Numéro 9 LGBTQI Afro-descendantes des caraïbes

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Numéro 9, Juin 2014

Afro Caraïbes LGBTQI Vie, Art & Cultures 3

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Co-édition avec

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Édito

Le personnel est politique

Basé en Europe, le collectif Cases Rebelles regroupe des femmes et des hommes noirEs, africainEs et afrocaribéenNEs, rassembléEs pour la réappropriation des luttes, histoires et cultures des peuples noirs. Le groupe est né en France en 2010 d’un texte collectif nommé “Nous sommes”. Cri de colère et de frustration ce texte provoqua notre première web-émission et devint notre manifeste. Nous y exprimions notre ras-le bol d’espaces de luttes et d’expressions eurocentrés, où la complexité de ce que nous étions et souhaitions était toujours piétinée par les approches dominantes. “Nous sommes” était l’affirmation d’une volonté d’organisation autonome et de reconnexions des expériences noires, à travers le monde. Cases Rebelles, on ne savait pas vraiment ce qu’on voulait que ce soit. Et au début nos désirs allaient sans aucun doute vers un aboutissement moins virtuel qu’une web-émission. Mais tout s’est simplement enchainé: portraits de militant-e-s, courants musicaux, révoltes, expériences de résistance quotidienne, fictions, Cases Rebelles est vite devenu pour nous le moyen d’une auto-éducation partagée et de la mise en valeur de la diversité de nos histoires et cultures. Nous nous intéressons exclusivement aux productions et réalisations faites par des noirEs et des afro-descendantEs, non pas par désir de pureté ou de radicalité mais parce que c’est prioritaire pour nous de saisir comment les noirEs se regardent, se racontent. Nous voulons être en rupture avec les discours des explorateurs, chroniqueurs, voyageurs, sociologues, universitaires. On s’applique aussi à garder une identité collective. Les productions sont le plus souvent signées par le collectif, ou au maximum par des initiales. Nous ne voulons pas d’un espace de 6

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mise en avant des individuEs et on est un peu perplexes face aux inflations d’égos et de nombrils qu’internet provoque. Pour rompre aussi avec le mode de narration dominant on essaie aussi de ne pas fabriquer de héros. Et on s’applique à ne tourner le dos à aucune question puisque se libérer nécessite une attention à tous les combats. Nous accordons aussi une place importante à la musique, présente dans nos émissions mais aussi célébrée lors de mixes thématiques. Comme d’autres modes d’expression artistique, la musique permet ce subtil partage d’amour, de réflexion et de force dont nous avons besoin dans nos communautés. Oui l’amour est sans doute l’une de nos préoccupations majeures. Se donner de l’amour et de la bienveillance dans l’apprentissage de ce que nous sommes, avons été, serons. Donner de l’amour aux communautés noires. Accueillir. Reconnaitre. Réunir. Aujourd’hui notre principale activité c’est une web-émission de radio mensuelle et des articles. Et on collabore avec d’autres collectifs. C’est le cas aujourd’hui avec Q-zine dont nous étions des lecteurEs enthousiastes jusqu’à ce que Mariam nous invite à passer la barrière et à réaliser ce numéro croisé. C’est pour nous un grand plaisir parce que Q-Zine, avec une tout autre approche, travaille dans la même direction que nous. L’existence de projets comme Q-Zine donne du sens à ce que nous faisons dans Cases Rebelles. Ce numéro est donc un numéro de partage: d’expériences, de savoir-faire et bien entendu d’amour!

Cases Rebelles Numéro 9, Juin 2014


=Couverture Painting the Spectrum, Festival de Film LGBT du Guyana Photo de Ulelli Verbeke

Cases Rebelles Site: www.cases-rebelles.org Contact:contact@cases-rebelles.org Twitter: @casesrebelles Q-zine Site: www.q-zine.org Twitter: @q_zine Issuu:www.issuu.com/q-zine Contact:contact@qayn-center.org

Rédacteur en chef John McAllister (Botswana)

Rédactrice en chef Mariam Armisen (Burkina Faso)

Mise en page Mariam Armisen (Burkina Faso)

Équipe éditoriale Abdou Bakah Nana Aichatou (Niger) Philippe Menkoué (Cameroun) Alice Vrinat (France/Belgique Brian Doe (USA/Sénégal) Joshep (Maroc/Espagne) Michael Kémiargola (France) Anthony Sedibo Phaladi (Botswana/Chine) Patrice L. (France) 7

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L’amour, pratique révolutionnaire Appel à contributions Un numéro spécial de Q-zine et OurSpaceIsLove Q-zine est le premier magazine numérique bilingue pan-africain sur l’art et la culture LGBTQI. Dans sa prochaine édition, Q-zine collabore avec OurSpaceIsLove pour un numéro spécial explorant les politiques et les pratiques de l’amour comme acte révolutionnaire. OurSpaceIsLove (www. ourspaceislove.tumblr.com) est une plate-forme communautaire en ligne créée par deux amies féministes africaines afin d’apaiser les soifs de poésie, de révolution et d’interrogation. En tant que femmes africaines et en tant que féministes, nous sommes en quête d’une définition de l’amour qui intègre l’acte volontaire d’étreindre des gens dont nous pouvons nous sentir différentes mais dont nous partageons l’humanité. Quand nous disons « amour », nous parlons d’un concept qui va au-delà de la romance. Nous parlons du sentiment émanant de nos cœurs qui tente d’insuffler la libération dans tout ce que nous faisons - individuellement et collectivement. Nous parlons de l’amour qui inspire le désir de créer des espaces de paix pour les personnes assaillies de discrimination et de violence. Nous parlons d’un amour qui nous pousse à donner, partager, prendre des risques et donner de la voix au nom de notre bonheur collectif. Reconnaissant l’amour comme révolutionnaire, comme principe directeur de nos pratiques féministes et principe sur lequel nous bâtissons nos communautés, nous souhaitons

explorer ce que cela signifie pour les Africains d’être connecté à la fois en esprit et en pratique à «L’amour, pratique révolutionnaire ». Nous nous intéressons aux réflexions des AfricainEs à travers le continent et dans la diaspora qui partagent cette «L’amour, pratique révolutionnaire» ensemble, l’un pour l’autre, et dans les combats de transformation sociale.

Dans ce numéro spécial de Q-zine, nous invitons les AfricainEs sur le continent et dans la diaspora à partager leurs opinions, leurs essais, de la littérature, de la mode, de l’art, des poèmes, des nouvelles et des contributions audiovisuelles qui explorent le thème de « L’amour, pratique révolutionnaire ». Par exemple, les propositions pourraient explorer les pistes suivantes:
 • Comment une politique d’amour nourrit votre activisme ou votre art en tant que Queer Africains / ou vos luttes pour les LGBTQI et les droits humains ?
 • Comment les compréhensions diverses de l’amour façonnent-elles vos relations, vos positions politiques et vos habitudes ? • Des histoires d’amour queer africaines, du passé, du présent ou imaginaires ; • Les expressions de l’amour révolutionnaire dans la construction de la communauté et le travail pour la justice sociale.

Co-éditrices Amina Doherty est une jeune féministe activiste nigériane qui vit à Kingston, en Jamaïque. D’esprit créatif et curieux, âme nomade pétillante, Amina nourrit son activisme de passion pour la musique, l’art et la poésie.

 Jessica Horn est écrivaine féministe, poétesse et militante des droits des femmes avec des racines dans l’Ouest de l’Ouganda. L’œuvre de sa vie se concentre sur les questions de sexualité, de santé, de violence, et de libérations incarnées/concrètes.


 Nous vous prions d’envoyer vos soumissions aux co-éditrices Amina Doherty, Jessica Horn et Q-zine au: OurSpaceIsLove@ gmail.com et contact@qayn-center.org

Date limite: le 10 aout 2014 8

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Photo: Brian Doe Numéro 9, Juin 2014


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Leslie, la Baby Doll Lesbienne – Mas’ Traditionnelle & Contestations de la Sexualité Stephanie Leitch

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Painting the Spectrum, Festival de film LGBTI du Guyana – Cases Rebelles

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Défilé de mode, Diamond Infinity – Guyana Trans United

Q&R 19

You Are Not Alone – Cases Rebelles

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A propos des chansons d’ amour – Cases Rebelles

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Juste kiffer son moment – Cases Rebelles

Opinion 92

Manifestation virtuelle du Belize – Caleb Orozco

Photographie 51

Priscila et Camila, Portrait d’amour intime – Ulelli Verbeke

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Clichés du Brésil – Ulelli Verbeke

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À travers l’ objectif – Ulelli Verbeke

DANS CE NUMÉRO

Article

Poème 24

Aube Nouvelle – Gladys Bedminster

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L’ovale splendeur – Gladys Bedminster

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Je ne saurai jamais pourquoi – Résilience

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Maronne – Résilience

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Domino – Gladys Bedminster

Portrait 71

Kouraj – Cases Rebelles

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Tjenbé Red! – Cases Rebelles

88

Moi, je suis un Masisi – Cases Rebelles

Histoire courte 84

Brièveté Eternelle – Moun Difè

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Incomplète – Résilience

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Photo de Résilience

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Photo de Ulelli Verbeke

Contributrices/teurs Stephanie Leitch

Ulelli Verbeke

Stephanie Leitch est une activiste sociale et artiste des arts conceptuels qui a tout récemment adopté le titre artiviste. Également connue sous le nom de Barefoot Contessa, Stephanie produit la série Barefoot Trails dans le magazine d’art des Caraïbes, ARC. Ses projets en cours portent entre autres sur la représentation du caractère traditionnel du Mas’ “Baby Doll” à divers événements culturels.

Ulelli Verbeke est une photographe indépendante, vidéographe, graphiste et artiste. Elle emploie son art photographique comme outil de plaidoyer et d’activisme visuel. Ses expositions actuelles sont: Les 10 ans de SASOD; Guy-Braz Exposition photographique et Conférence : Guyana, Brésil et la décolonisation; Luttons contre la transphobie; et un projet intitulé Envisager les droits des lesbiennes, gays, bisexuel-le-s et transgenres (LGBT) au niveau global.

Merci!

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Gladys Bedminster Née en 1975 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Gladys Bedminster écrit depuis l’âge de neuf ans des romans, des nouvelles et des poésies. Son recueil de poésie, “L’ ovale splendeur”, a été primé au concours de l’Académie Internationale de Lutèce.

Résilience Résilience est antillaise, guadeloupéenne, lesbienne, écrivaine, poétesse et photographe. Elle s’intéresse à la représentation de l’homosexualité aux Antilles et tente de l’interpréter en poésie.

Caleb Orozco Caleb Orozco est un éducateur de santé, chercheur et militant avec plus de deux décennies d’expérience dans le domaine des droits humains. À travers l’analyse du droit, les recours en justice, et l’éducation, Caleb milite pour l’élimination des lois discriminatoires contre les communautés LGBT dans les Caraïbes. Photo de Résilience

Moun Difè

Guyana Trans United

Moun Difè est poèteSSE, écrivainE, documentariste, voue un culte particulier à Erzulie Dantor et s’applique dans la vie à être où on ne l’attend pas.

Guyana Trans United a été fondée en 2012 à Georgetown, au Guyana, par 13 activistes trans en vue d’encourager, soutenir, organiser les membres de la communauté trans.

Merci!

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Article

Leslie La Baby Doll Lesbienne Mas’ Traditionnelle et Contestations de la Sexualité De Stephanie Leitch, Photos de Candace Moses et Austin Agho

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L

e carnaval de Trinidad est le plus grand spectacle du monde. Et je ne dis pas ça parce que je suis trinidadienne mais parce que « je ne peux pas mentir », comme le dit Pierrot Grenade1.

en coulisse après avoir déclaré à deux autres « Dolls » que j’allais chercher la mère de mon enfant… et non son père cette fois. Je pense que certaines choses restent taboues malgré l’histoire de notre Carnaval.

La promotion commerciale des deux jours principaux du Mas’ (mascarade), avant la célébration catholique du Mercredi des Cendres, a pris le pas dans le discours populaire et les consciences et a servi de modèle pour les festivités caribéennes de la diaspora ailleurs dans le monde. Le carnaval est cependant bien plus que le stéréotype du « bikini et perles » et il peut revendiquer une histoire culturelle riche que les anciens ont conservée, avec le soutien du gouvernement et celui des jeunes générations qui veulent voir ces traditions rester en vie.

Le Carnaval ne s’est jamais voulu une démonstration réaliste (l’hétérosexualité peut y être lue comme littérale) mais une parodie de ce que nous ne sommes pas. C’est pourquoi Dame Lorraine, à l’origine jouée par des hommes, reste notre première trace historique de cross-dressing. “C’était une continuité de la dérision du maître par l’esclave, qui avait commencé sur les domaines avant la période d’apprentissage, de 1834 à 1838. Ce spectacle en deux actes était une satire burlesque des manières de la plantocratie française du 18e siècle. La performance de Dame Lorraine ‘’a institutionnalisé cette pratique dans les théâtres pour un public qui payait’’ 3, et elle durait jusqu’à l’aube quand les interprètes lourdement costumés et leur public se glissaient dans les rues pour débuter la mascarade (Carnaval) du lundi matin. Une version précoce du Jou Ouvè, en somme.” [extrait de “The Jouvay Popular Theatre Process: From the Street to the Stage (Jouvay Poetics)” by Tony Hall]4. Dans les joutes de cette année, un homme jouait à la fois le rôle de Dame Lorraine et de Jammet5, et non seulement il a battu les autres participantes niveau déhanchement mais il faisait également tournoyer ses fesses gonflées au-dessus de la tête d’un homme du public. Ce spectacle n’ était acceptable que dans le contexte spécifique de la mascarade.

