Il était une fois... dans les filets de Sète

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Club Sète

Il était une fois...

dans les filets de Sète

Beaucoup de Sétois n’ont pas oublié la Maison de la santé, bâtiment de style néo-vénitien qui s’élevait quai de la Consigne et qui abritait la capitainerie du port après avoir été un lieu de quarantaine. Détruite en 1968, elle a fait place à la criée qui est le témoignage d’un mauvais goût architectural et d’un modernisme assumé. Première criée d’Europe à avoir été informatisée, elle permet à la flotte locale composée de 18 thoniers, 14 chalutiers et 28 petits métiers et à la cinquantaine d’acheteurs (mareyeurs, courtiers, détaillants) de traiter plus de deux mille tonnes de poissons par an parmi lesquels merlu, baudroie, daurade, poulpe, rouget, anchois, encornet, capelan, sole, loup… C’est l’histoire du premier port de pêche de Méditerranée que s’attache à retracer la revue 2018 du Rotary club de Sète.



le mot du président

au sommaire XVIII-XXe Les bateaux-bœufs

p. 4

L’impact de la pêche sur Sète

Le triangle de la morue

p. 10

1960-1965 Les deux révolutions

p. 14

L’empreinte Azaïs

p. 18

Un requin blanc à Sète

p. 20

Le savoir-faire Polito

p. 24

Les années thon

p. 27

• L’or rouge • Monsieur Sa.Tho.An • Greenpeace et les thoniers

1971-2006 p. 34 Témoignage : Francis Nocca La pêche aujourd’hui

p. 38

• Du chalut à l’étal • La criée • Jean-Louis, une vie de petit métier

Les traditions de la pêche p. 42 • La Saint-Pierre • La rame • Les ex-voto

La vie de l’étang

p. 44

• Le négafol • Les anguilles • Au Barrou l’attente de Kevin…

La Pointe Courte

p. 49

• A travers l’objectif de Jean-Loup Gautreau

Remerciements bibliographie

p. 55

Le Rotary Club de Sète

p. 56

© Thierry Boulley

• La Bordigue • Le retour des pêcheurs au port • Licence de pêche • Ordonnance royale • Blason…

Le port de pêche de Sète est le dixième port de pêche en France et le premier port de pêche français en Méditerranée. Installé au cœur même de la cité, dans sa partie originelle, il lui donne son caractère singulier. Même si les bateaux-bœufs chers à Paul Valéry ont disparu du quai de la Consigne, même si la Santé a été rasée pour laisser place à une Criée en béton, la pêche - les pêches devrait-on plutôt écrire - donne à notre ville une identité aux racines catalanes et italiennes ainsi que des traditions forcément hautes en couleur. On ne se lasse pas du spectacle, en fin d’après-midi, des chalutiers qui rentrent au port suivis par des nuages de mouettes. Ni de celui des chalutiers et des thoniers qui se serrent entre la Criée et le pont de la Savonnerie le long de quais encombrés de toutes sortes de filets. Ni de celui des pêcheurs de daurade à la Pointe Courte. La pêche s’inscrit dans le patrimoine de Sète, humainement, économiquement, culturellement. Il n’en fallait pas moins pour qu’après avoir consacré sa brochure annuelle aux anciennes embarcations de la mer et de l’étang puis aux secrets du mont Saint-Clair ou encore aux écoles de peinture locales et à la tradition théâtrale, notre club se penche cette année sur l’histoire des hommes qui sont à l’origine des premiers développements de la ville et des techniques qu’ils ont employées au fil du temps pour capturer des poissons et les vendre. Le Rotary club de Sète remercie toutes celles et tous ceux qui lui ont permis de venir à bien de cette entreprise soit en lui ouvrant leurs archives soit en achetant de l’espace. Car éditer ces pages d’une histoire riche est aussi pour le Rotary club de Sète l’occasion de recueillir des fonds pour mener à bien les actions qu’il a engagées au service des communautés locale et internationale. C’est le moyen pour notre club d’avoir “un impact réel“ en appliquant la devise du Rotary, “servir d’abord”.

Rotary Club Sète 2018 : Il était une fois… Dans les filets de Sète Edition & rédaction Alain Giraudo • Conception et réalisation Marie-Christine Giraudo Photo de couverture Thierry Boulley • Impression Flam Editeur-Imprimeur Sète

COLIN LYLE PRÉSIDENT RC SÈTE 2017-2018

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Du XVIIIe au XXe siècle

Le temps des bateaux-

Ce dessin de Leblanc gravé par Villain vers 1850, “Vente de poissons à bord du bateau de pêche catalan à Cette”, met en scène une rixe de poissonières à l’arrivée des pêcheurs dans le port. Musée Paul Valéry - Sète

Du Rhône aux Pyrénées, le littoral languedocien est bordé d’étangs reliés à la mer par des graus s’ouvrant et se fermant au rythme des crues de fleuves côtiers et au gré des coups de vents aussi violents que capricieux. Etait-ce pour ne pas affronter les tempêtes du large? Etait-ce parce-que les étangs étaient suffisamment riches en poissons et en crustacés? Toujours est-il que depuis l’Antiquité, les provinces languedociennes n’avaient guère été intéressées par la mer qui leur avait surtout apporté la peste et les pirates barbaresques. Il fallut une volonté royale pour que le rocher de Cette devint à la fin du XVIIe siècle un port ouvert sur le large où les tartanes traditionnelles des Catalans vont être adaptées notamment aux besoins de la pêche. 4


bœufs catalans Bordigue g

l’Intendant du roi pour le Languedoc en 1786, c’est-à-dire quelques mois avant la Révolution? Jean-Mathieu Grangent (17371823) cumule alors les fonctions de juge de

l’équivalent, de contrôleur de la recette des tabacs et de receveur du grenier à sel avec celles d’ingénieur du port. A ce titre il rédige un excellent rapport dans lequel il déplore d’une part l’ensablement des canaux et de la passe, d’autre part le manque d’esprit d’entreprise des pêcheurs locaux. C’est que cette année là, “Les Amis”, un brigantin armé par la famille Bérigny de Fécamp, a fait escale à Cette pour débarquer de la morue et embarquer du vin et du sel. C’est que cette année-là aussi les sardines se sont faites rares à proximité du môle Saint-Louis. Or les pêcheurs cettois refusent de tendre leurs filets au-delà de quelques milles et l’idée de participer aux grandes expéditions des terre-neuvas ne les effleure même pas (lire par ailleurs). En fait la pêche en mer est surtout faite à partir du rivage, à la “traîne”. Un filet, le “bouliech”, dont les ailes sont tenues à terre par des cordes d’environ 70 m, est embarqué dans une barque plate qui s’éloigne jusqu’à ce qu’il y ait 6 à 8 brasses de fond. « Pour lors, ils forment en jetant leur filet à la mer une enceinte d’environ mille toises et viennent aussi à bas de terre où se trouve un troisième parti et commence à traîner à terre leur filet avec autant de vitesse que leur est possible et les deux partis s’approchent à mesure qu’ils retirent à eux une certaine quantité de cordage » lit-on dans un “mémoire”

déposé par les patrons de pêche qui emploient une vingtaine de personnes pour “traîner” le “bouliech”. C’est une pêche aléatoire. Surtout : « ce procédé ne forme pas de bons marins car les hommes qui pratiquent cette pêche n’affrontent guère les dangers de la mer. Fréquemment l’équipage terrestre de haleurs compte dans ces rangs quelques “gueux“ et “va-nu-pieds” qui

© ADH

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e quoi s’inquiète le subdélégué à Cette de

La bordigue, une pêcherie avant d’être un quartier A peine le percement du canal entre l’étang de Thau et la mer était-il terminé qu’un certain Esprit Turc, obtient en janvier 1686 par décret royal de Louis XIV l’autorisation de construire une pêcherie dans un renfoncement des berges. Il s’agit d’une bordigue. Elle est située sur la rive ouest du canal, en aval de la Plagette, à l’emplacement de ce qui sera la caserne de pompiers au XXe siècle. Elle mesure 400 m de long et 30 m de large soit les deux tiers de la largeur du canal. Moyennant un loyer annuel, les pêcheurs qui peuvent y disposer leurs filets en tirent de confortables bénéfices : dans “Naissance et croissance du quartier de la Bordigue”, Louis Bourgue les évaluent à « 80 000 livres en 1756 sachant que la livre valait 20 sols, que le sol valait 12 deniers, et que la livre de mouton (0,5 kg) se vendait 26 deniers » (à la question « combien de viande les pêcheurs auraient pu acheter ? » posée au certificat d’études sous la forme d’un problème d’arithmétique, la réponse est 17 tonnes). Bien sûr cette bordigue n’est pas du goût des pêcheurs de Mèze, Bouzigues, Balaruc ou Marseillan qui lui reprochent l’appauvrissement de la pêche dans l’étang et cherchent à obtenir son interdiction jusqu’à sa disparition en 1815. Leurs arguments sont systématiquement réfutés : « le poisson vient de la mer à l’étang dans les mois de mars, avril, mai et juin, c’est ce qu’on appelle le temps de l’entrée, pendant ce temps et jusqu’au mois d’août on ne plante pas la bordigue. Le canal est entièrement ouvert de manière que le poisson a toute liberté pour entrer dans l’étang et le peupler ». Cette bordigue alimentera encore un siècle et demi de contentieux entre les héritiers de Turc et les bénédictins d’Aniane qui avaient des droits fonciers sur Cette. Elle donna aussi son nom à l’île artificielle qui allait être créée après le percement du canal latéral et du canal maritime et le remblaiement des zones humides qui subsistaient entre les quais des ces canaux. Les pêcheurs s’installèrent sur ses berges jusqu’à ce que la ligne de chemin de fer reliant Toulouse et Bordeaux ne les fassent émigrer à la Pointe Courte (lire par ailleurs).

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avec l’argent gagné s’égaillent à Cette et perturbent l’or-

bateaux-bœufs est apparue clandestinement sur les côtes

dre établi ».

languedociennes vers 1720 où elle suscite aussitôt des

Jean-Mathieu Grangent n’est pas homme à prendre ces

controverses. Si elle permet de prendre plus de poissons,

choses comme une fatalité. Il a observé que quelques

elle en détruit aussi beaucoup. Les patrons des pêcheries

familles de pêcheurs catalans viennent faire des cam-

(bordigues) se plaignent de la concurrence que leur fait

pagnes à Cette lors du passage des poissons. Il sait que

subir l’augmentation des quantités de poissons mises

leur présence n’est pas bien acceptée par les pêcheurs

sur le marché. L’Intendant du Roi est donc contraint d’in-

autochtones qui n’hésitent pas parfois à les caillasser,

tervenir. Après avoir limité dans un premier temps la

provoquant des rixes avec ces Catalans aussi irritables que susceptibles. Il faut dire que ces Catalans ne sont pas seulement de bons marins. Ils pratiquent deux techniques de pêche très productives.

Paul Valéry : “Rien au monde n’est plus gracieux que la gerbe des antennes de nos bœufs, quand ils sont à quai…”

il l’interdit complètement en 1754. En dépit des multiples pétitions qui sont déposées par les pêcheurs, cette interdiction n’est pas levée à la veille de la Révolution.

La première est la palangre. Avec une ligne de fond sur

Bref les pêcheurs catalans semblent plus constituer un

laquelle a été accroché une centaine d’hameçons, ils at-

problème qu’une solution. Le subdélégué n’en est pas

trapent les poissons sédentaires comme les girelles et

moins optimiste. Il a enregistré les premiers mariages

les pageots (technique toujours utilisée au XXI siècle).

entre les deux communautés. Il pense que l’intégration

La seconde est le filet tiré par deux bateaux. Interdite sur

des Catalans peut se faire pour le plus grand profit du

les côtes espagnoles « sous peine de vie », la pêche aux

port à l’activité duquel ils participent déjà fortement:

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sortie des bateaux-bœufs à neuf mois,

Peintre parisien qui a fait la course avec Surcouf, Louis Garneray (1783-1857) a réalisé cette “Vue du port de Cette” vers 1830. Musée Paul Valéry - Sète


Au début du XIXe siècle, la victoire de Trafalgar a donné à la marine anglaise la maîtrise de la Méditerranée. Des troupes anglaises vont tenter à plusieurs reprises de prendre le port comme en 1710. Les activités commerciales du port de Sète sont entravées par le blocus qui impose à tout embarquement et appareillage une licence, nécessaire également pour la pêche. Les corsaires anglais et espagnols n’hésitent pas, à défaut de meilleures prises, à dépouiller les pêcheurs même à proximité des côtes. Simon Aben, patron du “Saint Antoine” sera ainsi attaqué par un chebeck corsaire pendant qu’il pêche des huîtres. Les corsaires entravent surtout la pêche du thon, provoquant une baisse de revenu très importante pour le port. La mer leur étant interdite, ces pêcheurs se rabattent sur l’étang. Or les zones y sont traditionnellement affermées par tirage au sort. Nommé maire après avoir été subdélégué de l’Intendant du Roi, Jean-Mathieu Grangent doit instituer une licence de pêche (ici à Michel Poutic pour 1807) pour donner aux pêcheurs de mer le droit de travailler sur l’étang.

LES STATISTIquES DE 1866 Adolphe Joanne (1813-1881) a publié en 1869 la deuxième édition du “Dictionnaire géographique, administratif, postal, statistique, archéologique, etc., de la France et de l’Algérie et des colonies”. Au chapitre “Cette”, on lit que la ville compte alors 24 177 habitants et que les activités commerciales du port en font le deuxième de France derrière

Marseille. En 1866, sur les 1292 navires étant entrés dans le port, 25 (2%) étaient chargés de morues pour un total de 5970 tonnes, et, sur les 1263 navires qui en étaient sortis, 4 (0,3%) transportaient de la morue pour un total de 1049 tonnes. La notice précise: « Les principaux articles d’exportation sont: le sel, les vins et eaux de vie, les huiles, les produits chimiques; les importations comprennent surtout les peaux brutes

et laines de la Plata, les farines, les fruits, la morue, les métaux, les merrains, les houilles (…). Les salines produisent de 12 000 à 14 000 tonnes par an. Les sécheries de morue reçoivent environ 5 millions de kilos de morue verte; les ateliers de salaisons surtout pour la sardine, livrent 500 000 ou 600 000 kg de poissons au commerce. Plus de 400 familles vivent de la pêche maritime et de celle de l’étang de Thau.»

grâce aux « belles pêches » qu’ils réalisent en pourchas-

pêche aussi forts, aussi beaux que les nôtres; rien au

sant, « oublieux du danger », les bancs de poissons au

monde n’est plus gracieux que la gerbe des antennes

large, « ils occasionnent un commerce de poisson frais

de nos bœufs, quand ils sont à quai, bordant le port

et salé qui donne à gagner à bien des personnes et le

vieux jusqu’au môle » pouvait ainsi déclarer avec fougue

commerce n’existerait pas sans eux ou du moins serait

Paul Valéry au début des années 30 aux élèves du collège

très languissant ». Les fabricants de petits barils pour les

qui finira pas porter son nom. Effaçant avec la licence

sardines salées en sont le meilleur exemple.

accordée au poète, tout ce qu’il y avait de “singulier”

Jean-Mathieu Grangent suggère à l’Intendant du roi de

dans cette situation.

favoriser une implantation importante et définitive de pêcheur catalans à Cette avec des arguments sonnants

A.G.

Les bateaux-bœufs alignés à gauche de la Santé.

et trébuchants pour leur faire abandonner l’Espagne. Grâce à ces incitations qui ne sont autres que de “l’optimisation fiscale” avant la lettre, des patronymes catalans (Laparata, Robano, Cazanova…) apparaîtront bientôt sur les rôles de la Capitation. Et les catalanes, armées pour la pêche, feront partie intégrantes du paysage cettois. Au point que dans l’inconscient collectif il n’y aura plus la moindre trace des tensions et des besoins qui précédèrent l’assimilation des Catalans. « Il n’y a pas dans toutes la Méditerranée de bateaux de

© Photo DR

© Musée Paul Valéry

Une licence de pêche dans l’étang pendant le blocus anglais

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“L’Entrée du Port de Cette”, ce tableau, huile sur toile de 81x122 cm qui fait partie des collections du musée Paul-Valéry, a été peint en 1892 par Jules Troncy. De cette interprétation réaliste de l’activité bouillonnante du port de Cette à la fin du XIXe siècle, on retient surtout le mouvement des bateaux-bœufs qui rentrent de la pêche précédés par une barque qui se hâte d’apporter les poissons sur le quai. Ces anciennes tartanes dont le gréement a été adapté pour la pêche feront partie du paysage sétois pendant trois siècles. Elles témoignent de l’habileté et du courage des hommes qui les manœuvraient: « L’antenne qui supportait le voile latine était si lourde qu’elle n’était que très rarement amenée.

