État d'urgence n°4

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état d’urgence Janvier 2017

journal culturel à parution aléatoire

n°4

« à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin Parmi les raisons dans lesquelles ce journal, aléatoire et pas circonstanciel, ancre ses parutions, il y a une ambition partagée, de tous ceux qui y collaborent de donner à la pratique artistique qui se fait, aujourd’hui, en Tunisie, la théorie qu’elle mérite. Et ce, en vue de remédier un tant soit peu au phénomène dominant de la reconduction de théories, nées sous d’autres cieux et projetées sur une bonne majorité de nos pratiques actuelles en leur accordant une légitimité historique, pour le moins concédée.

Cet état de choses ne date pas d’aujourd’hui. Et l’urgence de le dire a été ressentie par quelques uns de nos aînés dont Hatim El Mekki figure en bonne place. Connu pour son humour cinglant, sa cynique lucidité et surtout par le courage de ses positions, il avait assumé son refus déclaré de ne pas accorder à Ben Ali ce qu’il avait accordé à Bourguiba, il a fini par payer et de son vivant et même après sa mort, une mise en quarantaine qui a fait qu’on n’était qu’une vingtaine de personnes à son enterrement.

En ce moment où l’on fête la révolution du 14 Janvier, rappeler à la génération actuelle d’artistes tunisiens l’importance de la dignité d’être artiste aujourd’hui, ne pouvait se faire sans la mise à jour des paroles d’El Mekki qui nous ont semblé d’une actualité certaine.

Naceur Bencheikh

Dix mètres de cimaises, oui. Dix mètres de trottoir, non ! J’ai simplement cédé à la pression de l’amitié. Invité, j’ai accepté. On ne peut pas «induire» de l’amitié le choix d’une galerie... Non ! vous avez raison, je précise : j’ai simplement cédé à la pression de mon amitié pour le groupe d’Irtisem. Voilà ! Et je pose de nouveau ma question : quelles étaient vos motivations pour choisir cette galerie ? Depuis que cette galerie existe, j’ai eu le temps de remarquer - bien que n’ayant pendant longtemps aucun contact - que les invitations et les manifestations de ce groupe étaient dans l’ensemble dignes d’intérêt et de considération. Vous n’avez pas l’impression qu’apporter une caution à un groupe de «jeunesse» implique une situation problématique au sein de la tradition artistique ? Plutôt que de parler de caution je dirais que je suis heureux d’être parmi les jeunes pour le meilleur - et il ne faut pas hésiter de le dire puisqu’il s’agit de peinture ! - pour le meilleur donc et pour le pire. Et puis, les galeries, il y en a si peu... Le phénomène est tellement nouveau que l’acceptation d’une invitation venant d’Irtisem constitue la réponse à votre question. Peindre, ou faire acte de peinture, c’est déjà - on le sait - une tentative de survie. Montrer ce que l’on fait, mettre ce produit en circulation implique de deux choses l’une : ou bien éprouver cette tentative dans l’immédiat, à travers le public de la rue ou bien alors se résigner à voir ce même produit devenir produit de consommation, voire de grosse consommation. Je serais sans aucun doute plus volontiers tenté de solliciter l’absolu que de courir après la commercialisation de celui-ci. Le contact avec autrui, soit ! Parce que le produittableau est destiné à être vu par soi, d’abord, par les autres ensuite pour qu’il trouve dans cette jonction sa raison d’être. Le public est donc nécessaire et indispensable. Ce qui l’est beaucoup moins - à mon avis - ce sont les procédés de marketing et de commercialisation qui dénaturent par ce fait même et le produit et la sincérité de l’accueil. N’avez-vous pas l’impression que le public, cheznous, ignore la peinture, s’y intéresse peu ou même pas du tout ? Tous les publics en sont là. J’affirme que dans toutes les villes de tous les pays du monde le public - qu’on le veuille ou non - n’a rien à faire avec ce que nous faisons. Cependant, pour être plus juste, reconnaissons que notre public a moins que d’autres à faire avec la peinture.

Pour quelles raisons ? Voici en réponse une confession de Charlie Chaplin qui, lui au moins, peut prétendre avoir un public ; il disait pourtant : «vous pouvez tout demander et obtenir du public, qu’il vous adule, qu’il vous encense, mieux : qu’il vous enrichisse. Mais ne lui demandez jamais ce qu’il ne saura jamais faire : vous comprendre !». Pourquoi ? Nous pourrions le savoir vous et moi, cher monsieur, si nous avions le temps et s’il en valait la peine ! Et puis pour résumer la corrélation peintre - public je dirais simplement : Dix mètres de cimaises, oui. Dix mètres de trottoir, non ! Il y a comme une sorte d’effritement dans la pratique de la peinture, les peintres ne semblent pas être convaincus de ce qu’ils font... Des crises ? Si c’est vrai tant mieux, c’est un bon signe. Les crises ne peuvent qu’être, à mon avis, qu’un stimulant pour la matérialisation des fantasmes. Ce que je crains le plus ce n’est pas qu’il y ait des crises, mais au contraire, qu’il n’y en ait pas. Et il semble que nous assistons en ce moment à un phénomène inverse, au moins en partie : le commerce de la peinture prospère seulement pour quelques uns. C’est dans cette anti-crise définie en langage d’économistes qu’il peut y avoir danger. Monsieur le journaliste, ce n’est pas la tentation de l’absolu - avec ce que tout cela implique de risques très lourds qu’un peintre hésite à affronter ce qu’il gagne sans doute à craindre - ce n’est pas la tentation de l’absolu, c’est la tentation du marché. Le succès commercial ne pardonne pas : souvenez-vous du mot de Harpignies, ce grand peintre français du XIXème siècle de l’école de Barbizon dont on sait que les forêts, d’abord peintes avec tremblement, ont fini au fil des années par alourdir son carnet de commande. Il répondit à un ami de jeunesse qu’il avait perdu de vue pendant de nombreuses années, et qui lui posait la question rituelle : «Alors, ça va ? Qu’est-ce que tu fais ?», le maître, désabusé, répondit : «Qu’est-ce que tu veux mon ami ? Je suis devenu marchand de bois !». Il existe une polémique insistante, ces dernières années au sujet de la classique dualité ancienmoderne, comment percevez-vous ce problème ? Le vrai problème, le seul - à mon avis- qui devrait engager tout le monde et m’engager moi-même tous les jours, c’est le problème de la qualité, celui de l’exigence vis-à-vis de soi, d’abord. Car - et je le répète - soi-même c’est le premier public. à partir du moment où l’on est suffisemment fou et lucide pour faire en sorte que le délire n’ait à obéir qu’à ses propres lois, le reste n’est qu’un faux débat. La question n’est pas : quoi ? Elle est plutôt : comment ? J’ai vu au Pakistan un artiste vénérable travailler sur une miniature dont l’aspect folklorique pourrait la sacrifier au besoin de classement. Mais quelle maîtrise, quelle émotion, quelle vérité humaine, quel témoignage au niveau de la sociologie et de l’ethnographie ! En bref, quel beau folklore ! et je n’ai pas peur des mots. Il y avait sans doute dans ce pays une réalité populaire vivante et intense et qui a de la tradition, tout ça passait

Hatim El Mekki

Pourquoi avez-vous choisi (la galerie) Irtisem pour vous «manifester» après si longue absence ?

dans le tableau ; mais il serait mortel, pour les peintres pakistanais plus dangereux peut-être que l’implantation d’une usine à retraitement atomique, que l’ensemble des artistes pakistanais et singulièrement les jeunes, se mettent tous à en fabriquer. Ce qui m’ennuie chez ceux qui choisissent aussi bien le folklore que l’antifolklore c’est que, souvent, ni les uns ni les autres ne se préoccupent de faire un tableau ! Croyez-vous à l’unité de la peinture arabe ? certains idéologues de l’art croient trouver dans la tradition arabe quelque chose qui justifie le tracé d’une voie unitaire... Il y a des peintres arabes, certainement pas une peinture arabe. Que les peintres arabes travaillent ! et au bout de X années, de X décennies, de X siècles, si cette peinture arabe doit exister, d’autres personnes répondront qu’on ne définit pas l’évidence. Je me garderais bien de suivre ceux qui prennent le risque de tomber dans le travers qui consiste à prendre l’histoire future pour le fait divers du jour en prenant d’audacieuses options. J’ai toujours été amusé par la boutade de J. Cocteau faisant parler ses aieux lointains et leur faisant dire : «Nous, les chevaliers du Moyen-âge»... Mais c’est maintenant qu’ils s’appellent chevaliers du moyen-âge ! Mais pour terminer avec une grande figure nationale, j’ai le souvenir d’une conversation - j’étais alors très jeune, à peine capable de poursuivre mon interlocuteur, qui n’était autre qu’Aboul Kacem Chebbi - celui-ci disait en substance : la poésie est dans tout et si vous avez la chance vous réussissez à en extirper quelques débris, le reste c’est à dire les points d’interrogation que l’on peut poser à son endroit, ce n’est pas l’affaire du poète d’y répondre, il a trop à faire avec soi-même ; c’est l’affaire des autres... Hatim El Mekki interviewé par Youssef Seddik en 1977


KAROPOLIS

acrylique sur bois

exposition de Nadia Jelassi, Galerie A.Gorgi, Janvier 2017 Les ministres passent, demeure leur posture…

Nadia Jelassi

Bref ces images solennelles ne représentent pas seulement des individus mais aussi et peut être surtout des individus en représentation de leur pouvoir sinon du pouvoir. Les traits des uns pouvant aisément se substituer aux traits des autres et il serait plus juste de parler de contreportraits que de portraits.

KAROPOLIS Acrylique sur bois avec reliefs. Longtemps une seule image hantait la vie de la polis. En buste ou à la taille, le portrait photographique du président envahissait tout l’espace public. Omniprésente, à la ville comme à la campagne, à l’intérieur comme à l’extérieur, cette incarnation imagée du pouvoir traduisait en même temps son omnipotence. Il était quasiment impossible de soustraire cette image à sa propre vue comme il était utopique d’échapper au regard à la fois bienveillant et surveillant du président. Travaillant à la production d’une légende personnelle et à la mise en place d’une sorte d’ubiquité symbolique, l’iconographie politique tunisienne se limitait le plus souvent à la figure présidentielle. Sur un plan strictement communicationnel, les autres figures du politique marquaient une présence analogue à un décor. Depuis, les figures et les postures du politique n’ont pas seulement crû mais se sont beaucoup diversifiées. L’avènement du numérique, la mise à flux des images, l’ouverture démocratique transforment radicalement le comportement des usagers ; celui des hommes politiques n’y échappe pas. Désormais, les présidences, les ministères mais aussi les chefs de partis se sont dotés de conseillers en communication et travaillent à façonner, plus ou moins habilement, une image attestant des moments « forts » de leurs activités. La signature d’un contrat, l’attribution d’un prix, l’inauguration d’un lieu… se meuvent invariablement en occasions photographiques, se teintent inévitablement de touches protocolaires. Ces images quelque peu emphatiques les représentant souvent seuls ou avec d’autres partenaires, portant ou affichant des insignes et des signes du pouvoir (drapeau, ordre de mérite, …) sont postés sur les réseaux sociaux. Les acteurs politiques ne font plus décor mais donnent à se voir dans leur décor. La conformité vestimentaire (costume sombre et cravate), l’uniformité des poses (debout les bras ballants ou croisés …) et des expressions des visages (absence de sourire ou à minima), la constance de l’éternel bouquet floral et des arrière-fonds ornés de stucs ou de carreaux de céramique peinte, participent pleinement à ce spectacle et matérialisent le caractère archétypal de ces images. Fortement ritualisés de par leur fonction même, ces cadrages et mises en scène photographiques sont quasiment invariants voire interchangeables.

