SPECIAL FESTA2H 2012

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éditorial

ourquoi s’appeler Récidive, mot qui semblerait il renvoie, chez la plupart des gens, à l’univers carcéral ? Certainement pas pour adopter une posture de mauvais garçon, nous y reviendrons… Mais d’abord, précisons l’objet de cette publication, ce à la rencontre de quoi, inlassablement, nous allons, sur le terrain, pour nous en délecter et partager ses fruits avec nos lecteurs : il s’agit de la création. La création sous toutes ces formes, pour peu qu’elle ait été portée à notre attention, et qu’elle nous dise quelque chose de nos sociétés africaines, aura droit de cité dans nos colonnes. Il faut bien se résoudre à aller sur le terrain, parcourir les artères de nos villes, rencontrer les créateurs, prendre langue avec les connaisseurs et les passionnés, pour se faire une idée du foisonnement artistique d’une région comme celle de Dakar. Car — et c’est le drame auquel nous entendons, tels des Kouchner sahéliens, mettre un terme – outre la chronique des dires, faits et gestes de ceux qui se disputent le pouvoir d’État, hors l’info dite people, l’offre médiatique est peu fournie. Récidive magazine est né d’émerveillements : ceux provoqués par la rencontre de talents encore confidentiels ; d’une rencontre, celle de jeunes Africains aux parcours et compétences diverses, mais complémentaires ; d’un vide enfin, d’un vide que nous comptons bien, si ce n’est combler du moins résorber. Parcourir l’une de nos livraisons, ce sera : saisir autre chose que ce qui, à la faveur exclusive d’un plan Com, s’épanche partout ailleurs ; découvrir des œuvres, qui par ailleurs seront inédites ou anciennes, l’essentiel étant qu’elles soient remarquables ; se voir proposer un riche menu de préparations artistiques ayant rapport à nos sociétés. Il ne s’agira pas d’un fourre-tout, mais d’une palette dans laquelle vous puiserez selon l’étendue de vos gouts et intérêts. Notre ambition est aussi de faire se côtoyer les différentes

Radotage ou Récidive pratiques artistiques et culturelles, de faire fi de la scission entre art savant et culture plus populaire et par là, d’élargir chez certains des lecteurs que nous souhaitons avoir, l’horizon culturel. RÉCIDIVE donc, du latin recidiva, le fait de se manifester à nouveau, est le terme que nous avons choisi pour désigner cette entreprise éditoriale. Pas par ce que ça fait « Gangsta » mais par ce que le récidiviste n’a pas forcément tort, que toujours il est téméraire et que nous pensons qu’il y’a de la témérité à mener l’entreprise éditoriale qui est la nôtre. Ensuite, parce que créer, faire acte d’originalité, d’invention, ça a toujours été récidiver. L’art et la science, des gens sérieux pourraient en témoigner, doivent beaucoup aux récidivistes. Il n’y a pas de talent, encore moins de génie, qui se soit affirmé sans avoir au préalable essuyé une multitude de ratés qui, peu à peu, a été rachetée après une succession de récidives. Faire quelque chose de nouveau provoque l’incompréhension généralisée, attire le blâme et la persécution. Mais que cela ne dissuade pas les créateurs, qui excèdent au plus haut point les radoteurs. Si l’Humanité a fait, tout au long de son histoire, autre chose que ressasser les mêmes idées, les mêmes vérités, c’est bien parce que des récidivistes impénitents l’ont régulièrement délivrée de ses radotages. Cela dit, honnêtement, si on a choisi cette dénomination, c’était d’abord par ce qu’on l’aimait bien, on a rationalisé plus tard. Le Récidiviste réhabilité, sa contribution positive à la civilisation universelle établie, comme jadis celle du noir par le professeur Cheikh Anta Diop, voyez l’illustre filiation à laquelle je me rattache, je vous invite à découvrir, le long des pages qui suivent, des artistes et des expériences culturelles qu’il nous a semblé judicieux de vous présenter. Ceci est un premier numéro, fait avec beaucoup d’envie, de travail et les moyens du bord. Puisse- t-il vous donner envie de poursuivre l’aventure, de nous communiquer vos critiques, observations et suggestions afin que nous fassions mieux à chacune de nos RECIDIVE.

Mamadou Diallo



A l’approche de la reine des élections, celle présidentielle, toutes les nations démocratiques se voient prisent d’une frénésie politicienne. Il n’est plus alors question, sur la scène médiatique, que des vices et vertus de ces messieurs les politiciens. En fait, ce n’est jamais la nation toute entière qui n’a plus que ces considérations à la bouche, mais deux corporations en particulier, celles journalistique et politicienne. Parce qu’il faut bien noter que des pans entiers de l’opinion ignorent avec allégresse la politique et de cela les taux d’abstentions témoignent...

sommaire 08 - musique

PPS

Itinéraire d’un artiste rufisquois

14 - arts graphiques Diane Albisser Rostalski Portrait de l’atlantique noire


20 - à découvrir «I am Hero» Kenzo Hanazama

22 - en une Daara-J Family D’un succès l’autre...

32 - société De la punchline en République Entrevue, Fou Malade Entrevue, Keurgui Les troubles fête

44 - évènements Chronique d’une Révolte

Entrevue avec Sidy Mohamed Kandji

Métamorphoses de Layepro

57 - textes Cirque de Missira

Nafissatou Dia Diouf

Le Roi de Kahel

Tierno Monenembo

Les Années faste Chan Koonchung

Runs Girls

Chinelo Okparanta

67 - cinéma Pour que vive le cinéma Entrevue avec M. Abdoul Aziz Boye


Textes Mamadou Diallo Assemblage & Graphisme Manden

Daara-J, d’un succès l’autre...

© Crédits Photos Layepro PPS (Musique) P. 8, 9, 11, 13 Métamorphose de Layepro (Evènement) P. 54, 55

Sidy Mohamed Kandji Société, Page 34 Evènement, Page 50, 51

Yenge Keurgui (Société) P. 36


musique

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Itinéraire

d’un artiste

rufisquois La vieille ville de Rufisque ne s’était pas faite entendre sur la scène hip hop nationale depuis Bamba J Fall, collectif composé d’une voix gutturale et d’une autre fluette qui a eu un succès considérable à la fin des années 90 pour ensuite disparaître. Avec P.P.S, qui ne chante pas, ne toast pas, mais rap et nous vient avec un disque intitulé X.Tape, faisant la part belle au sampling, Rufisque a enfin trouvé son MC.

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« Au fond, je n’ai jamais eu qu’un seul rêve, être une star du Hip-Hop »

ous sommes en 1993, à Sicap Baobap ou Paul Sagna, enfant du quartier populaire de Dangou, à Rufisque, est en vacance chez son oncle. Il a découvert, quelques mois auparavant, le rap à travers Mc solaar et son morceau bouge de là. Avec des camarades, Stéphane, Swell, Jaques et Phillipe, il décide de former un groupe. Phillipe Monteiro, qui depuis a fait bien du chemin dans la musique, leur fourni, en retravaillant craziest des naughty by nature, leur toute première instru. Paul et ses amis rappent goné bou touti boul dioy et sont entendus par leur oncle qui se prend au jeu des Mc en herbes. Michel Soumah, alors animateur radio en vue et ami de l’oncle en question, invite Paul et ses amis à prendre le micro lors de son émission. Après une première apparition radiophonique, Michel Soumah décide de convier régulièrement Paul et ses amis qui deviennent, pour un temps, les mascottes de l’émission et préparent à chaque fois de petits raps. Rien de bien consistant, ils reprenaient solaar ou Duggy T des positive black soul, en y apportant, juchés

sur l’expérience de l’enfance, quelques innovations textuelles. Le terme des vacances scolaires a sonné la fin de la récréation, les micros ont fait place aux stylos et le studio radio aux salles de classe. Mais petit Paul, comme l’appellent certains proches, avait pris le virus du rap, qui ne cessera, tout au long de ses années d’études, de le rattraper. Aujourd’hui, dix-neuf ans plus tard, selon l’heure, on retrouvera Paul, devenu P.P.S, dans sa chambre, la plume à la main ; sur scène, face à un public souvent conquis ; ou, tout simplement, à Rufisque, devisant avec ses amis, dont l’inamovible Mamadou Diop qui est devenu son manager. Quand on l’interroge sur son parcours, P.P.S dit souvent qu’il n’a pas pris l’ascenseur, mais l’escalier. Une manière pour lui de figurer les multiples étapes et le long travail qu’il a entrepris et qui l’ont conduits à son actualité du moment : La sortie remarquée de sa première mix-tape et celle prochaine de son album. RÉCIDIVE est allé à sa rencontre et, avec un sens remarquable du story telling, PPS nous a fait part, autour d’un Barada, de son histoire, de ses objectifs et d’un certain nombre de ses réflexions. Élève, collégien puis lycéen à Rufisque, le jeune Paul pour-

suit ses études à la faculté de lettre de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nombre de ses frères sont professeurs et l’on tient beaucoup, dans sa famille, à ce qu’il poursuive ses études. C’est peut-être ce qui explique qu’il a été, bien qu’issu d’un quartier qu’il dit défavorisé, jusqu’à l’Université. Durant son passage dans cet univers à part, cette enclave située en pleins milieux de Dakar, mais qui constitue un monde en soi, P.P.S fréquente d’autres étudiants qui comme lui sont des rappeurs. Zayré Battin, Ali Beta, Kaddu Gunz de St Louis, Red Black et d’autres encore. Ils se retrouvent autour de l’association Hip Hop campus, organisent et participent à des opens Mike et des concerts. D’abord intimidé par ses condisciples qui s’étaient déjà fait un nom, P.P.S finit par comprendre qu’il n’avait rien à leur envier. À Cheikh Anta Diop, il côtoie des jeunes issus de toutes les régions du Sénégal, il vit loin de sa famille et de son quartier de Dangou, il s’ouvre plus amplement au monde et jouit d’une liberté nouvelle. Il précise, lors de notre entretien, que dans cet univers du campus, avec les opportunités d’enrichissement personnel coexistent les pires tentations, mais que pour sa part il s’est attaché à découvrir et notamment ce qui l’intéressait : le Hip Hop. À Golf Sud

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ou il fréquente le studio d’Alien Zik, il est très influencé par Diksa, par son rap technique. Ce dernier l’aura fait « murir, en conjuguant technique et sens du propos. » Par ses études il acquiert une connaissance plus aiguë de la langue de même qu’une maîtrise de l’écriture, ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme the writtah ou encore mbedellectuel. Son Diplôme en lettres modernes obtenu et ayant achevé sa formation en infographie, notons qu’il est aussi graffeur, P.P.S décide de se consacrer exclusivement à sa passion et d’en faire un métier. Nous sommes en 2007 et une année durant, il travaille d’arrache-pied, offre au public un single, Da fa Djot, dans lequel Rufisque se reconnait et dont

Les chargés de l’organisation arrivent et distribuent les billets pour le ferry, tout le monde est servi, sauf PPS et son manager. Le ferry s’éloigne en direction de l’île avec à son bord les rappeurs reconnus, nos deux rufisquois restent à quai et PPS, franchement dépité, pense à rentrer. Déterminé, son manager, Mamadou Junior Diop, entend bien faire en sorte que son artiste joue sa partition. Il sort de l’embarcadère, vend son téléphone portable et paie la traversée. Arrivé sur l’île, PPS est tout de suite invité à se produire, il monte sur scène et joue trois morceaux. Ces trois morceaux, ce moment-là, « c’est le début de ma carrière. Tous les rappeurs qui étaient là sont venus me voir, le public était devenu fou et tout le monde

à Simon, il trouvait toujours le moyen de toucher, lorsqu’il était invité dans les médias, un mot à mon propos. Les gens ont, à travers lui, commencé à me connaître.” Mais fin 2010, un label basé en France, Roo Rap, propose à P.P.S un deal intéressant et pour ce jeune homme qui “sait d’où il vient” et pour qui “le rap c’est un travail”, les opportunités on les saisi. Il en parle à Simon avec qui les rapports sont fraternels et le voilà embarqué dans la flottille Roo Rap, travaillant à sa Xtape qui est sortie fin 2011 et dont la promo, repoussée pour cause de frénésie électorale, vient tout juste de débuter. L’album devrait suivre sous peu, il nous est promis un axe directeur, ce sera un livre en musique, PPS vise haut, mais l’on ne devrait

« L’album... sera un livre en musique... » la radio locale Djokko Fm fait un jingle. Il écume les scènes, le buzz commence à prendre, Xuman diffuse sa musique dans son émission et la RFM le nomme découverte de l’année. La notoriété de P.P.S s’affirme, mais le personnage derrière ce pseudonyme reste méconnu. Pour preuve ce concert à Gorée où il était invité. Arrivé au niveau de l’embarcadère, sur le quai avec de nombreux artistes, il est avec son manager et personne ne le reconnait.

était curieux de savoir d’où je venais. Feu Bourba Djoloff était particulièrement enthousiaste, il s’est étonné de ne me découvrir que ce jour-là et figurezvous qu’il m’a dit “tu es le meilleur, crois en toi.” Lors de cette même journée, Simon prend ses coordonnées et, le lendemain, il est convié aux studios 99 pour signer avec le label.

pas non plus s’attendre à quelque chose de prétentieux. Si, de son point de vue le rap a une vocation éducative, il est tout autant un divertissement. Parmi les producteurs qui séviront sur l’album, on retrouvera Mao qui vient de signer avec lui le très bon Dotou Niou Nangou et à qui l’on doit nombre de productions de Nitdoff.

Deux années durant il fera le tour du Sénégal en compagnie de Simon et du staff de 99. “Si j’en suis là, c’est beaucoup grâce

Bien entendu, rien ne dira jamais mieux un artiste que son œuvre, que nous vous invitons à découvrir.

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arts

graphiques

Diane Albisser Rostalski

Portraits de l’atlantique noire

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iane Albisser Rostalski est une jeune artiste alsacienne, passée par l’école nationale d’art de Dakar et dont nous avons découvert le travail il y a quelques mois. Alors que j’écris ces lignes — parenthèse du fanfaron —, j’ai le privilège, lorsque je détourne le regard de mon écran, de pouvoir le poser sur un très beau portrait du capitaine Sankara qu’elle a peint.

Le regard du révolutionnaire, comme celui qu’il arbore sur certaines vidéos d’archives, exprime la détermination, la résignation, la triste sérénité d’un condamné à mort dépourvu de remords. L’impression de tout un contexte politique sur un visage… Mais quittons cette toile pour en revenir à l’artiste qui en est l’auteur et qui a tout pour nous intriguer. Intrigué par ce que nous prenons le parti d’appeler son obsession pour le visage, sur laquelle elle revient,

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« Lorsque j’ai commencé à vouloir replacer la figure noire dans la peinture, j’ai commencé par ce qu’on peut appeler du clin d’œil, ou de la citation »

Yékini, acrylique sur bois Portrait du roi des arènes

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avec ses termes à elle. Intrigué par son sujet de prédilection, qui à première vue nous semble être ce que Paul Gilroy a merveilleusement ramassé sous l’appellation d’Atlantique noire, cet espace transnational structuré autour de l’océan atlantique et au sein duquel s’est formée, au fil des siècles d’une histoire malheureuse, mais féconde, la diaspora africaine. On se demande simplement, en la voyant, trop simplement peut-être, pourquoi cet attrait pour les figures noires ? Il semblerait que par son œuvre, ce n’est pas le désir d’exotisme qui, à nouveau, s’incarne dans l’art occidental, mais tout son contraire : celui de la familiarité. On est aux antipodes du

grand n’importe quoi orientaliste d’un Delacroix dans la mort de Sardanapale. Ça, c’était de l’exotisme. L’exotisme, en art, représente des fantasmes, fantasmes qui procèdent d’une méconnaissance assez large des sujets fantasmés et qu’on prétend malgré tout représenter. Ça peut donner de très belles choses, mais lorsque ces belles choses, par ailleurs ignorantes, forment la seule iconographie sur un sujet, elles véhiculent de pernicieux préjugés. Diane Albisser Rostalski a une claire conscience de tout cela et après s’être entretenu avec elle, on songe que la « question noire », de nos jours plus que jamais, n’est pas tant africaine

qu’américaine et européenne. Conséquence de l’évolution des sociétés occidentales qui, malgré quelques crispations identitaires, sont toujours plus métissées. L’œuvre que nous discutons dans cette entrevue démontre en tout cas que la sensibilité aux problèmes que posent les représentations péjoratives des minorités se diffuse, dans ces sociétés métisses, au-delà des groupes directement concernés. Voilà qui annonce des lendemains meilleurs et peut-être qu’avec d’autres artistes, Diane Albisser Rostalski participe à l’ouverture d’un chapitre nouveau de l’art figuratif occidental, entretenant un rapport différent à l’altérité.

Miroir, acrylique sur bois

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Bonjour Diane, tu es blanche, ça saute aux yeux, ta biographie indique que tu es strasbourgeoise, comment se fait-il que tu ne représentes que des Africains ?

On me dit souvent que je peins des Africains : c’est vrai, et en même temps c’est bien plus souvent des Afro-américains. Leur histoire me passionne. Cela a commencé lorsque je me suis intéressée aux artistes Noirs américains : ils ont une pratique spéciale, et pour cause : il leur a fallu s’inventer des codes de représentations, car toute forme d’art leur avait été enlevée il y a bien longtemps, au moment de l’esclavage. En fait, lorsqu’ils ont été amené en Amérique, on leur a interdit de pratiquer leurs arts et artisanats, ils ont dû travailler et se couper de toutes leurs racines ; le seul art qu’ils pouvaient encore vraiment pratiquer était le chant, ce qui d’ailleurs explique le panel immense et merveilleux de musiciens et chanteurs Noirs américains depuis des décennies, voire des siècles! Les plasticiens Noirs en Amérique n’ont absolument pas des pratiques similaires aux pratiques des artistes Africains ; ils ont dû réinventer, en fonction de leur environnement bien sûr, mais aussi du fait de leurs racines perdues si l’on peut dire. En exemple, je voudrais citer l’artiste David Hammons, qui cherche à interroger certaines sources tout en exploitant le potentiel de son lieu de vie : par exemple, il récupère dans

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les salons de coiffure afro les cheveux tombés au sol, et il en fait des sculptures qu’il installe : des pyramides miniatures s’étalent au sol, comme pour montrer finalement une racine bien plus lointaine que celles perdues lors de l’esclavage, on peut penser à l’Égypte, dont il faut maintenant établir qu’elle était une Égypte Noire... Mais il va aussi enduire de graisse les fameux sacs de papier brun que l’on trouve partout aux États-Unis, en faire des pliages qu’il accroche au mur, pour parler des mœurs culinaires des Afro-américains pauvres qui ne mangent que des aliments frits, allant vers l’obésité américaine....

