1898 - Maurice Garin : le vrai pionnier de Paris-Roubaix

106

1901-1902 - Lucien Lesna : le doyen

108

1908 - Cyrille Van Hauwaert : le premier « géant de la route »

109

1909-1914 - Les fauchés de la Grande Guerre

110

1919-1935 - L’entre-deux-guerres : de l’enfer aux affaires

112

1954-1965 - L’empereur Rik Van Looy et sa « garde rouge »

114

1966-1977 - Eddy Merckx : la forme logique d’une certaine justice

116

1969-1982 - Roger De Vlaeminck : le vrai « monsieur Paris-Roubaix »

118

1920-1999 - Les Italiens : un tir groupé tous les 15 ans

120

1975-1982 - Bernard Hinault ou la mauvaise foi du « blaireau »

124

1978-1995 - Gilbert Duclos-Lassalle : le Sud-Ouest gagne le Nord

126

1979-1994 - Marc Madiot : les Paris-Roubaix de la France « d’en bas »

128

1982 - Jan Raas : un Néerlandais en vue

129

1984-1989 - Il sera toujours moins une pour Sean Kelly

130

1990-2004 - Johan Museeuw : le « Lion de toutes les Flandres »

132

2005-2015 - Tom Boonen et Fabian Cancellara vont-ils en rester là ?

134


LIÈGE-BASTOGNE-LIÈGE

140

La genèse : une doyenne qui n’est pas nécessairement la plus vieille

144

Les lieux mythiques

146

Une histoire d’hommes

150

1892-1894 - Léon Houa : le pionnier dandy

154

1908-1913 - Les héroïques anonymes

156

1919-1939 - L’entre-deux-guerres : le lent apprentissage

158

1943-1950 - L’immédiat après-guerre : vers la confirmation internationale

160

1951-1966 - De l’aigle d’Adliswil à maître Jacques

162

1967-1978 - Les années Merckx et Bruyère

170

1977-1980 - Hinault : le Français qui aimait la doyenne

174

Les années 1980 - Argentin et Criquielion : pour un dernier tango à liège

176

1989-1992 - Van Lancker-De Wolf : le retour des Belges

178

1999 - Frank Vandenbroucke : entre Mozart et James Dean

180

1965-2007 - Les Italiens et la liegi : une affaire di cuore

182

1995-2015 - Les Belges ne sont plus les seuls maîtres chez eux

184

2011 - Philippe Gilbert : la redoute est son berceau

188

LE TOUR DE LOMBARDIE

192

La genèse : les feuilles mortes ont aussi leur classique

196

Les lieux mythiques

198

1905-1918 - Des débuts chaotiques

202

1919-1945 - La loi italienne des séries

204

1946-1956 - L’exploit inégalé de Coppi

208

1957-1969 - Les Belges donnent le ton

212

1971-1978 - Merckx fait la passe de cinq

216

1979-1988 - Les Français pour le tiers provisionnel

218

1989-2000 - Les Suisses montent au créneau

222

2000-2008 - Cunego pour la passe de trois

224

2009-2011 - Une révélation nommée Philippe Gilbert

226

Mot de l’auteur : Garder une trace

231

Les musées du cyclisme dans le monde

233

Bibliographie sélective

235



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