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Le haut de cette antenne se trouvait à 20-22 m au-dessus de l’eau; pour ferler la grand-voile, les mousses grimpaient à cheval sur cet espèce de mât de cocagne, et jusqu’en haut, ce qui était plutôt sportif et quelque fois dangereux, car avec forte mer, il arrivait que des chutes se produisent ». Entamée au début des années 30, la motorisation des bateaux aura raison de ce type de pêche autant pour des raisons techniques (il n’est plus besoins de deux embarcations pour tirer le filet) qu’économiques (le patron n’a plus a partager le produit de la pêche). La quarantaine de paires de “bœufs” présents dans le port de Sète au début du XXe siècle auront complètement disparus au début des années 50.

© Musée Paul Valéry

Le retour des pêcheurs au port


1711 : une ordonnance royale définit les règles du salage des sardines

Les salins de Villeroy à la fin du XIXe siècle.

© A.D.H.

© Archives municipales de Sète

Après sa fondation, Cette commence à se développer grâce au commerce du poisson salé. L’appât des gains que permet ce négoce entraîne diverses fraudes contre lesquelles est prise le 11 juillet 1711 une ordonnance royale « portant règlement du salage des sardines qui est fait à Sette ». Le texte stipule la contenance des barils (12-13 livres pour les petits, 26-27 livres pour les grands) et enjoint le bureau de police de faire fabriquer des cercles de fer servant de matrice pour que ces contenances soient respectées sous peine d’amendes. L’ordonnance définit encore la quantité de sel minimum nécessaire à la bonne conservation des sardines qui doivent avoir été mises en tonneaux dans la journée qui suit leur pêche, et y rester mariner pendant 10 jours avant la vente, là encore sous peine d’amende. Les multiples procès-verbaux conservés dans les archives municipales montrent que nombreux sont les marchands et revendeurs qui ne respectent ces dispositions, réitérées par des ordonnances en 1734 et 1761, et que les bureaux de police font procéder tout au long du XVIIIe siècle « à des saisies d’harencades pourries chez divers marchands et revendeurs ».

uN BLASON POuR LES BARquES Le 25 août 1743, le maire et les consuls de Cette, ont adressé une requête à Louis-Pierre d’Hozier, Juge général des Armes de France, afin d’obtenir des armoiries pour la ville. A l’appui de leur demande ils indiquèrent que les nombreuses patentes qu’ils étaient amenés à donner aux barques ne sont pas scellées ou le sont avec le premier cachet venu.

Ils souhaitaient donc que remède fut apporté à ce qu’ils estimaient pouvoir entraîner « un inconvénient considérable ». Le 10 septembre suivant (donc avec une rapidité étonnante), Louis-Pierre d’Hozier a répondu à cette requête en donnant la description des armoiries de la ville : « Un écu de gueules, à une montagne d’argent mouvante d’une mer de sinople chargée à la rade d’une baleine au naturel et un chef d’or fermé d’étoiles d’azur; l’écu surmonté d’un Neptune au naturel à demi-corps et orné de son cartouche, duquel sortent deux cornes d’abondance, l’une à droite et l’autre à gauche fruitées aussi au naturel ». Archives départementales de l’Hérault

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1845-1890

Fécamp-Terre Neuve-Cette : le triangle de la morue normands les cales pleines de sel qu’ils ont remonté du

brandade, un plat à base de morue créé juste

Midi par lequel ils ont fait un détour au retour de leur

avant la Révolution par le cuisinier de

campagne sur les bancs de Terre Neuve.

l’évêque de Nîmes?

La Révolution et l’Empire mettent entre parenthèses cette

Le cabillaud est un poisson des mers froides.

activité pendant une vingtaine d’années. A la Restaura-

Les Vikings le pêchèrent bien avant de partir explorer et

tion, les armateurs fécampois envoient sans perdre de

piller les côtes de l’Atlantique. Outre les qualités alimen-

temps deux bricks (voilier à deux mâts) à Terre Neuve. Ils

taires de la morue, ces Normands (hommes du Nord)

donnent ordre aux capitaines ne de pas cingler sur Fé-

l’appréciaient pour sa facilité de

camp à leur retour mais de franchir

stockage. Ils avaient en effet décou-

le détroit de Gibraltar, longer les

vert qu’en l’ouvrant, la vidant et en la

côtes espagnoles et faire escale à

faisant sécher à l’air libre sur des

Cette. Là ils doivent décharger leurs

perches, elle devenait dure comme

barils de morues vertes et embarquer

le bois et se conservait parfaitement

du sel et du vin avant de passer le

(les pêcheurs des îles Lofoten perpé-

détroit en sens inverse et de remon-

tuent cette méthode).

ter jusqu’à Fécamp.

Le mot “cabillaud” est apparu dans la langue française à la moitié du XIII

e

siècle. Il a été emprunté au néerlandais qui l’avait lui-même adapté du latin “baculus”, c’est-à-dire bâton (un cabillaud séché peut être aussi dur

Le cabillaud salé sur les bateaux devient la “morue verte” qui est ensuite séchée au retour à son port d’attache

doit s’avérer profitable. En tout cas ce sont 18 morutiers fécampois qui font ce circuit en 1836. La question qui se pose est alors de savoir pourquoi les Cettois se contentent de

qu’un bout de bois). A cette époque les Normands ont

cette sorte de troc, sel et vin en échange de morue à sé-

élargi leur zone de pêche jusqu’à l’Islande et le cabillaud

cher et ne vont pas pêcher eux-mêmes le poisson qu’ils

commence à susciter l’intérêt de toute l’Europe du Nord.

font sécher?

Au XVI siècle les pêcheurs vont chercher le poisson jus-

Jacques Comolet, dont la famille est originaire de Mont-

qu’à Terre Neuve. Des bateaux partent des ports bas-

peyroux, s’est établi à Cette lorsque la prise d’Alger a

ques puis normands. Ils pratiquent d’abord la pêche cô-

donné un premier coup de fouet à l’activité du port. Il a

tière, le poisson étant séché sur le rivage soit sur des

la réponse au problème posé : il n’y a pas à Cette de ca-

perches (stockfish) soit sur des pierres (clipfish). Puis, la

pitaines ni matelots de la trempe des terre-neuvas nor-

taille des bateaux augmentant et la technique de pêche

mands; il faut donc armer un bateau, sinon des bateaux,

évoluant, le poisson est salé à bord (il devient de la “mo-

à Fécamp. Il fonde avec son frère Victor le comptoir

rue verte“) pour être ensuite séché au retour dans le port

Comolet frères, et, dans la plus grande discrétion, com-

d’attache.

mande en 1842 un brick à un chantier fécampois. Ce

Les bases de la triangulation Normandie (armateurs)-

sera le “Victoria“ qui rentre les cales pleines (93 000 mo-

Terre Neuve (poisson)-Languedoc (sel) sont ainsi posées

rues soit 230 tonnes).

au début du XVIII siècle. Les bateaux partent des ports

S’y ajoute en 1847 le “Montpeyroux“, un trois-mâts de

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La boucle est faite en six mois et elle

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© Photos DR

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ourquoi les Méridionaux se régalent de la


238 tonneaux. Le chapitre morue de l’histoire de la famille Comolet aurait pu s’arrêter là. Armé pour la pêche sur les bancs de Terre Neuve, le “Montpeyroux” quitte Fécamp le 13 février 1847. Il charge du sel à Setúbal au Sud de Lisbonne puis met le cap vers les Açores pour prendre les vents qui le remonteront à Terre Neuve. Une fois l’archipel doublé, une terrible tempête se lève le 19 mars. La foudre tombe sur le mât d’artimon, les paquets de mer submergent le pont du navire qui va finir par se coucher. Quand la tempête se calme enfin, le capitaine constate que les dégâts sont importants. Il a le choix entre relâcher dans le port le plus proche ou revenir à Fécamp sous gréement de fortune. Les officiers de bords lui conseillent de rentrer. L’équipage prie Notre Dame du Salut. Ils sont exaucés. Le “Montpeyroux” arrive à Fécamp le 25 mars. Le bateau qui vient d’être construit est rapidement réparé. A la miavril il est sur les bancs de Terre Neuve où jusque là le poisson a été rare. Il fait donc une campagne normale qu’il livre à Cette en même temps que le “Victoria”. Et l’aventure peut continuer. En 1849, les deux bateaux livrent près de deux cent mille morues vertes aux sécheries soit près de 500 tonnes. De plus les Comolet ont

Le retour des terre-neuvas

Louis Dermigny, professeur à la Faculté de lettres de Montpellier, a signé dans “Sète“, un ouvrage édité par la mairie de la ville pour le tricentenaire de la création du port, un long article intitulé “Esquisse de l’histoire d’un port”. Dans ce texte, il a consacré quelques lignes à la situation de l’armement cettois à la fin du XIXe siècle. Il a ainsi noté le caractère insolite mais logique de la présence de morutiers puisque justifiée par leur besoin en sel. Au delà de l’aspect économique de cette activité, Louis Dermigny a en a pointé les caractéristiques sociétales: «Entreprise intéressante, certes, et qui donnait à Cette une allure curieusement paimpolaise lors du retour des terre-neuvas, en même temps qu’elle lui ajoutait une odeur nouvelle quand certains quartiers empestaient la morue blanchissant au soleil ».

une politique commerciale particulièrement novatrice sinon agressive. Ils ne se contentent pas des morues que pêchent les bateaux de leur armement, ils achètent à prix fixe avant le départ de la campagne. L’annonce qu’il passe le 5 mars 1852 dans le journal de Fécamp témoigne de cette agressivité: « Comolet Frères achète au départ le produit de la campagne de vingt bateaux au prix de 20 F les 55 kg ». Et ils indiquent que « ce chiffre n’a jamais été offert au départ ». Les fils de Jacques, Jacques et Jules rejoignent alors la société qui s’appelle désormais Comolet Frères et les fils de l’aîné. En plus de leurs deux premiers morutiers, les Comolet vont armer jusqu’à quatre bateaux supplémentaires, un commandé à un chantier fécampois, le

LA BRANDADE CETTOISE Dans les vieilles familles sétoises, il est une tradition de Noël à laquelle on ne déroge pas: servir un plat de brandade. De la brandade oui, mais pas celle

dont les Nîmois se sont attribués la paternité. Non ! Celle qui est simplement montée à l’huile d’olive. Celle que, à la fin du Premier Empire, les Cettois, affamés par le blocus du port des Anglais, ont pu manger grâce à la

générosité d’un capitaine génois. Ayant fait naufrage au Castelas, le marin offrit sa cargaison de morues (et d’anguilles) aux Cettois qui la reçurent comme un don du ciel à la veille de la Nativité.

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© Photos DR

Dans la lignée des “Victoria” et autre “Montpeyroux” de l’armement Comolet, le “Marité“ construit à Fécamp en 1923 est le dernier des terre-neuviers français en bois encore en état de navigation. Il devait être le bateau star de la la fête des traditions maritimes Escale à Sète 2018. “Saint-Clair”, et trois rachetés à des armateurs, le “Fer-

Colomb”, un trois-mâts flambant neuf qu’il venait de

nand”, le “Ville de Saint Valéry” et le “Duguay-Trouin”.

faire construire. Ils obtiennent aussi l’armement du “Jean-

Si bien qu’en 1857 ils possèdent le premier armement

Bart”. Après trois campagnes de pêche, ils disparaissent

fécampois (1425 tonneaux) qui se compose de trente et

toutefois des registres de la marine fécampoise. La guerre

une unités (7750 tonneaux).

contre la Prusse et la défaite de Sedan ont ouvert une

Naturellement les Comolet ont fait des émules à Cette.

crise à laquelle peu d’armements résistent.

Les premiers à les suivre sur la piste de la morue sont les

En dépit de la mort de l’aîné de la famille, Jacques, les

Baille qui en 1846 rachètent le “Bois Rosé”, un trois-

Comolet parviennent eux à développer encore leur en-

mâts de 226 tonneaux lancé trois ans auparavant. Ils ar-

treprise. Victor, le frère cadet de Jacques, a pris la direction

meront ensuite l’“Avenir” et le “Virgile”.

des affaires et la présidence de la Chambre de commerce

C’est donc un quart de la flotte morutière fécampoise

de Cette. Il a compris que le chemin de fer crée un réseau

que contrôlent les armements cettois quand… la morue

pour le transport des marchandises qui n’est pas favorable

commence à se faire rare. Certains armateurs vont se

à Sète. C’est à Bordeaux que les morutiers feront escales,

décourager. Les Baille seront complètement désengagés

et à Bègles que seront séchés les poissons.

en 1860 après la vente du “Virgile”. Les Comolet cèdent

A la mort de Victor, en 1882, les morutiers ont quasiment

le “Saint-Clair” puis le “Montpeyroux”. Lorsque la cam-

tous délaissé Cette à l’exception de ceux de la famille. A

pagne de1862 commence, il ne reste plus que dix-huit

cette date l’armement Comolet se compose de huit trois-

terre-neuviers à Fécamp dont les quatre que possèdent

mâts, quatre bricks, six goélettes. Il est en outre agent

encore les Comolet.

général de quatre-vingt dix steamers qui font les services

Aussi mystérieusement qu’elle a disparu, la morue revient

réguliers vers les grands ports de Méditerranée et la

sur les bancs de Terre Neuve. Les affaires reprennent. En

Chine.

1865, les Comolet arment huit morutiers sur les vingt-

Les “fils de l’aîné”, Jacques et Jules, se retirent progres-

neuf de la flotte fécampoise et un neuvième, le “Louis”

sivement de l’armement à la morue. Cette n’est plus sur

à Dieppe.

la “route du sel” où elle avait exporté jusqu’à 40 000 t

Dire qu’ils ne sont pas jalousés à Cette serait une contre-

par an. Cette route passe désormais par Setúbal (Portu-

vérité. Trois compères, les Nègre, Cousin et Michel, veu-

gal) ou Cadix (Espagne). En 1890, Cette a définitivement

lent leur part du gâteau. La faillite d’un banquier fécam-

tourné la page de la morue.

pois leur en donne l’occasion de racheter le “Christophe

A.G.

13


1960-1965

© Archivesvilledesète

Les deux révolutions

eux événements transforment radicale-

vaient dans les meilleures années à 1 000 tonnes pour la

ment la pêche sétoise au début des an-

sardine, atteignirent 4 200 tonnes lors de la première

nées 60 : l’autorisation d’utiliser les filets

campagne où le lamparo a été autorisé en 1961 ».

tournants et coulissants accordée sur le lit-

Le lamparo s’avéra également plus efficace que le vey-

toral méditerranéen le 25 juin 1960 et l’ar-

rardier (filet droit dérivant) pour la capture du maquereau

rivée à Sète d’une dizaine de chalutiers rapatriés d’Algérie

et que l’anchoubet (autre filet droit dérivant) pour l’an-

en 1962.

chois. « Utilisé en période estivale, lorsque la sardine se

Ces deux événements et leurs conséquences ont été

fait rare, le lamparo permit de pêcher des quantités suf-

analysés par Jean-René Giffard, diplômé d’études supé-

fisantes d’anchois, alors presque disparu à Sète, pour les

rieures, dans un article intitulé “Développement de la

écouler à des prix intéressants pour les conserveurs. »

pêche maritime à Sète” et publié dans la brochure “Sète”

Le filet tournant s’avère aussi très prometteur pour la

parue début 1967. L’auteur les qualifie de “révolutions”.

pêche du thon si bien que les deux sociétés de “seinche”

La première est donc l’autorisation du filet tournant.