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Ainsi donc, l’unique image hégémonique n’est plus de mise. Sans préparation aucune, nous avons glissé d’un régime d’image autoritaire à un régime plus libéral. La diversité nous a projeté directement dans la société du spectacle. Tout ce qui est directement vécu, s’éloigne instantanément de ce vécu encore en œuvre et se meut irrémédiablement en une représentation. Scrutant depuis un certain temps, divers pans de la manifestation imagée du pouvoir, ce matériau photographique, fourni par les acteurs mêmes du pouvoir, m’a paru suffisamment fourmillant de possibles pour initier une nouvelle recherche picturale. Ceux qui suivent mon activité artistique connaissent l’intérêt que je porte aux différentes représentations du pouvoir aussi bien dans ses expressions directes qu’au travers de ses symptômes, intérêt s’étant déjà manifesté dans deux expositions personnelles : En rupture d’assises (2010) et Fatchata (2014). Entrecroisant des postures de représentation et les décors dans lesquels elle se déploient, Karopolis cherche à explorer un autre versant de ce champ. Lors de mes multiples promenades sur les pages officielles des institutions ou des hommes politiques, j’ai pu constater que les acteurs du pouvoir se font photographier devant des éléments architectoniques fortement connotés d’une empreinte décorative locale : arcs simples ou polylobés, panneaux en stucs ou en céramiques fortement colorés. Un choix marquant un ancrage identitaire sans doute ! Karopolis est aussi né de ce constat et du désir longtemps repoussé de me saisir du carreau de céramique et de ses fonctions décoratives comme éléments plastiques participant pleinement à la composition au même titre que n’importe quel autre élément. Le défi était de combiner la sobriété du vestimentaire à la surcharge ornementale des carreaux de céramique, les courbes des corps et des motifs à la rectitude du carré. Les carreaux de céramique ornés de motifs floraux et animaux devraient en quelque sorte perdre leur particularité décorative d’arrière-fond et s’intégrer pleinement au vestimentaire et à la figure humaine. L’ordre du décor devrait faire corps avec les silhouettes des corps représentants le pouvoir et générer de la sorte un autre ordre du plastique. Cette exposition s’inscrit donc dans une tentative d’abolition des hiérarchies entre l’ornement et la figure, le fond et la forme, le lieu et ceux qui l’habitent ou le consomment. Entre la frontalité du pictural et du photographique, dans la répétition du motif, par l’exubérance des couleurs, par le collage de faux insectes, en surface mais aussi en reliefs, Karopolis espère déjouer la gravité des postures du politique et introduire une note de dérision dans le spectacle des représentations du pouvoir.

Nadia JELASSI

Tunis le 19 Août 2016


‫‪Etat d’urgence, n°4 - Tunis - Janvier 2017‬‬

‫‪Kaché sous la pluie, acrylique sur bois, collage, 76x110 cm, 2016.‬‬

‫ﻭ ﺣﻀﻮﺭﺍ ﻳﺴﺘﻮﻓﻲ ﺍﻟﺤﻜﺎﻳﺔ‪ .‬ﻫﻮ ﺍﻟﺮّﺍﻭﻱ ﺍﻟﺬﻱ ﻻ ﻳﻄﻮّﺭ‬ ‫ﺍﻷﺣﺪﺍﺙ ﻭ ﻻ ﻳﺘـﻘـﺪّﻡ ﺑﻬﺎ ﻟﻴﻈﻞّ ﻭﺍﻗﻔﺎ ﻛﻤﻨﺤﻮﺗﺔ‬ ‫ﻣﺼﻘﻮﻟﺔ ﻣﻦ ﺍﻟﻤﺎﺩّﺓ ﺍﻟﻠﻮﻧﻴﺔ‪ ،‬ﺃﻣﺎﻡ ﻣﺮﺁﺓ ﻻ ﻳﺮﻯ ﻧﻔﺴﻪ‬ ‫ﺑﻞ ﺗﻌﻜﺲ ﺻﻮﺭﺗﻪ ﻟﻶﺧﺮﻳﻦ ﻭ ﺗﺸﻴﺮ ﺑﺤﻴﺎﺀ ﺇﻟﻰ‬ ‫ﺻﺎﺣﺐ ﺍﻟﺼﻮﺭﺓ‪ .‬ﻫﻮ ﻓﻲ ﻣﺮﻛﺰ ﺍﻟﺘّـﻜﻮﻳﻦ ﻳﺤﻮﻡ ﺣﻮﻟﻪ‬ ‫ﺍﻟﺤﺪﺙ ﺍﻟﺘﺸﻜﻴﻠﻲّ ﻣﺜﻠﻤﺎ ﻳﺄﺧﺬ ﻣﻜﺎﻧﺔ ﻫﺎﻣّـﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﻔﻀﺎﺀ‬ ‫ﺍﻟﺮّﺳﻤﻲ‪ .‬ﻟﻠﺼﻮﺭﺓ ﺗﺎﺭﻳﺦ ﻣﻨﺘﺸﺮ ﻓﻲ ﻋﻤﻘﻬﺎ ﻭ ﺣﺎﺿﺮ‬ ‫ﻧﺎﺗﺊ ﺑﺎﺭﺯ ﻓﻲ ﻭﺟﺎﻫﺔ ﺍﻟﻮﺟﻮﻩ ﺍﻟﻤﻌﺮﻭﺿﺔ‪.‬‬

‫‪Slimen Elkamel‬‬

‫اﺳﺘﻤﻌﻮﺍ إﻟﻰ ﻣﺎ ﺗﺒﻘﻰ‬ ‫ﻣﻦ ﺍﻟﺼﻮﺭﺓ‬

‫ﻭﺟﻪ ﺑﻼ ﻣﻼﻣﺢ ‪ ،‬ﻭﺟﻪ ﻋﻼﻣﺔ ﺩﺍﻟّـﺔ ﻭ ﺑﻮﺭﺗﺮﻳﻪ ﺣﺎﻓﻆ‬ ‫ﻋﻠﻰ ﺍﺧﺘﻼﻑ ﺭﻏﻢ ﺍﻟﻤﺤﻮ ﺍﻟﺬﻱ ﺃﻟﻢّ ﺑﺘﻀﺎﺭﻳﺴﻪ‬ ‫ﻭ ﻧﺘﻮﺀﺍﺗﻪ‪ .‬ﺻﺎﺭ ﺳﻄﺤﺎ‪ .‬ﻟﻢ ﻳﻌﺪ ﺣﺎﻣﻼ ﻟﻠﺨﻄﻮﻁ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﺘﺠﺎﻋﻴﺪ‪ .‬ﺍﻟﻠّﻮﺣﺔ ﻣﺮﺁﺓ ﺗﻌﻜﺲ ﺃﻱ ﺃﻧﻬﺎ ﺗﻨﺘﺞ ﺍﻟﻨﻘﻴﺾ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﺼّﻮﺭﺓ ﺍﻟﺴّﺎﻟﺒﺔ ﻣﻦ ﺍﻷﺻﻞ‪ .‬ﺍﻟﻬﻮﻳّﺔ ﺣﺎﺿﺮﺓ ﻓﻲ‬ ‫ﺷﻜﻞ ﻫﻴﺂﺕ ﻭ ﻫﻴﺎﻛﻞ‪ .‬ﻫﺬﺍ ﻭﺟﻪ ﺳﻴﺎﺳﻲ ﻓﻲ ﺍﻟﻤﻄﻠﻖ‬ ‫ﻳﺘﺼﺪﺭ ﺍﻟﻤﺸﻬﺪ‪ ،‬ﻓﻲ ﺗﺸﺎﺑﻪ ﻭ ﻧﻤﻄﻴﺔ ﻣﺘﻌﺎﺭﻑ ﻋﻠﻴﻬﺎ‬ ‫ﻭﻣﺘﻜﺮّﺭﺓ‪ ،‬ﻓﺎﻟﻮﻗــﻮﻑ ﻭﺍﻟﺠﻠــﻮﺱ ﻭﺍﻟﻤﺼــﺎﻓﺤﺔ‬ ‫وﺍﻟﻀﺤﻚ ﻭﺍﻟﻤﺠـﺎﻣﻠﺔ ﻭﺍﻟﺸﺮﺏ ﻭﺭﺑـﻄـﺎﺕ ﺍﻟﻌﻨﻖ‬

‫ﻭﺍﻟﻤﻼﺑﺲ ﻛﻠـّﻬﺎ ﺷﻔﺮﺍﺕ ﻭ ﻧﻮﺍﻣﻴﺲ ﻳﺘﻘﻤّــﺼﻬﺎ ﺍﻟﺴّﻴﺎﺳﻲ‬ ‫ﻟﻴﺘﻼﺋﻢ ﻣﻊ ﺍﻟﺪّﻭﺭ ﺍﻟﻤﻮﻛﻮﻝ ﻟﻪ‪ .‬ﺍﻟﻠّﻮﺣﺔ ﺧﺸﺒﺔ ﻣﺴﺮﺡ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﻤﻤﺜـّﻞ ﻳﺤﻤﻞ »ﻗﻨﺎﻋﺎ ﻣﺤﺎﻳﺪﺍ« ﻟﻴﺘﺮﻙ ﻟﻠﺠﺴﺪ ﺣﺮﻛﺔ‬ ‫‪3‬‬