L’Histoire des Afro Américains donc, leur rapport à l’art, l’interdiction qui leur a longtemps été faite de s’exprimer autrement que par le chant et leur réinvention, bien plus tard, d’autres formes d’expressions artistiques. Mais pourquoi des portraits, pourquoi ceux-là ? Parce que finalement tu représentes des personnalités illustres, noires certes, mais illustres.

En fait, je suis passé par plusieurs étapes, ce que tu dis correspond plutôt à la dernière même si je peins aussi des anonymes. J’ai eu envie très tôt de rendre des hommages aux personnalités que j’admire : le premier a été Jean Michel Basquiat, pour son œuvre géniale et sa vie si courte et drama-

tique. Lorsque j’ai commencé à vouloir replacer la figure noire dans la peinture, j’ai commencé par ce qu’on peut appeler du clin d’oeil, ou de la citation : j’ai peint Basquiat en Joconde, en Roi soleil, j’ai réalisé un déjeuner sur l’herbe, peuplé de jeunes de banlieue en lieu et place de la femme nue et des deux bourgeois qu’avait peint Manet... Ensuite j’ai voulu interroger les préjugés et l’histoire, en réalisant une installation d’objets peints : du coton, des sucres, des pochettes de cd et cassettes audio, sur lesquelles le même visage ou presque apparaissait ; les objets ont un lien avec le passé, comme le sucre et le coton qui se rattachent au travail dans les plantations, les CD et cassettes qui représentent le seul art développé pendant longtemps, etc. Et ce visage à première vue identique sur chaque objet pour dénoncer le préjugé raciste affirmant la ressemblance entre tous les Noirs... Depuis, mon travail peut sembler plus classique, puisque je réalise de nombreux portraits sur bois ou sur toile ; mais en fait c’est pour rendre hommage plus justement, uniquement pour ce qu’est la personne, sans passer par le clin d’oeil ou la mise en exergue d’un préjugé. Afin de passer à autre chose, de montrer des personnes extraordinaires, qu’elles soient célèbres ou non, sans rappeler forcément la ou les «conditions noires», même si parfois c’est sous-jacent.


Billy, Acrylique sur bois Portrait de la chanteuse de Jazz Billy Holiday (1915-1959)

« Un visage est si intéressant à contempler, notamment par le regard ; je m’ennuie un peu quand je n’en représente pas. »

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Quelles sont tes ambitions artistiques, parce qu’on sent bien que ton unique visée n’est pas le beau ? Que cela ne semble pas trop prétentieux, mais j’espère que ma pratique et celle d’autres personnes travaillant dans la même veine permettront d’amener une nouvelle iconographie dans la peinture occidentale et même mondiale. Si j’ai choisi le portrait, c’est parce que c’est ce qui peut le mieux représenter une personne d’après moi ; nous avons tous un corps, mais j’ai le sentiment que tout ou presque se passe dans et avec la tête! Je suis moi-même très cérébrale, et en tant qu’humaine, je prends ma propre mesure pour capter ce qui m’entoure... Et puis un visage est si intéressant à contempler, notamment par le regard ; je m’ennuie un peu quand je n’en représente pas. On peut se demander à présent pourquoi moi, petite alsacienne blanche, je cherche à m’occuper de tout cela?! Je ne suis pas sûre de pouvoir donner une réponse logique ou cartésienne, car cet intérêt pour «l’Histoire Noire» m’est inexplicable, et c’est pourtant ce qui m’interroge et me passionne depuis des années.

à la fois les oeuvres sur la lutte sénégalaise, et la série des portraits qui comprend des personnalités sénégalaises ou burkinabés (Aline Sitoé, Yekini, Thomas Sankara...) et des personnalités de l’Atlantique Noire : Luther King, Basquiat, Billie Holliday, Angela Davis etc. On aurait pu penser qu’étant au Sénégal je me serais penché exclusivement sur ce qui m’entoure, ou fais un carnet de voyage ; par le travail sur la lutte, je me suis immergée dans la culture sénégalaise, et ma pratique a été transformée : je suis passée du portrait au corps entier, de fonds uniformes aux détails de l’arène, et même de la figuration à l’abstraction parfois. Ce fut un enrichissement certain. Et en même temps, lâcher le portrait m’est impossible, d’où cette série sur bois de personnalités. Bref, ce séjour a été très riche! Parfois je me demande si ma peinture gardera toujours ce même fil conducteur, qui sait ?

Ton passage au Sénégal, ça t’a apporté quelque chose ?

Humainement d’abord, cela a été assez extraordinaire de vivre au Sénégal durant presque deux ans, j’ai été plongée dans un monde inconnu, si différent de celui auquel j’étais habituée ; ce fut dur par moment, j’ai souvent souhaité être noire pour me fondre dans les foules, pour passer inaperçue, mais non, ma différence était aussi visible qu’une tache d’encre sur une feuille vierge! Ce fut très bien aussi, des personnes m’ont aidé à comprendre ce qui m’entourait, à me débrouiller, mon mari Lamine, mon amie Fatou, ma belle-famille, des amis de mon mari, ou encore comme l’artiste Manel Ndoye avec qui j’étais à l’École Nationale des Arts ; d’autres m’ont donné ma chance, en me permettant d’exposer, une première fois à la Galerie Arte de Saint Louis, en décembre 2010, une deuxième fois à l’espace Kadjinol Station de Dakar en mars 2011. Du point de vue de mon travail, la période sénégalaise est un peu spéciale, elle est double : il y a

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Un peu d’Histoire de l’art. Dans les années 60, en plein combat pour les droits civiques, John et Dominique de Menil, militants des droits de l’homme et couple de collectionneurs français ont, à travers leur fondation, entrepris de rassembler des photographies d’œuvres occidentales, produites depuis 5000 ans et représentant des personnes noires. Une série d’ouvrages ont été édités pour la première fois durant les années 1970 à travers une collaboration avec l’institut Web Du Bois d’Harvard qui réédite depuis 2010 cette série d’ouvrages tout simplement magnifiques. Dix volumes, plus de 3000 photographies d’œuvres disséminées dans plus de 500 musées à travers le monde. 95$ le volume, ce qui fait un peu moins de 1000 dollars pour la collection dans son ensemble. C’est cher, mais les bibliophiles n’y résisteront pas.


à

découvrir

a

«I Am a Hero» Kenzo Hanazawa

près deux séries a succès, dont l‘une (Ressentiment, 2004-2005) a gagné le fameux prix Sense of Gender Award, et l’autre (Boys on the Run, 2005-2008) a été adapte en live motion, Kenzo Hanazawa a entamé en 2009 le manga pour lequel on se souviendra de lui. Depuis son lancement dans le magazine Big Comic Spirits, et avec huit volumes à ce jour, I Am a Hero a été nominé trois fois de suite en 2010, 2011, et 2012 pour Manga Taisho.

L’histoire raconte la vie de Hideo Suzuki, mangaka dans la trentaine qui a du mal à faire publier de nouveau un manga. Un manga sur le manga, original dira-t-on. Cependant, ce n’est pas la première fois que cela a été fait. Bakuman, de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata, les auteurs de la série culte Death Note, repose sur une histoire similaire : l’histoire suit deux jeunes mangakas du collège a leur âge adulte dans leur quête pour devenir des auteurs piliers du magazine Shonen Jump. Les similarités s’arrêtent là. Alors que Bakuman est destiné à un public adolescent, I Am à Hero vise les jeunes adultes. Hideo, après avoir brièvement été publié, n’y arrive plus, et devient assistant chez un autre mangaka spécialisé dans le genre érotique. C’est là

que, quelques années plus tôt, il rencontre sa petite amie qui elle aussi aspire à devenir mangaka. On découvre très tôt, dans le récit, qu’Hideo est mentalement dérangé et parle souvent avec un ami imaginaire, Yajima. Souvent, des visages monstrueux lui apparaissent, du bas de son lit, dans la la nuit et il lui arrive d’imaginer les conversations avec ses collègues et sa petite amie, mais enfaite il se parle a lui même. Il voit sa vie comme un manga dont il est le héros, ce qui ne lui semble pas toujours vrai. Après une série d’évènements, l’histoire vire subitement d’un slice of life suivant la vie de tout les jours du « héros », à une histoire d’horreur, noire, profonde et psychologique. Bien que trame soit lente au début, très vite elle s’accélère . Alors que le Manga contemporain est dominée par les Shonen, clone de Dragon Ball ou des héros prépubères sauvent le monde, I Am a Hero se démarque par son originalité et par la complexité de son histoire. Depuis sa sortie en 2009, la série devient de plus en plus intéressante avec le temps. Un des chefs d’œuvres de ces dernières années, a ne surtout pas rater. Marcel Diallo

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en une

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d’un succès l’autre...

uand on a commencé à réfléchir sérieusement à la naissance de RECIDIVE comme magazine culturel à la marge des modes éphémères et faisant la part belle aux talents africains, Daara J nous est vite apparu comme candidat idéal à notre première Une. Cette Une, c’est un peu le symbole de ce à quoi nous entendons contribuer en tant que publication. Le groupe s’inscrit dans la durée et, de notre point de vue, à nous qui sommes nés dans les années 80, il est l’un des grands noms de la musique sénégalaise. Qui a voyagé dans la sous-région et en Europe ne nous démentira pas, leur notoriété est factuelle. Ndongo, Faada et Aladji man, dès la seconde moitié des années 90, étaient très jeunes et côtoyaient leurs ainés du PBS au sommet du Hip Hop sénégalais. En réécoutant leur premier album, dans le cadre de la préparation de cet article, je fus frappé par la maturité artistique qu’ils y déploient. J’invite d’ailleurs chacun à réécouter ce premier album. Après une

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première production remarquable, ils se sont maintenus ces deux dernières décennies au sommet du rap game local. Depuis, le groupe s’est séparé de l’un de ses membres, a sorti school of life en 2010, démontré qu’avec un travail sérieux, de la production à la commercialisation en passant par une communication ingénieuse, un album de rap pouvait encore faire l’évènement au Sénégal. Daara J, pour parler comme Ndongo D, a fait « le monde, sauf la chine » et porté le made in Sénégal sous toutes les latitudes du globe. Rendre hommage à ces trois-là, c’est une manière pour nous d’entamer notre aventure éditoriale sous le signe du succès et d’affirmer notre optimisme quant à l’avenir de la production de biens culturels en Afrique. À travers le titre, un autre hommage, celuici à un écrivain génial, Louis Ferdinand Céline. Sur une même couverture, un hommage à de grands noms du Hip Hop et à un grand écrivain, car pour nous, les différents arts se complètent et nous récusons toute sorte de hiérarchie entre les biens culturels. Je profiterais de ce prologue pour adresser nos remerciements à Ndongo D qui ne s’est pas ménagé durant notre entretien et qui avait bien des choses intéressantes à nous dire. Nous remercions aussi Buzzlab Dakar qui nous a facilité la prise de contact avec le Daara J familly.


en une

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« On a fait ça dans les années 96 et dit toi qu’après, des groupes comme Fugees, en faisant la même chose, ont explosés sur la scène mondiale et même Black Eyed Peas ils faisaient la même chose. On a été des précurseurs. »

ous avons donc passés un certain nombre de coups de fil, très peu finalement, pour nous voir accorder un rendezvous avec le Daara J familly. Entre temps, j’ai croisé Aladji Man, nous sortions du même bureau de vote et nous avons échangé… nos numéros de téléphone notamment, dans la perspective d’une rencontre prochaine. Quelques jours plus tard, en face du Stade Léopold Sédar Senghor, nous attendions, assis dans le hall de Bois Sakré, qu’arrivent Ndongo et Faada. Ndongo nous y a retrouvés aux environs de 17 h, nous l’avions précédé d’une bonne heure et il revenait de Thiaroye. Casquette mauve vissée sur la tête, Clarks assorties aux pieds, je notais, qu’en termes d’allure, les vétérans n’avaient rien à envier à la nouvelle garde. Après nous être présentés, toute l’équipe RECIDIVE de même que le projet que nous portons, Ndongo nous invita à le suivre dans le studio d’enregistrement. Sur les murs sombres de l’endroit, des représentations en couleurs vives du continent africain et des inscriptions de sagesses. Toutes renvoient à la « philosophie » du groupe, ancrée dans les traditions africaines et constituant ce que j’appellerais un modus operandi de la vie. Ndongo était particulièrement à la bourre, comme un artiste entre deux vols, Dakar étant une escale entre la dernière et la prochaine destination. Mais il avait bien une heure à nous consacrer. Cependant que nous discutions, les salamalecs d’usage et l’évocation d’une compilation

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allemande, dont un morceau du groupe serait le premier single, il explorait le disque dur de son Mac à la recherche d’un fichier. Il a évoqué leur voyage à Abidjan, dont ils revenaient tout juste. Ça a duré quelques minutes et puis, las de retourner en vain ses dossiers, il s’est résolu à suspendre sa recherche. L’entretien pouvait débuter. C’était fin 91, Ndongo habitait Colobane, découvrait Ice Cube et Public Ennemy lorsqu’un cousin à Faada, Biba, les a présentés. Ils se sont très vite entendus et, dès 1992, ils reprenaient ensemble des morceaux américains, faisaient de la danse, du Breakdance… « Il y’avait ce film, Breakin, qui nous avait rendus dingues. C’était aussi l’époque de Mc Hammer. » À deux, ils se produisirent dans de petits spectacles scolaires. « À l’époque il y’avait MC Lida, le Positive Black Soul, Supreme Black, VIB, les anciens de la Medina, le groupe de Big D, celui de tonton Mac, Sunu Flavor, c’était ça la scène et il faut dire qu’écrire en wolof n’était pas très répandu. Nous on s’y est mis » Puis « Il y’a eu la soirée au Métropolis », à l’époque lieu de ralliement de toute la jeunesse branchée hip-hop de Dakar. Plus tard ce sera le club Aldo qui jouera ce rôle. Le Métropolis est aujourd’hui devenu le Café de Rome et une toute autre ambiance y règne. C’est dans ce club qu’en fin 93 Faada Freddy et Ndongo D rencontrèrent Aladjiman. Cette soirée-là fut celle de la découverte, par le milieu, du flow de Ndongo et de la voix de


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C’est simple, Ndongo, Faada et Aladjiman ont fait « ... le monde sauf la Chine. » Faada. Mais avant il avait « fallu s’armer de courage pour aller se présenter devant la boîte. On y a trouvé Ibou Diagne, qui est le grand frère de Baay Souley, danseur du PBS, il était en charge du spectacle dans le club. Quand on s’est proposé comme artistes, il a tenu à nous mettre à l’essai, pour s’assurer qu’on avait le niveau. » Un petit freestyle plus tard et les deux ados avaient obtenus leur pass pour la scène du Métropolis. « Il y’avait un DJ qui balançait des instrus et un micro qu’on s’est partagé. » Ndongo se souvient des rires qui fusèrent à l’annonce du nom du groupe, qui sonne très terroir sénégalais alors qu’on affectionne plutôt les appellations aux consonances anglo-saxonnes dans le milieu; Ndongo se souvient aussi que ces rires se sont volatilisés en même temps que leurs voix se sont posées sur le beat. Un premier succès public qui, dans le récit de leur carrière, demeure comme une étape marquante. Aladji man, rencontré ce soir-là, n’apparait que furtivement et il ne reviendra plus dans la conversation, on comprend, sans que cela ne soit dit, ni que les causes en soient explicitées, que la rupture, survenue des années plus tard, est profonde et douloureuse. Entre ces débuts et la parution du premier album, sobrement intitulé Daara J, en 1994, très peu de temps se sont écoulés. Or, l’un des aspects marquants de ce premier album, justement, c’est la maitrise qui s’y déploie, un peu comme si le groupe avait déjà des années de pratique derrière lui, du métier en somme. « On a été très a capella au

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début, on n’avait pas de sampler, ni de studio, on avait que des cassettes chromées, on était obligé d’imaginer la musique dans nos textes, on s’accompagnait de beat box et puis on a fait une quantité de cypher sur les terrains de basket, toujours, on y allait à capella. Ca a beaucoup contribué à nous forger vocalement. » Ndongo, toujours prompt à mettre en avant les qualités de son binôme ajoute : « Faada c’est un musicien complet, il a appris à lire la musique, il connait ses gammes, joue une multitude d’instruments, au niveau des harmonies, le gar peut te sortir une infinité de voix. » Et plus tard, « Des gens comme DJ Makhtar nous ont aidés à avoir des faces b. » Dj Makhtar, qui les accompagnera sur scène, derrière les platines, est devenu une personnalité importante du Hip Hop dakarois. On se souvient tous, à Dakar, des soirées très courues durant lesquels il assurait le mix. Il est décédé en 2007, Ndongo D et Faada Freddy lui ont dédié un beau morceau dans School of Life, dernier des nombreux hommages qui lui ont été rendus. Dès sa sortie, en 1994, l’album Daara J, le premier, reçoit un très bon accueil et propulse le groupe aux avant-postes du jeune mouvement hip-hop sénégalais. Une source fait état de ventes considérables sur le marché national, d’aucuns avancent le chiffre de 15 000 exemplaires. Des tubes comme Loxo ci kaw ont laissé une trace indélébile dans l’esprit de générations de sénégalais. Le groupe est dès lors très demandé et se produit beaucoup sur scène. Alors qu’ils jouaient au