(organisation de pêcheurs posant des filets fixes dirigeant

« Longtemps les pêcheurs méditerranéens et parmi eux

le banc vers une sorte de nasse) seront dissoutes même

les Sètois s’étaient opposés à l’introduction de cette nou-

si la technique baptisée “seinchole” est plus délicate

velle technique qui risquait de bousculer les traditions

que le lamparo (il n’est pas possible de rassembler les

ancestrales » écrit M. Giffard.

thons avec un projecteur comme les sardines).

Raison de cette opposition? « Avec le lamparo, on crai-

« Certes les autres filets n’ont pas totalement disparu,

gnait des apports trop importants qui risquaient de per-

mais avec le lamparo et la seinchole, c’est le premier pas

turber le marché. » Cela se vérifia: « les apports qui s’éle-

vers l’industrialisation de la pêche » remarque M. Giffard.

D 14


entre 15 et 18 m, 36 entre 10 et 15 m. Sur les 6 unités de

pêche artisanale pratiquée avec un équipage réduit mon-

plus de 18 m, cinq sont armées par des rapatriés d’Algérie

tant des embarcations de taille modeste. Ce type de

et une par un “Sétois” qui l’a achetée à un rapatrié.

pêche laissait place à un hasard dont les pêcheurs médi-

Le nombre d’inscrits maritimes est alors de 863 dont 331

terranéens s’accommodent fort bien. L’utilisation du lam-

patrons et 532 hommes d’équipage et représente moins

paro demande des embarcations plus importantes, un

de 10% de la population active de la ville. Les statisti-

équipage beaucoup plus nombreux et nécessite la mise

ques (dans la mesure où elles sont fiables) indiquent

en place à terre de toute une infrastructure de stockage

pourtant que le chiffre d’affaires généré par cette activité

et de transport. »

n’est pas négligeable. En 1965, alors que le tonnage de

En clair, passer du filet fixe au filet tournant bouleverse

poisson bleu (sardine, maquereau, thon, anchois) mis sur

l’ensemble de la filière: il va falloir une criée, des conser-

le marché à Sète est deux fois moins élevé qu’en 1961

veries, de salles de congélation… bref réorganiser toute

(1 612 tonnes contre 3 355 tonnes), il est fait état d’une va-

la commercialisation.

leur de 2,340 millions de F (équivalent à 3,355 millions

Cette nécessité devient d’autant plus impérieuse que se

d’euros), le poisson de chalut (1 195 tonnes) rapportant lui

profile déjà ce que M. Giffard appelle la deuxième révo-

3,573 millions de F (équivalent à 4,761 millions d’euros).

lution de la pêche sétoise: l’arrivée en 1962 d’une dizaine

En faisant le constat d’une indéniable vitalité de la pêche

de bateaux rapatriés d’Algérie.

sétoise en 1965, M. Giffard annonce sa mutation.

« Avec ces marins apparaissent non seulement des ba-

En amont de la filière il pointe, avec une certaine nostal-

teaux plus importants, mais une autre manière de conce-

gie, des pratiques comme étant « des subsistances du

voir la pêche. » Pouvant aller jeter leurs filets plus au

passé », c’est-à-dire vouées à une lente mais sûre dispa-

large, ils demandent par exemple de pouvoir quitter le

rition: « Ce sont la pêche au feu avec une fouine depuis

port plus tôt le matin. « Les Sétois sont de très fins pê-

une nacelle par nuit calmes et obscures; c’est la pêche

cheurs mais ils ont l’esprit conservateur » souligne l’auteur.

au loup “au vif” dans les canaux la nuit sur une barque

Autrement dit cela sera chaud entre les deux commu-

qui dérive dans le courant; c’est la pêche au piadons

nautés avant que ne soit trouvé un compromis.

avec des casiers en grillage amorcés avec du pain et

Reste qu’un mouvement s’est enclenché: les chantiers

pratiquée par trois embarcations; c’est la pêche à la pa-

se mettent à construire des chalutiers dont les quilles

langre sur les rochers; c’est encore la pêche à la traîne au

font de 20 à 22 m. Si bien qu’en 1965, sur les 350 em-

maquereau ou au thon, la battue, la canasse, la pêche

barcations diverses enregistrées par les Affaires maritimes,

au trémail qui occupe une vingtaine d’embarcations en

on en compte 2 de plus de 20 m, 4 entre 18 et 20 m, 37

hiver et une seule l’été et se pratique surtout après les

© Photo Clément/extrait de “Sète”

« Toute la série des filets droits dérivants supposait une

Les filets tournants, ci-dessus, qui sont utilisés à partir de 1960 requièrent plusieurs barques. Le remaillage des filets sur les quais, photo de droite, une activité complémentaire, et indispensable, de la pêche.

15


16


gros coups de mer. C’est aussi “la trace”: la pêche à la plage en hiver à l’aide d’une sorte de senne de plage et

1952 : Une évolution lente

qui fournit muges, loups et dorades.» En aval de la filière, M. Giffard annonce ce qui sera d’abord une transformation du paysage du port avec la construction d’une criée en dur à l’emplacement de la Santé, un ancien bâtiment de style vénitien. « Actuellement les ventes sont réparties en trois criées différentes: la criée de la coopérative Saint-Pierre (fondée par Georges Azaïs – lire par ailleurs) qui regroupe environ 60% des chalutiers et traite de 200 à 300 tonnes par jour; la criée libre des chalutiers et la criée de MéditerranéeMarée, qui se répartissent les 40% restant. » Le système de vente qui y est pratiqué est qualifié de “périmé”. La nouvelle criée apparaît ainsi comme « un événement important », indispensable pour mettre en place « une organisation économique valable ». « Édifiée sur le terreplein aménagé à proximité de la Coopérative SaintPierre, [elle] sera gérée par la Chambre de commerce de Sète et se placera résolument à l’avant-garde. » Grâce à ce traitement de la commercialisation, l’auteur estime que la pêche sétoise se trouve dans un écosystème favorable à son développement: des capacités de congélation (Coopérative Saint-Pierre), des conserveries (six dans le département), des chantiers navals (48 bateaux mis à l’eau par 5 chantiers en 1965), une école d’apprentissage maritime (le lycée Paul-Bousquet), un laboratoire de recherche sur la pêche… L’analyse est juste. Elle a pourtant un point faible: elle met le poisson bleu au cœur des perspectives de développement: « Le chalutage constitue l’activité complémentaire indispensable, dans un système économique qui repose essentiellement sur la pêche au poisson bleu. Cette pêche au poisson de surface n’est pas sujette à une surexploitation et constitue la véritable richesse de la pêche sétoise. C’est là également que l’avenir est le plus large si la mise en place d’une infrastructure économique vient compléter l’effort de production réalisé récemment. » Un demi-siècle après que ces lignes ont été écrites, force est de constater que les deux révolutions n’ont pas abouti aux résultats escomptés. On peut s’en étonner ou le déplorer.

L’Institut d’études économiques, maritimes et commerciales de la ville de Sète a édité en mars 1954 un fascicule intitulé “Contribution à la connaissance de conchyliculture et de la mytiliculture dans le bassin de Thau et de la pêche sétoise”. O. Lasbordes, administrateur en chef de l’Inscription maritime, y signait un article titré “La pêche maritime sur les côtes languedociennes autour de Sète”. L’auteur notait en introduction: « Les procédés de capture sont anciens: l’évolution est très lente car les pêcheurs sont traditionnalistes et par nature opposés aux méthodes nouvelles susceptibles d’accroître le rendement de la pêche dont il redoute l’incidence sur le prix du poisson.» Après avoir décrit les différentes techniques de pêche utilisées en mer et sur l’étang, il faisait une estimation des captures en prenant la précaution de préciser que ces chiffres étaient sans doute inférieurs à la réalité, l’absence de criée empêchant de connaître vraiment le volume des apports. En 1952 donc « la pêche maritime pratiquée dans le quartier de l’Inscription maritime de Sète par les pêcheurs professionnels a rapporté 2715 tonnes de poissons, 41 900 kg de crustacés (chiffres dans lesquels les homards et les langoustes ne rentrent que pour une très faible proportion) et 633 000 kg de coquillages contre 1800 tonnes de poissons, 29 500 kg de crustacés et 648 500 kg de coquillages en 1951 ». La part du port de Sète dans ces volumes étant de 1431 tonnes pour une valeur de 157 425 000 F en 1952 (341,661 millions d’euros 2017) contre 809 450 kg d’une valeur de 69 638 200 F en 1951 (169,225 millions d’euros 2017). Par espèces les apports en 1952 sont de 544 tonnes pour la sardine, 539 tonnes pour le thon, 232 tonnes pour le maquereau, 166 tonnes pour le mulet (muge), 200 tonnes pour l’anguille, 161 tonnes pour le merlan. Les prises de dorades se sont elles élevées à 45 tonnes.

17


L’empreinte Azaïs

Georges, la boîte à idées Georges Azaïs? Une anecdote donne la mesure du personnage. Elle est rapportée par la directrice commerciale d’Azaïs-Polito dans le livre qui retrace l’histoire de la conserverie artisanale depuis sa création en 1963 par Georges Azaïs et Jean Polito… Véronique Britto donc souhaite “théâ-

ruche. Georges a réduit la taille des cagettes où les pois-

traliser” l’exposition des bocaux de la

sons sont entreposés afin d’en faciliter la manutention. Il

marque. Elle se met en quête de filets

a aussi systématisé l’usage de la glace pour préserver la

de pêche pour habiller les présentoirs.

qualité des produits.

Il y a en à vendre au Cul de Bœuf. Le

En clair, passionné par les métiers de la pêche, le bon-

vieux pêcheur qui les fabrique pense avoir affaire à une

homme bouillonne d’idées.

touriste. Véronique Britto manque de tomber à la ren-

La première concerne les “poissons bleus” (sardine, ma-

verse quand elle entend le prix que le bougre en de-

quereau, anchois). Les Bretons se sont implantés et dé-

mande. Elle a néanmoins la présence d’esprit de dire

veloppent ce marché de la conserve. Or il s’écoule jusqu’à

qu’elle travaille chez Azaïs-Polito. Le vieux en a presque

100 tonnes de sardines par jour à Sète à cette époque.

la larme à l’œil, naguère il a souvent travaillé avec le mareyeur : « C’est pour la conserverie de Georges? Alors ma petite prends tout ce que tu veux! Les jeunes ne mesurent pas aujourd’hui ce que Georges a fait pour la pêche à Sète. » La famille Azaïs était implantée à

18

La criée, les chambres de congélation, une coopérative pour l’achat des filets… Quelques-unes des initiatives de Georges qui ont fait progresser la pêche sétoise

Et ces sardines sont plus grosses et grasses que celles de l’Atlantique. Pourquoi ne pas créer une conserverie sur le bassin de Thau qui bénéficierait d’un approvisionnement garanti de qualité? La famille fonde à Mèze la conserverie Azaïs-frères qui emploie jusqu’à

Mèze depuis plusieurs siècles où elle faisait commerce

60 salariés (dont quelques Bretons recrutés pour leur sa-

de produits de l’étang et de la mer quand les parents de

voir faire). L’activité se poursuit pendant toutes les années

Georges déménagent pour Sète où ils ouvrent une pois-

50. La conserverie ferme en 1960 à la mort du père de

sonnerie. Ils habitent dans la même rue que les Polito.

Georges qui acquiert durant cette décennie l’expérience

Georges et Lisette fréquentent la même école.

qui lui permettra de créer en 1963 avec son beau-frère

En 1945, ils décident de se marier. Et Georges entreprend

Jean Polito la conserverie Azaïs-Polito (lire par ailleurs).

de relancer la poissonnerie qui a été fermée pendant

Deuxième idée: la création d’une criée pour organiser

l’occupation allemande. On le voit tirer sa charrette rem-

plus efficacement la filière de la pêche à Sète. On est en

plie de poissons de la Marine jusqu’à la gare tous les

1955. Avec la famille de sa femme Lisette, les beaux

jours. L’activité de mareyage se développe à la force de

jours venus, Georges installe sur la plage une grande

sa volonté.

paillote où l’on vient se reposer après la journée de travail

Au tournant des années 50, le temps de la charrette à

et le dimanche. Quand l’automne arrive, il démonte le

bras est dèjà révolu. Le local de la Marine est une véritable

cabanon pour le reconstruire sur la Marine.


Voilà l’esquisse en planche, de ce qui va devenir la première criée informatisée en France (lire par ailleurs). C’est une petite révolution dans la vente du poisson d’autant que Georges propose qu’un prix plancher s’applique aux enchères descendantes. Les marins ont ainsi l’assurance d’écouler leur marchandise à un prix correct. Le mareyeur a lui l’assurance de s’approvisionner en volume, donc de faire des économies d’échelles. D’autres idées? La création d’une chambre de congéla-

En haut : Aux beaux jours, le cabanon familial sur la plage devient la première criée à la Marine dès l’automne venu. En-dessous : Lisette Polito devenue madame Azaïs est un personnage clé de la conserverie de poissons qui prend le nom des deux familles. Photos d’archives Azaïs-Polito

tion du poisson pour que les chalutiers n’aient plus à jeter le surplus de leur pêche (qui disparaîtra lorsque la CCI fait construire quai Aspirant-Herbert la halle transformée en 1993 en Centre régional d’art contemporain); la création d’une coopérative pour l’achat des filets de pêche… Bref Georges Azaïs est devenu la figure tutélaire du port de Sète. Quand en 1956 le patron du “Rosine Raphaël” remonte un requin blanc de près de 6 m dans ses filets, c’est naturellement Georges Azaïs qui se saisit de l’affaire, hébergeant le zoologiste suisse, finançant le transport du monstre à Lausanne (lire par ailleurs). A force de travail il est devenu le premier exportateur de thons à destination de l’Espagne et de l’Italie et plus globalement le plus gros mareyeur de Méditerranée. Il laisse une empreinte indélébile sur la filière sétoise à laquelle il permet de tourner à plein régime. D’autant qu’il fonde une véritable dynastie de mareyeurs de Méditerranée. Son fils aîné, Ernest, vient travailler à ses côtés après avoir brièvement participé au lancement de la conserverie Azaïs-Polito et avant de se faire un surnom, “Néné”, dans l’industrie de la nuit. Les deux autres garçons, Claude et Jean-Raymond montent leurs sociétés de mareyage dans les années 70, les deux frères se retroussant les manches pour développer leur propre affaire. Et malgré les problèmes qui accablent le secteur, ils se battent chacun à leur manière pour le monde de la pêche sur l’île singulière, comme le fit leur père. Jean-Raymond Azaïs est encore quotidiennement présent sur les bancs de la criée. Quant à Claude, il aide désormais son fils Georges qui a lui aussi monté sa propre société de mareyage. A.G. [Ce texte est très largement inspiré de “La conserverie Artisanale Azaïs-Polito, Une histoire familiale de bon goût” par Véronique Britto avec Nicolas Bondil (180 pages, 22 €), livre dont le RC Sète a eu communication avant parution]

19


© Photos Clément/Archives Azaïs-Polito © Photo Clément/Archives Azaïs-Polito

© Photo archives Azaïs-Polito

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Remonté le 13 octobre 1956 dans les filets du “Rosine Raphaël” d’Antoine Ferrigno (ci-contre) un énorme requin blanc est pris en charge par Georges Azaïs qui assurera son transport à Lausanne où il devient l’attraction du Musée zoologique.


JAWS À SÈTE !

