Vers la transformation du modÚle de développement en Amérique latine et dans les Caraïbes : producti

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la transformation du modÚle de développement en Amérique latine et dans les Caraïbes : production, incluet durabilité

Vers la transformation

en Amérique latine et dans les Caraïbes : production, inclusion et durabilité

SynthĂšse
du modÚle de développement

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Vers la transformation du modÚle de développement en Amérique latine et dans les Caraïbes : production, inclusion et durabilité

SynthĂšse

RaĂșl GarcĂ­a-Buchaca

SecrĂ©taire exĂ©cutif adjoint chargĂ© de l’administration et de l’analyse des programmes

Sally Shaw

Directrice de la Division des documents et des publications

Ce document a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© avec le concours des divisions organiques, des siĂšges sous-rĂ©gionaux et des bureaux nationaux de la Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC).

Les fonctionnaires suivants de la CEPALC ont contribuĂ© Ă  la rĂ©daction du prĂ©sent rapport : MartĂ­n Abeles, Alejandra Acevedo, Olga LucĂ­a Acosta, JosĂ© Eduardo Alatorre, Dale Alexander, Vianka Aliaga, Dillon Alleyne, Alberto Arenas de Mesa, Raquel Artecona, Hugo Beteta, Álvaro CalderĂłn, VerĂłnica Cano, Jean Baptise Carpentier, Christine Carton, Simone Cecchini, Pablo Chauvet, MartĂ­n Cherkasky, Felipe Correa, Filipe Da Silva, Carlos de Miguel, Ana LuĂ­za de Oliveira, Fabiana Del Popolo, Marco Dini, Lika Doehl Diouf, Artie Dubrie, JosĂ© DurĂĄn, AndrĂ©s Espejo, Rodrigo Furtado, Marina Gil, Nicolo Gligo, Camila Gramkow, Ana GĂŒezmes, Michael Hanni, SebastiĂĄn Herreros, Mariana Huepe, Keiji Inoue, Valeria JordĂĄn, Vera Kiss, Carlos Kroll, Andrea Laplane, So Jeong Lee, Mauricio LeĂłn, JosĂ© Luis Lewinsohn, JesĂșs LĂłpez, Carlos Maldonado, MarĂ­a Luisa Marinho, Rodrigo MartĂ­nez, Jorge Mario MartĂ­nez Piva, Jorge MartĂ­nez Pizarro, Javier Meneses, Cielo Morales, Carlos Mussi, Georgina NĂșñez, Rolando Ocampo, Roberto Orozco, Machel Pantin, Franciss Peñaloza, Wilson Peres, Esteban PĂ©rez, Noel PĂ©rez, Willard Phillips, RamĂłn Pineda, Cecilia Plottier, Gabriel Porcile, Diane Quarless, RayĂ©n Quiroga MartĂ­nez, Orlando Reyes, Juan Carlos Rivas, Claudia Robles, Monica Rodrigues, AdriĂĄn RodrĂ­guez, Indira Romero, SebastiĂĄn Rovira, Joseluis Samaniego, Jeannette SĂĄnchez, Nunzia Saporito, Silvia Saravia, LucĂ­a Scuro, Nyasha Skerrette, Zulma Sosa, Octavio Sotomayor, Elizabeth Thorne, Daniel Titelman, Daniela Trucco, Cecilia Vera, Paul Wander, Pablo Yanes et Romain Zivy.

Les consultants suivants de la CEPALC ont également apporté leur contribution : Sofía del Villar, Álvaro Lalanne, Martín Lavalleja, Diego Messina, Liliån Romero, Ira Ronzheimer, José Ignacio Suårez et Belén Villegas.

Nous tenons à remercier Rubén Contreras et Céline Van Herp de leur collaboration.

Les frontiĂšres et les noms indiquĂ©s sur les cartes n’impliquent pas une reconnaissance ou une acceptation officielle de la part des Nations Unies.

Notes explicatives

- Les trois points de suspension (...)indiquent que les données sont manquantes, non rapportées séparément ou non disponibles.

- Le tiret (-) indique que la quantité est nulle ou négligeable.

- La virgule (,) est utilisée pour séparer les décimales.

- Sauf indication contraire, le mot « dollars » dĂ©signe les dollars des États-Unis.

- La barre oblique (/) placĂ©e entre des chiffres exprimant des annĂ©es (par exemple 2013/2014) indique que l’information correspond Ă  une pĂ©riode de 12 mois ne correspondant pas nĂ©cessairement Ă  l’annĂ©e civile.

- Les chiffres étant parfois arrondis, les données partielles et les pourcentages présentés dans les tableaux ne donnent pas toujours le total correspondant.

Cette publication doit ĂȘtre citĂ©e comme suit : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), Vers la transformation du modĂšle de dĂ©veloppement en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes : production, inclusion et durabilitĂ©. SynthĂšse (LC/SES.39/4), Santiago, 2022. La reproduction intĂ©grale ou partielle de cet ouvrage doit ĂȘtre sollicitĂ©e auprĂšs de la Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), Division des documents et publications, publicaciones.cepal@un.org. Les États membres des Nations Unies et leurs instances gouvernementales peuvent reproduire cet ouvrage sans autorisation prĂ©alable. Il leur est seulement demandĂ© de mentionner la source et d’informer la CEPALC de cette reproduction.

Publication des Nations Unies ‱ LC/SES.39/4 ‱ Distribution : G ‱ Original : Espagnol Copyright © Nations Unies, 2022 ‱ Tous droits rĂ©servĂ©s ImprimĂ© aux Nations Unies, Santiago ‱ S.22-00992
Table des matiĂšres Avant-propos .......................................................................................... 5 Introduction .......................................................................................... 11 I. PrĂ©sent et avenir de la mondialisation : crise Ă©conomique, urgence environnementale et rĂ©volution technologique .................................................... 19 II. Structure de production et politiques pour le dĂ©veloppement durable ............................................. 25 III. InĂ©galitĂ©s, emploi et politiques sociales ............................... 31 A. Transformation productive et emploi 31 B. Protection sociale, croissance et rĂ©silience ...................... 36 IV. La dimension sectorielle : les moteurs du dĂ©veloppement durable ..................................................... 39 A. Transition Ă©nergĂ©tique 40 B. ÉlectromobilitĂ© 41 C. Économie circulaire 41 D. BioĂ©conomie ..................................................................... 42 E. Industrie manufacturiĂšre de la santĂ© 43 F. Transformation numĂ©rique ................................................ 44 G Économie des soins 45 H. Tourisme durable 46 I. Micro, petites et moyennes entreprises (MPME) et Ă©conomie sociale et solidaire ....................................... 46 V. Politiques pour la transformationdu modĂšle de dĂ©veloppement ..................................................... 49

Avant-propos

Dans un contexte rĂ©gional macro-Ă©conomique, social et environnemental trĂšs complexe, qui oblige Ă  repenser les politiques publiques Ă  court et Ă  long terme, la Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC) exerce sa mission de prĂ©senter aux pays de la rĂ©gion, Ă  l’occasion de sa trente-neuviĂšme session, une proposition de relance Ă©conomique et de transformation des modĂšles de dĂ©veloppement qui prĂ©valent en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes. AprĂšs la pire crise Ă©conomique et sociale que la rĂ©gion n’ait jamais connue, provoquĂ©e par la pandĂ©mie de coronavirus (COVID-19), nous traversons actuellement une pĂ©riode de grandes difficultĂ©s et d’incertitudes engendrĂ©es par une sĂ©rie de chocs en cascade : crises climatique, sanitaire, de l’emploi, sociale, Ă©ducative, de la sĂ©curitĂ© alimentaire, Ă©nergĂ©tique et du coĂ»t de la vie.

À court terme, la rĂ©gion est confrontĂ©e Ă  des dĂ©fis majeurs en matiĂšre de politique Ă©conomique et sociale, compte tenu de la nĂ©cessitĂ© de concilier des politiques de relance Ă©conomique, de lutte contre l’inflation et la crise du coĂ»t de la vie, de maintien du soutien aux mĂ©nages les plus vulnĂ©rables, avec le souci de renforcer la soutenabilitĂ© des finances publiques. Toutefois, aussi difficile que soit l’environnement mondial actuel, ce sont les facteurs structurels Ă  long terme qui prĂ©sentent les plus grands dĂ©fis : accroĂźtre la productivitĂ©, transformer les systĂšmes Ă©conomiques et productifs pour crĂ©er davantage d’emplois de meilleure qualitĂ©, Ă©voluer vers des Ă©conomies Ă  faible Ă©mission de carbone plus sophistiquĂ©es sur le plan technologique

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pour faire face au changement climatique, rĂ©duire les Ă©carts et les hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©s d’ordre structurel, transformer les systĂšmes d’éducation en vĂ©ritables moteurs de la mobilitĂ© sociale et de la croissance, Ă©liminer les disparitĂ©s de genre et Ă©voluer vers des systĂšmes universels de protection sociale dans le cadre d’États-providence solides, pour ne mentionner que quelques exemples parmi les plus importants.

En outre, un processus inflationniste touchant l’économie mondiale, comme on n’en avait pas connu au cours des 20 derniĂšres annĂ©es, conditionne fortement la politique monĂ©taire des Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es et de celles de la rĂ©gion. Les mesures de stimulation budgĂ©taire et monĂ©taire adoptĂ©es pendant la pandĂ©mie ont Ă©tĂ© relayĂ©es par des politiques plus restrictives qui s’expriment par des hausses de taux de la politique monĂ©taire dans presque tous les pays de la rĂ©gion. Par ailleurs, la situation des finances publiques de la plupart des pays s’est dĂ©tĂ©riorĂ©e du fait des importants efforts budgĂ©taires consentis pour faire face au pire de la crise du COVID-19 et Ă  ses retombĂ©es sociales. La situation sociale en AmĂ©rique latine et aux CaraĂŻbes s’est Ă©galement dĂ©gradĂ©e, avec de fortes augmentations des niveaux de pauvretĂ©, sous le coup des effets de la pandĂ©mie et de la contraction Ă©conomique qui l’a accompagnĂ©e. Les inĂ©galitĂ©s de revenus se sont Ă©galement creusĂ©es de maniĂšre significative Ă  la suite de l’apparition de la pandĂ©mie, entraĂźnant une dĂ©tĂ©rioration des conditions de vie et des attentes Ă©conomiques non seulement de la part des segments les plus pauvres, mais aussi des secteurs de la classe moyenne, entraĂźnant d’importantes rĂ©percussions politiques et sociales. À cette situation s’ajoutent d’importants flux migratoires qui doivent faire l’objet de notre attention.

Il est essentiel d’assurer la viabilitĂ© des dĂ©penses publiques et d’éviter des ajustements qui accentueraient le processus de ralentissement Ă©conomique et compromettraient le soutien apportĂ© aux secteurs les plus vulnĂ©rables. Cela suppose Ă©largir l’espace budgĂ©taire et la mise en place d’une gouvernance macro-Ă©conomique permettant des cycles de contraction Ă©conomique plus courts et moins profonds et des cycles expansionnistes plus durables dans le temps.

Les Ă©conomies de la rĂ©gion doivent non seulement faire face aux enjeux difficiles liĂ©s Ă  la situation actuelle, mais aussi relever le dĂ©fi d’inverser la faible croissance de la productivitĂ© et des investissements

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des trois derniĂšres dĂ©cennies, qui est devenue une contrainte structurelle au dĂ©veloppement. Il est nĂ©cessaire de repenser les politiques productives afin que la rĂ©gion puisse s’intĂ©grer rapidement aux rĂ©volutions technologiques qui ont modifiĂ© le paradigme de la production. Outre un cadre macro-Ă©conomique et financier appropriĂ©, il est impĂ©rieux que les politiques de redressement productif comportent un volet sectoriel. MĂȘme si la spĂ©cificitĂ© sectorielle doit ĂȘtre dĂ©finie dans chaque contexte national, la CEPALC propose d’accorder une attention particuliĂšre Ă  au moins neuf secteurs Ă  fort potentiel dynamiseur et transformateur : la transition Ă©nergĂ©tique, l’électromobilitĂ©, l’économie circulaire, la bioĂ©conomie, l’industrie manufacturiĂšre liĂ©e Ă  la santĂ©, la transformation numĂ©rique, l’économie des soins, le tourisme durable et le secteur constituĂ© par les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) ainsi que l’économie sociale et solidaire.

Les rĂ©volutions technologiques engendrent des vagues de destruction crĂ©atrice dont les effets sont profondĂ©ment transformateurs sur le plan socio-Ă©conomique. L’enjeu politique est de faire en sorte que les dynamiques de crĂ©ation et d’innovation prennent le pas sur les dynamiques destructrices, et que les secteurs affectĂ©s en matiĂšre sociale et d’emploi bĂ©nĂ©ficient de systĂšmes de protection sociale et de politiques volontaristes du marchĂ© du travail (insertion professionnelle et formation) pour tirer parti des possibilitĂ©s offertes par le nouveau monde du travail que la rĂ©volution technologique est en train de crĂ©er.

Il convient Ă©galement de promouvoir une rĂ©activation et une transformation Ă©cologiquement durables de l’appareil productif, faute de quoi celui-ci ne parviendra pas Ă  attĂ©nuer les effets du changement climatique. Les effets du changement climatique se ressentent le plus fortement dans les pays les moins dĂ©veloppĂ©s qui, bien que produisant moins d’émissions de gaz Ă  effet de serre, sont aussi moins prĂ©parĂ©s Ă  faire face Ă  leurs consĂ©quences nĂ©gatives.

La transformation de la structure de production qui s’impose en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes sera le rĂ©sultat de choix politiques, comme cela a Ă©tĂ© le cas dans l’histoire de tous les pays qui ont Ă©chappĂ© au piĂšge au piĂšge du revenu intermĂ©diaire et se sont transformĂ©s en pays Ă  revenu Ă©levĂ©, et pas seulement le rĂ©sultat du destin en matiĂšre de dotation des facteurs. Le style de dĂ©veloppement est dĂ©terminĂ©

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par la dimension institutionnelle et d’économie politique qui doit Ă©voluer en mĂȘme temps que la structure productive. Les pays qui ont mis en place des politiques de transformation et de diversification de la production et qui les ont maintenues dans le temps ont obtenu de meilleurs rĂ©sultats en termes de croissance Ă  long terme que ceux qui ne l’ont pas fait. Les faibles niveaux d’investissement et de productivitĂ© observĂ©s dans les pays de la rĂ©gion au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies, ainsi que leur trajectoire dĂ©croissante, sont le rĂ©sultat de la faible capacitĂ© de ces pays Ă  opĂ©rer et Ă  maintenir les changements nĂ©cessaires dans la structure de production et, partant, dans la quantitĂ© et la qualitĂ© de l’emploi.

En AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes, il est impĂ©ratif d’amĂ©liorer la capacitĂ© institutionnelle de l’État Ă  concevoir, mettre en Ɠuvre et Ă©valuer les politiques publiques nĂ©cessaires Ă  un changement structurel durable. Les politiques publiques doivent avoir des effets de rupture sur la composition de la structure productive de la rĂ©gion, et doivent donc ĂȘtre menĂ©es par des ministĂšres et des secrĂ©tariats dotĂ©s d’une influence politique et de capacitĂ©s institutionnelles. Les initiatives relatives aux politiques productives, industrielles et technologiques requiĂšrent un soutien institutionnel et politique ainsi que les capacitĂ©s nĂ©cessaires pour les mettre en Ɠuvre efficacement.

Par ailleurs, les pays manquent d’États-providence et de systĂšmes de protection sociale solides. Sur le plan rĂ©gional, la transition vers des systĂšmes universels d’accĂšs Ă  certains biens et services essentiels au bien-ĂȘtre et Ă  la croissance de la productivitĂ© (par exemple, la santĂ© et l’éducation) constitue un dĂ©fi qui n’a pas encore Ă©tĂ© pleinement intĂ©grĂ© dans les politiques publiques. La rĂ©duction de la pauvretĂ© et des inĂ©galitĂ©s passe par une augmentation de l’emploi formel et par la mise en place de politiques sociales qui dĂ©bouchent sur des systĂšmes de protection sociale universels. Dans ces deux domaines, il faut considĂ©rer et aborder d’autres sources d’inĂ©galitĂ©, telles que celles liĂ©es au genre, au statut ethno-racial ou Ă  l’ñge, ainsi que les sources liĂ©es Ă  la dĂ©gradation de l’environnement. La protection sociale universelle n’est pas seulement un impĂ©ratif moral en termes de dĂ©veloppement, elle contribue aussi bien Ă  la justice sociale qu’à la croissance et Ă  la rĂ©silience Ă©conomiques, d’oĂč l’importance, pour la rĂ©gion de s’orienter vers la mise en place d’États-providence.

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La rĂ©solution des problĂšmes qui freinent le dĂ©veloppement de la rĂ©gion et la maintiennent sur une trajectoire marquĂ©e par la lenteur des investissements, la faiblesse de la croissance et les profondes inĂ©galitĂ©s exige la mise en Ɠuvre d’un large Ă©ventail de politiques macro-Ă©conomiques, sociales, environnementales et productives, à forte composante sectorielle. Les stratĂ©gies et politiques proposĂ©es par la CEPALC Ă  sa trente-neuviĂšme session font apparaĂźtre certains Ă©lĂ©ments qui mĂ©ritent d’ĂȘtre soulignĂ©s : l’urgence de rĂ©cupĂ©rer les investissements et la croissance; la reconnaissance du rĂŽle crucial et irremplaçable de l’État dans toutes ses dimensions, depuis l’articulation de propositions et la fourniture de financements Ă  une Ă©chelle difficilement accessible au secteur privĂ© jusqu’à la dĂ©finition de modĂšles rĂ©glementaires et Ă  la formulation et Ă  la mise en Ɠuvre de politiques; la nĂ©cessitĂ© d’articuler les politiques sectorielles avec celles de portĂ©e gĂ©nĂ©rale, ainsi que la crĂ©ation d’espaces de nĂ©gociation, de dĂ©cision et d’action impliquant la participation de diffĂ©rents acteurs, compte tenu de leurs capacitĂ©s, avantages et limitations.

Il s’agit d’un programme ambitieux, mais l’heure n’est pas aux changements progressifs ou timides, mais bien aux mutations rĂ©solues et transformationnelles. Seule une plus grande ambition nous permettra de rĂ©pondre aux nombreux dĂ©fis et chocs simultanĂ©s, ainsi qu’à la complexitĂ© des Ă©conomies et des sociĂ©tĂ©s de notre rĂ©gion.

L’articulation des stratĂ©gies et des politiques proposĂ©es, leur mise en Ɠuvre effective et leur adaptation aux nouvelles rĂ©alitĂ©s au fil du temps exigent de nouvelles formes de gouvernance volontariste, fondĂ©es sur des processus itĂ©ratifs et participatifs de formulation et de mise en Ɠuvre des politiques. Dans certains cas, de nouveaux pactes fiscaux, productifs, sociaux et environnementaux devront ĂȘtre conclus pour surmonter les problĂšmes actuels et Ă©voluer Ă  long terme vers des sociĂ©tĂ©s durables, soudĂ©es et rĂ©silientes, autant de caractĂ©ristiques des États-providence que la rĂ©gion doit construire dans le cadre d’économies plus efficaces et productives.

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Introduction

Le contexte international est marquĂ© par de fortes incertitudes concernant les annĂ©es Ă  venir. La faible croissance et les pressions inflationnistes issues de la crise provoquĂ©e par la pandĂ©mie de coronavirus (COVID-19) ont Ă©tĂ© aggravĂ©es par le conflit armĂ© entre la FĂ©dĂ©ration de Russie et l’Ukraine qui a exacerbĂ© les tensions gĂ©opolitiques, le ralentissement du commerce et de la croissance dans le monde, l’inflation et la volatilitĂ© du systĂšme financier mondial.

À cela s’ajoutent les problĂšmes liĂ©s aux changements dans la dynamique de la mondialisation, associĂ©s Ă  plusieurs rĂ©volutions technologiques convergentes qui bouleversent le paradigme de la production, les modĂšles d’entreprise, les chaĂźnes d’approvisionnement et les flux commerciaux de biens et de services, ainsi que les nouvelles rĂ©alitĂ©s gĂ©opolitiques qui ont aussi modifiĂ© la configuration du commerce mondial et la dynamique des dĂ©nommĂ©es « usines mondiales ».

Le contexte mondial actuel est caractĂ©risĂ© par un phĂ©nomĂšne dĂ©crit par de nombreux analystes et organisations internationales comme une sĂ©rie de crises en cascade, dont les crises climatique, sanitaire, de l’emploi, sociale, de l’éducation, de la sĂ©curitĂ© alimentaire, de l’énergie et du coĂ»t de la vie, qui affectent diffĂ©remment et Ă  diffĂ©rents degrĂ©s un grand nombre de pays, notamment en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes.

Dans le cas de la région, les défis posés par les différents chocs récents, en particulier la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine et ses conséquences ainsi que les changements structurels à plus long terme liés à la mondialisation et au changement climatique se

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sont accentuĂ©s, dans la mesure oĂč ils exacerbent et approfondissent d’anciens problĂšmes structurels en lien avec les inĂ©galitĂ©s, la productivitĂ©, l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© productive, l’informalitĂ© du travail, l’accĂšs limitĂ© aux systĂšmes de protection sociale, la fracture numĂ©rique, les inĂ©galitĂ©s de genre et dans l’éducation. Ces caractĂ©ristiques structurelles de la rĂ©gion, et les exigences sociales et politiques qui y sont associĂ©es, nuisent non seulement Ă  la capacitĂ© d’évoluer vers une croissance et un dĂ©veloppement Ă©cologiquement durables, mais aussi Ă  la rĂ©silience des pays face aux chocs extĂ©rieurs, aux exigences du cycle Ă©conomique et aux transformations Ă  plus long terme.

Sur le court terme, cette situation s’est traduite par des difficultĂ©s importantes en matiĂšre de politique Ă©conomique et sociale dans la rĂ©gion, dans la mesure oĂč les politiques de relance Ă©conomique, de lutte contre l’inflation et de soutien aux mĂ©nages les plus vulnĂ©rables doivent ĂȘtre compatibles avec la soutenabilitĂ© des finances publiques.

Par consĂ©quent, il est nĂ©cessaire de mettre en place des politiques publiques clairement ciblĂ©es et orientĂ©es – dotĂ©es de la marge de manƓuvre nĂ©cessaire pour favoriser un processus de reconstruction et de transformation – et de renforcer les institutions publiques dans la rĂ©gion. Les Ă©conomies de la rĂ©gion doivent prendre des mesures pour rĂ©activer les systĂšmes Ă©conomiques et productifs, tout en les reconstruisant et les transformant pour Ă©voluer vers des Ă©conomies Ă  faible intensitĂ© de carbone et Ă  haute technologie, capables de faire face au changement climatique, et de rĂ©duire les Ă©carts, les hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©s structurelles et les dualismes historiques qui caractĂ©risent les pays de la rĂ©gion.

Ces enjeux font partie des problĂ©matiques analysĂ©es dans ce document, qui examine d’une part les dĂ©fis Ă  court terme que doivent relever les politiques macro-Ă©conomiques et sociales pour relancer l’économie et assurer la protection des mĂ©nages les plus vulnĂ©rables. D’autre part, il analyse la structure productive et les politiques sectorielles susceptibles de guider les pays de la rĂ©gion sur la voie du dĂ©veloppement durable.

Défis à relever pour une réactivation durable

AprÚs le faible taux moyen de croissance économique annuelle de 0,6 pour cent enregistré sur la période 2014-2019, une contraction historique de 6,9 pour cent en 2020 et une reprise de 6,5 pour cent

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en 2021, la Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC) prĂ©voit une croissance des Ă©conomies de la rĂ©gion de 3,2 pour cent en 2022. Il est Ă©galement prĂ©vu que la croissance ralentisse encore davantage dans les annĂ©es Ă  venir et que la rĂ©gion reprenne la trajectoire de faible croissance qu’elle a connue.

RĂ©cemment, le ralentissement de la croissance de l’activitĂ© Ă©conomique s’est accompagnĂ© d’une augmentation considĂ©rable du taux d’inflation. En juin 2022, l’inflation en glissement annuel Ă©tait en moyenne de 8,4 pour cent pour la rĂ©gion, c’est-Ă -dire plus du double de la moyenne de 4,1 pour cent enregistrĂ©e entre janvier 2005 et dĂ©cembre 2019.

La dynamique de l’inflation a fortement influencĂ© la politique monĂ©taire des pays de la rĂ©gion, et les politiques de relance adoptĂ©es aprĂšs le dĂ©but de la pandĂ©mie ont fait place Ă  des politiques plus restrictives qui ont entraĂźnĂ© de fortes hausses du taux de la politique monĂ©taire dans presque tous les pays de la rĂ©gion. MalgrĂ© ces efforts, on s’attend Ă  ce que l’inflation reste Ă©levĂ©e dans un avenir proche, Ă©tant donnĂ© qu’elle est influencĂ©e par certains facteurs de l’offre, notamment les prix de produits clĂ©s comme les denrĂ©es alimentaires, les engrais et les carburants.

La situation des finances publiques des pays de la rĂ©gion s’est quant Ă  elle dĂ©tĂ©riorĂ©e du fait des efforts budgĂ©taires colossaux consentis pour parer aux moments les plus difficiles de la crise du COVID-19 et Ă  ses consĂ©quences sociales. En moyenne, les dĂ©ficits budgĂ©taires des pays ont augmentĂ© par rapport Ă  la situation qui prĂ©valait avant la pandĂ©mie, au mĂȘme titre que les niveaux d’endettement. En 2020, la dette publique brute des administrations publiques des pays d’AmĂ©rique latine atteignait 56,6 pour cent du PIB, contre 53,4 pour cent du PIB l’annĂ©e suivante. Toutefois, ces niveaux restent historiquement Ă©levĂ©s et similaires aux niveaux observĂ©s il y a 20 ans. Cette situation a entraĂźnĂ© une dĂ©cĂ©lĂ©ration significative des dĂ©penses publiques par rapport Ă  2020, particuliĂšrement les dĂ©penses en subventions et transferts courants. Dans les CaraĂŻbes, la dette publique brute des gouvernements centraux reprĂ©sentait 89,3 pour cent du PIB en 2020 et a lĂ©gĂšrement diminuĂ© pour atteindre 88,1 pour cent du PIB en 2021. Six pays prĂ©sentent un niveau d’endettement encore plus Ă©levĂ©, dĂ©passant 90 pour cent du PIB.

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ParallĂšlement, la situation sociale de la rĂ©gion s’est elle aussi dĂ©tĂ©riorĂ©e et les niveaux de pauvretĂ© ont sensiblement augmentĂ©, ce qui tĂ©moigne des effets de la pandĂ©mie et de la rĂ©cession Ă©conomique qui l’a accompagnĂ©e. La Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC) a estimĂ© qu’en 2020, la pauvretĂ© et l’extrĂȘme pauvretĂ© atteignaient, respectivement, 33,0 pour cent et 13,1 pour cent de la population rĂ©gionale. En 2021, la reprise amorcĂ©e dans les Ă©conomies a entraĂźnĂ© une baisse trĂšs modeste de la pauvretĂ© Ă  32,1 pour cent et une augmentation marginale mais rĂ©guliĂšre de l’extrĂȘme pauvretĂ© Ă  13,8 pour cent. Les inĂ©galitĂ©s de revenu se sont Ă©galement considĂ©rablement creusĂ©es aprĂšs le dĂ©but de la pandĂ©mie, ce qui a mis fin Ă  la tendance Ă  la baisse observĂ©e dans la rĂ©gion depuis 2002. Comme nous l’aborderons au chapitre III, cette aggravation des inĂ©galitĂ©s dans la rĂ©partition des revenus affaiblit de plus en plus les couches intermĂ©diaires, ce qui a de lourdes consĂ©quences politiques et sociales.

Ainsi, le contexte dans lequel s’inscrit le dialogue sur les politiques publiques dans la rĂ©gion est caractĂ©risĂ© par des restrictions considĂ©rables de l’espace politique et macro-Ă©conomique, conjuguĂ©es Ă  des demandes sociales croissantes. C’est dans ce cadre que les pays de la rĂ©gion doivent adopter des politiques leur permettant de favoriser une croissance durable, d’attĂ©nuer les pressions inflationnistes, de crĂ©er des emplois de qualitĂ© et d’attĂ©nuer les coĂ»ts sociaux, tout en rĂ©duisant la pauvretĂ© et les inĂ©galitĂ©s. Ce sont autant d’aspects qui posent des dĂ©fis majeurs pour les systĂšmes politiques et de gouvernance et pour les capacitĂ©s techniques, opĂ©rationnelles et politiques des institutions publiques.