Que se passe-t-il donc quand vous fêtez le carnaval d’une manière non traditionnelle… Le vieux Mas’ bien sûr! Mais à condition que vous connaissiez vos personnages du vieux Mas’. Parmi les plus populaires il y a le Voleur de Minuit, Jab Jab, le Diable bleu et Pierrot Grenade. Et moins populaire mais en plein « come back » il y a la Baby Doll. Ce personnage à l’allure enfantine qui porte un bébé cherche désespérément le père de son enfant. Elle porte le même genre de tenue que les poupées avec lesquelles vous jouiez étant enfant, une robe à froufrou, des chaussettes et un bonnet, le visage maquillé en blanc avec de grandes joues roses. Sa performance comme beaucoup des autres personnages traditionnels est très interactive puisqu’elle scrute la foule, accusant de nombreux hommes de ressembler à son enfant, réclamant qu’ils assument la paternité et lui donnent l’argent qui lui est dû, le tout sur son refrain caractéristique : « Où est l’argent pour le lait de l’enfant ? » Depuis quelques années la Baby Doll a été utilisée comme un instrument politique par l’activiste culturelle trinbigonienne2 Eintou Springer et l’artiste Michelle Isava entre autres, en dehors du Carnaval pour porter des messages spécifiques d’ores et déjà associés au personnage . La Baby Doll constitue conventionnellement un moyen d’aborder la maternité chez les adolescentes et la responsabilité des pères, et peut facilement toucher d’autres problématiques connexes comme l’allaitement au sein et les Droits de l’Enfant. Dans les joutes, les Baby Dolls ont tendance à utiliser les évènements politiques et sociaux actuels qui rendent leur discours pertinents, pleins d’esprit et parfois controversés. Cependant ceci n’a pas empêché les regards légèrement choqués et mal-à-l’aise que j’ai reçu 1 Le Pierrot Granade est le bouffon suprême du carnaval de Trinidad. Il est un «savant» qui se vante d’apprentissage en profondeur et se complaît dans l’affichage de sa grande connaissance. La crème de sa connaissance est d’epeler un mot quelque ca soit sa longeur, dans son style inimitable. “Et je ne peux pas dire un mensonge!” Est le refrain favori de Felix Edinborough, qui a joué et développé le personnage de Pierrot Grenade pendant les 34 dernières années. 2 Trinbigonienne est un terme utilisé pour designer une personne originaire des îles de Trinidad et Tabago, une république de deux îles. 14

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On peut aussi voir comment les différents personnages interagissent et imitent la réalité sociale d’une époque. Encore aujourd’hui les Baby Dolls cherchent des pères blancs pour leur bébés, une tradition qui vient de l’héritage des enfant bâtards que beaucoup de marins américains ont abandonnés après l’occupation de Trinidad par les ÉtatsUnis dans les années 40. Ces liens entre marins, femmes, prostitution, enfants abandonnés et autres ont été bien documentés par de nombreux calypsoniens de l’époque, y compris dans la célèbre chanson Jean and Dinah de Mighty Sparrow mais cela fut peint de manière plus poignante dans Brown skin girl de Mighty Terror, que Harry Belafonte a rendu mondialement populaire. La famille nucléaire telle qu’elle est enseignée et célébrée est un mythe qui a été perpétué aux Caraïbes, œuvrant contre la réalité d’une palette très diverses de structures familiales y compris les parents célibataires et les couples homosexuels. Il était important pour moi de montrer l’intersection de ces problématiques en dehors de la sphère

3 Citation tirée de: “Hill: 1972: Le carnaval de Trinidad: Mandat pour un Théâtre National”, Chap. 5 p. 40 4 Voir le texte entier: http://jouvayinstitute.blogspot.com/2012/12/ the-jouvay-popular-theatre-process-from.html 5 Jammet se réfère à une prostituée ou une femme de basse classe et de mauvais comportement Numéro 9, Juin 2014


intellectuelle ou privée d’une manière non conflictuelle et présentable à un public sous forme de spectacle. La façon dont les questions LGBT ont été construites dans les discours publics permet aux mêmes personnes de faire résonner leur rhétorique répétitive et usée tout en faisant taire les voix dissidentes. Quand on voit cela de près, avec le licenciement sans ménagement de l’ancienne Ministre du Genre, Verna St Rose Greaves, à cause son engagement sur la «controversée» question des Droits des homosexuel.le.s et de l’avortement, ça rend le modus operandi de notre gouvernement clair. Le personnage de Leslie est évidemment politique mais est aussi une tentative d’humaniser les problèmes qu’engendre la discrimination, et de montrer combien cela peut être blessant pour des relations construites autour de l’amour et de la famille.

Le Carnaval ne s’est jamais voulu une démonstration réaliste (l’hétérosexualité peut y être lue comme littérale) mais une parodie de ce que nous ne sommes pas. C’est pourquoi Dame Lorraine, à l’origine jouée par des hommes, reste notre première trace historique de cross-dressing.

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Monologue J’cherche Nick Vous n’savez pas qui est Nick? Nan pas Nicholas… Nikki L’avez pas vue? Pourquoi vous avez l’air si surpris ? Hey, c’est le 21e siècle Et vous tous pensez encore qu’une femme a besoin d‘un homme pour faire un enfant… Ça vous dérange pas que l’gouvernement nous complique les choses Et qu’les LGBT n’aient encore ni droits ni politique sur le genre Pendant que Kamla écrit des lettres en privé parlant d’en finir avec les discriminations et d’égalité Mais chhhhhhhhhut, dites pas que j’vous l’ai dit Parce que dès qu’elle reviendra dans la bataille de Trini elle nous culpabilisera! Alors on trouve nos propres moyens de faire des enfants Enfin bref, quelqu’un a vu Nikki Le bébé lui ressemble trop Mais pourquoi vous riez tous? Pourquoi le bébé pourrait pas lui r’ssembler? Vous pensez que seul l’ADN fait la famille Combien y a de femmes là qui essaient d’embrouiller des mecs en leur disant que l’bébé leur ressemble

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Regardez-moi ces yeux Et dites-moi que vous ne voyez pas Nikki (elle berce le bébé) Je pensais qu’on serait heureuses Moi et ta maman Elle m’a embobinée avec ses doux mots Comment elle allait faire de cette pièce une chambre pour le bébé gâtifiant chaque fois qu’elle voyait un nourrisson J’ai été trop stupide Et j’ai porté son enfant pour elle... Maintenant j’ai vraiment le stress Je ne peux pas aller au tribunal réclamer une pension alimentaire Aucune réparation Mais pourquoi elle m’a quitté Moi et notre petit bébé ? Je me demande si son beau-père l’a forcée Il m’a toujours détestée Il m’appelait et me menaçait Disant que je faisais honte à sa famille Qu’il m’enverrait la police… (rires)

… je crois que c’est ce con de Lerry Il lui a toujours promis qu’il l’épouserait Mais c’est pas elle qu’avait le ballon Alors pourquoi elle s’est inquiétée Numéro 9, Juin 2014


C’est moi qui était pieds nus et enceinte Comment elle a pu avoir peur J’dis pas que j’voulais pas un enfant J’suis toujours sa mère Mais j’aurais fait les choses autrement Si j’avais su comment ça finirait Mais c’est comme ça quand on vit cette vie, enfant ou pas Je veux pourtant les mêmes choses que n’importe quelle mère Trouver ma moitié et l’argent pour le lait de l’enfant Alors dites-moi, où est l’argent pour le lait de l’enfant? Où est l’argent pour le lait de l’enfant?

Ces cinq dernières années, Baby doll a été mon personnage de prédilection et je profite de l’occasion chaque année pour me réinventer ainsi que mon message. Malgré mon trac, la représentation a été bien accueillie par le public et les juges, et j’ai obtenu la troisième place.

En rouge (par ordre d’apparition):

Il y a de l’espace dans nos traditions pour contester la tradition parallèle, et à bien des égards paradoxale, du silence et de la honte autour de la sexualité et j’ai l’intention d’explorer pleinement ces possibilités d’une manière qui développe nos réminiscences et l’ampleur des souvenirs culturels et des méthodes de conservation.

Private letter: http://ttnewsflash.com/?p=14376

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Entou: http://www.youtube.com/watch?v=Z3paQrXSeHQ Michelle: http://www.youtube.com/watch?v=zk6vNvxzvB4 Wine: https://www.youtube.com/watch?v=dlc0QfBY7a4 Jean et Dinah: https://www.youtube.com/watch?v=CnvzMxGsXeE Brown Skin Girl: https://www.youtube.com/watch?v=B4No8NlbZfw

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Q&R

You are not Alone Un interview de Cases Rebelles, Photos de Ocean Morisset Photography et Sevelco Photography

En 2012 Antoine B. Craigwell produit le documentaire «You Are Not Alone», focus et cri d’alerte sur la détresse psychologique chez les hommes noirs gays. Autour de témoignages forts d’hommes en dépression ou ayant été en dépression, et d’interviews de spécialistes de la santé mentale, le film énonce une souffrance endurée en silence, invisibilisée dans les familles, dans les communautés gay, et l’engrenage qui peut conduire à des comportements à risque (drogues, sexualité non protégée) voire au suicide. Il y a urgence, dit le documentaire, à parler, briser les solitudes, à s’apporter de l’amour à soi et en partager avec les siens, à combattre l’homophobie et toutes les violences qu’elle provoque. Guyanien, vivant à présent à New York, journaliste, Antoine B. Craigwell est également président et CEO de l’organisation DBGM (Depressed Black Gay Men/ Hommes noirs gays en dépression) qui mène quotidiennement un travail essentiel de soutien et de prévention auprès d’hommes de tous âges et de leurs proches, et spécifiquement des mères. Voici l’interview d’un militant déterminé, dans laquelle il revient sur la genèse du projet « You Are Not Alone », les activités de DBGM et son activisme en lien avec le Guyana.

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Où es-tu né, où as-tu grandi?

 Je suis né à la Nouvelle-Amsterdam, dans le comté de Berbice au Guyana. Autrefois ça faisait partie des colonies Hollandaises. Et le pays où je suis né en est le lieu de l’une des plus célèbre révolte d’esclaves noirs, en 1763, menée par un esclave du nom de Kofi (Cufy). Selon les historiens, Kofi a renversé un grand nombre de plantations de propriétaires blancs, de propriétaires Hollandais. A ce moment-à, en 1763, le comté de Berbice avait été donné aux Britanniques. Donc, il a renversé un grand nombre de propriétaires de plantations blancs et a tenu un grand nombre de plantations ensemble qui ont survécu comme communes, comme une coopérative, comme les villages, plus de 2 ou 3 ans avant que les Britanniques aient pu envoyer des renforts. Et il a été trahi par un autre esclave, ce qui a permis aux Britanniques de capturer et de le tuer. C’est un peu de l’histoire du comté où je suis né.

Je suis venu aux États-Unis à l’âge adulte. J’ai vécu la plupart de ma vie au Guyana.

Comment t’es venue l’idée du film?

 A l’ origine je suis journaliste, c’est ma spécialité; mais j’en suis venue à l’idée de faire un livre sur les hommes gays noirs dépressifs après avoir entendu des récits d’autres hommes gays noirs à propos d’où ils en étaient dans leur vie et comment ils se sentaient dans une impasse et incapables d’avancer - sans trop savoir pourquoi ils ne pouvaient pas aller de l’avant avec leur vie. Après avoir entendu ces histoires et avoir fait quelques recherches en psychologie - parce que j’ai un double diplôme en journalisme et en psychologie - j’ai réalisé qu’au-delà des apparences beaucoup de ces hommes faisaient en réalité à la dépression. Et quand j’ai commencé à enquêter et poser des questions, certains d’entre eux savaient qu’ils étaient en dépression et avaient été voir des thérapeutes, d’autres savaient qu’ils avaient été en dépression et avaient vu des thérapeutes mais n’en voyaient plus, et d’autres encore n’étaient pas conscients du fait d’être en dépression alors que leurs comportements, leurs attitudes, leurs actions le reflétaient. Donc j’ai commencé à faire un livre, pour lequel j’essaie encore de trouver un éditeur - ou un agent pour m’aider à trouver un éditeur - et j’ai interviewé 40 hommes gays noirs aux Etats-Unis, dans les Caraïbes et en Afrique, et des professionnels de la santé mentale, et des chefs religieux comprenant des chrétiens et des musulmans. Et parce que je ne pouvais pas trouver un éditeur j’ai décidé que, puisque les gens sont plus sensibles aux images, que je devrais faire un documentaire. J’ai donc demandé à certains des gars que j’ai interviewés pour le livre s’ils seraient prêts à s’asseoir en face d’une caméra et à raconter 

leurs histoires, ils ont dit, «Oui, certainement ». Nous avons donc décidé de filmer beaucoup d’entrevues, puis nous avons embauché un réalisateur qui a écrit un script basé sur les 20

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Nous pensons toujours que nous sommes les seuls sur terre à vivre ça, à traverser ça et on se dit toujours que personne ne peut comprendre ce par quoi nous passons, mais en réalité nous découvrirons si nous en parlons c’est que beaucoup de gens autour de nous ont vécu des choses similaires, et c’est ce le film cherche à montrer. interviews, et il s’est occupé du casting et les décors et de toutes les sortes de choses, et nous avons reconstitué certaines des histoires qui ont été racontées dans les interviews.

Il faut revenir en arrière et regarder les facteurs psycho-sociaux ou socio-économiques ou socio-culturels sous-jacents dans la vie d’une personne pour comprendre ce qui se passe, ce qui a contribué à leur descente dans la dépression. Et la dépression n’est qu’à deux pas du suicide. Donc l’objectif ultime est de prévenir à tout prix le suicide chez les gays noirs. Du livre au moins cinq thèmes ont émergé: l’un était l’identité sexuelle et l’orientation sexuelle et le genre; ensuite la violence sexuelle et le traumatisme; le troisième était le VIH et la lutte contre le VIH; le quatrième était l’effet que la religion peut avoir sur la sexualité d’une personne, ainsi que l’homophobie et l’intolérance causé par la religion et qui pousse quelqu’un à la dépression; et cinquièmement ce que c’était que pour quelqu’un qui vieillit, confronté aux jeunes et à une société focalisée sur la jeunesse, et qui fait face la solitude et à l’abandon et aux questions de santé et de réduction des revenus, à un réseau social réduit ainsi qu’à un possible isolement familial. Numéro 9, Juin 2014


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Un point important est que le film parle de et s’adresse à différentes générations...

