Il était une fois des barques et des voiles

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R O T A R Y

C L U B

S E T E

D O Y E N

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Il était une fois...

Des barques et des voiles

Le patrimoine nautique de Sète et du bassin de Thau est inestimable. Pour garder la mémoire de ces anciennes embarcations — bateaux-bœufs, catalanes, nacelles, mourres de porc, négafols ou pointus — caractéristiques de techniques de construction et de pêche presque disparues, le Rotary Club Sète Doyen leur consacre le numéro de l’année 2012.



au sommaire Le mot du Maire

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Présentation du futur Musée de la Mer.

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le mot du président

Les bateaux-bœufs, négafols, pointus… autant d’embarcations qui ont sillonné l’’étang de au, les canaux sétois et la Méditarranée pour la pêche, le commerce et les loisirs.

Rotary et patrimoine

Les vieux gréements

Musée Paul Valéry

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Exposition

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Des photos de Cette en 1900.

Patrimoine

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Les trois bateaux classés monuments historiques.

Tradition

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L’association Voile Latine : restauration et sauvegarde des barques traditionnelles de l’étang de au et chemin du patrimoine.

Chantiers et maquettes 28 André Aversa, à travers ses maquettes livre l’histoire des charpentiers de marine. La collection des bateaux Ricciardi reconstitués au moindre détail.

Témoignage La vie de Georges Pelissa, le dernier Cap-Hornier sétois sur le quatre mats “Loire”.

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© Thierry Boulley/DR

Les bateaux et le port de Sète ont inspiré nombre de peintres de renom.

Le Rotary Club Sète Doyen vient de fêter ses 80 ans. Un bel âge pour un club doyen. Depuis 1931, année de sa création, notre club n’a pas cessé de vivre en harmonie avec sa ville. On peut dire que le Rotary fait un peu partie de l’histoire de Sète. A travers cette plaquette, nous avons fait revivre une face cachée d’un certain patrimoine souvent ignoré de notre ville, celui des bateaux, vieux gréements, anciens chantiers navals. Nous avons voulu pour quelques instants, faire renaître, avec une pointe de nostalgie, les chantiers navals Aversa au Souras-Bas puis à La Plagette et Ricciardi à La Pointe, tous deux témoins et acteurs de l’évolution de la construction navale à Sète. Au fil des pages, vous découvrirez les emblématiques bateaux-bœuf sétois, la pêche au négafol et les pointus, qui ont entamé une nouvelle jeunesse, remis au goût du jour par la dynamique association locale Cettarames. Vous aurez le loisir, au gré du vent, de suivre le “chemin du patrimoine” de l’association Voile Latine de Sète et du bassin de Thau qui fait ressurgir le glorieux passé des bateaux, barques et nacelles dans les canaux de notre ville et nous emmène jusqu’au Musée de l’Etang de Thau à Bouzigues. Merci à Maïthé Vallès-Bled, de nous avoir permis l’accès à des trésors cachés du Musée Paul Valéry. Merci à la ville de Sète et à son Maire, François Commeinhes, de nous avoir dévoilé la maquette du futur Musée de la Mer. Hissez les voiles et laissez-vous porter à travers le patrimoine sétois de la mer, mais dépêchez-vous, car comme l’a dit Paul Valéry, « le vent se lève, il faut tenter de vivre ». ROBERT OLIVE PRÉSIDENT DU ROTARY CLUB SÈTE DOYEN

Rotary Club Sète Doyen 2012 : Il était une fois… des barques et des Voiles. Conception et réalisation Marie-Christine Giraudo. Impression Flam Arts et Jardins, Sète. Photo de couverture Thierry Boulley



le mot du maire

© Service communication - Ville de Sète

La réalisation d’un musée de la Mer permettra de défendre et protéger le patrimoine portuaire et maritime de Sète

Nicolas Crégut & Laurent Duport, architectes

François Commeinhes Maire de Sète Conseiller Général de L’Hérault

Au regard de ses voisines, avec ses moins de quatre cents ans d’existence, Sète est une ville jeune… Peu de vestiges romains, pas de cathédrales gothiques, pas de venelles moyenâgeuses, mais un patrimoine différent, ouvert sur le Monde qui va de notre port jusqu’à l’horizon marin… L’identité sétoise plonge ses racines dans la vie portuaire et maritime… C’est là son histoire, c’est là que se trouve son véritable patrimoine. Un patrimoine que nous devons faire vivre, défendre et protéger. La vie du port de Sète, c’est la pêche, le commerce, la plaisance aussi et tous les métiers qui s’en sont nourris et dont certains aujourd’hui malheureusement n’existent plus. C’est pour entretenir cette mémoire que nous allons créer un espace muséal autour de la mer afin de défendre cette culture, dont un des plus beaux éléments est bien la collection de maquettes d’André Aversa. Les grands chantiers navals ont petit à petit tous disparu, mais heureusement, il nous reste cette merveilleuse trace que représente la collection d’André Aversa. La ville en a accepté avec beaucoup d’enthousiasme la donation et s’est portée acquéreur de la maquette du Gabès que l’artiste a réalisé avec des morceaux de bois récupérés du pont du bâtiment original. Ces maquettes auront, bien sûr, une place essentielle dans la scénographie de ce nouveau lieu qui ouvrira prochainement. Une réalisation maintes fois envisagée mais qui n’avait, jusqu’à présent, jamais été menée à bien… Je suis très heureux de pouvoir par cette création satisfaire le désir de nombreux sétois qui souhaitent qu’un lieu soit dédié à la mémoire et au patrimoine maritime, qui demeure l’essence même de notre cité et de notre port, comme le rappelle très opportunément cet ouvrage du Rotary Club de Sète Doyen dont je félicite les auteurs. F.C.


Bateaux-bœufs, barquettes, nac

Du Rhône aux Pyrénées, le littoral languedocien est bordé d’étangs reliés à la mer par des graus s’ouvrant et se fermant au rythme des crues des fleuves côtiers et au grè de coups de vents aussi violents que capricieux. Etait-ce pour ne pas affronter les tempêtes du large ? Etait-ce parce que les étangs étaient suffisamment riches en poissons et en crustacés ? Toujours est-il que depuis l’Antiquité, les provinces languedociennes n’avaient guère été intéressées par la mer qui leur apportait surtout la peste et les pirates barbaresques. Il a fallu une volonté royale pour que le rocher de Cette deviennent un port ouvert sur le large mais aussi un port tourné vers l’intérieur grâce à ses connections à l’étang de au et encore plus au canal de Midi. Une situation unique sur le littoral qui fera de Cette ce port où les tartanes traditionnelles des Catalans vont être adaptées au besoin de la pêche et du commerce par d’habiles charpentiers immigrés d’Italie du Sud et forts d’un savoir faire ancestral. Avant que ces traditions ne soient mises en valeur dans le Musée de la Mer promis aux Sétois, il est apparu opportun au RC Sète Doyen de faire revivre ces temps forts de l’encore brève histoire de notre “île singulière”.

Détail de l’œuvre de Jules Torncy “Entrée du port de Cette”, 1892. © Musée Paul-Valéry Sète/Eric Teissèdre/DR

La singularité de l’im

P

aul Valéry est né en 1871 dans une maison (aujourd’hui disparue) de trois étages dont les dix fenêtres en façade donnaient sur le quai de la Ville où venait s’amarrer la plus importante flottille de bateaux-bœufs entre Marseille et Collioure. Le spectacle de ces embarcations qu’on retrouve dans les cartes postales anciennes et les œuvres de peintres fera à jamais


elles, pilotines et autres tartanes

aginaire marin sétois

partie de son imaginaire. Si bien qu’ils sont les principaux éléments constitutifs de la “singularité” que le poète attribuera pour l’éternité à son “île” natale : « Il n’y a pas dans toute la Méditerranée de bateaux de pêche aussi forts, aussi beaux que les nôtres ; rien au monde n’est plus gracieux que la gerbe des antennes de nos bœufs, quand ils sont tous à quai, bordant le port vieux jusqu’au môle », déclarait-il au début des années trente avec fougue aux élèves du collège qui finira par porter son nom en les invitant à lever les yeux de

Sous les fenêtres de la maison de Paul Valéry le spectacle permanent des bateaux-bœufs

leurs livres et cahiers pour regarder, au levant, par dessus les toits, la mer. Au moment où il prononçait ce discours, Paul Valéry était préoccupé par la montée en Europe des idéologies totalitaires qui s’employaient à formater des “hommes nouveaux” selon des “plans systématiques” pour constituer des populations homogènes adaptées à l’économie et aux conditions de vie modernes. Ses craintes, on le sait, étaient fondées. La barbarie, qui faillit bien venir à bout des libertés de l’esprit et de la culture



Au début du XXe siècle près de quarante paires de bateaux-bœufs étaient amarrés au quai de la Consigne. Photos extraites de “Sète Métamorphoses” de Claude Bonfils, ed. Equinoxe. si chères au poète-philosophe, laissera des cicatrices longues à guérir. Ce n’est pas elle pourtant qui a fait disparaître ces fameux “bateaux-bœufs” du paysage sétois. Auraient-ils pu s’y incruster malgré tout ? Les meilleurs peintres, tels Jules Troncy, Julius Hintz et Albert Marquet, continueraient-ils à immortaliser leur retour au port, une fois la mer labourée ? Les touristes enverraient-ils à leur famille des cartes postales représentant l’alignement de leurs antennes quai de la Consigne ? Le poète verrait-il, comme Valéry Larbaud jadis, « leurs mâts… inclinés, fichés dans les coques comme des porte-plume dans l’encrier » ? Le progrès technique est le carburant de toutes les nostalgies. C’est grâce ou à cause de lui que ces bateaux-bœufs ne sont plus que les illustrations d’ouvrages de souvenirs. Les chantiers Aversa et Ricciardi ont construit à la Plagette les derniers spécimens en 1932, et ensuite, ils adaptèrent la charpente aux nécessités de la motorisation. Déjà en 1953, dans un article publié par la revue “Navires et bois et industries connexes”, l’architecte naval Maurice Amiet déplorait qu’il ne resta quasiment aucune unité de la quarantaine de paires qu’ait comptées Sète quand la ville s’appelait encore Cette. La Direction régionale des affaires culturelles (Drac) qui est impliquée dans la protection du patrimoine maritime en Languedoc-Roussillon relève dans son recueil “Du négafol à la barraca” que le dernier survivant de ce bateau emblématique du port de Sète est “l’Espérance”, construit en 1881 à Agde et acheté par une famille de pêcheur sétois en 1892 qui le rebaptisa “Le Dauphin” et l’exploita jusqu’en 1944 après l’avoir motorisé en 1938.