‫ﺻﺮﺍﻉ ﺧﻔﻲّ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﺴّـﻄﺤﻲ ﻭ ﺍﻟﻌﻤﻴﻖ ﺗﺤﺮﻛﻪ ﻧﺎﺩﻳﺔ ﺍﻟﺠﻼﺻﻲ‬ ‫ﻓﻲ ﺳﺒﻴﻞ ﺍﻻﺳﺘﻤﺎﻉ ﻟﻠﺼﻮﺭﺓ ﻭ ﺍﻻﺳﺘﻤﺘﺎﻉ ﺑﻬﺎ‪ .‬ﻟﻴﺴﺖ‬ ‫ﻟﺤﻈﺔ ﺗﻠﻔﺰﻳّـﺔ ﻋﺎﺑﺮﺓ ﻭ ﻻ ﺣﺪﺛﺎ ﺭﻭﺗﻴﻨﻴﺎ ﻓﻲ ﻳﻮﻣﻴﺎﺕ ﺍﻟﺴّـﻴﺎﺳﺔ‬ ‫ﻭﻻ ﻫﻮ ﺗﺬﻛﻴﺮ ﻭﺇﻋﺎﺩﺓ ﻟﻮﻣﻀﺎﺕ ﻭﺭﺍﺋﻴﺔ ﻣﻴّـﺰﺕ ﺗﻮﻧﺲ‬ ‫ﺑﻌﺪ ﺍﻟﺜﻮﺭﺓ‪ ،‬ﺑﻞ ﻓﻀﺎﺀ ﻟﻠﻨﻘﺎﺵ ﻭﺍﻟﺠﺪﻝ ﻳﺘﻄﺎﻳﺮ ﺻﺪﺍﻩ‬ ‫ﺧﺎﺭﺝ ﺍﻟﻠﻮﺣﺔ‪ .‬ﺗﺴﻠﺐ ﺍﻟﺒﻼﻏﺔ ﺍﻟﺘّـﺸﻜﻴﻠﻴّـﺔ ﺍﻟﺨﻄﺎﺑﺔ ﺍﻟﻠّـﻐـﻮﻳﺔ‬ ‫ﺳﻠﻄﺘﻬﺎ‪ .‬ﻟﻠﺼّـﻮﺭﺓ ﺳﻴﺎﺳﺘﻬﺎ ﺍﻟﻤﺘﺠﺎﻭﺯﺓ ﻟﻠﺴﻴﺎﺳﻲ ﻓﻲ ﺣﺪّ ﺫﺍﺗﻪ‬ ‫ﻭ ﻟﻬﺎ ﺗﻘﻨﻴﺎﺗﻬﺎ ﺍﻟﻤﻨﺤﺮﻓﺔ ﻋﻦ ﺍﻟﺘﻘﻨﻲ‪.‬‬ ‫ﺑﻴﻦ ﻣﻦ ﻳﺮﻳﺪ ﺃﻥ ﻳﺮﺳﻢ ﻭﺟﻬﺎ ﻭ ﻣﻦ ﻳﺮﻏﺐ ﻓﻲ ﺇﺧﻔﺎﺋﻪ‬ ‫ﻳﺘﻤﻮﻗﻊ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻤﺸﺮﻭﻉ ﻓﻲ ﻧﻘﻄﺔ ﻭﺳﻂ ﺗﺒﻴّﻥ ﺃﻥّ ﺍﻟﻤﺤﻮ‬ ‫ﻳﻤﻜﻦ ﺃﻥ ﻳﻜﺸﻒ ﻭ ﺃﻥ ﺍﻟﻄﻤﺲ ﻃﺮﻳﻖ ﺇﻟﻰ ﺍﻹﻇﻬﺎﺭ‪،‬‬ ‫ﻓﻬﺬﻩ ﺍﻷﻋﻤﺎﻝ ﻻ ﺗﻘﺪّﻡ ﺇﺟﺎﺑﺔ ﺑﻞ ﺗﻔﺘﺢ ﺃﻣﺎﻣﻬﺎ ﺍﻟﺒﺎﺏ ﻣﻤّــﺎ‬ ‫ﻳﺴﺘﺪﻋﻲ ﺍﻟﺨﻴﺎﻝ ﻟﻠﺒﺤﺚ ﻓﻲ ﻣﺎ ﻭﺭﺍﺀ ﺍﻟﺼّـﻮﺭﺓ‪ ،‬ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻤﺜﻞ‬ ‫ﺑﺪﺍﻳﺔ ﻟﻘﺎﺩﻡ ﻋﻠﻴﻨﺎ ﺍﻗﺘﻔﺎﺅﻩ ﺑﺎﻋﺘﺒﺎﺭﻫﺎ ﺇﺷﺎﺭﺓ ﺍﻧﻄﻼﻕ‬ ‫ﺍﻟﻐﻮﺹ ﻓﻲ ﺍﻟﺼّـﻮﺭ ﺍﻟﺬﻫﻨﻴّﺔ ﻛﻤﻦ ﻳﻄﻠﺐ ﻣﻨﺎ ﺗﺨﻴـّﻞ‬ ‫ﻧﻬﺎﻳﺎﺕ ﻟﻠﺤﺪﺙ ﺍﻟﻤﻤﺜـّﻞ‪.‬‬ ‫ﺍﻟﺨﻠﻔﻴﺎﺕ ﺍﻟﻤﺆﺛّﺜﺔ ﻣﻦ ﺍﻟﺰﺧﺎﺭﻑ ﺗﺴﺘﺪﻋﻲ ﻋﺎﻟﻤﺎ ﺁﺧﺮﺍ‬ ‫ﺗﻢّ ﺗﻮﻟﻴﻔﻪ ﻭ ﺇﻟﺤﺎﻗﻪ ﺑﺎﻟﻤﺸﻬﺪ ﺑﻄﺮﻳﻘﺔ ﺗﺆﻃّﺮ ﺍﻟﺤﺪﺙ‬

‫ﻭﺗﺤﺼﺮﻩ ﻓﻲ ﺣﺪﻭﺩ ﻣﻀﺒﻮﻃﺔ ﻓﻴﺘﺪﺍﺧﻞ ﻭﻳﻠﺘﺒﺲ‬ ‫ﺍﻟﺸﻜﻞ ﻭﺍﻟﺨﻠﻔﻴﺔ‪ ،‬ﻓﻬﻨﺪﺳﺔ ﺍﻟﻔﻀﺎﺀ ﻗﺎﺋﻤﺔ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺘﺮﻛﻴﺐ‬ ‫ﻭﺧﻠﻖ ﻟﻘﺎﺀﺍﺕ ﻃﺮﻳﻔﺔ ﺑﻴﻦ ﻣﺎ ﻳﻠﺘﺤﻔﻪ ﺍﻹﻧﺴﺎﻥ ﻭ ﻣﺎ ﻳﻠﺘﺤﻔﻪ‬ ‫ﺍﻟﺤﺎﺋﻂ‪ .‬ﻣﻦ ﻳﻠﺒﺲ ﺯﺧﺎﺭﻑ ﺣﺎﺋﻄﻴﺔ ﻭﻳﻠﻒّ ﺟﺴﺪﻩ‬ ‫ﺑﻤﻮﺗﻴﻔﺎﺕ ﺯﺧﺮﻓﻴﺔ ﻧﺒﺎﺗﻴﺔ ﺃﻭ ﺣﻴﻮﺍﻧﻴﺔ ﻫﻮ ﺗﻌﺒﻴﺮ ﻋﻦ‬ ‫»ﺍﻟﻜﻴﺘﺶ« ﺍﻟﺬﻱ ﻳﻀﻤﺮ ﻫﺰﺀﺍ ﻭ ﺳﺨﺮﻳﺔ‪ .‬ﺷﺨﻮﺹ ﺗﻠﺒﺲ‬ ‫ﺍﻟﺤﺎﺋﻂ ﻭ ﺗﺘﻮﺣّﺪ ﻣﻌﻪ ﻭﺗﺘﻮﻏــــــّﻞ ﻓﻴﻪ ﻓﺘﻈﻬﺮ ﻣﻦ ﻓﺘﺤﺎﺗﻪ‬ ‫ﻭﺷﺒﺎﺑﻴﻜﻪ‪ ،‬ﻫﻢ ﻣﺠﺮّﺩ ﻣﻔﺮﺩﺍﺕ ﺗﺆﺛـّـــــــــﺚ ﺍﻟﻔﻀﺎﺀ‬ ‫ﻭﺗﺘﻤﺎﻫﻰ ﻣﻌﻪ‪ .‬ﻟﻠﻐﺔ ﺯﺧﺎﺭﻓﻬﺎ ﻭﻟﻠﺰّﺧـــــــــﺎﺭﻑ ﻏﻮﺍﻳﺘﻬﺎ‬ ‫ﻭﺇﻏﺮﺍﺀﻫﺎ‪ ،‬ﻓﻠﻢ ﺗﻌﺪ ﻣﺠﺮﺩ ﺩﻳﻜﻮﺭ ﻣﻜﻤﻞ ﺑﻞ ﻣﻬﻴﻤﻦ‬ ‫ﺗﻘﻀﻲ ﺍﻟﻔﻨﺎﻧﺔ ﻭﻗﺘﺎ ﻃﻮﻳﻼ ﻓﻲ ﺭﺳﻤﻪ ﻭﺗﻠﻮﻳﻨﻪ ﻭﺗﻨﻈﻴﻤﻪ‬ ‫ﻭﺗﺮﺻﻴﻔﻪ ﻟﻴﺴﺘﻮﻱ ﺷﺒﻜﺔ ﺗﻠﺘﺼﻖ ﻓﻴﻬﺎ ﺍﻟﺼﻮﺭ‬ ‫ﻭﺗﻌﻠﻖ ﻓﻲ ﺷﺮﺍﻛﻬﺎ ﺍﻟﺤﻜﺎﻳﺎﺕ‪ .‬ﻭﺭﺍﺀ ﺍﻟﻤﺮﺑّـــﻌﺎﺕ‬ ‫ﺍﻟﺰﺧﺮﻓﻴﺔ ﺳﺘﺮ ﻭﺇﺧﻔﺎﺀ ﻟﻬﻮﻝ ﺍﻟﺤﺪﺙ ﻛﻤﺴﺤﺔ ﻣﻦ ﺍﻟﺨﻴﺎﻝ‬ ‫ﺿﺮﻭﺭﻳﺔ ﻻﺑﺘﻼﻉ ﻣﺮﺍﺭﺓ ﺍﻟﺤﺪﺙ ﺍﻟﺘﺎﺭﻳﺨﻲ ﻭﻓﺪﺍﺣﺘﻪ‬ ‫ﺃﻭ ﺷﻲﺀ ﻣﻦ ﺍﻟﺤﺬﻕ ﺗﺘﻄﻠﺒﻪ ﺭﻭﺍﻳﺔ ﺍﻟﺮّﻭﺍﻳﺔ ﺣﺘــّﻰ ﻳﻨﻄﻠﻖ‬ ‫ﺍﻟﺼّـــﻮﺕ ﻣﻦ ﺍﻟﺤﻮﺍﺭﺍﺕ ﺍﻟﺼﺎﻣﺘﺔ ﻓﻲ ﻛﻞ ﻟﻮﺣﺔ‪.‬‬ ‫ﻳﺮﺍﻓﻖ ﺍﻟﺨﻴﺎﻝ ﺍﻟﺘﺎﺭﻳﺦ ﺣﺘــّﻰ ﻧﺼﺪﻗﻪ ﻭ ﻳﺘﻮﺍﺻﻞ ‪ ،‬ﻓﻲ ﺣﻴﻦ‬ ‫ﺗﺠﻌﻞ ﺇﺳﺘﻄﻴﻘﺎ ﺍﻟﻴﻮﻣﻲ ﻣﻦ ﺍﻟﻮﺍﻗﻊ ﻓﺮﺻﺔ ﻟﻼﻧﺘﺒﺎﻩ‬ ‫ﻟﺘﻔﺎﺻﻴﻠﻪ ﻭ ﺯﺧﺎﺭﻓﻪ‪.‬‬ ‫ﻫﺬﻩ ﺳﻠﺴﻠﺔ ﺃﺧﺮﻯ ﺗﻘﺪّﻣﻬﺎ ﻧﺎﺩﻳﺔ ﺍﻟﺠﻼﺻﻲ ﻓﻲ ﻫﺬﺍ‬ ‫ﺍﻟﻤﻌﺮﺽ ﺗﻜﺸﻒ ﺍﺭﺗﺒﺎﻃﻬﺎ ﺍﻟﻮﺛﻴﻖ ﺑﺘﻮﻧﺲ ﺗﺼﻮﺭﺍ‬ ‫ﻭﻓﻜﺮﺍ ﻭﺇﻧﺸﺎﺀ ﺇﻳﻤﺎﻧﺎ ﺑﺄﺻﺎﻟﺔ ﺍﻟﻤﻤﺎﺭﺳﺔ ﻭﺗﺠﺬّﺭﻫﺎ ﻭﺩﺭﺀﺍ‬ ‫ﻟﻼﻏﺘﺮﺍﺏ ﻭﺍﻻِﻧﺒﺘـــــــﺎﺕ‪.‬‬

‫ﺳﻠﻴﻤﺎﻥ ﺍﻟﻜﺎﻣﻞ‬


KAROPOLIS ; fables et imaginaire. «Karopolis» un titre sous lequel s’organise l’exposition personnelle de Nadia Jelassi réunissant un ensemble de panneaux peints (tableaux). Il n’est pas possible en introduction de désigner la nature des oeuvres que nous propose cette fois-ci l’artiste. En effet, les lignes qui suivront se chargeront de soulever les questions sur ce qui se trame derrière mais surtout devant ce travail sans le cloisonner verbalement et condamner la lecture de l’œuvre. Si par figuration l’on admet simplement une connivence d’apparences entre réalité et représentation, on pourra en conséquence dire qu’il s’agit d’oeuvres figuratives. Et si l’on rentre davantage dans des détails plus profonds, l’on constatera que les tableaux mettent en scène des situations et des images médiatisées. Ces images, élues par l’artiste, traitent de l’actualité politique nationale (y compris sur un plan international). Le temps est nécessaire quant à l’explication de la sélection de ces images pêchées dans les houleuses vagues médiatiques. La pêche au filet de pixels est rude parce qu’on finit par tout absorber sans réellement retenir ce qui est le plus utile à la mémoire. On y surfe comme on peut jusqu’à ce qu’elles échouent dans l’oubli, s’écrasent sur les mémoires et polissent l’histoire... Revenons donc sur terre ferme en ce lieu de fiction appelé Karopolis. Il s’agit d’une cité à l’ère du cybernétique et du virtuel. L’artiste y promène son regard et ses visions en reprenant des images marquant les événements politiques plus ou moins actuels qui lui servent de prétexte à dessein traitant Le politique.

