PASSAGES

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de cet échange, donne à voir une mise en scène réglée, dans une ambiance vaguement vénitienne et un paysage passablement idéalisé. Mais c’est la conférence de , puis le mariage du roi et de l’infante, l’année suivante, qui donneront de ces échanges sur la Bidassoa l’image la plus aboutie. Les deux cours les plus puissantes d’Europe se rencontrent ici afin d’échanger des gages de leur union : une entreprise politique, diplomatique, mais aussi matérielle, car ces événements donnèrent lieu à des aménagements conséquents. On construisit, on aménagea, on convoqua des architectes, on réalisa un chantier important dans des délais très courts. Et à observer les représentations que l’ingénieur du roi, Sébastien Pontault de Beaulieu donne de l’île et de ses abords13, les moyens mis en œuvre furent particulièrement imposants – le pavillon de l’île et les deux ponts semblant plus proches du Ponte Vecchio, ce pont habité monumental de Florence, que d’une éphémère passerelle de barques. Par trois fois dans l’histoire, une certaine idée de la frontière a donc été mise en scène sur la Bidassoa, trois représentations d’une symbolique du passage et des limites. Le retour de François Ier se donne à voir comme l’ordinaire traversée d’une rivière en barque. Un siècle plus tard, l’échange des fiancées royales témoigne d’un rituel ordonné, installé dans l’espace, gracieux mais fragile. La rencontre du roi et de l’infante prétend à autre chose : Une frontière, dit le géographe Jacques Lévy, c’est une porte et une ligne de front. »14 Tel est bien l’enjeu du dispositif spatial mis en œuvre pour matérialiser (rendre matériel) un passage, au travers d’une ligne encore largement virtuelle, mais dont le tracé d’un bout à l’autre des Pyrénées, représente l’un des enjeux majeurs du traité que l’on discute et célèbre ici. Il s’agit donc de faire ici la démonstration de la puissance de deux États nationaux en capacité d’imposer – et de s’imposer – des limites communes. Et cette mise en scène témoigne également de leur volonté de construire, chacun, leur propre récit national, symboliquement et matériellement dans l’espace. Mais que célèbre-t-on ? La porte ou la ligne de front ? « Avant que l’État n’existe,

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