 Nous parlons toujours de la génération suivante, depuis des temps immémoriaux on regarde la génération suivante comme des gens qui ne savent rien, et en fin de compte les générations avant nous pensaient probablement la même chose de nous, et le pensent probablement toujours. Ce qui est important je pense pour la jeune génération à comprendre est que s’ils vivent longtemps ce sont certaines des questions auxquelles ils seront confrontés à mesure qu’ils vieilliront, et pour ceux qui ne sont pas aussi vieux, ce sont aussi quelques questions qui viendront vite et aux quelles ils auront à faire face, à répondre. Notre message vraiment pour la jeune génération est simple : si vous sentez que vous traversez certains problèmes et vous avez des problèmes auxquels vous à faire face, ne pas les garder pour vous, parlez-en à quelqu’un, trouvez quelqu’un en qui vous avez confiance et parler lui, parce que une personne plus jeune peut se rendre compte qu’elle n’est pas seule, qu’elle n’est pas la seule personne qui connaît cela. Nous pensons toujours que nous sommes les seuls sur terre à vivre ça, à traverser ça et on se dit toujours que personne ne peut comprendre ce par quoi nous passons, mais en réalité nous découvrirons si nous en parlons c’est que beaucoup de gens autour de nous ont vécu des choses similaires, et c’est ce le film cherche à montrer.

Comment les hommes interrogés ont reçu le film?

 Ils étaient tous très heureux, ils étaient contents de la manière dont ça s’est fait, ils se sont sentis très fiers lors de la première en novembre 2013 ici à New York à l’occasion d’un gala de mon organisation.
Un des gars que vous avez vu est mort avant que le film ait pu être terminé, il est mort en juin 2011, il a été interviewé à peu près en janvier 2011 et il est mort en juin, alors il n’a pas eu la chance de voir le film.

mères, afin qu’elles puissent surmonter ça et rassembler leur famille à nouveau; et qu’elles soient en mesure de toucher d’autres mères qui peuvent avoir des fils gays mais ne les acceptent pas.

Quels sont vos liens avec des organisations des Caraïbes?

 Je suis connecté à SASOD qui est une organisation LGBT au Guyana. Le film a été projeté dans le cadre du festival du film de SASOD à Georgetown en juin dernier et en août il a fait partie d’un ensemble de films que le gouvernement du Guyana a soumis à Carifest qui s’est tenu au Surinam. Carifest est un festival des arts des Caraïbes.
Je suis connecté à un certain nombre de différentes organisations des Caraïbes ici aux États-Unis; juste vendredi soir dernier, avec l’Alliance des Caraïbes égalité, qui est une organisation à Philadelphie, nous avons eu une projection du documentaire.

Comment le film a été reçu en Guyane?

 Il a été très bien reçu. J’étais sur Skype pour le débat à la projection et il y avait un certain nombre de personnes qui y ont assisté – un évêque catholique de Georgetown a également assisté à la projection et vu le film. Et après le film alors que je skypais, je pouvais entendre ce qu’il disait et ses réponses aux questions du public, et après le débat lui et moi avons eu une conversation via Skype, et je lui ai demandé pourquoi il pris la peine de venir le voir, de participer à cela, et il a dit qu’en tant que nouvel évêque à Georgetown, il estimait qu’il était nécessaire de comprendre les différentes dynamiques, les différents groupes qui existent et qu’il voulait comprendre ce qu’il en est pour la communauté gay noire, ou la communauté LGBT au Guyana. Et donc il a eu l’occasion d’accepter l’invitation à faire partie des spectateurs à la projection du film au Guyana, de voir le film et d’en discuter, et je pense que c’était peut-être un important un pas en avant.

Quelle est l’histoire de DBGM?
 DBGM a été fondé dans le prolongement du travail de sensibilisation à la dépression chez les hommes noirs, ça faisait partie du processus. Pour ce qui est de cette année l’organisation est sur le point de lancer deux nouveaux programmes ici à New York: l’un est un groupe de soutien pour les mères dont les fils se sont suicidés, et l’autre est un groupe de soutien pour les jeunes hommes homosexuels noirs que leur mères n’ont pas acceptés tels qu’ils sont. L’ une des choses que nous avons découvert, non seulement pendant la recherche pour le documentaire ou pour le livre ou les interviews, c’est que nos mères sont un catalyseur, nos mères sont celles qui nous aident, qui aident nos hommes à former leur masculinité et plus important de leur identité sexuelle. Donc nous nous concentrons maintenant sur les mères. À les aider à se remettre, de sorte qu’elles ne sentent pas qu’elles doivent être blâmées, pas digne d’être 22

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Anthurium verts, Tableau de Gladys Bedminster

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Tableau et Poème

Aube Nouvelle Tableau et poème de Gladys Bedminster J’aime la courbe de tes hanches L’eau de ta bouche Et la chaleur de tes mains J’aime quand tu cries encore Tu ne veux pas que je dise j’adore De tes seins je connais tout De tes reins je ne connais que le mouvement Tu me dis reste ici Je te réponds viens par ici J’aime tes yeux et leur ovale splendeur La finesse de tes mains Le velours de ta peau J’aimerais te boire jusqu’à la lie Ce soir je t’aime Plus que jamais.

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Interview

Festival “Painting the Spectrum” Un évènement culturel de référence de l’organisation SASOD (Society Against Sexual Orientation Discrimination) Extrait d’une conversation avec les Co-présidentEs de SASOD, Joel Simpson et Ulelli Verbeke Photos de Ulelli Verbeke

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J

oel Simpson: En 2003, le Parlement du Guyana

débattait le fait d’inclure ou de ne pas inclure l’orientation sexuelle comme motif de discrimination dans notre Constitution. Avec un groupe d’étudiants partageant les mêmes idées nous avons décidé de former le groupe de pression étudiant pour plaider en faveur de l’adoption de cet amendement. Parce que cela signifiait qu’il y aurait une protection juridique en vertu de la Constitution pour les personnes homosexuelles et bisexuelles. Nous n’avons pas réussi à obtenir que l’amendement soit adopté, simplement parce qu’il n’y a pas eu de vote du Parlement quand l’amendement a été mis au débat. Ils l’ont tout simplement mis à l’écart en quelque sorte. Nous avons décidé que nous allions poursuivre nos efforts pour la défense des personnes LGBT au Guyana et en particulier leur protection juridique.

nous fêtions le 10e anniversaire de SASOD. En plus du Festival du film nous avons eu une exposition photographique, le lancement d’un documentaire et nous avons eu Nhojj. Nous avons fait une fête au Sidewalk Café.

J’ai commencé SASOD quand j’étais étudiant en deuxième année ; mais en 2004 j’ai obtenu mon diplôme et quelques-unes des personnes impliquées au départ, et qui le sont toujours aujourd’hui ont été également diplômées cette même année 2004-2005. Donc, nous n’étions plus étudiants, mais on militait encore sous la bannière SASOD, et donc a décidé de passer de Etudiant (Student) contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle à la Société (Society) contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle (SASOD). Notre but initial était la mobilisation communautaire, amener les gens à se visibiliser et se prononcer sur les droits des LGBT au Guyana , à contester la stigmatisation en quelque sorte. Donc, nous avons fait beaucoup de groupes de soutien mensuels juste pour permettre aux personnes d’échanger les unEs avec les autres de manière détendue – en tant que homosexuelLEs, amiEs et alliéEs des personnes gays. Après cela, nous avons décidé que nous voulions nous attaquer à l’éducation du public. Donc, en 2005, nous avons voulu accueillir le premier Festival cinématographique LGBT des Caraïbes et en Octobre de cette année-là, nous avons présenté la première édition du festival Painting The Spectrum ici à Georgetown. . Ce festival est notre événement de référence dans le calendrier et il se passe chaque été – c’est devenu un point de repère à un tel point que SASOD arrive à ses 11 ans et le Festival arrive à ses 10 ans. Notre premier lieu pour le festival était un endroit appelé Sidewalk Café , à Georgetown . Chaque mois de Juin depuis les 9 dernières années, nous organisons le Festival avec des projections trois fois par semaine; parfois deux fois par semaine , ça dépend de combien on peut se permettre. Au Festival, ce que nous aimons c’est avoir des événements spéciaux après les films de manière à ce que les gens aient l’occasion d’échanger, et ça nous éclaire sur la manière dont les gens réfléchissent. Nous menons des discussions, on leur demande comment ils ont apprécié la projection. Parfois, les participants partage des histoires personnelles. L’année dernière, nous avons eu le réalisateur du documentaire, YANA . C’était une grande année pour nous, car 28

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U

lelli Verbeke: En ce qui concerne la

sélection des films, nous lisons des avis et nous examinons aussi des films nous-mêmes, nous essayons de projeter des documentaires, des films grand public, des films à petit budget ... il est difficile d’obtenir des films, mais nous faisons de notre mieux. Avant de projeter les films, nous les examinons toujours ou on demande aux gens de les voir, ou on leur demande des conseils, ce qu’ils aimeraient voir. L’atmosphère au Festival a changé ; au début il y avait beaucoup de curiosité, les gens venaient, incertains - ou ils venaient, mais ne le disaient pas à leurs amis qu’ils venaient ou ils n’amenaient pas leurs amis – par peur du ridicule. À une époque, nous avions des spectateurs de la communauté chrétienne qui assistaient au Festival et essayaient de faire passer le message que c’était mauvais. Maintenant, c’est plus récréatif, plus festif. Il y a de plus en plus de jeunes qui se montrent. Je ne sais pas ce que ça va donner cette année. Nous ne savons pas encore où nous allons accueillir le Festival ; ces 9 dernières années, c’était au Sidewalk Café mais ça pourrait ne pas être disponible cette année parce que leur situation a changé. Nous essayons de trouver un lieu agréable parce que cette année c’est le 10ème anniversaire. Cette année, le projet c’est de mener le Festival hors de la ville, à Barbosa.

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Tableaux de Gladys Bedminster

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Tableau & Poèmes

L’ovale splendeur Tableaux et poèmes de Gladys Bedminster J’ai voulu explorer dans « L’Ovale splendeur », publié en 2013, une autre dimension de la féminité. C’est l’œuvre singulière de ma bibliographie. C’est aussi l’expression de moments rares et heureux. Ces thématiques sont certes assez classiques mais se retrouvent aussi dans d’autres œuvres d’un genre différent. La quête et la compréhension de l’autre restent le socle de toutes relations. Quant à la blessure, elle vient de très loin, probablement l’enfance.

Deux Mains Il est des mains qui ne savent ni aimer ni caresser Perdues dans le labyrinthe des hésitations, des « comment fait-on ? » Ces mains ne savent pas donner Et reçoivent, sourire gêné, merci étouffé Ce sont des mains qui restent froides Même quand la passion les frappe Elles la regardent penauds, gauches, ballants Inutiles à côté de leurs corps amputés En ouvrant les yeux on réalise Qu’il s’agit d’ailes d’oiseaux mazoutés Englués dans des pourquoi Dégoulinant d’envies avortées Si j’ai caressé ton visage et ton corps C’est parce que la vie n’a jamais quitté les miennes Je comprends maintenant qu’il est trop tard Tes mains ont depuis longtemps trépassé.

Un hibiscus Un hibiscus doré habite mon âme C’est la Guadeloupe sous le charme D’une petite princesse sans souliers Qui n’a jamais cessé de scintiller

Notre amour Notre amour était un miroir fugace Il s’en est allé dans la glace

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Q&R

Juste Kiffer son moment De la Martinique à Paris un entretien musical avec Oze’N De Cases Rebelles Photos de GPhotography

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P

eux-tu te présenter et nous raconter comment tu es venue à la musique?

Je suis auteure compositeure interprète. Je suis assez introvertie et ça m’a permis de mettre sur papier ce que je ressens, ma vie, mes relations à tous les niveaux. C’est quelque chose d’inné je pense – je n’ai pas cherché non plus à faire de la musique. C’est des potes qui m’ont offert un petit carnet. Ça a commencé comme ça, j’ai commencé à écrire et puis au fur et à mesure ce carnet se remplit. Et puis en 2012 je suis revenue en France j’ai rencontré des personnes qui m’ont donné l’opportunité de faire de la scène. Et depuis 2 ans j’en fais souvent puisque c’est un style qui n’aurait pas marché je pense en Martinique. Je fais ce qu’on appelle de la “Musique du monde” pour ne pas se catégoriser quand on ne veut pas rentrer dans un style. J’essaie de toucher un peu à tout, les influences dont je tire l’inspiration font que je ne peux pas me mettre dans une case. J’évolue plus sur la scène indépendante et j’ai envie d’y rester parce que je trouve qu’on est plus libres. Je préfère faire de la musique pour faire de la musique, pour l’expression et puis je trouve que ça a plus de valeur que les préfabriqués qui se vendent par millier.

Quelles sont tes influences musicales et est-ce que la musique caribéenne en fait partie? Ça dépend des morceaux. Tu parles d’influences caribéennes mais je ne me suis pas trop arrêtée à ça. J’estime qu’on n’a pas vraiment d’ancrage aux Antilles en tant que noirs parce qu’on n’est pas antillais. Les antillais c’est les Arawaks. Nous on a été importés d’Afrique. Certes, il y a une identité culturelle antillaise qui s’est faite mais je pense que notre identité réelle c’est la culture afro en ellemême, africaine qui a aussi créé une culture en Amérique par l’esclavage. J’ai plutôt été vers cette culture afro-américaine là qui pour moi était plus proche des racines il me semble. J’ai été plus vers cette culture en écoutant de la soul, blues, jazz. Moi je tire plus ma culture musicale de là. Et c’était dur d’imposer ça avec les autres jeunes qui étaient plus dans le dancehall. On m’a reproché, on m’a dit “ah mais t’es antillaise mais pourquoi tu fais pas du zouk”. Ben non ça coule pas de source. C’est pas parce que je suis antillaise que je vais faire du zouk ou de la dancehall c’est pas non plus parce que j’ai des dreads que je vais faire que du reggae. J’ai essayé de me sortir des préjugés et puis je fais en sorte de ne pas écouter ce qu’on me donne comme directions. Je cultive mes influences comme ça. Donc j’écoutais Tracy Chapman; Annie Di Franco c’est une artiste qui m’a beaucoup, beaucoup touché – j’écoute toujours ses sons et sa façon de composer est magnifique. Je ne sais même pas comment exprimer ça! Si je la rencontrais un jour pour moi ca serait le must dans ma vie je crois. Y’a aussi Salif Keita, Bobby Womack. J’écoute aussi des artistes 34

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récents comme Irma, Asha. Après au niveau des styles musicaux je reste pas cloitrée ; j’écoute aussi étonnamment du Dub comme Skrillex c’est un peu de la folie dans le son et j’aime beaucoup mettre un peu de folie dans mes sons – des fois il y a du funk, du ragga, du reggae dedans. Ça fait une belle cohésion. J’écoute aussi des sons caribéens mais plus old school pas des trucs récents. Dans ma famille on écoutait quand j’étais petite des trucs comme Teri Moise, Tracy Chapman, Francis Cabrel, de la musique classique aussi.