Lycée Delafosse et qu’une foule monstre assistait au spectacle, un producteur français, fondu dans le public, décide de les signer. L’album Daara J, traverse la méditerranée dans ses valises, atterrit à Paris, puis part pour Londres à la rencontre des mains expertes de Mad Professor, producteur du déjanté Lee Scratch perry. Carlton Bubblers, musicien surdoué, pianiste, bassiste, batteur, disons homme-orchestre pour écourter cet inventaire, participe aussi à la réédition de l’album qui parait en 97. « Ils ont porté tout ça à un NIVEAU! Ce producteur a ramené l’album à Dakar, l’a filé aux radios. Je me souviens, la première fois que j’ai entendu les sons réédités, j’étais chez moi et puis, sans m’y attendre, le son m’est parvenu du poste radio. C’était sur RFI, le morceau Daara J Daara J, je me suis dit wow. » Un bémol malgré tout, « le mélange de hip-hop, de ragga et de reggae avait un peu dérouté certain. » Mais, comme le fait très justement remarquer Ndongo D, qui démontrera tout au long de l’entretien qu’il pense les évolutions de l’industrie musicale dans le monde : « On a fait ça dans les années 96 et dit toi qu’après, des groupes comme Fugees, en faisant la même chose, ont explosés sur la scène mondiale et même Black Eyed Peas ils faisaient la même chose. On a été des précurseurs. » Puis Ndongo nous parle de Reggae, de musique Jamaïcaine et mobilise l’Histoire pour nous rappeler que le Hip Hop américain a ses racines en Jamaïque. « Les pionniers New Yorkais étaient tous d’origine jamaïcaine. » L’on sent bien l’amour qu’il


en une porte à la musique de cette île et lorsque j’observe qu’au Sénégal le reggae occupe une place mineure il analyse : « ici, c’est le Mbalax et le rap qui laissent peu de place au reggae, mais nous on arrive à créer une brèche pour cette musique. Sur le continent par contre ça explose, en Guinée on a vu apparaitre Takana Zion, en Côte d’Ivoire d’où l’on revient, on a découvert des groupes qui jouent très bien, ça foisonne. En général, il y’a une force du reggae, chez les artistes, et pas trop chez le public qui est jeune et focalisé sur le mainstream. Alors même que la base de cette musique-là c’est le roots : la soul, le jazz et le reggae. » Pour vivre de sa musique au Sénégal, sans céder au griotisme, posture qui, convenons-en, sied mal au MC, il vaut mieux avoir une carrière internationale. Et, sur ce plan, on fait difficilement mieux que Daara J. Je l’ai déjà dit, leur notoriété est factuelle. Évidemment, cette notoriété à l’étranger ils la doivent en premier lieu à leur musique, aux échos qu’elle a pu rencontrer chez un public divers. À la base, on a cette musique urbaine venue d’outre-Atlantique et dont Daara J soutient qu’elle est d’origine africaine dans leur album Boomerang, leur plus grand succès à l’international. Cette musique, ils l’ont nourrie d’influences diverses et l’ont ouverte à d’autres horizons musicaux. Il y ’a aussi ces innombrables performances scéniques qui ont marqué, notamment le public européen. C’est simple, Ndongo, Faada et Aladjiman ont fait « le monde sauf la Chine. » Et sans Aladjiman, Daara J devenu

Daara J familly continue de sillonner la planète. Lorsque nous avons quitté Ndongo D il était occupé à préparer son départ prochain pour le Japon où ils doivent se produire. Le Japon, ça m’a beaucoup impressionné. Qu’on vienne de Colobane et que la musique que l’on fait soit demandée là-bas, dans le lointain Pacifique, par des Japonais, ça relève de l’exploit. C’est vrai que Lil Wayne où Justin Bieber sont demandés partout dans le monde, mais ils ont avec eux la machine du showbiz Américain, l’hégémonie politique de leur nation, sa présence multiforme sur tous les continents. Les artistes sénégalais n’ont pas, loin de là, de tels privilèges. Sur le plan national comme international, Daara J a reçu de nombreuses distinctions, dont celle du meilleur album africain aux BBC world Award, c’était pour Boomerang. Lorsque j’évoque la question du succès, Ndongo D concède sans autosatisfaction excessive : « on est des perfectionnistes, si demain on a un grammy, on reviendra toujours dans notre bois sakré, d’abord par ce que ça nous faire plaisir. C’est vrai qu’on a eu des distinctions assez impressionnantes, on a occupé le top des charts en Europe pendant 6 mois, c’était quand même, à ce moment-là, pour moi, un sommet. La communion avec le public, en Nouvelle-Zélande, en Australie, on a tourné avec Femi Kuti aux ÉtatsUnis. On a fait la mythique salle New Yorkaise du Lincoln center, en première partie de Wyclef qui, après notre prestation, est venu vers nous, franchement impressionné. Ce qu’on a fait avec Mos Def, Talib Kweli, Boot camp, à Los

Angeles au Hollywood Bowl, pour moi c’est le truc le plus big. Après on est des perfectionnistes, on continuera toujours à travailler, on fait de la musique pour la postérité, pas pour une tendance, parce qu’on a des racines. On cultive un champ et quand on cultive un champ, il arrive que les récoltes soient bonnes, ou qu’elles soient mauvaises, par ce qu’il n’y a pas assez de pluie, mais on le cultive quand même. À chaque fois qu’on travaille sur un morceau, on y met nos tripes. J’amène un côté rap et ensemble on débouche sur une synthèse intéressante. C’est rare de trouver un artiste qui peut écrire, chanter, rapper, composer, c’est très rare. Au Sénégal, des comme lui, Faada, il n’y en a pas dix. » Alors que les rappeurs du monde entier semblent s’être donné le mot pour adopter une posture de mauvais garçon, Daara J a toujours reflété une image lisse, celle de gendres parfaits plutôt que de rebelles. En plus de dix ans de carrière, d’exposition aux regards inquisiteurs de la presse et du public, rien n’est venu altérer cette image. Maitrise impeccable de leur image ou simple reflet de leurs personnalités ? « Pour les gens qui nous connaissent, Faada c’est Faada, Ndongo c’est Ndongo, ont peut pas changer. Ça fait quinze ans qu’on est dans la musique, si c’était, du cinéma ça se verrait. Et puis l’image clean c’est les gens qui le disent. Après, pour deux artistes, ne pas fumer, ne pas boire, être plutôt versés dans la spiritualité, très même, c’est vrai que c’est notable… Ensemble on parle de gnose, de connaissance mystique,

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« On est des perfectionnistes, si demain on a un grammy, on reviendra toujours dans notre Bois Sakré... »

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de l’imam Gazali, de Jésus, du Prophète, de Seydina Ababacar, Seydina Omar, de Serigne Touba, on parle de tout ça, on n’est pas parfait, mais je pense que c’est ce que les gens arrivent à détecter chez nous, c’est ce côté-là, versé dans la spiritualité. Ça fait longtemps qu’on est dans la musique, on aurait pu se laisser aller, mais si on l’avait fait je pense qu’on n’en serait pas là. Pour garder le cap, ne pas succomber à la tentation, ce n’est pas gagné. On est tous les deux issus de milieux pieux. Moi par exemple, dans ma famille, il y’ a beaucoup de marabouts et le discours religieux y est prégnant. Même si on n’est pas parfait on a su demeurer constant, suivre une discipline. Du coup beaucoup de gens peuvent s’identifier à notre musique, les jeunes, les moins jeunes. Tiens, hier par exemple, on était au Just 4 You, le public était d’une diversité! À première vue certains n’ont pas l’air d’écouter du rap. Mais il y’ a un message dans ce qu’on fait, une direction, il y’ a un plus. C’est ce qui fait que des messieurs, des religieux,

peuvent venir écouter Daara J, à la maison ils peuvent mettre notre musique, ils vont peut-être pas mettre du La Fouine, ou du Booba. Notre musique ne ressemble pas à un morceau de Ghostface Killa, ce n’est pas pareil, mais en même temps c’est nous, c’est juste nous. Notre musique a pris de l’âge et je dirais qu’elle est humaniste. » Humaniste, voilà un mot que l’on croyait suranné, mais qui, à Bois sakré, est encore d’usage. Musique humaniste, l’antithèse de la Maybach music chère à Rick Ross? Après écoute des deux, on peut conclure que la musique humaniste de Daara J est objectivement plus en phase avec nos réalités. En plébiscitant leur dernier album, School of Life, qui s’est écoulé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaire, le public sénégalais a tranché en faveur de cette musique humaniste. Waccel sa griff, par exemple, ce morceau du dernier album, dans lequel Ndongo D et Faada Freddy en appellent à

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moins d’ostentation est à mon sens de salubrité publique. La vidéo qui a beaucoup tourné ces derniers mois, à la fois drôle et tragique, suit un frimeur, très soucieux de paraître plein aux as alors qu’il est loin de l’être, qui passe une journée au volant d’une Porsch et rentre se coucher dans un bidonville. Je me suis toujours dit que la propension à l’ostentation mine la société sénégalaise, l’exténue. Moins d’ostentation, plus de sobriété et les comptes, aussi bien ceux des ménages que ceux de la nation s’assainiraient. Il y’ a aussi baayi yoon, une irrésistible ode à l’amour propre, qui affirme : « mieux vaut se connaître soi-même. » Daara J a toujours réhabilité les traditions africaines, s’est toujours revendiqué du terroir et jamais cela ne s’est fait au détriment de la musique, jamais cela ne les a ringardisés. Entre la soirée du métropolis et aujourd’hui, ils sont passés, d’un succès l’autre, mais comme nous l’a dit Ndongo, ils ont encore envie de travailler de poursuivre leur « mission. » À l’horizon, ils ont dessiné bien des projets, pour leur label, pour le groupe, à l’échelle nationale, sous régional et international. Pour les mois à venir, on peut s’attendre à la sortie de quelques singles, en attendant l’album, prévu pour 2013 et qui sera dans la continuité de School of Life. Des

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carrières solos sont prévues, par ce qu’à un « moment il faut y aller, il y’ a des sensibilités artistiques et il faut que chacun soit libre. » Mais le groupe demeurera, nous assure Ndongo D. Et puis il y’ a ce qui apparait comme un devoir auquel le « grand » Ndongo D se plie volontiers. « On entend booster des artistes locaux, c’est un peu normal. Comme les jeunes disent, on est un peu les grands, on partage l’expérience et le peu de moyens qu’on a avec les artistes. On a commencé en 2007 à agir dans ce sens. On va s’y remettre. » Dans le contexte local, Ndongo nous explique que la production de jeunes artistes par un label c’est plus du mécénat qu’un business rentable. Sauf si l’artiste en question a le potentiel pour faire une carrière internationale, ce qui implique qu’il ait « une vaste culture générale, une culture musicale conséquente et la maitrise d’au moins deux langues, l’anglais et le français. » Justement, que pense-t-il de la scène rap nationale actuelle ? « En tant qu’artiste, je vois qu’il y’ a une explosion, les jeunes s’intéresse à cette culture. Beaucoup parce qu’il y a un effet de mode. Il y a un gros challenge au démarrage, il y a un rush, et ce rush est peut-être préjudiciable à la visibilité des véritables talents. Il Y’ en a qui se lancent parce qu’ils se disent tient, y’a Canabasse qui marche bien, et ils se mettent à faire du bruit, alors qu’il y’ a du travail à fournir. Il y’ a une carrière à tenir. Aujourd’hui, n’importe qui peut faire une vidéo, le lendemain il est sur Walf. »


société

a

Fou Malade lors du Forum Social Mondial à Dakar

De la punchline en

République

l’approche de la reine des élections, celle présidentielle, toutes les nations démocratiques se voient prisent d’une frénésie politicienne. Il n’est plus alors question, sur la scène médiatique, que des vices et vertus de ces messieurs les politiciens. En fait, ce n’est jamais la nation toute entière qui n’a plus que ces considérations à la bouche, mais deux corporations en particulier, celles journalistique et politicienne. Parce qu’il faut bien noter que des pans entiers de l’opinion ignorent avec allégresse la politique et de cela

les taux d’abstentions témoignent. Depuis plusieurs années maintenant, au Sénégal, une corporation s’est Jointe aux 2 sus-cités, dans le concert des « voilà ce qu’il faut faire », « tels sont les infamies du régime en place » et autres « tels sont les coupables des souffrances du peuple » : celle des rappeurs. La scène rap sénégalaise est bien celle qui sécrète le plus de propos sur la vie politique. Les rappeurs viennent, avec les journalistes et les griots, constituer l’ensemble des chroniqueurs de la geste politique. Là ou les journalistes se

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réclament de l’objectivité ; les griots du plus offrant, les rappeurs eux se proclament portes voix des intérêts et des sentiments du peuple. Bien que n’étant pas élus, ils se donnent un rôle tribunicien et force est de reconnaître qu’ils le remplissent. Par exemple, Malal Tall, alias fou malade, se définit comme griot du peuple. Pour résumer, sous nos cieux ensoleillés et sur notre sol ensablé : le rap c’est du sérieux. Le Sénégal n’a pas le monopole du rap politisé, Public Ennemy aux Etats Unis c’était déjà ça, le Tupac des premiers disques ça l’était aussi et aujourd’hui, des MC, certes plus confidentiels, tels qu’ Immortal technique, perpétuent cette tradition américaine du rap qui prend position sur autre chose que la haute couture. En France, la musique du groupe la Rumeur où celle de la rapeuse Casey portent aussi la trace d’une forte culture politique d’opposition. Seulement, l’exception là bas est la norme au Sénégal. Au point que le Rappeur Sénégalais, sous peine de discrédit, est radicalement opposé au pouvoir. Pour autant, il n’est pas le porte-voix de l’opposition. Cette position classique, à la marge et du pouvoir et de l’opposition, à distance respectable de la mêlée pour mieux la bombarder de ses diatribes, qui jusque là avait été celle du rappeur sénégalais, en ces années 2011 et 2012 échues, s’est vue abandonnée par des acteurs majeurs du Hip Hop sénégalais. Lors de la campagne qui vient de s’achever, on a pu voir ensemble rappeurs et aspirants présidents sur les mêmes images télévisés, se succèder sur les mêmes tribunes, et pour tenir souvent des discours très en accords les uns avec les autres. A émergé le désormais

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célèbre Y’EN A Marre, organisation qui non contente d’affirmer sa présence physique sur le terrain du rapport de force politique, entend formuler et diffuser aux consciences nationales une éthique de la citoyenneté. Certains de nos rappeurs, les plus en vue du moment, ont donc revêtus l’habit de moralistes propagandistes qui ne se limitent pas à prescrire en chanson, mais s’expriment dans la presse quotidienne nationale, internationale et sur toutes les tribunes au sommet desquels ils peuvent faire la leçon aux sénégalais pour qu’ils se reforment selon le programme de Y’EN A MARRE. On s’interroge : Es ce bien là la vocation du rappeur ? La politique, en tout cas, à travers le spectacle que nous offrent nombre de ceux qui en ont fait une profession, manque de sérieux. Un distingué journaliste politique de la place parle volontiers de politicaillerie et, pour ma part, j’ai fini d’adopter ce terme comme celui qui dit le mieux ce à quoi nous assistons. Peut être que si des professionnels du divertissement, ou plutôt des artistes car l’art peut être le contraire du divertissement, se mêlent d’expliquer publiquement la politique c’est parce que justement il n’y a plus que politicaillerie sur la scène publique. Peut-être aussi que nous sommes là face à des artistes dont la finalité n’est pas l’art, et c’est ce que nous avons essayés d’élucider dans les pages qui suivent. Avant de poursuivre plus avant ces feuilles sur le lien ténu qu’entretiennent depuis quelques mois l’univers des punchlines et celui des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, il convient de

se poser la question de l’impact de l’activisme des rappeurs. En effet, les MC ont-ils le crédit nécessaire à l’orientation de l’opinion publique sur les questions politiques ? L’Histoire immédiate, celle qui s’est déroulée sous nos yeux, a répondu par un oui à la question de la fécondité de l’activisme politique des rappeurs. Un groupe est particulièrement représentatif de ce rap politisé, Keur Gui qui, depuis ses débuts, érode de ses rimes l’autorité politique, ce qui ne manqua pas de leur causer quelques soucis. Nous Y revenons avec Thiatt, l’un des deux MC qui composent le duo Kaolackois et figure de proue du mouvement Y’en a Marre. Nous avons aussi recueilli le témoignage de Fou malade, autre rappeur qui lui s’est rendu célèbre en se faisant, avec souvent beaucoup d’humour, porte voie de la marginalité. Il avait ensuite conquis l’ensemble du public national à travers une collaboration avec Viviane N’ dour. Et puis on l’a connu militant pour l’amélioration des conditions de détention carcérales, travaillant avec son association à la réinsertion des détenus. Ces derniers mois, il à surtout fait l’actualité en étant l’un des acteurs les plus en vue de Y’en a marre. On l’a vu, sur les plateaux télé, débattre avec des politiciens qui avaient face à eux un redoutable contradicteur, non pas parce que fou ou malade mais parce que comme nombre de rappeurs il est pourvu d’un bagage intellectuel insoupçonné par beaucoups. Dans une société dont l’une des valeurs cardinales est le Masla, ou l’art de taire ce qui dérange, ces nouveaux venus sur la scène politique ont bousculés les habitudes et réussi là où d’autres organisations ont échoués.


le rap, en animant des ateliers d’écriture dans tous les lycées du Sénégal et en produisant un cd à partir de textes écrits et interprétés par des élèves. À l’époque on déplaçait un studio et on enregistrait les élèves.

Ces actions sociales, associatives, n’étaient-elles pas suffisantes, pourquoi vous être engagé comme vous l’avez fait dans Y’en a Marre ?

Malal Tall, Fou Malade On vous a vu au forum social mondial, il y’ a quelques mois, vous définissez vous comme altermondialiste ? Oui. Je suis de culture politique sociale, je ne suis pas libéral par ce que qui parle de libéralisme parle de capital, qui parle de capital parle de profit, et tout le monde sait que le profit c’est l’enrichissement d’une minorité et l’appauvrissement d’une majorité, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Je suis altermondialiste, depuis très longtemps, j’ai même, dans le cadre du forum social mondial, réalisé un album qui s’appelle prise de conscience collective pour l’annulation de la dette du tiers monde en collaboration avec le CADTM de Belgique et quelques groupes d’ici comme Keur Gui, Krazy Kool, etc. Je me retrouve dans cette idéologie altermondialiste qui voudrait que le citoyen soit placé au cœur du processus de décision.

Vous sentez-vous proche d’un parti de l’espace politique sénégalais d’aujourd’hui, comme d’hier ?

J’ai commencé la politique avec le communisme, parce que j’ai grandi dans une famille communiste, avec l’AJ PADS. C’est là où j’ai pris conscience d’un certain nombre de choses et que je me suis intéressé

au sens d’un combat, que j’ai commencé à participé de manière active dans les mouvements populaires. Je vois des similitudes entre ces mouvements et le mouvement hiphop c’est pourquoi j’ai tout de suite compris, avec l’avènement du hip hop que là était mon chemin, voici l’outil que je peux utiliser pour dire ce qui me fait mal et parler pour ceux qui me parlent.

Donc avant le rap vous aviez déjà une sensibilité politique marquée à gauche. Pour vous, la musique, est-ce une fin en soi ?

