Introduction par Roger Akhrass de "Michel le Grand, Le Livre des Chapitres"

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INTRODUCTION

’histoire de l’introduction de la confession privée des péchés chez les syriaques occidentaux, sa théologie et sa spiritualité n’ont pas reçu toute l’attention qu’elles méritent de la part des patrologues et des orientalistes. Les recherches les plus poussées dans ce domaine restent celles de RENAUDOT (†1720)1, reprises sommairement et sans grande nouveauté par DE VRIES (1940)2, TONNEAU (1944)3, DALMAIS (1958)4, LIGIER (1967)5, SIMAN (1971)6, GOGAN (1975)7 et d’autres. Selon les recherches de RENAUDOT, le XIIe siècle marque l’entrée officielle et généralisée de la confession individuelle dans l’Église syriaque d’Antioche. Par entrée officielle et généralisée, il faut entendre l’imposition de la confession individuelle devant un prêtre, de chaque péché, petit ou grand, comme condition d’accès à la communion eucharistique, avec l’institution d’un rituel de pénitence et des canons (épitimies) spécifiques pour toutes sortes de péchés. Cette introduction de la confession privée dans l’Église syro-orthodoxe s’est faite sous l’initiative de deux grandes figures de l’époque : Denys Bar Salibi évêque d’Amid (†1171) et Michel le Grand patriarche d’Antioche (1166-1199). Les apports de ces deux Pères à la liturgie comme à la théologie et à la spiritualité de la confession sont habituellement reconnus. Mais la portée précise de leurs contributions n’a pas encore été déterminée avec précision d’autant plus que leurs écrits dans ce domaine sont toujours, dans leur grande majorité, inédits.

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RENAUDOT, Perpétuité … touchant l’eucharistie, p. 86-87 et 678 ; DE SAINTEMARTHE, Perpétuité … sur la confession, col. 834 et 839. 2 DE VRIES, Sakramententheologie, p. 188 ; ID., « Théologie des sacrements », p. 283. 3 TONNEAU, « La confession chez les Jacobites ». 4 DALMAIS, « Sacrement de Pénitence », p. 23. 5 LIGIER, « Dimension », p. 171 et 182. 6 SIMAN, L’expérience de l’Esprit, p. 117-118. 7 GOGAN, « Penance rites », p. 187-188. ~ 17 ~


MICHEL LE GRAND - LE LIVRE DES CHAPITRES

Du côté de Bar Salibi, il aurait été tout autant intéressant que sûr d’éditer et d’analyser ses œuvres ayant trait à la pénitence canonique car elles sont toutes déjà inventoriées et délimitées. Cependant, il nous a paru aussi utile et prometteur, compte tenu de l’incertitude qui entoure le dossier, de nous pencher sur la production littéraire du patriarche d’Antioche sur le même sujet. En effet, dans sa Chronique, le patriarche affirme avoir rédigé à l’adresse des coptes et sur leur demande, deux volumes dans lesquels il s’exprime sur la nécessité de la confession des péchés devant un prêtre ; il intervenait alors comme arbitre dans une polémique de grande ampleur qui opposa, en Égypte, les chefs religieux coptes à l’un des leurs, un prêtre du nom de Marc Ibn al-Qunbar8. Or la survivance jusqu’à nos jours de ces deux livres de Michel le Grand semblait fort douteuse. De fait, se basant sur la Perpétuité de la foi de l’Église Catholique sur l’eucharistie (17421/ 1841) plusieurs fois rééditée de RENAUDOT, DE VRIES croyait encore en 1940, sans se poser de question, que le Traité de préparation à la communion (=TPC), dit aussi le Livre des Chapitres (= LC33), est l’une des deux œuvres de Michel le Grand. Cette réception invérifiée qui a longtemps été celle des théologiens catholiques (RENAUDOT, DE VRIES, DALMAIS, SIMAN etc.) fut récusée par deux orientalistes et philologues de grand renom : J.-B. CHABOT (1899) et G. GRAF (1949). Pour le premier, «une partie notable de son ouvrage [de Michel], traduit en arabe, a été insérée dans cette compilation [du TPC] »9, alors que pour le second, l’auteur du LC33 est certainement un auteur copte anonyme10. Malgré le verdict clair des deux spécialistes, la question du Livre des chapitres et de sa paternité méritait néanmoins, à nos yeux, un examen plus approfondi que les quelques lignes que lui consacre CHABOT et les trois pages qui lui sont dévolues dans l’Histoire de la littérature arabe chrétienne de GRAF, d’autant plus que le titre du plus ancien manuscrit que nous possédons, le Paris Arabe 184 (d. 1214), attribue expressément l’œuvre à « anba Michel, patriarche d’Antioche ». La lecture comparée et attentive des différents manuscrits du LC33 nous a effectivement permis de relever des indices internes qui, dans leur recoupement avec la critique externe, invalidaient les arguments des deux orientalistes et relançaient sérieusement la possibilité de l’attribution de l’œuvre à Michel le Grand. C’est là que résident le point de départ et l’originalité de cette étude. Une fois le cap de la paternité de l’œuvre franchi, l’exploration des matières du LC33 nous a ouvert des horizons insoupçonnés sur des disciplines théologiques fort éloignées de notre sujet de départ qui se focalisait exclusivement sur la confession des péchés. L’approche de l’auteur du LC33 se 8