Tu parlais d’Ani Di Franco qui a pu faire parfois des morceaux plus poésie, plus spoken word, est-ce quelque chose qui te parle? Le slam oui c’est quelque chose qui m’intéresse. J’en ai fait un petit peu et j’avais déjà écrit quelques textes. J’ai participé à un atelier slam pendant une petite période de façon assez régulière et c’est vrai que quand j’écris j’ai tendance à faire très attention aux rimes. Même en anglais j’essaie de faire des rimes, de faire des choses qui sont assez imagées. Je trouve que la compréhension par l’image c’est plus beau déjà que dire les choses juste telles qu’elles sont. Passer par l’image ca permet de prendre la mesure de ce qui est dit. Mais quand j’écris j’arrive pas à me dire “bon ben viens j’écris une chanson”. Soit ça vient naturellement, soit ça vient pas. J’aime pas forcer. Pour moi faut que ce soit naturel. J’aime bien les choses simples “ça devait se passer comme ça donc ça se passe comme ça” point barre et pas rentrer dans des calculs sinon c’est plus un plaisir, ni une nécessité.

Tu chantes en anglais et en français, dans quelle langue te sens-tu le plus à l’aise? En anglais parce que j’écoute plus de chansons anglophones et puis je trouve qu’il y a une certaine musicalité dans cette langue. Et puis c’est une sorte de protection de chanter dans une autre langue que la sienne parce que du coup on se dit “ les gens vont moins comprendre ce que je raconte”. Parce que c’est un petit peu un livre ouvert, en chantant en français parfois on a l’impression de se dévoiler un peu trop, un peu trop vite. Chanter en anglais ça permet de me cacher encore un petit peu : c’est ma dernière petite barrière. C’est un truc qu’on me reproche parfois vu que je chante plus sur les scènes en France. Les gens me disent “Ouais mais on comprend pas trop souvent ce que tu dis”. Donc ce serait peut-être mieux d’écrire en français mais pour moi c’est pas naturel. Je suis francophone mais je préfère chanter an anglais.

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Ben non ça coule pas de source. C’est pas parce que je suis antillaise que je vais faire du zouk ou de la dancehall c’est pas non plus parce que j’ai des dreads que je vais faire que du reggae.

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On t’a découverte sur scène hier. Tu passais en premier, t’étais seule et le public était en retrait et très vite on a l’impression que tu as rompu la distance. Tu avais l’air très à l’aise malgré ton caractère introverti. J’ai peut-être l’air à l’aise sur scène mais en même temps je me sens assez mal à l’aise. Je ne sais pas trop comment les gens perçoivent ce que je chante ou ce que j’essaie d’exprimer. Et puis quand j’ai fini ma chanson y’a toujours un petit silence j’ai l’impression, “c’est fini les gars j’ai fini là”(Rires). Alors je sais pas trop comment le prendre positivement ou négativement je sais pas trop. Ce moment où il y a un silence je me dis peut-être qu’ils sont dans le même silence où moi j’étais quand j’écrivais la chanson et en même temps des fois je me dis: “Ils ont peut-être rien compris” (Rires). Alors je fais quoi? J’explique? C’est toujours un problème pour moi d’essayer d’expliquer. J’ai un problème avec les mots sauf dans les chansons où j’arrive à trouver les bons. Mais exprimer ce que je voulais dire dans cette chanson parfois c’est compliqué. Et hier y’a un mec qui est venu me voir après que j’aie chanté. Il me disait qu’il s’est senti transporté comme tu le disais et c’est là qu’est la thérapie: pouvoir comprendre qu’il y a des gens qui arrivent à partir avec moi sur une chanson. C’est ça qui est bien: ne pas se sentir seule dans son délire des fois. C’est ça qui est intéressant et qui est beau. Je trouve qu’écouter de la musique pour juste écouter la musique et juste kiffer son moment et se sentir transporter c’est la base, c’est de la transmission, de l’émotion, de l’histoire, des vérités, des engagements pour moi c’est ça.

Le futur c’est quoi? Le futur pour moi c’est de jouer un max, de pouvoir enregistrer un petit EP, que des choses soient posées. C’est sympa de poser des choses en studio ça permet de se libérer l’esprit. Ça fait deux ans que je fais un peu de scène donc là je vais faire en sorte de jouer plus pour pouvoir rencontrer des gens. Donc là j’ai déjà un bassiste. C’est la complexité de trouver des musiciens avec qui on s’entend tout de suite ou qui sont dans la même philosophie, qui rentrent dans l’esprit des sons. Et puis qui sont aussi ouverts sur le sujet de la sexualité. Parce que y’en a qui font semblant de pas trop comprendre que t’es homo. 37

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Parce que c’est un petit peu un livre ouvert, en chantant en français parfois on a l’impression de se dévoiler un peu trop, un peu trop vite. Chanter en anglais ça permet de me cacher encore un petit peu : c’est ma dernière petite barrière. Une fois qu’il ont compris oulala ils te le disent pas tout de suite mais ils te mettent des bâtons dans les roues pour dire “non j’suis pas disponible pour répéter”, “ah ben non on va faire comme ça” et puis bon a la fin “tu me payes parce que tu te rends compte j’savais pas que t’étais homo” genre “tu m’as choquée”. Des fois tu tombes sur des gens qui sont ok mais derrière y’a pas les compétences ou l’inspiration. J’suis pas non plus dans un éternel combat de faire “accepter, tolérer, respecter”. Je suis juste telle que je suis tout comme d’autres personnes hétéros ou d’autres orientations sexuelles mais je fais de la musique. Et le fait que je sois homosexuelle, pourquoi c’est gros? Parce qu’on est dans une société où quand t’as cette différence- là forcément c’est ultra marqué alors que c’est rien du tout. En tant qu’artiste il faut savoir se placer quelque part pour être regardée juste en tant qu’artiste et pas en tant qu’artiste homosexuelle.

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Sliding Puzzle-piece Artwork

Theme: Abstracted Female Love Scenes for more, visit Art by Kawira Mwirichia http://kawiramwirichia.wordpress.com 38

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Poème

Je ne saurai jamais pourquoi De Résilience Je ne saurai jamais pourquoi Mes lèvres accrochées à tes poignets Mes nuits longues et insomniaques sans toi Mes mains caressant ta poitrine et s’imprégnant des battements de ton coeur Je ne saurai jamais... Non Une idéaliste peut être Des verres roses sur le nez Non Je ne saurai jamais Pourquoi j’ai pleuré Quand je vous ai vues Vos gémissements détruisant le silence de la nuit Ces mains sur la poitrine qui était mienne Ces lèvres sur les poignets que j’idolâtrais Ces nuits longues insomniaques sans toi Je ne saurai jamais Pourquoi moi.

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Photographie

PRISCILA et CAMILA PORTRAIT D’AMOUR INTIME Texte et Photos De Ulelli Verbeke

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Camila est la fille de Priscila – nous étions quelque part au bord de l’eau, c’était le dernier jour de notre séjour au Brésil quand j’ai pris ces photos d’elles.

C’est le dernier jour où Camila verra sa mère avant notre retour au Guyana. Je me suis toujours sentie privilégiée de pouvoir les prendre en photos – il y a une belle alchimie entre elles.

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Histoire courte

Brièveté Eternelle “Ces soirs de zouk l’attention portée à la tenue est maximale. Il faut être au top niveau de l’élégance. Classes. Et originaux aussi.” Dédié à Résilience, Sony et Joao De Moun Difè, photos de Bawa

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V

ille de B. Guadeloupe. 1986. J’ai 13 ans et je passe des vacances incroyables. Incroyablement riches. Incroyablement violentes. C’est l’adolescence et ma tête explose. Ce soir, la nuit est dense et pleine d’étoiles. Les grillons escortent de leur vie nos pas surexcités. Les blagues fusent. Les cris.

Circulent aussi des rumeurs homophobes qui associent invariablement homosexualité et harcèlement par les patrons blancs. J’écoute. J’y crois.

Ce soir nous allons en zouk avec mes cousins, cousines et d’autres amiEs. Ce sont les grandes années Kassav. Je voue comme un de mes cousins une grande passion à Patrick St Eloi pour sa façon de chanter l’amour avec sa voix oscillant entre sensualité, force et fragilité.

*** L’homosexualité j’en ai entendu parler il y a longtemps et très clairement. Par mon père.

Je vis des vacances d’une intensité de montagnes russes. Il y a de cela quelques temps je me suis terré pendant une semaine dans la chambre de la maison de famille où je dors. Une fille plus âgée que moi m’avait embrassé sans me demander, devant plein de témoins ; c’était mon premier baiser. J’étais choqué. Blessé. Ce soir, je crois de nouveau aux folles réinventions de ces vacances. Je porte en moi la fièvre d’espérance des Zouks: rencontrer l’amour. Flirter. Mais à ma vitesse. Ces soirs de zouk l’attention portée à la tenue est maximale. Il faut être au top niveau de l’élégance. Classes. Et originaux aussi. On passe un temps incalculable à faire des essayages et à repasser la tenue d’élection. Ce soir mon cousin Sony est maquillé. Très maquillé. Alors que nous remontons le boulevard où trône la maison familiale je lui demande pourquoi. J’insiste. Lourdement. Je suis celui qui insiste le plus. Il me répond à moitié par provocation qu’il est une «crème» et « qu’il y a aucun problème dans ça». Une «crème» c’est ou c’était une des façons péjoratives de dire homosexuel en Guadeloupe. J’insiste. Je ris bêtement. J’aime mon cousin Sony. Mais cette nuit Sony me dérange. Je suis aussi dérangé parce que tout le monde a l’air relativement indifférent; comme si c’était une possibilité parmi d’autres. Comme si c’était sans importance alors que je suis terriblement perturbé. Mais chacunE est concentréE sur ses urgences de la soirée: les enjeux cruciaux des soirées adolescentes remplies de désirs, d’espoirs, de complexes et de sentiments d’immortalité.

Paradoxalement c’est là que va se faire la première sortie en boite de ma vie. Dans une discothèque gay en Guadeloupe.

Mon père est blanc, français né en France. C’est là que mes parents se sont rencontrés. Très tôt, il nous a dit, à mon frère et moi, que s’il avait un fils homosexuel il le tuerait. C’est comme cela que je découvre l’homosexualité. C’était comme si c’était une maladie qui pouvait me tomber dessus. Et mon père me tuerait dans ce cas là. C’était terrifiant. Mon père n’était pas souvent là, chez nous, en France, où j’ai grandi. Et après, il n’était plus là du tout. Nous avons, mon frère et moi, été élevés par une mère noire, caribéenne, très croyante, qui avait passé les 20 premières années de sa vie en Guadeloupe. Je passais beaucoup de temps avec elle. On faisait du sport, les courses. On parlait beaucoup. De l’amour, l’amitié, la vie. On faisait le ménage, le repassage ensemble. Mais mon activité préférée avec elle c’était d’aller vadrouiller dans les magasins de fringues pas chères. Elle essayait plein de choses, elle me demandait mon avis. Le plus souvent c’était les samedis après-midi. Et sans doute - c’est ce que je me dis aujourd’hui - à travers les nouveaux vêtements nous courions après une nouvelle vie. Et puis on aimait les vêtements, la couture, la mode dans la famille. Ma grand-mère de Guadeloupe cousait. Ma mère cousait. Même mon frère bricolait des trucs incroyables à l’aiguille. Moi-même si j’étais fasciné par la mode, je ne me sentais pas assez rigoureux pour envisager autre chose que de soigner les assortiments de style, observer, bref devenir un expert du regard, aussi inutile que cela puisse être.

Ce même été je vais pour la première fois en discothèque.

Très vite, après la mort prématurée de ma mère, je me suis trouvé beaucoup d’amies avec qui aller faire les magasins pour femmes. Avant de découvrir ou de comprendre, bien plus tard, que je mourrais d’envie d’acheter ce qui était là, pour moi-même.

Elle se trouve sur la plage et se nomme Mandinka Paradise: elle est réputée gay. Propriétaires. Personnel. Public.

*** Les jeux avec mon père, quand il était encore là, c’était la

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violence, des bagarres épiques qui se terminaient souvent mal.

Ma mère après mon père a continué de sortir avec des hommes blancs.

Mon père faisait des commentaires sur l’éducation que ma mère me donnait. Il traquait les signes de « féminisation », d’homosexualité.

Et mon père s’est trouvé une femme qui lui ressemblait: stupide, blanche, raciste sexiste et homophobe.

Il jouait à féminiser mon prénom dès qu’une de mes attitudes manquait de virilité. Ou juste comme ça gratuitement. Un jour il avait demandé à mon frère de 11 ans s’il voulait « changer de bord » parce que ma mère avait accepté de lui acheter un pantalon violet. Je me souviens d’un dimanche où il n’était plus là. J’avais passé une bonne partie de la soirée à porter une robe tunique antillaise de ma mère. J’adorais cette robe. Et la porter me donnait, je trouve, un côté africain et majestueux. J’aimais certaines de ses affaires. D’autres, je les trouvais trop vieillottes. Trop occidentales. Et parfois dans tout mon inconfort racial de l’époque je pouvais trouver que ça faisait trop « migrante », trop décalée.