De la tartane au bateaubœuf, on passe d’un bateau de charge polyvalent à un bateau de pêche spécialisé

Inscrit aux Monuments historiques en novembre 2009, le bateau est actuellement coulé dans son premier port d’attache, Agde, où plusieurs tentatives de renflouage n’ont pas été couronnées de succès. Bref il faudra aller aux musées pour admirer les toiles ou les maquettes les représentant (lire par ailleurs) ou bien se plonger dans les livres pour se faire une idée sur les bateaux-bœufs, leur construction, leur gréement et leur technique de pêche. Heureusement, les ouvrages de référence ne manquent pas. Le “Guide des voiliers de pêche” du ChasseMarée nous dit que : « de la tartane au bateaubœuf, on est passé d’un bateau de charge polyvalent à un bateau de pêche extrêmement spécialisé. Le bateau-bœuf est voué si exclusivement à la pêche en couple qu’il en a perdu jusqu’à son nom d’origine. C’est un cas exemplaire d’évolution technologique lié à une technique de pêche, la pêche au bœuf ». Maurice Amiet nous explique pourquoi le bœuf : « Comme les “panneaux” n’existaient pas à cette époque et comme un seul bateau n’aurait pas été assez puissant pour traîner un chalut par 40 ou 60 mètres de profondeur, ces bateaux se mettaient à deux pour faire ce travail, attelés comme des bœufs à une charrue, d’où leur nom…». En revanche Pierre Blasi estime lui dans son livre “Et voguent tartanes et voiles latines” que « la génèse du bateau-bœuf résulte d’une sorte d’effet pervers de la modernisation de la technique de construction des navires vers 1750 » avec l’abandon du lourd mât de trinquet qui avait tendance à faire piquer du nez les barques de pêche.


Débarrassées de la polacre (voile pointue) et du guibre, ces barques vont subir un effet de basculement de la proue vers la poupe qui va améliorer la tenue aux vagues et faciliter la manœuvre des filets à l’arrière. Cette analyse est aussi celle de François Baudouin dans “Bateaux des côtes de France”.

Les avis divergent aussi sur l’importance de l’équipage : de quinze à vingt selon Pierre Blasi en raison de la complexité de la manœuvre tant des voiles que du filet, le gangui, avec sa poche de 5 mètres; de quatre à cinq pour Bernard Vigne en raison de la simplification du gréement qui, par rapport à la tartane, ne comporte plus de voile de flèche, de ris, ni de cargues. En tout cas, Maurice Amiet rappelle que ces manœuvres ne se faisaient pas sans difficultés ni sans risques : « L’antenne qui supportait la voile latine était si lourde qu’elle n’était que très rarement amenée. Le haut de cette antenne se trouvait à 20, 22 m au-dessus de l’eau ; pour ferler la grand-voile, les mousses grimpaient à cheval sur cet espèce de mât de cocagne, et jusqu’en haut, ce qui était plu tôt sportif et quelquefois dangereux, car avec forte mer, il arrivait que des chutes se produisent ». A la fin des années 30, plusieurs unités furent équipées de moteurs suffisamment puissants pour qu’ils puissent pêcher seuls. Ils devinrent ainsi peu à peu des chalutiers comme les autres et perdirent leur gréement. Les fluctuations des cours du poisson et du coût de l’armement finirent par

A la fin des années 30 les bateaux ont été motorisés et ont perdu leur gréement

les réduire à l’état d’épaves dans les années 50 après que certains eurent été réquisitionnés pendant l’Occupation par l’armée allemande pour patrouiller le long des côtes. Ce destin n’est pas moins funeste que celui des lourdes barges qui ont sillonné pendant des décennies les canaux et l’étang de Thau chargées des barriques et des vins qui faisaient la fortune de la ville. Dans “Sète – Métamorphoses”, Claude Bonfils note que « le bateau sétois, 19 m de long sur 5 de large, est quillé avec un tirant d’eau de 1,60 m pour la traversée de l’étang à la voile. Il transporte entre Marseillan, Mèze et Sète quatre-vingt demi-muids, la majeure partie en pontée pour faciliter les transbordements effectués par l’équipage. On démâte à hauteur de la Pointe Courte et l’on se déhale dans les canaux, à la perche, jusqu’au chai de destination. Plus tard on adjoindra un moteur Bolinder pour la propulsion et le treuil ». Trop tard pour la survie de ces bateaux car le temps des barriques est compté comme celui du négoce. Unique en leur genre, ces “pinardiers” avaient pourtant, selon Pierre Blasi, une forte ressemblance avec le “mourre de pouar” dont il conservait le “grouin” et le plan de voilure tout en ayant des formes hypertrophiées. Cela amène l’auteur à penser que « les charpentiers de marine transalpins ont certainement imprimés leur patte dans les réalisations locales ». Patte, savoir-faire, les familles entières qui débar-

La pêche de Gérard sur un négafol (je le compris par la suite). Assis dans une nacelle nous remorquions une petite embarcation dont les bords avaient environ 40 cm de hauteur, et sa largeur 90 cm. Le fameux négafol ! Arrivés sur les “tocs”, bords de l’étang où la profondeur

ne dépasse pas un mètre, mon ami André me montra ses équipements, la fouine ou foène - longue perche terminée par un trident - et une grande boîte de conserve ronde dont le fond avait été remplacé par une vitre au joint parfaitement étanche,

© MC Giraudo/DR

J’ai découvert le “négafol” à l’occasion d’une partie de pêche dans les années 60. J’avais alors une vingtaine d’années et j’étais avide de découvrir Sète, ainsi que la vie et la manière d’être des Sétois, aussi quand un de mes amis, André, pilote du port dont la jeunesse s’était écoulée dans le quartier du Pont-Levis m’invita un jour à la pêche c’est avec le plus grand plaisir que j’acceptais. Il faisait beau ce jour-là, pas de vent ce qui était essentiel d’après mon ami,

ce qui permettait d’observer le fond de l’eau allongé sur le bateau. Il m’invita à le rejoindre sur le négafol me recommandant la prudence ce qui était superflu car dès que mes pieds se posèrent dans le frêle esquif, je recherchais vite la position allongée pour éviter tout incident. André déplaçait l’embarcation en plantant la fouine dans le sable tout en observant le fond de l’étang avec sa boîte. Allongé à l’autre extrémité du


Les Allemands réquisitionnèrent les bateaux-bœufs pendant l’Occupation pour en faire des patrouilleurs. Carte postale ancienne/DR quent de la région de Naples et créent les chantiers qui auront pour nom Aversa, Scotto, Ricciardi, Stento, n’en manquent pas : « Ces charpentiers (…) excellaient dans la construction de gozzi, ces petites embarcations de pêche que l’on trouve sur le littoral italien. Travaillant en famille, à des prix défiant toute concurrence, ils ont su rapidement conquérir le marché de la

négafol, j’observais moi aussi le fond avec une boîte sans participer au déplacement du bateau et j’écoutais les explications de mon ami. Du sable, des herbes dont les tiges ondulaient au gré des courants, parfois un petit crabe dérangé par notre passage et qui s’enfonçait dans le sable, des coquilles… et tout à coup André me dit « regarde, un traf ic ! » et il me fait comprendre que les soles, se posant sur le fond laissent des traces discrètes avant de se recouvrir de sable avec leurs nageoires pour se camoufler, et au bout

du traf ic, avec l’expérience on peut distinguer les yeux du poisson et parfois le dessin de l’extrémité de la tête. Evidemment, malgré la description d’André je ne voyais rien. Un rapide coup de fouine et une petite sole qui remuait au bout du trident était remontée dans le barquet. Je me promettais d’être plus attentif à la prochaine alerte ! Et rapidement André signalait un autre traf ic, il n’était pas question de me le montrer avec le bout de la perche, la sole méf iante se serait enfuie, mais en me décrivant

construction navale en bois dans la plupart des ports (…) du Languedoc », note Bernard Vigne qui ajoute : « Construite à l’aide du gabarit SaintJoseph, la barquette se différencie des mourres de pouar et des barques catalanes par la légéreté de la construction (…). Ce qui caractérise la barquette, c’est son capian, particulièrement travaillé ». En tout cas après avoir été adoptée par

l’herbier où elle se trouvait je distinguais le fameux traf ic et au bout le poisson, qui fut vite remonté dans l’embarcation. Notre pêche prenait petit à petit l’allure de la pêche miraculeuse ! jusqu’au moment ou André décida de rejoindre la nacelle pour prendre son salabre1 et ramasser des caramotes2. Je restais donc seul à bord du négafol pour continuer notre pêche. La matinée passa très vite, bien sûr le rythme de la remontée des soles avait changé, mais quand même, l’expérience commençait à

venir, le coup de fouine était plus précis, la recherche des traf ics plus eff icace, si bien que captivé par l’action, même la position inconfortable sur ce barquet de bois était oubliée. Vers midi ce fut le retour au Pont-Levis et je rentrais tout f ier avec ma pêche à la maison. GérArD réthoré 1) salabre : filet fixé sur un cadre de bois triangulaire avec un manche qui permet de le faire glisser sur le fond en le poussant devant soi. Ce que le pêcheur ramasse est déposé sur la barque et trié, on rejette herbes et algues dans lesquelles se cachent les caramotes. 2) caramotes : ce sont les petites crevettes de l’étang, qui vivent dans les herbiers sur les hauts-fonds.



les pêcheurs, la barquette intéressera les plaisanciers qui lui assurèrent sa pérennité (lire page 15 le texte d’Yves Moxin). Contrairement aux grosses unités, les “nacelles”, bateaux de travail des petits métiers, ont mieux résisté à l’outrage conjugué de la motorisation et des nouveaux matériaux. Est-ce parce qu’elles étaient parfaitement adaptées aux lagunes qui, de l’embouchure du Rhône aux Pyrénées, étaient leur véritable royaume ? L’étang de Thau est une petite mer intérieure, avec des tempêtes redoutables. Le danger étant toutefois moins grand qu’en haute mer, la présence dans ses eaux de nombreuses espèces de poissons (muges, daurades, loups, anguilles) et coquillages (palourdes, clovisses, huîtres, moules, oursins, escargots) y a favorisé dès l’Antiquité la pêche comme en attestent les hameçons, les poids de filet en céramique ou les navettes de remaillage en bronze de l’époque gallo-romaine mises au jour à la pointe du Barrou lors de fouilles archéologiques. Au XIIIe siècle, l’évêque d’Agde prélevait le vingtième des prises faites par les pêcheurs qu’il avait autorisé à poser des filets dans l’étang. Un siècle plus tard les types de filets sont réglementés pour la première fois. « Antique comme la vie sur le littoral lagunaire du Languedoc (…), la nacelle répond depuis et parfaitement à deux besoins fondamentaux, gagner sa vie et se déplacer (…). Sa longévité et la fidélité de ses utilisateurs s’expliquent aisément : elle est simple d’entretien, inusable et sutout ne coûte pas très cher. Ici le pêcheur à sa nacelle comme le paysan à sa charrette », lit-on dans la plaquette éditée pour l’exposition “Le négafol, le barquet, la nacelle : les barques de l’étang de

Le “bateau sètois” qui transporte entre Marseillan et Sète de lourdes barriques est démâté à la Pointe Courte et arrive au chai poussé par des perches. Photo extraite de “Sète en cartes postales anciennes”/DR

La nacelle répond depuis l’Antiquité aux besoins fondamentaux de la vie sur le littoral lagunaire

