Point D'eau à Venise

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R.evolution Of Our Time présente

une nouvelle champêtre et fantaisiste de

Charlie Clé & Raya B'Dull

POINT D'EAU A VENISE

www.revolutionofourtime.com


Venise. Pourquoi Venise ? La raison est simple. Mik a dans sa chambre une carte détaillée du Doubs. Un jour, dans une folie éthylique, Mac fit irruption dans cette fameuse chambre brandissant un couteau de cuisine à bout rond. Emportée par le rythme endiablée qui provenait de la chaine hifi du salon, Mac trébucha sur un dromadaire en peluche affublé d'un string vert fluo. Dans sa chute, le couteau à bout rond traversa la pièce pour finir sa course sur la carte, y laissant une grosse trace de moutarde de Dijon. Intriguées, Mik et Mac s'approchèrent du mur. Tandis que Mac léchait la grosse trainée jaunâtre, Mik y découvrit... Venise. Le samedi suivant, 12h57. Localisé à 19.8 km de Besançon, Venise est une petite bourgade tranquille et ensoleillée. Les champs parsemés de boutons d'or, de pissenlits et de pommiers en fleurs sont bordés de collines densément boisées. Ravies de cette mise au vert, Mik et Mac, euphoriques, partent à la découverte du village, appareil photos en main.


Mais la promenade est soudain interrompue par la connerie humaine : un p'tit con à moto déboule dans la rue principale. Hérissées et irritées, Mik et Mac décident de s'éloigner de la civilisation et empruntent un petit chemin de terre battue (et NON, il ne sent pas la noisette). Bientôt rattrapées par le gros con de motard, Mik et Mac virent à gauche. Coupant à travers champs, elles se noient dans le cadre bucolique et champêtre.

Quelques mètres plus loin, s'offre à elles un point de vue enchanteur : une étendue d'eau calme qui leur tend les bras. Oui mais voilà, comment y accéder ? Comment échapper à l'agressivité sonore du motard ? Longeant la route, elles repèrent un petit chemin qui s'enfonce dans les bois (et non, celui-ci ne sent pas non plus la noisette). Tandis qu'elles s'acheminent vers l'inconnu, paix et sérénité se font leur compagnes de marche. C'est donc à quatre qu'elles se lancent dans une conversation dont le contenu ne s'avère pas suffisamment intéressant pour être retranscrit ici.


Soudain, leur odorat se trouve violemment agressé par une odeur pestilentielle trouvant sa source dans un arbre dont les fleurs... euh puent ! Elles passent rapidement leur chemin. Toujours en quête de leur point d'eau, Mik, Mac, paix et sérénité commencent à s'identifier à David Vincent, ayant la désagréable sensation d'être passées à côté de quelque chose (d'un raccourci par exemple). Tandis que paix et sérénité s'évaporent lentement dans les sombres sous-bois, le doute s'installe. S'abandonnant pleinement à l'errance, elles croient apercevoir, au loin sur le chemin, un pont. Ou peut-être n'est-ce qu'une illusion...


MIK Merde alors ! C'est un pont que je vois là-bas ? Là, c'est vrai, j'en reviens pas ! Je suis même prête à poser la question à Mac : "Hey, tu vois ce que je vois ? ou pas ?". Mais Mac est plongée dans ses pensées, et si je lui parle, je ne suis même pas sûre qu'elle m'entende (quand Mac plonge dans ses pensées, elle ne se contente pas de rester à la surface, elle descend dans les grandes profondeurs…!). Enfin du coup, moi, je reste avec mon incertitude, là ! C'est un pont ou pas ? En pleine forêt, au milieu de nulle part, ce serait du grand n'importe quoi ! On s'approche, on aura bientôt la réponse… Soudain, la petite brise fraîche qui était la bienvenue tout à l'heure (quand je cuisais au soleil) devient un vent plus froid, qui me donne la chaire de poule. Je remettrais bien ma veste par-dessus mon tee-shirt, mais j'ai la flemme. Je lève les yeux vers le ciel. On n'en voit pas grand-chose à cause des arbres, mais il s'est assombri de façon bien menaçante… C'est le tonnerre que j'entends, au loin ? Je tente de me rassurer : Meeeeeuh non voyons ! Malheureusement, un second coup contredit ma voix intérieure. Vexée, elle garde le silence. Sur notre gauche, le ciel est noir. De ce que je peux en voir, c'est pas beaucoup mieux derrière, ni à droite. Devant, y'a encore quelques nuages blancs inoffensifs, mais plus pour longtemps, à mon avis. Au-dessus de nos têtes, l'avant-garde noire grappille du terrain… Me dites pas qu'on va se prendre de la flotte ! Le vent n'arrête pas de changer de sens. Alors forcément, les nuages aussi. Ces abrutis n'arrivent pas à décider de la direction à prendre. Un peu d'autonomie et de prise d'initiative, merde ! Du coup, ils stagnent juste au-dessus de nous, comme par hasard ! Le pont se rapproche (ah oui, maintenant je suis sûre que c'est bien un pont). Au moins, s'il se met à pleuvoir, on pourra se mettre à l'abri. Et dire qu'on suit ce chemin juste pour trouver le point d'eau qu'on a vu tout à l'heure de loin ! Je suis presque certaine qu'on l'a contourné sans le remarquer et que maintenant, il est derrière nous ! Nouveau coup de tonnerre, qui me pousse une fois encore à observer le ciel. Il s'est éclairci sur notre droite, mais reste sombre à gauche et derrière. Bizarre comme la configuration change. La lumière aussi, du coup. On a l'impression qu'un voile blanc ou grisâtre recouvre tout le paysage. Les couleurs sont ternes. C'est pas franchement joli. Enfin, ce n'est que mon humble avis… Je me perds dans la contemplation des nuages… Et là, à force de regarder en l'air, je manque me casser la figure. J'ai buté dans une pierre que, bien