Souvent seul, j’allais dans sa chambre, j’ouvrais son placard et je regardais. Je cherchais ce que je pourrais mettre sans risquer de trahir le genre qui m’était assigné. Je repartais bredouille, perplexe. *** 47

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Une amie blanche bisexuelle de ma mère m’a raconté qu’un soir dans une boite de nuit perdue de la campagne française elles ont joué à être un couple toute la soirée: c’était la fin des années 80. Le but c’était d’indisposer encore plus les habituéEs blancHEs déjà considérablement dérangées par la belle femme noire présente dans la discothèque. Peut-être que cette nuit-là ça a aussi permis de mettre le reste du monde à distance de leur bulle et de l’affection particulière qui les unissait. Elles voulaient un lieu pour danser et les hasards géographiques les avait menées là, dans ce coin de rednecks. *** Je pense que je suis attiré par les hommes depuis très longtemps. Par mes camarades blancs c’était évident. Mais j’ai grandi dans l’ambiance effroyablement raciste des coins paumés de France : être plus concrètement attiré par eux ça aurait été incorrigiblement masochiste. Les hommes noirs c’est plus compliqué puisqu’ils étaient très rares là où j’ai grandi. Très tôt j’ai été obsédé par les hommes noirs. J’en cherchais partout du regard. A la télé. Dans la rue. J’étais fasciné par leurs corps, etc. Numéro 9, Juin 2014


C’était une quête de modèles. C’est certain. D’oxygène de Ma vieille tante antillaise qui vit en banlieue parisienne, négritude dans ce monde blanc et hostile. malgré une vieille fondation homo/transphobe fait de la propagande pro-homo et trans, en répétant sans cesse que Et du désir; j’ai mis longtemps, très longtemps à me l’avouer. le principal est d’être bien avec soi-même. Qui m’impose, quand je passe du temps chez elle, des reality shows pourris Et puis quand en ville j’ai commencé à fréquenter beau- remplis de coming out larmoyants. coup plus de noirs, c’était dans des ambiances bien viriles et hétéro, hormis l’habituelle dose homéopathique et Ma cousine lesbienne qui vit en Guadeloupe. Que j’adore. acceptable d’homosociabilité. Qui fait aussi que - même si je le voulais- je ne pourrais pas ignorer le lesbophobie et l’homophobie là-bas. Elle qui J’ai toujours eu une vie amoureuse d’homme hétéro et c’est entend mes troubles, mes questions me dit qu’elle s’est soutoujours le cas aujourd’hui. vent dit que j’étais gay. Elle me dit aussi que si je décidais de transitionner je pourrais la rejoindre dans le camp des J’ai appris après beaucoup de larmes et de déni à accepter « isolés » de notre famille caribéenne. Elle le dit en riant. mon désir pour les hommes. À aimer ce désir. En le désirant aussi. Mais je sais aussi qu’elle souffre de cet isolement. Pour le reste… *** J’ai une pratique de « cross-dressing » régulière et ce n’est pas J’ai une famille blanche ici aussi. Même une demi-sœur. par jeu ou divertissement. Ça se transforme très régulièrement en obsession de transition. Puis en désespoir d’être Des gens à qui il ne me viendrait absolument pas du tout à déjà si vieux. Et en décou-ragement face au temps qu’il m’a l’idée de dire à quel point je ne me sens pas à l’aise dans les déjà fallu pour accepter d’être à moitié-blanc. cases homme, hétéro. J’ai grandi en France. Elevé par une femme noire caribéenne qui a payé cher l’illusion que le patriarcat blanc français serait préférable au patriarcat antillais.

Quant aux milieux LGBT blancs que j’ai pu fréquenter ici, je les ai fuis en larmes : estomaqué par le racisme et l’exotisation.

Mon épanouissement affectif, corporel a été saboté entre L’environnement de soutien, cette place au trouble du genre autres par les injonctions de race et de genre de mon père. et de sexualité, m’est venue des Antilles ou d’autres noirEs. BLANC. FRANÇAIS. Et de la société blanche où j’ai grandi. Les menaces de mort homophobes, les injonctions J’ai été longtemps homophobe, trop longtemps pour ma propre santé mentale. Et je suis sans doute encore trop transphobe pour mon propre bien. Dans les débats, sur les réseaux sociaux, dans des conférences, je dois encore écouter des personnes, noires parfois, «disserter» sur l’homophobie des noirs, le sexisme de noirs, des antillais, etc. *** Que vaut mon expérience? Mon cousin. Mon frère. Qui a eu la même éducation que moi et accepte sans jugement que je m’habille en femme, sans savoir jusqu’où j’irai. Qui me parle librement de son attirance pour d’autres hommes. 48

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sexistes ça vient de mon père, de cette famille blanche. J’ai fait une grande partie de ma scolarité dans des établissements blancs où racisme et homophobie violente allaient de pair. J’ai vu mon frère aller menacer un garçon d’au moins 4 ans plus vieux que moi parce qu’il m’avait appelé Blanche-neige. Mon manque de virilité, mon absence d’intérêt pour Numéro 9, Juin 2014


beaucoup d’activités masculines étaient compensées par la virilité que les blancs racistes projetaient sur moi. J’étais un des rares noirs de l’école ; c’était pas trop dur de maintenir un petit niveau de street credibility… *** Je connais pas mal la Guadeloupe. J’y suis allé très régulièrement depuis enfant. Mais je ne prétends pas connaître le niveau d’homophobie là-bas. Je ne peux en nier la réalité, ni la quantifier. (Mais on me demande rarement ou jamais si je trouve les blancHEs de France homophobes). Ce dont je peux parler c’est du micro-exemple de ma famille ici, en diaspora.

Libre.

*** Il est en 86 dans la nuit dense et chaude de la Guadeloupe. Il n’en finit plus de remonter le boulevard et ses pas touchent à peine le sol. Il flotte. Loin au dessus de mon rire angoissé. Au-dessus de mon père. Au-dessus de toutes les généralisations sur les noirEs et l’homophobie. Le visage éclairé du maquillage resplendissant de la liberté absolue. D’une brièveté éternelle.

Mon père n’a pas civilisé ou éveillé ma mère. Il l’a violentée. Abondamment trompée. Et elle est restée une femme noire courageuse qui a fait quelques erreurs. J’étais presque soulagé quand les hordes blanches de la Manif pour tous ont déferlé. Pour ne pas symboliquement laisser mon père seul. Symboliquement, parce que lui est mort depuis longtemps. Quand j’entends, encore et encore parler de l’homophobie des noirEs ou des antillaisEs, je pense à nous. A notre famille. A mon cousin Sony aussi. Le destin ne lui a pas fait de cadeaux et il vit aujourd’hui reclus, enfermé dans la maladie. Mais quand je pense à lui je le vois toujours ailleurs. 49

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Khanga Design Motif

Translation of Kiswahili text: “Love does not need to be understood. It needs only to be shown” for more information or to purchase the print, visit Art by Kawira Mwirichia http://kawiramwirichia.wordpress.com 50

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Q&R

À propos des chansons d’amour Une conversation avec Nhojj, chanteur et compositeur du Guyana De Cases Rebelles, Photos de Jerry James et Rod Patrick Risbook

Nhojj est un chanteur compositeur, gay et fier de l’être, originaire de Guyana et aujourd’hui basé aux Etats-Unis. En 2009, Nhojj est devenu le premier Noir à remporter un Out Music Award, et il en a remporté d’autres depuis. Sa musique célèbre l’amour sous toutes ses formes et il dit ceci : «Je crois que peu importe où l’amour se manifeste, l’amour est juste, l’amour est bon et l’amour est beau.” Cases Rebelles a eu avec lui via skype une longue conversation dont est extraite l’interview qui suit.

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Cases Rebelles: D’abord j’aimerai que l’on parle de la positivité et de l’amour dans ta musique. Où et comment trouves-tu la force de partager, de donner autant à travers ta musique. D’où cela vient-il? Nhojj: Waouh (rires), c’est une bonne question. Je pense que cela vient ... Je pense que nous avons tous de l’amour, nous avons tous une grande, une énorme capacité à aimer et en tant qu’artistes et créateurs, ce que nous faisons, c’est que nous puisons dans ça, nous nous connectons à ça - je pense que c’est là qu’est ma source. Je pense qu’il y a un monde d’amour, tu vois, un idéal. Avec la musique, je réussis à puiser dans cet idéal et j’arrive à partager. Je pense que nous y avons tous accès - je pense que les gens créatifs, nous sommes plus à l‘écoute, (rires). Je pense.

CR: J’imagine que parfois tu es aussi traversé par la peur et la colère. Comment réussis-tu à donner de l’amour, à passer par delà les mauvais sentiments? Nhojj: Ouais, c’est un sacré problème. Il n’y a aucun doute je ressens la peur, je ressens la haine, la colère. Et je pense qu’une part de mon fonctionnement consiste à admettre tous les sentiments - à les embrasser. Et ce que je fais aussi, c’est que je tiens un journal, j’écris ce que je ressens dans un journal, et ça en ce qui me concerne ça aide vraiment à s’alléger le cœur. A admettre ces sentiments et l’expérience qui les provoque. J’ai découvert qu’en tenant un journal ou quand j’accepte la colère ou la peur – le fait de reconnaitre ces sentiments me permet de les dépasser. J’arrive à atteindre un niveau de satisfaction. Tôt ou tard, et ça ne se passe pas toujours tout de suite, mais tôt ou tard, quand j’admets tous mes ressentis j’arrive à un niveau où je peux atteindre l’amour.

CR: Je me souviens d’un très beau texte que tu as écrit où tu parlais de “faire l’autruche et perdre des années précieuses”. Comment s’est passée ton enfance à Georgetown? n’ai pas été frappé, mais émotionnellement, ouais, c’était Nhojj: J’ai grandi à Georgetown – tu sais Georgetown est magnifique- le temps est chaud, les gens sont chaleureux, pour la plupart. Je me souviens que nous avions d’innombrables arbres fruitiers dans notre cour. Cette partie de ma vie, ce genre de contact avec la nature organique, de la vie là-bas, j’ai vraiment aimé. Mais, en termes de ma sexualité, cette part spéciale de moi, était comme inexistante parce que je n’ai vraiment jamais rencontré quelqu’un comme moi. C’est différent maintenant - quand j’étais là en Juin 2013, nous sommes allés à la radio et nous avons fait des entrevues. SASOD avait fait un excellent travail pour accroître la visibilité des personnes LGBT. Mais quand j’étais jeune, il n’y avait rien de tout cela; Je me sentais complètement isolé et confus. Je savais que j’étais différent, mais je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait, donc c’était très déroutant pour moi - et douloureux aussi. Je ne pratiquais pas de sport, j’ai toujours été doux donc on s’est beaucoup moqué de moi et on m’a affublé de toutes sortes de noms. Je suis content que ça ne soit jamais allé plus loin - je 52

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difficile.

CR: Peux-tu me parler de l’importance du religieux et de la foi dans ton art? Comment ta foi a-t-elle évolué avec le temps ? Je sais que ton père était pasteur. Enfant quelle était la place de la spiritualité ans ta vie et quelle est-elle aujourd’hui? Nhojj: Donc, c’était ... J’ai donc grandi dans une église –mon parcours, mon trajet n’a pas été facile. J’étais très embrouillé en grandissant parce que j’entendais des choses à l’église qui ne faisaient pas écho en moi, avec qui j’étais. J’entendais qu’être homo c’était mal, tu vois, que tu vas aller en enfer, tu dois te repentir – tu sais, toutes ces histoires. Donc pour grandir, j’ai du tourner le dos au religieux, ignorer tout cela. Et puis, progressivement, à travers le temps, j’ai commencé à trouver de nouvelles voies de spiritualité. Je suis tombé sur quelques livres sur la méditation, le yoga et précisément ces conceptions où nous sommes tous un, tous liés à l’Univers et nous avons tous notre propre chemin à suivre Numéro 9, Juin 2014


c’était une manière d’utiliser la musique pour dire que notre amour est beau, notre amour est poétique, notre amour est sexy, notre amour est riche, notre amour est tout ce que nous pouvions imaginer qu’il soit

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ce type de spiritualité faisait écho à qui j’étais – ça a été une façon pour moi de renouer avec Dieu, de me ressaisir en quelque sorte de ma spiritualité. Mais il a fallu du temps. Je lis toujours beaucoup, je médite. Et ça nourrit la dimension spirituelle de ma vie.

CR: Parlons de tes influences musicales. Je sais qu’en grandissant t’étais plutôt dans la musique Gospel. Est-ce que t’écoutais de la musique caribéenne? Et qu’est ce que tu écoutes en ce moment? Nhojj: En grandissant, j’ai entendu beaucoup de Socca, Bob Marley, du reggae, Machel Montano. J’adorais cette musique, tu vois, c’est génial. Même maintenant, je continue d’écouter de la Socca et et du Reggae. J’écoutais aussi du gospel et de la musique d’église - je me souviens que j’avais ce disque -mes parents ont passé quelque temps aux ÉtatsUnis pour les études avant de revenir au Guyana...alors qu’ils étaient ici, ils se sont retrouvés dans une église - ils avaient ce disque de Gospel là, que j’ai trouvé quand nous sommes revenus au Guyana et quand j’étais un peu plus âgé. Je le mettais tout le temps; c’était juste, tu vois – exactement comme le chœur de l’église, comme si on venait juste de l’enregistrer. J’ai toujours aimé l’énergie et la passion de la musique gospel. Mes parents, pas tant que ça, mais moi j’ai toujours adoré. Qu’est-ce que j’écoute maintenant - j’écoute des choses très diverses. L’artiste dont je suis amoureux en ce moment, et je vais écorcher son nom – c’est Laura Mvula. Je l’adore. J’ai toujours aimé India Arie et Sade, et Cassandra Wilson. Je suis un gros, gros fan de Cassandra Wilson. 54

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CR: Ton nouvel album vient de sortir. Peux tu m’en parler ? Il est constitué de reprises de chansons d’amour et il est sorti le jour de la saint Valentin ? Comment as-tu vécu la réalisationde cet album ? Nhojj: Ouais, ça a été en quelque sorte le plus gros projet sur lequel j’ai travaillé. On a eu la participation de beaucoup de musiciens incroyables, beaucoup de musiciens accomplis. Et donc oui, c’était beaucoup de travail, mais j’avais le sentiment que cet album, qu’il était important de le faire, un projet important pour moi parce que je n’entends pas des chansons, des chansons d’amour ou tout autre type de chansons concernant des personnes du même sexe et j’aimerais en entendre plus. Je pense, j’ai toujours cru que si il y a quelque chose que je voulais voir ou entendre dans le monde, et que cette chose n’existait pas, alors je pouvais la créer et l’offrir au monde. Donc c’était le cœur de ce projet c’était une manière d’utiliser la musique pour dire que notre amour est beau, notre amour est poétique, notre amour est sexy, notre amour est riche, notre amour est tout ce que nous pouvions imaginer qu’il soit - et il s’agit d’utiliser simplement la musique comme une autre façon de le dire, d’affirmer qui nous sommes, comment nous aimons et qui nous aimons.