Sur le plan des finances publiques, il convient d’élargir l’assiette fiscale pour assurer la viabilitĂ© des dĂ©penses publiques et Ă©viter des ajustements susceptibles d’aggraver la dĂ©cĂ©lĂ©ration Ă©conomique et de menacer le soutien aux secteurs les plus vulnĂ©rables. Il existe Ă  cette fin des options politiques Ă  court terme qui permettraient d’augmenter les recettes fiscales Ă  travers des mesures visant Ă  rĂ©duire l’évasion fiscale, rĂ©viser les dĂ©penses fiscales pour limiter les pertes en matiĂšre de recouvrement et adapter les codes des impĂŽts aux nouvelles pratiques en matiĂšre de fiscalitĂ© internationale et d’économie numĂ©rique. À moyen terme, il convient de renforcer l’impĂŽt sur le revenu des personnes physiques, d’étendre la portĂ©e de l’impĂŽt sur

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la fortune et de l’impĂŽt foncier, de revoir et de rĂ©amĂ©nager les cadres fiscaux applicables Ă  l’exploitation des ressources non renouvelables et d’envisager des impĂŽts liĂ©s Ă  l’environnement et aux problĂšmes de santĂ© publique. Avancer dans cette voie demandera de construire des pactes fiscaux et sociaux pour que les rĂ©formes du cadre des finances publiques dans la rĂ©gion soient viables.

Sur le plan monétaire, les pouvoirs publics doivent reconnaßtre que la stabilité des prix est un élément clé de la stabilité macro financiÚre, tout comme la stabilité du taux de change et la gestion du cycle économique et des flux de capitaux, ce qui a été mis en évidence pendant la pandémie. Ce sont des éléments essentiels pour que la politique monétaire réussisse à concilier la stabilité des prix avec la nécessité de rétablir la croissance et les investissements.

La politique macroprudentielle de la rĂ©gion dispose d’une marge de manƓuvre relativement importante et peut contribuer Ă  conduire la politique monĂ©taire. Depuis la crise financiĂšre mondiale de 2008, son utilisation s’est accrue progressivement et s’est intensifiĂ©e dans le contexte de la crise de la pandĂ©mie de COVID-19. Dans le contexte actuel, qui implique de stabiliser l’inflation sans aggraver la rĂ©cession, les banques centrales doivent utiliser de maniĂšre complĂ©mentaire tous les outils Ă  leur disposition, qu’ils soient conventionnels ou non.

Ainsi, les politiques monĂ©taires conventionnelles, comme l’ajustement des taux d’intĂ©rĂȘt ou la gestion des rĂ©serves obligatoires, devraient ĂȘtre complĂ©tĂ©es par d’autres politiques macroprudentielles, telle que l’augmentation du provisionnement liĂ© aux prĂȘts Ă  plus haut risque, afin de rĂ©duire la progression du crĂ©dit, si cela est jugĂ© nĂ©cessaire. De mĂȘme, pour limiter la volatilitĂ© du taux de change et son impact sur la dynamique des prix, il conviendrait de complĂ©ter le recours au taux de politique monĂ©taire (TPM) par d’autres mesures comme des interventions sur les marchĂ©s des changes (au comptant et dĂ©rivĂ©s), afin d’attĂ©nuer la volatilitĂ© excessive, et des mesures macroprudentielles (comme les rĂ©serves obligatoires sur les dĂ©pĂŽts en devises) liĂ©es Ă  la gestion des flux de capitaux.

Outre les dĂ©fis complexes posĂ©s par le contexte actuel, les Ă©conomies de la rĂ©gion doivent Ă©galement relever le dĂ©fi d’inverser la faible croissance des investissements des trois derniĂšres dĂ©cennies, devenue une contrainte structurelle au dĂ©veloppement.

CEPALC 2022 15

Une augmentation des investissements permettrait de lever les obstacles qui freinent l’adoption de nouvelles et meilleures technologies et qui entrave la croissance de la productivitĂ© dans les Ă©conomies de la rĂ©gion.

Il est Ă  noter que les investissements publics en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes sont faibles en termes absolus et relatifs par rapport aux autres rĂ©gions du monde. En moyenne, la formation brute de capital fixe des gouvernements de la rĂ©gion a Ă©tĂ© nettement infĂ©rieure aux niveaux enregistrĂ©s dans les pays Ă©mergents et en dĂ©veloppement d’Asie au cours des derniĂšres dĂ©cennies, pĂ©riode durant laquelle les pays asiatiques ont bĂąti des Ă©conomies dynamiques et diversifiĂ©es (voir le graphique 1).

Les flux d’investissement limitĂ©s se sont traduits par l’insuffisance du stock de capital public pour fournir des services Ă©conomiques et sociaux, stimuler la croissance et jeter les bases d’un dĂ©veloppement durable et inclusif dans la rĂ©gion.

La rĂ©gion est confrontĂ©e Ă  un certain nombre de dĂ©fis Ă  court terme, qui nĂ©cessitent de concilier diffĂ©rentes politiques visant Ă  stimuler la reprise Ă©conomique et Ă  lutter contre l’accĂ©lĂ©ration de l’inflation et la crise du coĂ»t de la vie. En outre, il est important de continuer de soutenir les mĂ©nages les plus vulnĂ©rables, tout en renforçant la viabilitĂ© des finances publiques.

La dynamique Ă©conomique des pays de la rĂ©gion est caractĂ©risĂ©e par une forte volatilitĂ© rĂ©elle et par ses difficultĂ©s Ă  soutenir les phases d’expansion du cycle Ă©conomique, qui tendent Ă  ĂȘtre plus courtes et moins intenses que dans d’autres rĂ©gions, alors que les phases de rĂ©cession tendent Ă  ĂȘtre similaires. La volatilitĂ© de l’investissement est supĂ©rieure Ă  celle de la production, et a tendance Ă  augmenter depuis les annĂ©es 1990.

Cette caractĂ©ristique des cycles Ă©conomiques contraint la rĂ©gion Ă  relever le dĂ©fi de mettre en place une gouvernance macro-Ă©conomique capable d’amĂ©liorer sa capacitĂ© Ă  faire face aux chocs nĂ©gatifs et Ă  minimiser leurs effets par le biais de politiques anticycliques stimulant Ă  la fois la phase d’expansion et les investissements. Cette gouvernance macro-Ă©conomique est cruciale pour relever les dĂ©fis de la transformation productive et soutenir ce processus Ă  long terme.

Les chapitres suivants présentent les principaux messages et recommandations de politiques.

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Graphique 1

Groupes de pays et régions sélectionnés : formation brute de capital par le gouvernement central, 2019 (En pourcentage du PIB, sur la base de prix constants)

A. Moyenne pondérée

Économies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Asie

Moyen-Orient et Asie centrale

Économies avancĂ©es

Afrique sub-saharienne

Économies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Europe

Amérique latine et Caraïbes

B. Moyenne simple

CaraĂŻbes

Économies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Asie

Moyen-Orient et Asie centrale

Amérique latine et Caraïbes

Afrique sub-saharienne

Amérique latine

Économies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Europe

Économies avancĂ©es

Source : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), Ă  partir de Fonds monĂ©taire international (FMI), “Investment and Capital Stock Dataset” [en ligne] https://data.imf.org/?sk=1CE8A55F-CFA7-4BC0-BCE2-256EE65AC0E4.

Note : Les moyennes pondĂ©rĂ©es sont calculĂ©es sur la base du PIB en paritĂ© de pouvoir d’achat en dollars internationaux courants.

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11,7 5,7 3,5 3,3 2,9 2,8 0 2 4 6 8 10 12 14
6,7 6,4 5,6 4,9 4,2 3,9 3,8 3,7 0 2 4 6 8

I. Présent et avenir de la mondialisation : crise économique, urgence environnementale et révolution technologique

Ce chapitre souligne que la situation Ă©conomique, sociale et environnementale des pays d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes est moins due Ă  des conditions et restrictions internes qu’à des conditions externes. Comme le montre le graphique 2, depuis 2008, l’économie mondiale a Ă©tĂ© secouĂ©e par plusieurs chocs qui ont touchĂ© les pays de la rĂ©gion. Parmi eux, on peut citer la crise financiĂšre mondiale de 2008-2009, les tensions Ă©conomiques dĂšs 2017 entre les États-Unis et l’Europe d’une part et la Chine de l’autre, la pandĂ©mie de maladie à coronavirus (COVID-19) en 2020, puis le conflit armĂ© entre la FĂ©dĂ©ration de Russie et l’Ukraine en 2022.

Le processus d’inflation qui a commencĂ© au cours du deuxiĂšme semestre 2020 et a Ă©tĂ© exacerbĂ© par la guerre en Ukraine a conduit les banques centrales Ă  freiner les impulsions de la demande globale en augmentant les taux de politique monĂ©taire et en rĂ©duisant les programmes d’achat d’actifs. Des politiques de ce type peuvent s’avĂ©rer inefficaces pour modĂ©rer l’inflation si elles rĂ©pondent Ă  des facteurs liĂ©s Ă  la guerre, aux problĂšmes dans les chaĂźnes d’approvisionnement et Ă  l’augmentation des coĂ»ts de transport international. Une politique monĂ©taire restrictive impliquerait en outre une moindre impulsion de l’activitĂ© Ă©conomique et des risques plus Ă©levĂ©s pour les systĂšmes financiers, ce qui pourrait accentuer le risque de stagflation, notamment en raison du mouvement simultanĂ© de hausse des taux d’intĂ©rĂȘt par les principales banques centrales.

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Graphique 2

Essor et essoufflement de la mondialisation : variation annuelle du PIB mondial et du volume du commerce international de marchandisesa (Pourcentages, moyennes mobiles sur cinq ans)

Guerre en Ukraine

Insécurité alimentaire

Essor de la mondialisation

Consolidation de trois « usines » manufacturiÚres mondiales Expansion industrielle de la Chine Programme de développement

Crise ïŹnanciĂšre internationale

Baisse de la contribution du commerce Ă  la croissance Ă©conomique Dichotomie entre Ă©conomie rĂ©elle et expansion ïŹnanciĂšre MĂ©contentement des classes moyennes dans les pays dĂ©veloppĂ©s

Pandémie de COVID-19

Contraction de l’offre de pĂ©trole, de denrĂ©es alimentaires et d’engrais RĂ©ponse monĂ©taire Ă  l’inïŹ‚ation

Interruption des chaĂźnes d’approvisionnement Chocs d’offre InïŹ‚ation

Tensions commerciales et technologiques avec la Chine

Estratégias de relocalização

Régionalisation, souveraineté en matiÚre de défense, d'énergie, d'alimentation et de manufacture

Volume des échanges PIB

Volume des échanges PIB

Source : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), Ă  partir de donnĂ©es de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du Fonds monĂ©taire international (FMI).

a Les pourcentages indiquĂ©s pour l’annĂ©e 2022 sont des prĂ©visions.

Pour les Ă©conomies Ă©mergentes, dont celles d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes, la situation est encore plus complexe, car la lutte contre l’inflation a accentuĂ© le durcissement des conditions financiĂšres mondiales et augmentĂ© la volatilitĂ© des marchĂ©s financiers et l’aversion pour le risque au niveau mondial. Les flux de capitaux vers les marchĂ©s Ă©mergents s’en sont ressentis, ce qui a entraĂźnĂ© d’importantes dĂ©prĂ©ciations des devises et amplifiĂ© l’impact des chocs sur les prix de l’énergie et des denrĂ©es alimentaires.

La dynamique cyclique de l’économie mondiale s’inscrit dans un contexte caractĂ©risĂ© par deux mĂ©gatendances, l’urgence environnementale et la rĂ©volution technologique, qui transforment structurellement le processus de mondialisation, et plus particuliĂšrement le commerce et les chaĂźnes de valeur.

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1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
0 1 2 3 4 5 6 7 8

Au moment oĂč l’économie mondiale encourt un risque croissant de stagflation, les sociĂ©tĂ©s doivent Ă©galement faire face Ă  une crise environnementale de plus en plus aiguĂ« et asymĂ©trique. Parmi ses manifestations les plus alarmantes, on peut citer la perte de biodiversitĂ© et d’écosystĂšmes, la pollution et la menace du changement climatique. Pour Ă©viter les effets les plus graves du changement climatique et limiter l’augmentation de la tempĂ©rature Ă  un maximum de 1,5 °C, les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre doivent ĂȘtre rĂ©duites d’ici Ă  2030 entre 38 et 63 pour cent par rapport aux Ă©missions de 2019. D’ici le milieu du siĂšcle, les Ă©missions devraient ĂȘtre rĂ©duites entre 75 et 98 pour cent, c’est-Ă -dire que l’économie mondiale devrait alors ĂȘtre neutre en carbone.

Les causes et les effets du changement climatique agissent selon une double asymĂ©trie. Les pays les plus dĂ©veloppĂ©s sont ceux qui Ă©mettent le plus de gaz Ă  effet de serre et sont les mieux prĂ©parĂ©s Ă  faire face aux effets nĂ©gatifs du changement climatique. Au contraire, les pays les moins dĂ©veloppĂ©s sont ceux qui produisent le moins d’émissions et sont les moins prĂ©parĂ©s Ă  affronter ces effets nĂ©gatifs. Par ailleurs, Ă  l’intĂ©rieur des pays, les groupes les plus riches produisent plus d’émissions par habitant et sont mieux prĂ©parĂ©s Ă  faire face aux effets du changement climatique, alors que les groupes les plus pauvres sont dans la situation opposĂ©e.

Dans ce contexte, la guerre entre la FĂ©dĂ©ration de Russie et l’Ukraine a provoquĂ© une nouvelle flambĂ©e des prix de l’énergie, dont les effets sur la transition Ă©nergĂ©tique ne sont pas encore clairs. D’une part, les prix Ă©levĂ©s des carburants incitent Ă  remplacer les combustibles fossiles par des Ă©nergies renouvelables. Cependant, les prix Ă©levĂ©s pourraient aussi encourager une nouvelle vague d’investissements dans ce secteur.

D’autre part, la perte et la dĂ©gradation de la biodiversitĂ© et des services des Ă©cosystĂšmes terrestres et marins entraĂźnent des rĂ©percussions considĂ©rables sur les systĂšmes de production et le bien-ĂȘtre social et contribuent Ă  aggraver les crises mondiales.

Les technologies numĂ©riques sont Ă  l’origine d’une autre transformation majeure au cours de la derniĂšre dĂ©cennie. Elles ont permis la crĂ©ation de nouveaux biens et services, de nouveaux modĂšles d’entreprise et de rĂ©seaux de valeur, ainsi que la crĂ©ation de

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Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

nouvelles entreprises qui ont contribuĂ© Ă  la reconfiguration de certaines industries et ont acquis une position dominante au niveau mondial. Ces vagues de destruction crĂ©atrice ont des effets socio-Ă©conomiques transformateurs, pouvant modifier les trajectoires de dĂ©veloppement des pays en termes de production et de distribution des richesses, du fait de leurs effets potentiels sur le bien-ĂȘtre, la productivitĂ© et la durabilitĂ© environnementale. Il s’agit d’un changement de paradigme, qui accĂ©lĂšre le rythme de la transformation du monde de la production et du monde du travail. Le dĂ©fi politique consiste Ă  veiller Ă  ce que la dynamique de la crĂ©ativitĂ© et de l’innovation devance et dĂ©passe la dynamique destructrice, et Ă  ce que les secteurs sociaux et de l’emploi concernĂ©s profitent des systĂšmes de protection sociale et des politiques actives du marchĂ© du travail (insertion professionnelle et formation) pour tirer parti des possibilitĂ©s qui se prĂ©sentent dans le nouveau monde du travail instaurĂ© par la rĂ©volution technologique et numĂ©rique.