Thau” qui a eu lieu de juin 1996 à décembre 1997 au Musée de Bouzigues. Cette exposition a permis de faire le point sur les quatre formes caractéristiques et originales de nacelles dont on a compté jusqu’à plus de mille unités sur l’étang en 1900. Douze modèles ont été construits dans la région : Le négafol mesure de 13 et 14 pans (1 pan = 25 cm). Il est manœuvré à la partèque ou aux avirons. Il est utilisé notamment pour la pêche à la boîte (lire page 10 le récit de Gérard Réthoré). La plus grande concentration de négafols se trouvait dans le quartier du Pont-Levis où ils étaient parfaitement adapté aux hauts-fonds. Le barquet mesure de 15 à 16 pans. Il est utilisé pour des pêches nécessitant des déplacements plus importants dans des eaux plus profondes. A la Pointe Courte, les pêcheurs l’utilisaient pour pêcher à l’arselière dans les petits fonds de l’étang Noir. La nacelle mesure de 17 à 22 pans. Elle se manœuvre à la partègue, aux rames ou à la voile latine. Elle a été le bateau de prédilection des ostréiculteurs de l’étang et a servi d’annexe aux bateaux-bœuf et aux chalutiers. Le marinier atteint 26 pans. Manœuvré à la rame et à la voile latine, il était destiné à la pêche à la traîne le long du littoral. « Toutes les nacelles, du négafol au marinier, étaient construites selon le même procédé et dans le même matériau, le pin. Embarcation simple, aux formes développables, d’un type presque primitif, elles ne comportent aucun élément superflu ni dans leur construction ni dans leur gréement. Pointues aux deux extrémités, avec une tonture très prononcée, la nacelle est une embarcation très élégante et ses qualités marines sont



étonnantes (…) La construction était solide et, bien entretenue, une barque pouvait espérer vivre une cinquantaine d’années », lit-on encore dans la plaquette de présentation de l’exposition. André Aversa se souvient qu’il ne fallait pas plus de trois jours à son oncle Jacques pour construire ces nacelles dont la typologie a été établie grâce aux notes qu’il a laissées sur six petites feuilles de calepin (lire page 29). Grâce à quelques passionnés, notamment les membres de l’Association Voile latine de Sète et du Bassin de Thau, il reste à Sète et dans ses environs des nacelles restaurées et regréées en état de naviguer, prolongeant ce « règne sur la mer et l’étang » dont Paul Valéry faisait remonter l’origine aux Phéniciens. ALAIN GIRAUDO

Construite en trois jours, une nacelle pouvait durer cinquante ans. Photo extraite de “Voiles Latines”, ed. Chasse Marée/DR

De la barquette marseillaise… à la barquette cettoise

© Bernard Allègre/DR

Elles se balancent doucement dans tous les ports de la côte méditerranéenne. Bords contre bords ces barques de pêcheurs, reconnaissables entre toutes, laissent entrevoir des fortunes diverses, malgré un air de famille évident. On les appelle les pointus, un nom qui leur va des deux côtés. Simple comme un dessin d’enfant, c’est comme un rêve de bateau. Dessinées et redessinées par des siècles de travail, ses modestes dimensions vous invitent à un rapport intime avec la mer. La grande bleue décida de l’évolution des embarcations et si elles sont ventrues et fuyantes dans les bouts c’est pour s’adapter aux caprices de cette mer presque intérieure. Leur ligne a évolué pour accompagner la motorisation des barques de pêche. Pointue à l’avant, rase sur l’eau, l’étrave est arrondie et dominée par un capian très saillant (pièce d’étrave située à l’avant qui sert à amarrer le bateau). Les barquettes marseillaises se reconnaissent à leur galbe, adapté à la navigation côtière. Gréées

pour la navigation à voile elles sont d’une élégance rare avec leur voile latine amarrée sur l’antenne. Une grande partie des barquettes marseillaises était à l’origine utilisée pour la pêche professionnelle. Adaptés à la pêche au trémail, se comportant bien aux caprices de la mer, aux exigences de la navigation en Méditerranée, les pointus, ont vite été adoptés à Cette par les “petits métiers”, supplantant les autres embarcations. Bateaux à voile et à avirons, les pointus sont gréés à Sète aussi en voile latine d’influence arabe. Les pêcheurs ne l’utilisent que pour se rendre sur les lieux de pêche ou revenir au port. Pour les manœuvres, les brises trop faibles ou pour arriver parmi les premiers au port, les avirons étaient utilisés en complément. Les premiers pêcheurs rentrés au port valorisaient toujours mieux leurs poissons et cette pratique donnait lieu quelquefois à d’âpres défis. Cette tradition revit à Sète depuis 1995. Tout a

commencé lorsque fut découverte à la Plagette une épave de barque “à la cettoise”. A défaut de pouvoir la réparer ou la reconstruire il fut fait un moulage en résine de cette coque traditionnelle. Ainsi, grâce aux matériaux modernes, il fut possible de redonner vie à ce mode écologique de propulsion, et, surtout, d’en faire un sport populaire et d’organiser des championnats. Avec cinq barques identiques (600 kg par unité) pour l’association Cettarames de Sète, deux pour l’Estaque, deux pour Gruissan et une pour Mèze, des compétitions farouches mais fort sympathiques, ont lieu plusieurs fois par an. Les fins skifs de l’aviron classique sont sans doute plus élégants, mais les canaux de Sète ne sont pas ceux d’Oxford ni de Cambridge. Les barques pointues d’ici sont plus ventrues — et les rameurs parfois aussi — mais les galériens de l’’île singulière... le sont tout autant. La pluralité, la convivialité, le dynamisme sont toujours les valeurs essentielles de Cettarames. Le club, fort de 350 licenciés, a remporté plusieurs titres dans les championnats nationaux de rames traditionnelles en présentant 8 équipes dans toutes les catégories. 21 barreurs assurent plus de 1 500 heures par an aux licenciés du club. 500 élèves des classes primaires participent chaque année à l’école de rames traditionnelles. YVES MOXiN Source documentaire : “La Barquette Marseillaise” Laurent Giraudou (Equinoxe). “Cettarames” Annick Artaud.


Le port de Sète et ses bateaux dans

les collections du Musée Paul-Valéry Riches d’environ 4 000 œuvres, les collections du Musée Paul Valéry comptent un ensemble de plus de 700 peintures, essentiellement des XIXe et XXe siècles, qui, pour beaucoup d’entre elles, témoignent de l’intérêt porté à l’île singulière par de nombreux artistes. Qu’il s’agisse, au XIXe, de Jongkind, Mols, ou Hintz, des Sétois Jules Troncy ou Toussaint Roussy, et, au XXe, de Marquet, du groupe Montpellier/ Sète réuni autour de François Desnoyer ou de la génération de la Figuration Libre notamment représentée par Robert Combas et les frères Di Rosa, ils en donnèrent de multiples représentations et se firent parfois l’écho des événements historiques locaux. Le port de Sète fut au cours du XIXe et jusque dans l’Entre-deux-guerres au siècle suivant, un de leurs sujets favoris. A la fois port de pêche et de commerce, alors spécialisé dans le commerce des vins avec l’Algérie et l’Afrique du Nord, Sète (dont le nom était orthographié Cette jusqu’en 1928) grouille d’une activité qui enthousiasme les peintres tout autant que le caractère exceptionnel du site. Outre leur qualité plastique, la plupart des œuvres réalisées revêtent aujourd’hui un véritable intérêt historique par les divers témoignages qu’elles offrent sur les activités du port et sur la diversité des bateaux que l’on y rencontrait. Retenons, à titre d’exemples, quatre œuvres des XIXe et XXe siècles, de quatre artistes de différentes origines : le peintre allemand Julius Hintz, le Flamand Robert Mols, le Sétois Jules Troncy et le Bordelais Albert Marquet. DIRECTRICE

Julius Hintz Hambourg 1805 – Paris 1862

Vue de la ville et du port de Sète, 1849 Huile sur toile, 75 x 112 cm

DU

MAÏTHÉ VALLÈS-BLED MUSÉE PAUL-VALÉRY

Arrivé très jeune à Paris, où il demeure jusqu’à la fin de sa vie, Hintz livre de nombreuses vues des ports des côtes françaises qu’il a aimé parcourir. En 1849, il donne, dans l’écriture romantique aux tonalités harmonieuses qui le caractérise, une interprétation du port de Sète saisie depuis le môle Saint-Louis et offrant une riche description des bateaux qui l’animent. Au-delà d’un premier plan représentant l’extrémité du môle et les hommes qui s’y activent, on observe sur la gauche une barque à fond plat venant de décharger des tonneaux de l’un des nombreux voiliers de commerce à quai tandis qu’à l’arrière-plan le chenal conduisant au canal royal est encombré de bateaux de pêche également à quai. Dominant l’alignement des bâtisses sur le quai de la Consigne, l’église Saint-Louis, construite en 1703, n’est pas encore surmontée de la statue de la Vierge qui ne sera érigée qu’en 1866.


Robert Mols Anvers 1848 – Anvers 1903

Port de Cette, 1891 Huile sur toile, 110 x 210 cm

Formé à l’académie d’Anvers, Mols fut également l’élève du peintre français Jules Dupré proche de l’école de Barbizon. Partageant sa vie entre la Belgique et la France, il donna de nombreuses marines relevant d’une approche à la fois sobre et réaliste. C’est depuis la mer qu’il saisit en 1891 cette vue du port et du mont SaintClair qui revêt à plusieurs titres un véritable intérêt historique. Certes de par la représentation des bateaux en activité – au premier plan sur la gauche une barque catalane, bateau de pêche traditionnel jusqu’au début du XXe siècle, au second plan sur la droite un paquebot à voile et à vapeur sortant du port – mais aussi et surtout par le témoignage apporté à la fois sur la topographie de la ville à la fin du XiXe siècle et sur des constructions aujourd’hui disparues : la citadelle Richelieu domine le mont Saint-Clair à cette époque encore peu construit et peu boisé, l’alignement des maisons au pied de la colline telles qu’elles se présentaient avant leur destruction pendant la deuxième Guerre mondiale et, à l’extrémité du môle, derrière le phare, l’ancien fort militaire détruit lors des bombardements de 1944.

Comptant parmi les meilleurs peintres sétois du XiXe siècle, Jules Troncy fut l’un des illustrateurs de l’Ampélographie de Viala et Vermorel, le monumental Traité général de viticulture en sept volumes, publié de 1901 à 1910, qui décrit 5 200 cépages et en recense 24 000. il livre ici une interprétation réaliste de l’activité bouillonnante du port de Sète à la fin de XiXe siècle, s’attachant particulièrement à la narration des bateaux. Au centre de la composition, l’activité des bateaux-bœufs rentrant de la pêche s’oppose au statisme des grands voiliers à quai le long du môle Saint-Louis tandis que le tout premier plan est réservé à deux frêles embarcations : sur la gauche une barque dotée d’un auvent rouge qui protège du soleil deux promeneurs, sur la droite une barque de pêcheurs rentrant au port.

Albert Marquet

© Musée Paul Valéry, Sète/ photos Eric Teissèdre/DR

Bordeaux 1875 - Paris 1947

Voiliers à Sète, 1924 Huile sur toile, 64 x 80 cm

Jules Troncy Sète 1855 – Sète 1915

L'Entrée du port de Cette, 1892 Huile sur toile, 81 x 122 cm

En 1924, Marquet découvre Sète à l’occasion d’un voyage entrepris avec Puy et Manguin, qui les conduisit de Belle-ile-en-Mer à Bordeaux, puis à Bayonne avant de longer les Pyrénées pour rejoindre la côte méditerranéenne. Arrivé à Sète en juillet, il est séduit par la ville et décide de s’y installer pour l’été, laissant ses amis poursuivre sans lui leur périple vers la côte catalane. il loge avec sa femme au Grand Hôtel, où il occupe une chambre donnant sur le Canal royal, et loue à proximité du môle Saint-Louis un petit logement lui offrant une vue plongeante sur le port. De sa fenêtre dominant le quai, ou se rendant directement sur le motif, Marquet réalise un ensemble de vues des canaux et du port dont la plupart comptent, comme celle-ci, parmi ses chefs-d’œuvre. Le sujet principal du bateau réside sans doute moins ici dans l’activité du port que dans la délicatesse particulière de la lumière, ses vibrations sur l’eau et sur les toiles blanches des voiles latines, les contrepoints sombres des petites barques des pêcheurs, du môle, du brise-lames, d’un cargo à vapeur qui s’éloigne dans le lointain ou bien encore des ombres démesurément étirées par l’heure matinale.