CR: Depuis tes débuts, qu’est-ce qui a évolué au niveau de la musique, de la manière dont tu écris ? Ecris-tu différemment? Joues-tu différemment? Nhojj: Ouais - c’est comme un processus de croissance et d’apprentissage pour moi. Voyons, comment exprimer ça? Numéro 9, Juin 2014


J’ai l’impression - en particulier pour ce qui concerne le jeu et la scène - je pense que, parce que je chante des expériences qui sont vraiment plus proches de ce que je ressens, des choses que j’ai vraiment vécues - en particulier dans une chanson comme « He Heals Me », ou « He and Him », ou «Bromance». Je pense que cela vient d’un endroit plus profond en moi. Pour moi, c’est très libérateur, très libérateur. C’est ce que j’essaie d’atteindre, arriver à plus d’honnêteté, même plus de liberté, plus de clarté - et explorer différentes façons de m’ exprimer, d’exprimer notre réalité ici sur la terre.

CR: Peux-tu me dire ce que cela fait de recevoir des récompenses pour ta musique? Nhojj: Pour moi personnellement, c’est une belle reconnaissance, c’est agréable d’entendre de mes pairs qu’ils respectent le travail que je fais, qu’ils respectent la musique que je crée. C’est vraiment encourageant. Tu sais, créer c’est parfois effrayant - parce que je ne sais jamais ce que la réaction sera, j’espère toujours que les gens aimeront ce que je fais, mais je ne suis jamais vraiment sûr. Donc, obtenir des récompenses c’est vraiment encourageant, ça m’encourage à continuer. Et je pense que pour les autres, pour les jeunes musiciens, je pense que c’est source d’inspiration pour eux de savoir que on peut être honoré pour avoir créer une œuvre honnête et fidèle à nos expériences . Je pense que c’est important je pense que les artistes sont vraiment importants dans le changement des perceptions des gens. Je pense que l’activité politique est essentielle, parce que les changements des lois, légalise d’une certaine manière notre vie - elle fournit le cadre. Mais ce sont les artistes, les gens qui se marient, qui vivent ensemble, qui ajoutent la couleur, ils apportent les détails à la peinture - ils donnent la vie, ils lui donnent un sens. Et je pense que ça c’est important.

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Article

Défilé de mode Diamond Infinity De Guyana Trans United Photos de Ulelli Verbeke

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Le premier défilé de mode de Guyana Trans United, Diamond infinity, a eu lieu en Novembre 2013 pour mettre en valeur les talents des personnes transgenre comme artistes et créateurs de mode.

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Dans les Caraïbes, il existe une discrimination profonde envers les personnes trans, et cela dans toutes les couches de la société.

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Le gala de mode a été également un événement de sensibilisation pour évaluer l’attitude de la population envers les personnes transgenres - en général, la société tolère mieux les performances artistiques, indépendamment de la différence des artistes.

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À GTU, nous voulions tester si ce même niveau de soutien serait là pour notre communauté. Plus de 100 personnes ont assisté à l’événement.

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Poème

MARONNE De Résilience, Photo G. Casas

Maronne, noire, chabine, cambrée, à la stature sensuellement mordante Livrée à toi par tes mots sucré-amers Victime et amante Tu me vois d’un fantasme exotique. Es-tu attirée par ma peau ou par mes mots ? Vidés de leur substance à mesure que tes yeux me caressent du regard. Baisse les yeux ! te dis je Et alors tes mains m’effleurent et créent une palette Un peu de rouge sang sur mes poignées Tatouage de tes lèvres Du bleu noir sur mon cou De ton mascara « waterproof » De l’arc en ciel Du mélange de nos vêtements à terre Et juste nous et ce coucher de soleil Juste ce souvenir de nous Maronne, noire, chabine, cambrée à la stature sensuellement mordante Une image de vacance et rien d’autre Cette bague que tu portes Ce baiser qui n’est plus mien Cette palette qui s’écoule sur le plancher Blanc absorbé par le noir Rouge sang Maronne, noire, chabine, cambrée à la stature sensuellement mordante ? 70

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Portrait

KOURAJ Ce portrait est issue d’une conversation entre Cases Rebelles et Charlot Jeudy, Président du Comité Exécutif de Kouraj (Haïti) Photos de Lorenzo Tassone et Kouraj

Et ça a suscité notre ghettoïsation. C’était une nécessitée qu’on se ghettoïse, qu’on se rassemble parce que justement quand on est ensemble on a la paix d’esprit, y’a pas d’inquiétudes, y’a pas de jugements. 71

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N

Nous vivons comme des personnes mal accueillies dans quantité d’endroits parce qu’aller sur une plage où il y a des hommes qui connaissent ton orientation sexuelle, il est possible que tu sois mal accueilli, dans les restaurants, les bars, dans quantité de quartiers on n’est pas bienvenus. Et ça a suscité notre ghettoïsation. C’était une nécessité qu’on se ghettoïse, qu’on se rassemble parce que justement quand on est ensemble on a la paix d’esprit, y’a pas d’inquiétudes, y’a pas de jugements. Les jugements sont absents. Même si nous parlons entre nous c’est normal et si quelqu’un dit quelque chose il n’y a pas d’arrière-pensée.

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Ça a entraîné en 2009 la nécessité de créer Ami-ami, une première association. J’avais déjà eu l’occasion de m’impliquer dans beaucoup d’autres associations dans le quartier chez moi, mais j’ai compris qu’au fur à mesure la question de l’homosexualité semblait être comme un blocage même si y’a plein de gens qui voulaient participer avec moi, qui auraient aimé m’intégrer dans leurs initiatives mais il y avait une réticence qui n’était pas explicite, mais leur attitude montrait clairement qu’il y avait un problème. Y’en a qui disait, «Charlot tu es notre Masisi. Même si tu sais que nous on veut pas avoir affaire avec les Masisis mais toi tu es le Masisi de chez nous, du quartier.»

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Et puis j’ai grandi et je me suis dit «ben non faut que je provoque la réflexion». Et puis avec un groupe d’amis on s’est assis - on était dans un anniversaire d’un de nos amis qui s’appelait Jean-Andre - et pendant l’anniversaire avec les autres amis on se sentait tous bien dans le quartier, Bolosse. Et puis on a fait une belle petite fête on s’est sentis entre nous. Ça s’est passé sans problème parce qu’on dansait entre nous. Ce sont les seuls lieux qui nous permettent ça en Haïti, c’est quand on crée des lieux comme ça. Et il y a une nécessité de continuer à créer des lieux comme ça et c’est pour ça que nous avons formés AmiAmi et qu’on a commencé à faire des soirées que ce soit Back to School, Homo, Homonaval. Parce qu’il y a plein d‘événements culturels qui se passent mais on est là en catimini. On est obligés de créer cet espace-là. Et c’est cette association Ami-Ami qui s’était donné cette mission qui était de promouvoir les valeurs culturelles de la communauté LGBT - ici on dit communauté M: masisi, madivin, makomé et miks. Après nous sommes arrivés en 2010 et on a connu le terrible tremblement de terre dans le pays et les dégâts que ça a occasionné pour tout le monde. Et là on a vu une quantité d’évangélistes occidentaux, surtout venant des Etats-Unis qui sous prétexte d’apporter la bonne nouvelle, sous prétexte du Retour du Christ, sont venus prêcher l’homophobie, la haine à l’égard de la communauté M, qui ont fait croire que c’est à cause des rapports sexuels, entre hommes, entre femmes, que le tremblement de terre nous avait frappés. Et il ne faut pas oublier qu’il y a une population qui est à 65% analphabètes qui n’a pas d’information sur la question des séismes avant, il n’y avait pas d’analyses faites là-dessus. Moi pendant ce temps là j’ai essayé de contacter mes amis pour savoir s’ils étaient vivants parce que après quand tu avais vu pour la famille, ton amoureux, il fallait aller voir les amis, tu vois, le voisinage parce que vu ce que ça a entraîné comme problèmes ça a provoqué pendant longtemps un choc pour tout le monde. Et moi-même en tant que personne, citoyen, j’étais obligé d’apporter ma solidarité après le 12 janvier que ce soit retirer des cadavres de la rue, que ce soit apporter des choses, chercher des ONG, localiser les problèmes, retrouver des gens. Il y a beaucoup d’autres amis qui se sont retrouvés dans les camps mais pendant 2, 3 mois après les tremblements de terre c’était comme si la république était devenue une république religieuse. Tout le monde prêchait. Et ces prêches s’attaquaient surtout aux personnes homosexuelles et transsexuelles. Et donc quand j’ai eu fini de localiser les autres amis je me suis dit « eh bien Charlot il faut que je fasse qu’Ami-Ami se transforme en KOURAJ » parce qu’il y a des visions trop erronées qui circulent et j’ai rejoint un groupe d’amis qui étaient dans les camps. Les gens qui étaient dans les camps on les persécutait, ils étaient obligés de quitter la tente pour chercher un autre endroit où aller parce que soidisant c’est des pécheurs, ceci cela, etc. Il y a donc eu de nombreuses persécutions comme ça et puis à partir du 18 décembre nous avons changé Ami-Ami en « KOURAJ 73

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pou protéjé dwa moun », et puis on a commencé à se donner de nouveaux objectifs pour lutter contre toutes formes de discriminations qui sont liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Et je suis quelqu’un qui croit énormément dans les valeurs de droits humains et je crois que la seule chose qui peut changer le pays c’est une autre politique. Je crois que c’était mon rêve à tout prix de rester dans mon pays, d’y gagner de quoi vivre pour que nous avancions mais être homosexuel dans le pays… Je me souviens quand j’étais en 3ème et j’avais écrit dans un agenda que j’avais: « Pour être homosexuel dans ce pays il faut avoir du cran et du courage. » Et quelques années après j’ai créé, avec des amis bien entendu, une organisation qu’on a appelé KOURAJ. C’est comme un rêve que je vis mais il y a 7, 8 ans de cela je l’avais écrit dans mon agenda. Parce que tous ceux que j’ai rencontrés ne voulaient jamais assumer ça, ne voulait jamais vivre ce qu’ils étaient, rester eux-mêmes, tu vois. Et y’a énormément de choses qui souvent sont dites de la communauté M et qui sont pas vraies mais il faut des gens qui sont impliqués, qui sont concernés par la question pour dire la vérité. On n’a pas toute la vérité mais nous et tous les autres ont une partie de la vérité, quand on recolle chacun nos parties de vérité au moins on y arrive. Je crois qu’il faut que j’apporte ma contribution, que j’aie une responsabilité et que ce que je donne aujourd’hui à Haïti là c’est ce que Haïti m’a donné depuis 29 ans. Il y a des gens qui disent que je les choque mais je leur dis que je ne les choque pas parce que eux ça fait 29 ans qu’ils me choquent. Je ne suis pas capable de donner ce que je n’ai pas eu. On m’a donné du choc seulement, mais c’était logique, c’est normal parce qu’il y eu énormément de temps pendant lequel on a traumatisé des personnes, on a rendus des gens frustrés eh bien aujourd’hui les frustrations remontent comme on dit « la vérité c’est comme de l’huile dans l’eau, ça remonte toujours à la surface». Ça remonte que ce soit à travers Charlot ou un autre, les comportements violents, et pas seulement sur les homosexuels et les lesbiennes, c’est une violence qui est faite sur toute la population en général dans les quartiers difficiles. On pose ce problème là aujourd’hui mais je pense qu’il y a plein d’autres problèmes posés par les responsables politiques au niveau droits humains, dans la question de la défense des femmes, des enfants. Il y a plein d’autres questions qui posent problème et je pensais que nous serions utiles si nous portions la lutte LGBT, parce qu’il n’y avait personne pour porter ce combat avant. Mais il y a plein de problèmes: nourriture, logement. Ce sont des choses graves que tu vis aux quotidiens. Et il n’y a pas un signe qui montrerait que ces choses changent en 2014. Au contraire j’ai l’impression qu’on est toujours dans une société en crise. Numéro 9, Juin 2014


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Je pense que la recette n’est pas seulement dans les mains d’une seule personne, dans un seul secteur mais dans toutes nos mains. Il faut que nous regardions la recette pour Haïti et que nous fermions les yeux sur un certain nombre de choses, parce que si nous voulons avancer, si nous ne fermons pas les yeux sur certaines choses nous ne serons pas capables de nous unir. Parce qu’on dit il faut qu’on avance. On n’est sur le même chemin, même si une fois qu’on aura dépassé l’impasse moi je descends et toi tu montes. Mais unissons-nous pour arriver à dépasser l’impasse. Ça c’est fondamental pour moi. C’est comme ça que je vois c’est comme ça qu’est ma vie.

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Il y a des gens qui disent que je les choque mais je leur dis que je ne les choque pas parce que eux ça fait 29 ans qu’ils me choquent.