Pour renforcer le rĂŽle de la transformation numĂ©rique dans la relance et la reconstruction suite aux dommages causĂ©s par la pandĂ©mie, et pour surmonter les problĂšmes structurels, il convient de mettre en place des cadres politiques intĂ©grĂ©s, des mĂ©canismes de gouvernance et de mise en Ɠuvre qui tiennent compte des facteurs fondamentaux ou des moteurs de la transformation numĂ©rique, tels que l’infrastructure de connectivitĂ©, les cadres rĂ©glementaires, les ressources humaines qualifiĂ©es et les structures institutionnelles et de gouvernance. Sans une perspective systĂ©mique de la numĂ©risation, capable de rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s d’accĂšs et d’uniformiser les rĂšgles du jeu, les effets positifs pourraient se muer en facteurs nĂ©gatifs en termes de concentration et d’inĂ©galitĂ©s. Cela vaut tout particuliĂšrement pour les pays en dĂ©veloppement, qui sont loin de la frontiĂšre technologique et dont les avantages concurrentiels reposent sur l’abondance de main-d’Ɠuvre peu qualifiĂ©e et de ressources naturelles, des facteurs dont la pertinence relative pourrait diminuer avec l’expansion de la robotique et de l’intelligence artificielle et l’efficacitĂ© croissante dĂ©coulant des solutions intelligentes.

La conjonction de la rupture de la synergie entre les trois « usines mondiales » de la mondialisation – Asie de l’Est et du Sud-Est, Europe et AmĂ©rique du Nord – et de la guerre en Ukraine pourrait renforcer les mouvements nationaux d’autosuffisance ou de souverainetĂ© dans

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des domaines tels que la santĂ©, la sĂ©curitĂ© alimentaire, l’accĂšs aux sources d’énergie renouvelables et non renouvelables, la production de biens manufacturĂ©s jugĂ©s stratĂ©giques, qu’il s’agisse de technologies de pointe (micro-processeurs) ou de technologies matures (engrais), ainsi que le contrĂŽle national ou rĂ©gional des entreprises qui les produisent. Les tendances vers la rĂ©gionalisation du marchĂ© mondial pourraient ĂȘtre renforcĂ©es en privilĂ©giant des investissements dans des Ă©conomies gĂ©ographiquement proches ou selon des critĂšres de sĂ©curitĂ© nationale. En ce sens, on voit apparaĂźtre de plus en plus clairement une nouvelle Ă©tape de la mondialisation prĂ©sentant au moins deux caractĂ©ristiques : (i) une tendance Ă  la superposition ou à la gravitation de facteurs gĂ©opolitiques sur des facteurs Ă©conomiques dans les dĂ©cisions d’investissement et dans l’organisation des chaĂźnes d’approvisionnement au niveau mondial, ce qui se traduit par diverses formes de rĂ©gionalisme renouvelĂ© ; et (ii) une tendance, dĂ©jĂ  trĂšs nette dans les statistiques, vers un fort dynamisme du commerce des services, considĂ©rablement supĂ©rieur Ă  celui des marchandises, associĂ© Ă  la rĂ©volution numĂ©rique, au commerce Ă©lectronique et au commerce de services permis ou facilitĂ©s par les technologies de l’information et de la communication et l’Internet. Ces tendances relativement nouvelles prĂ©sentent Ă  la fois des dĂ©fis et des opportunitĂ©s pour les pays de la rĂ©gion, liĂ©s Ă  des facteurs tels que la dĂ©localisation dans une rĂ©gion proche ou nearshoring et les possibilitĂ©s d’insertion dans de nouvelles chaĂźnes de valeur, non seulement pour les biens mais aussi pour les services.

La crise financiĂšre mondiale, les tensions de la mondialisation, la pandĂ©mie et les effets de la guerre entre la FĂ©dĂ©ration de Russie et l’Ukraine ont frappĂ© une rĂ©gion caractĂ©risĂ©e par une faible croissance, un manque d’investissements, la dĂ©sindustrialisation, l’informalitĂ© de la main-d’Ɠuvre et la sous-utilisation du marchĂ© rĂ©gional. Les facteurs qui ont conduit la rĂ©gion Ă  de faibles taux de croissance, Ă  une spĂ©cialisation dans des secteurs Ă  faible technologie et Ă  un faible dynamisme de la demande extĂ©rieure se sont conjuguĂ©s Ă  une adhĂ©sion trĂšs limitĂ©e aux approches des politiques productives, c’est-Ă -dire des politiques qui encouragent la crĂ©ation de nouveaux secteurs prĂ©sentant des avantages concurrentiels prĂ©cisĂ©ment sur le plan de la technologie et de la demande extĂ©rieure. MĂȘme dans la conjoncture actuelle, alors que les

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Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es ont lancĂ© de puissants plans industriels visant la durabilitĂ© et la souverainetĂ© Ă©nergĂ©tique et technologique, les pays de la rĂ©gion continuent Ă  afficher des positions ambiguĂ«s ou purement dĂ©claratives Ă  l’égard des politiques de dĂ©veloppement productif.

Comme l’a rĂ©pĂ©tĂ© la CEPALC, cette dynamique Ă©conomique se conjugue Ă  une dynamique sociale d’exclusion et d’inĂ©galitĂ©s dĂ©coulant de structures productives peu dynamiques, de systĂšmes d’éducation et de formation professionnelle peu inclusifs, d’une culture qui alimente et reproduit diffĂ©rentes formes de discrimination et d’exclusion, ainsi que d’une crise environnementale mondiale qui affecte la rĂ©gion de maniĂšre disproportionnĂ©e. Cette situation est Ă  la fois la cause et la consĂ©quence de graves lacunes dans le modĂšle de dĂ©veloppement actuel, qui nĂ©cessite, pour ĂȘtre surmontĂ©, des efforts politiques concentrĂ©s et une action collective des sociĂ©tĂ©s dans tous les domaines abordĂ©s par le Programme de dĂ©veloppement durable Ă  l’horizon 2030 et ses 17 Objectifs de dĂ©veloppement durable. Les chapitres suivants s’attachent Ă  approfondir ce diagnostic et Ă  prĂ©senter des propositions d’action.

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II. Structure de production et politiques pour le développement durable

Le chapitre II du prĂ©sent document analyse les forces structurelles qui ont dĂ©terminĂ© les performances de l’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes au cours des 30 derniĂšres annĂ©es, sur la base d’une analyse comparative avec d’autres rĂ©gions afin d’identifier les facteurs qui ont concouru Ă  ce que les Ă©conomies de la rĂ©gion ne sont pas parvenues Ă  converger vers les Ă©conomies plus dĂ©veloppĂ©es en termes de capacitĂ©s et de revenus . Le point de dĂ©part est un constat : l’économie internationale est constituĂ©e d’un ensemble de pays prĂ©sentant des asymĂ©tries trĂšs marquĂ©es en termes d’économie, de production et de technologie, qui rĂ©vĂšlent une interaction Ă©troite entre les aspects de rĂ©partition et de bien-ĂȘtre, oĂč la causalitĂ© va dans les deux sens.

Deux arguments principaux sont avancĂ©s dans ce chapitre. Le premier est que les pays qui ont atteint des taux de croissance plus Ă©levĂ©s et ont rĂ©duit leurs Ă©carts de revenu par habitant avec les pays les plus avancĂ©s (convergence) sont ceux qui ont rĂ©ussi Ă  diversifier leur structure de production vers des secteurs davantage axĂ©s sur la technologie et une demande plus dynamique sur les marchĂ©s mondiaux. En d’autres termes, la structure de production importe : produire des biens Ă  forte intensitĂ© technologique n’équivaut pas Ă  produire des biens Ă  faible intensitĂ© technologique, et produire des biens dont l’élasticitĂ© de la demande par rapport au revenu est Ă©levĂ©e, n’équivaut pas Ă  produire des biens dont la demande augmente lentement sur le marchĂ© mondial. Certains modĂšles de spĂ©cialisation sont plus dynamiques que d’autres (tant du cĂŽtĂ© de l’offre que de la demande), ce qui dĂ©termine les performances Ă  long terme des Ă©conomies.

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Le deuxiĂšme argument avance que la transformation de la structure de production est le rĂ©sultat de choix politiques, plutĂŽt que d’un destin dĂ©terminĂ© par la dotation en facteurs. La dotation en facteurs marque la trajectoire de la croissance, mais la question de savoir si elle constitue une trappe ou un soutien pour cette croissance dĂ©pend des politiques. La dimension institutionnelle et l’économie politique, Ă©voluant conjointement avec la structure de production, dĂ©finissent le type de dĂ©veloppement. Les pays qui ont adoptĂ© des politiques de transformation et de diversification de la production et qui les ont maintenues au fil du temps ont obtenu de meilleurs rĂ©sultats en termes de croissance Ă  long terme que ceux qui ne l’ont pas fait. Pour comprendre les exemples de rĂ©ussite de la convergence internationale, il faut comprendre comment, Ă  partir des politiques, l’on a repensĂ© les prix et les mesures d’incitation afin de stimuler l’émergence de nouveaux secteurs dynamiques.

Certains secteurs de l’économie comportent plus de contenu technologique, engendrent davantage de possibilitĂ©s d’innovation et d’apprentissage et rĂ©alisent des bonds de productivitĂ© plus importants que d’autres. Dans la mesure oĂč la production et les exportations d’un pays sont plus concentrĂ©es dans ces secteurs, l’innovation et la productivitĂ© sont susceptibles de se dĂ©velopper Ă  des taux plus Ă©levĂ©s que dans les pays spĂ©cialisĂ©s dans des secteurs Ă  faible contenu technologique. Les donnĂ©es internationales montrent qu’au Japon et chez les « tigres asiatiques », 61 % des exportations de biens sont rĂ©alisĂ©es par les secteurs des fournisseurs spĂ©cialisĂ©s et axĂ©s sur la science, contre 52 % aux États-Unis et 21 % dans le cas de l’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes. En ce qui concerne les exportations de services, la part des services modernes est plus Ă©levĂ©e dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es, oĂč ils reprĂ©sentent environ 40 % du total, contre moins de 30 % dans les Ă©conomies Ă©mergentes ou en dĂ©veloppement (à l’exception de la Chine). L’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes est notamment l’une des rĂ©gions oĂč la part des services modernes dans les exportations est la plus faible, avec 19,6 % du total des services, ce qui reflĂšte le grand potentiel de croissance et de transformation structurelle de la production et de l’emploi.

Un autre indicateur qui influe sur l’expansion de la demande et des marchĂ©s extĂ©rieurs est l’élasticitĂ© de revenu des produits exportĂ©s et leur poids dans le panier d’exportation de chaque pays. L’élasticitĂ© de

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revenu de la demande a tendance Ă  ĂȘtre plus Ă©levĂ©e pour les biens liĂ©s aux produits manufacturĂ©s, en particulier ceux Ă  forte intensitĂ© technologique, et plus faible pour les biens liĂ©s aux ressources naturelles. De plus, la demande extĂ©rieure pour ces produits est non seulement moins dynamique, mais aussi davantage sujette Ă  de fortes fluctuations et Ă  l’instabilitĂ© des prix et du marchĂ©.

Ces donnĂ©es montrent que l’intensitĂ© technologique et l’élasticitĂ© de revenu de la demande prĂ©sentent un degrĂ© Ă©levĂ© de chevauchement et peuvent interagir positivement et gĂ©nĂ©rer des cercles vertueux. C’est une source importante de rendements croissants entre l’innovation, le changement structurel et la croissance. En somme, il y a des rendements croissants lorsque l’innovation et l’expansion des marchĂ©s (et de la demande effective) se renforcent mutuellement.

Des Ă©lĂ©ments indiquent Ă©galement que l’augmentation de la complexitĂ© Ă©conomique est Ă©troitement liĂ©e Ă  la rĂ©duction de l’intensitĂ© des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre par unitĂ© de valeur, ainsi que des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre par habitant, une fois le niveau du PIB contrĂŽlĂ©. Cela est dĂ», d’une part, Ă  une augmentation du poids de l’industrie manufacturiĂšre dans le PIB, qui est moins intensive en Ă©missions, et, d’autre part, au fait que les innovations, les technologies, les pratiques et les solutions peu intensives en carbone impliquent nĂ©cessairement une augmentation de la quantitĂ© de connaissances qui sont intĂ©grĂ©es dans la structure de production d’une Ă©conomie, ce qui dĂ©finit la complexitĂ© Ă©conomique. Ainsi, le changement structurel permet non seulement d’évoluer vers des segments Ă  plus forte valeur ajoutĂ©e, mais aussi de rĂ©duire la pollution Ă©mise pour chaque unitĂ© de valeur Ă©conomique.

Les faibles niveaux et la trajectoire dĂ©croissante de l’investissement et de la productivitĂ© observĂ©s au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies sont le rĂ©sultat de la capacitĂ© limitĂ©e des pays de la rĂ©gion Ă  opĂ©rer et Ă  maintenir les changements nĂ©cessaires dans la structure de production.

De plus, les investissements publics ne jouent pas le rĂŽle de force motrice pour les investissements privĂ©s. En 2019, la formation brute de capital fixe des administrations publiques de la rĂ©gion a atteint une moyenne pondĂ©rĂ©e de 2,8 % du PIB, ce qui contraste fortement avec les valeurs observĂ©es dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es, ainsi que dans les Ă©conomies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Asie. Le faible niveau

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d’investissement public de la rĂ©gion est Ă©vident lorsqu’on le compare Ă  celui des Ă©conomies Ă©mergentes et en dĂ©veloppement d’Asie (moyenne pondĂ©rĂ©e de 2,8 % et 11,7 % du PIB, respectivement), stimulĂ© par le dynamisme enregistrĂ© en Chine qui, en 2019, a consacrĂ© 17,3 % de son PIB aux investissements publics.

En plus des mauvais rĂ©sultats de la productivitĂ© et de l’investissement, les pays d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes ont connu, depuis les annĂ©es 1990, un affaiblissement des politiques productives et de la capacitĂ© institutionnelle de l’État.

Bien que les pays de la rĂ©gion aient mis en Ɠuvre des politiques de dĂ©veloppement productif, l’ensemble des interventions n’a pas eu d’effet modernisateur sur la composition de la structure de production de l’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes en raison des caractĂ©ristiques des politiques mises en Ɠuvre et du cadre institutionnel qui les a encouragĂ©es. Ces politiques ont souvent Ă©tĂ© abandonnĂ©es ou confiĂ©es Ă  des ministĂšres et secrĂ©tariats ayant peu d’influence politique et peu de capacitĂ©s institutionnelles. Les initiatives de politiques productives, industrielles et technologiques n’ont pas Ă©tĂ© complĂ©tement Ă©cartĂ©es, mais elles n’ont pas non plus reçu le soutien institutionnel et politique, ni les capacitĂ©s nĂ©cessaires Ă  une mise en Ɠuvre efficace.

