The Red Bulletin Mai 2018 - CHFR

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« DANS L’ÉQUIPE, ON PARLE OUVERTEMENT DE NOS ERREURS. ET ON SE RECONSTRUIT LES UNS LES AUTRES. »

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es vagues hautes comme des immeubles, causées par des tempêtes qui feraient passer à tout homme sain d’esprit l’envie de mettre un pied dehors. Un froid glacial qui fait geler les embruns sur la peau. Et le jour d’après, un grand soleil, une mer d’un calme plat, pas la moindre petite brise à l’horizon. La Volvo Ocean Race est considérée comme la plus difficile des courses à la voile autour du monde. Tous les trois ans, les voiliers quittent l’Europe pour l’océan Atlantique, longent ensuite le cap de Bonne-Espérance, puis se lancent à l’assaut de l’océan Indien dans le ­Pacifique Sud, avant de contourner le cap Horn pour remonter jusqu’en Amérique du Nord et enfin, retourner en Europe. Il leur faudra huit mois au total pour ­accomplir les 45 000 milles marins (environ 84 000 km) répartis en plusieurs étapes. Le vainqueur ne reçoit aucune récompense financière – et pourtant, tous les navigateurs professionnels rêvent de 56

voir un jour leur nom gravé sur l’un des anneaux d’argent du trophée de la course. Depuis la dernière Volvo Ocean Race en 2015, le nom de Ian Walker est venu s’ajouter aux autres. En 1996 et en 2000, le Britannique a remporté l’argent aux JO, avant de participer à la Coupe de l’America ainsi qu’à sa première Volvo Ocean Race en 2008. Ses expériences en haute mer l’ont profondément marqué. C’est ce dont il nous parle aujourd’hui.

Un danger de mort permanent

« Je n’oublierai jamais ma première tempête dans l’océan Austral. C’était ma première Volvo Ocean Race, la première étape en direction du Cap. Je suis monté sur le pont pour prendre mon quart. Le vent soufflait à 40 nœuds et déversait des tonnes d’eau sur le pont, le bateau se soulevait et s’enfonçait, et je me disais que c’était un truc de malade. Nous avons fait tout notre possible pour garder le contrôle du bateau. N’importe quel navigateur sain d’esprit aurait tout fait pour se sortir de la tempête. Mais nous, nous sommes restés en plein dedans afin

de prendre le plus de vent possible dans la voile. Quand j’ai dû prendre la barre, je n’étais pas sûr d’en être réellement capable. Mais en tant que skipper, je ne pouvais pas dire : “Désolé, les gars, je flippe trop.” Alors, je me suis concentré sur ma respiration et sur mon rythme cardiaque pour me calmer. Et j’ai pris la barre. Il faudrait vraiment être fou pour ne pas avoir la trouille. En haute mer, ce qui fait peur, c’est l’inconnu. Les tempêtes, l’obscurité. Nous naviguons souvent à 30 nœuds dans une nuit noire d’ébène, nous n’avons pas de phares et aucun moyen de voir ce qu’il y a devant nous. Parfois, on se surprend à se dire : “Mais qu’est-ce que je fous là ?” Ce que nous faisons est bien plus dangereux que ce que la majorité des gens font pour gagner leur vie. Mais on est entraînés à ça, on est parfaitement équipés et on ne plaisante pas avec la sécurité. Dieu merci, il n’est encore jamais rien arrivé à un membre de mon équipe. On ne peut pas tout le temps penser à ce qui pourrait arriver, sinon on péterait les plombs. La voile, pour moi, c’est comme la conduite automobile : il y en a qui foncent sur les routes à 150 km/h sans avoir peur qu’un pneu éclate ou qu’une autre voiture a ­ rrive en face. C’est la même chose pour la voile : on s’habitue au danger de mort et avec le temps, on apprend à ne plus trop y penser. »

Motiver son équipe à dépasser ses limites jour après jour

« Chaque minute où on ne dort pas doit être mise à profit pour la poursuite de notre objectif commun. C’est un avantage de la Volvo Ocean Race : quand on participe, on a forcément envie de gagner. Dans la vie active, les gens ont des objectifs différents. Certains font leur travail par devoir, tandis que d’autres veulent à tout prix faire carrière. À bord, on a tous un seul et même objectif, et non des moindres. C’est cette motivation fondamentale que j’attends de la part de mon équipe. Je ne supporte pas les gens THE RED BULLETIN

MATT KNIGHTON/ABU DHABI OCEAN RACING/VOLVO OCEAN RACE, AMORY ROSS/VOLVO OCEAN RACE, KONRAD FROST/VOLVO OCEAN RACE

Ian Walker, 48 ans, a remporté en 2015 la dernière édition de la Volvo Ocean Race avec l’équipe Abu Dhabi.


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