Dans ce cadre fort séduisant, posent les figurants et les figurantes démasqués par la frontalité. Leurs attitudes et postures sont figées. Suivant une ruse plastique, ils sont doucement piégés dans des filets d’arabesques et de figures végétales, florales et animales. Le motif donne l’impression de grimper progressivement sur les figures en relief. Le relief est d’ailleurs récurrent dans les oeuvres de Nadia Jelassi. On se rappelle de ses photomontages en relief de 2015 (exposition “Fatchata”) ou encore des “combinatoires” de chaises de 2010 (exposition “En rupture d’assises”). Serait-il alors adéquat de parler de bas-reliefs ? Autre concordance avec les oeuvres précédentes, consiste en l’usage de matériaux et d’objets comme le ruban et les boutons (utilisés dans “Trois boutons etc.”). S’agit-il d’une affection pour ces objets, d’un clin d’oeil aux oeuvres précédentes ou, plus sérieusement, d’un signe qui indique que l’artiste consolide davantage son univers poétique et esthétique ? L’artiste explore ainsi un corpus imaginaire restreint et complexe. Elle dresse une trame qui permet de renouveler les possibilités plastiques en tenant à carreau la matière que propose la peinture. Cette dernière joue ici le rôle de médium. Les compositions sont conçues de manière méthodique mais sans négliger l’instinct créatif qui confère à l’oeuvre son aura. L’approche picturale varie au dépend de la scène ou du figurant représenté. Tantôt la figure et les mains sont couvertes du motif, tantôt elles fondent intégralement dans la trame qui par d’autres moments les intercepte, les attrape, les cache, les habille. à aucun moment les figurants ne parviennent à échapper à ses mailles. Même quand le fond est plus dégagé ils restent coincés dans son cadre.

Entre fabulation et prémonition L’embarras des termes face à l’instinct créatif Serait-il judicieux de qualifier les tableaux de «combine paintings» ? Les insectes artificiels, les épinglettes, les boutons et le ruban tissé collés ne sont pas les seuls éléments qui justifieraient une telle qualification. La dénomination ne se réfère pas strictement à celle donnée par Rauschenberg et inventée plastiquement par lui. C’est aussi la méthode combinatoire de Nadia Jelassi qui inspire aussi une telle assimilation. L’artiste met en application et de manière probablement intuitive, une combinatoire des motifs de carreaux et des figures de sorte à explorer le plus possible les variétés expressives et esthétiques. Tantôt les carreaux sont diégétiques définissant l’espace qui entoure les figurants («kdebout kalila wa demna»), tantôt ils ornementent les costumes de ceuxlà («Kartet avec fil»). Par moment ils entourent l’auréole où figure la scène (les formats carrés : «Karond chantier», «Karond diplo», «Karond bonsoir», «Karond bonjour» et «Karond prix»). Parfois ils s’accaparent presque intégralement l’espace pictural. Les titres de la série Karond confirment la démarche combinatoire de l’artiste. La palette de couleurs est minutieusement choisie et appliquée. La subtilité des alliances chromatiques démontre une méditation qui a dû être des plus rudes car il serait difficile pour les coloristes les plus exercés d’harmoniser un orangé fluorescent de gilets de chantiers avec la sobriété et l’élégance des bleus, bruns, ocres jaunes, verts du zellige et des arabesques. 24

Si l’on ne voit pas de traits de visages, c’est parce que les personnages sont reconnus et reconnaissables... pas besoin de faire un dessin pour savoir qui est qui. Et cela d’ailleurs importe peu, car s’ils jouent des rôles principaux dans la série des bouleversements politiques, sur cette scène de bois ils sont figurants. Et de cette scène parlons-en. Nadia Jelassi y apporte le soin d’y reproduire les motifs d’arabesques ainsi que des carreaux et des panneaux de céramiques reconnus comme valeur attestée du patrimoine tunisien où s’entrelacent les cultures d’antan ; ottomane, juive, musulmane, andalouse, etc. Le tout constitue un bestiaire : les insectes, les oiseaux, le lièvre, l’éléphant, le lion, le chacal... et l’homme. D’ailleurs, intuitivement, on pourrait pressentir une inversion des rôles. Les figures humaines adoptent des gestes et présentent des postures diverses mais semblent assujetties aux figures animales bien souvent empruntées à l’imaginaire oriental (miniatures, motifs de zelliges, contes et fables). Ce sont ces figures de «bêtes» qui instaurent l’ethos dans l’ensemble des panneaux aussi bien que dans chacun isolément. Elles sont traitées avec détail ou prennent parfois le relief des planches de bois contrecollées des figures humaines qui sont, pourtant, plus importantes en dimensions. Ce relief génère une curieuse apparence des silhouettes découpées dans le bois. Leur présence est spectrale et leurs silhouettes se dessinent à l’ombre du relief. Aucun des figurants ne porte de traits de visage. Cela rappelle un peu certaines peintures


Etat d’urgence, n°4 - Tunis - Janvier 2017

des tableaux qui impliquent les figurants et les scènes représentés dans ce large panorama de Karopolis, nouveau cadre postmoderne de quelques fables. L’intemporel de l’oeuvre littéraire (et aussi picturale) écrase de son poids les petites histoires temporaires - des scènes représentées - et reprend son essence et sa fonction ultime dont la subtilité se dédouble quant à son implication symbolique dans l’oeuvre picturale qui nous est présentée. Qui dit fable, dit morale d’une histoire, voire même de l’Histoire. S’il y a en une à conclure, ce serait que la bête est porteuse de sagesse et que l’art est monument de l’Histoire. Ainsi, comme toute fable, elle se nourrit de la réalité et la prédit. Karopolis, que conte Nadia Jelassi, est une fabulation picturale en charnière entre ancien et actuel, entre image et imaginaire.

Emna Ghezaïel

Emna Ghezaïel

(photographiques) de Gerhard Richter dont on peut citer «La chapelle de la cour, Dresde» (2000). Ce dernier avait commencé à utiliser la projection de photographies sur la toile pour en reproduire les moindres détails en peinture à l’huile. Les traits de certains de ses portraits son flous et presque inexistants. Nadia Jelassi quant à elle, les a radicalement supprimés. Il n’existe pas de correspondances esthétiques et plastiques entre les deux artistes, mais il y a des affinités dans le rapport à la photographie pour l’un et à l’image médiatique pour l’autre. Les deux ont aussi un message à exprimer à travers cela. Concernant Nadia Jelassi, il vaudrait mieux éviter de chercher ce qu’elle dit à travers ses panneaux, mais plutôt se donner la liberté de voir ce qu’elle peint. Les illustrations et les personnages de fables («Kalila wa Dumna») confèrent la dimension symbolique de l’oeuvre. Une symbolique d’autant plus importante si l’on prend en considération les motifs des panneaux et du zellige. Sans oublier les titres

Kétoile Fm .i, acrylique sur bois, collage ,76x76 cm, 2016.

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Peinture, peintures... exposition de Nadia Jelassi, Galerie Yahia, Février 1993.

C’est à une traversée entre le singulier et le pluriel, entre la « kazdria » contenu et la « kazdria » contenant, que nous invite Nadia Jelassi. Mais fallait-il tout d’abord se réconcilier avec l’étymologie et croire que peindre n’est pas que métaphore ! Peindre c’est aussi se fier aux peintures cellulosiques, vinyliques, brillantes, mates, satinées ou veloutées de la quincaillerie du coin.

Imed Jemaïel

C’est aussi savoir se délecter d’une couche uniformément répartie sur une « kazdria » ou sur une échelle double.

Aujourd’hui, notre visiteur : un bipède encéphalopode, homo delectus, dénommé MBR ne longera pas les murs de la galerie Yahia, il ne percevra pas de cadres à hauteur d’yeux, ni de fenêtres ouvertes sur le monde. Aujourd’hui, les peintures huileuses, polissées et vernissées ne scanderont pas l’horizon de notre promeneur accoutumé ; les cimaises immaculées ne racontent que la désolation d’un monochrome omniprésent. Hic et nunc, Monsieur MBR hominidé ruminant spécialisé dans le rasage et le broutage des murs garnis est désappointé. Devant lui, s’étalent à même le sol des « kzaders de dahana » étrangement barbouillées, des pinceaux mal entretenus, bref, un bric à brac indigeste pour un habitué de la peinture comestible. Mais pourtant cela sent la peinture se dit-il consterné ! La peinture sous tous ses états : Peinture, peintures…

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Quatre installations grandeur nature n’ayant pour piédestal qu’une mince pellicule de couleur sont posées à même le sol. Chaque territoire ainsi consacré supporte l’étrange histoire d’une constellation d’objets. Estagnons superposés, alignés, voire renversés ponctuent chacun de nos îlots. Une échelle, des pinceaux plats peints, des traces et des menues anecdotes forment des contrepoints à notre partition première. étrange cacophonie, magma indéchiffrable, rétorque Monsieur MBR ! Puristes, mystificateurs, discoureurs sous commande, entreteneurs des sentiers battus, aujourd’hui n’est pas votre jour. Nadia Jelassi brasse les peintures et mêle les genres, elle juxtapose la touche d’un maître badigeonier à celle d’un ouvrier artiste, use d’un pistolet « prosaïque » par ci, et rehausse avec le plus fin des pinceaux par là. Avec notre artiste, plus de zones confisquées, ni de jeux interdits, elle lègue carte blanche à une peinture joviale et affranchie, insouciante et vagabonde. « kzaders » et pinceaux, échelle et rouleau, c’est aussi l’apanage de la peinture. Nadia Jelassi apprivoise cette classe d’objets et en fait une affaire particulière. Taches sur taches, tons

sur tons, geste pour geste, la procédure picturale se fait marquage, parcours et détours. Ce que peint cette peinture, c’est des aplats indiscrets, des idéogrammes suspects, des germinations innommées, ce qu’elle mime c’est les accords et les rythmes, les oppositions et les voisinages, les matières et les couleurs. D’une « kazdria » l’autre, d’un couvercle l’autre, d’une installation l’autre, la peinture se fait incantation, un même élan voire un même geste est additionné, homologué à un autre, approximativement similaire, notre regard sautillant, biaisant, dessinant les chemins les plus capricieux se délecte de petits écarts et de petites variations. Notre œil en fête escalade une échelle hors service, caresse des pinceaux désaffectés, dégouline avec une couleur et s’égare dans une forêt de signes. Aujourd’hui, nommer n’est plus de mise. Notre regard s’emparant d’un arsenal de « dahanna » se fait corps, ré-actualise et ré-agit une peinture-intensité racontant la passionnante histoire qui la fait naître. Sympathisons avec les maudits peintres, les badigeoniers, les barbouilleurs toutes catégories, réclamons ces artistes déserteurs condamnés pour avoir refusé la toile comme cercueil ; souvenons-nous de ces petites histoires qui depuis Vinci métamorphosent les taches en créature et transforment les urinoirs en œuvres d’art ; alors gagnerons en clairvoyance et saurons discerner le bon peint de l’ivraie. Monsieur MBR, homo oeconomicus notoire, déserta le lieu avec hâte. - Au revoir Monsieur, à la prochaine.