Pour nous la musique c’est un support de communication, moi je conçois la musique comme un instrument, comme un outil dont il faut se servir pour être utile à sa société, à sa communauté. C’est avec cette même musique que j’ai travaillé dans la réinsertion et la formation des détenus dans le milieu carcéral. J’ai travaillé à produire, par le biais de mon label, des groupes que j’ai connus en milieu carcéral, à 100 m2, j’ai aidé par ce biais à leur réinsertion, à les faire réintégrer le tissu social, c’est avec ce même outil que j’ai travaillé avec la coopération française et le ministère de l’Éducation nationale, c’est avec cet outil que j’ai travaillé pour l’amélioration du niveau des élèves en français, par

Aujourd’hui il faut de la pédagogie, même en politique elle change. On a besoin de nouveaux médiums de communication. Au départ c’était cette personne en costume qui parlait de politique, mais aujourd’hui c’est ce rappeur en baggy, c’est ce rappeur avec une casquette, c’est ce rappeur avec un chapeau Amilcar Cabral qui délivre un message parce que le peuple ne se retrouve plus dans ce discours des politiciens qui l’ont arnaqués, trompé, mentis pendant plus d’une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, le peuple a besoin d’entendre un message nouveau, et le message nouveau c’est celui construit, effectivement, par des rappeurs et par ceux du mouvement Y’en a Marre qui ont compris qu’en fait il ne faut pas avoir de complexe à dire que l’on s’intéresse à la politique. Parce que les politiciens ont réussi à faire de la politique leur propriété, pour exclure les citoyens de cette chose-là, pour dire que la politique est salle, n’y touchez pas. Alors que la politique n’est rien d’autre que la gestion de la cité. Les affaires politiques sont les affaires de tout le monde et les affaires de tout le monde ne sont rien d’autre que la politique. Globalement, c’est notre compréhension de la chose, on assume nos responsabilités et nous disons à haute voix que nous allons faire de la politique, pas de manière clanique, pas de manière partisane, nous ne nous réclamons d’aucune idéologie, nous ne sommes pas libéraux, nous ne sommes pas du parti socialiste, nous sommes du côté du peuple, et nous voudrions que le citoyen sénégalais soit placé au coeur du processus de décision. Y’en a Marre c’est le côté contestataire et le NTS c’est le côté proposition, le nouveau type de Sénégalais.

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« Je conçois la musique comme un instrument, comme un outil dont il faut se servir pour être utile à sa société, à sa communauté. »

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Keur-Gui,

Les troubles fêtes l’origine il n’y avait pas eu de vive passion pour la musique, mais une grève scolaire. C’était en 96. Les deux jeunes Kaolackois, qui allaient devenir Thiatt et Kilifa de Keurgui, faisaient partie de ceux-là qui participaient à la rédaction des plateformes revendicatives et s’insurgeaient en occupant en station debout leurs tables bancs, comme plus tard ils occuperont la place de l’Obélisque. Et puis très vite l’enceinte de l’école devint une limites par trop exigu et l’administration scolaire une cible insignifiante face à l’ampleur de leur révolte. C’est alors qu’ils songèrent : “On a nos foyers qui arrivent bientôt, écrivons des morceaux qui parlent de l’école, mais comme nous sommes des kaolackois, on va parler de Kaolack.” En 97, ce qu’ils avaient à rapper sur Kaolack n’était pas du gout d’un certain Abdoulaye Diack, maire de ladite ville à qui ils reprochèrent en chanson: de “vendre de la glace et du lait de vache dans notre gouvernance, de faire verser des préparations mystiques dans le château d’eau.” Des préparations mystiques dans le château d’eau, mais quelle idée! Toujours est-il que les membres de KeurGui se font sérieusement tabasser et passent trois semaines à l’hôpital. En 99, toujours occupés à s’en prendre aux édiles de Kaolack, ils séjournent une semaine au camp pénal de la même ville et, fait unique au Sénégal, leur album est censuré. Beaucoup de livres sont censurés, c’est d’ailleurs un scandale insuffisamment relevé, mais les disques de rap par contre ont tendance à paraître sans souci. Le fait est que ça en aurait refroidi plus d’un de démarrer comme ça dans la musique, par une correction et un encellulement plutôt que par les délices du show-biz. Mais Keur-Gui a persisté dans la dénonciation, la critique virulente et ad hominem des puissants. En 2002 ils sortent Ken Bugul, nul n’en veux en français, l’un des noms que l’on donne à un deuxième enfant lorsque le premier est mort-né. Ils y décernent à Abdoulaye Wade le prix Nobel des apparitions télé, reviennent sur l’affaire du bateau le Diola, dénoncent un certain nombre d’actes symboliquement antirépublicains posés par le même, comme par exemple le fait qu’il peigne les bus de la compagnie de transports publics à la couleur de son parti. De vrai troubles fêtes que ces deux-là, “On nous disait, à l’époque, qu’on était relou, que ça ne faisait même pas deux ans qu’il était au pouvoir, mais nous avions fait ces constats.” En 2004 ils sortent Liy Rame, qu’on pourrait traduire par ce qui vient. Ce titre fait penser à l’idée

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du grand soir, à ce cataclysme qui, dans la littérature gauchiste est annoncée comme imminent et qui doit défoncer le système. Dans ce disque, ils quittent un peu, dans les thématiques abordées, leur ville de Kaolack, choisissent le cadre plus large du Sénégal et invitent, sur certaines pistes, des artistes venus d’autres horizons. A nouveau ils discutent de ce que l’on a coutume de taire, notamment les rapports entres les tarikhas, les confréries religieuses. “Il y’a de tout dans ce pays. Mais il faut que les gens aient la maturité, l’honnêteté et surtout le courage de le dire.” De courage, les 2 rappeurs Kaolackois ne manquent pas. A l’écoute de leurs morceaux, l’auditeur attentif et familier de l’espace publique sénégalais voit tout de suite que là s’exprime une parole à nulle autre similaire, une parole qui ne peut qu’irriter l’ordre établi. Aujourd’hui, les membres de Keur Gui, fondateurs avec quelques autres du collectif Y’en a marre, peuvent revendiquer un rôle déterminant dans la défense des institutions démocratiques du Sénégal. Celui qu’ils avaient critiqués très tôt, du temps de son état de grâce, ils lui ont mis d’épais battons dans les roues lorsqu’il a voulu se livrer à une méforme constitutionnelle. Ils ont ensuite fait en sorte que des milliers de jeunes s’inscrivent sur les listes électorales et n’ont cessé d’imaginer et de mettre en œuvre des actions contre le régime que lorsque celui-ci est tombé sous le poids du suffrage universel. Ressortis vainqueurs de la lutte qu’ils avaient engagée, vont-ils maintenant déserter l’espace politique et se consacrer à leur musique? Ont-ils, au contraire, un projet politique qu’ils entendent défendre? Es ce bien leur rôle en tant que Rappeur que d’être présent sur ce front? Thiatt, qui nous a reçu aux Parcelles, a répondu à ces questions dans l’entretien qui suit. Sous sa dégaine de rappeur, se cache un authentique tribun, affable, qui aime discourir et pourvu d’un sens certain de la formule.

Omar Cyril Touré, Thiatt

D’où vous vient votre culture politique ?

Kaolack était un bastion du PS. Beaucoup de tendances s’y confrontaient. Il y’avait Malick Diop,Abdoulaye Diack entre autres Des meetings tous le temps. Et puis, les Kaolackois on cette culture de la résistance, on l’a peut-être hérités de Valdiodio

Ndiaye, c’est le père de l’indépendance du Sénégal, contrairement à Senghor qui n’était rien pour l’indépendance du Sénégal. Dia lui a fui ses responsabilités à l’époque. Ils étaient tous les deux absents. C’était Mbaye Jacques Diop, Valdiodio Ndiaye les porteurs de pancartes, c’était eux les jeunes, à l’époque, tu vois ce que je veux

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dire. C’est une culture dont on a hérités. Maba Diakhou Ba, Amadou Ndao, Jaaraf Ndao, tous ces grands hommes qui étaient de Kaolack, Ibrahima Seydi Ndao et aussi des guides religieux qui étaient des résistants et qui étaient à Kaolack. On a cette culture de révolte, de riposte, de contestation, c’est en nous. Très tôt on a compris ce qu’était la politique et très tôt ça nous a intéressés. les affaires politiques sont les affaires de tout le monde et les affaires de tout le monde sont les affaires politiques. Occupe-toi de la politique sinon elle s’occupe de toi et la politique, ce n’est rien d’autre que l’art de gérer la cité, quiconque faisant parti de cette cité a le devoir de s’impliquer d’une manière ou d’une autre politiquement dans la gestion de la chose publique voilà les raisons pour lesquels nous nous sommes très tôt politisés.

Qu’apportent Y’en A Marre de plus que la société civile classique, tu sais, celle en col blanc ?

On a amené la proximité, le bouche à oreille, le porte à

porte, surtout ça. La société civile est bien organisée, elle compte de grands penseurs qui t’écrivent des pages de réflexions, mais ils étaient déconnectés de la réalité, pas nous. On a comblé le vide.

Vous êtes des rappeurs activistes depuis très longtemps, mais, ces derniers mois, votre engagement a pris une tournure nettement plus importante et vous étiez en première ligne de bien des évènements majeurs. A ces hauteurs de la lutte politique, à ce niveau d’exposition, qu’avez-vous appris de plus sur votre pays, le Sénégal? Énormément de choses, j’ai appris à me connaître. Je pensais que je me connaissais, mais c’est grâce à Y’en a marre que je sais qui je suis réellement. Parce qu’avec la musique, avec Kilifa on a parcouru le monde, on a fait tous les continents, on s’est baignés dans tous les océans du monde. Le dernier album qu’on a sortis, nos

« La société civile est bien organisée, elle compte de grands penseurs qui t’écrivent des pages de réflexions, mais ils étaient déconnectés de la réalité, pas nous. On a comblé le vide. »

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Connes doléances a été nominé dans de nombreuses catégories, on a eu un tube de l’année, un micro d’or, sunu music awards, African Hip hop awards, ça nous a mené jusqu’en en Inde. Donc, pour moi, là était ma vie. Mais j’ai découvert que le combat que je mène dans Y’en A Marre, en fait c’est ça ma vie. Y’en a marre m’a confirmé ma dignité. Ma patience, je l’ai découverte grâce à Y’en a marre. Mon sang froid, ma fermeté, ma détermination, mon abnégation c’est Y’en a Marre qui me les ont confirmés, à travers des actes que j’ai eu à poser. J’ai compris la mentalité des sénégalais, j’ai compris pourquoi beaucoup de choses n’ont pas marchés dans ce pays. J’étais engagé dans ce combat avec la certitude que jamais l’on avait pu m’acheter, et j’entendais quand même des personnes dire le contraire. J’ai compris alors que beaucoup se sont vu descendre avant même qu’ils n’aient atteint leur but et ont finalement abandonnés parce que découragés. C’est alors que j’ai compris que les sénégalais ont tués beaucoup de bébés qui avaient de la valeur et ont laissés poussés beaucoup de graines pourries. J’ai compris, grâce à y’en a marre, que le système, tel que je l’appréhendais, est en fait plus diabolique, plus maléfique que l’on ne peut l’imaginer. Des gens sont venus me voir en me disant : « prend ces mallettes, donne nous ton passeport on te le change contre un passeport diplomatique, un compte bancaire on y verse cet argent, un touareg, un Cayenne en veux-tu,


en voilà, un appart à Ouest ou à Nord Foire, un terrain où tu veux à Kaolack, fait juste une chose, organise une conférence de presse et annonce que tu te retires de Y’en A marre, le reste on s’en charge. Et ne donne pas tes raisons, dit juste que tu quittes.» J’ai pu voir le regard des gens, ceux qui te détestent, ceux qui te disent « big up mon frère. » A travers les contacts que nous avons eus avec les diplomaties américaines et européennes j’ai compris que notre pays est babysitté.

C’est intéressant, ça le serait encore plus si tu nommais les personnes que tu décris. Serais tu prêt à révéler l’identité de ceux qui ont voulu t’acheter ?

On a les noms, on a les enregistrements, ce téléphone que tu vois là, je ne peux pas m’en séparer. On a aussi d’autres choses. On a eu la chance d’avoir des journalistes dans Y’en A Marre, ils avaient leurs dictaphones, on a donc beaucoup enregistrés. Je n’ai pas le droit de donner les noms. D’une part parce qu’on prépare un film. C’est pourquoi je ne peux rien vous dire maintenant. Mais je vous assure que tous cela sera porté à la connaissance du public. On n’a pas vu tout de suite l’urgence de faire de pareilles révélations. C’était un combat, dans un combat on donne et on reçoit des coups. Disons que la lutte consistait à monter au sommet d’un arbre, si à chaque fois que durant notre ascension nous nous étions arrêtés pour riposter, jamais nous n’aurions atteint le sommet. Il faut encaisser, sereinement et une fois au sommet, (il

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« Disons que la lutte consistait à monter au sommet d’un arbre, si à chaque fois que durant notre ascension nous nous étions arrêtés pour riposter, jamais nous n’aurions atteint le sommet. » esquisse un sourire) on peut bombarder.

comme des soit disant marabouts.

Des personnes, parmi lesquelles certaines avaient été membres de Y’en a Marre, ont mis en doute votre probité et suggérés que les raisons de votre engagement étaient moins nobles que ce que vous en disiez. Que répondez vous à ces attaques ?

Il y’a beaucoup de rappeurs au Sénégal et ta conception du rap, comme nécessairement revendicatif et contestaire n’est pas la seule. D’aucuns considèrent que le rap c’est une musique et que sa finalité est artistique. Cette conception autre que la tienne la trouve tu acceptable?

Y’en a marre, à un moment, était devenu un fonds de commerce. Il suffisait de dire j’étais dans Y’en a marre, je n’y suis plus, et on te filait des millions. Il suffisait de dire Y’en a marre c’est ceci et on te filait des millions. Des gens qui n’ont jamais eu de couverture médiatique en ont eu parce qu’ils avaient quitté Y’en A marre où avaient dénigrés le mouvement. Mais ça c’est normal, un système qui meurt, il faut qu’il meurt avec des personnes, des artistes notamment, Idrissa Diop, Requin, Pacotille, Alioune Kassé, Demba Dia, ces gens-là sont morts artistiquement. Ils sont morts. Alioune Mbaye Nder, ils sont morts et enterrés. Mais aussi, des hommes qui n’ont aucune valeur, aucune morale, Ousmane Ngom, Doudou Wade, Farba Senghor, tous ces gens-là sont morts. Mais aussi Wade a fait tomber d’autres masques,

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Je pense que ces gens-là s’amusent, ils s’amusent parce qu’ils ne sont pas sérieux. Ils font quelque chose mais ils ne peuvent pas l’appeler le rap. Parce que le rap c’est le fond et la forme, si l’un manque ça ne le fait pas. Tu peux utiliser la forme, Pape Thiopet d’ailleurs utilise la forme. Le rap, au Sénégal, a démarré par l’amusement, par le jeu, le fun, l’amour etc. Autre différence avec le rap US, ici, le hip hop a pris son essor dans les quartiers favorisés, parce que ceux qui les habitaient avaient plus de connections avec l’étranger. Nous notre hip hop a commencés chez les bourgeois, là-bas chez les prolétaires. Mais le Hip hop c’est une musique pour contester. Maintenant, une personne qui fait ce qu’il veut il peut l’appeler comme il veut, mais le hip hop

restera toujours ce qu’il est. La preuve, jamais un hip hop n’a été aussi conséquent dans l’avenir de son pays que celui sénégalais. Le Hip Hop sénégalais est le hip hop le plus valeureux de la planète. Aux états Unis c’est sex, money, drug, en France c’est ma voiture, j’ai de l’argent, ailleurs en Afrique, on veut la liberté, ici nous avons déjà cette liberté, et d’ailleurs la liberté ça s’arrache et on est en train de l’arracher. Donc c’est différent, le Hip Hop c’est pour contester, c’est fait pour critiquer, les trains qui viennent à l’heure ne nous intéresse pas. On ne caresse pas dans le sens du poil et il y’ a un ABCD à respecter, c’est ça le Hip Hop. Le Hip Hop suisse, il ne peut pas être engagé, il ne sert à rien le Hip Hop Suisse.

A mesure que votre engagement sur le terrain politique s’est prolongé, je me suis demandé, que proposentils, une alternative, quelque chose de cet ordre ? Y’en a marre a été savamment réfléchi et mûrement orchestré. Étape par étape, pas à pas. Le NTS, c’est le nouveau type de Sénégalais, même le nouveau type de président est inclut. C’est un projet de transformation sociale. Quand tu transformes une société, tu transformes un tout, la société


enveloppe tout, l’économique, la politique. Quand je dis je refuse la corruption, j’ai réglé deux problèmes, quand je dis je ne jette plus d’ordures dans la rue, j’ai réglé plusieurs problèmes et l’environnement ce n’est pas seulement le civisme, c’est du savoir vivre, c’est un vecteur de développement.

Je vois, mais en gros, c’est respecter les règles qui existent déjà dans la société, agir conformément à la morale ?

Certaines règles de notre société

décidé, vous aviez applaudis et parlé du Sénégal comme le modèle Africain. Aujourd’hui, vous savez que Wade veut briguer un troisième mandat et c’est anticonstitutionnel, si vous pensez que c’est une progression démocratique, demandez à Sarko de briguer un troisième mandat. Aujourd’hui, ce qu’il y’a lieu de retenir, c’est que c’est le Sénégal qui va servir d’exemple pour le reste du monde entier, on a mené une lutte pacifique qu’on a gagné, sans qu’il y’ ait des milliers de morts, il y’ a eu des morts certes et nous nous inclinons devant

Sachez que nous préparons un double album, 24 titres, le nom de l’album s’appellera encyclopédie, le livre interminable de toutes les sciences. Le premier chapitre s’appellera règlements de compte et le second opinion publique. Et chacun va comporter 12 titres.

La sortie c’est pour quand ?

Bientôt, c’est encore en chantier mais on est dessus.

Quels sont les artistes sénégalais que tu apprécies ? Je n’écoute pas de Mbalax. Je n’ai

« Le Hip Hop suisse, il ne peut pas être engagé, il ne sert à rien le Hip-Hop Suisse. » nous les récusons, le Masla, le laxisme, le fatalisme, la tolérance vis à vis du retard.

Vous dénonciez le babysitting tout à l’heure, Y’en a Marre a-t-il une position sur un sujet comme celui de l’aide internationale ?

Nous on procède de manière méthodique, chez moi c’est dégueulasse, avant de m’attaquer aux ordures de la rue je nettoie chez moi d’abord. Personnellement je fais partie de Survie, je fais partie de Attac, Le babysitting, pourquoi j’ai pointé le doigt là-dessus, notamment parce que lors de la dernière rencontre que nous avons eu avec l’Union européenne, on leur a dit: en 2000, lorsque Wade a gagné parce que le peuple l’avait

leur mémoire, mais il y’ en a eu moins qu’ailleurs. On a fait comprendre aux gens que le nerf de la guerre, ce n’est pas l’argent, c’est l’envie, c’est la détermination. Le Sénégal a donné une leçon au monde entier. En Russie, Poutine est en train de briguer un troisième mandat.