sûr, je n'avais pas vue. Je me rattrape de justesse, relativement fière de ma prouesse d'équilibriste. Mac n'a même pas remarqué ! Dingue ! Elle observe le pont, pensive. Qu'est-ce qui lui passe par la tête ? Moi je n'arrive pas à penser à autre chose que cet orage qui menace… Oh ! J'ai senti une goutte ou pas ? Il commence à pleuvoir ou c'était juste une pisse de moineau ? Quelques rayons de soleil parviennent à percer les nuages. S'il se mettait à pleuvoir maintenant, il y aurait sûrement un arc-enciel… Je réalise que je n'ai jamais essayé de prendre un arc-en-ciel en photo. Est-ce qu'on peut, seulement ? Maintenant, j'ai envie qu'il pleuve, parce que je suis à peu près certaine que cela formerait un arcen-ciel. Et comme j'ai mon appareil à la main, je pourrais tenter de le photographier… Dans ma tête, le gros nuage noir au-dessus de nous exauce mon vœu : il se met à pleuvoir. Et là… mais oui, l'arc-en-ciel tant attendu se forme. Et malgré ce que je viens de me dire il y a à peine trois secondes, cette fois encore, j'oublie de le prendre en photo. Il faut dire que j'ai la bonne excuse d'être trop fascinée pour réussir à réfléchir ! Les couleurs s'extirpent péniblement du noir et descendent vers nous avec douceur. Délicatement, elles se posent sur le pont. C'est incroyable. Ce pont inutile, noir et moche est devenu le point de chute du plus bel arc-en-ciel que j'aie jamais vu ! Le pont semble tout à coup beaucoup moins laid. Les couleurs bondissent de la passerelle et atterrissent à ses pieds avec élégance. Inutile de préciser (cependant, je précise quand même) que j'ai l'impression d'avoir cinq ans et d'être dans un dessinanimé. Derrière le rideau de lumières, quelque chose bouge. Le personnage traverse le voile coloré. Là je m'arrête, stupéfaite. C'est un Bisounours orange habillé en Leprechaun ! Le mélange des couleurs est plutôt raté, faut bien le dire… Et bien sûr, comme chaque fois que j'entends ou pense le mot "bisounours", leur chanson débordante d'amour me vient en tête : Bisou, bisou, Gentil Bisounours… Oh non ! En plus, elle me reste pendant des heures, j'arriverai jamais à m'en débarrasser ! Mais je réalise, là… je vois vraiment un Bisounours fringué en Leprechaun ?? Je fronce les sourcils, sceptique : Mac aurait-elle dilué des hallucinogènes dans ma bouteille d'eau ? Est-ce que je les aurais sentis ? Et surtout… Comment appeler cet étrange personnage ? Un Léprebisou ? Ha, on croirait que c'est un lépreux qui fait un bisou ! Léprebisou/Bisous d'lépreux… Un Bisouchaun ? J'opterais bien pour un Léprenours. Une fois cette importante décision prise, je me sens plus rassurée et reprends ma marche. Il n'a pas l'air très menaçant, au contraire. Je décide donc d'aller à la rencontre du Léprenours.