Cela souligne l’importance de mener des politiques de dĂ©veloppement productif plus proactives qui visent Ă  promouvoir la sophistication technologique et la diversification de la production, Ă  accĂ©lĂ©rer la croissance de la productivitĂ© et les processus d’apprentissage, Ă  dĂ©velopper les capacitĂ©s d’innovation, Ă  promouvoir les liens de production, Ă  renforcer la capacitĂ© d’assimilation des technologies moyennes et Ă©levĂ©es, Ă  pĂ©nĂ©trer dans de nouvelles industries, de nouveaux marchĂ©s et de nouvelles chaĂźnes de valeur et Ă  transformer le modĂšle pervers de la transformation structurelle en un modĂšle vertueux dans lequel les travailleurs vont des secteurs Ă  faible productivitĂ© vers des secteurs Ă  plus forte productivitĂ©. Ce sont les politiques de dĂ©veloppement productif qui constituent la principale « boĂźte Ă  outils » pour atteindre ces objectifs et agir sur les modĂšles de changement structurel, de croissance et d’emploi.

La COVID-19 a causĂ© des dommages considĂ©rables au tissu productif de tous les pays. DerriĂšre la contraction drastique de l’économie en 2020 se cache une tragĂ©die en termes d’emplois et

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de graves dĂ©gĂąts au niveau du tissu productif et du capital humain, des taux Ă©levĂ©s de perte d’activitĂ© et des secteurs gravement endommagĂ©s, qui mettront des annĂ©es Ă  s’en remettre.

Si la nĂ©cessitĂ© d’un changement dans les politiques de dĂ©veloppement productif Ă©tait dĂ©jĂ  Ă©vidente avant la pandĂ©mie, la crise sanitaire a fait de cette question l’une des principales prioritĂ©s en matiĂšre de politique publique et un Ă©lĂ©ment central de toute stratĂ©gie nationale de reconstruction transformatrice.

CEPALC 2022 29

III. Inégalités, emploi et politiques sociales

La hausse de l’emploi formel et les politiques sociales ont Ă©tĂ© deux dimensions essentielles des bons rĂ©sultats obtenus entre 2004 et 2012 dans la lutte contre la pauvretĂ© et les inĂ©galitĂ©s en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes. Dans le chapitre III du prĂ©sent document, ces deux dimensions sont analysĂ©es, ainsi que leur interaction avec d’autres sources d’inĂ©galitĂ©, comme le genre, la race, l’ñge ou encore la dĂ©gradation de l’environnement. Les analyses montrent que la transformation productive est essentielle Ă  la crĂ©ation de nouveaux emplois formels et Ă  l’augmentation de la productivitĂ©, que les inĂ©galitĂ©s limitent la croissance de la productivitĂ©, que la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s contribue Ă©galement Ă  la croissance de l’économie et de l’emploi, et enfin, que la protection sociale universelle n’est pas seulement un impĂ©ratif moral pour le dĂ©veloppement, mais qu’elle contribue Ă©galement Ă  renforcer la justice sociale, la croissance et la capacitĂ© d’adaptation de l’économie, si bien que la rĂ©gion devrait s’orienter vers des

États-providence.

A. Transformation productive et emploi

Les Ă©conomies de la rĂ©gion prĂ©sentent un Ă©cart de productivitĂ© croissant par rapport aux Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Ces Ă©carts tendent toutefois Ă  ĂȘtre encore plus importants au sein des pays, lorsqu’on compare les zones urbaines et rurales, les secteurs Ă©conomiques tels que l’agriculture, le commerce, les services et l’industrie, les secteurs formels et informels des Ă©conomies, et les unitĂ©s de production orientĂ©es vers les marchĂ©s internationaux et celles qui servent le marchĂ© local.

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Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

Ce chapitre montre que des structures de production plus diversifiĂ©es et Ă  plus forte intensitĂ© technologique permettent d’atteindre des niveaux de productivitĂ© plus importants tout en assurant des taux d’emploi plus Ă©levĂ©s. De plus, un taux de croissance plus Ă©levĂ© fait en sorte que la croissance de la productivitĂ© du travail est compatible avec la croissance de l’emploi.

D’autre part, l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© structurelle se manifeste de maniĂšre plus Ă©vidente dans la part de l’emploi Ă  faible productivitĂ© dans l’emploi total. La faible productivitĂ© peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un indicateur quantitatif des niveaux d’informalitĂ© du travail, un phĂ©nomĂšne structurel dans les pays d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes. Les deux concepts (emplois Ă  trĂšs faible productivitĂ© et emplois informels) sont utilisĂ©s de maniĂšre interchangeable dans cette section.

En 2000, environ la moitiĂ© des emplois urbains relevaient du secteur informel, dont la productivitĂ© ne reprĂ©sentait que 30 % de la productivitĂ© globale et 20 % de la productivitĂ© du secteur formel. Le graphique 3 met en Ă©vidence l’écart croissant entre la productivitĂ© du secteur formel et celle du secteur informel dans huit pays de la rĂ©gion, ainsi que l’écart salarial Ă©levĂ© entre ces deux secteurs. Le poids de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© structurelle a amplifiĂ© les effets de la succession de crises, notamment celle dĂ©clenchĂ©e par la pandĂ©mie de COVID-19.

Au cours des premiers trimestres de 2020, la crise sanitaire a eu un impact significatif sur les marchĂ©s du travail de la rĂ©gion, et les travailleurs informels ont Ă©tĂ© particuliĂšrement touchĂ©s. Cette situation est sans prĂ©cĂ©dent, car gĂ©nĂ©ralement dans d’autres contextes de crise, lorsque l’emploi formel diminuait les emplois informels jouaient un rĂŽle anticyclique et leur taux augmentait. Pendant la pandĂ©mie de COVID-19, en revanche, l’emploi informel n’a pas servi de refuge ou d’alternative aux personnes ayant perdu leur emploi salariĂ© pour retrouver un emploi. Cette baisse de l’accĂšs aux emplois informels a surtout touchĂ© les jeunes, les travailleurs peu qualifiĂ©s et les femmes.

De plus, le taux cumulĂ© d’emploi masque d’importantes diffĂ©rences entre les sexes. Le graphique 4 montre que le taux de participation des femmes sur le marchĂ© du travail est beaucoup plus faible que celui des hommes en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes. De la mĂȘme maniĂšre, le taux de chĂŽmage des femmes est plus Ă©levĂ© que celui des hommes, une situation qui s’est aggravĂ©e pendant la pandĂ©mie.

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Graphique 3

Amérique latine (8 pays)a: écart de productivité et écart salarial entre les travailleurs du secteur formel et ceux du secteur informel, 2000-2018 (En pourcentages)

Source : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC).

Remarque : Le secteur informel regroupe des activitĂ©s Ă  faible productivitĂ© et comprend les catĂ©gories suivantes : le travail domestique, les travailleurs salariĂ©s non professionnels, les travailleurs domestiques non rĂ©munĂ©rĂ©s et les personnes employĂ©es dans des micro-entreprises de moins de cinq travailleurs. Les estimations de la rĂ©partition de l’emploi et de la productivitĂ© du travail sont basĂ©es sur les donnĂ©es de la CEPALC dĂ©rivĂ©es des enquĂȘtes nationales sur les mĂ©nages. La productivitĂ© du travail dans le secteur informel est estimĂ©e sur la base des revenus moyens des travailleurs informels, qui sont considĂ©rĂ©s comme une bonne variable de substitution pour la valeur ajoutĂ©e gĂ©nĂ©rĂ©e par le secteur informel, en raison de la nature des activitĂ©s rĂ©alisĂ©es dans le secteur informel.

a Les pays figurant dans l’échantillon sont : Argentine, Bolivie (État plurinational de), BrĂ©sil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique et PĂ©rou.

CEPALC 2022 33
A. Écart de productivitĂ© B. Écart salarial 0 2 4 6 8 10 12 2000 2010 2018 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 2000 2005 2010 2015 2018

Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

Graphique 4

AmĂ©rique latine et CaraĂŻbes (24 pays)a : Ă©volution du taux d’activitĂ© et du taux de chĂŽmage, par sexe, moyenne pondĂ©rĂ©e, 2001-2022 (En pourcentages)

Source : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), d’aprĂšs la CEPALC, « Balance Preliminar de las EconomĂ­as de AmĂ©rica Latina y el Caribe », 2021 (LC/PUB.2022/1-P), Santiago, 2022, et sur les chiffres et prĂ©visions officiels des pays.

a Pays pris en compte : Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie (État plurinational de), BrĂ©sil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, RĂ©publique dominicaine, Équateur, El Salvador, Guatemala, Honduras, JamaĂŻque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, PĂ©rou, TrinitĂ©-et-Tobago, Uruguay et Venezuela (RĂ©publique bolivarienne du). Les chiffres pour 2019 ne comprennent pas la RĂ©publique bolivarienne du Venezuela.

b Estimations pour 2021 extraites du document « Balance Preliminar de las Economías de América Latina y el Caribe », 2021

c Valeurs prévisionnelles pour 2022 extraites du document « Balance Preliminar de las Economías de América Latina y el Caribe », 2021.

L’une des caractĂ©ristiques des Ă©conomies de la rĂ©gion est la vulnĂ©rabilitĂ© des strates Ă  revenus intermĂ©diaires. Entre le dĂ©but des annĂ©es 2000 et le milieu des annĂ©es 2010, un grand nombre de mĂ©nages sont sortis de la pauvretĂ© et ont rejoint les strates Ă  revenus intermĂ©diaires, passant de 26,9 % de la population en 2002 Ă  un peu plus de 41,1 % en 2017.

En 2019, les strates à revenus intermédiaires représentaient encore 41,1 % de la population. La pandémie a entraßné une détérioration de la situation de ces strates et a fait augmenter la taille du groupe de population en situation de pauvreté. Pour 2021, les prévisions de la CEPALC indiquaient une reprise de la participation des strates intermédiaires et supérieures, mais à des niveaux plus faibles que ceux observés avant la pandémie de COVID-19 (voir graphique 5).

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46,3 47,7 47,8 48,0 48,6 48,9 48,9 49,0 49,8 49,5 49,2 49,9 49,7 49,6 49,6 50,0 50,5 51,0 51,8 47,7 50,0 51,3 75,1 75,8 75,6 75,5 75,9 75,6 75,4 75,6 75,6 75,4 75,2 76,0 75,6 75,5 75,2 75,0 75,2 75,0 75,5 70,8 73,5 73,8 8,4 8,8 8,7 8,0 7,6 7,0 6,7 5,2 6,2 5,9 5,2 5,5 5,4 5,3 5,7 6,9 7,1 7,0 6,8 9,1 8,1 8,0 8,0 9,0 7,5 7,9 7,7 7,5 7,1 7,7 9,0 9,3 9,2 9,5 12,1 11,0 11,5 0 2 4 6 8 10 12 14 16 0 10 20 30 40 50 60 70 80 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021b 2022c Taux d’activitĂ© des femmes Taux d’activitĂ© des hommes Taux de chĂŽmage chez les hommes (axe droit) Taux de chĂŽmage chez les femmes (axe droit) Taux de chĂŽmage chez les deux sexes (axe droit)

Source : Commission Ă©conomique pour l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes (CEPALC), Panorama social de l’AmĂ©rique latine, 2021 (LC/PUB.2021/17-P), Santiago, 2022, d’aprĂšs la Banque de donnĂ©es des enquĂȘtes sur les mĂ©nages (BADEHOG).

a Les valeurs pour 2021 correspondent à une prévision

Aussi bien pour des raisons liĂ©es Ă  la structure de production et aux carences des systĂšmes de protection sociale que du fait de la complexitĂ© de la situation mondiale et rĂ©gionale, les progrĂšs rĂ©alisĂ©s en termes d’expansion des secteurs intermĂ©diaires ne sont pas garants de leur stabilitĂ© et de leur continuitĂ©. Au contraire, comme le montrent les rĂ©percussions de la pandĂ©mie, une grande partie de la population se trouve dans les strates vulnĂ©rables, soit dans une situation de pauvretĂ©, soit dans une situation qui les rend susceptibles de tomber dans la pauvretĂ© en cas de choc nĂ©gatif sur l’économie.

Ces derniĂšres annĂ©es, le phĂ©nomĂšne migratoire s’est amplifiĂ© entre les pays de la rĂ©gion. Par leur travail et leurs contributions fiscales, les migrants internationaux participent au dĂ©veloppement et Ă  la croissance du PIB des pays oĂč ils s’établissent. La main-d’Ɠuvre migrante contribue Ă©galement de maniĂšre significative aux pays et aux foyers d’origine par le biais des transferts de fonds, qui fournissent un revenu permettant de subvenir aux besoins essentiels. Dans le contexte de la crise sanitaire et sociale provoquĂ©e par la pandĂ©mie de COVID-19,

CEPALC 2022 35
Graphique 5
11,4 13,1 13,8 19,1 19,8 18,3 25,3 25,6 24,7 20,4 20,0 19,0 16,1 14,5 16,2 4,6 4,1 4,6 3,1 2,8 3,3 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 2019 2020 2021 Haute
Amérique latine : répartition de la population par strate de revenu, 2019-2021a
Moyenne-haute
Moyenne-intermĂ©diaire Moyenne-basse Non pauvres, avec des revenus faibles Pauvres Personnes en situation d’extrĂȘme pauvretĂ©

Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

le flux des envois de fonds vers les foyers d’origine en AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes a fait preuve de rĂ©silience, atteignant 127,6 milliards de dollars en 2021, soit 26 % de plus qu’en 2020.

En AmĂ©rique latine et aux CaraĂŻbes, de grands Ă©carts persistent entre les populations autochtones et migrantes en termes d’accĂšs Ă  l’emploi formel et Ă  la protection sociale. Le manque d’emplois dĂ©cents est une caractĂ©ristique clĂ© de l’emploi des migrants dans la rĂ©gion et est liĂ© aux difficultĂ©s en matiĂšre de rĂ©gularisation et Ă  l’absence d’institutions pour faciliter la pleine inclusion des migrants dans le marchĂ© du travail.