Imed Jemaïel Janvier 1993.


‫‪Etat d’urgence, n°4 - Tunis - Janvier 2017‬‬

‫‪Naceur Bencheikh‬‬

‫ﺍﻟﺪُّﻫﻦ ﺍﻟﻤَﺩْﻫﻮﻥ‬ ‫ﺑَﺭْﺷَـﻪ ﻧَـﺎﺱْ ﻓﻲ ﻫَـﺎﻟﻤﺪِﻳﻨﺔ ﻳﺤِـﺒُّـﻮ ﺍﻟﻤَـﺄْﻟﻮﻑ ﻭﺍﻟﺒﻌﺾ‬ ‫ﻣﻨﻬﻢ ﻳﻮﺻْـﻠﻮ ﺑﺎﺵْ ﻳﻘﻮﻟﻮ ﺇﻟّـﻲ ﺍﺳﻢ ﺗُـﻮﻧﺲْ ﺟﺎﺀ‬ ‫ﻣﻦ ﺍﻟﻌَـﺮﺑﻴّـﺔ ﺗُـﺆﻧﺲُ ﻣﻮﺵْ ﻣﻦ ﺍﻟﺒَـﺮﺑَـﺮﻳّـﺔ ﻛﻴﻒ‬ ‫ﺗَـﺎﻛﻠْـﺴﺔ ﻭﺗَـﻼﺑﺖْ ﻭ ﺗَـﺎﻫﻨْـﺖْ ﻭﺗَـﺎﺯﻏْـﺮﺍﻥْ‬ ‫ﻭ ﺗَـﺎﺯﺭْ ﻛﺔ ﻭﺇﻻ ﺗﻴﻔﺮﺍﻭﺕْ ﻓﻲ ﺑﻼﺩ ﺳﻮﺱْ‪.‬‬ ‫ﻭﻫﻜّـﻪ ﺗﻮَﻟّـﻲ ﺗُـﻮﻧﺲْ ﺑﻼﺩْ ﻣَـﺠَـﺎﻟﺲ ﺍﻷﻧـْﺱْ‬ ‫ﻭﺍﻟﻤَـﺎﻟﻮﻑْ ﻭﻟﻸﺻَـﺎﻟَـﺔ ﺗﺘﻌﻤَـﻞْ ﺣﺪﻭﺩْ‪ ،‬ﺣﺪﻭﺩْ‬ ‫ﺍﻟﻤَـﺎﻟﻮﻑ‪ ،‬ﻣَﺍ ﻳﻜﻔﻴﺶ ﺗﺴﻮّﺩْ ﻭﺟْـﻬﻚْ ﺑﺎﺵْ ﺗﻮﻟّـﻲ‬ ‫ﻓَـﺤَّـﺎﻡْ‪ .‬ﻫَـﻜّـﻪ ﻳﻘﻮﻟﻮ‪.‬‬ ‫ﺃﻣَّـﺎ ﺍﻟﺮَّﺳْـﻢ ﻣَـﺎﻭْ ﺩﺧﻠﻨﺎ ﻣﻦْ ﺷَـﺎﺭَﻉْ ﺍﻟﺘَّـﺼﻮﻳﺮْ‬ ‫ﻭ ﻣﻦْ ﻫَـﺎﻙْ ﺍﻟﻮَﻗْـﺖ ﻇُـﻬْـﺮﻭ ﻓﻲ ﻫَـﺎﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺑــَـﺮْﺷﺔ‬ ‫ﺗﺼَـﺎﻭﺭْ‪ .‬ﺗﻌَـﺮﻓﺖ ﻋﻠﻴﻬﻢ ﺍﻟﻨّـﺎﺱ ﺍﻟﻤَـﻌْـﺮﻭﻓﻴﻦ‬ ‫ﻭﻭَﻻﻭ ﺣَـﺘّـﻰ ﻫﻮﻣَـﻪ ﻣَـﺄﻟﻮﻑ‪ ،‬ﻣَـﺎﻟﻮﻑْ ﺍﻟﻔُـﻨﻮﻥْ‬ ‫ﺍﻟﺸَّـﻌـْـﺒﻴَّـﺔ ﻳﺘﺴَـﺠّـﻞ ﻓﻲ ﺩﻳﻮﺍﻥْ ﺍﻟﺘَّـﻘﺎﻟﻴﺪْ‬ ‫ﺍﻟﺤَـﻀَـﺮﻳّﺓ‪ ،‬ﻭﻳﺘﺴﻤَّـﻰ ﻓـُـﻮﻟْـﻜﻠﻮﺭْ‪.‬‬

‫ﻭﻛﻴﻒْ ﻣَـﺎ ﻧَـﺠَّـﻤﻨَـﺎﺵْ ﻧﺴﻜّﺭﻭﻩْ ﻓﻬـﻢْ ﺍﻟﺒَـﻌْـﺾْ ﻣﻨّـﺎ‬ ‫ﺇﻟّـﻰ ﻣَـﺎ ﻧَـﻘْـﺪﺭﻭﺵْ ﻧﺒْـﻘَـﺎﻭ ﺩَﺍﺧْـﻠﻴﻦ ﻟﻠﺘَّـﺎﺭﻳﺦ‬ ‫ﺑﺎﻟﺴّﻳﻒْ ﻋﻠﻴﻨَـﺎ ﻭ ﻣﻦْ ﺍﻷﺻْـﻠَـﺢ ﺑَـﺎﺵْ ﻧﺘْـﻔَـﺎﻫْـﻤُـﻮ‬ ‫ﻣْـﻌَـﺎﻩ ﺑﺎﻟّﺗﻲ ﻫﻲَ ﺃﺣْـﺴَـﻦْ‪ ،‬ﻣﻌْـﻨَـﺎﻫﺎ ﺑﺎﻟﺸَّـﺠَـﺎﻋَـﺔ‬ ‫ﺇﻟّﻯ ﻗﺒﻠْـﻨَـﺎ ﺑﻴﻬﺎ ﺍﻟﻤَـﺎﻟﻮﻑْ ﻣﻦْ ﻗﺒﻞْ ﻣَـﺎ ﻳـﻮَﻟّـﻲ‬ ‫ﻣَـﺄﻟﻮﻑْ‪.‬‬

‫ﻳَـﻌﺮﻓﻮﻫﺎ ﻛَـﺎﻥ ﺍﻟّـﻲ ﻳﻔـﻬْـﻤُـﻮ ﻋُـﺮُﻭﺑﺘﻬﻢْ ﻣـﻦْ ﺧﻼﻝْ‬ ‫ﺗَـﻮْﻧﺴﺘْـﻬُـﻢ ﻭ ﻳﻔْـﻬﻤﻮ ﺗَـﻮْﻧﺴﺘْـﻬُـﻢ ﻣﻦْ ﺧﻼﻝْ ﺇﻳﻤَـﺎﻧﻬﻢ‬ ‫ﺑﺎﻟﺘّـﺠْـﺪﻳﺪ‪.‬‬ ‫ﺍﻟﻔﻦّ ﻣﺘَـﺎﻉْ ﺗَـﻮّﻩ ﻳﻨَـﺠّـﻢ ﻳﻄﻠّـﻊْ ﺍﻟﻤَـﺎﺀ ﻟﻠﺼَّـﻌﺪﺓ ﻭﻳﻐَـﻄّـﻲ‬ ‫ﻋﻴﻦْ ﺍﻟﺸّـﻤﺲْ ﺑﺎﻟﻐﺮﺑَـﺎﻝْ ﻭﻳﻄﻴَّـﺢْ ﺍﻟﻜﻮﺯْ ﻭﻳﺨﻠّـﻲ‬ ‫ﺍﻟﺰّﻳﺖْ ﻣﻌَـﻠّـﻖْ ﻭﺑَـﺮَّﺍ ﻗﻮﻝ ﻛﺬْﺏْ ﻳﻔﻠَـﻖْ‪.‬‬

‫ﺁﺵ ﻳﻘﻮﻟﻮ ﺍﻟﻨّـﺎﺱْ ﺍﻟّﻱ ﺟَـﺎﻭْﻧﺎ ﻣﻦْ ﺑﻌﻴﺪْ ﻭﺩَﺧْﻟﻮﻧﺎ ﻣﻦ‬ ‫ﺷﺎﺭﻉْ ﺍﻟﺘَّـﺼْـﻮﻳﺮ ﺇﻟّﻱ ﻭَﻻﺕْ ﻋَــﻨْـﺪُﻩ ﻣَـﻨﺎﻓﺬْ ﻣﺘﻌﺪّﺩﺓ‬ ‫ﻣﻨْـﻬَـﺎ ﺍﻻُﻧْـﺘَـﺎﻧَـﺎﺕْ ﺍﻟّـﻲ ﻓﻲ ﺷَـﻜْـﻞْ ﺍﻟﻘﺼَـﺎﻋﻲ‪،‬‬ ‫ﻭﻗَـﻨَـﻮَﺍﺕ ﺍﻵﻓَـﺎﻕْ ﺇﻟّـﻲ ﻭَﻗﺘـﻠّﻱ ﻧْـﻌَـﺮّﺑﻮﻫﺎ ﺗـﻮَﻟّـﻲ‬ ‫ﺃﻓﻖْ ﻭَﺍﺣﺪْ‪.‬‬