L

e “Rosine Raphaël” a appareillé au cœur de

contient deux dauphins de 2 mètres et des pattes de

la nuit, ce vendredi 12 octobre 1956. L’éclat

vache.

du phare du mont Saint-Clair était encore

Au hasard de la capture s’en ajoute un autre : la présence

puissant quand les hommes ont mis à l’eau le

sur le port de Sète d’un zoologiste travaillant pour le

gangui. Après deux petites heures de chalu-

Musée d’Histoire naturelle de Lausanne qui a constitué

tage, ils devraient le remonter, lourd de sardines, abon-

depuis le XVIIIe siècle une des plus grandes collection

dantes dans ces parages. Samedi, vers 3 heures

d’espèces de vertébrés. Il en offre 50 000 anciens francs

du matin, ils alertent pourtant le patron de la

(l’équivalent de 1 056 euros soit 0,53 euros le kg) au ma-

grosse catalane motorisée: le filet semble ac-

rin. L’expédition en Suisse doit se faire au plus vite.

croché au fond. Antoine Ferrigno

Il faut demander

sait que cela peut

à la Chambre

être catastrophique,

de commerce

soit qu’il faille aban-

une grue pour dé-

donner le filet et per-

poser la bête sur une

dre la pêche, soit,

remorque. Les Sétois se pressent pour profiter du spec-

pire, que le filet coincé fasse chavirer

tacle. Le photographe de

le bateau. Il demande néanmoins aux hommes de redoubler d’efforts pour tenter en-

la rue Gambetta, Clé-

core une fois de remonter le

ment, immortalise la

gangui.

scène pour les lecteurs

Et ils y parviennent. Le filet ne

du quotidien régional “Midi

s’était pas pris au fond, il avait

Libre“. Georges Azaïs prend

fait une prise extraordinaire :

tout cela à sa charge.

un énorme requin blanc qui,

Le 15 octobre paraît un cli-

sans doute affaibli pour quel-

ché titré “La fin d’un man-

ques raisons, meurt dans un ul-

geur d’hommes”. Il est ac-

time combat en tentant de se libérer. Antoine Ferrigno remorque le squale jusqu’au port © Photo Musée de zoologie Lausanne

où il livre habituellement sa

La machoire de ce requin a servi de modèle pour la vedette des films de Steven Spielberg “Les Dents de la mer”

compagné de la légende suivante: « Le requin capturé samedi par des pêcheurs sétois a connu un succès

pêche à Georges Azaïs, le mareyeur installé sur la quai

considérable de curiosité parmi nos concitoyens. Comme

Maximin Licciardi.

nous l’indiquions hier, c’est le musée d’histoire naturelle

Un palan fixé à un mât et un tracteur sont nécessaires

de Lausanne qui s’en est rendu acquéreur. L’animal a été

pour hisser sur le quai le requin de 5,86 mètres et de

dépecé dans l’après-midi de samedi.

plus de 2 tonnes. Sans perdre de temps, le mareyeur le

« Dimanche matin, l’intervention d’une grue de la Cham-

fait dépecer : son foie pèse 360 kg et son estomac

bre de commerce a été nécessaire pour charger le requin

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22


© Photo Musée de zoologie Lausanne

Sur le cartel placé sous le requin, les visiteurs peuvent lire : « Requin blanc ou mangeur d’hommes, carcharodon carcharias L., dont la voracité est légendaire, habite les eaux chaudes des trois océans et pénètre parfois en Méditerranée, c’est pour l’homme le plus dangereux des requins ». sur un camion. Il a été transporté à la gare SNCF dans un

seuls les ailerons et la mâchoire étant “authentiques”.

wagon frigorifique qui l’amènera jusqu’en Suisse (…). »

C’est pour son authenticité que cette mâchoire sera exa-

La livraison prend une quinzaine de jours. Le requin arrive

minée par une équipe du réalisateur Steven Spielberg

en assez mauvais état.

avant le tournage du film “Les Dents de la Mer” (1975).

Le taxidermiste qui s’attaque à sa naturalisation met près

Fin de l’histoire ? Non ! En 2015, le musée qui s’appelle

de deux années pour finir son travail. Le “mangeur

désormais de Zoologie, lance une souscription publique

d’homme” devient l’attraction numéro un du musée qui

pour la restauration du requin à la faveur d’une nouvelle

fera même du « plus grand requin blanc naturalisé au

scénographie le faisant apparaître dans une “boîte ma-

monde » son emblème.

gique” contenant des informations sur les requins en gé-

Toutefois les générations de Vaudois en culottes courtes

néral et sur la prise d’Antoine Ferrignon en particulier.

en visite au Palais de Rumine, frémiront devant un mou-

Les 20 000 francs suisses nécessaires sont recueillis en

lage peint supporté par une armature de bois et de mé-

quelques jours.

tal: la peau, trop abimée, n’a pas pu être conservée,

A.G.

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Le savoir-faire Polito

“Du poisson, rien que du poisson!”

© Photos archives Azaïs-Polito

C’est l’histoire d’une conserverie artisanale. Comme beaucoup d’histoires à Sète, celle-ci commence à Gaète, ce port niché dans un repli de la côte tyrrhénienne à 100 km au Nord de Naples où se croisent mythologie (Ulysse) et histoire (Garibaldi)… quatre générations de Polito dans la fabrique de ravioli : au premier plan Jean et Claude encadre le fils de Jean-Claude, debout en second plan.

L

a famille Polito est honorablement connue à

dité ambiante ne permet pas aux pâtes de sécher cor-

Gaète depuis le XVI siècle. Elle possède ses

rectement. Giovanni réalise qu’il doit trouver un empla-

armoiries. A la fin du XIXe cela ne suffit pas

cement plus favorable à la qualité de ses produits sous

pour vivre. Giovanni Polito décide donc

peine de devoir « mettre la clé sous le paillasson ». La fa-

d’émigrer pour la France. Il s’installe d’abord

brique déménage 12, rue Villaret-Joyeuse. L’air y est sec.

e

à Marseille. Puis en 1900, avec sa femme et son fils Claude âgé de 3 ans, il arrive à Sète.

Giovanni travaille désormais avec

Le couple se fait une place dans le

son fils Claude. Pour écouler leurs

quartier haut qui est le havre de tous

produits, ils prennent un étal dans

les immigrés de la Péninsule.

les halles puis ouvrent une épicerie

Pour subvenir aux besoins du mé-

en 1928. Giovanni régale aussi ses

nage, Giovanni se lance dans le ma-

concitoyens en finançant un théâtre

reyage. Le train qui amène le pois-

grand’rue Haute.

son sur les lieux de consommation quitte la gare à 17 heures. La pêche de ceux qui ne sont pas rentrés au port à temps pour que leurs poissons prennent le train ne vaut plus

24

Et l’affaire prospère.

Giovanni [ Jean] Polito abandonne la pêche et le négoce du poisson et se lance dans la fabrication des pâtes

Giovanni décède en 1931. Il est inhumé à Gaète où il reçoit le titre posthume de “cavaliere” (chevalier). Claude qui reprend les rênes développe l’affaire familiale tout au long

rien. Sauf pour Giovanni qui l’achète, le charge sur son

des années 30. La guerre interrompt cette dynamique

bateau et cingle vers Marseille pour le revendre.

mais ne fait aucune victime dans la famille. L’ainé, Ray-

C’est une activité exténuante et périlleuse. Giovanni

mond, va faire une brillante carrière dans la marine mar-

change alors son fusil d’épaule: il abandonne le négoce

chande. Le cadet, Jean, épaule son père. La benjamine

du poisson pour la fabrication des pâtes.

Lisette va elle se marier avec un mareyeur, Georges Azaïs

Il installe sa fabrique dans un local vouté de la grand’rue

(lire par ailleurs).

Mario-Roustan (aujourd’hui l’Office de tourisme). L’humi-

On est maintenant en 1945. Tous les fils de notre histoire


de conserverie artisanale sont prêts à être noués. Il faut

En travaillant comme des forcenés, la famille met l’affaire

pourtant encore attendre 18 ans pour qu’ils le soient

sur les rails. En deux ans le matériel est remboursé et les

complètement.

boîtes de soupe “Le Gourmand” sont désormais accom-

En 1963, Claude Polito et Georges Azaïs, qui n’ont pas

pagnées de celles de rouille sétoise. En 1966, Azaïs-

compté sur leur temps et leur énergie pour faire prospérer

Polito propose des conserves de sardines et d’anchois

leurs affaires de bouche et de négoce respectives, pen-

et lance la gamme de produits “Métier de bouche” avec

sent à assurer l’avenir de leurs fils aînés,

une concentration à 70% de la soupe qui

Jean-Claude et Ernest.

permet de faciliter le stockage.

Il reste un peu de place dans un local que

Bientôt Ernest manifeste d’autres centres

Claude Polito a eu la bonne idée d’ac-

d’intérêts et Jean-Raymond préfère se met-

quérir en 1945 à La Peyrière pour y entre-

tre à son compte. En 1970, c’est donc

poser ses stocks. Une cour et un bâtiment,

Jean-Claude Polito qui prend les rênes de

350 m2 au sol, dans l’impasse Lacan. La

l’entreprise à la fin de son service militaire.

famille l’appelle “l’enclos”. Claude y fa-

Il embauche sa première salariée (elle le

brique des ravioli depuis 1957. Georges

sera pendant 30 ans). La décennie qui com-

qui a dissous la conserverie familiale im-

mence voit les produits Azaïs-Polito se faire

plantée à Mèze à la mort de son père pense qu’il y a une opportunité pour relancer cette activité. Les beaux-frères s’entendent. Dans le peu d’espace disponible à côté de la fabrique de ravioli, on case un autoclave, une chau-

La soupe de poissons concentrée, le produit phare de la maison Azaïs-Polito

une place aussi bien chez Prisunic que chez Fauchon. Il y a maintenant des moules et des encornets farçis, de la rouille de seiche, du thon et de la seiche à la provençale, de la bouillabaisse aux poissons entiers, et de la soupe de crabes. S’y ajoute aussi la sauce

dière verticale, deux marmites, des passoires et un pres-

américaine inspirée de la recette improvisée un siècle

soir. La conserverie artisanale Azaïs-Polito est en ordre

plus tôt par le cuisinier sétois Pierre Fraise pour préparer

de bataille pour livrer sa première spécialité, la soupe de

des homards.

poissons de roche à la sétoise. La recette est on ne peut

Il n’est plus possible de fabriquer tout cela dans “l’enclos”

plus simple, c’est celle de la grand-mère : “Du poisson,

même en travaillant en maillot de bain comme il arrive

rien que du poisson”. Autant dire “secret défense”!

parfois quand le local se transforme en sauna. C’est du

Ne met pas en boîtes qui veut…

Au chapitre “Les conserves alimentaires“ du texte écrit par Christian Verlaque, assistant à la Faculté des lettres de Montpellier, et intitulé “Sète pôle

industriel pour la région LanguedocRoussillon“, on découvre les difficultés des conserveries de poissons en dépit du potentiel qu’elles représentent pour les experts du Ve Plan (1966-1970) qui allait être lancé. La société bretonne Larzul se sépare rapidement des établissements Azaïs-frères de Mèze qu’elle a repris en 1960. Elle fait une nouvelle tentative en 1963 en installant la société “La Doléanaise” dans l’ancienne usine d’électricité d’Agde. Sans plus de succès. En 1961, Joachim Coll qui a installé une conserverie dans un local du quai des Moulins emploiera jusqu’à 20 salariés,

mais fermera définitivement en 1964. Sur le même quai, un rapatrié d’Afrique du Nord, Raymond Alibert, tente à son tour d’implanter une conserverie. Ses produits sont distribués sous la marque “La Sétoise” jusqu’en 1968. D’autres rapatriés, Salsano et Apicella, s’installent en 1961 sur le quai Saint-Martin à Frontignan sous l’enseigne SALSA. Ils traient jusqu’à 220 tonnes de poissons par jour et emploient plus de trente personnes. En situation « d’équilibre instable » selon Christian Verlaque, ces entreprises seront les victimes colatérales de « l’inorganisation chronique du marché du poisson ».

25


de la croissance. En 1992, Azaïs-Polito peut ainsi aménager sur 2 000 m2 dans le nouveau Parc aquatechnique inauguré par la commune pour regrouper les métiers de la mer sur une ancienne zone de tonnellage. C’est là que sont préparés les nouveaux produits de la marque: escargots, poivres et bulots au court-bouillon. La montée en gamme se poursuit avec le label rouge at-

© Photo Azaïs-Polito

tribué en 2010 et la gamme “Premium” lancée en 2013

Jean-Claude Polito, le P-DG actuel de l’entreprise familial.

Paul Courtaux (Pézenas) et Anne Majourel (Sète) contribuent à l’élaboration des recettes. La société compte maintenant une trentaine de salariés dont une partie s’affèrent dès le petit matin dans la cuisine

côté de la Plagette que, dans les années 80, sont mis en

du local pour produire quotidiennement jusqu’à 30 000

bocaux les nouveaux produits de la maison, salade de

pots qui seront livrés aussi bien à Sète et Paris qu’à Shan-

fruits de mer et petits poulpes en marinade. La décennie

ghai ou Dubaï grâce aux commerciaux.

est difficile pour la conserverie qui doit affronter des

Bref la conserverie Azaïs-Polito, une des rares en France

concurrents qui misent sur le volume et des prix bas.

à fabriquer des spécialités de son territoire et sur son

Jean-Claude Polito ne cède pas aux sirènes de la pro-

territoire, est devenue un élément du patrimoine gastro-

ductivité et du développement frénétiques. L’entreprise

nomique sétois. Et sans doute pour longtemps : un pe-

reste sur ses fondamentaux: produits de qualité et esprit

tits-fils de Jean-Claude aurait dit : «je veux faire des petits

de famille.

pots comme papé ».

La gamme “Saveurs du Midi” avec velouté de saint-

A.G.

jacques, velouté de la mer, cassoulet de la mer, brandade

Ce texte est très largement inspiré de “La conserverie Artisanale Azaïs-Polito, Une histoire familiale de bon goût” par Véronique Britto avec Nicolas Bondil (180 pages, 22 €), livre dont le RC Sète a eu communication avant parution]

et rillettes de poissons permet de retrouver le chemin

26

pour les épiceries fines de luxe. Des chefs étoilés comme


L’aventure des senneurs

Les années thon

L

ongtemps, le thon de Méditerranée a été pê-

vigation, création de fermes d’engraissement: les arme-

ché artisanalement. Les Cettois en auraient tou-

ments de senneurs sétois étendent leur zone de pêche

tefois capturé autour de 80 tonnes par an dans

des côtes turques aux Baléares et montent en puissance.

la seconde moitié du XIXe siècle. Ces prises

Sur les 36 thoniers français de Méditerranée 20 sont armés

étaient essentiellement destinées au marché

à Sète en 2006 par d’anciennes familles d’immigrés, Aval-

local qui semblait l’apprécier. Pour preuve: quand Tous-

lone, Scanapiecco, Giordano ou Di Rosa. Les autorités

saint Roussy a peint dans les années 1890, une poisson-

européennes les soupçonnent de ne pas respecter les

nière en train d’invectiver une passante à propos de la

quotas qui leur sont attribués. Greenpeace les accuse de

fraîcheur de son poisson (“L’Arpieu”, musée Paul-Valéry),

mettre en danger l’espèce. L’opinion publique est prise à

il a mis une queue de thon sur son étal.

témoin par le WWF. En 2010 un encadrement draconien

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ce sont

de la pêche du thon rouge est mis en place. Un tiers des

autour de 500 tonnes qui sont ramenées au port, toujours

thoniers seulement peut quitter le port. Leur quota sera

essentiellement pour le marché local. Il faudra que la pê-

atteint en quelques jours. La flotte méditerranéenne se

che au lamparo soit délaissée au début des années 70

réduit à 17 unités dont 11 à Sète, à quai pendant 52 se-

pour que la pêche au thon commence à s’industrialiser et

maines sur 54. La purge est efficace: en 2017, la reconsti-

que le poisson parte à l’autre bout du monde. C’est le

tution des stocks est avérée. Elle s’accompagne d’une

moment où l’appétit des Japonais pour leur chair rouge

augmentation sensible des quotas jusqu’en 2020 avec

commence à devenir insatiable. Le déchargement des

trois senneurs de plus. Dans le même temps la pêche à la

poissons sur les quais qui attirent encore de nombreux

palangre est relancée et le produit valorisé par le label

badauds au début des années 80, ne sera bientôt qu’un

“thon rouge de ligne”. Retour sur cette aventure sétoise

lointain souvenir. Augmentation de la puissance des ba-

avec Bertrand Wendling, directeur de la SaThoAn.

teaux, sophistication des moyens de recherche et de na-

A.G.

