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MARIE BRUNEAU

_BERTRAND

GENIER

55 JOURS,

une traversée des pyrénées de l’atlantique à la méditerranée

éditions /Cairn.


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Merci à Françoise, Michel et Philippe Jacques qui nous ont fait découvrir les Pyrénées et la randonnée. Merci à Marc Alléaume, qui, le premier, nous monta à   m, pour ses conseils et sa relecture bienveillante, et à Annick Lantenois pour son regard curieux et exigeant. Merci à Georges Véron, dont les mots précis ont guidé nos pas. Merci à tous ceux qui veillent sur les chemins. Merci à nos ravitailleurs.

/C.

© , éditions /Cairn. BP  –  Pau Cedex www.editions-cairn.com

 Dépôt légal juin  ISBN

--Mise en pages par les auteurs. Typographies : – ITC New Baskerville : John Baskerville, 1760-1775, et John Quaranda, 1978, – Frutiger : Adrian Frutiger, 1985, – Adobe Garamond : Claude Garamond, 1540-1550, et Robert Slimbach, 1989. Achevé d’imprimer le 28 mai 2012 sur les presses de l’imprimerie ???





MARIE BRUNEAU

_BERTRAND

GENIER

55 JOURS,

une traversée des pyrénées de l’atlantique à la méditerranée

éditions /Cairn.


«Il serait délicieux d’écrire sur ses plaisirs si l’on pouvait par ce moyen les faire partager aux autres. Malheureusement, rien n’est plus difficile que de faire vraiment éprouver à autrui l’impression de ce que l’on a soi-même ressenti. Tout le monde n’a pas le goût pour les mêmes plaisirs et l’on ne désire pas entendre parler de ceux des autres. » Lord Grey of Fallodon, Fly fishing, 1889 cité par Pierre Bergounioux, La Ligne, éd. Verdier, 1997


HENDAYE PLAGE. Vagues modérées. Ciel plombé, pas de pluie. De l’autre côté de la Bidassoa, en Espagne, Irun dresse quelques buildings sur fond de collines verdoyantes. Ici, au bord de l’Atlantique, on sent bien que la montagne n’est pas loin. Sur l’océan, les surfeurs, noirs, ondulent sur leurs planches, les yeux fixés sur les vagues en formation. Soudain, l’un d’eux se dresse : élégance, équilibre, beauté. Il glisse, magnifique… Et brusquement s’engloutit. L’histoire recommence, dix fois, cent fois la même petite catastrophe programmée. Mais juste avant de sombrer, l’homme qui marche sur l’eau, c’est un dieu, non ? Arrivés en gare d’Hendaye par le dernier train, nous voilà à pied d’œuvre. Plus de maison, plus de voiture : tout notre patrimoine tient dans deux (gros) sacs à dos. Étrange familiarité de ce départ, pour nous qui marchons chaque année une quinzaine de jours dans les Pyrénées, depuis bientôt trente ans. Pourtant jamais encore nous n’avions réussi à trouver le temps d’entreprendre cette grande traversée, d’Hendaye à Banyuls, en un seul été. NOUS PARTONS POUR DEUX MOIS. Deux mois, dans une vie, ce n’est rien du tout, mais pour traverser les Pyrénées à pied, de l’Atlantique à la Méditerranée, c’est plutôt long. Sans être sportifs, nous sommes plutôt en forme. Nous avons  ans. Un homme, une femme. Vivant et travaillant ensemble autour de la chose graphique depuis plus de trois décennies. Aucun de nous deux ne s’imagine capable d’entreprendre, seul, ce type de voyage. Par bonheur (ou par habitude), le rythme de nos pas s’accorde souvent, sans que notre volonté n’ait à s’en mêler. Nous avons appris à doser discussion et silence, partage et solitude. Ce projet, longtemps caressé comme un vieux rêve, et dont nous pensions qu’il ne se réaliserait peut-être jamais, a vraiment pris forme il y a un peu plus d’un an. Nous avons alors commencé à en parler autour de nous : ainsi, très vite, plus question de renoncer. * La traversée des Pyrénées à pied, de l’océan Atlantique à la mer Méditerranée, se fait en 40 ou 50 étapes selon les itinéraires. Le record appartient à Kílian Jornet i Burgada qui l’a réalisée en un peu plus de huit jours et en 113 heures de course, du 31 mai au 8 juin 2010, avec un trajet d’environ 850 km et plus de 42 000 m de dénivelé positif.