C’est quoi la suite de Y’en a marre ?

On ne peut pas dire trop à l’avance les étapes successives, mais bien des choses sont prévues.

Vous réservez des surprises ? Enormément de surprises.

Avec tout ça, avez-vous encore le temps de poursuivre votre carrière musicale ?

jamais dansé de ma vie, ma mère m’a dit qu’enfant lorsque qu’on n’applaudissait pour que je danse je pleurais. Il y’a des choses qui m’intéressent, l’humanisme d’Omar Pène j’adore. Le sens de rester artiste de Souleymane Faye, j’aime. Le fighting spirit de Coumba Gawlo comme femme qui s’est bougée, j’aime. Le sens du business de Youssou N’dour aussi j’aime. Mais ce n’est pas leurs musiques en tant que telle que j’aime, mais leurs caractères. Sinon j’écoute tout, sauf le mbalax. Je n’ai pas d’artistes en particulier mais des albums qui me plaisent. J’aime bien écouter Ravi Shankar. J’aime les vieux groupes de rock aussi. Les rappeurs je les écoutes tous, mais pour comparer par rapport à moi, qu’a t’il écrit et comment il l’a écrit. J’ai la

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nostalgie du vieux hip hop américain. Les nouveaux trucs j’aime pas. Akon, Kanye West, tous ces gens-là je kiff pas du tout. Ni non plus leur manière de s’habiller, les pantalons serrés, les chemises près du corps, les bling bling, les tatouages. Mon Hip Hop il n’est pas du tout bling bling, il n’est pas du tout entertainement, il plus edutainment.

Aujourd’hui, vous êtes l’un des membres du très restreint comité directeur de Y’en a marre, quel effet ça fait le pouvoir ?

Je suis resté zen. Aucune prétention de changer le monde mais d’y apporter ma contribution. C’est le moment de rester lucide. Un acte négatif détruira tout ce qu’on a pu faire jusque-là. L’homme est comme son ventre, lorsqu’il a faim il oublie le poulet qu’il a englouti hier. On a pas les chevilles enflées, on reste sur terre, nous sommes de simples citoyens, on a joué notre partition. J’ai dit à un politicien un jour, vous pouvez avoir tous les diplômes que vous voulez, il y’en a un que vous n’aurez jamais mais que nous avons nous. Il s’est excité, m’a demandé quel était ce diplôme, l’université où je l’avais obtenu. Je lui ai dit: ces diplômes

ont les obtiens dans une université qui s’appelle la rue. C’est la rue qui te les donne, il est plus puissant que celui que vous avez,

« On a fait comprendre aux gens que le nerf de la guerre, ce n’est pas l’argent, c’est l’envie, c’est la détermination. »

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l’argent, partout où vous passez avec vos 4x4 s’élèvent des jurons. Nous, la rue nous est acquise, on a le diplôme qu’il faut pour, le respect. On a pris ce diplôme et on l’a mis au service du peuple. Alors Oui, Y’en a Marre a ajouté un autre pouvoir sur nos épaules, nous allons agir comme de bons généraux, pas comme des maréchales qui pensent avoir tous les droits. Le général c’est l’homme qui définit des tactiques pour gagner les batailles.


évènements

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Chronique d’une révolte Photographies d’une saison de protestation

la sicap Amitié 2, une exposition photographique revient, à travers le travail de dix-neuf chasseurs d’images, quelques semaines seulement après son dénouement et pour en fixer la mémoire, sur le dernier chapitre de la vie politique sénégalaise, celui du déguerpissement d’Abdoulaye Wade (la formulation, je le signale des fois que, est mienne et j’en assume la relative irrévérence).

Koyo Kouoh Directrice artistique du centre RAW MATERIAL

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Dès avant de pénétrer dans l’enceinte de Raw Material Company, le centre pour l’art, le savoir et la société, qui se trouve à quelques encablures du Thiossane, dans une bâtisse vert kaki, on remarque ses murs extérieurs recouverts, criblés de photographies. Les badauds s’y arrêtent : on a vu des vieux, des jeunes, des talibés, des écoliers qui tous on fait un tour pour observer les clichés offerts à leur curiosité. Certains ont même suspendu leur marche pour y voir de plus prêt et se livrer à quelques commentaires. Il faut dire que ces images interpellent, pour partie parce qu’elles nous sont familières, qu’il s’agisse de celles montrant une foule compacte brandissant des pancartes ou de celles peuplées de personnages devenus célèbres lors de ces onze derniers mois. Ces clichés forment la chronique d’une révolte, d’un sursaut citoyen de même que le matériau autour duquel s’organise l’exposition conçue par Kouyo Kouoh, directrice artistique du centre RAW et son équipe. Sur ces photographies, on peut voir notamment du


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mobilier urbain en flamme ou en lévitation ; l’élégante Diouma Dieng Diakhaté qui s’apprête à discourir ; Moustapha Niass devant l’Assemblée nationale, une pierre à la main et le regard mauvais ; Me Wade et son épouse en campagnes qui, étrangement, tendent leurs regards et leurs mains vers le ciel ; la police, équipée de ses instruments importés avec, face à elle, une foule de sénégalais et de Sénégalaises à hauteur de citoyens. Toutes ces choses et bien d’autres qui, mêlées, ont constitué les tumultueux évènements politiques des onze derniers mois. En même temps que cette victoire de la citoyenneté, l’exposition célèbre les photographes qui « sont toujours au front, pour le courage et l’engagement qu’ils ont dans leur travail. » Le volumineux catalogue de l’exposition est remarquable, il contient, en plus d’innombrables clichés, certains impressionnants et tous ayant une valeur documentaire, une chronologie des évènements et des textes intéressants, dont celui très juste et très beau de Boubacar Boris Diop intitulé : De Sang froid, ou comment se débarrasser du grand-père de la nation. Il s’ouvre sur une analyse de Medun Ba, taximan, « citoyen bien informé : branché en permanence sur Walf et Zik Fm… », Se poursuit en malmenant sévèrement, mais sans injustice, le président déchu et s’achève très sagement en expliquant que si « nous maitrisons désormais au plus haut point l’art de chasser un mauvais président » il nous « reste… à apprendre comment choisir le bon président, celui qui saura emporter notre adhésion raisonnée grâce à ses qualités personnelles et à sa vision de notre destin. » Sidy Mohammed Kandji, l’un des artistes exposés, nous a parlé de ses photographies qu’il a prises dans une ambiance et une disposition d’esprit particulière.

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Sidy Mohamed Kandji Photographe

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« …c’est des manifestations et pour moi l’aspect brut était important. Le but était de rapporter l’ambiance à l’exacte… » Bonjour Sidy, ces photos, tu les as prises pour la presse ou pour ton compte personnel ? Je dirais les deux, il se trouve que je travaille dans une boîte qui édite le journal la tribune, certaines de ces photos y ont paru.

À partir de quand as-tu commencé à couvrir les évènements qui ont mené au 25 mars et finalement au départ du pouvoir d’Abdoulaye Wade ? À partir du jour de la validation de la candidature de Wade, je m’étais rendu ce jour-là à la place de l’Oblélisque.

Était-ce parce que tu prévoyais, comme beaucoup, que ce jour-là surviendraient des troubles du fait de la validation de la candidature du Président sortant ?

C’est vrai que tout le monde attendait, mais pour ma part j’étais optimiste et je me disais que la candidature de Wade ne serait pas validée.

Ces clichés, ils ont été difficiles à obtenir ? Ça dépend, certains, j’ai pu les prendre assez confortablement, il fallait juste trouver une place entre la multitude de reporters qui étaient là, mais pour ça

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on a l’habitude. Pour d’autres par contre, ceux que j’ai pris pendant les émeutes, avec les policiers, les gaz lacrymogènes, les difficultés ne manquaient pas. D’autant plus que j’étais du côté des manifestants, il me fallait toujours prévoir les charges de la police.

Tu avais quelque chose qui te distinguait en tant que photographe, en reportage, durant les manifs ? J’avais juste mon badge et mon appareil.

Sur ces clichés tu as fait un travail de traitement des images en aval ?

Non, c’est des manifestations et pour moi l’aspect brut était important. Le but était de rapporter l’ambiance à l’exacte. Par exemple sur cette photo (il nous montre un cliché sur lequel figure un groupe de jeunes tenant des drapeaux du Sénégal et debout sur une plate-forme) c’est le coucher de soleil et c’était important pour moi de conserver cette couleur crépusculaire, c’est un document, la scène est éloquente en elle-même.

Tu étais physiquement parmi les manifestants. Et ton cœur, était-il de leur côté ? Clairement, c’est une cause à

laquelle j’adhérais. Même si je ne cautionne pas tous les dégâts qu’il y’a eu. Je partageais l’idéologie et le combat.

Comment décrirais-tu cette foule, ceux qui la composaient ?

Ce qui vaut la peine d’être relevé, c’est qu’il y’avait une minorité de provocateurs. Je me souviens d’un jour où les membres de Y’en A marre et du M23, étaient assis sur la place de l’Obélisque, quand un groupe d’usurpateurs sont allés titiller la police. Outre ces gens-là, pour l’essentiel, il y’avait des gens déterminés, mus par ce désir du changement et qui étaient prêts à tout pour l’obtenir. Il y’avait des jeunes, des hommes comme des femmes. Je tiens aussi à dire, parce qu’il y’a eu un discours qui consistait à dire que ceux qui participaient à ces manifestations étaient des oisifs dépourvus d’occupation sérieuse, que lors des rassemblements, venaient des gens professionnellement installés, certains garaient leurs véhicules pour venir se joindre aux manifestations. Des gens du secteur privé, pas particulièrement politisés, sont venus soutenir cette cause parce que c’était une lutte sénégalaise, une lutte patriotique.


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Abdoulaye Ndao Photographe

Métamorphoses, une allégorie en photo de la déforestation. Une première exposition, pour un artiste, c’est souvent l’aboutissement d’une pratique déjà ancienne et le partage de ses fruits avec le public. Pour Layepro qui est un jeune photographe dakarois, cette première fois, nommée Métamorphoses, se déroule à l’hôtel Onomo depuis le 30 février, se poursuivra jusqu’au 30 avril et consiste en une vingtaine de clichés montrant le procès de combustion du charbon de bois. À travers ce procès de combustion, de sa mise en branle à son extinction, qui ne laisse subsister que des résidus de cendres, Layepro figure la déforestation, l’une des problématiques environnementales majeures auxquelles le Sénégal doit faire face. Et peu faire face, étant entendu que ses causes sont locales et fonctions de la consommation, par les ménages, de ce combustible. Les Métamorphoses de Layepro ne se réduisent pas à ce discours écologique, même s’il est important. Il s’agissait aussi, comme il le confie, de révéler la beauté dans les aspects les plus banals du quotidien sénégalais au sein duquel le charbon de bois occupe une grande place. Pris en plan rapproché, les clichés, qui donnent à voir notamment de subtiles variations chromatiques tout au long du processus qu’elles capturent, sont visuellement assez impressionnants.

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Palestiniens et l’autre

les

nouvelles

une sorte d’utopie d’amoureux, évoquent nos réa qui composent ce recueil, excepté deux, l’unefranchement ayant pour scènetragique lités sociales, certaines amusantes, d’autres Palestiniens et l’autre uneLe sorte que l’auteur parvient malgré toutlesàterritoires nous peindre sans pathos. to évoquent nos à priori, ne le so général du livre est plutôt drôle d’utopie même si d’amoureux, les sujets abordés, pas. Dans Cherchez la femme, un policier chargé de la circulation, tenaillé par ses obligatio ciales, certaines amusantes, d’autre familiales est entièrement préoccupé par l’échéance prochaine de la Tabaski et les dépenses qu tragiques que l’auteur parvient malg aura à effectuer pour satisfaire ses deux épouses. Entre ces considérations austères et pressante il trouve le temps de songer à sa réputation de coureur de jupon, dont il se Le flatte, ou encore peindre sans pathos. ton générd « couler un regard furtif vers ce spectacle gratuit » qui se présente à lui dans les circonstances d plutôt drôle même si les sujets abordé l’interpellation d’une automobiliste. Un personnage tellement crédible, que nos valeureuses forc

textes

pas. Dans Cherchez la femme, un policier char de l’ordre ne se sentent pas visées, et dans lequel beaucoup de messieurs, toutes professions tenaillé par ses obligations familiales est entière corporations confondues, pourraient se reconnaître. C’est d’ailleurs l’une des qualités de l’écriva l’échéance prochaine de la Tabaski et les dépens Nafissatou Dia Diouf, peindre des personnages vraisemblables, susceptibles de nous êtres fam tuer pour satisfaire ses deux épouses. Entre ces liers. Dans une autre nouvelle, Mountaga, dès premières lignes, le narrateu tères les et pressantes, il trouve le temps de songe coureur de jupon, dont il se flatte, ou encore de « c exilé à Paris, en rendant compte de son rêve, nous introduit dans so vers ce spectacle gratuit » qui se présente à lui da univers, son intimité : « J’étais parmi les miens, dans la case de l’oncle Ahmadi, devant un bol d de l’interpellation Un person bouillie de mil arrosé de lait caillé. J’étais au côté de ma mère, lad’une sœur automobiliste. de l’oncle Ahmadi, de mo dible, nos valeureuses forces de l’ordre nesisetas frère aîné aujourd’hui disparu et de mes cousins. Uneque discussion animée nous tenait éveillés dans lequel beaucoup de messieurs, toutes profes dans la nuit, l’atmosphère était bon enfant. Ma mère riait de son rire éclatant, tintant comm confondues, pourraient se reconnaître. C’est d’aille des cauris sur une natte ». Le narrateur, l’un desNafissatou nombreux sahélien de l’écrivain Dia immigrés Diouf, peindre des p blables, susceptibles de nous êtres familiers. Dane à « Paris-la-France », est plongeur dans une brasserie, il travaille beaucoup Toutes certainement il la dès totalité son existence so Mountaga, lesde premières ligne les nouvelles ce quilabeur quotidien constitue composent recueil, deux, ciale. Rentrécedans saexcepté « boîte d’allumettes », journée de récu exilé àaprès Paris,une en longue rendant compte de l’une ayant pour scène les territoires Palestiniens et rage de couverts, plongé dans les bras de Morphée, sa conscience en quête introduit dans son univers, son intimité : « J’éd l’autre une sortele d’utopie d’amoureux, évoquent repos et de confort porte chez lui,dans dans sonde village, avec les siens, loinded la case l’oncle Ahmadi, devant un bol nos réalités sociales,qu’il certaines d’autres franchel’existence impersonnelle mène à amusantes, Paris. Ici, la condition du narrateur est tout sa heureuse, nouvelle n’en est pas pathétique pour autant, elle est même très drôle grâce au pe mentlatragiques que l’auteur parvient malgré tout à nous peindre sonnage de Mountaga justement. La structure narrative du récit, dont le prologue, précédemme sanssitue pathos. Le ton général livre est est plutôt drôle même évoqué, l’action dans la tendresse d’undu cocon familiale, redoutablement efficace.siUn suj estles le litsujets de plusieurs celui de lapas. condition féminine.laDans la nouvelle éponyme, abordés,nouvelles, à priori, ne le sont Dans Cherchez femme, un policier chargé Cirqu de de Missira, qui ouvre le recueil, il est question d’une petite fille, de sa mère et de sa la circulation, tenaillé par ses obligations familiales est entièrement préoccupégrand-mè par paternelle, Mame Soukey. Les deux femmes ont à cœur de transmettre à la petite fille un héritag l’échéance prochaine de la Tabaski et les dépenses qu’il aura à effectuer pour satisfaire sesladeux épouses. cesde considérations austères et pressantes, il trouve le tempse, deà tra Pour mère, il s’agitEntre surtout lui inculquer les arts ménagers. Quant à la grand-mèr songer à sa réputation de coureur de jupon, dont il se flatte, ou encore de « couler un vers des excursions bucoliques, elle l’initie aux mystères de l’Univers, d regard furtif vers ce spectacle gratuit » qui se présente à lui dans les circonstances de l’inmême qu’elle luiautomobiliste. apprend des chansons, lui communique des aphorisme terpellation d’une Un personnage tellement crédible, que nos valeureuses de l’ordre se transmet sentent pas visées, et dans lequel de messieurs, toutesla pe enforces somme, ellenelui une culture. Dès beaucoup qu’elle en a l’occasion, professions et corporations confondues, pourraient se reconnaître. C’est d’ailleurs l’une tite fille se précipite chez Mame Soukey, quitte à expédier les tâches mé des qualités de l’écrivain Nafissatou Dia Diouf, peindre des personnages vraisemblables,

nagères que lui confie sa mère. L’éducation que lui dispense cette dernièr susceptibles de nous êtres familiers. Dans une autre nouvelle, Mountaga, dès les elle ne l’accueille que sous la contrainte. C’est que l’héritage qu’elle reço premières lignes, le narrateur, exilé à Paris, en rendant compte de Mame Soukey profite immédiatement à sa personne, lui est destinée de57en son rêve,- qu’individu, nous 1 RECIDIVE Avril 2012 introduit dans son univers, son intimité : « J’étais parmi les elle, temps et non au confort de son futur mari. D’ailleur miens, dans la case de l’oncle Ahmadi, devant un bol de bouillie de mil arrosé de lait caillé. ère


Nafissatou Dia Diouf Présence Africaine, 2010

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Cirque de Missira « Quelques réalités bien de chez nous »

outes les nouvelles qui composent ce recueil, excepté deux, l’une ayant pour scène les territoires Palestiniens et l’autre une sorte d’utopie d’amoureux, évoquent nos réalités sociales, certaines amusantes, d’autres franchement tragiques que l’auteur parvient malgré tout à nous peindre sans pathos. Le ton général du livre est plutôt drôle même si les sujets abordés, à priori, ne le sont pas. Dans Cherchez la femme, un policier chargé de la circulation, tenaillé par ses obligations familiales est entièrement préoccupé par l’échéance prochaine de la Tabaski et les dépenses qu’il aura à effectuer en cette occasion pour satisfaire ses deux épouses. Entre ces

considérations austères et pressantes, il trouve le temps de songer à sa réputation de coureur de jupon, dont il se flatte, ou encore de « couler un regard furtif vers ce spectacle gratuit » qui se présente à lui dans les circonstances de l’interpellation d’une automobiliste. Un personnage tellement crédible, que nos valeureuses forces de l’ordre ne se sentent pas visées, et dans lequel beaucoup de messieurs, toutes professions et corporations confondues, pourraient se reconnaître. Nafissatou Dia Diouf a créé des personnages vraisemblables, susceptibles de nous êtres familiers. Dans une autre nouvelle, Mountaga, dès les premières lignes, le narrateur, exilé à Paris, en rendant compte de son rêve, nous introduit