Exposition de photographies

Cette 1900

du 8 février au 30 mars 2012 vernissage le jeudi 9 février à 18h30

La Maison de l¹Image Documentaire inaugure avec l¹exposition “Cette 1900”, qui a lieu du 8 février 2012 au 30 mars, un cycle d¹événements annuels consacrés à la mise en valeur de la mémoire photographique régionale. Ce fond privé constitué d’une cinquantaine de plaques originales datant de 1900, nous propose un voyage particulièrement riche et documenté dans les rues et sur les quais de Cette, le port du vin au début du XXe siècle. Les nouveaux bateaux à vapeur côtoient encore les grands voiliers; les portefaix, les charbonniers, les tonneliers et les charretiers se croisent et s’activent sur les quais, les joutes sur le canal Royal rassemblent la cité toute entière, et bientôt la guerre qui se prépare verra les tirailleurs sénégalais déballer leur paquetage sur la plage, sous les regards curieux des habitants. Au-delà de la nostalgie, la précision des cadrages, la densité très particulière de ces images d’époque font de cette série un témoignage patrimonial passionnant, d’une remarquable qualité artistique. Cette exposition est réalisée en partenariat avec la Ville de Sète avec l'aimable autorisation de Robert Cortade. MAISoN DE L¹IMAGE DoCUMENtAIrE 3, rue raspail 34200 Sète tél.: 04 67 18 27 54 / www.la-mid.fr

© DR

ouvert mardi, mercredi et vendredi de 15h à 18h. Jeudi de 15h à 19h. ouvertures exceptionnelles le week-end et en nocturne, selon la programmation.

ENtréE LIBrE


Six bateaux font l’objet de mesure de protection par les “Monuments historiques” sur les rivages du LanguedocRoussillon. La Direction régionale des affaires culturelles (Drac) en a établi le catalogue dans un ouvrage de la collection Duo paru en septembre 2011 sous le titre “Du négafol à la barraca/Le patrimoine maritime en LanguedocRoussilon”. Trois embarcations sur les six sont liées au patrimoine maritime sétois, le “SaintPierre”, classé monument historique, les deux autres, le “Gracchus Babeuf” et le“Tarzan” étant inscrits à l’inventaire des monuments historiques.

© Jean Huet/Chasse-Marée

Trois bateaux classés à Sète

Le “Saint-Pierre” chantier Luigi Aversa 1909 Le “Saint-Pierre” est amarré sur la rive gauche du canal dédiée aux vieux gréements à Palavas. La ville qui en est propriétaire l’utilise lors des manifestations patrimoniales et des fêtes en mer avec un équipage propre. Cette barque catalane à voile latine typique a été remise dans son état d’origine lors d’un chantier de restauration effectué à Sète en 2008-2009 sous la direction d’André Aversa, dont le grand-père, Luigi, avait été le charpentier de cette barque, en 1909. Elle était alors destinée au patronpêcheur Vincent Liguori qui utilisait un filet dérivant pour pêcher des poissons bleus — sardine, anchois, maquereau et thon selon la saison. Construit en chêne avec la technique du “gabarit SaintJoseph” importée par les charpentiers italiens à la fin du XIXe siècle (sans plan et avec une réglette graduée à tout faire), le “Saint-Pierre” est à 70 % dans son état originel. D’une longueur hors tout de 10,16 m, la catalane a un pont en lattes de pin d’une longueur de 9,75 m pour une largeur de 2,89 m, pont percé de panneaux avant et arrière. Son gréement supporte près de 80 m² de voilure. Son capian traditionnel est décoré d’une étoile à cinq branches. Son franc-bord assez bas facilitait la manœuvre du filet. André Aversa a réalisé trois maquettes du “Saint-Pierre” qui montrent les différentes étapes de la construction : assemblage des membrures, pose des bordées, barque achevée et gréée. Ces maquettes ont été elles-mêmes inscrites à l’inventaire des monuments historiques en 2009.


“Le Gracchus Babeuf” Ancré au port de pêche de Bouzigues, derrière le Musée de l’étang de Thau, le “Gracchus Babeuf” est une des dernières nacelles entièrement authentique. Alors que les Monuments historiques en dénombraient encore une centaine en 1990, ils n’en comptaient plus qu’une vingtaine quinze ans plus tard, en raison de leur changement de destination (de la pêche au travail conchylicole) et de l’installation de moteur hors-bord (coupure de la poupe et installation d’un tableau arrière). Apparues au XVIIIe siècle, les nacelles ont constitué le gros de la flotte des étangs du Languedoc-Roussillon au XIXe siècle en raison de leur parfaite adaptation à la pêche dans de faibles tirants d’eau grâce à leur fond plat et leur simplicité de construction. Réalisé en pin en 1954 à Méze par le charpentier de marine Jospeh Buonomo pour la pêche à la palangre ou au filet sur l’étang de Thau, le “Gracchus Babeuf” mesure 26 pans (un pan = 0,25 m) de long. La nacelle est dotée d’un mât vertical, incliné vers l’arrière et gréé d’une voile latine bordée sur une antenne (vergue). Des tolets permettent de fixer des rames pour naviguer lorsque

Le “Tarzan”

© Jean-Claude Dugrip

chantier Manno, 1950

Président de l’association Les Amis du Tarzan, William Chérino, a amarré le “Tarzan” à Sète en 2008, d’abord au quai François-Maillol, puis au quai de la République. Démâté depuis quelques mois, cette goélette construite en 1950 à Sfax (Tunisie) par le chantier Manno pour les frères Marinello rencontre quelques difficultés pour être restaurée.

© photo Thierry Boulley

chantier Joseph Buonomo, 1954

le vent tombe. L’étrave et l’étambot sont droits et nettement inclinés. Originellement appelée “A nous deux !”, cette nacelle a été rebaptisée “Gracchus Babeuf” lorsqu’elle a été donnée par son propriétaire, Sébastien Cruze, à l’Association Voile latine de Sète. Régulièrement entretenue, elle n’a jamais subi de transformations sensibles.

“Tarzan” est une goélette motorisée de type italien avec une coque en chêne, deux mâts et un gréement aurique. D’abord utilisée pour la pêche à l’éponge dans le golfe de Gabès, elle est ensuite transformée en chalutier pour la pêche au large des côtes tunisiennes. La famille Marinello en est spoliée lors de la proclamation de l’indépendance de la Tunisie par Bourguiba en 1956. Elle parvient néanmoins à s’enfuir du pays à son bord en 1957 et elle arrive à Sète via la Corse. Le “Tarzan” n’obtient l’autorisation de pêcher en chalutier qu’en 1960. Il poursuit cette activité jusqu’en 1977. Il est alors aménagé en bateau de plaisance, ses propriétaires successifs lui faisant subir de nombreuses transformations. En dépit d’une authenticité relative donc, le “Tarzan” est vraisemblablement l’ultime représentant des gangaviers, cette flotte de bateaux italiens construits en Tunisie pour la pêche à l’éponge. C’est également un “témoin acteur” de l’histoire de l’indépendance de la Tunisie et du bouleversement de la pêche sétoise avec l’arrivée des bateaux d’origine pieds-noirs aux pratiques nouvelles (lamparo, palangriers, bonitiers).

“Du négafol à la barraca/Le patrimoine maritime en Languedoc-Roussilon” par Hélène Palouzié, conservatrice aux monuments historiques, Christian Jacquelin, conseiller pour l’ethnologie et Michel Descossy, photographe. Cet ouvrage de la collection DUO fait le point, sous l’angle de la protection, sur le programme de recherche, conservation et valorisation du patrimoine maritime et lagunaire en LanguedocRoussillon, programme initié et soutenu par la DRAC.


Voile Latine de Sète et du Basssin de Thau

La mémoire restaurée

Vieux gréements de l’association Voile Latine dans le port de Bouzigues. © Thierry Boulley/DR

L’association Voile Latine de Sète et du Bassin de au a été créée en 1988 avec pour objectif la sauvegarde et la promotion du patrimoine maritime local, au travers de multiples activités : restauration et maintenance d’embarcations traditionnelles, d’outils, de sites ; utilisation de ces embarcations pour la régate, la promenade ou la pêche ; apprentissage et transmission de savoir-faire - navigation, pêche, charpenterie…

A

ujourd’hui, l’association compte 70 adhérents et dispose de deux salariés, une secrétaire et un chargé de communication. Elle possède une flottille de bateaux gréés en voile latine (barques catalanes, nacelles, barquettes marseillaises) qui sont amarrés soit dans le port de Sète soit dans celui de Bouzigues, dans le prolongement du Musée de l’étang de Thau. Un sentier du patrimoine (en cours de réaménagement) permet de découvrir ces embarcations

en remontant du môle Saint-Louis vers la Plagette le long des canaux. On trouve notamment le “Saint André”, une catalane sortie des chantiers Stento en 1947 que l’association a restaurée en 1988. En 2002, l’association a racheté à Nanou de Santis le dernier chantier de construction navale sétois (chantier dit de “la Plagette”) menacé de démolition. Implanté là en 1930 par la famille Aversa (lire page 28), c’est là qu’ont été construites les dernières grosses unités de pêche en bois. Soutenue par la ville de Sète et la Drac Languedoc-Roussillon, la Région et le


Le chantier naval de la Plagette permet de garder vie aux embarcations traditionnelles du Languedoc.

© Thierry Boulley/DR

© Voile Latine/DR

© Thierry Boulley/DR

© Thierry Boulley/DR

département l’association a commencé à restaurer le site pour lui conserver sa vocation initiale (entretien, restauration -et construction- de bateaux selon les techniques de charpenterie de marine traditionnelles). Ce projet a été couronné en 2004 par le premier prix Carrefour-Journées européennes du Patrimoine (Ministère de la culture et de la communication) dans la catégorie “patrimoine architectural”. Plusieurs embarcations sont en cours de restauration dont celle utilisée par Agnès Varda pour naviguer sur la Seine dans son film “Les Plages d’Agnès”. Certains samedis (voir calendrier de l’association) il est possible d’y suivre un atelier de matelotage (connaissance et confection des nœuds) avant de participer à un déjeuner convivial. Tout au long de l’année, l’association participe à divers rassemblements et régates de vieux gréements et assure des activités pédagogiques. En outre l’association a participé à des études et des recherches qui ont donné lieu à des publications comme “Contribution à l’histoire des chantiers navals de Sète” (2002). Ces travaux accordent une large place aux enquêtes orales : le recueil des mémoires auprès de pêcheurs et de charpentiers grâce au travail du “vidéaste” de l’association, Jean-Marc Roger. Une lettre d’information est éditée périodiquement ; relatant l’actualité de l’association. En 2002, l’association a collaboré, avec d’autres associations du littoral, à la rédaction du premier manuel de “L’école d’Eole” (programme d’activités pédagogiques et de loisirs animé par l’Agence Méditerranéenne de l’Environnement) : Le vent, la navigation et le patrimoine maritime. Ces recherches ont été valorisées par des expositions comme Le négafol, le barquet et la nacelle, les barques de l’étang de Thau (Musée de l’étang de Thau, Bouzigues, juin 1996 à décembre 1997),La pêche aux bateaux-bœufs (avec l’Office Départemental d’Action Culturelle (ODAC), Sète, 1998 et 2001) ou encore Charpenterie navale, du crayon à l’herminette (Sète, 2005). Voile latine de Sète et du Bassin de Thau 24, rue des chantiers La Plagette 34200 Sète Tél. : 04 67 74 32 60 Site internet : www.voilelatine-sete.fr Blog : www.voilelatineste.info


Le chemin du patrimo x ”Le Pointu”, chantier Aversa (1958).

w “La Voilà”, chantier Stento (1972). y “Antiphrite”, chantier Stento (1958).