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NOUS PARTONS MARCHER. « Parmi les fanatiques des Pyrénées, nombreux sont ceux que n’obsèdent ni la hantise des sommets, ni la nostalgie du glacier. Sans méconnaître l’attirance des hautes cimes, l’intérêt, poignant parfois, des ascensions vertigineuses, ils se laissent gagner au charme tranquille de la variété des paysages. Les fonds de vallées ruisselants de cascades et de lumière, les grands lacs, bleus ou verts, où se reflètent les pics neigeux, la mélancolie des soirs tombants sur les solitudes des hauts plateaux, et les larges horizons entrevus des cols suffisent à satisfaire leur soif d’idéal… »1 1 Jean Bepmale, Bulletin pyrénéen, 1907

Nous sommes de ceux-là, davantage marcheurs que grimpeurs : un chemin à se mettre sous les pieds et nous voilà partis ! Nous aimons marcher, sans doute parce que cette activité s’accorde à notre rythme et à notre conversation. Marcher pour reprendre souffle ; marcher pour retrouver la maîtrise du temps ; marcher pour être au monde, tout simplement… Nous partons marcher, sans l’ambition de « faire un temps » (nous n’en avons d’ailleurs ni l’envie, ni les moyens), mais plutôt avec le désir de « prendre le temps » et de séjourner, c’est-à-dire d’élire domicile, pour une longue durée, en montagne. À QUEL MOMENT LE VOYAGE COMMENCE-T-IL ? Il faudrait sans doute y inclure tout le temps de la préparation : options d’itinéraires, choix du matériel, contenu précis des sacs. Nous avons envisagé différents chemins dans ces montagnes que nous connaissons pour certaines assez bien. La HRP constitue l’ossature du projet : plus élégante, plus sauvage, plus proche de l’idée que nous nous faisons de ce voyage… Mais nous l’adapterons, en aménageant certaines étapes, et en s’autorisant, par confort, quelques variantes par le nord ou par le sud, en fonction de notre condition physique ou de la météo. Nous partons « en autonomie », c’est-à-dire avec une tente et de quoi « cuisiner ». Nous avons prévu trois points de ravitaillement où notre chemin croise une route facile d’accès, et convaincu quelques amis de nous y rejoindre. Nous avons longuement discuté et rediscuté du contenu des sacs et de leur poids… avant de finir par renoncer à les peser vraiment.

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– Le strict minimum n’est pas une donnée tout à fait objective. * Tente et duvets, popote et réchaud à gaz, capes de pluie et crème solaire, vêtements légers et vêtements chauds, topo-guide HRP, cartes ign au 1/50 000e pour les 15 premiers jours, boussole, altimètre, couteau, petite trousse à pharmacie, lampe frontale, appareil photo, gourdes, bols, ficelle, etc.