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dans son univers, son intimité : « J’étais parmi les miens, dans la case de l’oncle Ahmadi, devant un bol de bouillie de mil arrosé de lait caillé. J’étais au côté de ma mère, la sœur de l’oncle Ahmadi, de mon frère aîné aujourd’hui disparu et de mes cousins. Une discussion animée nous tenait éveillés si tard dans la nuit, l’atmosphère était bon enfant. Ma mère riait de son rire éclatant, tintant comme des cauris sur une natte ». Le narrateur, l’un des nombreux immigrés sahéliens à « Paris-la-France », est plongeur dans une brasserie, il travaille beaucoup et certainement ce labeur quotidien constitue il la totalité de son existence sociale. Rentré dans sa « boîte d’allumettes », après une longue journée de récurage de couverts, plongé dans les bras de Morphée, sa conscience en quête de repos et de confort le porte chez lui, dans son village, avec les siens, loin de l’existence impersonnelle qu’il mène à Paris. Ici, la condition du narrateur est tout sauf heureuse, la nouvelle n’en est pas pathétique pour autant, elle est même très drôle grâce au personnage de Mountaga justement. La structure narrative du récit, dont le prologue, précédemment évoqué, situe l’action dans la tendresse d’un cocon familiale, est redoutablement efficace. Un sujet est le lit de plusieurs nouvelles, celui de la condition féminine. Dans la nouvelle éponyme, Cirque de Missira, qui ouvre le recueil, il est question d’une petite fille, de sa mère et de sa grand-mère paternelle, Mame Soukey. Les deux femmes ont à cœur de transmettre à la petite fille un héritage. Pour la mère, il s’agit surtout de lui inculquer les arts ménagers. Quant à la grand-mère, à travers des excursions bucoliques, elle l’initie aux mystères de l’Univers, de même qu’elle lui apprend des chansons, lui communique des aphorismes, en somme, elle lui transmet une culture. Dès qu’elle en a l’occasion, la petite fille se précipite chez Mame Soukey, quitte à expédier les tâches ménagères que lui confie sa mère. L’éducation que lui dispense cette dernière elle ne l’accueille que sous la contrainte. C’est que l’héritage qu’elle reçoit de Mame

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Soukey profite immédiatement à sa personne, lui est destinée à elle, en temps qu’individu, et non au confort de son futur mari. D’ailleurs, devenu jeune femme, pour réussir en tant qu’artiste, elle ira puiser dans le legs de sa grand-mère. Dans pour le meilleur… et le pire, une femme mariée, battue par son époux, se réfugie chez sa voisine diplomate et lui tient le discours que voici : « Je sais qu’ici je suis légalement hors d’atteinte, de grâce donnez moi l’asile politique, c’est une question de vie et de mort. » Est-ce à dire qu’au Sénégal, dans le cadre de ses rapports sociaux, les femmes battues par leur mari, en général, n’ont aucun recours ? Comme toutes les sociétés contemporaines, celle sénégalaise est stratifiée, d’aucuns y occupent une situation précaire, d’autres y sont confortablement et durablement installés. On retrouve, dans Sables mouvants, l’une des nouvelles du recueil, cette stratification ainsi que la précarité de l’emploi salarié. Un père de famille, amère parce qu’ayant perdu son statut de fonctionnaire, évoque: « ceux de la haute », « les pansus » ou encore « ces guignols bien pensants aux boubous impeccables et aux ventres vides » qui « gravissaient dès l’aube les marches bancales des véhicules de transports en commun rebaptisés “inchAllah” pour se rendre en ville travailler servilement jusqu’au soleil couchant… » Ces derniers dont il faisait parti.Jusqu’ à ce que le ministère, dont il arpentait « les couloirs sales », fût sommé, par le FMI, de dégraisser et qu’« un stylo hasardeux s’était arrêté sur son nom… » Il y-a en tout 16 nouvelles dans ce recueil, 16 récits, une multitude de personnages et autant de tranches de vie, nous n’en avons retenues que quelques-unes pour donner envie aux lecteurs de les découvrir lui-même et plus amplement. La forme littéraire de la nouvelle à l’avantage de pouvoir être goutée en un temps réduit, elle peut donc introduire ceux que rebutent les pavés aux plaisirs de la lecture.


Editions du Seuil, 2008

Thierno Monenembo

L

Le Roi de Kahel

e Roi de Kahel c’est l’histoire vraie d’un français qui, à la fin du XIXe siècle, entreprit de devenir roi du Fouta Djalon. Olivier de Sanderval était ce personnage hors norme pour qui « à huit ans déjà, c’était clair, » qu’« il ne se contenterait plus de devenir explorateur », mais « le souverain des sauvages. » L’Afrique, il en avait rêvé toute sa vie, le long d’une existence très tôt remplie et durant laquelle il avait été l’inventeur de la roue à moyeux suspendus et avait, entre autres faits d’armes, ouvert la première usine de vélocipède. Mais ce qui devait

être l’œuvre de sa vie, son couronnement, c’était la conquête du Fouta Djalon, première étape d’une nouvelle aventure pour la raison humaine dont il serait lui le déclencheur. Du Fouta Djalon, il voulait faire une nouvelle Athènes d’où la Civilisation, la grande affaire de l’époque, allait se répandre au reste du continent avec une nouvelle vigueur puisée dans la jeune Afrique. Outre la conquête du Fouta Djalon, il entendait aussi léguer à l’Humanité l’Absolu, son maître ouvrage, qui devait traiter, comme son nom l’indique, de l’Absolu. C’est donc l’histoire d’un type légèrement atteint, un illustre mégalomane, qui cependant mène

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avec sérieux ses délirantes entreprises. Il faut dire qu’il était riche et héritier d’une grande famille d’industriels Lyonais, Monenembo nous le décrit arrivant à Gorée une première fois pour y trouver des employés, une demeure, un navire qui tous n’attendaient que lui pour se plier à ses volontés. Ayant embarqué sur son navire, il commence par voguer sur ses côtes parce que « L’Afrique, il avait envie de la longer lentement d’abord, à la manière dont on tâte la croupe d’une femme avant de la pénétrer. » À sa sortie, on a présenté l’ouvrage de Monenembo comme une biographie romancée, mais on peut tout aussi bien y voir une appropriation par l’auteur du genre du récit de voyage qui a été très populaire en Europe tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Ces textes avaient pour point commun de rendre compte — avec force détails exotiques, voir fantastiques lorsque comme souvent leurs auteurs se permettaient de fabuler — de voyages en des terres lointaines et largement inconnues. L’homme blanc, cela va sans dire, y est héroïque, séduit toutes les femmes et terrasse par la ruse et la vigueur les sauvages qui ne sont bons qu’à grimacer et à être ridicules. L’auteur du roi de Kahel, qui est issue de la région du Fouta Djalon, reprend toutes ces ficelles du récit de voyage et aborde par ce biais l’Histoire coloniale avec le sourire et la dérision. Point de commentaires, les pensées outrancières de Sandervale suffisent à rendre compte des idées et dispositions d’esprits qui avaient cours dans l’esprit de ces colons de la première heure. Outre la société du Fouta Djalon et sa noblesse, le roman nous donne à voir les ministères parisiens où Faidherbe et sa moustache à la mode indienne font une apparition. Plus encore que les colons, ce sont les Peuls qui

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en prennent pour leur grade. À leur propos, voici ce que dit le roi de Boubak, rencontré par Sanderval alors qu’il s’enfonçait dans les terres en direction du Fouta Djalon : « Tu connais le Peul, toi ? Hein, tu ne connais pas ?… Alors, prends l’énigme, couds-la dans la peau du chat, donne-la au boa puis donne le boa au crocodile. Maintenant, enfouis le crocodile sous la cendre par une nuit de brouillard, tu as obtenu le Peul !…». Et voici ce que note de Sanderval une fois qu’il a rencontré les fameux Peuls : « Elle était assise de biais dans un coin de la case. Chez les Peuls, on s’assoit toujours de biais, mange de biais, parle de biais, s’allie de biais, se fait la guerre de biais et se réconcilie de biais. Se montrer franc est un manque de finesse, se regarder face à face un impardonnable signe de grossièreté. Chez les gens de la côte, la franchise passait pour la meilleure qualité de l’homme, au Fouta, la duplicité, pour un signe de noblesse et de raffinement. » Cette manière de présenter les Peuls est remarquable par qu’il faut dire qu’en littérature, les Peuls qui sont légions, évoquent volontiers, cela m’a toujours semblé ridicule, leur ethnie en la parant d’une multitude de vertus. Dernier exemple en date, La géométrie des variables de Mamadou Mahmoud Ndongo avec le personnage de Daour Tembely qui hérite de son ascendance noblesse des traits et du caractère. Chez Monenembo, point d’autosatisfaction tribale, ici, l’on se moque de tous et charité bien ordonnée commence par soit même. Le résultat est délicieux et ce livre qui a nécessité un énorme travail de recherche documentaire, ce qui le rend très instructif, est en même temps traversé par un souffle mêlant à la fois l’épique et le comique. Monenembo a obtenu le Renaudot pour ce bijou dont on se demande non pas si, mais quand es-ce qu’il sera adapté au cinéma.


Chan Koonchung

Grasset, 2012

L

Les années fastes chronique d’une chine dopée à la consommation

a Chine, c’est cette immense contrée que l’on connaît sans la connaître. Qui, contrairement à d’autres lieux d’au-delà les mers, les USA par exemple, nous envoi peu d’images d’elle-même. À peine quelques films de Kung Fu, venus pour la plupart de Hong Kong : c’était avant et ce n’était pas tout à fait la Chine. C’est ainsi qu’elle demeure, pour nous autres sino-profanes, une contrée dont l’évocation fait surgir des images d’acrobates, d’obséquieux serviteurs, de combattants intrépides, de vieux sages à moustaches qui parlent en paraboles et de princesses ingénues dans de

magnifiques kimonos. Pourtant, ces dernières années, de nombreux Chinois, du cap au Caire, vivent — travaillent surtout — parmi nous. Cela a donné lieu à quelques commentaires apeurés, quelques contestations commerciales, mais il n’a pas, du moins selon nos informations, été rapporté de combats sanglants entre ninjas et moines bouddhistes, ni du côté de la Médina ni de celui de Yarakh. La traduction en anglais et en français d’un roman chinois, qui se veut une peinture de la société beijingoise, plus précisément de ce qu’elle deviendra sous peu, nous a donc beaucoup intéressées. Depuis quelques années, la Chine est citée en exemple et, dans de nombreux

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discours, elle apparaît comme un modèle de développement tout aussi envisageable que celui européen ou américain. Dans Les années fastes, Chan Koonchung imagine un futur proche durant lequel la Chine est « officiellement » entrée dans un âge d’or, après avoir traversée, indemne, la crise mondiale de 2009 pour en ressortir plus prospère encore, cependant que l’occident s’est lui enfoncé dans la dépression. Sous le jugement de l’Histoire donc un modèle s’est apprécié, celui chinois, tandis qu’un autre c’est déprécié, l’occidental. Ce roman d’anticipation a été publié pour la première fois et en chinois à Hong Kong en 2009 et situe son action en 2013. Dans ses grandes lignes, notamment dans ses prévisions économiques, le futur imaginé il y’a peu par Chan Koonchung est très proche de la réalité présente. Fait original, les années fastes ont pour contexte général une conjoncture macro-économique, d’où découle le récit, et c’est là significatif de l’obsession contemporaine pour l’économique. Le récit est découpé en trois grandes parties, la première nous introduit dans l’ambiance satisfaite et jubilatoire de cette Chine devenue le meilleur des mondes, redevenue l’empire du Milieu. Le personnage principal, un écrivain, parcourt Beijing, ses centres commerciaux, ses galeries d’art, ses Starbucks devenus une enseigne chinoise et se félicite d’habiter la Chine. Certaines de ses déclamations auto satisfaites sont franchement comiques. Puis, au gré de ses rencontres, nous sont présentés d’autres personnages, de vieilles connaissances, parmi lesquels, certains esprits en dissidence, qui se refusent à prendre part à la célébration commune du présent. Un grand homme d’affaires invite régulièrement l’écrivain avec qui, devant un film de propagande des années Mao, il partage la dégustation d’un grand cru français. Ils sont rejoints par un cacique du régime qui, le film achevé, se livre à des analyses sur ce passé et le confronte à la politique chinoise qu’il contribue à définir. C’est ainsi qu’on revisite l’Histoire

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de la Chine des cinquante dernières années. Un personnage, 24 ans, étudiant en droit, représente son futur. Il a réglé sa vie sur un plan décennal qu’il met rigoureusement en œuvre et qui doit le mener, à 27 ans tout au plus, comme Mao, parmi les quelques personnages les plus puissants de Chine. Il appartient à un think tank, le SS study group, en référence à deux Allemands, Carl Schmidt, Léo Strauss et cultive tout comme il pratique le cynisme machiavélien qu’inspirent ces deux penseurs. Il a d’ailleurs suggéré aux autorités d’interner sa mère, qui a le mauvais goût de ne pas être transie de bonheur alors que la Chine est officiellement entrée dans « l’âge de l’ascendance dorée ». Le récit est captivant, fait penser à un vieux James Bond, mais surtout il pose un certain nombre de questions fondamentales dont celle-ci: la garantie du confort dans la servitude est-elle préférable à la liberté et ses périls ? Dans les années fastes, le peuple chinois, dans son écrasante majorité, choisit le confort et la servitude. Après des décennies de disette et de souffrances multiformes, face à un pouvoir pourvu des moyens de sa politique répressive, qui n’en ferait pas de même ? L’ensemble des grandes rédactions occidentales a consacré au roman de Chan Koonchung des pages plutôt élogieuses. Que tel ouvrage soit traduit, que l’on en parle partout et en des termes élogieux peut très bien ne pas être innocent et s’inscrire dans l’air du temps sinophobe. Si Chan Koonchung n’était pas critique, mais admirateur du modèle chinois, ses talents littéraires seraient-ils célébrés ? Ces questions soulevées, une fiction sur la Chine contemporaine, écrite par un chinois et traduite dans une langue que nous pouvons déchiffrer, ça n’arrive pas souvent et le fait est que Les années fastes est un bon livre, un très bon livre même. Enfin, notons que les années fastes est censuré en Chine ce qui, contrairement à son taux de croissance, ne plaide pas pour son modèle.


Granta 118 : Exit stratgies, 2012

Chinelo Okparanta

L

Runs Girls ‘action de Runs girls se situe à Port Harcourt, dans le Sud pétrolifère du Nigéria dont elle est la capitale. Ada, une étudiante sans le sou, vit seule avec sa mère depuis que son père est décédé. Elle est prise par ses études, sa mère l’est par son commerce au marché grâce auquel elle parvient, tant bien que

mal, à maintenir à flot le ménage monoparental. Un soir, ce quotidien est rompu, la mère tombe malade et l’absence de ressources se fait durement sentir. De là, la plume de Chinelu Okparanta nous emmène, à travers le regard d’Ada, sur le campus, au CHU local et dans les beaux quartiers de Port Hartcourt. Nous sont révélés de petites frappes qui sévissent sur internet, des cadres de l’indus-

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trie pétrolière et des runs girls. Une runs girls, ça n’est ni tout à fait une call-girl ni non plus une prostituée, c’est plus répandu, ça cause plus, c’est plus exigeant, en termes de déférence, mais sa tape toujours au portefeuille. Selon le pays on les nomme différemment, au Sénégal on parle de mbaraneuse. Un tube immense, venu lui aussi du Nigeria, celui de l’artiste Flavour, Nwa Baby, qui fait danser tout le continent, aborde le même phénomène. Cette figure de la runs girls, de l’Ashawho ou de la mbaraneuse selon ses diverses dénominations, se fait de plus en plus présente dans la création africaine et l’on devrait, tant le phénomène est diffus, la rencontrer de nouveau. Mais Runs girls c’est beaucoup plus que l’histoire d’une vie dissolue, c’est l’histoire d’une vie tout court. Et la littérature n’est jamais plus grande que lorsqu’elle nous rend plus sage sur la vie en général, en nous révélant des existences possibles pour notre espèce, des existences autres que celle que l’on mène soi-même, et c’est ce que réussit Chinelu Okparanta dans sa nouvelle. Aucune digression d’aucune sorte ne vient alourdir le récit, il se déroule, de la scène initiale, dans un salon, au prologue, dans une nouvelle Eden, avec une nouvelle Ève et une méditation sur la condition féminine. Lire runs girls c’est comprendre ce que c’est que pour certaines de subsister « dans un monde où il est difficile pour une femme de le faire honnêtement.» L’écriture se fait dépouil-

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lées, précise, les descriptions sont sommaires, mais n’en sont pas pour autant dépourvus d’intérêts, elles laissent souvent transparaître de l’ironie et plantent décors et personnages autour desquels s’articule une multitude de drames : celui personnel d’une jeune fille pauvre, tout à fait vertueuse, orpheline de père et qui, pour sauver ce qui lui reste de famille, cède plutôt à la nécessité qu’à la tentation ; ceux collectifs avec lesquels composent les populations d’une cité subsaharienne, les coupures d’électricité, l’impossible accès du plus grand nombre à la médecine et le plus grand peut être de tous, l’ostentation des happy few. Runs girls est paru il y’a quelques mois dans le numéro 118 de la revue Granta, Chinelu Okparanta y est présenté comme jeune auteure et y publie une autre nouvelle America. Nous avons été deux à aimer Runs girls au sein de RÉCIDIVE et l’agréable surprise que représente la découverte de cette nouvelle nous incitera à porter un regard attentif, dans nos éditions à venir, sur la littérature africaine de langue anglaise. La nouvelle, il nous semble, peut être une forme littéraire susceptible de conquérir un public qui ne lit pas forcément et nous nous attacherons à vous en présenter d’autres. En attendant, nous vous garantissons, si vous lisez l’anglais, qu’un très beau texte vous attend à l’adresse suivante:

http://www.granta.com/New-Writing/New-Voice-Runs-Girl


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cinéma

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M. Abdoul Aziz Boye

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Pour que

vive le cinéma e Cinéma sénégalais, pionnier en Afrique, est aujourd’hui moribond. Il apparaît comme un aride panorama composé de salles autrefois vivantes, aujourd’hui abandonnées, de rares productions, toutes très peu commentées et à peine remarquées par le public. Quelques salles de projection subsistent en centre-ville et pratiquent des tarifs dissuasifs pour le plus grand nombre. Du point de vue des téléfilms, ce qui nous est offert — excepté la série goorgoorlou et dans une certaine mesure Mayacine ak Dial- relève, au mieux et sans méchanceté, du parfait navet. Cet été, un truc très mal joué — par de charmantes personnes, je le concède —, filmé sans élégance aucune et dont le scénario aurait pu être écrit par n’importe quelle lectrice d’arlequin, a conquis son public. Nous autres qui attendons plus de la fiction sénégalaise qu’une déclinaison sahélienne des feux de l’amour restons sur notre faim. On songe à Ousmane Sembène et au pourquoi de son investissement en tant que cinéaste. Il avait cru dans le cinéma, contrairement à la littérature, comme vecteur susceptible d’atteindre toutes les portions du peuple. Force est de constater qu’en 2012, le cinéma n’est pas, au Sénégal, un art populaire. Les raisons en son multiple. Il y-a quelques années, on a fait grand cas de la fermeture du cinéma le Paris et bien moins de la disparition de la SIDEC, la société publique créée en 1974, qui importait et exploitait des films sur le territoire national. La SIDEC s’était aussi 78 salles dans le pays jusqu’à ce que, sous le coup des politiques d’ajustement structurel, encore elles, l’État ne soit contraint de privatiser ce patrimoine qui bien vite sera