27


T

rois espèces de gros thons pouvant peser

océanique. Il a peu de prédateurs connus, si ce n’est

jusqu’à 600 kg sont appelées thon rouge

l’orque, mais il est lui-même un prédateur vorace. Il se

en raison de la couleur de leur chair, le thon

nourrit principalement de petits poissons pélagiques (an-

rouge du Sud (thunnus maccoyii) qui est pê-

chois, sardines, harengs, lançons, sprats, maquereaux)

ché dans les trois océans de l’hémisphère

ainsi que de calamars, crevettes et crabes pélagiques. À

Sud, le thon rouge du Pacifique (thunnus orientalis) et le

l’instar de certains requins, le thon rouge est capable

thon rouge du Nord (thunnus thynnus) qu’on trouve dans

d’endothermie : il peut stabiliser sa température corpo-

l’Atlantique et en Méditerranée.

relle indépendamment de son

C’est celui-ci qui nous intéresse.

environnement et ainsi nager et

Ce thon effectue d’importantes

chasser en eaux froides ou

migrations entre les régions

chaudes (de 3 à 30°C).

froides où il se nourrit et les ré-

Le thon rouge peut vivre

gions plus chaudes dans les-

jusqu’à 40 ans ou plus. Un thon

quelles il se reproduit. A la dif-

rouge né en juin atteint 30 cm

férence des autres espèces qui

en novembre et pèse 1 kg. À

sont tropicales ou sub-tropi-

l’âge d’un an, il mesure 60 cm

cales, c’est la seule espèce qui réalise l’essentiel de son

de long et pèse 4 kg. À l’âge de 30 ans, sa longueur est

cycle de vie en eaux tempérées.

d’environ 3 m et son poids approche, en moyenne, les

Il se déplace en bancs et occupe principalement les eaux

600 kg (la littérature mentionne bien sûr la capture d’in-

de surface (entre 0 et 50 m). Les techniques modernes

dividus plus imposants). Le thon rouge devient adulte à

d’observation (marques électroniques) ont cependant

l’âge de 4 ans en Méditerranée (soit à 120 cm et 30 kg)

montré que le thon rouge peut aussi effectuer des plon-

mais à 9 ans en Atlantique Ouest (190 cm – 150 kg). Le

gées profondes (de 200 à 1000 m).

thon rouge est une espèce très féconde et une seule fe-

Le thon rouge se situe à la fin de la chaîne alimentaire

melle de 300 kg peut libérer plusieurs dizaines de millions

MONSIEuR SA.THO.AN

28

Bertrand Wendling est directeur général de la SA.THO.AN (pour sardine, thon et anchois), une organisation de producteurs qui regroupe plus de 80 professionnels de la pêche en Méditerranée et de la pêche au thon

rouge en particulier. Bertrand Wendling est originaire de la région parisienne. Il est diplômé de l’Ecole nationale supérieur agronomique de Rennes, c’est-à-dire ingénieur agronome avec une spécialisation en halieutique. Il a commencé sa carrière professionnelle comme chargé de mission pour le développement des pêcheries thonières à l’Ifremer de Tahiti. Après la Polynésie, il a gagné la Bretagne où il a été responsable qualité et développement dans le groupe Saupiquet à Le Gilvinec. Il s’installe ensuite dans les Comores, à Mayotte, comme chef du service

des pêches et de l’environnement, avant d’être nommé conseiller technique au ministère des Ressources naturelles des Seychelles dans le cadre de la coopération du ministère des Affaires étrangères. C’est en 2005 que Bertrand Wendling est choisi pour diriger la SA.THO.AN. avec deux missions: « conduite du changement dans des environnements de crise » et « accompagnement des armements de pêche dans leur décisions stratégiques et opérationnelles ». C’est le texte de la conférence qu’il a donnée le 30 novembre 2017 sur la pêche du thon rouge qui est reproduit ici avec son aimable autorisation.

© Photos DR

L’OR ROUGE


d’œufs en une seule saison de ponte. Cependant, seule une petite proportion des œufs et des larves survivra à la prédation et aux conditions environnementales défavorables. Les principales zones de ponte connues se trouvent aux Baléares, en Sicile, dans le golfe de Syrte, et à Chypre. © Photo DR

La saison de reproduction s’étale de la mi-mai à début juillet. Les études les plus récentes montrent que les adultes se reproduisent là où ils sont nés ; comportement qui implique des déplacements à grande échelle (sur

© Photo Archives départementales de l’Hérault

plusieurs milliers de kilomètres). L’abondance de thon rouge présente des variations importantes dans l’espace et le temps. Ainsi, de récentes analyses de séries temporelles de captures s’étendant sur plus de trois siècles (1600-1950) ont montré la présence de variations à long terme qui semblent résulter des variations de la température des océans. Par ailleurs, le thon rouge semble être un explorateur océanique insatiable, apparaissant et disparaissant de certaines zones géographiques distantes comme la mer de Norvège ou l’Atlantique équatorial. Les premières traces de pêche au thon rouge en Médi-

© Photo Ifremer (2002)

terranée ont été trouvées sur l’île de Chypre. Elles remontent à 7 000 ans avant notre ère. Le poisson était pris à la ligne ou avec différents types de filets encerclant, les sennes, manœuvrés du rivage. A partir du XVIe siècle, cette technique ancestrale va être supplantée par les madragues, c’est-à-dire avec un sys-

© Photo Ifremer/Olivier Barbaroux (1995)

tème de filets fixes disposés en bordure de la côte au moment de la migration pour piéger le poisson. Ces engins qui étaient associés à de véritables manufactures pour le conditionnement du poisson capturaient en moyenne 15 000 tonnes de thon rouge par an. Il y a eu des madragues sur les côtes du Portugal, de Tunisie, de Sicile, de Sardaigne, d’Italie, de France et d’Espagne. Les Espagnols appelaient cette méthode “almadraba“ (le cinéaste Carlos Velo en a fait un documentaire en 1935) et les Italiens la connaissaient sous le nom de “mattanza“ (Roberto Rossellini en a filmé une pour le film “Stromboli“ en 1950). Jusqu’au milieu du XXe siècle la quantité de thon rouge pêchée reste constante. Elle va fortement augmenter pour répondre à la demande des Japonais, grands

Traditionnellement pêché à la Madrague (gravure de 1760 et photo de 1995) le thon rouge est désormais capturé à la senne pour être conduit dans des cages d’engraissement.

29


30


amateurs de préparations de poissons crus, les sushi et

Les 8 commandements du pêcheur de thon de ligne

sashimi, qui, ayant épuisé leur stock de thon rouge du Sud, se reportent sur le thon rouge du Nord. Dans les années 60, les unités de pêche s’équipent de fortement au point que l’espèce est à son tour menacée. Il y a alors une prise de conscience internationale du problème. La Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT) qui avait été créée en 1967 et comptait les représentants de 21 pays au début des années 90 (53 actuellement), va alors établir des quotas par pays et par type de pêche. Cette réglementation, très stricte, comporte un plan de capture (quota), un plan de pêche (limitation du nombre de navires) et un plan de contrôle (VMS, observateurs, bagues, caméras, BCD). Elle a entraîné une évolution de la pêcherie. L’utilisation du filet maillant dérivant qui ne ciblait pas les espèces capturées a été interdit dans toute la Méditerranée en 2005, cette décison étant pleinement appliquée en France en 2007 où à partir de 2008, la pêche à la palangre se développe. Le comité scientifique indépendant (SCRS/ICAT) qui évalue tous les deux ans les stocks a constaté que depuis 2010 ceux-ci se reconstituaient pour être quatre fois plus importants qu’au début de la décennie. Les relevés aériens effectués depuis 2000 l’indiquent clairement.

© Photos DR

sennes tournantes et coulissantes. Les prises croissent

Pour ne plus être la pêcherie la plus décriée par des organisations de défense de l’environnement, des pêcheurs ont entrepris une démarche tendant à obtenir une écocertification sous le label “Thon rouge de ligne, pêche artisanale”. Cela comprend: • une marque collective qui identifie le thon rouge capturé, avec respect, par des pêcheurs artisans; • un engagement pour promouvoir une approche socialement responsable et biologiquement durable; • un produit issu de la “petite pêche” et de la “pêche côtière” pour des navires battant le pavillon français; • un produit pêché à l’hameçon par des navires pratiquant la palangre, la ligne ou la traîne; • une défense des identités culturelles qui placent l’Homme au centre des activités maritimes pour consolider l’emploi et le développement économique local; • une traçabilité complète et accessible au consommateur : identité du navire, fiches de capture, technique, lieu et jour de pêche; • un engagement sur la fraîcheur et la qualité irréprochable du produit, technique, lieu et jour de pêche, • un plan de contrôle qui s’assure du respect des engagements de chacun. Le cahier des charges qui en résulte est développé dans un “Guide du pêcheur responsable” édité en 2016.

En 2017, le quota de thon rouge fixé par l’ICCAT s’élevait à 22 705 tonnes dont 4 187 attribuées à la France (18,4%).

ment de cette pêche artisanale qui a réalisé un chiffre

Ce quota était réparti entre d’une part l’Atlantique

d’affaires de 4,2 millions d’euros en 2017 a été rapide: il

(418 tonnes) dont 80% pour les prises au chalut et 20%

n’y avait que 52 licences en 2011.

pour les prises à l’hameçon, et d’autre part la Méditerra-

Cette situation est sans conteste le fruit d’une prise de

née avec 3 326 tonnes capturées à la senne et 392 tonnes

conscience de la fragilité de la ressource attestée par les

à l’hameçon. La différence, 1% soit 41 tonnes, était ré-

scientifiques et dénoncée par les ONG à l’occasion de

servée à la plaisance.

campagnes de communication chocs. Le renforcement

Le thon rouge pêché à la senne tournante coulissante

des mesures de contrôle, la forte réduction des quotas

est destiné à l’embouche pour le marché japonais. La

(plus de 50%), la réduction des surcapacités de pêche

pêche à l’hameçon alimente le marché local frais.

laissent espérer avec une forte probabilité que le niveau

La flotte de thoniers senneurs française se compose de

du stock atteint en 2020 se maintiendra sinon s’améliorera

22 navires de 24 à 45 m. Les artisans qui pêchent à l’ha-

jusqu’en 2040. En tout cas les erreurs du passé semblent

meçon sont au nombre de 107 (82 palangriers, 20

avoir été corrigées durablement.

cannes-lignes, 2 palangriers hauturiers). Le développe-

BERTRAND WENDLING

31


Juin 2010

© Photo Nicolas Chauveau/Greenpeace

Greenpeace cible la flotte Avallone

F

ondée en 1971 par deux activistes anti-nu-

internationale pour la conservation des thonidés de l’At-

cléaires américains, Jim Bohlen et Irving

lantique) soit à la hauteur du problème.

Stowe, l’organisation non gouvernementale

En 2010, elle lance une série d’opérations spectaculaires

(ONG) Greenpeace s’est spécialisée dans les

après s’être indignée du rejet de la proposition d’inter-

actions spectaculaires en faveur de la défense

diction de la commercialisation du thon rouge soumise

de l’environnement et de la biodiversité. La succursale française de

merce international des es-

l’organisation a commencé

pèces de faune et de flore

à s’intéresser au thon

sauvages menacées d’ex-

rouge en 2006. Dans un

tinction) lors de la Confé-

rapport, elle estime en ef-

rence de Doha (Qatar) en

fet que l’espèce est grave-

mars.

ment menacée en raison

La première a lieu à Sète

notamment de la forte de-

le 12 mai. Trois jours avant

mande japonaise et elle

l’ouverture de la campa-

conteste que la règle-

32

aux états membres de la Cites (Convention sur le com-

gne de pêche, une vingAprès s’être développées dans les années 70, les captures de thon mentation mise en place taine de militants en rouge de méditerranée ont culminé au début des années 90, puis pour préserver la ressource se sont stabilisées (30 000 t) pendant 10 ans avant d’être kayaks encerclent trois bâpar l’ICCAT (Commission drastiquement contrôlées depuis 2010 (12 000 t). timents de l’armement


© Photos DR

L’EFFET PANDA Mars 2011, l’agence de communication Ogilvy crée pour le WWF une campagne de publicité choc en faveur du thon rouge de Méditerranée. L’idée est que même si un poisson est moins glamour qu’un panda, sa cause n’est pas moins importante que celle du gorille ou du rhinocéros. “BONNE PRATIquE” un guide du pêcheur responsable a été édité par l’association France filière pêche, la région Occitanie et les départements de l’Hérault et des PO pour réduire la mortalité des espèces sensibles lors de la pêche à la palangre.

LA COLèRE DES ANCIENS MATELOTS une trentaine d’anciens matelots qui avaient embarqué sur des thoniers dans les années 70-80 ont incendié le 20 mai 2010 des pneus devant les locaux des Affaires maritimes, quai François-Maillol. Ils entendaient protester contre la faiblesse de leur retraite liée au fait qu’ils n’avaient pas été inscrits sur le rôle des bateaux sur lesquels ils avaient embarqué. Avallone et déploient une banderole sur laquelle est écrit

L’opération échoue après que “l’Arctic Sunrise” ait été

en noir sur fond jaune « Thon rouge : liquidation totale

percuté par un senneur venu protéger le remorqueur. Le

avant fermeture ? ».

13 juin la même tentative échoue en raison de l’inter-

Le 16 mai, en plein Festival de cinéma de Cannes, une

vention de la marine maltaise.

dizaine de militants plantent sur une plage de la Croisette

En octobre, une “thon mobile” (Austin Mini surmontée

des arrêtes de queues de thon métalliques qui font

d’un gros thon en polystyrène et équipée d’un méga-

comme les croix d’un cimetière. Ils tendent une banderole

phone) file le ministre de l’Agriculture et de la Pêche,

« Bluefin Tuna : The End? » (Thon rouge: la fin?) et dé-

Bruno Le Maire, pour lui remettre une pétition en faveur

cernent “le prix du pire scénario” à la Cites.

de l’interdiction de la pêche du thon rouge. La conférence

Le 18 mai, le bateau amiral de Greenpeace, le “Rainbow

de l’ICCAT qui se tient en novembre à Paris réduit dras-

Warrior” quitte le port de La Valette (Malte) pour se

tiquement les quotas de pêche et renforce les contrôles

rendre sur les zones de pêche en Méditerranée où la campagne a débuté. Il est rejoint par un second navire, “l’Artic Sunrise”. Le 4 juin, à 62 milles au large de Malte, des militants sur des Zodiac tentent de

La première opération “coup de poing” de Greenpeace pour la libération des thons a eu lieu à Sète

des thoniers. Estimant n’avoir eu que partiellement satisfaction, Greenpeace continue à publier des communiqués dénonçant la pêche industrielle et la fragilité de la reconstitution des stocks.

libérer les thons en jetant des sacs de sable sur les flot-

Devant le tribunal correctionnel de Montpellier où l’or-

teurs du filet dans lequel ils sont pris. La cible de l’ONG

ganisation est poursuivie en janvier 2013 pour la dégra-

est le “Jean-Marie Christian VI” de l’armement Jean-

dation des filets des senneurs sétois, elle conteste « la

Marie Avallone. Un caméraman de l’ONG filme l’opéra-

légitimité des règles de pêche qui ont failli conduire à la

tion à partir d’un hélicoptère. Les pêcheurs reçoivent

disparition du thon rouge » pour justifier son action et

l’aide d’autres thoniers. Au cours de l’affrontement un

obtenir l’acquitement. Les juges préfèrent suivre les ré-

activiste photographe britannique, Frank Huston, est

quisitions du procureur de la République et infliger 10 000

blessé à une jambe. Les activistes parviennent néanmoins

euros d’amende (dont 5 000 avec sursis) à l’ONG ainsi

à couper des filets qui coulent.

que 5 000 euros d’amende (dont 2 500 avec sursis) à

Trois jours après, nouvelle tentative de libération de thons

deux responsables britanniques de l’organisation.

qui sont en remorque vers une ferme d’engraissement.

A.G.