‫ﻧﺎﺩﻳﺔ ﺍﻟﺠﻼﺻﻲ ﻋَـﺮْﺿﺖْ ﻋﻠﻴﻨﺎ ﺑﺎﺵْ ﻧَـﻌْـﻤﻠﻮ‬ ‫ﺗﺤْـﻮﺍﺳﺔ ﻓﻲ ﺛﻨﻴّـﺔ ﻣﻌَـﻠّﻣﺔ ﺑﺎﻷﺻْـﻔﺮ ﻭﺍﻷﺣْـﻤﺮ‬ ‫ﻭﺍﻷﺯْﺭﻕ ﻭﺍﻷﺑْـﻴﺾ ﻭﻧﺘﻔَـﺮّﺟﻮ ﻓﻲ ﻫَـﺎﻟﻘﺼَـﺎﺩﺭ‬ ‫ﺍﻟﻔَـﺎﺭْﻏﺔ ﺇﻟّﻱ ﺗﻀﻴﻊْ ﻓﻴﻬﺎ ﺍﻟﻌﻴﻦْ ﻋﻠَـﻰ ﺧَـﺎﻃﺮْ ﻣَـﺎ ﺗﻠﻘَـﻰ‬ ‫ﻣَﺍ ﺗﺸﺪّ‪ .‬ﻣﻌﻨَـﺎﻫﺎ ﻧَـﻌﻤﻠﻮ ﻛﻴﻤﺎ ﻭﻗﺘـﻠّﻱ ﻧﺒﺪَﺍﻭْ ﻧﻤﺸﻴﻮْ ﻓﻲ‬ ‫ﺍﻟﺸّـﺎﺭﻉْ ﻣﻦْ ﻏﻴﺮْ ﻗَـﻀﻴﺔ‪ .‬ﺣﻜَـﺎﻳﺔ ﻣﺘَـﺎﻉْ ﺗﺴﺮﻳﺢْ ﻓﻜﺮْ‬ ‫ﻛﻴﻒْ ﻣﺎ ﺗﻘﻮﻝْ ﺗﺴﺮﻳﺢْ ﺍﻟﺪّﻡ‪ .‬ﻭﺇﺫﺍ ﻛﺎﻥ ﻓﻬﻤﻨﺎ ﺇﻟّـﻲ‬ ‫ﺗﺤﺐّ ﺗﻘﻮﻟﻬﻮﻟﻨﺎ ﻧَﻋﺮﻓُـﻮ ﻭَﻗﺘﻬﺎ ﺍﻟّﻱ ﻫﻨَـﺎﻱَ ﺑﻴﺮْ‪،‬‬ ‫ﻭﻧﻠﻘَـﺎﻭْ ﺍﻟﻌَـﻼﻗﺔ ﻣَـﺎ ﺑﻴﻦْ ﺍﻟﻘﺼَـﺎﺩﺭْ ﺍﻟﻤﺼَـﻔّـﻔﺔ ﻭﺍﻟﺴَّـﺮَّﺍﻓﺔ‬ ‫ﺍﻟﻤَـﻨﺼُـﻮﺑﺔ ﻭﺍﻟﻔﻮﺷﺔ ﺍﻟﻤﻠﻄُـﻮﺧﺔ ﻭﺍﻟﺪُّﻫﻦ ﺍﻟﻤَـﺪْﻫﻮﻥ‪.‬‬

‫ﺍﻟﻨّـﺎﺱْ ﻫَـﺎﺫﻡْ ﻳﻘﻮﻟﻮ ﺍﻟّـﻲ ﺍﻟﺘَّـﺼْـﻮﻳﺮْ ﺗُـﻮَﻓّـﻰ ﻭﺍﻧْـﺰَﺍﺩْﻟﻮ‬ ‫ﺑَـﻌْـﺪْ ﻣَـﺎ ﻣﺎﺕْ ﻭﻟَـﻴّـﺪْ ﺳَـﻤَّـﻰ ﺭُﻭﺣﻪ ﺟَـﻤَﺍﻟﻴّـﺔ ﻭﻗَـﺎﻝْ‬ ‫ﺍﻟّﻱ ﻫُـﻮَ ﻓَـﻦّ ﻣَـﻔْـﺘﻮﺡْ ﻣُﻭﺵْ ﺧﻄَﺍﺏْ ﻭﺗﻔَـﻠْـﺴﻴﻒْ‪،‬‬ ‫ﻋـﻨْـﺪُﻩ ﻣَـﻮَﺍﻗﻒْ ﻣـﺮَ ﻛﺰﺓ ﻋَـﻠﻰ ﻗَـﻮَﺍﻋﺪ ﻳﺄﺳَّﺳﻬَـﺎ‬ ‫ﻭﻳﺠَـﺪَّﺩﻫَـﺎ ﻛﻞّ ﻣَـﺮَّﺓ ﻭﻟﺪْ ﺃﻣّـﻪ‪ ،‬ﻣَـﻌـﻨَـﺎﻫَـﺎ ﻭﻟﺪْ‬ ‫ﺍﻷﺻْـﻞْ‪ ،‬ﻭﺍﻟّـﻲ ﻣﻮﺵ ﺑﺎﻟﻀَّـﺮﻭﺭﺓ ﻳﻜﻮﻥْ ﻣﻦْ ﻭﻻﺩْ‬ ‫ﺍﻷﺻﻮﻝْ ﻋَـﻠَـﻰ ﺧَﺍﻃﺮْ ﺑﻜﻠّﻧﺎ ﻭﻻﺩْ ﺗﻮﻧﺲْ ﻭﺑﻨَـﺎﺗْـﻬﺎ‪.‬‬ ‫ﻧﺠﻴـﻮْ ﻟﻠﺮَّﺳْـﻤﻲ‪ ،‬ﻫَـﺬﻱ ﻣـﺮَﺍ ﺗﻮﻧﺴﻴّـﺔ ﻗﺮَﺍﺕْ ﻓﻲ‬ ‫ﺍﻟﺠَـﺎﻣْـﻌﺔ ﺍﻟﺘّـﻮﻧﺴﻴَّـﺔ ﻋﻴﻨﻴﻬﺎ ﻣَـﺤْـﻠﻮﻟَـﺔ ﻭﺗﻘَــﺮّﻱ ﻓﻲ‬ ‫ﺃَﻭْﻻﺩْ ﻭ ﺑﻨَـﺎﺕْ ﺍﻟﺨَـﻠْـﻖ ﻭﺗﺤﻠّـﻠْﻫﻢْ ﻓﻲ ﻋﻴﻨﻴﻬﻢْ‪،‬‬ ‫ﻋَـﺮْﺿﺖْ ﻋﻠﻴﻨَـﺎ ﺑَـﺎﺵْ ﻧﺸﻮﻓﻮ ﻗْـﺼَـﺎﺩﺭْ ﻣْـﺼَـﻔّﻓﺔ‪،‬‬ ‫ﻗْﺻَـﺎﺩﺭْ ﺟﺪﻳﺪﺓ ﻣَـﺎ ﺯَﺍﻟﺖْ ﺗـﻘَــﺮْﺑَـﻊْ ﻭﺗﻠُـﻖّ ﻭﺗﺼَـﻨْﻋـﺖْ‬ ‫ﻓﻲ ﺍﻟﻤَﻋْـﻤﻞْ ﺑَـﺎﺵْ ﻳﻌَـﺒّـﻴﻮْﻫَـﺎ ﺑﺎﻟﺪّﻫْـﻦْ‪ ،‬ﻗْـﺼَـﺎﺩﺭْ ﻛَـﺎﻧﺖْ‬ ‫ﻣَـﺎﺵْ ﺗﻜﻮﻥْ ﻏﻼﻑْ ﻟﻠﺪُّﻫْـﻦ ﻣﻦْ ﻏﻴﺮْ ﻣَﺍ ﻳﺘﺒﺰَّﻉ‪ ،‬ﻓﺈﺫﺍ‬ ‫ﺑﻴﻪ ﻳﻮَﻟّﻳﻮْ ﻓَـﺎﺭﻏﻴﻦْ ﻭﻣﻐﻠّـﻔﻴﻦْ ﺑﺎﻟﺪُّﻫﻦْ ﻋﻠﻰ ﻛﻞّ ﻟﻮﻥْ‬ ‫ﻳﺎ ﻛﺮﻳﻤﺔ‪ .‬ﻳﻘﻮﻟﻮ ﺍﻟّـﻲ ﺍﻟﻤﻬﻢّ ﻓﻲ ﻫَـﺎﻟﻄّـﻠْﻋﺔ ﻣﻮﺵْ ﺁﺵْ‬ ‫ﺣَـﺒّـﺖْ ﺗﻘﻮﻝْ ﻭﺇﻧﻤﺎ ﻛﻴﻔﺎﺵْ ﺗﻘﻮﻝْ‪ ،‬ﻣﻌﻨَـﺎﻫﺎ ﺣﻜَـﺎﻳﺔ‬ ‫ﻣﺘَـﺎﻉﻛَـﻴْـﻒَ‪ ،‬ﻭﻣﺎ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻜَـﻴْـﻒَ ﻣﺘَـﺎﻉْ ﺍﻟﻌَـﺮَﺑﻴّـﺔ ﻭﺍﻟﻜِـﻴﻒْ‬ ‫ﻣﺘَـﺎﻉْ ﺍﻟﺪَّﺍﺭﺟﺔ ﺍﻟﺒَـﺮﺑَـﺮﻳَّـﺔ ﺛَـﻤَّـﺔ ﺛﻨﻴّـﺔ‪ ،‬ﻭﻫَـﺎﻟﺜﻨﻴّـﺔ ﻣَﺍ‬

‫ﻭﻛﻴﻒ ﻣَـﺎ ﺻَـﺎﺭﺕْ ﺍﻟﻤﻮﺳﻴﻘَـﻰ ﺍﻷﻧﺪَﻟﺴﻴّـَـﺔ ﺃَﺳَـﺎﺱْ‬ ‫ﺃَﺻَـﺎﻟﺘﻨَـﺎ ﺍﻟﻤﻮﺳﻴﻘﻴّـﺔ ﻭَﺍﺻﻠْـﻨَـﺎ ﻓﻲ ﻫَـﺎﻟﻄﺮﻳﻖ ﻭﻗﻠْـﻨﺎ‬ ‫ﺍﻟﺮَّﺳَّـﺎﻡ ﺑَـﺎﺵْ ﻳﻜﻮﻥْ ﺃﺻﻴﻞْ ﻳﻠﺰْﻣﻮ ﻣﺎ ﻳﻔُـﻮﺗﺶْ‬ ‫ﺍﻟﺤﺪﻭﺩْ‪ .‬ﻭﺑﺎﻟﺨﺼﻮﺹْ ﻭَﻗْـﺖْ ﺍﻟّـﻲ ﻳﺘﺠَـﺎﻭﺯْ‬ ‫ﺍﻟﺴّـﺮْﻋﺔ ﻭﻳﺤﺐْ ﻳﺴﺒﻖْ ﺍﻟﺰَّﻣﺎﻥْ‪ .‬ﻭَﻗـْـﺘﻬﺎ ﻳﺨﻮّﻑْ‬ ‫ﺍﻟﻨّـﺎﺱْ ﻭﻳﺪَﺧّـﻞْ ﻓﻴﻬﻢ ﻏﻮﻟﺔ‪.‬‬ ‫ﻟﻜﻦْ ﺍﻟﺸَّـﺎﺭﻉْ ﺍﻟﻜﺒﻴﺮْ ﺍﻟّـﻲ ﺩﺧَــﻠْـﻨﺎ ﻣﻨّـﻮ ﺍﻟﺘَّـﺼْـﻮﻳﺮْ ﻣَـﺎ‬ ‫ﻳَـﻌْـﺮَﻓْـﺶْ ﺍﻟﺤﺪﻭﺩْ ﻭﺑﻘَـﻰ ﺣَـﺎﻣﻞْ ﺑﺎﻷﻓﻜَـﺎﺭْ ﺇﻟّـﻰ ﺗﺤﻞ‬ ‫ﺍﻟﻌﻴﻨﻴﻦْ‪.‬‬

‫‪La Bleue, installation de peinture sur seaux de peinture, couvercles et pinceaux, 525x315x200 cm, 1993.‬‬

‫‪7‬‬

‫ﻭﺍﻟﻠّـﻪ ﻫَـﺬﻩ ﻧﺎﺩﻳﺔ ﺍﻟﺠﻼﺻﻲ ﻳﻈﻬﺮ ﻓﻴﻬﺎ ﺑﻨْـﺖْ ﺃﻣّـﻬﺎ‪.‬‬ ‫ﻭﻳَـﻌﻄﻴﻬﺎ ﺍﻟﺼَّﺣـَّـﺔ ﻭﺑَـﺎﺭَﻙَ ﺍﻟﻠَّـﻪ ﻓﻲ ﺍﻟّـﻲ ﺣَﻝّ ﺑﻴﺒَـﺎﻥْ‬ ‫ﻗَـﺎﻋَـﺔْ ﻳَـﺤﻲَ ﻟﻬَـﺬﻩ ﺍﻟﺘَّـﻈﺎﻫﺮﺓ ﻭﻣَـﺎ ﺧَـﻼﻫَـﺎﺵْ ﻣﻦْ‬ ‫ﺍﺧﺘﺼَـﺎﺹْ ﺍﻷﺟَـﺎﻧﺐْ ﺇﻟّﻱ ﻳﻘﻮﻟﻮ ﺍﻟّـﻲ ﺍﻟﻔَـﻦّ ﻣَـﺎ‬ ‫ﻋَـﻨﺪﻭﺵْ ﺣﺪﻭﺩْ‪.‬‬

‫ﻧﺎﺻﺮ ﺑﻦ ﺍﻟﺸﻴﺦ‬ ‫‪ 25‬ﺟﺎﻧﻔﻲ ‪1993‬‬


Etat d’urgence, n°4 - Tunis - Janvier 2017

Mohamed Ben Meftah, maître incontesté de l’art de la gravure. Les qualités plastiques et esthétiques de l’œuvre de cet artiste graveur, aussi peintre et dessinateur, le placent à la tête des artistes graveurs arabes vivants. Malgré ce fait, cette œuvre est plus connue dans le reste du monde arabe que dans son propre pays, la Tunisie.