{ “Damienne”, chantier Candela (1958).

|

z ”Aubane”,

chantier Stento (1948).

| “Saint-André”, chantier Stento (1947).

En flânant de la Plagette au môle Saint-Louis au fil de ce “chemin du patrimoine” (suceptible d du port) quelques-unes des plus belles vieilles b les membres de l’association Voile latine de Sète


oine des voiles latines v “Chrisylvanat”, chantier Candela (1959).

u Le chantier de la Plagette et les barquettes en cours de restauration, “Audrey“ (1958), ”Thétis” (1964) et ”Paul” (1971).

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illustration Fred Van Deelen/ Agence Christophe/DR

s le long des canaux, le promeneur peut découvrir d’être modifié sinon enrichi lors du réaménagement barques restaurées ou en cours de restauration par et du Bassin de au. Photos ierry Boulley/DR



Barques à gréement latin se reflétant dans les eaux du port de Bouzigues. © Thierry Boulley/DR

© Thierry Boulley/DR

La vie de l’étang mise en scène à Bouzigues

L’idée de conserver et de mettre en valeur les instruments de la tradition conchylicole et de la pêche prend naissance en 1981 à Bouzigues. Cette collection va connaître un réel succès. Grâce à ce succès, un projet de plus grande envergure va voir le jour. Au printemps 1991 le Musée de l’étang de thau ouvre ses portes devant le port de pêche du village de Bouzigues. Parmi ses nombreux attraits la présence à ses abords d’un petit port de pêche vous permet d’y accoster grâce à un ponton que vous veniez de Sète, Mèze, Balaruc…

on peut également voir de près les activités maritimes, les fermes aquacoles, les parcs et les mas ostréicoles. Le Musée de l’étang de thau doit présenter une mise en scène des objets. Aussi le parti pris adopté par Laure Gigou, conservateur en chef départemental des Musées (service du patrimoine du Conseil Général de l’hérault) a été de présenter les objets dans la situation de leur utilisation. La mémoire de l’étang est ainsi exposée en associant les informations scientif iques, archéologiques, historiques, ethnologiques et techniques, provenant des recherches des différents instituts et universités. Pour mieux connaître la vie de l’étang, la Direction régionale des Affaires Culturelles du Languedoc-roussillon a programmé plusieurs bourses de recherches pour les étudiants en ethnologie.


Des chantiers aux maquettes Aversa

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Document André Aversa/DR

Cent ans d’histoire au 1/10

Construction du “Joseph François”; premier chalutier à “cul de poule“ pour le patron pêcheur Joseph Nocca sur les chantiers Aversa en 1945.

La construction navale a été “importée” à Sète à la fin du XIXe siècle par les immigrants italiens qui s’installèrent au Souras-Bas, avant de migrer vers les quais de la Bordigue puis de l’Amour (à côté de la gare) pour enfin se concentrer soit à La Plagette soit à la Pointe Courte. Entre les deux guerres les chantiers exploités par les familles Aversa, Stento, Scotto, Ricciardi, Camarrota, employèrent plus de cent charpentiers. En plus des nacelles traditionnelles (plus de 1000), il fallait construire ou réparer catalanes (plus de 100), bateaux-bœufs (près de 80), mais aussi entretenir les barges du canal et de l’étang. C’était l’âge d’or de la charpente bois et de la voile latine. Une époque révolue en dépit de l’adaptation des embarcations aux contraintes de la motorisation : le dernier chalutier en bois, le “Sétori” a été construit en 1987 et il n’y a plus de charpentier de marine depuis que Nanou De Santis a cédé le chantier de la Plagette à l’association Voile latine. Outre des clichés jaunis par le temps et des récits historiques, il subsiste aussi de cette période les maquettes d’André Aversa et de la famille Ricciardi que le RC Sète Doyen présente ici.


Document André Aversa/DR

A

ndré Aversa a été inscrit sur le registre de l’état civil de Sète le 11 avril 1928. Il aurait tout aussi bien pu figurer sur celui de Marseille. Il a raconté pourquoi dans un entretien filmé, “Mémoires d’un charpentier de marine à Sète”. Voilà l’histoire. Son grand père paternel, un Italien prénommé Luigi, avait embarqué très jeune sur des goélettes qui cabotaient le long des côtes méditerranéennes. Une avarie avait contraint l’un des bateaux sur lequel il servait en tant que cuisinier à faire escale à Sète. Le port dû lui rappeler son Italie natale. Il s’en souvint quand toute la famille Aversa quitta la péninsule dans les années de troubles qui ont suivi l’unification du Royaume par la Maison de Savoie. Au lieu de poser sa valise, comme le reste de sa famille, à Marseille où allèrent alors de nombreux charpentiers de marine italiens, Luigi s’installa donc à Sète en 1885 où il fera souche après avoir épousé une fille de Gaéta en 1899. Comme il avait plus le goût de la charpente que de la cuisine, il commença par faire de petites réparations, puis construisit des nacelles avant de s’installer vraiment comme charpentier en 1902 au bord du quartier des pêcheurs napolitains au Souras-Bas. « A Sète, il y avait beaucoup de barques catalanes, mais la plupart étaient construites du côté du Roussillon et je crois que mon grand-père est à la base des premières catalanes à Sète », se souvient André Aversa qui a une véritable dévotion pour ce grandpère qu’il n’a pas connu mais qui fonda une dynastie de charpentiers de marine. Après la guerre de 14-18, deux des fils de Luigi, Joseph et Jacques, ont quitté le Sou-

2000 heures de travail pour cette maquette de bateau-bœuf au 1/10e avec son gréement complet

ras-Bas pour installer le chantier sur la berge du canal latéral près de la gare. L’entreprise connut là son premier essor. En 1930, l’aménagement du quai les empêche de faire glisser dans et hors de l’eau les barques. Le chantier déménage à la Plagette où il y aura jusqu’à cinq chantiers différents. Le travail y était fait à ciel ouvert jusqu’à ce qu’André Aversa érige un hangar de 350 m² pour construire de grosses unités à l’abri des intempéries. Faute d’avoir un fils pour lui succéder, André Aversa céda l’affaire en 1983 à l’un des ses anciens apprentis, Nanou De Santis (qui lui-même finit par le transmettre en 2002 à l’association Voile Latine de Sète et du bassin de Thau — le chantier étant désormais le dernier vestige de cette activité). « En un siècle, nos trois générations ont progressivement utilisé les trois différentes méthodes de construction. Luigi se servait du fameux gabarit de Saint-Joseph, avec uniquement le gabarit du maître couple et une réglette graduée donnant les largeurs des membrures du milieu. Ce procédé demandait beaucoup d’expérience et un bon coup d’œil. Mon père utilisait la méthode de la demi-coque qui permettait d’obtenir l’ensemble des membrures en grandeurs réelle sur un plancher. Quant à moi, j’ai eu la chance de connaître le dessin et de pouvoir construire avec des plans », a expliqué André Aversa dans un document qu’il a consacré aux embarcations produites par les chantiers familiaux. Quand avec Michel Sabatier, nous avons rendu visite à André Aversa, chez lui, à flanc du mont Saint-Clair, il était en train de mettre la dernière main à une petite chaise d’enfant en bois qui serait peinte en bleu. « Un cadeau de naissance », a précisé le charpentier qui, à bientôt 84 ans, continue de façonner sans relâche le bois après avoir commencé à travaillé sur le chantier de son père à douze ans tout en suivant une formation en menuiserie. « Ici, il a tout fait de ses mains », nous a dit fièrement son épouse en montrant les boiseries et les meubles du salon, notamment la table à manger en marqueterie sur laquelle étaient étalés les documents pour un livre en préparation sur l’histoire de la charpente de marine et les bateaux de la région. Avant de les décrire, André Aversa les a reproduits : catalanes, bateau-bœuf, nacelles,


© Thierry Boulley/DR

mourres de pouar, pilotines et même chalutiers à l’échelle 1/10e. Ces maquettes étaient le motif premier de notre rendez-vous. Elles sont-là, au sous-sol de la villa, sous des bâches qui les protègent de la poussière en attendant de prendre leur place au Musée de la Mer promis prochainement aux Sétois. « Son savoir-faire, André Aversa le perpétue dans sa collection de maquettes. Il passe à les dessiner et à les construire autant de temps que les originaux en nécessitaient pour leur fabrication. Cette qualité, ces techniques, cet amour de la belle matière font autant partie du patrimoine de Sète que les vers de Paul Valéry ou les chansons de Brassens.» Propos du maire, François Commeinhes, lorsque André Aversa avait fait don à la ville de ces merveilles dont certaines sont inscrites à l’inventaire des monuments historiques. En attendant de prendre place dans le Musée de la Mer que projette de réaliser la commune dans les anciens locaux d’Ifremer, elles sont là, à s’ennuyer au sous-sol de la villa, dans l’atelier et une chambre mitoyenne. Ici, sur les établis, entre les outils, il y a trois maquettes du “Saint-Pierre” (lire page 20) qui montrent les différents stades

Les maquettes d’André Aversa attendent de prendre place au futur Musée de la Mer

de la construction d’une catalane : le squelette des membrures, les bordées posées, barque achevée et gréée. Peinte aussi alors que les deux premières sont en bois vernis : « Celles-ci ne permettent pas l’erreur. Si je me rate un peu sur la dernière, je mets du mastic pour boucher et avec un coup de peinture par-dessus personne ne verra rien. Avec les maquettes en bois vernis, il faut que tout soit parfait de la taille à l’ajustage ». Dans la pièce à côté, on peut admirer un bateau-bœuf de 2 m de long et de 2,20 m de haut auquel il ne manque pas la moindre poulie ni le moindre cordage. Il a fallu près de 2 000 heures de travail pour terminer ce chef d’œuvre, presque autant que pour construire le modèle original, le “Royal” qui mesurait 14 m avec une antenne de 22 m et qui embarquait 15 tonnes de gravier comme lest. « Le mousse faisait le singe sur l’antenne pour rouler la voile. Et il n’y avait pas de couchette pour le patron, il ne lâchait jamais la barre : “bateau de bois, marin de fer” on disait en ce temps là », note André Aversa en commentant un fait divers récent : « Jamais un bateau comme ça ne se serait échoué à l’America Club ou au môle ».