33


1971-2006

© Photo Thierry Boulley

Francis Nocca, grand témoin

A

34

vant l’élection présidentielle de 2017, des

teau. Ensuite son patron passe au filet tournant avec le

journalistes du “Monde” sont allés à la

lamparo pour la sardine et la seinchole pour le thon avant

rencontre de Français en leur demandant

d’armer son premier thonier, le “Jean-Marie Christian III”.

s’ils étaient heureux. Un Sétois l’était: Fran-

Francis Nocca passe alors matelot sur le “Bernadette”,

cis Nocca. Heureux, cet ancien patron pê-

un chalutier en bois commandé au chantier Marc Aversa

cheur reconverti en conservateur d’un chalutier, proclame

de la Plagette par son père qui s’est associé avec deux

l’être pleinement. Il a pourtant passé sa vie à affronter les

de ses beaux-frères. Le bateau est équipé d’un moteur

tempêtes.

Baudouin DNP 6 qui sera ultérieurement remplacé sur un

Francis Nocca est né dans une famille de pêcheurs établie

chantier du Grau-du-Roi par un 12 cylindres de 360 CV.

au Souras. Du côté maternel, sa famille est originaire de

Le poisson est livré à la criée en bois que vient de monter

Cetara, du côté paternel de Gaète. Le père, Louis, est

Georges Azaïs (lire par ailleurs).

matelot. A 13 ans, Francis embarque lui aussi.

A 18 ans, Francis Nocca passe par le lycée de la Mer

Son patron est Jean-Marie Avallone qui possède alors un

pour obtenir les diplômes de capacitaire puis de motoriste

chalutier d’une dizaine de mètres propulsé par un moteur

qui doivent lui permettre de se mettre à son compte. Au

de 120 CV. Le chalut est encore tracté sur le côté du ba-

retour du service militaire, il a toutefois une alternative:


© Archives Nocca

Après avoir fait construire le “Bernadette II“, premier chalutier en polyester par le chantier André Allègre de la Plagette, les Nocca complètent leur armement avec un chalutier qui sera le plus gros du port et qui portera le nom de leur père, “Louis Nocca”. se mettre à son compte ou reprendre les parts de ses on-

Dans le poste de pilotage, alignés de gauche à droite, un

cles dans l’affaire de son père.

sondeur pour suivre la position du banc de poissons par

C’est la deuxième solution qui est retenue. Le “Berna-

rapport au chalut, un radar pour déterminer la position

dette” sera vendu à des pêcheurs algériens quand le

des bateaux alentour et rentrer au port dans le brouillard,

chantier André Allègre mettra à l’eau le “Bernadette II”,

un sonar pour identifier les bancs de poissons dans un

premier chalutier en polyester à Sète. Il mesure 24 m, est

rayon de 2 km. Trois manettes permettent de manœuvrer

propulsé par un moteur de 430 CV. Cinq puis six hommes

au millimètre le bateau en actionnant l’hélice d’étrave.

travaillent à bord.

Une table traçante, un pilote automatique, un GPS et

En 1993, Francis Nocca est associé avec son frère Jean-

plusieurs types de radio complètent l’équipement du ba-

Marie qui commande lui un chalutier en bois, le “Notre

teau. D’un coup de chalut, on peut remonter jusqu’à 19

Dame de Lourdes”. On est dans les années fastes du

tonnes de poissons.

poisson bleu. Les frères vendent le chalutier en bois pour

Francis Nocca se lève à 2 heures le matin et part en mer

acheter le “Louis Nocca”. C’est le plus beau et le plus

pour lancer son filet lesté avec des plaques d’acier pesant

gros chalutier du port.

800 kg chacune que la houle fait dangereusement balan-

Sous le pont, un moteur Deutz de 1 800 CV qui

cer. Il rentre rarement avant 17 heures. C’est pour enchaî-

consomme 250 litres de gasoil à l’heure à une vitesse de

ner les réunions. A la prud’hommie du port où il siège

croisière de 14 nœuds (26 km/h). L’engin vaut « une for-

avec Jean-Marie Avallone et Raphaël Scannapieco. A la

tune ». Francis Nocca explique que dans la cale la tem-

coopérative Sa.Tho.An. dont il est membre fondateur et

pérature peut monter jusqu’à 60° pendant la saison

trésorier pendant 15 ans.

chaude, mettant rudement à l’épreuve les organismes

Quand un infarctus lui interdit de reprendre la mer, il laisse

des marins qui doivent aussi supporter l’odeur du gasoil

la barre à son cousin Jean-Louis et devient armateur. Les

et les mouvements de la mer. Pour démarrer le moteur

années fastes sont terminées. Francis Nocca perd ses pa-

principal, se trouve juste derrière un groupe électrogène

rents, reprend les parts de son frère. En 2006, le gasoil

de 120 CV qui produit 120 KW nécessaire pour fabriquer

est devenu trop cher, les sardines et les anchois trop rares.

la glace et faire marcher le frigo et la pompe de secours.

« Les matelots gagnaient 50 euros par semaine ».

PELER LES CHATTES «Je suis comme bien d’autres ici, issu et au cœur d’une famille de pêcheurs. Mon père, mon frère, mes neveux le sont. Nous sommes

un certain nombre à avoir commencé en “pelant les chattes”, c’est-à-dire les roussettes, pour les petits poissonniers, ça nous faisant un peu d’argent de poche. C’était dans les années 1965, j’avais treize ans.

Pour la petite histoire, les roussettes, qui à l’époque ne valaient rien, se vendent maintenant au prix du merlan.» (extrait du témoignage de Francis Nocca paru dans “Pied marin, pied à terre”)

35


1973: Le tourisme ou la pêche?

La “Vague” géante en briques de verre, une œuvre de Jean-Michel Othoniel exposée en 2017 au CRAC.

L’art contemporain dans un congélateur Les œuvres présentées au Centre régional d’art contemporains (Crac) de Sète glacent parfois d’effroi les visiteurs qui se sont aventurés dans le bâtiment du quai Aspirant-Herber. Ce n’est pas complètement surprenant puisque jusqu’à sa réhabilitation en 1993 par l’architecte Lorenzo Piqueras, il abritait… un centre de congélation du poisson. Voulu par la Chambre de commerce dont le président est Léopold Suquet (18931979), le bâtiment a été édifié en 1971. «Avec le congélateur, il n’y aura plus de problème pour la sardine» affirme donc M. Anselme, président du syndicat des lamparos (Bulletin de la CCI avril 1973). Hélas les sardines viendront à se faire rares. Cinq ans après son ouverture le centre de congélation devait compenser les fluctuations des campagnes sardinières en traitant de la volaille du Gers, de l’Ariège et de Bretagne et en produisant de la glace en été pour les campings. Le centre allait également traiter des quantités importante de poulpe (exporté en suite en Italie) et de thon. En novembre 1976, la CCI pouvait ainsi conclure un contrat avec la société japonaise Kawakami pour la livraison de 400 tonnes de thon congelé par an. Et dans son bulletin n°11 de décembre 1977-janvier 1978, elle signalait que «le navire japonais “Miho Maru” avait embarqué le 22 novembre au quai d’Alger à Sète, 120 tonnes de thon rouge de Méditerranée à destination du Japon ». Cette piste-là s’arrêtera lorsque les thons commenceront à être engraissés en mer pour être congelés à bord des bateaux nippons. Bref faute de sardine et de thon, maintenir l’emploi d’une dizaine de personnes allait être de plus en plus délicat et le changement de destination du bâtiment est devenu inévitable.

En mars 1973, Bernard Baraillé, figure du journalisme local, anime à la CCI une table ronde sur la pêche. Parmi les intervenants, M. Petone, président du Syndicat des chalutiers. La criée ? « Je ne dirai pas qu’elle est mal gérée parce que M. Panore (directeur de la criée) est là. Il le prendrait peut-être de haut. Mais je pense qu’il y a des modifications à faire. La criée est bien gérée dans un sens mais elle est mal organisée. Dans n’importe quel port où j’ai vu une criée, le pêcheur entre son poisson et puis c’est fini, personne aucun étranger ne rentre. A Sète, ça va, ça vient… chacun fait ce qu’il veut. Pour moi c’est intolérable! » Le port ? « On a grandi le port de commerce, c’est très bien ça rapporte à la ville et à la CCI. Mais nous l’été on ne peut même pas étendre nos filets. Nous sommes envahis par les touristes (…). L’année dernière, mon beau-frère, Pascal, a failli se battre avec un Parisien. Les faits sont authentiques: le Parisien gare sa voiture sur le quai; Pascal lui demande de déplacer la voiture pour qu’il puisse continuer à réparer les filets; vous savez ce que lui a répondu le Parisien? “ll n’y a pas de panneau interdisant de stationner, je reste”. Et il est resté! » La ressource ? « Ne croyez-vous pas M. Bonnet qu’il serait rentable, un jour de s’arrêter pour laisser reproduire ? » Question posée après que le chef du service océanographique du Laboratoire de Sète a souligné l’augmentation de la puissance motrice des bateaux et la baisse des prises par CV: 400 kg par an et par CV en 1959 pour 10 000 CV chalutés; 125 kg par an et par CV en 1972 pour plus de 40 000 CV chalutés. (Extrait du compte rendu de la table ronde sur la pêche publié dans le bulletin d’avril 1973 de la CCI)

1976: 10 MO DE MéMOIRE

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Dotée d’un équipement électronique de pointe lors de sa création en 1969, la Criée de Sète doit suivre l’évolution frénétique de l’informatique. En 1976 elle passe donc des cartes perforées au disque mémoire. Pour être à même de traiter en moins de 4 heures 138 qualités de poissons réparties en près de 2 000 lots offerts à quelque 180 acheteurs, la CCI investit ainsi dans un ordinateur Mitra 15 dont la mémoire est de… 10 millions d’octets (10 Mo: pas de quoi faire marcher le plus petit des téléphones portables vendu à la fin du XXe siècle). « Les pêcheurs disposent là d’un outils moderne qui a réglé le problème de la commercialisation du poisson de chalut » lit-on alors dans son bulletin.


de 800 kg qui doivent le tenir au fond et ouvert sont immergés. Pendant 3 heures, le bateau avance à 3 nœuds (5,5 km/h). Les matelots peuvent aller se reposer. Retour sur le pont des matelots et remontée du filet, 7 heures du matin. Le poisson est déversé sur le pont et le chalut est aussitôt remis à l’eau. Les prises sont triées dans des cagettes, par espèce, taille et qualité, rincées et mise en chambre froide sans être éviscérées. Remontée du deuxième trait de chalut, 11 heures. Les matelots qui se sont reposés après la première remontée, recommencent les mêmes opérations. Quand ils ont terminés ils se serrent dans le carré pour avaler le repas que leur a préparé le patron. Si la pêche a été bonne, l’équipage peut penser au retour. Sinon c’est parti pour un © Photo Thierry Boulley

troisième trait de chalut. Retour vers la criée, 15 heures dans le meilleur des cas (le poisson pourra alors être acheté pour l’exportation), 17 heures dans le cas contraire (la vente risque d’être moins bonne). Francis Nocca pense que les hommes qui mènent cette Le “Bernadette II” est vendu à un armement de Port-

vie méritent une médaille: «ce sont des guerriers». Et ils

Saint-Louis-du-Rhône. Le “Louis Nocca” profite du plan

ne sont plus très nombreux sur le champ de bataille: de

de sortie de pêche proposé par l’Europe. Entre le déchi-

35 le nombre de chalutiers est passé à 14 en 10 ans et le

rage du bateau, sa transformation en unité de plaisance

nombre de jours de mer de 250 à 200. Francis Nocca est

ou en bateau de charge, Francis Nocca choisit la troisième

comme une synthèse vivante de cette destinée des pê-

solution. Cela doit lui permettre de le revendre 5 ans plus

cheurs sétois: partir de presque rien puis connaître une

tard. Quand le moment arrive, les règles ont changé: plus

développement fulgurant jusqu’à ce que le poisson se

possible de vendre en dehors de l’Europe où le bateau

fasse plus rare et que le déclin s’amorce.

ne vaut plus rien.

A.G.

Francis Nocca crée une association. Le “Louis Nocca” devient un musée flottant de la pêche lors de l’édition 2016 d’Escale à Sète. Un cartel expose ce qu’a été pendant 35 ans la vie des équipages de chalutiers. Réveil, 2 heures du matin. Chargement des bacs de glace et vérification des filets. Détermination de la zone de pêche en fonction des cours du poisson à la criée. Départ du port et cap sur la zone de pêche, 3 heures du matin. Naguère, le patron s’orientait avec le compas et les étoiles (quand il les voyait). Désormais les bateaux sont équipés des technologies de pointes pour déterminer leur position, tenir le cap vers la zone de pêche, sonder les fonds. Arrivée sur la zone de pêche et calage des filets, 4 heures du matin. Les treuils sont actionnés, le chalut déroulé manuellement sur 300 m pour éviter les nœuds, les panneaux

Du lamparo à la pêche au thon Fin 1976, la pêche au chalut emploie 375 patrons et matelots et la pêche à la senne 200 patrons et matelots. Sur le total des senneurs, une quinzaine pratique le lamparo. Cette pêche saisonnière (mars-avril puis octobre novembre) subit de nombreux aléas liés aux conditions climatiques et aux migrations du poisson. Les apports du lamparo à la criée qui sont de 1 700 tonnes en 1974 montent à 2 500 tonnes en 1975 pour replonger l’année suivante à 1 800 tonnes. Le chiffre d’affaires suit le même mouvement : 2,4 millions de F en 1974, 4 millions en 1975, 3,1 millions de F en 1976. Dans son bulletin de septembre 1977, la CCI qui a collecté ces chiffres note: « Les fluctuations saisonnières, la “concurrence” des chalutiers et les charges financières n’incitent guère à la pratique mais plutôt à une certaine désaffection. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à se reconvertir à la pêche au thon ».

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La pêche aujourd’hui

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© Photos Thierry Boulley

© Photo SMBT

Du chalut à l’étal


© Photo Thierry Boulley

A

u cours des trois derniers mois de 2017, le

de seconde en seconde jusqu’à ce qu’un acheteur appuie

nombre de chalutiers qui ont vendu le pro-

sur le bouton de sa télécommande pour se voir attribuer

duit de leur pêche à la criée de Sète était

le produit. Si plusieurs acheteurs veulent un lot au même

de 18. Fin 2018, ils devraient être 20, ar-

prix (on parle alors de “collision”), l’enchère devient mon-

més par des Sétois. Signe que la page des

tante (le prix remonte).

années noires 2010-2011 (flambée du prix du gasoil, dé-

Environ 2 200 lots sont ainsi vendus par jour de criée.

chirage d’un tiers des chalutiers sétois, naufrage de ba-

Les acheteurs étaient au nombre d’une centaine en 2017:

teaux) est définitivement tournée? En 2016, 14 chalutiers

18 mareyeurs et quelques 90 poissonniers.

étaient enregistrés à la criée et 28 petits métiers.

Les mareyeurs ont également la possibilité d’acheter des

Le tonnage apporté à la criée par les chalutiers et les pe-

palettes d’une centaine de kilos lors des prises impor-

tits métiers est sensiblement inférieur à celui des années

tantes d’une seule et même espèce de poissons péla-

80 (près de 10 000 tonnes toutes pêches confondues).

giques. Les achats peuvent aussi être programmés, soit

Le port ne s’en maintient pas moins à la première place

en temps réel (l’acheteur propose un prix pour un lot qui

des ports de pêche français de Méditerranée avec des

va être présenté à la vente), soit en temps différé (l’ache-

apports supérieurs à 2 300 tonnes par an qui ont généré

teur définit à l’avance les espèces, les poids et les qualités

en 2017 un chiffre d’affaires de 11,6 millions d’euros (soit

en provenance d’un bateau).

un prix moyen du kg de 5,02 euros). La gamme de produits proposée est étendue: anguilles, crabes verts, seiches, encornets, poulpes, anchois, baudroies, sardines, rascasses, sars, loups, dorades… Le nombre de jours au cours desquels une criée à lieu est de l’ordre de 240 par an. Les poissons sont vendus par lots contenus dans des bacs de 30 litres aux enchères descendantes (dites hollandaises). A la cadence de 700 par heures, les lots sont présentés aux acheteurs sur un écran électronique où sont indiqués le nom du navire, l’espèce, la taille, la qualité, le jour de pêche, et le prix de départ. Quand un lot est mis en vente, le prix diminue

uN TOIT EN AILE DE MOuETTE Pour faire construire la criée, la Chambre de commerce a fait appel à l’architecte Jean Le Couteur qui avait été l’urbaniste et l’architecte en chef de la station balnéaire du Cap d’Agde, issue du projet interministériel décidé par le général de Gaulle pour l’aménagement du littoral du LanguedocRoussillon. C’est donc un bâtiment en béton dont le toit s’inspirerait de l’envol d’une mouette qui a été édifiée en 1966 à l’emplacement de l’ancienne Santé. Il a été question de déplacer la criée (autrement dit de raser le bâtiment) au début des années 2000 mais le projet est resté dans les cartons. Pour être aux normes européennes, la criée a ainsi dû faire l’objet d’importants aménagements.