Mais j'y pense, avec les leprechauns, y'a pas une histoire de trésor au pied des arcs-en-ciel ? Si ça se trouve, il va me rendre riche ? Je suis allée à Venise, j'ai trouvé le pied d'un arc-en-ciel, et un Léprenours m'a donné son trésor. C'est une belle histoire non ? J'arrive près de la créature, qui me sourit… enfin voilà quoi, un sourire de Bisounours n'a pas besoin d'être décrit, tout le monde voit très bien ce que c'est. Il me tend sa main. Ou patte ? Peu importe, ce qui compte c'est que je la prends. Il m'entraîne dans l'arc-en-ciel. Je me demande, avec une pointe d'angoisse, comment on fait pour escalader ce truc ? Est-ce qu'il y a un escalier caché ? Est-ce que ça glisse ? Je suis sûre que je vais me tordre la cheville avec ces conneries ! Et pour descendre, on va faire du toboggan ? Je crois que ça me ferait hurler de rire. A moins que j'aie peur et que je me pisse dessus, au choix… Tout dépend si on glisse vite… Je disparais dans les couleurs avec la certitude que je vais y trouver ce que je cherchais. Je passe par toutes les teintes. Les couleurs se font d'abord plus vives, puis commencent à s'estomper. Dans ma main, je sens la patte du Léprenours perdre de sa fermeté. Pourvu qu'il ne m'abandonne pas ! J'essaie de retenir sa patte, mais n'y parvient pas… Il est parti ! Avant que je réalise comment ou pourquoi, je me retrouve sur une petite route goudronnée. L'arcen-ciel a disparu, le Léprenours aussi, et je ne vois pas trace de Mac. Alors là, je suis dans la merde ! Retrouver Mac alors que ni elle ni moi ne connaît le coin, ça va être coton ! D'ailleurs, où suis-je ? Et où est ce que je suis venue chercher ?! Où est mon trésor ? Sceptique quant-à l'efficacité de mon Léprenours, je fais quelques pas sur la route. Je crois que je ne suis pas très loin du point d'eau qu'on cherche depuis une demi-heure ! Merde, je crois que je commence à comprendre ! Le Léprenours m'a promis que je trouverai ce que je cherchais… et à ce moment-là, je cherchais le point d'eau de Venise ! Alors il m'a amenée… au point d'eau de Venise ! Saloperie de Léprenours ! Les couleurs de sont arc-en-ciel ont dû lui monter à la tête, il ne sait plus ce qu'il fait… Je devrais le plaindre, mais là je le hais. Je hais les faux-espoirs… Mais bon, résignée, je me dis qu'au moins, j'ai trouvé le point d'eau. C'est mieux que rien. Depuis le temps qu'on le cherche… Finalement, on fait mieux que David Vincent ! Revigorée par cette pensée, j'emprunte un petit chemin en gravillons sur ma gauche. Je sais que le point d'eau est juste derrière cette butte de terre. Mais un panneau blanc m'arrête… Pourvu que ce ne soit pas interdit au public !! Je lis…: ARRETE POUR LA FERMETURE D'UNE DECHARGE PUBLIQUE


J'étouffe un rire moqueur (moqueur envers moi-même) : c'est possible ? Le point d'eau tant recherché serait-il… une décharge publique ?! Refusant de croire ce panneau, je poursuis mon chemin, monte au sommet de la butte de terre… et là, impossible de nier plus longtemps : Dans ma tête, le point d'eau de Venise est une décharge publique en cours de fermeture (éclair).

MAC Tiens, un pont ? A quoi peut bien servir un pont au beau milieu d'une forêt ? Les talus qui bordent le chemin sont-ils si hauts ? Que peuvent-ils bien cacher ? Si ça se trouve nous nous enfonçons dans une réalité alternative... Si je dis ça à Mik, elle va encore se foutre de ma gueule. Remarque, elle m'a l'air bien songeuse tout d'un coup. Il faut bien avouer qu'un pont qui surplombe un sentier de forêt n'est pas banal. Je me sens happée, tout d'un coup. Attirée. Comme si l'on agrippait mon âme pour l'envoyer audelà. Au-delà du pont.


