Dossier de presse pour Le Dieu Garou de Michel Masson

Page 1

Le Dieu Garou

Michel Masson

Un singe. Un singe qui est un chat. Qui est un hibou. Mais aussi un insecte, un androgyne nymphomane et adonné à la boisson, un monstre nocturne enfantin et balourd, un redoutable magicien porteur de chance et de malchance, supplié, supplicié. Tel est le Maimone, cette puissante entité dionysiaque que l’auteur nomme le Dieu garou et qu’il nous fait progressivement découvrir. Partant de faits apparemment confinés à la Sardaigne, il montre qu’ils relèvent en fait d’une réalité bien plus générale, celle d’un ensemble de croyances attestées dès l’Antiquité et qui ont perduré au moins jusqu’au Moyen âge dans un espace coïncidant en gros avec celui de l’Empire romain. Cette contribution à l’anthropologie est étayée par une analyse linguistique minutieuse qui met principalement en jeu les langues romanes et quelques autres.

Structure de l’ouvrage L’ouvrage est construit en quatre parties. Il met d’abord en cause un certain nombre d’idées reçues (1re partie : « Mirages d’Orient »), il définit ensuite le Dieu garou dans son vaste réseau mythologique (2e partie : « Le Dieu garou »), puis il analyse la richesse du réseau morphologique apparenté (3e partie : « Le Carnaval des mots») pour enfin mettre en avant un certains nombre de conclusions étonnantes et d’interrogations troublantes (4e partie : « Nouveaux horizons»).

L’AUTEUR Michel Masson, linguiste, est professeur émérite à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Il a notamment publié une analyse sémiologique décryptant l’iconographie de la Chapelle Sixtine et le rôle qu’y occupe la nudité masculine (la Chapelle Sixtine, la voie nue, Le Cerf, 2004), une analyse philologique débouchant sur l’itinéraire et la pensée d’un mystique biblique hétérodoxe (Élie ou l’appel du silence, Le Cerf, 1992), ainsi que plusieurs ouvrages portant sur l’intervention humaine dans le langage (renaissance de l’hébreu, réforme de l’orthographe), une étude de sémantique (Matériaux pour l’étude des parallélismes sémantiques, université Sorbonne Nouvelle Paris 3, 1999) et un ouvrage sur les emprunts sémitiques en grec ancien (Du sémitique en grec, Alfabarre, 2013). isbn 978-2-7053-3880-0 ◆ Parution mars 2014 296 p. ◆ 16 x 24 cm ◆ 30 € ◆ Distr./Diff. Geuthner Éditions Geuthner ◆ 16, rue de la Gde Chaumière ◆ 75006 Paris contact : geuthner@geuthner.com ◆ Tél. : 01 46 34 71 30


Table des matières Avant-propos................................................... 5 Conventions.................................................... 6 Ouverture : Mystères de singes..................... 7 I. Mirages d’orient..................................... 17 II. Le Dieu garou 1. Plus qu’un singe 1. Le chat-singe................................... 28 2. Ivresse............................................... 37 2. Le Garou 1. Maléfices Diableries........................................ 48 Les pouvoirs du Garou.................. 59 2. L’Autre............................................. 70 3. Le dieu Drame.............................................. 95 Dionysos........................................ 103 III. Le carnaval des mots Sainéan.................................................. 123 Guiraud................................................. 124 Une riche exubérance.......................... 128 Tableau récapitulatif (hors texte)...... 137

Mômes et marmots.............................. 143 Caricatures de Mahomet et autres facéties................................ 152 Racines................................................... 171 IV. Nouveaux horizons Retour au turc et à l’arabe................... 195 Prolongements et cousinages de la matrice en M-.......................... 200 Qu’est-ce que le carnaval ?................. 224 Escale ........................................................... 228 Annexes ..................................................... 232 Problèmes formels - Alternance M-/B-......................... 232 - Effacement de M-.......................... 228 Problèmes sémantiques Masculin/féminin............................ 238 Drilles et mandrilles........................ 244 À propos des Cathares.................... 254 Postface........................................................ 257 Bibliographie.............................................. 261 Index des notions et des mots.................. 273