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© Photos Thierry Boulley

Jean-Louis : une vie de “petit métier”

Ce matin, Jean-Louis Lambert a remonté de belles dorades. Elles se sont prises en quantité dans le filet qu’il avait posé la veille au soir. « En ce moment elles tournent pas loin dans l’attente du moment où elles vont rentrer dans l’étang ». Une partie de ces dorades font le bonheur des habitués du quai de la Consigne qui attendent avec gourmandise son retour au port vers 9 heures. Le reste part à la criée. Jean-Louis Lambert fait partie de la soixantaine de petits métiers qui sont inscrit à Sète. Aussi loin qu’il s’en souvienne (il a franchi la barre des 60 ans), il y a toujours eu des pêcheurs dans sa famille. Lui a commencé en plongeant pour ramasser la graine de moule pour les parqueurs. Puis il est devenu parqueur lui-même sur l’étang et en mer. Jusqu’à ce qu’il n’ait plus

de goût pour cette activité, il y a une quinzaine d’années. Depuis il pêche donc avec son fils ainé, Matthieu. Leur bateau, le “Matthieu-Morgan”, fait 8,50 m de long, il est propulsé par deux moteurs de 150 CV. Quand la mer le permet, ils partent vers 18 heures mouiller des filets qui mesurent de 300 à 400 m de long sur 3 à 5 m de haut à une demi-heure du port. Ils les relèvent à l’aube et rapportent au port de 20 à 500 kg de poissons. « On a nos coins, mais la pêche c’est ça, on ne sait jamais si le poisson sera là. » Il y en a pourtant, des dorades, des pajots, des sars, bientôt des seiches et des rougets, à partir de mai des cigales. Il peut en parler des heures. Comme il peut chanter des heures le répertoire de Brassens avec un petit groupe de copains.

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© Photo Service communication Ville de Sète

Les traditions ancestrales de la pêche

Le Grand Pardon de la Saint-Pierre

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Le Galiléen Simon, pêcheur à Capharnaüm sur les bords du lac de Tibériade, a pris le nom de Pierre lorsque Jésus de Nazareth lui a demandé de le suivre. Devenu un apôtre de celui qui sera crucifié, Pierre sera le premier pape de l’Église chrétienne et, dans la tradition catholique, le saint patron des pêcheurs. Dans le calendrier grégorien, Pierre est fêté le 29 juin. Les pêcheurs sétois lui consacrent eux quatre jours de festivités, autant religieuses que païennes, le premier week-end de juillet, le Grand Pardon. Tout commence le vendredi soir

par une procession. Six pêcheurs sélectionnés pour leur carrure portent sur leurs épaules la statue du Saint (pesant 300 kg) entre l’Eglise des Pénitents et la Décanale Saint-Louis en prenant garde de ne pas basculer lorsqu’ils grimpent en courant les marches qui conduisent au parvis. Elle y reste jusqu’au dimanche matin. Après la bénédiction des gens de mer par l’archevêque de Montpellier, la statue, fleurie de glaïeuls, est transportée en procession encore jusqu’à la criée où elle est embarquée sur un chalutier pour la cérémonie du dépôt de gerbe en mer. Dans un « ordonnancement tout à fait sétois »,

thoniers, chalutiers, barques des petits métiers, plaisanciers de toutes tailles sortent alors du port pour l’adieu aux pêcheurs morts dans l’année. La mer est couverte d’un tapis de fleurs quand la flottille rentre au port. La fête se prolonge jusqu’au lundi sur les quais de la Marine et de la Consigne transformés en mini luna-park. Les enfants, fillettes en habits traditionnels, garçonnets en marinière, participent largement à ce qui est aussi une fête familiale ponctuée par des joutes, des apéros, un loto, une paëlla géante et bien sûr des fanfares.


LES EX-VOTO Sète est une ville de pêcheurs, de marins. Dans toutes ces villes il y a une culture des ex-voto, ces « peintures ou objets symboliques déposés dans une église à la suite d’un vœu ou en remerciement d’une grâce obtenue » selon dictionnaire “Larousse”. La chapelle au sommet du mont SaintClair en contient de nombreux. Gérard

Réthoré a raconté l’histoire de l’un d’eux au cours d’une conférence donnée en 2011. Elle lui a été rapportée par un des témoins directs du drame qui eu lieu au cours du terrible hiver 1941. « Le 2 janvier 1941, il fait très froid. Ce jour là, le “Joseph-François”, bateau de la famille Nocca, quitte le port malgré le mistral et un temps bouché avec une température bien au-dessous de zéro. Le bateau est un ancien bateau-bœuf sur lequel a été installé un moteur de voiture dont l’arbre est relié à celui de l’hélice par un cardan. Est-ce ce modernisme qui a donné confiance au patron pêcheur qui prend la mer malgré les mauvaises conditions ? Bref arrivé au large le mistral se renforce, la neige se met à tomber et… le cardan qui relie le moteur à l’arbre de l’hélice se rompt. Le bateau devient incontrôlable. L’équipage doit s’attacher pour ne pas

être jeté par-dessus bord. Le bateau va alors dériver pendant six jours. C’est le soir du sixième jour que le marin qui était de quart a crié « Montez vite, j’ai vu un fanal ! » Avec le crachin et la neige, on ne voyait pas grand-chose, mais oui, c’était un phare. Aux éclats ils reconnaissent le phare de Sète ! Doucement le bateau avançait pour rentrer au port, mais déjà le bruit de la gare et d’un train leur confirmait qu’ils rentraient à la maison. Quand ils ont débarqué, la première des choses c’est de boire à la fontaine, au coin de la rue des marins, l’eau était glacée, mais personne ne pouvait s’arrêter ! « Et maintenant, a dit le père, nous montons à Saint-Clair ! Tout de suite !» Et malgré la nuit, la fatigue, la neige… Et après, chaque année, ce jour-là, ils n’allaient plus à la mer mais à la messe dans la chapelle.

La rame, un sport issu de la pêche

un sport est l’héritier d’une tradition de la pêche

en Méditerranée : la rame traditionnelle. Pratiquée sur des pointus (en Provence et dans le Languedoc) ou des llaguts (dans le Roussillon), elle organise la confrontation des équipages de six rameurs (six hommes, six femmes ou 3 femmes et 3 hommes) lors de sprints qui rappellent ceux que disputaient

les pêcheurs pour être les premiers à vendre leurs poissons et en obtenir ainsi un meilleur prix. Le premier club de rame traditionnelle, Cettarames, a été fondé en 1994. Ses barques sont amarrées devant l’ancien palais consulaire. Un second club s’est créé en 2016, Occitarame. Ses barques sont au coin du quai Léopold-Suquet et du pont de la Civette.

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L'étang ou le temps sus

L’

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étang ! Tout commence

sées par la période gallo-romaine au

maine sinon que la peste et les bar-

ici, dans cette lagune

Barrou sont beaucoup plus impor-

bares s’invitèrent souvent sur les ri-

qui se forme au fil des

tantes. Là les fouilles archéologiques

vages de la région.

siècles entre l’antique ri-

ont permis de mettre au jour de nom-

Au Moyen-âge, l’étang passa sous le

vage et le rocher de

breux bassins vraisemblablement

contrôle des évêques d’Agde qui dé-

Cette. Sans doute un bon millier d’an-

construits pour mettre en saumure le

finirent très précisément les droits de

nées avant que les Romains ne vien-

poisson ou servir de vivier. Les habi-

pêche. Avec le souci de préserver “la

nent coloniser la région.

tants utilisaient diverses sortes d’ha-

richesse” de l’étang, ils interdirent no-

Sous deux mètres d’eau a été décou-

meçons, des poids en céramique ou

tamment l’utilisation des “ganguils”

vert à la Fangade, c’est-à-dire à quel-

en plomb pour les filets qui étaient

qui sont traînés sur le fonds avec des

ques encablures de la Plagette

remaillés avec des navettes de

boulets de fer. Ils autorisèrent en re-

actuelle, les vestiges (pieux, céra-

bronze. Et ils envoyaient le produit

vanche les “maniguières”, ces postes

miques, arêtes…) d’une citée lacustre

de leur pêche loin dans l’arrière pays.

de pêche fixes dont les filets tendus

construite par une peuplade de la fin

Cette activité s’est prolongée jusqu’au

entre des pieux enfoncés dans le fond

de l’âge de Bronze qui se nourrissait

V siècle.

conduisaient le poisson dans des

essentiellement avec les coquillages

Il ne dût pas y avoir de grands chan-

nasses. Il y en aura sur tous les bords

et les poissons pêchés dans l’étang.

gements au cours des siècles qui sui-

de l’étang lors de la fondation de

Les traces de cette même activité lais-

virent la fin de la période gallo-ro-

Sète. Elles assuraient des prises

e


pendu

fructueuses de muges, de loups, de daurades et d’anguilles. Le cadre, juridique et technique, était donné d’une pêche qui, pendant plus de trois siècles, n’en sortira qu’à la marge, sinon pour s’adapter à la motorisation et la mécanisation. Il suffit pour s’en convaincre d’aller se promener à la Pointe Courte, à l’extrémité du Barrou ou bien le long du chenal du Pont Levis, là où sont implantés

© Photo Thierry Boulley

Fouine, salabre, négafol J’ai découvert le “négafol” à l’occasion d’une partie de pêche dans les années 60. J’avais alors une vingtaine d’années et j’étais avide de découvrir Sète, ainsi que la vie et la manière d’être des Sétois, aussi quand un de mes amis, André, pilote du port dont la jeunesse s’était écoulée dans le quartier du Pont-Levis m’invita un jour à la pêche c’est avec le plus grand plaisir que j’acceptais. Il faisait beau, pas de vent ce qui était essentiel d’après mon ami, (je le compris par la suite). Assis dans une nacelle nous remorquions une petite embarcation dont les bords avaient environ 40 cm de hauteur, et sa largeur 90 cm. Le fameux négafol ! Arrivés sur les “tocs”, bords de l’étang où la profondeur ne dépasse pas 1 mètre, mon ami me montra ses équipements, la fouine, longue perche terminée par un trident, et une grande boîte de conserve ronde dont le fond avait été remplacé par une vitre au joint imperméabilisé, ce qui permettait d’observer le fond de l’eau allongé sur le bateau. Il m’invita à le rejoindre sur le négafol me recommandant la prudence ce qui était superflu car dès que mes pieds se posèrent dans le frêle esquif, je recherchais vite la position allongée pour éviter tout incident. André déplaçait l’embarcation en plantant la fouine dans le sable tout en observant le fond de l’étang avec sa boîte. Allongé à l’autre extrémité du négafol, j’observais moi aussi le fond avec une boîte sans participer au déplacement du bateau et j’écoutais les explications de mon ami. Du sable, des herbes dont les tiges ondulaient au gré des courants, parfois un petit crabe, des coquilles… Tout à coup André me dit «regarde, un trafic !» et il me fait comprendre que les soles, se posant sur le fond laissent des traces discrètes avant de se recouvrir de sable avec leurs nageoires pour se camoufler, et, au bout du trafic, avec l’expérience on peut distinguer les yeux du poisson et parfois le dessin de l’extrémité de la tête. Evidemment, malgré la description d’André je ne voyais rien. un coup de fouine et une petite sole remuait au bout du trident. Je me promettais d’être plus attentif à la prochaine alerte ! Et rapidement André signalait un autre trafic, il n’était pas question de me le montrer avec le bout de la perche, la sole méfiante se serait enfuie, mais en me décrivant l’herbier où elle se trouvait je distinguais le fameux trafic et au bout le poisson, qui fut vite remonté dans l’embarcation. Notre pêche prenait l’allure de la pêche miraculeuse, jusqu’au moment ou André rejoignit la nacelle pour prendre son salabre (1) et ramasser des caramotes (2). Je restais donc seul à bord du négafol pour continuer notre pêche. Bien sûr le rythme des prises avait changé, mais l’expérience commençait à venir, le coup de fouine était plus précis, la recherche des trafics plus efficace, si bien que captivé par l’action, même la position inconfortable sur ce barquet de bois était oubliée. Vers midi ce fut le retour au Pont-Levis et je rentrai tout fier avec ma pêche à la maison. GÉRARD RÉTHORÉ 1 - salabre : filet fixé sur un cadre de bois triangulaire avec un manche qui permet de le faire glisser sur le fond en le poussant devant soi. Ce que le pêcheur ramasse est déposé sur la barque et trié, on rejette herbes et algues dans lesquelles se cachent les caramotes. 2- caramotes : ce sont les petites crevettes de l’étang, qui vivent dans les herbiers sur les hauts fonds.

les Sétois inscrits pour la pêche à l’étang: des barques à fond plat, des filets droits aux mailles plus ou moins serrées, des pieux, des nasses… C’était encore à la rame qu’on allait “caler” puis “lever” tout cela il y a moins de deux générations.

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© Photo SMBT

Les anguilles dans les triangles de Thau

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La pêche des anguilles, vertes ou argentées, est autorisée de la mi-septembre à la mi-février dans l’étang de Thau. Durant cette période, le promeneur qui flâne sur les berges peut apercevoir, émergeant de l’eau, la tête de centaines de pieux de châtaignier reliés entre eux par les flotteurs de filets à mailles “seigues” (serrées) et disposés selon une géométrie savante que les spécialistes appellent “manillères” (trois nasses au bout d’une paradière de 20 brasses) ou “triangles” (sept nasses au bout d’une paradière de cinquante brasses). Naguère consommées localement grillées ou en bourride, les anguilles ont pratiquement disparu des étals régionaux. Elles sont devenues un produit d’exportation vers les pays du Nord ou l’Italie où elles restent très prisées. Les trois mareyeurs spécialisés en Languedoc en écoulent encore près de trois cents tonnes par an. Dans “Pieds marin, pied à terre” (2003) Denis Moreno, qui s’est lancé dans cette pêche en 1987 après avoir été entrepreneur en maçonnerie et qui a été élu prud’homme major de l’étang de Thau, témoigne: « Certains endroits meilleurs que d’autres sont connus par les anciens depuis des générations. Cependant tous sont répertoriés et chaque année au printemps les cinq prud’homies de

l’étang procèdent au “tirage aux postes”, ou tirage au sort. Les pêcheurs de chaque prud’homie, en possession de leur licence et désireux de pratiquer le triangle, se réunissent et tirent au sort les postes à occuper, tous au même prix. Ils sont attribués du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante. Sur l’étang il y a environ soixante personnes qui tirent aux postes. Les pêcheurs prennent le nombre de postes qu’ils veulent. En 2003, j’en ai pris onze. Comme la plupart des pêcheurs sont polyvalents, ils n’en prennent que cinq ou six. Sur Marseillan nous sommes trois aux triangles et sur tout l’étang nous devons être une vingtaine. Pourtant la pêche aux triangles nécessite peu de frais d’investissement et pour l’instant on peut encore en vivre. « Cette pêche artisanale et sélective respecte l’environnement. On ne prélève que des individus de taille “marchande”, les autres sont remis vivants dans leur milieu. Malgré tout je suis assez pessimiste sur l’avenir des pêches traditionnelles. En effet entre la pression de la navigation de plaisance sur l’étang et les menaces européennes d’interdictions diverses qui pèsent sur ces pêches méditerranéennes, on peut s’inquiéter pour l’avenir ».