B. Protection sociale, croissance et résilience

L’inĂ©galitĂ© est un trait caractĂ©ristique de la rĂ©gion et, parmi ses dĂ©terminants, le changement climatique apparaĂźt comme un facteur ayant des effets distributifs importants, que ce soit au sein des pays ou entre eux. Bien que le changement climatique soit un phĂ©nomĂšne mondial, ses effets distributifs sont trĂšs inĂ©gaux, car il reflĂšte et renforce une asymĂ©trie fondamentale, tant au niveau international que national : ceux qui y contribuent le plus sont ceux qui souffrent le moins de ses effets ou qui ont le plus de chances de les minimiser.

Un aspect particuliĂšrement important des effets rĂ©gressifs du changement climatique est l’augmentation des niveaux de pauvretĂ© en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes. Les estimations montrent qu’une augmentation de 1 °C de la tempĂ©rature annuelle moyenne diminue le taux de croissance du PIB par habitant d’environ 1 point de pourcentage, ce qui impliquerait une augmentation entre 2 et 16,7 millions de personnes vivant en situation de pauvretĂ© Ă  cause du changement climatique, et entre 1,1 et 9,6 millions de personnes vivant dans l’extrĂȘme pauvretĂ© d’ici 2030.

Les problĂšmes de travail informel, de migration, de pauvretĂ© et d’inĂ©galitĂ© sont aggravĂ©s par l’absence de systĂšmes de protection sociale universels et de qualitĂ©. En AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes, on parle d’un État-providence « tronqué », oĂč la protection sociale a Ă©tĂ© Ă©largie de maniĂšre fragmentĂ©e et partielle Ă  sa population.

Les pays de la rĂ©gion sont Ă  la traĂźne en ce qui concerne la construction d’un État-providence. La transition vers des systĂšmes universels d’accĂšs Ă  certains biens et services essentiels au bien-ĂȘtre et Ă  la croissance de la productivitĂ© (tels que la santĂ© et l’éducation) est

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un enjeu qui n’a pas encore Ă©tĂ© totalement intĂ©grĂ© dans les politiques publiques de la rĂ©gion. C’est un complĂ©ment nĂ©cessaire aux questions de productivitĂ© et de compĂ©titivitĂ© internationale dans les politiques de dĂ©veloppement durable.

La pandĂ©mie a revalorisĂ© l’action publique en gĂ©nĂ©ral, ainsi que les services publics et les systĂšmes de protection sociale en particulier, en tant que biens des sociĂ©tĂ©s pour faire face Ă  l’adversitĂ© et gĂ©rer le changement et la transition vers des modĂšles durables avec une plus grande rĂ©silience, tout en garantissant des niveaux de bien-ĂȘtre dignes et en fixant des limites Ă  l’incertitude et aux vulnĂ©rabilitĂ©s auxquelles sont confrontĂ©es toutes les personnes, et non uniquement celles appartenant aux strates les plus infĂ©rieures. Sur la base de ce constat, la CEPALC prĂ©conise la construction de vĂ©ritables États-providence en tant que plate-forme pour un dĂ©veloppement durable et plus Ă©galitaire. À cette fin, elle a identifiĂ© la figure du pacte social comme un instrument politique basĂ© sur un dialogue Ă©largi et participatif qui permet de parvenir Ă  des consensus et des accords avec une vision de long terme, adaptĂ©s Ă  cette nouvelle rĂ©alitĂ©. De ce point de vue, l’idĂ©e d’un pacte social doit s’accompagner d’un pacte fiscal avec une progressivitĂ© et des objectifs trĂšs spĂ©cifiques, comme celui d’assurer la viabilitĂ© financiĂšre d’une protection sociale Ă©largie qui bĂ©nĂ©ficie Ă  l’ensemble de la population et qui remporte un soutien social et politique durable.

CEPALC 2022 37

IV. La dimension sectorielle : les moteurs du développement durable

La CEPALC a insistĂ© sur le rĂŽle important des politiques macro-Ă©conomiques dans la dynamique du changement structurel et du dĂ©veloppement productif, mais Ă©galement sur la contribution essentielle des politiques micro-Ă©conomiques et sectorielles. En d’autres termes, les politiques de dĂ©veloppement industriel ou productif doivent ĂȘtre Ă  la fois transversales et sectorielles. Les pays qui ont mis l’accent sur une macro-Ă©conomie stable, mais dĂ©pourvue de stratĂ©gies sectorielles, n’ont obtenu que de maigres rĂ©sultats. En d’autres termes, la panoplie de politiques visant Ă  accĂ©lĂ©rer la croissance et Ă  favoriser la transformation Ă©conomique, Ă  amorcer un vĂ©ritable bond en matiĂšre de productivitĂ©, d’innovation et de dĂ©veloppement productif passe par la mise en place de politiques sectorielles fondĂ©es sur une vision moderne qui part du principe que le dĂ©veloppement productif est une construction sociale et une collaboration itĂ©rative entre les principaux agents et acteurs des chaĂźnes productives et des agglomĂ©rations sectorielles d’entreprises ou clusters.

Dans cette optique, la CEPALC a proposĂ© Ă  la rĂ©gion de considĂ©rer une sĂ©rie de secteurs moteurs susceptibles de stimuler la transformation productive et structurelle, ainsi que l’investissement et la crĂ©ation d’emplois. Ces secteurs sont les suivants : transition Ă©nergĂ©tique, Ă©lectromobilitĂ©, Ă©conomie circulaire, bioĂ©conomie, industrie manufacturiĂšre de la santĂ©, transformation numĂ©rique, Ă©conomie des soins, tourisme, et micro, petites et moyennes entreprises (MPME) et Ă©conomie sociale et solidaire. Le potentiel d’entraĂźnement de chacun de ces secteurs est rĂ©sumĂ© ci-dessous et analysĂ© en dĂ©tail au chapitre IV du document.

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Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

A. Transition énergétique

Pour progresser sur la voie du dĂ©veloppement durable, il est essentiel de procĂ©der Ă  une transition Ă©nergĂ©tique pour faire face Ă  la crise environnementale. Au cours des 50 derniĂšres annĂ©es, les sources renouvelables ont considĂ©rablement augmentĂ© dans la rĂ©gion, avec une contribution qui est passĂ©e de 25 % de l’approvisionnement primaire en 1971 Ă  34 % en 2020. Cette Ă©volution a permis de rĂ©duire l’intensitĂ© Ă©nergĂ©tique du PIB, mĂȘme si beaucoup reste Ă  faire en matiĂšre d’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique sectorielle. Il est essentiel de promouvoir des politiques d’intĂ©rĂȘt public pour que la transition Ă©nergĂ©tique progresse selon cinq piliers : accroissement des sources renouvelables dans la matrice Ă©nergĂ©tique ; universalisation de l’accĂšs Ă  l’électricitĂ© et rĂ©duction de la pauvretĂ© Ă©nergĂ©tique ; accroissement de l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique ; renforcement de l’intĂ©gration et de l’interconnexion Ă©nergĂ©tiques rĂ©gionales ; et amĂ©lioration de la sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique et de la rĂ©silience aux chocs extĂ©rieurs. Il conviendrait d’investir l’équivalent de 1,3 % du PIB par an pendant une dĂ©cennie afin d’universaliser l’accĂšs Ă  une Ă©lectricitĂ© entiĂšrement renouvelable et de crĂ©er sept millions d’emplois verts, de moderniser les infrastructures et d’actualiser la rĂ©glementation pour attirer les investissements et Ă©liminer les subventions aux combustibles fossiles. Pour faire progresser ces objectifs, il est important de promouvoir les sources renouvelables, principalement d’origine Ă©olienne et solaire. Il faut ajouter Ă  ces efforts deux secteurs de plus en plus prisĂ©s : l’hydrogĂšne vert et le lithium.

Dans ce contexte, la rĂ©gion nĂ©cessite une vision stratĂ©gique, doublĂ©e d’un sentiment d’urgence, pour mettre en place des politiques publiques nationales et des dispositions institutionnelles rĂ©gionales qui permettront de stimuler, Ă  partir de l’industrie du lithium et d’autres minĂ©raux clĂ©s, les capacitĂ©s de production de technologies sur des segments dans le secteur des batteries, et les interconnexions dans un marchĂ© rĂ©gional de l’électromobilitĂ©. Il convient notamment de mettre au point des technologies plus Ă©conomes en eau pour l’extraction du lithium depuis les salines, d’augmenter la production de carbonate de lithium de qualitĂ© batterie, de faire progresser les technologies d’extraction directe sans aggraver l’empreinte environnementale, de faire progresser la production de matĂ©riaux actifs (prĂ©curseurs), de cathodes, de cellules et de batteries, et de promouvoir l’économie circulaire autour des batteries lithium-ion.

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B. ÉlectromobilitĂ©

La mobilitĂ© urbaine connaĂźt de profondes transformations et ouvre de grandes perspectives. Les tendances mondiales indiquent que l’avenir du secteur automobile sera Ă©lectrique, sachant que de nombreux pays adoptent de nouvelles rĂ©glementations, principalement dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Dans un environnement international marquĂ© par la consolidation rapide des dynamiques nouvelles en matiĂšre de marchĂ©, de modĂšles commerciaux, d’entreprises leaders et d’options technologiques, les pays d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes ne semblent pas avoir une position bien dĂ©finie. En ce qui concerne le segment des voitures Ă©lectriques, il est essentiel d’adopter des politiques plus ambitieuses et cohĂ©rentes dans le temps pour stimuler la demande. Ce soutien doit ĂȘtre accompagnĂ© d’actions visant Ă  accĂ©lĂ©rer la transformation des capacitĂ©s locales existantes et Ă  favoriser la crĂ©ation d’entreprises orientĂ©es vers le dĂ©veloppement de la chaĂźne de production. Dans un premier temps, les politiques publiques se doivent de crĂ©er des incitations pour accĂ©lĂ©rer l’adaptation des lignes de production et envoyer des signaux concernant la crĂ©ation d’un marchĂ© local stable et croissant pour les vĂ©hicules Ă©lectriques.

En ce qui concerne la fabrication de bus Ă©lectriques, le dĂ©ploiement de l’industrie dans la rĂ©gion prĂ©suppose la crĂ©ation d’un marchĂ© garantissant une demande prĂ©visible et une Ă©chelle adĂ©quate pour la production. Les perspectives rĂ©gionales semblent favorables, bien que complexes, pour la transition du secteur automobile vers le nouveau standard technologique. La prĂ©visibilitĂ© de la demande, en termes d’unitĂ©s requises et de spĂ©cifications techniques, ainsi que le dĂ©veloppement de l’offre, exigent une volontĂ© politique explicite, crĂ©dible et claire pour aligner les diffĂ©rents intĂ©rĂȘts et besoins.

C. Économie circulaire

Un autre secteur stratĂ©gique est l’économie circulaire, Ă  savoir un modĂšle de transformation productive qui applique une nouvelle logique de production et de consommation Ă  travers l’optimisation des ressources, l’innovation technologique et le dĂ©veloppement de nouveaux modĂšles commerciaux qui permettent de rĂ©duire l’extraction des ressources et la dĂ©pendance aux intrants importĂ©s dans les chaĂźnes

CEPALC 2022 41

Vers la transformation du modÚle de développement... - SynthÚse

mondiales. Dans la rĂ©gion, plusieurs initiatives ont Ă©tĂ© lancĂ©es : feuilles de route et stratĂ©gies nationales en matiĂšre d’économie circulaire, politiques de gestion des dĂ©chets, lois sur la responsabilitĂ© Ă©largie des producteurs, mesures visant Ă  promouvoir l’efficacitĂ© des ressources matĂ©rielles et objectifs de recyclage.

Pour tirer parti des effets positifs de l’économie circulaire sur le PIB, la crĂ©ation d’emplois et la rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, il convient de mettre en place des solutions globales et plus collaboratives entre les entreprises afin d’utiliser efficacement les ressources. La formation et la recherche, le dĂ©veloppement de systĂšmes d’information et l’articulation et la coopĂ©ration entre les acteurs sont autant d’élĂ©ments nĂ©cessaires, tandis que les accords commerciaux constituent une occasion d’inclure des principes et des critĂšres de circularitĂ©.

D. Bioéconomie

La bioĂ©conomie est Ă©galement un secteur propice Ă  l’élaboration de politiques axĂ©es sur le changement structurel permettant de promouvoir la durabilitĂ© et de faire Ă©voluer le modĂšle de dĂ©veloppement fondĂ© sur l’extractivisme. Les domaines de la crĂ©ation de connaissances et de leur application Ă  des produits Ă  haute valeur ajoutĂ©e sont particuliĂšrement importants, tels que les applications biotechnologiques dans l’agriculture (dĂ©veloppement de bio-intrants et amĂ©lioration gĂ©nĂ©tique des plantes notamment pour leur adaptation au changement climatique), l’agro-industrie (utilisation de mĂ©tabolites vĂ©gĂ©taux secondaires comme colorants, arĂŽmes, texturants), la pharmacologie (Ă©laboration de mĂ©dicaments) et la bio-fabrication (substitution d’intrants fossiles par des intrants biologiques dans la production de biens intermĂ©diaires et finaux). Pour tirer pleinement parti du potentiel de la bioĂ©conomie, il convient d’adopter des approches politiques intĂ©grĂ©es, qui favorisent la convergence entre les politiques de dĂ©veloppement productif et de protection de l’environnement, la collaboration entre les secteurs public, privĂ© et scientifique et technologique, ainsi que la coordination des incitations, des investissements et des efforts en matiĂšre de recherche, de dĂ©veloppement et d’innovation. Il est Ă©galement essentiel de mettre en place un environnement porteur, notamment par des

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investissements dans les sciences biologiques et les technologies du vivant, par la promotion des vocations dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingĂ©nierie et des mathĂ©matiques (STIM), par le renforcement des capacitĂ©s de rĂ©glementation et de surveillance, par l’élaboration de mĂ©canismes de financement innovants et par la mise en place d’infrastructures facilitant la conception et le prototypage rĂ©alisĂ©s en collaboration.

E. Industrie manufacturiÚre de la santé

La pandĂ©mie a rĂ©vĂ©lĂ© les vulnĂ©rabilitĂ©s sanitaires, Ă©conomiques, sociales et productives et a positionnĂ© l’industrie manufacturiĂšre de la santĂ© comme un secteur pertinent pour les investissements futurs. Les Ă©pisodes critiques en termes de manque d’accĂšs, d’abord aux Ă©quipements mĂ©dicaux, puis aux vaccins, ont Ă©tĂ© le rĂ©sultat non seulement d’asymĂ©tries d’accĂšs entre les pays dĂ©veloppĂ©s et les pays en dĂ©veloppement, mais aussi de problĂšmes structurels persistants, en particulier le dĂ©veloppement insuffisant des capacitĂ©s productives rĂ©gionales dans ce secteur.

La balance commerciale des produits pharmaceutiques de la rĂ©gion est systĂ©matiquement dĂ©ficitaire, et la valeur des importations est cinq fois supĂ©rieure Ă  celle des exportations sur la pĂ©riode 2018-2020. Ce dĂ©ficit s’explique par la forte dĂ©pendance vis-Ă -vis des approvisionnements extrarĂ©gionaux pour les mĂ©dicaments brevetĂ©s et pour les principes actifs.

