l’amour sans philtre À l’avant-garde du théâtre expérimental new-yorkais, le metteur en scène Richard Maxwell s’approprie la légende de Tristan et Iseult. Avec Isolde, il offre un superbe portrait de femme. Rencontre avec un artiste en liberté. Par Dorothée Lachmann Photo de New York City Players
À Bâle, au Theater Basel, jeudi 12 septembre +41 61 295 11 33 www.theater-basel.ch À Mulhouse, à La Filature, du 3 au 5 octobre 03 89 36 28 28 www.lafilature.org
32
Poly 160 Septembre 13
Vous êtes étiqueté comme le metteur en scène de la “neutralité” : que recouvre ce concept ? On a souvent décrit mon travail comme “neutre” ou “sans expression” parce que je ne demande pas aux acteurs de feindre. La seule neutralité que je vois, c’est que je n’essaie pas de communiquer une morale ou un message : la pièce se joue et le public en tire les conclusions qu’il veut. C’est parce que je n’étais pas d’accord avec ce qualificatif que j’ai décidé de tenter l’expérience et de m’en approcher le plus possible avec mon précédent spectacle, Le Héros neutre. J’ai appris très rapidement que la neutralité est impossible ! Cette recherche scénique est donc terminée. Avec Isolde, le défi artistique est maintenant de se rapprocher de l’acteur. J’ai moi-même été formé à ce métier : écriture et mise en scène sont directement influencées par ce que je sais du jeu, de la façon de ressentir les mots. En me plaçant au plus près du comédien, mon point de vue d’auteur est plus immédiat. Pour autant, je ne me risquerai pas à qualifier les sentiments : je demande aux acteurs d’éprouver ce qui arrive vraiment, et non une idée ou un effet d’émotion puissante, d’amour condamné ou de colère meurtrière. Ce sont des personnes sur une scène, face à d’autres, qui sont ouvertes à tous les sentiments qu’offre la situation. Leurs
émotions leur appartiennent et varient chaque soir, j’imagine. Pourquoi avoir choisi le mythe de Tristan et Iseult comme source d’inspiration ? Pendant la création du Héros neutre, je me suis découvert une fascination pour les histoires archétypales qui traversent les siècles et les cultures. Le schéma de Tristan et Iseult m’a inspiré pour créer un triangle amoureux classique. Isolde montre aussi l’importance de l’art dans nos vies : il m’a donc semblé approprié de partir d’une histoire qui a été le cœur d’œuvres majeures dans différents arts, dont l’opéra de Wagner, bien sûr. Racontez-nous votre version contemporaine de la légende... Dans mon Isolde, une actrice célèbre est incapable de travailler parce qu’elle perd la mémoire, non seulement celle des mots mais aussi celle des émotions. Afin de la distraire, son mari embauche un architecte qui doit lui construire une maison de rêve. La rencontre avec cet homme ouvre un accès très inattendu aux sentiments d’Isolde. Dans les grandes tragédies romantiques, les héros meurent. Ici ce sont les souvenirs qui disparaissent. Mais comment vivre sans mémoire ?