Mystères de singe [Extrait, p. 7-8] [En Sardaigne], cette ile fabuleuse connue pour ses mégalithes, ses nuraghes et sa langue insolite, se déroulent certains rituels fort divers mais où figure toujours un élément désigné par des mots de même consonance tels que maimone ou mammuttone 1. Le plus souvent, le maimone désigne un pantin de carnaval transporté en cortège et voué aux outrages puisqu’il est brûlé ou jeté dans une décharge. Son aspect est ordinairement redoutable mais on lui donne parfois une tête de chat (à Ulissai). À Oniferi, son corps est constitué d’une dame-jeanne remplie de vin et des ramures de figuier d’Inde. Il est installé sur un âne et conduit en procession à travers le bourg et, finalement, tout le monde est convié à boire le vin contenu dans la dame-jeanne. D’autre part, le mot maimone peut aussi s’appliquer parfois à des hommes déguisés qui participent au cortège (sos maimones). En outre, il arrive aussi que ledit pantin soit invoqué avant son sacrifice comme dispensateur de pluie. Enfin, dans le bourg de Mamoiada, le rituel prend un aspect tout différent : portant un grand masque lugubre nommé mammuttone, douze figurants eux aussi qualifiés de mammuttones défilent silencieusement en sautillant rythmiquement, tenus en laisse par plusieurs autres figurants portant un masque plus avenant (sos issohadores)2. Faut-il considérer chacun de ces rituels de façon autonome ou, au contraire, au nom des mots de même consonance qui leur sont liés, leur attribuer un destin commun ? La question peut sembler de peu d’intérêt et réservée au cercle très restreint des spécialistes du monde sarde mais, en fait, elle mérite l’attention d’un public plus large car on découvre qu’elle ouvre des perspectives dans le domaine de l’anthropologie en général mais aussi de la linguistique, de l’histoire des religions et même de l’exégèse de l’Évangile. Cependant l’on ne pourra y parvenir que par un parcours difficile. 1 2

Je tiens à remercier Mme Valeria Argiolas pour toutes les informations qu’elle a bien voulu me procurer sur le sarde et la Sardaigne. Pour la description des rituels de Sardaigne, v. la riche bibliographie donnée par Turchi 1990 et par Paulis 1991. V. aussi Moretti 1954 et consulter aussi les sites internet bien documentés www.mamoiada.org et www.sardegnacultura.it.


ivresse [Extrait, p. 37-40] Un détail ne manque pas de surprendre. Dans certaines langues romanes, l’un des mots qui désignent le chat~singe est de type mon-/moun-, apparenté, nous l’avons vu, aux mots de type mammon- (mots en μ). Or, il apparait qu’ils sont associés à l’ivresse : occ. mounard, mounino, mounzo ‘ivresse’/mouno ‘singe’ ; mouno ‘ivresse + singe’ ; esp. mona, moña ‘d°’ 3. S’agit-il d’une de ces bizarreries dont les langues ont le secret ? Non, car, en parallèle, l’association entre le singe et l’ivresse est illustrée par au moins un autre exemple, celui de l’italien : à côté de scimmia ‘singe’ existent scimmia et scimiato ‘cuite’ 4. En outre, cette association entre le singe et l’ivresse est attestée non seulement dans le langage mais aussi dans la tradition5 puisqu’on la trouve déjà dans le Talmud6 et qu’on la voit représentée sur la Vasque de Saint Denis (±1180)7 où, parmi de nombreux personnages, figure un singe à côté de la personnification de l’ivresse8. Comment l’expliquer ? De même que, de façon indiscutable et peut-être universelle, le corbeau est l’oiseau noir par excellence, le singe serait-il un ivrogne par excellence ? C’est ce que laissent entendre Sainéan (1905) et le FEW faisant écho à Pline (Hist. Nat. 23/44) repris par Elien (Var. Hist. II.40). En réalité, il n’en est rien. D’abord parce que, comme le souligne Janson9, Pline ne dit rien d’autre que, pour attraper les singes, il existe un moyen qui consiste à les enivrer. En outre, poursuit Janson, « il n’est pas fait mention de singes aimant le vin dans la littérature zoologique médiévale ». En fait, à l’état sauvage, les singes ne boivent évidemment pas d’alcool et, lorsqu’ils sont apprivoisés, ils consomment ce qu’on leur donne. Ils peuvent apprécier plus ou moins. Ils semblent préférer les boissons spiritueuses lorsqu’elles ne sont pas trop fortes (diluées dans du sirop, par exemple) et, exactement comme les hommes, ils peuvent alors devenir dépendants10. Mais rien ne prouve qu’ils préfèrent l’alcool au-dessus de tout, au point de susciter des métaphores. Inversement, on sait qu’ils sont friands de fruits et de gâteaux et, pourtant, cette inclination bien connue n’a pas donné lieu à des métaphores. D’autre part, si d’aventure, un singe est enivré, il est vrai qu’il se montrera agité. Mais, d’une façon générale, le singe est réputé agité par nature — et cela même s’il n’est pas ivre. En fait, l’ivresse ne le change pas dans son essence : elle n’est pas significative et ne peut donc guère donner lieu à une métaphore. En conséquence, l’explication ne doit pas être recherchée du côté de l’ivresse à laquelle succomberait le singe. Voudrait-on dire alors que l’homme ivre deviendrait comparable à un singe ? C’est ce que suggère Von Wartburg11. Mais le chat nous l’interdit. En effet, bien étrangement, lui aussi est associé à l’ivresse, comme en témoigne des mots ou des locutions comme occ. mineto, miato, cat. gat, it. gatta, port. gata, esp. gatera ‘cuite’ et cat. moix ‘ivre’ et aussi ‘minet’ (cf. S 32, 37, 62). Or, c’est un fait bien connu, le chat On trouvera quelques autres exemples dans le FEW, s.v. maimūn. On pourrait ajouter le sarde monincone ‘ivresse’ et ‘gros singe’ (Log. cité par Rubattu, s.v.). 4 V. S 92 où sont aussi mentionnées des variantes dialectales. 5 Sur ce point, v. Janson 1952 : 49-51. 6 In Midrash Tanxuma I.13 (ad Genèse 9.20). 7 Elle se trouve actuellement dans la cour de l’École des Beaux-Arts de Paris. 8 Cité par Janson 1952 : 56. 9 1952 : 256 n. 6 ; v. aussi Dermott 1938 : 86. 10 Information fournie par M. Pierre Charles-Dominique, Directeur de recherches CNRS (Museum d’Histoire naturelle de Brunoy 91). Je l’en remercie vivement. 11 s.v. maimun.