Qu'ois-je ? Des voix de femmes. J'ouvre les yeux. Quelque chose a changé. Sous mes pieds, pas de bitume mais de la terre battue. Autour de moi des maisons en chaume. L'église, seule construction en dure, se dresse fièrement, épicentre du village. Je la reconnais. Nous sommes passées devant, Mik et moi, il y a environ une heure. Que se passe-t-il ? Je ne vois plus non plus les nombreux poteaux électriques qui jalonnaient la bourgade à notre arrivée. C'est Venise sans être Venise. Un peu plus loin, je reconnais un autre édifice en pierre de taille : le lavoir. Là, quatre femmes discutent. Sur le coup, je n'y comprends mot. D'un accent fort prononcé, elles débattent d'un sujet qui visiblement les passionne. Je m'approche. Leurs habits me choquent. Vêtues de longues robes et de tabliers, les cheveux tirés aux quatre épingles, elles me rappellent un cours d'anthropologie culturelle où le prof nous avait détaillé les coutumes vestimentaires de la région. Rien d'extraordinaire, si ce n'est que j'ai l'étrange impression d'avoir mis les pieds en 1790 ! Au-delà du bruit de lessive des quatre villageoises, je suis soudain frappée par le silence. Le silence de la campagne. Une légère brise de bouse, certes. Mais point de gaz d'échappement. Merde. Suis-je devenue folle ? Je suis peut-être tombée raide, dans le coma sur le sentier où Mik tente (vainement visiblement) de me réanimer. Ou alors, suis-je remontée dans le temps ? Tiens, les quatre femmes m'ont remarquée et me regardent à présent d'un drôle d'air. Petit retour sur moi-même : nom de dieu ! Je ne suis vêtue que de haillons crasseux, nu pieds, je daube grave. Je tente de leur adresser un bonjour. À les voir toutes les quatre me mater ainsi, une phrase d'un philosophe malin me revient en tête : « Je suis seul donc nous sommes quatre ». Enfin, là, c'est un peu raté, puisque nous sommes... OH PUTAIN, JE N'AI PAS DE CULOTTE !!! Un coup de


vent m'a prise en traitre me léchant les petites babines. Non seulement je pue la mort mais en plus je suis à moitié à poil ! J'adresse mon meilleur sourire pincé aux quatre bonnes femmes puis me lance dans une inspection corporelle. Que manque-t-il d'autre ? Il ne manquerait plus que j'ai une fleur de lys tatouée quelque part ! J'ai toujours su au fond de moi-même que j'étais une trainée dans au moins une de mes vies antérieures. Rien. Bon. Je tente une approche. La plus grosse des quatre s'adresse à moi avec un accent à décorner un bouc. Mes yeux de merlans fris, mon demi-sourire pincé et mes naseaux dilatés suffisent à lui faire comprendre que je n'ai pas compris sa question. Elle répète. « Ton père ! Il a t'y signé les cahiers ?! − Les cahiers ? Je fronce les sourcils. Les quatre femmes se marrent. Elles me prenaient pour une pauvresse maintenant, elles me prennent en plus pour une conne. Peut-être n'ont-elles pas tout à fait tord sur ce coup-là. − Les cahiers de doléances, ma p'tite ! rétorque la plus jeune. Tu sais bien, à cause de ce qui va pas dans le royaume. Il paraît que ça va pas bien du tout pour le roi... − Mon mari était en ville hier. Les bourgeois en ville ne sont pas contents. Ils disent que trop de gens du peuple votent. − Bah dis, tu t'rends compte, tous les hommes de plus de 25 ans peuvent voter... − De là où je viens, les femmes aussi peuvent voter, je lance histoire d'alimenter la conversation. − Quelle idiote ! Et les quatre femmes se mettent à rire de bon cœur. − Quelles sont vos doléances ? je demande pour rattraper le coup. − Les hommes du village ont voté pour demander la réforme des impôts, la suppression des droits féodaux, l'affranchissement des terres, la suppression de la dîme et l'abolition des immunités... répond la plus grosse. − Mon mari ne croit pas au changement des choses. Il pense que le roi se moque de nous, ajoute la blonde d'une petite voix. − Ton mari est un froussard ! s'exclame la plus petite. Les choses changent. Le temps est venu de faire entendre la voix du peuple ! Nous ne voulons plus être écrasé par des impôts qui nous prennent toutes nos économies ! Nous refusons d'être des esclaves de chefs sans scrupules ! Nous voulons gérer nos propres terres ! Et y récolter ce que nous y semons ! Le temps est venu où toute âme doit être traitée comme citoyenne avec les mêmes considérations que l'on soit riche ou pauvre ! − QU'EST-CE QUE LE PEUPLE ? gueule la grosse enflammée par le discours de son amie. − TOUT ! répondent-elles d'une seule voix.


− QU'A-T-IL ETAIT JUSQU' A PRESENT ? − RIEN ! − QUE DEMANDE-T-IL ? − A ETRE ENTENDU ! » Les voix se sont tues. J'ai dû trébucher sur un pissenlit parce que soudain, l'odeur fétide qui émanait de mon corps s'est estompée. Me revoilà, en 2009, face au pont. Tirées de leurs méditations respectives par un cri strident d'oiseau (impossible à retranscrire ici), elles passent sous le pont, le cœur battant... Trois pas plus tard, Mik et Mac se retournent désabusées et blasées : il ne s'est rien passé. Mais alors, rien.

FIN


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