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Photographie

Clichés du Brésil Texte et photos De Ulelli Verbeke

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Ces photos de graffiti, ce sont quelques extraits de ma première exposition de photo, Guy-Braz Exposition photographique et Conférence, Guyana, Brésil et la décolonisation, coordonnée et présentée par Priscila F. Pascoal. J’avais voyagé du Guyana au Brésil par voie terrestre avec ma partenaire, Priscila en Janvier 2013 pour rendre visite à sa famille et ses amis à Brasilia. Il nous a fallu près de deux semaines pour y arriver, à travers le fleuve Amazone, sur le dernier bateau de l’année. Cette portion du chemin à elle seule nous a pris six jours, pendant lesquels toutes les deux nous sommes tombées malades. Une des choses les plus frappantes pour moi au Brésil c’était les graffitis. Dans chaque ville visitée, les graffitis faisaient partie du paysage. Même dans les universités, comme celle de Darcy Ribeiro Campus - Université de Brasilia. Ces photos de graffitis comme le PussyRiot, le Tamo Por Favor et bien d’autres (qui ne sont pas dans cet album) font partie d’une campagne de protestation féministe contre la violence basée sur le genre. Ces graffitis ont été crées par un groupe de jeunes femmes de divers groupes féministes à Brasilia. Priscila a participé à la mise en place de ce projet et une nuit, malgré notre fatigue, elle m’a emmené dans le tunnel où les graffitis sont exposés, pour voir le travail qui y a été fait – malgré le fait qu’elle avait dit “ce n’est pas un endroit sûr”. Je me souviens de nos rires provoqués par l’excitation quand nous retournions en courant vers la sécurité de la voiture. Les autres photos de graffitis ont été prises dans le Riacho Fundo, à Brasilia.

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Portrait

Tjenbé Red! Texte et Photos de Cases Rebelles

Gwladys Pallas a grandi en Guadeloupe, et est arrivée en France à l’âge de 20 ans. Elle est aujourd’hui présidente de l’association Tjenbé Red! Prévention «qui lutte contre les racismes, les homophobies et le sida pour les personnes LGBT venant des Outre mer et de l’Afrique».

Total Respect / Tjenbé Red! J’ai 37 ans et je suis présidente depuis 5 ans. Au sein de l’asso on a à peu prés 2500 adhérents afro-caribéens pour la plupart, et à peu près 15 bénévoles actifs qui nous suivent dans nos combats. Tjenbé Red! a pour mission première tout ce qui est question LGBT et aujourd’hui on ajoute un X pour tous les autres genres Et en même temps on a un pôle “plaidoyer” qui est chapeauté par Total Respect. On y traite tout ce qui est question de racisme. On a une commission musique qui travaille avec l’asso anglophone Stop Murder Music. Nous sommes également intervenus sur tout ce qui était question du mariage pour tous. On fait aussi des insertions en milieu scolaire avec une asso qui s’appelle Contact. On va à la rencontre des jeunes en milieu scolaire, généralement lycée et on fait de la prévention niveau racisme. A certains niveaux scolaires on parle un peu de l’homosexualité. Mis à part ça on fait de la prévention pour les MST et le sida. En ce moment je suis avec Afrique Avenir. On travaille avec Sidaction. Et on est en formation surtout pour les afro-caribéens.

Comme il y a le Brésil plus prêt ils ont été bien plus ouverts sur le fait d’avoir une gay pride par exemple bien avant la question du mariage pour tous. Y’a une avancée sur ces questions-là aux Antilles mais je pense que les gens ont encore peur du « qu’en dira-t-on ». Même pour la question du mariage pour tous quand on est descendus dans les rues de Paris on n’était pas nombreux, heureusement que après on peut récupérer du monde. Au départ on était à 5, 6 à venir de l’asso. Et puis y’en a beaucoup qui viennent masqués. Qui vivent encore à l’abri du regard des parents.

Les soirées Quand je suis partie des Antilles j’avais 20 ans. J’étais encore jeune. Je vivais encore dans l’insouciance. Je pense que je n’assumais pas encore tout à fait. C’est vers mes 18-20 que j’ai eu ma première relation avec une femme. Effectivement je ne l’avais pas encore dit à mes parents. Parce que pour moi c’était nouveau. Avant de dire les choses il faut d’abord être sûre de ce qu’on est. Et puis il faut pouvoir en parler, et puis se faire entendre surtout.

Très souvent aussi on va sur les lieux de rencontre et on parle avec les gens. On distribue des moyens de protection. On essaie d’être présents.

Y’avait là-bas quelques soirées gays, j’ai toujours connu ça. C’étaient des endroits plus discrets. Des soirées sur invitation. Fallait connaitre, fallait être du milieu. C’était en toute discrétion mais ça a toujours existé. On y allait. C’était génial, on s’amusait super bien.

Le siège de Tjenbé Red! est en Martinique, mais ça n’est pas vraiment une antenne parce que la personne qui avait voulu faire exister cette asso là-bas est malheureusement décédée. En Guyane, ça n’est pas vraiment une antenne non plus; il y a des gens qui travaillent sur les questions.

J’ai commencé effectivement par organiser des soirées gay-friendly afro-caribéennes sur Paris en 2006. Il y a avait déjà un club qui existait, qui existe toujours du côté de Chatelet mais qui n’est pas un club gay cependant il le devient le Samedi.

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L’idée m’est venue justement parce qu’il n’y avait pas de référence gay afro-caribéenne sur la capitale. On ne se retrouvait pas sur la capitale parce que c’était pas vraiment le style musical, on allait au club mais c’était pas notre style musical. On voulait un autre lieu donc j’ai eu l’idée. J’ai lancé l’idée. C’est un concept qui a très bien fonctionné. Aujourd’hui il est un peu en sommeil, depuis trois ans. En même temps j’ai fait d’autres choses. J’ai un peu laissé la place à d’autres organisateurs parce qu’aujourd’hui il y en a un peu plus qui organisent, mais je reste un peu fière parce que j’ai été une des premières à pouvoir dire qu’il y avait des soirées gay-friendly afro-caribéennes sur Paris, qui existaient et qui étaient organisées par des antillais. C’est un concept qui n’est pas mort, qui reprendra. Donc aujourd’hui je travaille au Caffé Créole qui est un restaurant créole qui accueille tous types de personnes. Quand j’ai commencé les soirées on était dans local très roots. C’était le dimanche après-midi, midi-minuit, très local: Sorbet au coco, Poulet grillé. C’était dans un jardin, dans une case en tôles. Même moi j’ai été surprise. Parce que j’ai pas pensé que les clients seraient montés à sarcelles. Pas parce que c’est Sarcelles. Enfin si parce que c’est Sarcelles mais parce qu’on est LGBT avant tout quand même. On a un style qui est marqué ... en plus là où c’était à Sarcelles dans les jardins c’était pas forcément très prudent mais bon c’était des soirées qui ont vite fonctionnée. Donc un an après j’ai migré sur Paris. Et effectivement de ma centaine de personnes peut-être que je recevais, à Paris je suis vite passée sur une salle de l’ordre de 500 personnes et je faisais salle comble. Jusqu’en 2010, pour notre dernière Gay Pride on a eu a peu près jusqu’à 800 personnes. Aujourd’hui le peu de soirées qu’il y a ça fonctionne bien. Plus encore. Le «Oui» est passé. Donc les gens se sont un peu plus libérés. Même des fois je vais sur des soirées plutôt hétéros, un peu dance-hall par exemple. Et y’a beaucoup de lesbiennes, y’en a énormément. Et on ne se cache pas tout le monde sait qu’on est lesbiennes. Y’a beaucoup de bi aussi et y’a même -ils sont pas très nombreux- des gars affirmés homosexuels. Qui sont des fois à s’amuser à draguer le plus gros des locksmen et ça passe bien au contraire. Ils sont très amis avec eux. Les gens les adorent beaucoup. C’est tout un groupe qui suit ce concept de soirée et il y a beaucoup de respect pour eux dans ce milieu. Donc les choses changent, tant mieux.

On a organisé aussi des rencontres culturelles. On a invité des artistes noirs ayant fait leur coming-out. On a reçu des gens comme Maïk Darah, qui double Whoopi Goldberg. On a reçu un écrivain martiniquais Jean-Claude JanvierModeste. Il est bénévole chez nous aussi. Il a écrit trois tomes, Un Fils différent. Il raconte son parcours, c’est quelqu’un d’une cinquantaine d’années donc c’est pas le même parcours que le mien. Parce qu’à l’époque tu pouvais pas être homosexuel comme ça. C’était pas le même style de vie. Même face à ses parents on avait pas le même comportement on avait pas la même audace. Et aujourd’hui j’ai un nouveau projet où je souhaite mettre à l’honneur les femmes d’action.

Même là où je travaillais à la Mangrove les gens ont toujours su que j’étais lesbienne. J’ai toujours fait venir des homos et des lesbiennes là-bas ça s’est toujours bien passé. Je n’ai pas eu de problèmes par rapport à ça. Avec l’asso, les soirées, on a pu rassembler beaucoup de monde. On a participé à notre première Gay Pride en juin 2009. 85

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Les marchandes îliennes, Gladys Bedminster

Tableaux et Poèmes

DOMINO Tableaux et poèmes de Gladys Bedminster Césaire est le premier auteur noir que j’ai lu et il demeure pour moi un modèle littéraire. J’aime beaucoup les auteurs qui ont une écriture décalée, parmi les contemporains je peux citer Pennac ou Nothomb. Parmi les auteurs noirs Senghor et Césaire qui restent pour moi des génies. Et un peu plus loin de nous Baudelaire et Maupassant ainsi que les auteurs de l’absurde Ionesco et Camus. «Ferrements» de Césaire et «Les Fleurs du Mal» de Baudelaire ne quittent pas ma table de chevet. Mon enracinement est à la couleur de ma plume, j’ai eu conscience très tôt de mon pays. J’y trouve toute mon inspiration, la Guadeloupe est une émeraude qui me tient à cœur. Le créole est la langue de transmission d’une tradition qui se perd aujourd’hui. J’ai eu la chance dans mon parcours universitaire d’apprendre à l’écrire. Je n’ai jamais publié en créole, c’est un projet en cours... Les texte suivant sont inédits.

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DOMINO Ki non ou pé ba on pitit Ki anmitan doub blan é doub sis ? Sa pa on ras : métis ! Ou pé pa déklaré’y lapolis ! Lè ti moun an nou lót bó dlo Yo pa sav si rasin a yo an nèj ou en koko Yo konnèt péy la yenki an foto Ou té ké di mémwa a yo an zo…

DOMINO Quel nom peut-on donner à un enfant Qui est entre le double blanc et le double six ? Ce n’est pas une race : métis ! On ne peut même pas le déclarer sur une pièce d’identité (à la police) ! Lorsque nos enfants ont traversé l’océan Ils ne savent même pas si leurs racines sont dans la neige ou le coco Ils ne connaissent leurs pays qu’à travers les photos Leur mémoire ne forme plus qu’un sac d’os…

Eventails, Gladys Bedminster

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Portrait

Moi je suis un masisi Extrait d’une conversation entre Charlot Jeudy et Cases Rebelles Photos Lorenzo Tassone

M

oi je suis un masisi comme j’aime le dire. Depuis tout petit j’ai eu des sentiments pour les garçons mais c’était toujours une difficulté de dire aux gens qui étaient le plus proche de toi ton ressenti. Pendant un certain temps j’ai joué une comédie. Ce que j’appelle là comédie c’est l’hétéronormativité qui est imposée dans la société et que moi-même comme masisi, comme homosexuel je n’avais pas de repères je suis rentré dans la logique, du moins dans la comédie des hétérosexuels. C’était surtout avec la communauté que j’ai joué la comédie. Mais chez moi, on voyait que j’avais un style féminin, je faisais le ménage – chez moi c’était pas une préoccupation. Mais avec mes amis c’était des : « ah mon cher, tu dois te comporter comme un garçon. Tu dois marcher comme un homme. Tu n’es pas une fille. Tu ne dois pas jouer aux osselets, au jwèt kay, il ne faut pas jouer jwèt pench, jouer à la marelle, sauter à la corde… C’est pas possible! ». Je savais faire tout ça. C’est comme ça que je me distrayais. Après j’ai commencé à jouer au foot avec les garçons, je suis rentré dans la comédie même si je jouais aux osselets avec les filles sur le toit pour qu’on ne nous voit pas. Mais je jouais au foot au grand jour pour prouver que je suis bien un petit garçon. Je savais danser aussi. Parce que la danse pour moi c’était la première forme d’expression que j’ai eu et ça m’a permis de rester comme j’étais quand je dansais. Parce que danser à cette époque pour moi c’était pas surtout le mouvement. C’était tout ce que je ressentais, quand je dansais. Je suis né à Port au prince et j’ai grandi à Port-au-Prince. J’ai grandi dans un quartier populaire, Martissant, un quartier extrêmement difficile qui a tous les problèmes du monde : insécurité, électricité, eau potable, les problèmes du sous-développement d’une manière générale. La seule richesse que j’ai eu dans ce quartier, à laquelle ma famille m’a permis d’accéder dans ce quartier, c’est qu’on m’a envoyé à l’école, on m’a donné de l’instruction. Ça a permis de développer tout un sens des responsabilités dans un tas de domaine chez moi qui m’ont amenées à entrer dans des organisations de base. J’ai toujours fait un maximum d’efforts pour avoir de très bons rapports avec les gens de mon entourage – ça m’a aidé énormément. Même quand je n’arrive pas à comprendre