Ben Meftah encre la plaque. Il termine l’opération en imprimant l’épreuve sur un papier dessin de fabrication artisanale, à l’aide d’une presse manuelle spécialement faite pour cet usage. Ce travail patient, minutieux, risqué, exigeant plusieurs étapes, loin de décourager notre artiste, le lance sur le chemin du défi. Nourri des maîtres du clair-obscur tel Rembrandt, à l’époque de son apprentissage dans les Ateliers de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris vers la fin des années

exposition Rachida Triki dans son texte de présentation, parce qu’à notre avis, ces lignes découlent de l’élan fougueux, tout humain et naturel du subconscient de leur auteur. En l’occurrence, le sujet principal n’est pas dans le thème traité, mais c’est bien la ligne qui oriente et structure la composition entière. Aussi, cette ligne, en tant que méthode de faire artistique, se lance-t-elle à travers les méandres de l’espacetemps de l’œuvre dans un désir de fusionner, de se libérer, de s’accomplir, d’atteindre les hauts nuages ! En fait, cet artiste s’est toujours placé au-dessus de la médiocrité, des petits calculs et du recours aux chemins tortueux. Dans un objectif ainsi de surpassement, Ben Meftah a choisi la difficulté. Une musicalité méditerranéenne Une nouvelle étape, un nouveau jalon s’ouvre avec une série de plus d’une quinzaine de dessins au feutre sur papier de petit format. Ces dessins peuvent être considérés plutôt comme une recherche préparatoire à un nouveau défi, qui s’exprimera cette fois dans un langage purement pictural. La ligne serpentine des gravures d’autrefois perd de son ondulation et se fait droite. Ou bien rectiligne, hachurée, verticale, horizontale ou oblique, quelques fois courbe. Ainsi, cette ligne construit la composition, non sans une pointe d’humour, mêlée à une ambiance joyeuse, dans laquelle l’ironie et même le sarcasme - selon le propos de l’artiste - trouvent une petite place. Dans ce défilé de titres : «Tête d’une princesse», «Couple oriental», «Mariage mixte», «Foule rouge», «Oiseaux du paradis», «Shahrazade», «Château suspendu», «Dégustation», «Totem du bonheur»… le chaud du jaune, du rouge, de l’orangé et le froid du vert, du violet, du bleu mis en confrontation s’exaltent ! Présence fulgurante de couleurs primaires et secondaires, s’étalant avec vivacité

Paysage apocalyptique, Manière noire, 33x26cm, 2000.

Deux périodes du parcours artistique de plus de cinquante ans de carrière de Ben Meftah se partagent les cimaises. D’un côté, nous pouvons admirer une quinzaine d’épreuves originales de gravure en grand et moyen format des années 70, 80 et 2000. De l’autre côté, côtoyant les œuvres des célèbres artistes, le Marocain Farid Belkahia et l’Algérienne Baya, des petits formats de dixsept dessins au feutre colorés produits pendant le début des années 2000 jusqu’à 2013 occupent les cimaises. Chez Mohamed Ben Meftah, deux techniques, deux démarches et deux thématiques très différentes, présentent les deux faces inséparables de la même œuvre. La ligne comme sujet Manière noire, eau-forte, aquatinte, pointe sèche, sont les procédés de gravure utilisées dans les présentes œuvres. Leur support est la plaque de cuivre sur laquelle Ben Meftah, au moyen des outils : berceau, brunissoir, grattoir, roulette à grain, pointe de diamant, agit en incisant et en traitant le métal. Ensuite, l’artiste passe sur la plaque le vernis ou la résine puis l’acide qui creuse les parties laissées nues du cuivre. Une fois la matrice de l’œuvre ainsi obtenue, l’alchimiste

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70, notre artiste déploie un savoir-faire à nous couper le souffle. Aussi, crée-t-il alors des natures mortes métaphoriques, où, seules les valeurs du blanc, du noir et de tous les dégradés de gris fusent devant notre regard sidéré, afin de sortir les formes des ténèbres. Un travail de joaillier qui progresse sur la plaque à graver par centimètre carré, parfois durant une période atteignant trois mois, afin de finir une plaque travaillée à la manière noire, à raison de cinq heures par jour ! Le même travail subtil et précis pour créer ombre et lumière se laisse deviner sur les autres compositions à l’aspect onirique et sensuel, d’«Apocalypse», d’«Hallucinations», de «Catapulte», de «Grand nuage», d’«Escalade», de «Maternité» et autres. Certes, les thèmes sont classiques et universels, mais leur concrétisation se fait admirer dans des compositions complexes où une ligne souple et voyageuse fait naître des formes humaines enchevêtrées et fictives, déjouant toute pesanteur. D’un côté, la technique de la manière noire par exemple, qui est exécutée sous forme de lignes - se superposant perpendiculairement quarante fois pour faire ressortir les volumes est ardue. De l’autre côté, les formes naissantes travaillées avec d’autres techniques de gravure sont onduleuses, visqueuses et flottantes nous inspirent liberté et imagination débordante. Les «Lignes désirantes» de Mohamed Ben Meftah sont ainsi justement qualifiées par la critique d’art et la commissaire de cette

Amel Bo

La galerie d’art Le Violon Bleu à Sidi Bou Saïd vient de lui faire honneur en exposant ses œuvres et ce, depuis le début du mois de décembre jusqu’au 08 février 2017.

dans le petit rectangle du papier et le faisant éclater sur de plus grandes dimensions. Le plaisir du faire plastique de l’artiste se déploie à travers la ligne qui construit librement de manière stylisée la scène du couple, de la famille ou autre. L’arrière-plan de la composition, rappelant les revêtements en céramique, est fait de symboles et de signes inspirés du patrimoine arabo-berbère. De manière ludique, le carreau, le triangle, le losange, le poisson, la flèche, le croissant - auquel Mohamed Ben Meftah ajoute une flèche - se multiplient gaiement en occupant la totalité de l’espace. Tout s’imbrique harmonieusement et le dessin se transforme en un tapis volant qui se tisse de lignes


Etat d’urgence, n°4 - Tunis - Janvier 2017

Coquillages à la draperie, Manière noire, 30,5x25cm, 2000.

Mohamed Ben Meftah

L’esthétique de la gravure en quelques pistes

croisées et colorées, nous emportant parfois, au pays du rêve d’une enfance enfouie en chacun de nous. Dans ces dessins au feutre à travers lesquels retentit une musicalité méditerranéenne, nous apprécions différemment le travail artistique de Mohamed Ben Meftah. Ce dernier, nous fait goûter avec douceur et innocence les joies simples d’un univers irradié de lumière ! Voilà ce que nous révèle l’autre face de l’œuvre de ce grand artiste d’une rare discrétion et d’une rare humilité.

Amel Bo photographe, plasticienne et performeur

Si l’on veut chercher des origines à la gravure, on pourrait remonter le temps jusqu’au paléolithique. Mais ce qui nous intéresse ici est l’estampe originale d’artiste, c’est-à-dire l’image obtenue lorsque la main ou la presse imprime sur le papier une matrice encrée. Cette matrice étant bien-sûr réalisée par un artiste dans le seul but de s’exprimer. Le matériau de la matrice (plaque de bois, linoleum, cuivre, de zinc, …) est choisi par ce dernier selon la technique qu’il veut utiliser mais aussi selon l’esthétique escomptée. Contrairement à la peinture donc, la gravure n’est pas un art de l’immédiat, mais un art du média. Le résultat étant toujours différé et n’est rendu totalement à l’œil qu’après impression sur papier. L’effet de l’impact du burin ou de la pointe (outils traceurs de la gravure) sur le cuivre ou sur le zinc, par exemple, ne peut être vraiment évalué qu’après tirage. Travaillant toujours par inversion un peu comme avec un miroir, le graveur ne sait pas exactement, non plus, comment l’acide (dans le cas d’une eau forte) attaquerait le trait dénudé de son vernis. Il y a toujours une part d’imprévisible dans la pratique de la gravure. C’est pour cela, que le graveur est considéré, en quelque sorte comme le planificateur d’un résultat pas toujours sûr. La pratique de la

gravure devient de ce fait, liée au tempérament de la personne. Mis à part, l’attrait pour le graphique, être graveur, devient synonyme de visionnaire. Choisir une technique d’expression au lieu d’une autre relève également du tempérament. Il n’est pas donné à tous les graveurs d’être buriniste par exemple. Etre buriniste, c’est être corps à corps avec le métal ; c’est d’être adepte du trait le plus sûr, le moins inégal possible. C’est incorporer et intégrer la précision et la lenteur du geste. C’est accepter de laisser le hasard au vestiaire. Etre aquafortiste, c’est accepter la chimie des matériaux (cuivre et acide), c’est jouer avec le temps, la profondeur de ses morsures. Avant d’atteindre son statut d’aujourd’hui, bien avant l’apparition de la photographie, la gravure était essentiellement un procédé d’impression permettant de reproduire la peinture et d’assurer de la sorte sa diffusion. Les différentes techniques inventées notamment par des artistes ont évolué dans une recherche d’un équivalent de la matière et de l’esthétique picturale. Ainsi, la « manière noire », par exemple nous conduit directement à l’esthétique du clair / obscur et du modelé. Le « burin » donne la primauté à la régularité du trait. «L’aquatinte au sucre» nous rapproche le plus de la matière picturale liée au geste.