© Photo Thierry Boulley

Au Barrou, Kevin attend… Il y a une vingtaine de mas dédiés aux petits métiers sur le port du Barrou. Plusieurs sont à vendre. Kevin Rolland a acheté le numéro 10 au printemps 2017. A 28 ans cet ancien élève du lycée de la Mer voisin s’était dit qu’il était temps de se mettre à son compte après avoir été matelot sur des chalutiers. Son plan? Faire déguster les produits de sa pêche dans le bâtiment remis à neuf ou sur l’étang dans son bateau. Il a soumis son projet au Crédit maritime qui lui a accordé les prêts pour l’acquisition du mas et du bateau. Rachetée à un de ses anciens patrons, la nacelle est amarrée au ponton, comme neuve, le moteur empaqueté sous une bâche. Kevin n’a pas le droit de travailler. Onze mois après avoir fait les premières démarches, il manquait toujours un coup de tampon de l’un ou une signature de l’autre. L’impression rageante d’être la bille d’une partie de flipper fou. Fin mars 2018, il regardait la barque de son cousin doubler le phare de l’Homme noir : « Il fait 150 kg de dorades par jour. Avec ça je pourrais rembourser les crédits à la fin de l’année ».

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La Pointe Courte

Le village des irréductibles pêcheurs Lors de la création du quartier de la Bordigue, les pêcheurs de l’étang qui tiraient jusqu’alors leurs barques et leurs filets sur les berges du canal ont émigré à la Pointe Courte. Ce quartier bientôt coupé du reste de la ville par la voie de chemin de fer a été immortalisé dans le film éponyme d’Agnès Varda. En dépit des mutations inexorables des pratiques de pêche et de la vie sociale, ce quartier garde toute sa singularité. Ancien reporter photographe à l’Agence France Presse, Jean-Loup Gautreau qui est établi à Sète où il avait passé une partie de sa jeunesse depuis une quinzaine d’année lui a consacré un livre en 2012*. Les images et les textes qui suivent en ont été extraits avec son aimable autorisation. *Sète I La Pointe Courte, photographies Jean-Loup Gautreau. Ed. Dans la boîte, librairie L’échappée Belle

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Paradière, manillère, triangle,

L

a prud’homie de Sète-Thau est un modeste bâtiment à l’entrée de la Pointe Courte en bordure de l’allée des

Jeux de Boules. Sur la porte d’entrée, est affichée sur une feuille la liste des poissons avec leurs noms scientifiques et communs et la taille requise pour être pêchés. Le mur de gauche est entièrement couvert par un tableau noir où sont notés les postes de pêche fixes, à piquets (du fond à fleur d’eau) ou à brandines (fixés sur le fond et haut de 1,20 m). Il y a une centaine de postes à piquets et une trentaine de brandines dans la zone couverte par la prud’homie, de la pointe du Barrou à l’ancienne usine Lafarge. Cette zone est sillonnée quotidiennement par les nacelles modernes en résine dont l’arrière a été coupé pour installer un moteur hors-bord qui facilite les manœuvres. Tous les ans, au mois d’avril, la quarantaine d’inscrits maritimes de SèteThau, dont une quinzaine de Pointus, tirent au sort les emplacements qui vont leur être attribués pour les douze mois suivants. Cette pêche ancestrale a pour principe de barrer la route aux poissons avec un filet appelé paradière pour les amener dans des sortes d’enclos en forme de triangle. Il s’agit de “manillères” s’il y a trois culettes (nasses) au bout d’une paradière de vingt brasses et de “triangles” s’il y a sept culettes au bout

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d’une paradière de cinquante brasses. Les mailles sont larges (claires) ou serrées (seigues) selon que l’on veut


nasse, culette… prendre soit des dorades et des loups soit des anguilles (vertes ou argentées). Le poisson est relevé tous les matins. Les filets à mailles claires sont remplacés par des filets propres toutes les semaines, ceux à mailles serrées tous les quinze jours. De mars à septembre, Robert Rumeau pêche lui à la battue. A la tombée de la nuit, il immerge un long filet qu’il boucle silencieusement avant de battre le fond de la barque pour faire un boucan infernal qui précipitera les poissons affolés dans les mailles. Naguère Loulou Molle attrapait lui quantité de muges (mulets) en pratiquant la “cannas” : les bancs étaient promptement encerclés par un filet vertical déposé par une première nacelle (barque à deux rangs de rames) autour duquel étaient disposées par une seconde nacelle des cannes soutenant des filets amples dans lesquels les muges sautaient en cherchant à échapper au piège du filet vertical. Cette pêche a été abandonnée comme celle au fanal où les poissons étaient harponnés. La palangre qui exige une technique éprouvée pour amorcer les hameçons tout en déroulant une ligne d’un bon kilomètre est encore pratiquée à partir des nacelles. Les pêcheurs de palourdes ont eux délaissés l’arseillère (gros râteau pour racler les fonds) et le négafol (frêle esquif où on s’allongeait avec un trident dans une main et un salabre dans l’autre) pour la plongée en apnée (les bouteilles sont interdites).

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Les dents de l’étang

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es soles, les sars, les turbots, les rougets se sont

deux rangées de dents (on les surnomme “gueule pa-

faits rares dans l’étang de Thau. Il reste encore

vée”) leur permet de broyer les coquilles des jeunes huî-

des anguilles, vertes ou argentées, qui font des

tres et des moules dont la production est une autre acti-

plats de fête dans les pays du Nord de l’Europe

vité traditionnelle de l’étang. Pour limiter les dégâts, les

et en Italie, mais leur pêche est strictement réglementée

ostréiculteurs sont amenés à protéger avec des filets les

par l’Union européenne qui les protège comme le thon

tables auxquelles ils suspendent les huîtres collées sur

rouge. La capture du loup est elle aussi de plus en plus

des filins immergés quand ces perciformes passent la

circonscrite à novembre et décembre. Seules les daurades

saison chaude dans l’étang.

(sparus aurata, les royales) sont toujours aussi nombreuses.

Poissons côtiers, les daurades frayent en mer avant de

De façon inexpliquée et inexplicable, il n’y en aurait même

gagner les étangs. Elles y entrent normalement à l’équi-

jamais eu autant dans l’étang selon Toni.

noxe de printemps pour en ressortir à celle d’automne.

Il est ostréiculteur et les daurades sont pour lui un vérita-

C’est le meilleur moment, elles sont bien grosses. Na-

ble fléau. La puissance de leurs mâchoires armées de

guère ces migrations se produisaient sur plusieurs se-


maines. Elles semblent désormais concentrées sur quelques jours quand le vent et le courant sont favorables. Elles s’engouffrent alors dans le canal qui relie l’étang à la mer toutes énervées d’avoir dû louvoyer entre les filets fixes pour trouver le chemin de la mer. C’est là que les pêcheurs à la ligne les attendent patiemment, souvent depuis plusieurs jours. Le quai du Mistral à la Pointe Courte, est un endroit privilégié. On se battrait presque pour trouver une place où poser son pliant et surtout la garder tellement ces places sont chères. On “s’embrouille” aussi facilement avec ceux d’en face, quai de la Daurade à la Plagette, dans le courant jusqu’à la taille en cuissard ou en équilibre sur de vieux blocs de bétons. Il faut savoir affronter le soleil, le vent, l’humidité, les quolibets aussi, pour avoir enfin le bonheur de remonter un poisson. Tout va dès lors très vite. L’eau du canal semble frémir. Elles passent, toujours aussi voraces. Il suffit presque de lancer sa ligne et de la remonter. En un rien de temps le plus mauvais des “hameçonneurs” a trois ou quatre poissons dans son épuisette. Les meilleurs les sortent par dizaines. TEXTES ALAIN GIRAUDO PHOTOGRAPHIES JEAN-LOUP GAUTREAU

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REMERCIEMENTS Le Rotary club Sète remercie chaleureusement tous ceux qui lui ont permis de réaliser la rédaction et l’iconographie de cette brochure consacrée à l’histoire de la pêche, et en particulier : • Véronique Britto, directrice commerciale d’Azaïs-Polito • L’aspirant Agathe de Font-Réaulx du Sirpa Marine ainsi que la Médiathèque de la Marine Nationale • Stéphanie Bertrand, Corinne Sospedra et Pierre Nocca du service communication de la ville de Sète • Céline Cabaye du service communication du Syndicat mixte du Bassin de Thau (SMBT) • Bertrand Wendling, directeur général de la SaThoAn • Muriel Keromnes du service relation presse d’Ifremer • Jean-Loup Gautreau, auteur du livre “La Pointe Courte” • Marion Oddon du service iconographie de Greenpeace France • Alain Mattia de l’Office de tourisme de Sète • José Llinarès et Kelly Tarbouriech de la direction du port de pêche de Sète • Stéphane Tarroux, conservateur du patrimoine au musée Paul-Valéry • Les archives municipales de Sète • Les archives départementales de l’Hérault Le Rotary club de Sète remercie encore les annonceurs qui ont pris un espace dans cette brochure : La poissonerie Cyril, la Société Générale, la Banque Dupuy de Parceval, Hexis; L’Adresse, Weldom, La Ola, Le cabinet d’Expertises Jacquemart, le cabinet comptable Fesquet et associés, le restaurant les Pyramides; Le garage Michon, Cuisines Référence, Krys Réthoré, MMA, Sélectour, le restaurant L’Arrivage, les Deux Ramiers, Laurent Elec, le Lazaret, la SCI St-Léon; Le Chai Alex, Lubrano frères, la Griffe création fourrures, Magic Coiffure, L’Arseillère, Le Feu de Bois, le Monte-Christo, le Zanzi Bar, Evasion Boutique, le Restaurant Leelou, la Nouvelle Librairie Sétoise, le garage Favolini, Languedoc Etanchéité, Artem, L’Epicerie, le Paris-Méditerranée.

BIBLIOGRAPHIE

“Sète”, ouvrage collectif sous la direction de Gaston Galtier, professeur de lettres à la faculté de Montpellier (1967) “Sète au travers de son histoire portuaire” ouvrage collectif coordonné par Gustave Brugidou et édité chez Flam par la Société d’Etudes historiques de Sète (2016) “Le métier de pêcheur au XVIIIe siècle” par Régine Monpays in “Bulletin de la société d’études scientifiques de Sète et de sa région” tomes XII et XIII (1983) “Naissance et croissance du quartier de la Bordigue” par Louis Bourgue in “Bulletin de la société d’études scientifiques de Sète et de sa région” tomes XII et XIII (1983) “Les fruits de mer dans le Languedoc maritime” ouvrage collectif sous la direction de Jean Morini-Comby (1954). “Histoire de Sète”, ouvrage collectif sous la direction de Jean Sagnes (ed. Privat. 1991) “Morue, sel et vin: l’occasion d’armement sétois à Fécamp au XIXe siècle” par Alain Degage “Bulletin de la société d’études scientifiques de Sète et de sa région” tomes XII et XIII (1983) “Fécamp – Terre-Neuve – Cette, une histoire de morue, de sel et de vin” par Pascal Servain in “Revue d’histoire et d’archéologie de Sète et sa région” tomes XL à XLI (2015-2016) “Pied marin, pied à terre – Le travail des hommes sur le port – Sète, Frontignan, Bassin de Thau” ouvrage collectif sous la direction de Noëlle Onfroy pour l’association Histoire et vie étonnante d’un port (2003) “Cette et son commerce des vins de 1666 à 1920” par Jean-Louis Cazalet (1920)

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Servir d’abord

Le premier Rotary Club a été réuni en 1905 à Chicago par un jeune avocat, Paul Harris, qui souhaitait que les acteurs de chaque groupe professionnel agissent ensemble dans un esprit de camaraderie et de bonne volonté pour servir ceux qui en ont besoin. Le Rotary est aujourd’hui une organisation mondiale de plus 1,2 million de membres issus du monde des affaires, des professions libérales, de la société civile. Les membres des Rotary clubs, appelés Rotariens, apportent un service humanitaire, encouragent l'observation de hautes normes éthiques dans le cadre professionnel, et aident à développer bonne volonté et paix à travers le monde. Le Rotary s’attache particulièrement à promouvoir la santé en soutenant la recherche sur les maladies du cerveau, en participant de manière active à l’éradication de la polio et en favorisant l’accès à l’eau potable dans les régions les plus défavorisées. Le Rotary entend également aider au rapprochement des peuples par le travail en commun sur des actions d’intérêt local ou international, par des échanges d’étudiants et de professionnels, par un soutien aux populations victimes de catastrophes naturelles ou humanitaires et en luttant contre l’illettrisme et l’exclusion. Le Rotary Club de Sète* s’inscrit résolument dans cette perspective. Il a fêté ses 80 ans en 2011. Il est le plus ancien club service de l’Hérault. Le plan d’actions 2017-2018 du Rotary club de Sète comporte: en octobre le Markethon de l’emploi, en novembre, la collecte pour la Banque alimentaire, en décembre la préparation aux entretiens d’embauches au lycée Joliot-Curie, en avril publication de la brochure annuelle, en février Espoir en tête en faveur de la recherche sur les maladies du cerveau, en mars collecte de fonds à l’occasion d’Escale à Sète, en mai collecte Mon sang pour les autres en faveur de l’Etablissement français du sang, en juin salon Auto-MotoVélo. Depuis 1972, le RC Sète participe aussi à la sauvegarde de l’abbaye Saint-Félix-de-Monceau qui est un des trésors médiévaux de l’agglomération sétoise.

ROTARy CLuB SèTE

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n°11052 District 1700. Siège: Grand Hôtel 17, quai du Mal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète Réunions : 1er et 3e jeudis du mois, apéritif à 19 heures 2e et 4e jeudis du mois, dîner à 20 heures 5e jeudi du mois, dîner mixte à 20 heures. Site internet : rotary-sete.org/wp/ Courriel : contact@rotary-sete.org

Depuis 2006, le Rotary Club de Sète édite une brochure dont les bénéfices, cumulés avec ceux tirés d’autres actions mises en œuvre par le club pour recueillir des fonds, permettent de financer des actions d’utilité locales et internationales. Le club a ainsi : • contribué à la formation d’un chien d’aveugle; • participé à l’achat d’un chariot spécifique permettant aux handicapés de prendre des bains de mer ; • doté les couveuses du service de néonatalogie de l’hôpital de Sète de webcams, permettant ainsi aux parents d’enfants prématurés de rester en permanence en contact avec leur bébé ; • financé un défibrillateur automatique aux Pergolines, établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes de Sète ; • fourni des ordinateurs portables à des élèves sétois en difficultés ; • financé un jeu de voiles à un équipage du lycée de la mer Paul-Bousquet engagé dans le Défi des ports de pêche ; • accueilli trois étudiants américains et envoyé aux Etats-unis des lycéens sétois pour une année scolaire; • apporté son soutien à un équipage de jeunes de la région au raid “4L Trophy 2016“ ; • créé et électrifié une école dans un village malgache et électrifié un village laotien ; • acheté des containers de survie pour Haïti ; • favorisé l’opération en France d’une petite malienne souffrant d’une malformation ; • aidé l’hôpital de Douala (Cameroun) de se doter d’un service d’oncologie et d’hématologie ; • apporté un soutien financier régulier à des associations sétoises (La Croix Rouge, Les Blouses Roses, Saemen’s Club, etc.); • aider des apprentis méritants du lycée Charles-deGaulle et du CFA Nicolas-Albano. Un second Rotary Club, le RC Sète Bassin de Thau a été créé en 1992, son siège social est à l’hôtel Impérial, Place Edouard-Herriot.

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SOuTIEN Au ROTARy

Les personnes qui souhaiteraient prendre contact avec le Rotary club de Sète ou soutenir le club ou la Fondation Rotary sont invitées à adresser leur courrier à l’adresse suivante : Rotary club de Sète - Le Grand Hôtel 17, quai du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète Les chèques de soutien sont à établir à l’ordre du Rotary club Sète




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