Enfin il y a un grand tableau qui dresse la typologie des nacelles : « Il y avait douze modèles dans la région. Ce tableau a été fait avec les indications de mon oncle Jacques. C’était le spécialiste des nacelles. Il lui fallait trois ou quatre jours pour en faire une. Le premier il traçait, le deuxième il “usinait”, le troisième, il montait. Il avait toutes les cotes dans la tête. Il a finit par m’écrire les relevés sur six feuilles de papier. Il y avait tout, les négafols de 13 et 14 pans pour la chasse ou la pêche à la boîte (lire page 10), le barquet de 15 ou 16 pans, les nacelles de 17 à 22 pans pour le travail sur l’étang, et le marinier de 26 pans pour la pêche à la traine le long du littoral ». « Charpentier de marine ! On est tenté de dire quel beau métier, parfois dur, au bord de l’étang, aux quatre vents, mais tellement prenant… Métier qui ne s’apprend pas à l’école ni avec des livres mais sur le tas, en commençant très jeune, au contact des anciens, on découvre la magie de la construction dont on ne peut plus se passer, un certain virus du métier. Malheureusement les chantiers ont fermé les uns après les autres… ». PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GIRAUDO

© Thierry Boulley/DR

Page de gauche : maquette de la barque catalane le “Saint-Pierre” construite en 1909 par Louis Aversa et toujours à flot. Au second plan la maquette du chalutier “Capricieux” le premier construit à Sète avec un arrière à tableau. Page de droite : André Aversa devant le squelette d’un bateau-bœuf; à droite, les étapes successives de la construction des barques catalanes; une nacelle de 17 pans à l’échelle 1/5e; la maquette de la barquette “Toi et Moi” construite en 1942 pour la famille Aversa selon le gabarit “Saint-Joseph”.



Les plans de Jules Ricciardi, les maquettes de Roger Bresson

Une affaire de famille

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© Thierry Boulley/DR

’arrière grand-père maternel de Bernard Bresson a vu le jour à Gaeta (nord de Naples) au XIXe siècle. Selon la légende familiale, Jules Ricciardi avait gagné Marseille où il devait s’embarquer pour les Etats-Unis, mais le bateau venait de partir. Sa femme étant sur le point d’accoucher, Jules chercha du travail en attendant le prochain bateau. Quelques mois plus tard Anges Ricciardi a bien vu le jour, mais ses parents ne montèrent pas dans le nouveau bateau en partance pour l’Amérique du Nord ni dans les suivants. Jules était charpentier de marine. Il y en avait beaucoup à Marseille qui étaient aussi arrivés d’Italie à cette époque, moins à Sète. La famille s’établit donc au pied du mont Saint-Clair. Le premier chantier Ricciardi vit le jour sur les berges de la Bordigue près de l’actuelle Chambre de commerce et d’industrie. Puis, au fil de l’aménagement des berges, il se déplaça d’abord sur le quai devant la gare et enfin à la Pointe Courte. Anges se maria avec Juliette qui était la fille du patron du chantier Scotto. Anges prit la suite de son père Jules. Les affaires prospérèrent mais le chantier ferma quand Anges prit sa retraite – « à

Avec une patience infinie, il a mesuré, tracé, découpé, assemblé de fines lamelles de bois…

plus de 80 ans » se souvient Bernard Bresson. Son grand-père n’avait pas de fils pour prendre la relève. Sa fille, Jeanine, avait épousé un ingénieur béton entrepreneur de maçonnerie, Roger Bresson, le père de Bernard. Quand Roger a pris sa retraite, il a trouvé les livres dont s’étaient servi Jules et Anges pour construire les embarcations traditionnelles de Sète, « quatre précis de construction navale, des livres de maths en fait », précise Bernard à propos des gros volumes qui reposent sur un bureau dans l’appartement de sa mère. Du coup l’ingénieur béton a muté en ingénieur maquette. Avec une patience infinie, il a noté, mesuré, tracé, découpé, assemblé de fine lamelles de bois parfois taillées dans des caisses d’oranges pour reconstituer catalane, nacelle, mourre de pouar, barquette, bateau-bœuf auxquels il ne manque pas le moindre détail. « Il n’y avait pas de soucis pour lui faire un cadeau à Noël, la dernière micro-perceuseponceuse faisait son bonheur » se rappelle Bernard Bresson. Un de ces chefs-d’œuvre avait été exposé au musée Paul-Valéry à côté d’une maquette d’André Aversa. Bernard Bresson nous a permis de photographier les autres, présentés ici, qui ont été répartis entre les membres de la famille après la disparition de Roger en 2000.



Nacelle pontée

Bateau-bœuf

Ci-contre, mise à l’eau d’un bateau-bœuf au chantier Ricciardi en octobre 1932 (archives Bernard Bresson). Les quatre maquettes ont été réalisées selon les plans de Jules Ricciardi par son gendre Roger Bresson.

© Thierry Boulley/DR

Mourre de pouar

Tartane


Entretien avec Georges Pelissa

© Musée national de la marine/P. Dantec/DR

Le dernier Cap-Hornier sétois

Maquettte du quatre mâts barque la “Loire” de l’armement Bordes à bord duquel Georges Pélissa franchit le cap Horn en 1916.

Georges Pélissa s’est établi en 1920 à Sète où il résida jusqu’à la fin de sa vie. Quand Gérard Réthoré apprit que cet ancien marin âgé de 77 ans dont il était l’opticien avait été caphornier, il lui demanda de recueillir ses souvenirs. Le 11 février 1974 Gérard Réthoré a ainsi interviewé Georges Pélissa dans la petite maison de plain-pied qu’il occupait à la Plagette. Ce fut un homme « heureux et rayonnant » qui amena Gérard Réthoré vers des horizons lointains à bord de voiliers de légende. Décrypté 37 ans après, ce récit nous fait découvrir le pot-au-noir de l’Equateur puis la tempête dans les cinquantièmes hurlants — sur un quatre mâts barque métallique de plus de 100 mètres de long avec 5 000 tonnes de nitrate embarquées au Chili — à faire des épissures, manger du lard et des patates, échanger des services contre des quarts de rouge, casser la glace recouvrant les vergues…


G

eorges Pélissa naît en 1897 à Saint-Laurent-dela-Salandre (P.O.) dans une famille de marins. Il perd sa mère à 9 ans. A 10, il embarque comme mousse sur un chalutier. Un cousin de son oncle qui en a la charge est capitaine sur “l’Antoinette”. Le cousin encourage l’oncle à placer le gamin sur un long courrier. A 14 ans, Georges Pélissa passe pour la première fois le cap Horn à bord de “l‘Espérance”. Le voyage dure sept mois. Avec une vingtaine de jours scotchés dans le “pot au noir” à l’alignement de la Croix du Sud. A son retour en France, la Première Guerre Mondiale a éclaté. Son bateau est réquisitionné. Il part pour les Dardanelles et Salonique. Puis il fait le transport de charbon entre la France et l’Angleterre. Victime d’une otite, Georges Pélissa est débarqué à Nantes. Il sort de l’hôpital au moment de la mobilisation de sa classe. On lui propose de rejoindre l’escadre à Toulon ou de reprendre la mer pour le long cours. « Le capitaine d’armement c’était monsieur Salin (je connais tout le monde, ces officiers, qu’est ce que vous croyez !) et il a dit : “Allez, qu’est ce que vous préférez mieux : aller à Toulon ou partir au long cours sur un voilier ?” Au lieu d’aller à Toulon, je préférais mieux un voilier, parce que j’avais goûté à la Méditerranée avec les sous-marins qu’y avaient ! Et alors j’ai dis : “ Je pars au long cours !”. Et je suis parti sur la “Loire”. J’en ai bavé des ronds de chapeau moi, je vous le dis ! oh, oui ! oh, oui ! Il nous a souqué ce capitaine. En arrivant, à Saint-Nazaire, j’ai débarqué et j’ai préféré retourner au service. » Le 5 avril 1916, Georges Pélissa embarque donc à Nantes sur la “Loire”, dont l’équipage est composé de deux bordées : « C’est pas difficile, il y a 16 et 16, 32 matelots, il y a un novice par bordée, ça fait 34, un mousse par bordée (ces mousses, c’est les femmes de ménage, ils font le carré des officiers), alors ça fait 36, après vous avez 4 officiers — le commandant, le second capitaine, le premier lieutenant, le second lieutenant —

Je suis parti sur la “Loire”. J’en ai bavé des ronds de chapeau, moi, je vous le dis…

alors ça vous fait 40, après vous avez 2 maîtres d’équipage, un pour chaque bordée, ça fait 42, et vous avez le charpentier et un mécanicien. Le charpentier, lui distribue l’eau tous les matins (on vous en donne pas pour se laver, juste pour boire); et le mécanicien, lui s’occupe des deux chaudières — pas pour faire marcher le bateau, pour faire le chargement et le déchargement, c’est des petites chaudières verticales, voyez, qui donnent la vapeur pour les treuils, voilà. Nous étions 44, 45, sur le bateau parce que nous avions un pilotin mais celui-là, il payait, pour devenir capitaine au long cours, il payait 5 F par jour, il apprenait le métier et je l’ai rencontré à Nantes en 1930, oui, Monsieur Leblanc... » Deux bordées, il n’en faut pas moins pour manœuvrer sans cesse par tout temps ce géant des chantiers de Saint-Nazaire à la coque métallique, longue (100 m) et effilée (12 m de large), dont les mâts qui atteignent 54 m supportent un nombre impressionnant de voiles aux noms fleurant bon l’aventure — cacatois, perroquet volant, perroquet fixe, hunier volant, misaines, marquises, focs, trinquette, latine, artimon… La journée s’écoule au rythme des quarts. A chaque quart, pour économiser la toile, éviter l’usure des poulies ou en fonction des changements météorologiques, les jeunes grimpent dans la mâture pour tantôt serrer, tantôt larguer la toile : « Oh! oui, c’est des tonnes de voiles ! A chaque voyage on fait un jeu de voile. Parce que le vent, le vent arrache tout ! Vous savez, les maillons d’écoute, vous voyez ça partir comme des langues de feu, comme des fusées, ça part, ça voltige. Et la toile, une voile toute neuve, est arrachée dans le mauvais temps. D’ailleurs, c’est pas difficile, d’abord on commence à mettre les voiles de mauvais temps en quittant Saint-Nazaire, jusqu’au large des Açores, on garde ces voiles parce que dans l’Atlantique il fait plutôt mauvais temps. Saint-Nazaire, c’est 44° Nord alors on met les voiles neuves et quand on a passé les Açores, jusqu’au travers de Buenos Aires, jusqu’au golfe de Sainte-Catherine qu’on appelle, on garde les voiles de beau temps — elles ont fait un voyage mais elles sont



bonnes quand même. Et après on remet les voiles de mauvais temps pour le cap Horn. Les soutes sont pleines à bloc, c’est un magasin. Et quand on a passé le cap on remet les voiles de beau temps, les voiles d’été, elles sont grises parce qu’elles ont déjà été brulées par le soleil, par le mauvais temps, et là on commence à faire de la propreté. Tous les jeunes font ce travail, et en revenant, jusqu’au cap on a toujours ces voiles quand même et on fait la peinture. Et au cap, avec le froid — vous savez quand vous tombez pendant un voyage entre les 54°et 57° Sud, là, vous sentez la fraîcheur des montagnes de glace — il faut monter larguer les voiles s’il ne fait pas trop de vent, on largue la toile, avec une martelette, vous savez comme ont les maçons pour piquer les briques ou le plâtre. On pique pour faire tomber la glace pour pouvoir larguer les voiles, c’est glacé ! Vous avez toujours les doigts gelés. Même que des hommes là-haut, ils étaient tellement gelés qu’ils ne pouvaient plus descendre des vergues. Alors on les attachait pour les descendre avec des cordes ». La “Loire” fera l’aller-retour au Chili en moins de 70 jours. Cette fois, le voyage de Georges Pélissa dure près de neuf mois tant les conditions au passage du cap Horn à l’aller sont éprouvantes. En raison des légendes sur les cannibales que se transmettent les marins, ils redoutent que le navire soit drossé sur la côte : « C’est l’hiver là bas, je vous dis le 13, le 14 juillet. A 5 heures le matin, le ciel est rouge, la terre est rouge... c’est la Terre de Feu qu’on appelle. Toutes voiles dehors, et on marchait, on marchait... à midi juste, voilà un petit nuage de rien du tout. Il s’est formé un petit nuage dans l’espace de trois minutes, peut-être pas. Et le bateau s’est penché comme ça, la grêle passait d’un bord à l’autre. Les voiles, il n’en restait