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dilapidé. La distribution en a été lourdement affectée. Quelques cinéastes sénégalais reconnus continuent à tourner, Moussa Sène Absa, Moussa Touré et Mansour Sora Wade. Mais on a plus de chance de voir leurs films à Chicago, Paris ou Londre qu’à Dakar. Malgré l’absence de salles de projection, de lieux de rencontre entre la création cinématographique et le public sénégalais, notre cinéma continue d’être présenté dans le monde entier, à d’autres publics. Niché dans un coin de ce morne panorama, entre les unités 25 et 26 des Parcelles Assainies, une lueur d’espoir est apparue, le réalisateur Abdoul Aziz Boye et la vingtaine de jeunes qu’il a pris sous son aile avec pour objectif de faire revivre le cinéma. La tendance habituelle est de voir chez les hommes, à mesure qu’ils vieillissent, l’idéalisme décroitre, le pragmatisme, voir le cynisme lui succéder. M Boye a beau être d’un âge respectable, c’est un idéaliste qui conserve la passion qui a guidé sa vie depuis son enfance. Au début des années 2000, quelques années après être rentré à Dakar, il commence à dispenser des cours de réalisation à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar puis à sup info. Puis sa fibre sociale le mène dans la banlieue de Dakar, à la rencontre d’une jeunesse qui mérite tout autant d’être formé que celle qui a accès aux coûteux établissements du centre-ville. Dans un premier temps, le maître et ses élèves sont accueillis par le centre culturel Léopold Sédar Senghor, pas très bien apparemment. En 2010, il trouve un local aux Parcelles Assainies et y installe son école de cinéma. Depuis, des jeunes passionnés venus à lui ont appris, écrit des scénarios et tourné des films. Comme quoi, l’on peut très bien, sur la base d’un idéal, fonder un édifice tangible.


témoignages d’auditeurs

Entrevue

Khadja

J

’ai toujours aimé les films, la caméra, la photo, les images. Quand j’ai entendu parler de la formation, je n’ai pas hésité une seconde. C’est quelque chose que j’adore. Au niveau de mes proches, au début j’avais des problèmes parce qu’ils disaient que « da ngey takhawalou rek » (ce sont des enfantillages). Quand tu prends la décision de faire une chose et que tu n’as pas quelqu’un qui te soutiens, tu le vis difficilement. Mais bon, il faut s’imposer quand on veut quelque chose. Maintenant, ils ont compris. Ils voient que rien ni personne ne peut me faire changer d’avis. J’ai toujours été une personne solitaire. Quand je suis seule, je regarde un film. Sinon c’est ma caméra. C’est ma caméra qui me permet de réfléchir. À chaque fois que j’entends un problème, j’imagine un film, à chaque fois que quelqu’un me parle d’un problème, tout de suite je vois un film. C’est comme ça que je fonctionne. J’ai écrit mon premier scénario sur le professeur Boye. Une raison de vivre, j’y raconte sa passion pour le cinéma, la façon dont il se comporte avec les jeunes. Il a une relation particulière avec tout un chacun. Il arrive à comprendre tout le monde, à discuter, il arrive à régler nos problèmes. À un moment donné il a abandonné tout ce qu’il avait à faire pour se consacrer à la formation. Il dit que le cinéma doit revivre, ce n’est pas lui mais il dit que c’est les jeunes qui doivent s’en charger. Je n’arrive pas à comprendre parfois, il a des charges, et l’école ne lui rapporte rien. Seulement, il se sent bien parce qu’il partage son savoir, lui, ce n’est pas l’argent qui l’intéresse.

Son film j’habitais la banlieue, je l’habite toujours d’ailleurs parce que j’habite à Parcelles, à l’époque j’habitais Guédiawaye, ensuite Pikine. À chaque fois qu’il y’a un combat de lutte, tu vois qu’il y’a une violence terrible. Dans la rue tu rencontres des jeunes qui se battent, ils ne pensent qu’à se battre. À chaque fois qu’il y’a manifestation politique, c’est la même chose. À chaque fois qu’il y’a les nawetanes, c’est la même chose, donc tu vis avec la violence. Je m’interroge sur les causes de cette violence et je montre carrément cette violence. J’ai fini la rédaction du scénario depuis deux mois. Mais pour le tournage je prends mon temps. Je veux faire un très bon film. Je ne fais pas dans le bricolage. Un scénario on prend le temps de l’écrire. J’ai l’esprit critique, les gens disent que je suis sévère. Il me faut le minimum: le cadrage, la lumière, de bons acteurs. J’adore la caméra. Le Cinéma je l’ai aimé avant de l’apprendre.

M Abdoul Aziz Boye nous a reçus pour cet entretien un lundi après-midi, à quelques pas de l’IFAN, dans son grand bureau du campus universitaire. Nous nous étions vus quelques jours auparavant, dans son école des Parcelles. Il nous avait alors fait visiter le lieu, les salles Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty, où s’organisent des cours de soutiens au bénéfice des enfants du quartier, la terrasse, sur laquelle il prévoit d’aménager un espace de projection. Dans la cour d’entrée, un groupe d’étudiants travaillaient à leur projet cinématographique collectif, première étape de leur formation. M Boye s’est réservé, dans une petite salle au fond, un bureau dont la porte est toujours ouverte. Ce samedi-là, Azal communication était très animé, venaient d’arrivés les membres d’une équipe de tournage franco-sénégalaise qui filmaient un documentaire sur les rappeurs activistes. M Boye va d’un groupe à l’autre, intervient dans les discussions, prête l’oreille à ce qui se dit dans le groupe de travail, s’assure qu’une tasse de café nous est servie, explique et communique sa culture cinématographique, car la technique ne fait pas tout. On ne saurait trouver d’espace culturel plus vivant, plus jeune et plus ouvert. Après avoir vu l’activité qui s’y déploie, pris langue avec les premières promotions, ressenti la détermination et la passion que dégage cette communauté, l’on songe que si demain le Cinéma sénégalais s’épanouit de nouveau, elle y sera pour quelque chose. En décembre, M Boye et ses étudiants organiseront le premier festival ciné Banlieux, durant lequel ils inviteront le public à venir voir les films qu’ils ont écrits et réalisés. L’entrevue qui suit est celle d’un missionnaire de la culture, M Abdel Aziz Boye, qui a décidé, après une longue expérience à l’étranger, de revenir au pays natal et d’y planter, dans l’esprit des jeunes générations, l’amour et le savoir du Cinéma.

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« Alors, pour moi, dans ma philosophie, il ne s’agit pas d’écarter une personne du savoir parce qu’il n’a pas les moyens » Bonjour M Boye, j’aimerais que vous évoquiez pour nos lecteurs votre itinéraire. Je dis souvent à mes étudiants que j’ai commencé dans le cinéma à sept ans. J’ai eu la chance de naitre dans une ville culturelle, artistique, avec un passé extrêmement prestigieux, St Louis du Sénégal.

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Il y’avait des salles de cinéma partout, il y’avait surtout la mission catholique au niveau de St Louis du Sénégal, dans le cadre de son patronage qui, à l’époque déjà, faisait des projections de films, des films de charlot. À six ans, sept ans, tous ces st louisiens de ma génération étaient férus de cinéma

déjà… on allait au cinéma. Il y’avait trois cinémas à St Louis du Sénégal, plus le ciné-club de la mission catholique. Je me rappelle que j’organisais aussi des séances de projection, je faisais ce que l’on appelle les ombres chinoises. C’est un grand carton qu’on découpe, comme un écran et on place


un tissu blanc, très léger, qu’on appel le gaz, et derrière le carton on allumait une chandelle et puis devant la flamme on faisait bouger les images qu’on avait préalablement découpées : Ça faisait du mouvement. Et les gens venaient chez moi, après la prière de Timis, c’était le rendez-vous chez M Boye. Alors je confectionnais des billets, parce que j’étais à la porte, il fallait que les gens paient, quelques centimes de francs,

blement inspiré. Je n’avais pas commencé à faire mes études cinématographiques j’étai très jeune, mais déjà le synopsis de ce qui allait devenir mon premier scénario qui s’appelle l’abbé bi le curé de Bamako, déjà à cette époque le premier jalon était posé sans que je n’en sois très conscient. Alors, arrivé en 72, 73…

Excusez-moi de vous couper, mais c’est tout de même curieux cette his-

la première mouture c’était ça. Alors, arrivé en 1972, le cinéma était devenu une réelle passion. Il fallait donc trouver un lieu ou aller apprendre le cinéma, c’était devenu dès lors mon objectif. C’était clair. Entre temps, je travaillais toujours avec la mission catholique, un grand centre de documentation cinématographique, appartenant à l’église, existe à St Louis depuis cette période. On

« Je suis très optimiste de nature quant à l’avenir, je suis dans de bonnes dispositions mentales, je crois à l’affaire. Tout n’est pas fini. Moi ce que je dis c’est formons les jeunes. Donnons leur une formation solide et sa va venir. » je récupérais ça, je faisais tout, j’étais le projectionniste aussi. Voilà. C’était les années 60. À peine les indépendances. L’ambiance était culturelle. Très tôt j’avais cette propension à la création et, très tôt, dans les années 70, un évènement s’est produit à St Louis du Sénégal qui m’avait terriblement marqué. J’avais écrit, sans le savoir, un synopsis pour résumer le fait divers dont je te parle. C’était un vendredi, un homme descend à St Louis du Sénégal, déguisé en curé, va à la mosquée et dit qu’il veut se convertir à l’islam. Voilà, donc l’un de mes tout premiers scénarios, j’avais 16 ans. J’ai résumé, c’était un fait réel. Cet évènement m’a terri-

toire d’abbé, comment ça s’est finie et pourquoi ça vous avez tant marqué ?

Inconsciemment les deux communautés étaient face à face devant un évènement, j’y ai introduit une histoire d’amour. Une fille se trouve être la fille de l’imam, elle tombe amoureuse d’un jeune chrétien, appartenant à l’aristocratie st-louisienne, leur amour est en filigrane à côté de l’histoire de ce curé. Mais il finit que le gar était un escroc. Les jeunes finissent eux aussi par quitter la ville parce que leur amour dans ces circonstances était impossible. Mes étudiants, je leur dis que ce scénario-là peut être leur père, il est situé dans les années 70 en réalité,

y avait collectionné plus de mille films, avec des revues sur le cinéma. J’étais avec un père qui était aussi fou de cinéma que moi. Alors, toute notre vie, c’était regarder des films, consulter des revues sur le cinéma. Il fallait absolument partir, partir, c’était ça et pas autre chose. Partir pas pour chercher du fric, partir pas pour autre chose comme les gosses font en ce moment, non ! C’était partir pour acquérir une connaissance. Notre génération c’était ça. C’est la connaissance qui était privilégiée. Je suis parti, et je dis à mes étudiants, moi je suis un aventurier. Je suis parti très jeune de chez moi,

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de St-Louis du Sénégal, je ne savais même pas où j’allais. Je me disais, dans la tête, je vais à Paris apprendre le cinéma. Voilà, je suis parti. Bien sûr chez moi, c’était « il est devenu fou », « c’est le cinéma qui lui est monté à la tête », mais ce que je savais ils ne pouvaient pas le comprendre dans ma famille. C’est la famille Boye de St Louis où les gens ont beaucoup étudiés, ils sont des juristes, ils sont des commissaires de police, ils sont des professeurs, c’est de la famille de Mame Madior Boye, ex premier ministre du Sénégal. Mais

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moi, ce qui m’habitait, c’était l’art. Alors je suis allé à l’aventure, une longue aventure, pour arriver à Paris. J’ai voyagé par air, par terre, par mer, j’ai bourlingué. Pour arriver à un objectif : Paris et le Cinéma. C’était ça. Des péripéties, la Mauritanie, le Sahara occidental, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne, Le Portugal, une aventure extraordinaire.

Des démarches administratives avant ?

Non non, quelles démarches administratives ? Je suis parti. Bien sûr j’avais ma carte d’identité

l y’a 9 mois, M Boye qui est mon prof de réalisation à sup info où j’étudie l’infographie m’a parlé de cette école et il se trouve que j’habite dans les parages. Avant, je n’étais pas assez bien orienté pour savoir que je devais faire du cinéma,je m’informais à travers le Net, les bouquins, mais j’ai compris que j’avais besoin de la présence physique d’un professeur. Je me suis dit que tout seul autodidacte, je ne pouvais pas m’en sortir. Je travaillais déjà avec la 3d, je faisais des courts métrages et je savais que je ne pouvais avancer sans des connaissances en réalisation. C’est compliqué quand on est autodidacte, on peut savoir sans savoir que l’on sait. Je dirais aux jeunes qui sont intéressés par le cinéma de s’y mettre et de venir voir M Abdel Aziz Boye, c’est important l’encadrement.

Son film À la gloire de ma mère, c’est l’histoire d’un jeune garçon qui a très tôt perdu son père et qui doit s’occuper de sa mère. Il organise donc des combats de rue. Il y’aura des combats, des courses poursuites, des tueries, c’est un film d’action : à la gloire de ma mère. Je vois que cette esprit de fiction n’est pas bien partagé, on reste souvent dans le monde qui nous entoure, je me dis pourquoi ne pas imaginer de toutes pièces. Aborder des histoires qui sont au-delà de nos réalités. Par contre ça demande beaucoup de travail, les scènes de combats par exemple demandent beaucoup beaucoup de temps. Là on fini de mettre le projet sur papier, scénar, fiche technique, repérages et à partir de là on estime le coût.

témoignages d’auditeurs

I

Hamat


et mon passe port.

À l’époque il n’y avait pas d’entraves à l’immigration ? Si il y-en avait, ce n’était pas facile, au contraire, pas du tout facile. Mais ce qu’il faut retenir c’est que je suis parti. Bien sûr il y-a des anecdotes, mais ça, je vais le raconter dans un livre que je vais écrire. C’est sur que voyager dans de telles conditions il y-a vraiment de l’aventure. Aller dans le désert, tu y vas tu n’as pas d’argent, tu imagines. Ça aussi ça a contribué à me forger. C’est ce que je dis à mes élèves, moi c’est la vie qui m’a forgé. Et puis un voyageur, forcément, il rencontre Dieu. Nous, c’est notre force aussi, la dimension spirituelle de l’homme et ça, quand on voyage on le découvre terriblement

par ce qu’on est en contact direct avec la nature et la création divine, on découvre le désert, on découvre la mer, on découvre les montagnes, on découvre les hommes dans leurs différences, etc. Et tout ça contribue à forger un jeune. Alors, j’arrive à Paris, la première fois, imagine. J’étais déjà adulte, j’avais fait un parcours…

Vous n’étiez pas non plus très dépaysé venant de St Louis du Sénégal ?

Tu sais, de ce point de vue, nous, à St-Louis, on a toujours été en contact avec les toubabs. D’ailleurs très rapidement je me suis fait des amis, on parlait, c’était l’immigration francophone, on n’avait pas beaucoup de difficultés de communication avec les autres. Alors voilà

j’arrive donc à Paris. Il fallait continuer à vivre, à chercher, chercher à faire le Cinéma. Et puis les démarches, les démarches, les démarches… Jusqu’à ce que je m’inscrive au conservatoire libre du cinéma français à Paris, une école qui se trouve actuellement dans le 17e arrondissement et qui a formé énormément de cinéastes africains et sénégalais. Je me suis inscrit, ouf !!

Après combien de temps ? Bof, ça n’a pas duré, ça s’est fait en moins de 2 ou 3 ans.

Ah quand même !

Là j’en parle avec le flashback, je revois tout ça. Je suis inscrit et parallèlement j’ai trouvé du job, des jobs, j’ai tout fait, j’ai fait la plonge notamment. Je suis descendu la première fois à St Ouen, d’un

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camion qui me transportait. Puis, l’inscription au conservatoire du cinéma, des petits boulots, la plonge, le nettoyage des bureaux, j’ai travaillé à la défense, j’ai travaillé dans une centrale nucléaire à Paris, j’ai fait le pas de Calais, j’ai circulé, j’ai travaillé. L’objectif c’était d’avoir de l’argent pour pouvoir payer mes études et ma petite chambre de bonne que j’avais au neuvième étage dans un immeuble du 10e arrondissement, elle était au dernier et quand j’ouvrais la fenêtre je voyais les étoiles… Sans chauffage, il fallait se taper neufs escaliers, à l’époque, mais rien n’y fait, la passion du cinéma était énorme. Dans ma petite

femme alcoolique française, l’histoire de leur amitié, mais une amitié pure, pas une amitié sexuelle. C’est deux paumés qui se rencontrent, l’histoire de leur amitié. Formidable comme film, formidable. Jury d’examen avec de grands cinéastes, ça s’est très très bien passé. Voilà, donc j’étais dans le cinéma, je venais de finir mes études et à l’époque j’ai acheté une caméra super 8, je m’étais équipé, bande montage, appareil de projection. J’ai le super 8 là. Et j’ai fait plein de documentaires, sur les clodos à Paris, dans le métro, dans les foyers des travailleurs immigrés aussi. Et, j’ai encore fait de la formation, comme je fais ici, j’ai com-

Alors, ce Sénégal que vous avez retrpuvé comment vous a t’il paru?

