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COIN LECTURE. Dérouler l’épopée high fantasy avec Brandon Sander-
HIGH FANTASY Le seigneur des mondes
Démiurge régnant en maître sur son Cosmère, Brandon Sanderson prouve, avec la saga des Archives de Roshar, que son imagination ne connaît pas de limites.
Texte JAKOB HÜBNER
Brandon Sanderson, le J.R.R. Tolkien du XXIe siècle? Il faut bien admettre que les Archives de Roshar, cycle du génial auteur américain de bestsellers dont le fanclub continue de croître depuis des années, repoussent avec brio les frontières de la littérature fantasy. Plus précisément, Sanderson est ce qu’on appelle un romancier de high fantasy, un genre de fantasy dont les univers n’ont plus aucune attache avec le monde réel, et qui place le récit dans une cosmogonie entièrement sortie de l’imagination de l’auteur. Créateur omnipotent de son œuvre, celui-ci doit veiller, au fur et à mesure que les tomes puis les cycles s’enchaînent et que les univers se démultiplient, à ne jamais perdre le fil de son histoire et de ses personnages, à toujours maintenir la cohésion de son récit, pour ne pas voir sa création s’effondrer aux yeux des fans devant trop d’invraisemblance.
Cette règle, Brandon Sanderson, né en 1975 dans le Nebraska, semble l’avoir intégrée à merveille. En témoigne sa première trilogie, Fils-des-Brumes, qui lui a valu de nombreuses récompenses et dont l’une des inventions géniales est l’allomancie: un art basé sur seize métaux et alliages qui, grâce à leurs pouvoirs magiques, permettent d’acquérir des compétences surnaturelles. Le système, selon lequel chaque métal correspond à un pouvoir (physique ou mental), est décrit avec une telle précision que les lecteurs ont tout de suite accroché – en témoigne sa position en tête de sa liste des bestsellers du New York Times.
La magie selon Sanderson
L’auteur américain s’est fixé 4 règles, qu’il appelle ses lois:
1re loi: La capacité d’un auteur à résoudre un problème par la magie est directement proportionnelle à la compréhension qu’a le lecteur de cette magie. 2e loi: Faiblesses > Forces. 3e loi: Développe ce que tu as déjà avant d’ajouter quelque chose de nouveau. Ces 3 lois sont subordonnées (en hommage aux lois de la robotique d’Isaac Asimov) à une 4e, que Sanderson nomme la loi Zéro: Dans le doute, vise toujours l’extraordinaire!
Un succès qui a convaincu la veuve de feu Robert Jordan de lui demander, en 2007, d’écrire les derniers tomes de La Roue du Temps, saga gigantesque laissée inachevée après la mort de Jordan et que l’on considère aujourd’hui comme le cycle romanesque le plus volumineux de toute l’histoire de la littérature.
Sanderson s’attelle en parallèle, à partir de 2010, à l’écriture de La Voie des Rois, premier volume des Archives de Roshar, que la version française a séparé en deux imposants pavés de 700 pages chacun, histoire de les rendre plus digestes. Car ces impressionnantes Archives prendront certainement autant de place dans votre cœur que sur vos étagères, en donnant l’impression que tout ce qu’a pu nous servir Sanderson jusque-là n’était, en comparaison avec cette saga-fleuve de dix romans, qu’une légère mise en bouche.
Avec une précision qui frise l’obsession du monomaniaque, Sanderson plante le décor de cette œuvre monumentale sans jamais épargner aucun détail, s’attachant à créer ex nihilo un univers fictif d’une complexité réjouissante, une trame qui se déroule sur plusieurs continents et au sein de plusieurs peuples. Sa plume de génie décrit tout: du système politique ou religieux à l’organisation de la société ou aux systèmes de magie employés. Évidemment, les ingrédients indispensables à toute épopée fantastique digne de ce nom ne manquent pas, puisque des forces maléfiques et des guerres intestines menacent de faire basculer le monde dans un chaos irréversible. C’est dans ce contexte que trois personnages – un esclave-soldat, un chef de guerre hanté par des visions et une apprentie-magicienne – entrent en scène pour déjouer le cours de l’histoire.
À lire les premières pages des Archives, on est littéralement happé par la complexité de la narration, qui se retrouve d’ailleurs dans les personnages, à la psyché aussi subtile que déconcertante, et qui semble évoluer au fur et à mesure des pages. Avec quatre mastodontes déjà parus en français, les fans de high fantasy ont de quoi passer confortablement l’hiver, en compagnie de Sanderson.
BRANDON SANDERSON Les Archives de Roshar
Traduit en français par Mélanie Fazi
Orbit & Le Livre de Poche
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