La relation éducative : une relation à risque ? Jacques Pain Professeur Émérite Sciences de l’Éducation Site : Jacques-pain.fr Nancy PJJ 14 juin 2012
Situons mon propos. J’ai lu attentivement le rapport de Michel Botbol, à propos des liens de la PJJ avec la psychiatrie (2010). Il vient après 2002 et la circulaire « Santé-justice », et le rapport Alecian (2001). Déjà disons que ça ne nous rajeunit pas, et que ça me rappelle pas mal de choses. Parce que ces questions ont traversé et continuent de traverser la PJJ, elles étaient déjà présentes du temps de l’Éducation Surveillée. Les jeunes « particulièrement difficiles », comme dit le rapport, étaient déjà en piste. Les problématiques évoluent, mais les questions de fond reviennent, égales à elles-mêmes ou à peine masquées. Il y a une résistance paradoxale à ces questions, à la PJJ somme toute, que je vais essayer de soulever. On l’a vue tout au fil du temps continuer à se mettre en scène, à partir des « incasables ». Je me souviens de nos discussions avec Laetitia et Jean-Pierre Chartier, Richard Hellbrunn et d’autres au moment de la parution des Incasables. Jean-Pierre Chartier faisait sa thèse avec Jacques Selosse. J’ai moimême fait ma thèse d’état avec lui, peu après. Nous étions complètement dans ces questions « limite », puisque dans cette fin des années 70, ce début des années 80, nous planchions sur ces « incasables ». Car ils existaient déjà, bien repérés, et Jean-Pierre Chartier avait qualifié alors l’attitude des appareils de prise en charge de ces « rupteurs » de système de « démission alternée ». Vers 82-83, nous avions repéré une bonne dizaine de jeunes qui avaient ainsi eu affaire jusqu’à 25 ou 26 services sociaux différents en dix ans, et finalement qui en quelque sorte géraient leur placement eux-mêmes, c’est-à-dire réussissaient à contrôler d’une façon médiate ces services. En fait ils connaissaient mieux l’institution que leurs éducateurs, le plus souvent. Ils nouaient des liens et contre-liens qui leur assuraient des clés du réseau de communication, donc de gestion du quotidien. Je vais développer mon propos en trois parties : L’éducation ? Le défi schizophrène. Le risque, une bio-culture phylogénétique. La relation éducative, une rencontre sur mesure.
La relation éducative, une rencontre à risque ? On ne voit pas comment il pourrait en aller autrement. Encore un mot de Richard Hellbrunn : quand la parole vient à manquer, les coups viennent à la place des mots. C’est d’une logique absolue. Entendez « coups » extensivement. Il faut partir de ça, c’est l’hypothèse « violence ». C’est contre soi ou contre les autres. C’est une schématique qu’on peut articuler et comprendre, entre Laborit et Girard. Vous bloquez au niveau de l’angoisse tout ce qui permet une métabolisation, eh bien vous avez les coups, les violences, et la grande violence « construite ». Quand ça marche on en fait une carrière, du moins un comportement assuré, assumé. Une fois qu’on sait ça on ne se fait pas d’illusion, et on ne voit pas comment on pourrait travailler autrement que dans l’accompagnement, un accompagnement protégé et confrontant, qui vient à manquer en nos époques troublées d’ailleurs. Ce qu’on voit bien dans le rapport c’est que, mais ça a toujours été le cas, les institutions ont tendance à glisser de leur objet – si c’est un objet difficile et frustrant - vers des objets plus faciles à cerner, et à se concentrer institutionnellement sur les cas les moins difficiles, valorisants. Et c’est vrai que certains « cas » sont usants ! Nous avons suivi, à l’école ou ailleurs, des éléments très durs, un seul suffit pour déstabiliser une classe, voire un établissement ou un service. L’effort pour rendre l’autre fou ! Ces rupteurs sont des analyseurs émotionnels de haute intensité. L’éducation comme défi schizophrène PAGE 7