Ho non, c’était complètement foutu. Je me demandais si j’avais fait escale quelque part. C’est vrai que quand tu viens de Roissy, que tu descends brusquement à Dakar comme ça, tu as l’impression que l’éclairage, ça ne va pas. Mais bon, comme je te l’ai dit, j’étais déjà un homme aguerri, passé par différentes situations. Ce n’était pas facile pour moi de revenir dans ce pays, ça c’est clair. Je ne me suis pas adapté tout de suite. Ce n’était pas possible, les pensées, tout était différent. Mais tu sais quand on est expérimenté par le voyage et par le

« Il fallait absolument partir. Partir, c’était ça et pas autre chose. Partir pas pour chercher du fric, partir pas pour autre chose comme les gosses font en ce moment, non ! C’était partir pour acquérir une connaissance. » chambre, le boulot, la plonge, le conservatoire du cinéma. Les horaires étaient très souples au conservatoire, ils savaient notre condition et ils nous encourageaient même, ils nous facilitaient pas mal de choses par la suite. Quand ils ont connu mon itinéraire. Et j’étais brillant, ça, c’est clair. Et puis J’ai fini et j’ai fait mon film de fin de formation qui s’appelle le visiteur du matin, l’histoire d’un clandestin, l’histoire d’une amitié entre un clandestin et une vieille

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mencé à St Denis, dans le 93, ils m’avaient pris comme vacataire, j’encadrais des jeunes. Du coup j’ai fait 20 ans là-bas. Mais tu sais comme avec l’immigration on ne sait jamais. La vie a continué et en 98 je suis rentré au Sénégal.

contact petit à petit on s’adapte tant bien que mal, mais j’avoue que mon adaptation même plus de dix ans après, ce n’est pas encore très évident. Il y a toujours le fossé qui sépare du fait de notre cursus, notre éducation.

C’est une chose que vous vouliez faire depuis longtemps ?

Revenir également dans un pays et le laisser dans cet étatlà, tel qu’il se trouve, où il y’a le culte du matériel, le culte de la possession, de l’apparence, plein de tares. Mais malgré tout ça je suis revenu.

Dès le départ, C’était ça l’objectif : finir mes études et venir. Mais les circonstances de la vie en ont voulu autrement et puis je suis resté 20 ans.


témoignages d’auditeurs

Charles

J

e suis né à St Louis, j’ai grandi à Thiès et ma vie d’homme je l’ai faite à Dakar. J’ai longtemps cheminé par le domaine des arts plastiques. La peinture d’abord à l’école des beaux-arts, puis je suis allé à St Louis, c’est vers les années 90 que j’ai commencé à exposer puis je suis revenu à Dakar. Je me suis dit qu’il fallait s’adapter aux nouvelles technologies, j’ai donc expérimenté la photographie, j’ai participé au premier salon des arts numériques, dans le cadre de la biennale et puis de là, je me suis intéressé à la vidéo. Je fais partie des premiers auditeurs de cet établissement, nous étions auparavant dans la banlieue où M Boye nous retrouvait. Par la suite il a trouvé ce lieu et nous sommes venus à lui. J’écrivais, à ce moment-là, mon scénario et c’est ici que je l’ai achevé, fait les découpages et c’est ici même qu’avec notamment la mobilisation de mes camarades j’ai tourné mon film. Le cinéma a son propre langage et c’est ce langage-là que j’ai appris auprès de m Boye. Un encadreur comme M Boye, ça ne court pas les rues, j’ai beaucoup appris auprès de lui. Il m’a mis en résidence d’écriture ici et il m’a confié le centre dont je suis le régisseur. C’est un honneur pour moi. Pendant longtemps je me confiais aux livres, ces maîtres qui n’ont pas de parole. Et puis j’ai trouvé une personne qui me parle, me corrige, me donne l’envie d’aller au-delà de mes prédispositions et je l’ai remercié pour cela, il m’a ouvert les portes avec une très grande générosité. Aux jeunes je dirais que chacun de nous a son projet, qu’il doit, un jour ou l’autre faire sortir des tiroirs. Notre philosophie à nous c’est que nous sommes des étudiants, le cinéma donne des opportunités à chacun autant à nous qui sommes des aspirants réalisateurs que les acteurs. Tourner dans un de ces films peut leur ouvrir demain des rôles dans d’autres. Il faut la passion avant tout, l’argent est secondaire. C’est vrai qu’il faut assurer la régie, prendre en charge les acteurs, les camarades qui travaillent sur le tournage, mais la passion triomphe de tout.

Son film Le titre c’est Bijoux, Bijoux est un sobriquet. C’est l’Histoire d’une ancienne miss qui un jour, au bord de la plage, rencontre une jeune fille qui évolue dans la mode et qui a des soucis. Elle est tombée enceinte, elle est rejetée par ses parents et ne voie plus son ami. L’ancienne miss, avec son instinct féminin, voit vite sa détresse et va à sa rencontre. La jeune fille s’ouvre à elle alors qu’elle avait décidé de se suicider. L’ancienne miss l’en dissuade en lui racontant son parcours à elle qui est aussi tombée enceinte dans sa jeunesse et s’est resaisie. Le sujet c’est l’évolution des mœurs, je dirais. Le regard, l’appétit, l’envie qu’ont les jeunes filles de passer au-devant de la scène. Le film s’adresse surtout à ces jeunes filles.

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Et en 2002 j’ai commencé à travailler ici, à l’université de Dakar. Et puis Dieux est d’une grandeur extraordinaire, la gloire de notre seigneur… moi je pense, je suis convaincu même que pour chaque individu il a tracé un destin, c’est clair. Il a tracé un destin, l’homme a une part de responsabilité, mais je crois que Dieu a tracé des destins. Parce que je suis là, je ne suis pas mort, je suis sain et sauf et c’est grâce à Dieu. Je le dis à mes étudiants, l’homme à lui seul il ne peut rien. Moi, les voyages ont contribué à approfondir et à consolider ma foi religieuse. Il est très présent dans ma vie, et ça aide.

Comment a débuté votre enseignement ici ?

J’ai travaillé à l’Université de Dakar, j’ai vu qu’il n’y avait rien pour le cinéma et j’ai commencé à rassembler ces jeunes étudiants. Quatre promotions, gratuitement, d’une façon complètement bénévole d’ailleurs. Et, c’est ce qui continue jusqu’à aujourd’hui, le Cinéma est entré à l’Université de Dakar. En 2007, 2008 je me suis déporté en banlieue, j’ai été à Guédiawaye. Rassembler les jeunes de la banlieue. Khadija que tu vois là (Il désigne une jeune femme assise avec nous et qui était jusque-là restée muette) est l’une des toutes premières étudiantes rencontrées en banlieue. Elle est restée avec moi jusqu’à aujourd’hui et elle a produit un scénario superbe.

Vous travaillez ensemble ?

Bien sûr, c’est mon assistante, la première assistante-réalisatrice et elle est aussi secrétaire à Azal, mon école. C’est elle qui m’a accompagné, depuis toujours, elle était là lorsque j’ouvrais cette école. Elle a fait un scénario superbe sur le problème de la violence en banlieue. Là elle est en train de faire le découpage technique, de peaufiner et voilà, le fruit de notre travail.

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Comment s’est décidée la fondation d’Azal Communication aux Parcelles ?

Alors, nous quittons Guédiawaye, nous allons à Pikine, au complexe Léopold Senghor, jusquelà on n’avait pas de place, on ne nous accordait pas d’importance, ces gens-là ne comprenaient pas. Ce n’est même pas un centre culturel, c’est un lieu, c’est tout, le complexe Léopold Sédar Senghor. En 2010 je trouve ce local-là (Azal communication aux Parcelles), j’ai longtemps hésité avant de le prendre, je voulais même en faire une habitation dans un premier temps, mais par la suite, j’ai commencé à réfléchir, je me suis dit non, ça, il faut en faire un espace pour le cinéma. Malgré la lourdeur des charges, j’ai fermé les yeux et je l’ai pris. Je paie 150 000 FCFA par mois. Ça fait maintenant deux ans. Et grâce à Dieu, clopin-clopant, nous avançons. Ma conviction c’est que je suis en train de poser des

jalons, pour le futur. Je le prends comme le moment où moi je sortais d’ici pour aller à Paris, je dis que c’est une nouvelle aventure, un nouveau défi. Je suis rentré, ce n’est pas facile, mais je ne m’en plains pas, jusque-là, grâce au soutien de la divinité dont je te parle, on marche. On a un espace bien à nous, ou des gosses, tous les gosses, notamment de la banlieue qui aiment le cinéma peuvent venir. Parce que souvent aussi il y-avait des problèmes d’argent. Les écoles de cinéma ici sont extrêmement chères, 700, 800 000 FCFA, pour six mois de formation qui des fois ne sont même pas solide. Plein de gosses sont sortis de là bas pour venir rejoindre mes gosses, qui leur apprennent des choses qu’ils ne savaient même pas. Mince, 750 000 balles pour ça ! Dans cette école que tu as vue, normalement c’est 25 000 FCFA la mensualité, ce qui n’est absolument rien du tout, sur une période de dix mois, ce qui fait

250 000 francs l’an, c’est pratiquement donné. Mais même avec ça beaucoup ont du mal à payer. Alors, pour moi, dans ma philosophie, il ne s’agit pas d’écarter une personne du savoir parce qu’il n’a pas les moyens, non, même 25 000 balles, pour une formation qui vaut beaucoup plus, parce que là-bas on leur donne une formation solide, ça, c’est sur, ça n’est pas qu’on veuille tirer la couverture vers nous, mais c’est vrai, ce sont des résultats tangibles. Au bout de quelque temps tu vois ces gosses se mettre à écrire des scénarios, puis tu les vois aller filmer, comme Charles que tu as vu l’autre jour, il finit, Moly, tu dois regarder son film, comme tant d’autres. C’est concret. Je dis, mais venez, on va vous transmettre le savoir-faire, mais parallèlement on va continuer à démarcher. Parce que notre

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système est basé sur le parrainage. Trouver des gens de bonne volonté qui veulent parrainer des jeunes pour leur formation. C’est le créneau que je commence à investir, avec les municipalités, les ONG, les ambassades, les personnes, tous ceux qui peuvent parrainer les gosses. Mais en attendant, moi je fais avec, on travaille.

Est-ce que vous pensez que les films qui sont produits par vos auditeurs pourraient être commercialisés ? Bon, ce n’est pas évident ça.

La distribution à travers les chaînes de télé, c’est ça qui n’est pas évident ?

Même la commercialisation, je ne sais pas, en tout cas, c’est une chose à laquelle on n’a pas pensé. Au Nigeria c’est ce qui se fait de plus en plus. Mais ces gens là aussi, c’est leur problème, Moly a amené son film à la RTS pour qu’ils le diffusent, ils lui disent il faut que tu cherches des sponsors par-ci par-là.

Il faut, à un moment donné, faire un tapage autour de ça, soulever publiquement le problème, ce n’est pas normal, c’est une chaîne de service public et un film projeté au festival de canne, réalisé par un jeune sénégalais, mérite

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quelques égards.

Ça, c’est sûr, parce que tous ces films-là doivent pouvoir être diffusés.Mais tout ça on va y travailler, cette école-là il faut y mettre la main, chacun avec ce qu’il peut. C’est à eux maintenant de réfléchir, créer même un site. Je suis en train de développer un partenariat avec la municipalité de Dakar, on leur présente six à sept scénarios écris par nos auditeurs, plus une réalisation collective. Au cours d’une cérémonie de restitution, ce film va être projeté et le scénario exposé au public. Les bailleurs de fonds viendront les représentant d’ambassades, les ONG, par cette méthode on cherchera des partenaires pour le financement de ces scénarios. Donc, il y’a des stratégies nouvelles. Mon voeu le plus cher c’est que ce pays change, politiquement, qu’au soir du 25 mars que ces types-là partent. Ça va libérer des énergies, au point de vue culture et art ont va travailler, ça, c’est sûr.

Vous espérez ou vous pensez ?

C’est ma conviction profonde, un changement dans un pays, c’est quelque chose d’important, ça libère des énergies. J’ai la mémoire de mai 81 à Paris, lorsque Mitterrand venait au Pouvoir après 25 ans de Giscardisme, les socialistes ont fait énormément de choses pour la culture, surtout Jacques Lang, il a institué bien de choses. Mais ici, ils ne font rien pour aider

la culture, ils ne font rien pour aider les arts, il y’a un groupe d’individus qui se déclarent artistes qui, à chaque fois, sont à côté des gouvernants, mais qui en réalité n’y sont que pour eux même, rien à la base pour la formation des jeunes, rien. Mais, moi je suis optimiste quant à l’avenir de tout ça. Il n’y a que vous les jeunes qui pouvaient faire en sorte que ça se sache. Si je le fais, c’est pour vous, ce n’est pas pour moi. Voyez l’avenir de tout ça, ce qui vous est offert.

Quel est votre avis sur le cinéma sénégalais aujourd’hui ?

Un peu trop compliqué cette affaire-là. Il Y’a aussi le fait que les cinéastes n’ont pas toujours les moyens de réaliser leurs films. C’est un problème parce qu’il y’a des projets quand même. Ils sont souvent confrontés à des problèmes financiers, surtout que le pays n’a plus de structure de soutiens à la réalisation, du temps de Diouf et de Senghor ça allait beaucoup mieux, il y’avait des structures de soutien. Actuellement le cinéaste se bat tout seul. C’est le cas de Moussa Sène Absa. C’est le cas de Moussa Touré et de Mansour Sora Wade, c’est essentiellement ces trois qui tournent. Ils sont déjà rodés, ils sont dans le circuit, ils voyagent beaucoup et ils ont des partenaires. Alors ils font des films, tant bien que mal, mais aussi il y’a cette nouvelle génération maintenant,


c’est ça qui nous intéresse.Il y’a cette nouvelle génération qui est en train de se débrouiller avec les moyens qu’elle a. Je suis très optimiste de nature quant à l’avenir, je suis dans de bonnes dispositions mentales, je crois à l’affaire. Tout n’est pas fini. Moi ce que je dis c’est formons les jeunes. Donnons leur une formation solide et sa va venir. En tout cas, dans le cadre nous de notre expérience on a des résultats encourageants, regarde le cas de Moly qui a été invité au festival de Canne, c’est énorme. Imagines ce gosse qui s’est complètement métamorphosé, il avait des béquilles maintenant il n’en a plus, il est debout, rien que ça, c’est une victoire extraordinaire. Donner du courage à un individu, de l’espoir, ça vaut des milliards ça.

Au fait, pourquoi la banlieue ?

Je me dis que le cinéma ne doit pas simplement rester à Dakar, il y’a des jeunes qui quittent la banlieue pour venir suivre des manifestations cinématographiques jusqu’à des heures pas possibles et qui doivent retourner parfois il y’a des problèmes. Et puis les jeunes de la banlieue doivent pouvoir aussi bénéficier de la formation comme tout le monde et j’ai aussi travaillé dans la banlieue nord de Paris à la cité Franc-Moinsins, les 4000 à La Courneuve.

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Son film

e suis né à Pikine, dans la banlieue de Dakar, j’y ai grandi. Quand on est jeune, on se pose beaucoup de questions. Je ne dormais pas la nuit et je me posais beaucoup de questions : qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je veux faire ? Je voulais choisir un métier qui me permettrait de m’exprimer. Je suis handicapé, toutes les personnes handicapées n’ont pas le droit de parler en Afrique, ils sont toujours cachés quelques part dans leurs maisons. Ma famille m’a dit Moly tu es comme les autres, il faut sortir, danser aller à l’école. À un moment donné je me suis dit il faut que je choisisse un métier. Et ce métier devait me permettre de m’exprimer. J’ai choisi le cinéma. Enfant, j’avais des frères des sœurs qui faisaient du cinéma. J’ai voulu montrer à la face du monde une belle

Moly, mon film, est autobiographique, il parle de moi, mais aussi des personnes handicapées en général et des personnes exclues. Une réalisatrice antillaise, Euzhan Palcy (réalisatrice antillaise à qui l’on doit notamment Rue Case nègre) a vu une première mouture du film Moly à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle m’a interpellé après la projection, elle voulait me soutenir par ce qu’elle a trouvé que son message était fort pour l’humanité. Techniquement, il y’avait des insuffisances. Elle m’a proposé de produire un remake du film et m’a fait l’honneur de m’inviter à Cannes, elle a déposé le film et il a été projeté. Comme le festival lui

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1ère RECIDIVE - Avril 2012

image de la personne handicapée, une personne qui crée. À chaque fois que je regardais un film, j’étais pris par le réalisateur, je vivais l’émotion, je ressentais l’impact. Des réalisateurs comme Sembène, Souleymane Cissé du Mali, m’ont beaucoup touché. Comme le cinéma est un métier, il faut l’apprendre. Ce n’était pas facile de trouver une école. J’ai trouvé une formation à Dakar, mais elle était au-dessus de mes moyens. Je téléchargeais des cours de cinéma sur le Net et je lisais beaucoup de livres, je regardais beaucoup de films. Puis, en 2008, j’ai rencontré M Boye alors qu’il était dans la banlieue pour dispenser gratuitement des cours de cinéma. Je m’y suis rendu et depuis je suis avec lui. Je fais partie de la première promotion d’Azal Communication.

rendait hommage, elle en a profité pour me rendre hommage et à travers moi à toutes les personnes handicapées. J’ai rêvé de Canne. Ces dernières années je suivais l’actualité de Canne. Je disais, des mois avant, que ce film irait à Canne, je n’avais même pas encore rencontré Palessy. Une fois à Canne une équipe s’occupait de moi. J’ai rencontré beaucoup de personnes, j’ai eu des bouquins sur le cinéma, c’était très bien. Après avoir fait le devis du film, j’ai déposé des demandes de soutien auprès du ministère de la Culture, direction de la cinématographie, primature, assemblée nationale, partout. Mais je n’ai pas reçu une réponse. Ce

témoignages d’auditeurs

J

Moly

qui m’a fait mal ce n’est pas tant qu’ils ne m’aient pas aidé financièrement, mais qu’ils n’aient même pas réagi. J’ai écrit aux ambassades, douze exactement, ils ont répondu. La Mairie de Pikine, où j’habite, où je suis né, ils connaissent mes activités, ils ne m’ont pas répondu. Je me suis dit que le problème du Sénégal c’est la paresse de ses dirigeants, ils ont des diplômes, mais ils sont paresseux. Vous savez le cinéma est en train de mourir au Sénégal, un jeune contribue à le raviver, vous l’annonce six mois avant son premier tournage et aucune autorité nationale ne réagit. La télévision sénégalaise, la chaîne leader, devait faire des efforts, mais n’en fait pas.



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