MICHEL LE SYRIEN, Chron., t. 4, p. 719 [Texte] ; t. 3, p. 380 [Trad.]. Ibid., t. 1, Introduction, p. XVIII. 10 GRAF, GCAL II, p. 367-369. 9

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INTRODUCTION

montrait bien plus large que nos préoccupations initiales. En effet, elle part des fondamentaux de la foi chrétienne (triadologie et sotériologie) pour nous conduire progressivement vers la praxis chrétienne (baptême, eucharistie, confession des péchés, état de disciple, pratique des vertus sous la direction d’un maître spirituel etc.), bien que la confession des péchés demeure le sujet principal qui polarise tous les autres thèmes de l’œuvre. Du point de vue de la méthode et du contenu, l’auteur construit son livre en se référant continuellement aux saintes Écritures et aux Pères de l’Église dans le but de rendre sa démonstration inattaquable, si bien que près des deux tiers de l’œuvre se présentent comme un florilège de citations scripturaires et patristiques, tandis que le tiers restant comprend des paraphrases et des commentaires des textes cités avec certains développements personnels. Il est à noter aussi que les thématiques qui y sont traitées se rapprochent sensiblement de celles que nous rencontrons dans les écrits d’Ibn al-Qunbar. Ainsi, les questions que soulève le LC33 et auxquelles la présente étude cherchera à répondre ont été principalement réparties sur deux grands axes : 1) La paternité de l’œuvre : quels sont les arguments qui soutiennent l’attribution du LC33 à Michel le Grand ? Comment résoudre surtout le problème du ch. 6, 7 où l’auteur dit dans deux des trois principaux manuscrits : « Nous, les Égyptiens… » ? 2) La pensée théologique de l’auteur : comment se situe le LC33 vis-àvis de la tradition patristique qu’il cite en abondance ? Quels sont les rapprochements et les écarts ? Comment dialogue-t-il avec la pensée théologique d’Ibn al-Qunbar ? Quelles sont ici encore les ressemblances et les différences ? La réponse à cette dernière question devra aider à la datation des écrits d’Ibn al-Qunbar. L’étude sera divisée, suivant les deux axes sus-définis, en une partie historico-littéraire et une seconde purement théologique. L’édition critique du texte arabe et la traduction française en regard seront données à part, dans un second volume. La première partie comportera quatre chapitres : les sources historiques et littéraires et le contexte historique général (chapitre 1) ; les arguments relatifs à la paternité de l’œuvre (chapitre 2) ; l’analyse du contenu du LC33 et de ses sources bibliques et patristiques (chapitre 3) ; la présentation des manuscrits et de la méthode d’édition et de traduction (chapitre 4). La seconde partie proprement théologique reprendra à peu près le plan suivi par l’auteur lui-même. Ainsi sera-t-il question successivement de la doctrine trinitaire (chapitre 5) ; de l’économie du salut (chapitre 6) ; de la confession des péchés et notamment de son rapport au baptême et à l’eucharistie (chapitre 7) ; de la confession des péchés en lien avec la direction ~ 19 ~


MICHEL LE GRAND - LE LIVRE DES CHAPITRES

spirituelle (chapitre 8). À travers des comparaisons de textes, nous nous attacherons dans cette partie à mettre en relief ce qui distingue le LC33 des Pères auxquels l’auteur se réfère explicitement mais d’autres aussi, afin de mieux cerner l’originalité de sa pensée. Dans le même but, nous tâcherons de faire toujours le point sur le lien avec les œuvres d’Ibn al-Qunbar en insistant davantage sur les discontinuités que sur les points de convergence. La conclusion soulignera les principales avancées auxquelles a donné lieu cette étude, pour ce qui est de notre connaissance de Michel le Grand et de sa pensée. Au plan théologique, elle s’efforcera d’évaluer la conception de la confession des péchés mise au jour, à l’aune de l’histoire de la pénitence chez les Syriaques et de sa pratique actuelle. Cette considération a pour objectif de mettre en avant les points forts qui ont été découverts tout au long de cette recherche et qui pourraient aider à un renouveau spirituel de la pratique de la confession des péchés dans l’Église syriaque orthodoxe.

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