NOUS PARTONS DEMAIN. Oui, mais Banyuls, c’est loin d’ici. Et nous sommes bien incapables, en cet instant précis, de nous représenter cette aventure. L’inconnu, c’est d’abord notre résistance physique – la carcasse va-t-elle tenir ? –, et notre principal handicap, le poids du sac. Nous savons bien ne pas être à l’abri d’un accident – petit ou grand –, et curieusement, ces derniers jours, nous avons beaucoup douté. Nous n’avons pas eu le loisir de nous entraîner aussi régulièrement que souhaité. Nous partons demain, bien décidés à commencer doucement, avec pour objectif d’approcher un premier sommet : La Rhune. Chaque matin, nous repartirons pour aller voir ailleurs. Plus loin, plus haut, plus bas, au-delà de ces montagnes qui barrent l’horizon… D’autres destinations, d’autres lieux, d’autres noms baliseront notre chemin, lui donneront sa couleur et son accent. Nous nous sommes accordés, pour deux mois, la liberté d’être en montagne. ÉCRIRE. Au jour le jour, elle (M.) tiendra un journal de bord : notes brèves pour consigner des faits dans leur déroulement chronologique, les itinéraires, les temps de marche, quelques impressions. Lui (B.) alimentera parfois de ses remarques cet aide-mémoire, et se chargera de garder une trace photographique du voyage. L’idée de faire un livre naîtra, après notre retour, de la rencontre avec Jean-Luc Kerebel, aux éditions Cairn, à Pau. Retranscrites, complétées et retravaillées à quatre mains, ces notes n’ont d’autre prétention que de rendre compte, en textes et en images, de ce voyage d’un été et de cette géographie complexe qui fait – « de mar a mar » – la beauté singulière du massif pyrénéen. Peut-être pour donner à d’autres l’envie d’inventer leurs propres traversées… De l’Atlantique et Méditerranée. Alentour de la frontière entre la France et l’Espagne. Elles seront forcément différentes.

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Traverser les Pyrénées dans leurs grandes longueurs n’a longtemps été qu’une idée saugrenue – la question du franchissement se posant d’abord entre nord et sud. Il faudra attendre l’invention du tourisme, dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour que le projet d’une traversée longitudinale germe dans la tête de quelques-uns. Le Guide Joanne de 1858 propose ainsi un parcours d’ouest en est, en quarante et un jours, empruntant surtout des routes et chemins carrossables : « Les touristes voyagent rarement à pied, et cependant c’est incontestablement la manière la plus agréable, et la moins fatigante, de parcourir les montagnes. » Cinquante ans plus tard, Jean Bepmale1 réalise et décrit, le premier, une traversée par la montagne, en trente jours, la plupart du temps par le versant sud, « en s’efforçant de serrer le plus près possible la ligne de faîte », mais ce genre d’aventure – réalisée avec des porteurs – reste de l’ordre de l’exceptionnel. Et il faut encore attendre un demi-siècle pour que des sentiers soient balisés en continu « de mer à mer » : le GR10, côté français, mis en œuvre à partir du milieu des années 1960, et son symétrique côté espagnol, le GR11, ouvert en 1987. * Les premiers sentiers de grande randonnée (GR) ont été tracés en 1947, par le Comité national des sentiers de grande randonnée devenu par la suite Fédération française de la randonnée pédestre (FFRP). Ils sont régulièrement entretenus par les bénévoles de la FFRP, et balisés en rouge et blanc.

Reliant Hendaye à Banyuls en une cinquantaine de jours, essentiellement par la moyenne montagne – et uniquement versant français –, le GR10 est aujourd’hui un parcours entièrement balisé qui offre gîte et couvert pratiquement pour chaque soir. Ne comportant guère de difficultés particulières, il est accessible à tout individu habitué à la marche et aux dénivelés importants. Le GR11 – ou senda pirenaica – relie le cabo de Higuer, côté Atlantique, au cap de Creus, côté Méditerranée, en une petite quarantaine d’étapes. La « haute randonnée pyrénéenne » (HRP), inventée, expérimentée et décrite par Georges Véron, a la particularité de ne pas être balisée. « Et j’espère qu’elle ne le sera jamais ! Ce parcours d’altitude, souvent hors sentier, est réservé aux véritables randonneurs, aux montagnards qui cherchent le passage, non la balise. Bien que sachant s’orienter, il leur arrivera de se perdre, ce qui leur procurera le plaisir de se retrouver ! Le bivouac imprévu, installé sans angoisse, leur laissera d’impérissables souvenirs : c’est à ce prix qu’ils connaîtront une expérience unique, inoubliable… »2 * Georges Véron (1933-2005) était professeur de biologie, et sportif. Il réalise sa première traversée des Pyrénées en 1968. Le topo-guide qu’il publie en 1974 décrit la HRP en 41 étapes. La 13e édition, réactualisée par Jérôme Bonneaux, a été publiée par Rando éditions en 2007.