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quelqu’un, je fais beaucoup d’efforts pour le comprendre. Pour pouvoir évoluer dans le milieu où je suis né. Je crois que j’ai hérité d’un quartier, d’une communauté traversé par beaucoup de violences, de conflits. J’ai vu qu’il n’y avait pas intérêt à… j‘ai vu trop de violences, trop de victimes par rapport à tout cela. Et j’ai développé toute une culture pour vivre ensemble, de solidarité pour voir comment améliorer les rapports entre les gens. Et puis dans mon quartier tout le monde me connait. J’ai toujours assumé mon homosexualité dans le quartier, chez moi, dans ma famille. Ça n’a jamais été un problème. Je me souviens à 18 ans je m’étais approché de ma mère, je lui ai dit que j’aimais les garçons ; ma mère m’a dit «ce qui est le plus important Charlot, c’est d’aller à l’école.» J’ai toujours été élevé entre ma mère, mon père, mes sœurs et frères. J’ai toujours été encadré comme ça et ça m’a toujours mis en confiance. C’est quelque chose qui a développé une situation de confiance, d’assurance, d’estime de soi chez moi. Je suis un enfant bien né en ce sens parce que je n’ai pas connu les atrocités qu’ont connues des amis homosexuels aujourd’hui ou qu’ils avaient connues dans le passé. J’avais des garanties de ce côté-là. Et entant donné que je voulais être artiste, leader et donc il faut avoir un certain nombre de compétences, de qualités pour ça, il ne faut pas être timide, il faut convaincre les gens, et ces désirs là m’ont donné encore plus d’assurance. J’ai pris ça à cœur pour pouvoir me dire au moins je suis un masisi qui n’est pas bête, qui est allé à l’école. Et ça a été comme un stimulant qui m’a permis de tenir d’avancer tout ça. Et je me suis assumé encore davantage quand j’ai rencontré d’autres amis comme Nicolas, Pouchy, Eyrol, Pierson, Richard, Rudy, Toto, Jeanjean. Un groupe. Un groupe d’amis qui étaient homosexuels aussi qui habitaient dans la communauté et qui du moins n’étaient pas trop éloignés de moi. Tout le temps on se posait ensemble. Tout le temps il y avait d’autres amis, que ce soit à Pétionville, Delma, Kwadèbouke, qui faisaient des soirées, des activités homosexuelles. Et bien on s’arrangeait en groupe pour aller y participer. Soirées, animations, journée de mers: on y allait. *** Je ne suis pas religieux même si je viens d’une famille religieuse catholique mais je ne suis pas religieux, je suis un vaudouisé pas un vaudouisant. J’aime aller participer dans des activités vaudous mais je ne suis pas adepte. Mais pour m’accepter en tant qu’homosexuel au début je priais. J’allais à l’église je priais. Je disais «Jésus Marie Joseph qu’est ce qui Numéro 9, Juin 2014


Je me souviens à 18 ans je m’étais approché de ma mère, je lui ai dit que j’aimais les garçons; ma mère m’a dit «ce qui est le plus important Charlot, c’est d’aller à l’école.»

m’arrive? Qui suis-je? Qu’est-ce que j’ai? Comment cela fait-il que ça m’arrive? Samuel, qu’est ce que j’ai?» À un autre moment, j’ai aussi regardé du côté des loas. Je regardais mon père et ma mère – ma mère ne connait pas ces choses là, même si son père servait les loas. Depuis que je connais ma mère, jamais elle ne m’a dit qu’elle est allée une fois à une danse vaudou ou qu’elle se prépare à y aller. Pareil pour mon père. J’ai grandi, j’ai continué à prier mais à un moment je me suis dit que pour être en paix avec moi-même il fallait que je me mette à distance de la religion. J’ai fait ma première communion, j’ai été baptisé mais j’ai pris mes distances. Je prenais l’hostie, j’ai arrêté de le faire. C’était une obligation tous les dimanches d’aller à l’église mais j’ai décidé que si j’étais pas en condition, si j’étais pas disposé je ne vais pas à l’église, tu vois. Et une autre chose, c’est que j’avais eu un très bon directeur qui nous avait dit « vous êtes tous des valeurs », c’était Emmanuel Buteau, ancien Ministre de l’Éducation nationale qui m’a dit que nous étions tous des valeurs. Je suis capable de convaincre - je suis capable d’influencer. Ça a fait un déclic chez moi.

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plaisir de tous les jours, d’être moi-même, de montrer au reste de la société « voici mon chéri à mes coté ». Quoi qu’ils disent ou fassent. Que cela les dérange ou pas. Wa yan! (Qu’ils aillent au diable !). Pour d’autres compatriotes, le bonheur serait de partir. Mais ça ne m’intéresse pas. J’ai déjà eu plus de 5 visas, je pars et je reviens. Ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas une de mes préoccupations. Ce serait vraiment le dernier choix de faire mes bagages. Les plaisirs, d’où je viens, c’est des choses comme des animations de quartier, des journées de mer, ça ne peut pas être des choses qui coûtent chères car sinon il y a pas moyen. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aller à un bal de T-Vice qui coûte 200 USD. Notre plaisir c’est sortir, participer à une activité ; ceux qui font le petit commerce, ceux qui travaillent dans la manufacture, ceux qui travaillent dans un restaurant, mais qui viennent tous se rencontrer, s’asseoir entre amis, nous faisons un cocktail le soir, entre amis. Nous discutons, etc. En petit groupe, et après chaque rentre dormir chez lui. C’est ça notre plus grand plaisir! Tu vois?

Ce qui me rend heureux c’est de pouvoir dire à la société « arrêtez avec vos discriminations ». C’est ça mon 89

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Q&R

À travers l’objectif Extrait d’une conversation avec Ulelli Verbeke , photographe indépendante , graphiste et artiviste du Guyana De Cases Rebelles Photos de Ulelli Verbeke

Ça m’intéressait de prendre des photos de personnes lors d’événements, faire bouger les choses, briser les barrières. Je me souviens que j’allais aux activités de SASOD avec mon compact tout petit, tout simple et que je prenais les gens en photo, et au bout d’un moment c’est eux qui me demandaient de venir prendre des photos. Quelque temps après, Joel m’a demandé si j’aimerais prendre des cours de photographie et j’ai sauté sur l’occasion; SASOD a payé les cours. C’était très difficile de suivre parce que je n’avais pas d’appareil photo professionnel: comprendre le changement de vitesse d’obturation et l’ouverture, c était difficile. Mais avant la fin de la formation, j’ai pu acheter mon propre appareil photo avec l’aide de mon professeur et d’un de mes clients de massago-thérapie.

exposition de photos avec Priscila Pascoal: L’Exposition photographique Guy- Braz avec la Conférence «Guyane, Brésil et Décolonisation». Priscila a organisé cette conférence sur la décolonisation où elle essayait de rapprocher le Guyana et le Brésil pour apprendre les uns des autres. Ma prochaine exposition sera sur mon travail avec la communauté transgenre ici au Guyana. En Juin de cette année, je vais participer à une autre exposition au Canada pour la Pride. L’exposition mettra l’accent sur les immigrants des Caraïbes qui vivent au Canada.

Je n’ai pas vraiment un photographe connu comme inspiration mais je regarde le travail des autres photographes. Je travaille juste sur ce que je vois. Je ne sais pas, je pense juste que je vois les choses différemment. Je vois l’art dans presque n’importe quoi. J’ai dit une fois à un ami que je rêverai d’avoir un appareil sophistiqué au niveau des yeux de sorte que lorsque tu vois quelque chose et que tu le veux photographier, tu clignes de l’œil et ça y est ! Parce qu’on peut pas vraiment tout recréer, une fois que tu as vu quelque chose pour la première fois, c’est tout! L’année dernière, en Avril, j’ai fait ma première exposition de photos ici à Georgetown et aussi pour le 10ème anniversaire de SASOD. Ensuite je suis allé au Brésil où j’ai fait une 90

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Opinion

Manifestation virtuelle du Belize De Caleb Orozco, photos de San Pedro AIDS Committee, Briheda Haylock et Ms. Gay Goddess Organizers Les pays qui ont des lois oppressives demandent une certaine créativité dans le combat pour le respect des droits. Le Belize n’est pas une exception. Le Belize offre de nombreux espaces créatifs où les alliés et les soutiens LGBT peuvent exprimer leur opposition aux lois. Un de ses espaces est le Carnaval qui peut être considéré comme une forme de manifestation passive-agressive contre les lois qui cherchent à supprimer la diversité des sexualités humaines. Le Carnaval au Belize est quelque chose de spectaculaire! Des foules de personnes LGBT s’habillent avec des tenues courtes, colorées et créatives qui leur permettent de se fondre dans la masse sans crainte. Cependant, la tenue de l’élection de Miss Déesse Gay 2013 s’est vue menacée d’une manifestation d’extrême droite dans le Nord du pays. La communauté LGBT a persévéré, s’est organisée et a tenu avec succès le concours à Belize City. Tout ceci en dépit d’une opposition évangélique très bruyante qui s’était mobilisée pour lever des fonds sur l’île de San Pedro dans un appel à bloquer le concours. La musique électro-dance a été considérée pendant des années comme de la musique gay. Mais les temps changent, et il n’y a pas si longtemps, j’ai vu des étudiants et des adultes se déchaîner sur de l’électro dont je pensais qu’elle appartenait à la communauté LGBT. Un ami m’a fait remarquer récemment, « je suis très content d’entendre autant de musique électro à la radio locale. Je me souviens quand nous étions rejetés dans les années 90 parce qu’on aimait la techno… les gens nous regardaient bizarrement au lycée. Maintenant l’électro fait fureur… même au Heineken Bram le week-end passé à Boom, quand «Hey Brother » est passé la foule était dingue !... les gens adorent carrément!» La musique nous unit, crée des ponts, ça favorise la sécurité affective et rappelle aux citoyens ce qu’ils ont en commun. La musique, l’électro-dance est un message qui peu à peu rassure les individus sur le fait que nous sommes plus semblables que différents et ça aide à supprimer la peur. À la musique doit cependant s’ajouter l’engagement politique et légal qui a lieu actuellement autour de la section 53 du code pénal. Cette affaire remet en cause notre loi sur la sodomie et est 92

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maintenant examinée à la Cour Suprême du Belize en attente d’une décision. Nous nous sommes tournés vers les réseaux sociaux pour construire l’infrastructure de notre communication et une base d’appui virtuelle. J’ai vu que des alliés et des membres de la communauté LGBT utilisaient leur profil facebook Numéro 9, Juin 2014


pour partager des images défendant notre cause, des photos où on les voit porter en public des milliers de bracelets avec le slogan, ”Nous Sommes Un!” ou “Accepte Toi! Dans la dignité et le droit.” Ça a été un moment non seulement symbolique, mais aussi moralement stimulant qui au niveau politique et psychologique a fait bouger les choses en gagnant du soutien public. Il n’y a eu ni combats, ni conflits dans la rue mais simplement des bracelets qui ont provoqué une conversation à chaque dîner, entre opposants au sein du gouvernement et membres de la communauté. Les bracelets étaient un exemple d’action sociale pacifiste utilisée pour exprimer une position sociale et politique pour engager au dialogue. Il s’agissait de manifestations passives qui ont eu de l’importance simplement parce qu’elles se sont montrées sous le jour de luttes pour les droits humains. J’ai distribué des bracelets à des soirées, des évènements sociaux LGBT, ou simplement en petit déjeunant avec des inconnus qui voulaient simplement porter le dernier bracelet sorti. On m’a dit plus tard que même certains membres du gouvernement portaient le bracelet par solidarité avec le mouvement! Les supporters continuent de développer notre campagne internet « F*ck !53 » avec des illustrations diverses et variées, par exemple une personne s’est prise en photo sous l’eau avec un T-shirt de la campagne. Les réseaux sociaux offrent aux défenseurs et aux alliés un espace sûr pour débattre, apprendre les uns des autres et peaufiner les stratégies et tactiques. Ils offrent une visibilité tout en protégeant les individus des risques d’agressions physiques. C’est le « coming out » pour les combattants LGBT, ceux pour le droit à l’avortement et pour les droits humains en général. C’est une manière pas chère et efficace d’exprimer son appui sans coûter plus à l’organisation et à l’individu. Cela contribue à la mobilisation de la communauté en quelques secondes et cela réduit le budget de fonctionnement des petites organisations tout en donnant un rayonnement national aux personnes investies de la base. Bien utilisé, c’est également un support technique gratuit pour les relations publiques, les négociations souterraines et la conscientisation. C’est en fait de la diplomatie virtuelle. Les formes virtuelles et culturelles d’activisme ont tendance à être pacifistes, informatives et constructives. Elles offrent l’acquisition de connaissance à la vitesse de la lumière mais aussi le divertissement qui provoquera en nous rire ou effroi. Ça deviendra une documentation historique du passé, mais ça facilite l’intégration sociale progressive dans le présent d’une manière rassurante qui connecte les attentes affectives des uns et des autres. Tout cela fait partie de la stratégie du Belize pour faire progresser le plaidoyer des LGBT! La lutte continuera avec la nécessité de développer la protection formelle, le dialogue informel et une meilleure visibilité.

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Histoire courte

INCOMPLÈTE De Résilience, Photo de Q-zine J’ai découvert qu’il est plus facile d’écrire que de parler. Je me sens encore inutile, et désespérée. Mais en même temps je m’en veux de me sentir de cette manière. Tant de gens sont malheureux dans le monde et je sais profondément que je n’ai pas le monopole de la souffrance. Encore les pensées morbides m’envahissent. Je tente de les enfouir, de les oublier mais c’est en vain. Les mots négatifs frappent mon esprit avec force et je ne peux rien y faire. Tels des mini tornades ils déchiquettent mon corps comme si il n’était rien. J’ai mal, je pleure pour ma mère ou pour ce quelqu’un qui verra derrière mes yeux la vérité, pour ce quelqu’un qui m’aimera. Et j’ai de plus en plus la conviction qu’il n’existe pas. Personne ne voudra me faire sienne. Et cette pensée d’un avenir solitaire me tourmente. Après tout qu’est-ce que la réussite, la richesse, la reconnaissance, la famille, si cette seule personne n’existe pas. Je ne pense pas que je serai complète un jour sans mon autre moitié. Quand l’on dit que les autres choses devraient être prioritaires ce n’est pas vrai, c’est un mensonge. Parce que je peux mourir demain, dans dix minutes, dans une seconde, et l’argent ne comblerait pas ce sentiment de vide, ce sentiment de ne pas avoir vécu. Est-ce trop demandé que de ne plus être seule, de ne plus ressentir ce manque. Je suis droguée et en manque et pourtant, je ne connais pas ma drogue. Encore elle m’étrangle depuis que je sais ce que signifie le mot aimer. Je l’attends, patiemment. Est- elle femme ? Est- elle homme ? Et si cela n’avait pas d’importance. Dis-le à la société ! Cette société qui m’écrase de ses règles, de ses attentes. Et moi en vain j’attends. Je sais pourquoi je ne te trouve pas. Tu te caches dans ces larmes que je verse sur ma sexualité, tu te caches derrière les regards d’une mère déçue, tu joues de moi comme d’un violon cassé. Oui je te cherche, et je sais que derrières ses cloisons, tu m’attends. Femme ! J’écrie Femme. Mais je n’ai pour moi que ton genre. Toujours tu m’échappes.

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www.cases-rebelles.org

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