C’est dans ce contexte que la CEPALC, Ă  la demande du gouvernement mexicain dans le cadre de sa prĂ©sidence pro tempore de la CommunautĂ© des États d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes (CELAC), a Ă©laborĂ© en 2021 un plan d’autosuffisance sanitaire rĂ©gionale1

Ce plan prĂ©voit un programme et une approche multilatĂ©rale pour renforcer les capacitĂ©s des industries manufacturiĂšres de produits de santĂ© au niveau rĂ©gional. Le plan comporte sept volets dont le but est de renforcer les capacitĂ©s rĂ©gionales en matiĂšre de recherche, de dĂ©veloppement et de production de vaccins et de mĂ©dicaments. Ainsi, il s’agit de renforcer les mĂ©canismes d’achat international conjoint de

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1 Lineamientos y propuestas para un plan de autosuficiencia sanitaria para América Latina y el Caribe (LC/TS.2021/115), Santiago, 2021.

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vaccins et de mĂ©dicaments essentiels, d’utiliser les mĂ©canismes de marchĂ©s publics pour dĂ©velopper les marchĂ©s rĂ©gionaux, de crĂ©er des consortiums pour le dĂ©veloppement et la production de vaccins, de mettre en place une plate-forme rĂ©gionale pour les essais cliniques, de tirer parti des flexibilitĂ©s rĂ©glementaires permettant l’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ© intellectuelle, de renforcer les mĂ©canismes de convergence et de reconnaissance rĂ©glementaires, et de renforcer les systĂšmes de santĂ© primaire afin de permettre l’accĂšs aux mĂ©dicaments essentiels.

F. Transformation numérique

La rĂ©volution numĂ©rique est en train de façonner l’avenir du processus de mondialisation. La compĂ©titivitĂ© des pays va dĂ©pendre de plus en plus de la capacitĂ© des entreprises des secteurs traditionnels Ă  crĂ©er de la valeur au moyen de l’incorporation des technologies numĂ©riques dans leurs modĂšles commerciaux et de production. La numĂ©risation peut Ă©galement amĂ©liorer certains aspects relatifs Ă  la qualitĂ© de vie des personnes, ainsi que leurs niveaux de revenus et leurs conditions de travail, en leur ouvrant des possibilitĂ©s d’entrepreneuriat ou de dĂ©veloppement professionnel associĂ©es Ă  des compĂ©tences numĂ©riques, ou des options qui facilitent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privĂ©e, comme les solutions de tĂ©lĂ©travail. De mĂȘme, le recours Ă  des solutions numĂ©riques peut amĂ©liorer la prestation et la couverture des services dans les secteurs de la santĂ©, de l’éducation et de l’administration.

La stratĂ©gie rĂ©gionale de dĂ©veloppement devrait viser Ă  promouvoir l’économie numĂ©rique Ă  travers la dynamisation de nouveaux secteurs liĂ©s Ă  l’entrepreneuriat technologique, ainsi qu’à accĂ©lĂ©rer la numĂ©risation des secteurs productifs oĂč elle est compĂ©titive (par exemple, l’agriculture et l’alimentation, les industries miniĂšres et pĂ©troliĂšres), afin de transformer les processus de maniĂšre Ă  les rendre plus efficaces et durables. Dans cet esprit, les avantages concurrentiels reposeront de plus en plus sur la capacitĂ© des pays Ă  dĂ©velopper les technologies propres Ă  ce nouveau paradigme et Ă  les introduire dans leur appareil Ă©conomique sur les trois axes qui dĂ©terminent le dĂ©veloppement numĂ©rique : l’économie connectĂ©e, l’économie numĂ©rique et l’économie numĂ©risĂ©e.

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Les pays de la rĂ©gion Ă©voluent dans cette direction, mĂȘme si leurs prioritĂ©s diffĂšrent en fonction de leur degrĂ© de dĂ©veloppement en matiĂšre de transformation numĂ©rique et de leur structure productive. En dĂ©pit des progrĂšs rĂ©alisĂ©s en matiĂšre de connectivitĂ©, un Ă©cart important persiste, privant les segments les plus pauvres et les habitants des zones rurales, ainsi que les petites entreprises, des avantages de la numĂ©risation. Pour accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement numĂ©rique dans la rĂ©gion, il faut mettre en place des politiques visant Ă  : i) construire une sociĂ©tĂ© numĂ©rique inclusive, Ă  savoir Ă©tendre la couverture des services et amĂ©liorer la qualitĂ© des services Ă  large bande Ă  un prix abordable ; ii) stimuler la transformation numĂ©rique du secteur productif grĂące Ă  l’adoption de technologies et de solutions avancĂ©es dans les chaĂźnes de valeur et les Ă©cosystĂšmes innovants ; iii) renforcer la confiance et la sĂ©curitĂ© dans l’utilisation des services et des solutions numĂ©riques ; iv) promouvoir des marchĂ©s Ă©quitables et compĂ©titifs dotĂ©s d’une rĂ©glementation adĂ©quate ; v) renforcer la coopĂ©ration rĂ©gionale dans le domaine du numĂ©rique en s’articulant davantage autour des questions transfrontaliĂšres, de maniĂšre Ă  crĂ©er un marchĂ© numĂ©rique rĂ©gional et tirer parti de la plate-forme de la ConfĂ©rence ministĂ©rielle sur la sociĂ©tĂ© de l’information en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes ; et vi) garantir la mise en place de mĂ©canismes de financement pour les lignes d’action qui dĂ©coulent de ces politiques.

G Économie des soins

L’économie des soins est un secteur Ă©conomique clĂ© pour renforcer la dynamique de la croissance, rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s de genre et faciliter l’entrĂ©e des femmes sur le marchĂ© du travail. En AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes, l’inĂ©galitĂ© de genre est un phĂ©nomĂšne de nature structurelle, indissociable du modĂšle de dĂ©veloppement de la rĂ©gion.

La pandĂ©mie a fait prendre conscience des consĂ©quences de la division sexuelle du travail et de la prĂ©dominance des modĂšles culturels patriarcaux qui confĂšrent aux femmes le rĂŽle principal de prestataire de soin, qu’il soit rĂ©munĂ©rĂ© ou non. Entre le deuxiĂšme trimestre de 2019 et la mĂȘme pĂ©riode de 2020, on observe notamment une forte sortie des femmes du marchĂ© du travail, soit un recul de 18 ans du taux d’activitĂ© des femmes sur le marchĂ© du travail. MĂȘme si une certaine reprise est observĂ©e depuis 2021, celle-ci reste lente et inĂ©gale, et ne

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rejoint pas les niveaux de reprise observĂ©s dans l’emploi des hommes. L’investissement dans les politiques de soins est une mesure stratĂ©gique, car elle permet de briser le cercle vicieux de la pauvretĂ© et de l’exclusion, tout en engendrant un cercle vertueux qui favorise le dĂ©veloppement durable et inclusif. En premier lieu, cet investissement allĂšge la charge des femmes en matiĂšre de soins et rĂ©duit le coĂ»t d’opportunitĂ© de leur insertion sur le marchĂ© du travail. Ensuite, il est susceptible de crĂ©er des emplois et de dynamiser d’autres secteurs de l’économie, des travaux publics ou des services indirects liĂ©s aux soins. À son tour, cette recrudescence de l’activitĂ© Ă©conomique peut contribuer Ă  amortir l’investissement initial grĂące Ă  l’accroissement des recettes fiscales.

H. Tourisme durable

Dans de nombreux pays de la rĂ©gion, le tourisme durable est un domaine qui revĂȘt une importance croissante pour la crĂ©ation d’emplois. Le tourisme est une source essentielle de devises, de revenus et d’emplois au Mexique et en AmĂ©rique centrale (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua et Panama) ainsi que dans les pays insulaires des CaraĂŻbes. La pandĂ©mie a entraĂźnĂ© une suspension prolongĂ©e des activitĂ©s touristiques.

Si certaines Ă©conomies se sont rapidement redressĂ©es, d’autres restent Ă  la traĂźne. La reconstruction du secteur du tourisme doit se faire de maniĂšre plus inclusive, durable et rĂ©siliente. Il faut investir davantage en matiĂšre de santĂ©, de sĂ©curitĂ© et de gestion des risques, s’efforcer d’offrir des conditions de travail, commerciales et socio-Ă©conomiques favorables et inclusives, comprendre le rĂŽle croissant de la durabilitĂ© environnementale, exploiter les avantages de la numĂ©risation et favoriser la coopĂ©ration entre les pays afin de garantir des rĂ©ponses rĂ©silientes aux crises futures.

I. Micro, petites et moyennes entreprises (MPME) et économie sociale et solidaire

Une autre stratĂ©gie pour favoriser la crĂ©ation d’emplois consiste Ă  exploiter le potentiel des MPME et de l’économie sociale et solidaire. Les Ă©conomies de la rĂ©gion sont caractĂ©risĂ©es par une forte polaritĂ© entre les grandes entreprises dynamiques et les micro-entreprises Ă  faible

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productivitĂ©. Cette polaritĂ© est encore plus marquĂ©e si l’on considĂšre l’économie informelle, essentiellement concentrĂ©e dans les petites entreprises, notamment dans le segment des micro-entreprises. S’agissant de la scolaritĂ© des travailleurs et des revenus, il existe une forte disparitĂ© entre les tailles d’entreprises et entre les degrĂ©s de formalisation du travail, ce qui se traduit par une moindre capacitĂ© d’apprentissage et d’adaptation aux transformations technologiques en cours. Il en rĂ©sulte que les petites entreprises et les processus de production qui ont recours Ă  l’emploi informel sont moins Ă  mĂȘme de conserver les emplois et de dĂ©velopper les capacitĂ©s productives et technologiques.

L’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© productive prĂ©sente Ă©galement une composante territoriale, puisque les capacitĂ©s productives les plus dynamiques se concentrent dans les capitales des pays, oĂč sont gĂ©nĂ©ralement implantĂ©es les grandes entreprises et les capacitĂ©s technologiques, tandis que dans les rĂ©gions non centrales, pĂ©riphĂ©riques ou semi-pĂ©riphĂ©riques, la part des micro-entreprises dans l’emploi est plus importante. Pour vaincre cette hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, il faut mettre en place des politiques susceptibles d’amĂ©liorer les capacitĂ©s productives des segments les moins favorisĂ©s et de stimuler leur intĂ©gration aux segments les plus dynamiques et les plus innovants. L’économie sociale et solidaire, qui regroupe des organisations telles que des coopĂ©ratives, des associations, des mutuelles, des fondations, des entreprises sociales, des groupes d’entraide et d’autres entitĂ©s qui fonctionnent selon les valeurs et les principes de l’entraide et de la participation, est un secteur qui a fait l’objet d’une attention croissante dans les pays de la rĂ©gion et qui a Ă©galement Ă©tĂ© au centre des politiques de dĂ©veloppement productif pour relever les dĂ©fis auxquels sont confrontĂ©s les segments des petites entreprises et de l’emploi informel.

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V. Politiques pour la transformation du modÚle de développement

Le chapitre V du document dĂ©crit les effets importants de la multitude de crises qui frappent la rĂ©gion depuis plus d’une dĂ©cennie et s’entremĂȘlent Ă  des problĂšmes structurels de longue date. Le dĂ©passement de ces problĂšmes et des effets de verrouillage qui freinent la rĂ©gion et la maintiennent dans une trajectoire d’investissement lent et de faible croissance exige non seulement la mise en Ɠuvre de politiques macro-Ă©conomiques pour le dĂ©veloppement, mais aussi l’application d’un large Ă©ventail de politiques industrielles, sociales et environnementales avec une forte dimension sectorielle. Parmi les stratĂ©gies et politiques proposĂ©es dans ce document, il convient de souligner certains Ă©lĂ©ments.

Le premier Ă©lĂ©ment est l’urgence d’agir pour rĂ©cupĂ©rer l’investissement et la croissance. Le second est la reconnaissance du rĂŽle de l’État qui est crucial et irremplaçable dans toutes ses dimensions, depuis l’articulation de propositions et la provision de financement Ă  une Ă©chelle peu accessible pour le secteur privĂ©, jusqu’à la dĂ©termination de modĂšles de rĂ©glementation et la formulation et l’application de politiques. Le troisiĂšme est la nĂ©cessitĂ© non seulement d’articuler les politiques sectorielles avec les politiques gĂ©nĂ©rales, mais Ă©galement de gĂ©nĂ©rer des espaces de nĂ©gociation, de dĂ©cision et d’action entre les acteurs impliquĂ©s, en reconnaissant leurs capacitĂ©s, avantages et limitations propres.

Afin d’articuler un univers si Ă©tendu de problĂšmes et d’alternatives politiques, la CEPALC rĂ©itĂšre le besoin d’approfondir les pactes fiscaux, productifs, sociaux et environnementaux pour dĂ©passer les problĂšmes

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de la conjoncture actuelle et transiter vers des sociĂ©tĂ©s durables, cohĂ©rentes et rĂ©silientes, ce qui implique d’avancer vers la rĂ©alisation d’États providence dans le cadre d’une sociĂ©tĂ© du soin.

La planification peut contribuer Ă  ouvrir des espaces de dĂ©libĂ©ration participative pour que les acteurs du dĂ©veloppement, encadrĂ©s par l’État, puissent construire un rĂ©cit de la durabilitĂ© et une vision partagĂ©e du futur qu’ils souhaitent. La planification du dĂ©veloppement devrait ĂȘtre renforcĂ©e, en particulier les capacitĂ©s prospectives de l’État pour construire des scĂ©narios de futurs probables et stimuler leur appropriation sociale, en collaboration avec le secteur universitaire et de la recherche, le secteur privĂ© et la sociĂ©tĂ© civile. De mĂȘme, il conviendra de renforcer les capacitĂ©s d’ouverture, de participation et de nĂ©gociation, et les capacitĂ©s de planification pour le dĂ©veloppement territorial, la transversalisation de la gestion des risques et la gestion des catastrophes. Enfin, des encadrements collaboratifs seront nĂ©cessaires pour que le processus d’articulation des politiques sectorielles et les approches transversales dans les exercices de planification nationale soient efficaces.

Pour faire face Ă  la conjoncture Ă©conomique et sociale actuelle, la conception et la mise en Ɠuvre de politiques macro-Ă©conomiques intĂ©grales qui articulent les objectifs de stabilisation des prix, de renforcement du secteur financier, de stimulation de l’emploi, de protection des personnes les plus vulnĂ©rables et de dĂ©veloppement d’une dynamique d’investissement focalisĂ©e sur l’élimination des Ă©carts structurels, entre autres dimensions, sont centrales.