D’un côté la terre avec les sauvages, de l’autre les icebergs !

plus aucune, il restait que les brigandines de derrière. Non, non, on n’a pas démâté, tout est parti, la toile, les élingues, les fils d’acier, tout. Et personne n’est tombé à la mer. C’était midi, ils mangeaient dans le poste, il n’y avait que l’homme de barre et les officiers en bas. Il restait que les voiles de derrière et il fallait passer entre les montagnes de glace d’un côté et de l’autre, la terre avec des peaux rouges, des sauvages. Oui, à ce moment là oui, il y avait encore des sauvages. Ils mangeaient le monde, ils ont mangé l’équipage de la “Madeleine”. La “Madeleine”* s’est perdue on ne les a pas retrouvés, non jamais, ils ont été mangés par les anthropophages. Et de l’autre côté c’était les icebergs. On a passé le détroit et vers une heure, on avait commencé à remettre la toile et on est passé, c’est pour ça qu’on s’est retrouvés dans le mauvais temps, on a rencontré le mauvais temps, et là on est restés 29 ou 30 jours – par beau temps ça aurait pris pas plus de 10 jours ! Dans la journée vous sentiez la fraicheur de la terre, alors le soir le capitaine nous mettait vent arrière pour nous éloigner un peu, mais les courants nous rapportaient “maï” le lendemain, et on est restés jusqu’à temps qu’est venu le beau temps, les vents favorables et on a pu rejoindre le Chili. Voilà la vie des marins ! » Arrivé à Taltal où une cargaison de nitrate doit être embarquée, l’équipage est consigné à bord. Le chargement est assuré par les Chiliens : « Nous les marins, on fait rien du tout. Le nitrate est chargé sur des chalands parce qu’il n’y a pas de port, c’est une plage comme vous diriez entre le château de Villeroy et la Corniche. Le chaland plat va de la plage au bateau. Il y a un échafaudage au milieu de la cale et un homme seul se prend les sacs et se les place, chaque sac est jeté et personne les touche. Après, il faut des pioches pour les arracher.

Les dents de la mer « Les requins on commence à les voir au large de Cayenne. Vous commencez à voir des petits poissons, les pilotes, vous dites “ils sont pas loin”. Vous prenez des grosses boîtes vides de 5 kilos, vous les remplissez de charbon, d’escoubilles, vous les jetez. Elles font pas un pli ! Ils avalent la boîte entière ! Ils attaquent la boîte tout ce que vous jetez, ils avalent la boîte en fer ! Je vous le dis, ils sont gros. on en avait fait le mât du pavillon de la baleinière avec leurs os. Quand il y en avait un au bout d’une ligne le capitaine faisait donner un peu au vent pour l’embarquer et, au palan, on le montait. Il se débattait, le pont tremblait, on lui mettait un gros manche dans la gueule pour l’étouffer, alors certains ramassaient les ailes parce que dans les ailes il y a de petits os, ces petits os, ils les nettoyaient, les travaillaient. Ils servaient à faire des poulies pour les petits bateaux, pour faire des porte-cigarettes, ils servaient pour mettre des aiguilles. Mais on ne le mangeait pas, le requin. Quand on le mettait sur le pont ça sentait déjà la mort. Alors on le partageait et on le jetait à la mer, on le donnait à manger aux autres requins. »


Quai de la Fosse à Nantes vers 1910.© Messagerie Hachette/DR Donc on n’est pas descendus, jamais, parce que c’était la guerre — pour pas qu’il y ait d’histoire ! » Sur le chemin du retour, au travail dans la mâture, s’ajoute l’entretien du bateau : « En revenant, jusqu’au cap on a toujours ces voiles quand même et on fait la peinture. On peint les vergues, on peint ce qu’il y a en fer, et le capitaine nous regarde avec les jumelles. Le capitaine nous regarde si tout se fait bien. Et après le cap Horn, alors là, avec un morceau de toile raide, du sable et du potassium à vif, on fourbit tous les cabillots, ceux qui sont en fer comme ceux qui sont en bois. » Les marins n’ont que le dimanche matin pour

souffler un peu. Ils en profitent pour faire de la toilette : « Le dimanche alors on nous donne un seau d’eau, 6 litres d’eau, dans des seaux en bois et ça nous sert pour nous laver, pour nous raser et pour laver le linge. Vous mettez le linge par terre, vous vous changez et vous vous lavez et toute cette eau se récupère sur le linge mouillé, vous le savonnez, vous le frottez bien et vous le rincez à l’eau de mer, voilà. Le dimanche matin on travaille pas, il y a que si il y a mauvais temps alors là, tout le monde sur le pont, c’est pas payé, il n’y a pas d’heure ni de repos là. » La nourriture servie à bord est aussi monotone que le travail. « A midi, c’est du lard que le cui-

Les baptisés de l’Equateur « La Croix du Sud, il y a une étoile au milieu et une étoile à chaque coin de la croix, et ça bien en ligne, les quatre étoiles forment la croix, c’est pour ça que l’on dit, la Croix du Sud ! Et les navigateurs, les “ceusses” qui faisaient la ligne de Buenos Aires ou tout ça, enf in là-bas quoi ! ils baptisaient les passagers. Au moment de la ligne, l’équateur, quoi, alors on prépare des grandes lessiveuses en bois, on les remplit d’eau et de savon, on fait de la grosse mousse et il y a le coiffeur avec un grand rasoir en bois. Alors on demande un volontaire pour faire le roi et un volontaire pour faire la reine. tout le monde est

volontaire ! Et avec un balai, on vous passe la savonnade dans la f igure, voyez, et il vous rase. Et à la reine, ils lui font prendre le bain avec un balai brosse. Et après, avec la manche à eau, on fait prendre la douche à tout le monde, tout ceux qui sont sur le pont. Ca, c’est le baptême de la Croix du Sud, pour “ceusses” qui passent l’équateur pour la première fois, les autres non, parce qu’il y en a qui font la ligne de Buenos Aires souvent. Mais ceux qui l’ont pas passé, ceux pour qui c’est la première fois, alors on choisit le roi et la reine… Et là, si vous trouvez les alizées, vous f ilez avec toutes les voiles. »


Routes des longs courriers pour le Chili. Extrait “Les Derniers Cap Horniers français”. Matelots dans les vergues du petit hunier fixe. © Gluck/DR sinier à fait dessaler le soir et fait cuire avec des pommes de terre bouillies ; le soir, haricots. On fait roussir un peu d’oignons dans une poêle et avec l’eau de ces haricots qu’on nous donne le soir nous on fait la soupe. Comme pain c’est des galettes. On les met dans un sac en toile, on les écrase et on fait la soupe, ça fait comme de la purée, voilà ! Et le jeudi, alors là, on nous donne du corneed beef, une boite de 5 kilos par bordée. On mettait le corneed beef sur des pommes de terre coupées en tranche et on passait ça au four. On avait aussi une sardine chacun. Et deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, on avait de la confiture, c’était le dessert. On avait aussi un quart de vin par repas. Quand on avait fait un gros travail d’effort, changer les voiles par exemple ou remplacer des voiles qui étaient parties par mauvais temps, on nous donnait un quart de vin de plus. La goutte on nous en donnait 5 cl, c’est comme un dé à coudre. » Pour améliorer ce médiocre ordinaire, les marins calent quelques lignes avec lesquelles ils pêchent. « Aux Açores il y a des thons blancs, des marsouins, des thons rouges et des daurades, des grosses daurades comme ça. Au lieu de nous donner du lard, alors là il nous faisait un plat de poisson et après on mettait une tranche de

Les albatros une fois posés sur le pont n’arrivent plus à prendre leur envol.

lard et du poisson, on le mettait au four et on nous faisait du pâté. » Les albatros qui, une fois posés sur le pont n’arrivent plus à prendre leur envol en raison de leur envergure, sont aussi des prises de choix pour les marins : « La viande, on la faisait cuire et on la mangeait, après on faisait du pâté avec le reste, c’était bon à manger. Le requin non, on le mangeait pas. Les albatros, ils ont 3 mètres d’envergure, au bout de l’aile ils ont une couronne et les femelles elles sont toute blanche et grise en dessous et les pattes jaunes. Ces pattes, on les nettoie bien, on les fait sécher, puis après on les vernit. On en fait des portemanteaux. D’autres font des bateaux. Ils mettent deux ans, trois ans pour faire des petits bateaux mais tout fait en os d’albatros. Les os, c’est comme de l’ivoire. Ils font le bateau en bois, après avec des bouts d’os ils mettent plaques par plaques comme ça, et arriment avec des petits bouts d’os car ils sauvent toutes les parties des os, alors ils pointent et ils percent et c’est fait comme un bateau, pareil pour les poulies. Ils mettent deux ans, trois ans, cinq ans, tout ça dépend de la grandeur du bateau, mais vous savez ce sont des miniatures, faut voir ça ! Ils ont une patience d’ange ces longs courriers. »



Cette patience n’est pas forcément désintéressée. A bord l’unité “monétaire” est le quart de vin rouge. En échange de quoi les anciens rendent de menus services ou apprennent le métier aux jeunes : « Il fallait payer pour apprendre sinon vous n’appreniez rien, vous n’appreniez qu’à serrer la toile ou à laver le pont. Si vous étiez m’en foutiste, vous n’appreniez rien. Si vous vous en fichiez des quarts de vin vous appreniez. Parce que les vieux, ceusses qui sont à la voilerie, ils savent coudre. T’as pas de casquette ? Allez pour quatre quarts, c’est vite fait. Mais ils défendent de regarder. Allez pour voir donnemoi cinq quarts, donne-moi trois quarts… J’en devais encore trente-cinq ou quarante de quarts au retour en France voyez, mais j’ai appris à faire des épissures, à faire des tresses, des tresses carrées, à faire une casquette, à faire un pantalon, à tailler des bottes. Je sais le faire, qu’est-ce que vous croyez ? J’ai appris. » Après neuf mois de mer, sans aucune nouvelle, le retour à terre n’est pas facile. « Quand on arrive, quand on est jeune, alors qu’est ce qu’on cherche ? Les femmes ! A la mer, on n’y pense plus, on ne pense pas qu’on a eu mauvais temps, on ne pense pas qu’on a souffert, on pense à rien. Les vieux longs courriers, vous savez ce qu’ils faisaient ? Ils encaissaient le mois, enfin le voyage, mais quand ils partaient, ils le devaient presque ! Ils passaient un mois à terre dans les bistrots sur le quai de La Fosse à Nantes. Vous en avez entendu parler du quai de la Fosse ? C’est là qu’on ramassait tous les longs courriers. Ils venaient tous dans ces maisons, alors vous aviez les femmes, vous aviez le manger et vous couchiez à bord. Vous n’aviez pas de sous alors on vous faisait crédit jusqu’au moment du départ. Alors le capitaine d’armement vous faisait une avance sur le voyage et les tenancières, elles venaient à bord avec la liste : untel me doit tant, untel me