--1 Jean Bepmale, op. cit. p. 12 2 Georges Véron, in La Haute Route des Pyrénées, Jean-François Labourie et Christophe Pagès, éd. Sud Ouest, 2004


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jeudi 7 juillet/5 h 30 de marche

Hendaye, alt. 0/pied de la Rhune, alt. 370 m.

MATIN, PETITE PLUIE FINE. – Vous n’aurez peut-être pas un très beau temps… Nous voilà prévenus, dès le petit-déjeuner. Boulevard de la mer, devant l’ancien casino à l’architecture de style mauresque, lourdement amarré à la plage par une digue de gros blocs, nous prenons la pose pour immortaliser le départ. Observons une dernière fois les surfeurs qui chevauchent inlassablement les vagues de l’océan – toujours les mêmes, jamais les mêmes –, avant de leur tourner le dos : cap à l’est ! Chaussés en montagnards et chargés d’encombrants sacs sur le dos, nous nous sentons passablement décalés en longeant les boutiques du centre-ville qui déploient cartes postales et collections de maillots de bains. Après la voie ferrée que l’on traverse par un passage souterrain, le tissu urbain se dissout dans un étonnant tapis vert, piqueté de grandes maisons blanches et pimpantes, aux volets verts ou rouges. Détour par le petit village basque de Biriatou alt. 54 m. Encastré entre les maisons serrées les unes contre les autres, le fronton du village est aussi la place de la mairie. Un jeune garçon s’y exerce à lancer la pelote. Depuis les tribunes, nous sommes aux premières loges pour apprécier la force et l’adresse de ses gestes. « Dehors, on entendait des sonnailles de troupeaux partant pour les pâturages, des vaches qui beuglaient au jour levant, des cloches d’églises, et déjà, contre le mur de la grande place, les coups secs de la pelote basque : tous les bruits d’un village pyrénéen qui recommence sa vie coutumière pour un jour nouveau. » Pierre Loti, Ramuntcho, 1892

Le chemin monte maintenant entre sous-bois, prairies et landes envahies de fougères. La brume s’est levée ; la chaleur de l’été commence à se faire sentir. Aucun des deux ne veut l’avouer, mais le silence qui se prolonge trahit bien notre inquiétude et nos doutes : n’avons-nous pas surestimé nos forces ? Consi-

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Les pages 16 Ă 181 ne sont pas publiĂŠes sur ce document.













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_Banyuls, alt. 0



Nous sommes partis d’Hendaye le 7 juillet, pour traverser les PyrĂŠnĂŠes, Ă pied, de l’Atlantique Ă la MĂŠditerranĂŠe. Le projet n’Êtait surtout pas de “faire un tempsâ€? (nous n’en avions d’ailleurs ni l’envie, ni les moyens), mais plutĂ´t de “prendre le tempsâ€?, c’est-Ă -dire de marcher, et de vivre la montagne Ă notre rythme. La haute randonnĂŠe pyrĂŠnĂŠenne (HRP) inventĂŠe et dĂŠcrite par Georges VĂŠron constitue l’ossature de notre itinĂŠraire, mĂŞme si les conditions mĂŠtĂŠo nous ont conduit Ă cheminer, un temps, sur le GR11, cĂ´tĂŠ Sud. Cinquante-cinq jours plus tard, nous arrivons Ă Banyuls, au terme d’un ĂŠtonnant pĂŠriple “gĂŠographiqueâ€?. Oui ! Cette traversĂŠe fait partie des plus grands “treksâ€? europĂŠens : elle est vraiment Ă la hauteur de sa rĂŠputation, autant par l’ampleur du voyage que par la diversitĂŠ et la beautĂŠ des paysages traversĂŠs. M+B --Marie Bruneau et Bertrand Genier travaillent ensemble, autour de la chose graphique (www.pressepapier.fr). Ils enseignent le projet en design Ă l’École supĂŠrieure d’art des PyrĂŠnĂŠes, Ă Pau.

ISBN 9782350682587

&1+". 9;58;: ĂŠditions /Cairn. www.editions-cairn.fr


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