Dans le domaine de la politique monĂ©taire, les autoritĂ©s monĂ©taires de la rĂ©gion doivent poursuivre l’utilisation d’outils multiples, comme l’intervention sur les marchĂ©s des changes et la diversification des instruments de change, les mesures macroprudentielles visant les soldes de devises et la rĂ©gulation des capitaux pour prĂ©server la stabilitĂ© macro financiĂšre et Ă©viter l’expansion des canaux de transmission des variations du change excessives.

Afin d’encourager un changement de paradigme de la politique de finances publiques dans la rĂ©gion, il sera nĂ©cessaire de construire des nouveaux pactes fiscaux et sociaux permettant de renforcer les recettes fiscales permanentes pour apporter un caractĂšre durable aux pressions croissantes de dĂ©pense en rĂ©ponse aux demandes sociales et aux dĂ©fis d’investissement associĂ©s Ă  l’impulsion de la productivitĂ©

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et au traitement du changement climatique. Dans ce contexte, la durabilitĂ© de la politique de finances publiques doit se concentrer sur le renforcement de la capacitĂ© de recouvrement et l’amĂ©lioration de la progressivitĂ© du systĂšme d’imposition. En complĂ©ment, il convient d’apporter une perspective stratĂ©gique Ă  la dĂ©pense publique pour amĂ©liorer son efficacitĂ© et la focaliser sur des actions Ă  haut rendement Ă©conomique, social et environnemental. Un programme pour une nouvelle fiscalitĂ© doit tenir compte du besoin de promotion de mesures administratives et de gestion de l’imposition qui permette Ă  court terme de renforcer le recouvrement des recettes, tout en gĂ©nĂ©rant des accords politiques et sociaux contribuant Ă  moyen terme Ă  la rĂ©forme des systĂšmes d’imposition pour amĂ©liorer leur progressivitĂ© et augmenter les recettes permanentes, de maniĂšre Ă  rĂ©pondre aux nĂ©cessitĂ©s de bien-ĂȘtre, d’investissement et de durabilitĂ© environnementale dans les pays de la rĂ©gion. Il existe de multiples espaces pour stimuler la perception d’impĂŽts Ă  court terme, Ă  commencer par la rĂ©duction de l’évasion fiscale, qui donne lieu Ă  d’importantes pertes fiscales dans la rĂ©gion. On estime que ces pertes se sont Ă©levĂ©es Ă  325 milliards d’USD en 2018, un chiffre Ă©quivalent Ă  6,1% du PIB rĂ©gional. Il convient aussi de reconsidĂ©rer Ă  court terme une autre question : les traitements fiscaux prĂ©fĂ©rentiels (appelĂ©s dĂ©penses fiscales) qui, en moyenne, entraĂźnent des pertes de perception d’impĂŽts d’environ 3,7% du PIB en AmĂ©rique latine, un montant Ă©quivalent Ă  17% des dĂ©penses budgĂ©taires des gouvernements centraux. Il existe Ă©galement des espaces importants dans la rĂ©gion pour Ă©tendre les impĂŽts dont les bases imposables sont liĂ©es Ă  l’environnement – comme les impĂŽts sĂ©lectifs sur la consommation d’énergie et de combustibles – et ceux associĂ©s aux objectifs de santĂ© publique. Enfin, il sera important d’avancer Ă  moyen terme vers la mise en Ɠuvre de mesures pour le renforcement de la perception d’impĂŽts directs sur le revenu, la propriĂ©tĂ© et la richesse afin d’éliminer les Ă©carts fiscaux entre la rĂ©gion et les pays de l’OCDE.

La consolidation de l’État-providence constitue une tĂąche centrale pour avancer vers un dĂ©veloppement durable. La protection sociale est essentielle Ă  un changement structurel reposant sur l’égalitĂ© et la durabilitĂ©, et elle constitue le noyau central de la construction progressive

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d’un État providence. Dans un contexte de grande incertitude, avec un large Ă©ventail de risques renouvelĂ©s et de crises, il est indispensable de consolider des systĂšmes de protection sociale universels, intĂ©graux, durables et rĂ©silients. La consolidation de ces systĂšmes de protection sociale doit viser Ă  garantir des services publics universels et de qualitĂ© tout au long du cycle de vie, en commençant par la protection de la situation des enfants et de leurs familles, et en garantissant des seuils minimums de protection pour les personnes ĂągĂ©es.

ClĂ© de voĂ»te de l’égalitĂ©, l’emploi nĂ©cessite l’articulation entre des politiques de rĂ©glementation du travail, de protection sociale et de dĂ©veloppement Ă©conomique et productif. Les politiques de discrimination positive, visant la rupture des barriĂšres d’accĂšs pour les personnes et les groupes qui connaissent diverses formes d’inĂ©galitĂ©, de discrimination et d’exclusion, comme les personnes ĂągĂ©es, les personnes migrantes, les peuples autochtones et les populations d’ascendance africaine, sont fondamentales.

Les systĂšmes de soin sont un pilier central de l’État social de droit. La sociĂ©tĂ© du soin, en tant qu’horizon transformateur pour une croissance durable reposant sur l’égalitĂ©, est une voie pour rĂ©duire – en synergie avec les dimensions Ă©conomiques et environnementales – l’inĂ©galitĂ© sociale et de genre, pour enrayer la prĂ©carisation des soins et rendre visibles les effets multiplicateurs de l’économie du soin. Le droit au soin est universel et indivisible et doit ĂȘtre garanti Ă  toute personne tout au long de sa vie. Pour garantir le droit au soin, les États doivent renforcer leur capacitĂ© de coordination et de rĂ©glementation pour une gestion efficace de la politique publique, qui Ă©vite la segmentation dans l’accĂšs aux services de soin et garantisse leur qualitĂ©.

La promotion de politiques d’égalitĂ© de genre, l’accĂšs universel Ă  la protection sociale, la crĂ©ation et le renforcement des systĂšmes de soin ne seront possibles qu’à travers l’action consensuelle et participative sur la base de pactes pour le dĂ©veloppement. En premier lieu, il convient d’encourager des pactes fiscaux qui permettent d’étendre l’espace fiscal et promeuvent une fiscalitĂ© progressive qui appuie l’investissement social. En second lieu, il est nĂ©cessaire de gĂ©nĂ©rer des actions et des politiques en matiĂšre de protection sociale visant Ă  traiter les changements dans le monde du travail. Enfin, il faut construire un pacte environnemental avec une perspective de genre.

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L’un des principaux dĂ©fis de la transition vers des Ă©conomies à faibles Ă©missions de carbone suppose la rĂ©orientation des incitations pour modifier les rentabilitĂ©s relatives en leur faveur. La concentration d’efforts doit ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©e, coordonnĂ©e et cohĂ©rente : une tĂąche que seuls peuvent rĂ©aliser les gouvernements dans un cadre international de valeurs partagĂ©es poursuivant cette rĂ©orientation et, par consĂ©quent, une combinaison efficace des signaux rĂ©glementaires, fiscaux et financiers.

Une rĂ©glementation adaptĂ©e renforce le cadre juridique et offre une certitude aux secteurs alternatifs. Parmi les mesures rĂ©glementaires recommandĂ©es, se distinguent l’habilitation normative pour l’entrĂ©e dans l’économie des chaĂźnes de valeur comme celles des vĂ©hicules Ă  zĂ©ro Ă©mission, des produits du recyclage, la production et la consommation d’hydrogĂšne vert, et la rĂ©duction du dĂ©ficit qualitatif du logement. Pour cela, des modĂšles d’affaires qui favorisent l’investissement privĂ© grĂące Ă  la certitude rĂ©glementaire sont nĂ©cessaires.

La continuitĂ© des politiques et les systĂšmes d’incitation et de dissuasion exigent des pactes sociopolitiques aussi bien mondiaux que locaux pour la durabilitĂ©, qui sont plus faciles Ă  atteindre dans des sociĂ©tĂ©s pacifiques, justes et inclusives. Le lien entre le dĂ©veloppement durable, le droit Ă  un environnement sain, la construction de sociĂ©tĂ©s justes, informĂ©es et participatives et le renforcement institutionnel de l’État de droit est reconnu et favorisĂ© par l’Accord rĂ©gional sur l’accĂšs Ă  l’information, la participation publique et l’accĂšs Ă  la justice Ă  propos des questions environnementales en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes (Accord d’EscazĂș). En vigueur depuis le 22 avril 2021, il compte 13 États parties (24 pays signataires) et met l’accent sur des principes dĂ©mocratiques essentiels pour avancer dans les politiques pour le dĂ©veloppement durable.

Avancer vers des Ă©conomies Ă  faibles Ă©missions de carbone exige une nouvelle gouvernance des ressources naturelles. La rĂ©gion possĂšde d’importantes dotations de ressources biotiques et abiotiques dont la gestion ne contribue pas correctement au dĂ©veloppement inclusif et durable. Par ailleurs, face Ă  l’urgence climatique, il est nĂ©cessaire d’avancer vers un dĂ©couplage (absolu et relatif) de l’économie, d’une part, et des matĂ©riaux, de l’eau, de l’énergie et de la pollution, d’autre part.

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La rĂ©gion doit rĂ©aliser des transitions stratĂ©giques dans la gouvernance des ressources naturelles pour que celles-ci contribuent Ă  un changement structurel durable. Des dimensions de grande importance pour garantir que la gestion des ressources naturelles dans la rĂ©gion s’oriente vers une transition environnementalement durable et socialement juste, appuyĂ©e par des cadres fiscaux renouvelĂ©s pour augmenter la transparence et le captage des rentes Ă©conomiques, sont identifiĂ©es dans le document.

Progresser dans la mise en Ɠuvre de politiques industrielles et technologiques est central pour un dĂ©veloppement durable. Pour dĂ©passer les nouveaux dĂ©fis Ă  relever, l’AmĂ©rique latine et les CaraĂŻbes doivent avancer vers une nouvelle approche de politique productive qui Ă©tende aussi bien ses objectifs que ses mĂ©canismes et instruments d’intervention, et qui renforce le cadre institutionnel qui la sous-tend. La politique industrielle n’a plus pour seule fin la contribution au changement structurel progressif, mais elle est aussi un instrument de changement qui peut contribuer, de maniĂšre dĂ©libĂ©rĂ© et directe, Ă  d’autres objectifs de la sociĂ©tĂ©, comme l’amĂ©lioration de l’environnement, l’autonomie productive stratĂ©gique et l’inclusion sociale. La magnitude des efforts nĂ©cessaires pour atteindre ces objectifs exige de perfectionner et d’élargir la batterie d’instruments de la politique industrielle. Il faut ajouter aux mĂ©canismes et incitations spĂ©cifiques sectoriels d’autres instruments qui font partie des politiques dans les domaines de la science, la technologie, l’innovation, le commerce extĂ©rieur, la captation d’investissement direct Ă©tranger, la formation et l’apprentissage, la dĂ©centralisation, les microentreprises et les petites et moyennes entreprises, et les achats publics.

L’intĂ©gration rĂ©gionale doit jouer un rĂŽle central dans l’appui des efforts mentionnĂ©s. Le commerce intrarĂ©gional, qui a atteint un maximum de 22% des exportations totales de la rĂ©gion en 2008, connaĂźt une tendance Ă  la baisse depuis, et en 2021 il reprĂ©sentait Ă  peine 15% du total des Ă©changes, l’un des taux les plus bas au niveau mondial.

Pour apporter une viabilitĂ© Ă©conomique aux nouvelles chaĂźnes productives rĂ©gionales, il est essentiel de gĂ©nĂ©rer un marchĂ© Ă©tendu et stable, qui permette la combinaison d’une Ă©chelle efficace avec la minimisation des coĂ»ts de transaction et d’une intĂ©gration productive transfrontaliĂšre. Une amĂ©lioration de la provision et de la qualitĂ© de

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l’infrastructure rĂ©gionale rĂ©duira les coĂ»ts de transaction associĂ©s au transport des intrants et des produits finaux, ce qui permettrait Ă  la production des zones rurales et reculĂ©es d’arriver sur les marchĂ©s Ă  des prix compĂ©titifs et faciliterait le dĂ©veloppement de nouvelles activitĂ©s Ă©conomiques. Pour sa part, la vivification de l’intĂ©gration Ă©conomique rĂ©gionale exige une plus grande articulation des groupements sousrĂ©gionaux en matiĂšre numĂ©rique pour dĂ©finir des prioritĂ©s thĂ©matiques et leur gestion opĂ©rationnelle.

Pour cela, des initiatives d’intĂ©gration qui transcendent les accords existants et permettent d’avancer vers la convergence des diffĂ©rents groupes sous-rĂ©gionaux sont nĂ©cessaires. Outre le domaine douanier, oĂč de grandes avancĂ©es ont eu lieu, le programme de convergence inclut des questions importantes, comme l’utilisation stratĂ©gique des systĂšmes nationaux de marchĂ©s publics, l’harmonisation rĂ©glementaire et la gĂ©nĂ©ration d’accords rĂ©gionaux de facilitation du commerce.

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Dans un contexte rĂ©gional et international marquĂ© par une faible croissance, des taux Ă©levĂ©s d’inflation et le creusement des inĂ©galitĂ©s, il est impĂ©ratif que les pays d’AmĂ©rique latine et des CaraĂŻbes axent leurs politiques non seulement sur la rĂ©activation de leurs systĂšmes Ă©conomiques et productifs, mais aussi sur leur reconstruction et leur transformation afin d’évoluer vers des Ă©conomies Ă  faible Ă©mission de carbone et Ă  technologie de pointe qui permettront de faire face au changement climatique et de rĂ©duire les Ă©carts, les hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©s structurelles et les dualismes historiques qui les caractĂ©risent.

C’est dans ce contexte complexe que s’inscrit le prĂ©sent document, qui aborde les grands dĂ©fis Ă  relever pour accĂ©lĂ©rer la croissance, lutter contre une inflation galopante et la crise du coĂ»t de la vie, maintenir les appuis aux mĂ©nages les plus vulnĂ©rables et attĂ©nuer les coĂ»ts sociaux de la crise, tout en dopant l’investissement.

Dans cette optique, les diffĂ©rents chapitres analysent la dynamique de la mondialisation et les dĂ©fis politiques Ă  relever pour modifier la structure de production et Ă©voluer vers un dĂ©veloppement durable. On y aborde Ă©galement les stratĂ©gies susceptibles de rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s et d’évoluer vers des systĂšmes universels de protection sociale et des emplois dĂ©cents dans un monde en constante Ă©volution. Le rapport se penche sur neuf secteurs stratĂ©giques qui devraient donner une impulsion majeure au dĂ©veloppement durable dans une perspective de croissance verte. Enfin, le document propose plusieurs recommandations politiques.

Vers modÚle Amérique Caraïbes sion

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