Quand on arrive, quand on est jeune alors qu’est ce qu’on cherche ? Les femmes !

doit tant. Le capitaine les réglait avant de vous donner vos sous. Vous alliez au marchand de linge à côté du pont transbordeur, vous n’aviez pas de linge, vous n’aviez pas de sous, vous disiez « portez-moi un bleu, un ciré, une paillasse et deux couvertures », alors il marquait, vous n’aviez pas besoin de sous ! Et ceux qui étaient mariés, ils déléguaient. S’ils touchaient 80 F par mois, ils déléguaient 40 à la femme et ils avaient 40 pour payer leurs dettes quand ils arrivaient de voyage. La compagnie envoyait tous les mois 40 F à la femme. » Georges Pélissa embarquera ensuite pour l’Egypte ou les Amériques sur des vapeurs plus rapides et plus confortables que les grands voiliers. « Je vous dis qu’au lieu de faire troisquatre mois de mer, les vapeurs passent par le détroit de Magellan et arrivent dans les vingt jours au Chili. Et à l’arrivée, ça coutait moins cher. Mais la vie n’était pas la même, on mangeait du frais parce qu’on prenait du bétail à bord, des moutons, des poulets, des cochons, des veaux… Sur les voiliers, non ! Les deux ou trois porcelets, ils étaient pour le carré des officiers, pas pour les autres. Pourtant à bord de ces voiliers, on avait une bonne mentalité. Jamais je n’ai vu, non jamais, de dispute. Jamais rien. C’étaient les jeunes qui faisaient la table, qui lavaient les assiettes, nettoyaient le poste. Les vieux, non ! On leur portait à manger et on leur servait le quart de vin. On leur disait “fais-moi une paire de sandales” et ils nous répondaient “allez va, bois ton quart ”. Alors on leur devait un quart. » PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRARD RÉTHORÉ *L’armement Bordes a eu deux navires appelés “Madeleine”, prénom de leur marraine, l’épouse d’Alexandre Bordes. Le premier était un quatre-mâts barque lancé à Nantes en 1895. Alors qu’il avait commencé à charger sa cargaison de nitrate, iI chavira le 24 juin 1911 avant d’avoir pu s’échouer lorsqu’un ouragan s’abattit sur la rade d’Iquique. C’est sans doute à ce naufrage que fait échos Georges Pélissa. La “Madeleine 2” était un trois-mâts construit en 1902 à Rouen. Il a été coulé le 31 juillet 1917 par un sous-marin allemand une vingtaine de jours après le début de son voyage. Les rescapés furent recueillis par le steamer américain “Santa Cecilia” et débarqués le 4 août à Casablanca.

La “Loire”, un fleuron de l’armement Bordes Quatre-mâts barque sur lequel Georges Pélissa a franchi pour la seconde fois le Cap Horn au cours d’un voyage qui dura près de neuf mois, la “Loire” avait réussi à rallier iquique sur la côte chilienne au départ de Portland en Angleterre en 66 jours en 1900. C’était un navire de marche. Lancée à Nantes en 1897, la “Loire” a été démantelée en 1924 après avoir traversé la guerre de 14-18 en échappant aux sous-marins allemands. il était célèbre pour avoir réalisé le sauvetage du clipper anglais “Dalgomar” en 1913. Le vaisseau qui pouvait déployer 4 300

m² de voile (60 % de la taille d’un terrain de foot) était l’un des fleurons de l’armement Bordes qui compta jusqu’à 46 voiliers et employa jusqu’à 1 400 matelots, assurant la moitié des importations européennes de nitrate jusqu’au déclenchement des hostilités. La compagnie, fondée en 1847 par Antoine-Dominique Bordes associé au capitaine Le Quellec, sera dissoute en 1935 après avoir vu son activité décliner tout au long des années 20 en raison de la concurrence des “vapeurs”.



Remerciements Le Président et les membres du Rotary Club Sète Doyen remercient chaleureusement tous ceux qui lui ont permis de rédiger et d’illustrer cette brochure consacrée au patrimoine nautique de Sète et du bassin de au, et en particulier : • André Aversa, charpentier de marine • Bernard Bresson, petit-fils de Jules Ricciardi • François Commeinhes, maire de Sète • Maïté Vallès-Bled, conservatrice du Musée Paul-Valéry • L’Association Voile latine de Sète et du Bassin de au Un ex voto signé J. Maraval (1940), • Le Musée de l’étang de au offert par Dock Sud pour la tombola. • Le Musée national de la Marine • L’association Cettarames • Le service de communication de la ville de Sète • La Maison de l’image documentaire. Le Président et les membres du Sète Doyen adressent aussi leurs vifs remerciements à tous ceux qui ont contribué à soutenir les actions du club à l’occasion de la publication de cette brochure : • Les annonceurs qui ont accepté de figurer dans la plaquette • Les entreprises, les commerçants, les particuliers qui ont généreusement doté la tombola : Art 7, La Belle Epoque, ierry Boulley, La Civette, Comptoir des Lunetiers, La Décoratrice, Les Deux Ramiers, Di Marino, Dock Sud, L’Epicerie, Jean-Loup Gautreau, Home by Asa, C&F Jacquemart, La Madeleine Saint-Jean, Mas Reboul, Mégalithes, Robert Olive, Pescatore, Sophie Danse… • Les particuliers qui ont fait des dons : Paul Blanc, François Garcia, Robert Olive.

Bibliographie « Bateaux des côtes de France”, François Beaudouin, Ed. Glénat, 1990 “Bateaux et embarcations à voilure latine”, Jules Vence, Paris, 1897 “Cette hier, Sète aujourd’hui”, C & H Gevaudan, Ed. GraphiCopie “Chantiers Aversa et collection”, Andrée Aversa, 2066 “Et voyagent tartanes et voiles latines…”, Pierre Blasi, Ed. Edisud , 2000 “Guide de la manœuvre des petits voiliers traditionnels”, Ed. Chasse-Marée/Armen, 2001 “Guide des voiliers de pêche”, Ed. Chasse-Marée/Armen, 2000 “L’aventure de la voile 1520-1914”, Donald Macintyre, Ed Albin Michel, 1970 “Le négafol, le barquet, la nacelle – les barques de l’étang de Thau”, Ed. Musée de l’etag de Thau, 1996 “Le pointu”, Carnet du patrimoine n°4, Conseil général du Var, 2004

“Les contraintes, l’aléatoire et la ruse – ethnologie des techniques de pêche dans l’étang de Thau”, Vincent Giovannoni, Ed. L’Harmattan, 1995 “Les derniers cap-horniers français”, Louis Lacroix, Ed. Maritimes et d’Outre-Mer, 1968 “Les nacelles du Languedoc”, Christian Dorques et Bernard Vigne, Ed. Chasse-Marée n°62, 1992 “Pied marin, pied à terre –le travail des Hommes sur le port –Sète-FrontignanBassin de Thau”, ouvrage collectif sous la direction de l’association Histoire et vie étonnantes d’un port, 2003 “Sète – Méthamorphoses”, Claude Bonfils, Ed. Equinoxe, 1991 “Voiles latines”, Jean Huet, Philippe Rigaud, Bernard Vigne, Ed. Chasse-Marée, 2004


L

e premier Rotary Club a été réuni en 1905 à Chicago par un jeune avocat, Paul Harris, qui souhaitait que les acteurs de chaque groupe professionnel agissent ensemble dans un esprit de camaraderie et de bonne volonté pour servir ceux qui en ont besoin. Le Rotary est aujourd’hui une organisation mondiale qui compte plus de 1,2 million de membres issus du monde des affaires, des professions libérales, de la société civile. Les membres des Rotary clubs, appelés Rotariens, apportent un service humanitaire, encouragent l’observation de hautes normes éthiques dans le cadre professionnel, et aident à développer bonne volonté et paix à travers le monde. Le Rotary compte plus de 33 000 clubs répartis dans plus de 200 pays et territoires. Les clubs sont apolitiques, non religieux et sont ouverts à toutes cultures et croyances. La devise du Rotary, Servir d’abord, indique bien que son objectif principal est le service à autrui, dans les collectivités, sur les lieux de travail et à travers le monde. Le Rotary Club de Sète Doyen1 s’inscrit résolument dans cette perspective. Il a fêté ses 80 ans en 2011. Il est le plus ancien club service de l’Hérault2. Avec le “Markethon”, il contribue a la recherche d’emploi sur le bassin de Thau. Avec “l’Espoir en Tête”, il participe au financement des recherches sur les maladies du cerveau. Avec les “Entretiens d’embauches”, il initie les élèves du lycée Joliot-Curie à éviter les pièges du recrutement. Avec la “Banque alimentaire”, il collecte des denrées de premières nécessités

Le Club de Sète s’inscrit résolument dans les principes édictés par le fondateur du Rotary Paul Harris

pour les plus démunis. Avec “Mon sang pour les autres”, il aide l’Etablissement français du sang dans les campagnes de dons. Depuis 1972, le RC Sète Doyen participe aussi à la sauvegarde de l’abbaye Saint-Félix-de-Montceau qui est un des trésors médiévaux de l’agglomération sétoise. Depuis 2006, le RC Sète Doyen édite une plaquette dont les bénéfices permettent de financer des actions locales et internationales. Le club a ainsi : • contribué à la formation d’un chien d’aveugle en 2007, • acheté des containers de survie pour Haïti en 2008, • offert un chariot pour permettre aux handicapés de prendre des bains de mer, • fourni des ordinateurs portables à des élèves en difficultés, • accueilli un étudiant américain, • envoyé aux Etats-Unis une lycéenne sétoise pour une année scolaire. La plaquette 2012 se propose de donner un coup de projecteur sur le patrimoine nautique de Sète et de l’étang de Thau. En soutenant le RC Sète Doyen, vous contribuerez à : • L’éradication de la polio dans le monde, • La lutte contre les maladies du cerveau en France, • L’électrification d’un village malgache, • L’équipement d’un dispensaire en Casamance, • La pérennité de l’association Seamen’s Club de Sète… 1- A l’occasion de son 80e anniversaire, le RC Sète Doyen a édité un livre « 19312011 “Il était une fais le RC Sète Doyen” qui est disponible dans les meilleures librairies sétoises au prix de 24 euros. 2- Un second Rotary Club, le RC Sète Bassin de Thau a été créé en 1992, son siège social est à l’hôtel Orque Bleue.




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