3


déteste absolument tous les alcools. Etant donné l’amalgame du chat et du singe dont nous avons fait état dans la section précédente, on ne comprendrait pas qu’une interprétation s’applique à l’un et non à l’autre. Toutes ces énigmes paraissent bien nous éloigner de notre enquête initiale. Pourtant, ce n’est pas le cas car, parmi les locutions où figure l’association ivresse/singe (chat), on repère une information qui pourrait se révéler décisive. C’est encore chez Sainéan que nous la rencontrons même si, à vrai dire, il n’en tire pas parti12. Il signale que, pour exprimer l’idée de ‘prendre une cuite, s’enivrer’, le portugais, par exemple, dit tomar o gato litt. ‘prendre le chat’ mais l’on retrouve la même association ailleurs : occ. prene la mieto (miato, miacho) ‘d°’ it. pigliare la gata litt. ‘prendre la chatte’ it. pigliare la bertuccia, la monna litt. ‘prendre le singe’ ; scimmia ‘cuite’ esp. tomar la mona litt ‘prendre le singe’ 13. NB. En dehors des langues romanes, on retrouve la même image en allemand : einen Kater haben litt. ‘avoir un matou’ (néerl. een kater hebben) ou encore einen Affen haben litt. ‘avoir un singe’. Dans tous les cas, on est donc ivre lorsqu’on « prend » un chat ou un singe. L’occitan peut encore parfois être plus concret : on le ‘charge’ (carga la mineto, carga la mounina), image qu’on retrouve en anglais à propos d’une forme particulière d’ivresse avec l’expression to have a monkey on one’s back ‘être esclave de la drogue14’. L’allemand, lui, nous indique le résultat : une fois qu’on l’a pris, on l’a ; lorsqu’on a ce qu’on nomme familièrement la « gueule de bois », l’allemand dit qu’on ‘a un matou’ (Kater). Et que fait le matou ? il se livre à de longues plaintes (Jammer) et le composé Katzenjammer désigne justement ‘la gueule de bois’. On a donc le chat comme on a la grippe et pour avoir l’un et l’autre, on les attrape. S’il s’agit du chat, on fait allusion au tintamarre des chats (et chattes) en chaleur ; s’il s’agit du singe, on se réfère à la nature infra-humaine de l’animal. On ne devient pas seulement comparable à un singe, on l’a en fait ingéré ; à tel point que, pour cuver son vin, il faut endormir l’animal nous dit l’espagnol (dormir la mona) ou même le vider de sa substance active, c’est-à-dire rien de moins que l’écorcher comme on le fait en catalan (escorxar el gat). On a donc un singe en soi comme on a le diable au corps. Et cela au sens plein du mot : l’ivresse est perçue comme un état de possession. Le démon chat-singe est entièrement habité par cette force maléfique et celui qui s’enivre aspire en quelque sorte cette force — ce que l’anglais exprime par la formule to suck the monkey ‘s’enivrer’ (litt. ‘sucer le singe’) ; et lorsqu’on est ivre mort, on est imbibé totalement de cet esprit mauvais15, on est alors entièrement chat (singe) ou, comme on dit en catalan, on est ben gata, à quoi répond le fr. de l’Ain on est miron (miron ‘chat’16). On est, en quelque sorte, ‘en-chatté’ (‘en-singé’) comme on peut être en-diablé ou en-sorcelé.

12 V. Sainéan 1905 : 92. 13 Autres exemples chez Von Wartburg, op. cit. 14 Cité par Robert et Collins, s.v. monkey. 15 Pour tout ceci, v. Janson 1952 : 49-51. 16 L’expression être miron ne figure pas chez Sainéan ; nous l’avons trouvée chez Fréchet et Martin 1998, s.v.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.