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Thèse Soumettre l’Imaginaire Filmique à l’examen de la Raison - via le déploiement du processus de recréation par le discours analytique - en vue de la production de résultats (esthétiques, politiques, sociologiques, économiques, etc.) se heurte à l’impossible définition de l’utilité de l’œuvre d’art cinématographique. Si nous la cantonnons souvent au devoir de création de spectacle à visée cathartique, nous restons difficilement capables de cerner toutes les retombées idéologiques qu’elle occasionne sur les psychologies individuelles et de masse. Tout projet filmique semble contenir en son sein un vecteur idéologique pas toujours proprement piloté par son auteur qui se retrouve souvent mis à nu par sa propre œuvre qu’il pensait voile et écran dressés devant sa subjectivité, usine à opinions fatalement destinée à produire des positionnements esthétiques, philosophiques, politiques et poétiques devant déboucher sur la rationalisation des traces d’un Imaginaire transmissible, reproductible et archivable par quelque institution méritante. Encres sur papiers libres ou matrices photographiques dans la chambre noire sur pieds, bipieds (sic !) et trépieds, tout acte d’écriture (le Dire et la Monstration étant tous deux scripteurs traductographes des Durées, passeurs des instants qui se décomptent) n’est-il pas aussi, souvent, une revanche stylisée et dramatisée prise sur un vécu fantasmagorique, traumatique, hallucinatoire ou plus amplement psycho-graphique !? En conséquence, dire la Chose Esthétique recourt fatalement au langage, s’y aventure, s’y embourbe et, parfois, héroïquement, y décède pour débarrasser les squelettes du Tout Formel de son enveloppe, de ses habits de scène et de ses masques muets ; c’est dire combien la mise en mots du Visible se veut - sans nécessairement se le programmer et le piloter une mise à mort de cette même donnée perceptive. En regard de cela, mettre en texte l’intangible présence de la Chose Imaginaire est un acte qui requiert une grande témérité : Il faut suspendre un mécanisme créatif qui, en premier lieu scénarise, puis met en scène, pour penser le récit plus selon ses composantes dramatiques fondatrices que selon sa spectacularité induite et montrée - enserrée- à l’intérieur d’un Cadre. Un Cadre serait une soustraction de ce que l’on relègue aux hors-champs, haut lieu de l’imagination qui fait advenir, à la conscience individuelle, les bribes éparses de ce qui reste, en nous, des phénomènes identificatoires passés par le filtre de l’émotion préprogrammée, autant qu’une élection du Carpe Diem promu aux catégories supérieurement administratives de la Chose Archivable, du corpus d’images et de sons mettant en scène des acteurssur-scène ou « actants » en société. Un Acteur de cinéma, soumis au devoir de se raser la barbe, pourra toujours se faire intervenant recadreur demandant à passer du grade de Faiseur de Phrases à celui d’image d’homo-sapiens décapité par le bord supérieur du Cadre. Mais l’acteur, seul, appellera, vers l’Imaginaire collectif, des mémoires singulières ; son visage en gros plan nous est indispensable, il nous rappelle à nous-mêmes. De l’étourderie (divagations & inadvertances) à l’étourdissement (transport vertigineux des sens), l’opérateur cinématographique arpente les chemins du Réel pour nous livrer la trace transmissible à nous autres archivistes des instants de rencontre et de l’adieu avant le deuil que nous excluons de nos traces-images, véhicules-cadres d’une autoscénographie raisonnée, rationnée. Une Scénologie du Document Filmique a été esquissée par nous dans notre précédent travail titré « Le Statut Scénologique du Plan-Séquence » dans le cadre d’un Mastère de recherche au sein de l’Université de Tunis. Dans ce travail, nous avions

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insisté sur une forme de dialectique entre ce que nous avions nommé le « Donné-à-Voir» et le « Donnéà-Enregistrer », les deux mis en problématique par ce que nous avions qualifié de « Tout Enregistrable », une sorte d’utopie cinématographique ultime, une quête d’une impossible reproduction totale du Réel qui amène l’Art, via le cinématographe, vers la sélection, la soustraction et le montage pour ellipser afin de contenir ce Réel qui lui échappe. Nous avions également introduit la notion de «Territorismes Cinélogiques» supposée décrire, avec une référence au Cinéma et plus particulièrement au Mouvement in-créé par le cinéma, l’attitude expansionniste des images qui circulent depuis l’explosion de l’ère de l’Information et leur manière toute particulière de s’octroyer, toujours plus amplement, des territoires idéologiques et formels (des espaces de visibilité qui muent en écrans terminaux d’endoctrinement) en suivant une attitude applicative d’une pensée créative abordant l’environnement comme territoire d’expansion, une plateforme de diffusion d’images. Le Plan-Séquence présentait, à nos yeux, un cas particulièrement intéressant de recours stylistique au cinéma visant à retrouver l’artefact théâtral via le transport de la scène physique vers son image projetée, ressassée et distribuée. Le plan-séquence, cette unité première de production de sens au cinéma, nous ramène vers, non pas l’interprétation du Réel, mais sa reproduction mimétique tout juste limitée par les bords du cadre-fenêtre cinématographique ; Ainsi, le cadre au cinéma s’illustre comme un procédé soustractif qui, paradoxalement, enlève du Visible pour mieux montrer en focalisant sur l’action, le personnage, l’espace, le détail et l’objet à l’intérieur du décor ou du paysage. Ce qui se pose en obstacle à une mise en bijection accomplie de la scène théâtrale et celle cinématographique, c’est certainement ce rapport rationalisé au Temps, une gestion de la durée en vue de la production d’un spectacle étendu, décontextualisé par rapport à la Scène du Théâtre injectée d’actes et de pathos, autant que de cinélogies. Ce que nous qualifions de Cinélogisme, c’est une attitude envers les signaux du Monde Sensible qui prend le langage cinématographique pour ensemble d’outils de décodage, relecture et création d’Image(s)-Mouvement(s) (Réf 1. Deleuze / Réf 2. Kiné (Ger.) = mouvement). La Télévision, d’une certaine façon, recrée sa scène théâtrale : Elle joint la Symbolique du gouvernant à l’Imaginaire des masses laborieuses supposées éprises des longs moments d’Entertainment ; Faisons, donc, de prime abord une distinction indispensable entre l’Imaginaire et le Symbolique : Le premier appartiendrait à une catégorie supérieure au second ; le Symbolique est une première étape vers le débarras des données signifiantes du Réel de leurs poids sémantiques pour les investir d’un sens nouveau les faisant transiter vers la catégorie du Symbole ; le Symbolique serait donc ce terrain abritant des données qui ne signifient que parce que grevées d’une couche seconde de production de sens par nous décidée ; ainsi, et à titre d’exemple, l’ensemble des symboles renvoyant aux fonctions d’un programme informatique de montage audiovisuel, distribuées sur le clavier du monteur (cet autre montreur),forment ensemble une sphère symbolique autonome qui peut, au hasard des emprunts, se propager vers d’autres applications. Ainsi aussi, la Symbolique propre à un système (en tant que lecture seconde d’un phénomène et aussi en tant que Groupe de Symboles inter-agissants au besoin) peut s’universaliser si un consensus commun des utilisateurs le lui permet. L’Imaginaire, lui, vient en second recours : il consiste en un deuxième débarras des significations premières données aux choses nommables, il consiste en un ensemble organisé de données spectaculaires et «non réelles», toutes créées via un transit par le Symbolique réduit à la fonction de passeur.

Si les Symboles peuvent être galvaudés, les Images se réinventent par le montage, les copies et les projections. L’Imaginaire, en quelque sorte, sauve le Symbolique par injection créative et par l’échappée onirique. Le recours au fonctionnement du Pouvoir Politique nous livre une bonne métaphore de tout acte de mise en scène : Le Symbolique se trouve étendu par l’injection d’un vécu idéal imaginé par des «politographes» visionnaires (à ne pas confondre avec les polygraphes, scripteurs épris de la multiplication des outils traceurs) et vers lequel tout citoyen doit tendre sans jamais parvenir à son entière possession ; l’on crée un Idéal, tout juste pour légitimer le fouettage des masses entièrement vouées au culte d’une seule et unique conception du Progrès. Ainsi, selon eux, devraient aussi être considérées la cinématographie et ses descendants médiatiques entièrement tournés vers la production de valeur ajoutée aux consciences individuelles moulées dans l’idéologie dominante. Partant de là, L’Analyse Filmique se devait, depuis son épanouissement autour des années 60, de se déclarer une appartenance idéologique claire au tout début du projet critique. Les Cahiers du Cinéma, Positif et, plus récemment, Les Inrockuptibles, servent chacun une architecture idéologique nuancée, décidée à la naissance et devant, comme tout écrit, se faire comprendre par un public-cible particulier, acquis à cette idéologie. Ainsi donc, l’Image politisée nourrit l’Imaginaire Collectif. Ainsi aussi le Cinématographe prit son envol vers la théorie de l’Art grâce à son inscription politique et idéologique et son double ascendant : Art à la fois Plastique et Dramatique. De cette double filiation, la Théorie du Cinéma produit une première formalisation ; L’analyse filmologique (discipline soixante-huitarde fortement influencéepar le statut de l’image devenue subitement et directement militante), bute contre la jeunesse de l’art cinématographique et la difficile filiation que l’on peut établir entre lui et les autres arts ; elle se heurte très tôt à l’urgence de l’indispensable justification du cinéma en tant qu’art. La Filmologie tombe très vite en désuétude cédant le pas à ce qu’il convient d’appeler « L’Analyse Filmique ». Progressivement, la discipline s’institutionnalise grâce à des auteurs comme André Bazin, Serge Daney ou Christian Metz en passant par la notion de « Cinème » de Pier Paolo Pasolini et, différemment - poussée vers une théorisation plus radicale- Gilles Deleuze dans ses deux tomes de l’Image-Temps et l’Image-Mouvement. L’Analyse Filmique présente un avantage : elle ouvre grandes les portes de la recherche et de l’interprétation en cherchant à trouver, à l’intérieur du film, les composantes propres au développement d’une pensée sur le film, depuis le film, depuis l’intérieur du faire filmique, usine fantasmagorique productrice d’images. L’Analyse Filmique est une Rationalisation de l’Imaginaire. D’un point de vue strictement étymologique, le lien entre l’Image et l’Imaginaire s’impose très naturellement : l’Imaginaire serait, non seulement la somme des récits, mythes et autres productions culturelles d’un groupe ou d’une société garantissant sa cohésion à travers elles, mais aussi et surtout un ensemble d’images (& autres représentations imagées ou se rêvant imageables) connues et partagées par tous et créant un référent iconique commun sur lequel se reconstruit l’imaginaire et, plus généralement, le langage et les représentations de Soi et du groupe d’appartenance. Quand à la Raison, n’est-elle pas linguistiquement l’accusatif de Ratio, ce latin qui cherche à dire le calcul, le compte, le système ou le procédé ; c’est dire combien le recours à la Raison cache en son sein le projet d’une intervention scientiste sur l’inconnu,


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l’invisible et à tout ce qui échappe aux classifications et formalisations par la contenance du phénomène dans le cadre, au besoin, orthogonalement contrôlable. La Durée se love à l’intérieur du cadre, lui qui nous transporte, par l’artifice narratif scénaristique, vers la mise en scène de fiction ou la captation documentaire. Prise au sens propre, en tant que phénomène, et tel que la commande politique la veut, c’est une durée à caractère clinique destinée à réparer des dysfonctionnements à l’intérieur du corps de la Raison. Ainsi, par exemple, l’Imaginaire se retrouve souvent à devoir être garant de l’Identité Nationale. La Nationalisation de l’Imaginaire - suivant une forme politisée de Rationalisation - est-elle le destin inévitable de toute œuvre de rationalisation de l’Imaginaire ? un devoir politique et citoyen !? Heureusement, on peut toujours rationaliser un imaginaire sans le nationaliser ; ce constat plus politique qu’esthétique nous amène immanquablement à nous interroger : qu’y a-t-il de proprement rationnel dans l’œuvre d’art qui serait, a priori, apte à l’universalisation ? pourquoi une œuvre échappe aux carcans identitaires et comment fait-elle pour réussir son échappée ? Ce sont ces interrogations de départ qui nous amènent à poser problématiquement l’Imaginaire et la Rationalité en tandem antithétique que nous chercherons, par forces analyses dialectiques, à pacifier vers une forme de Ratio endogène, produite par l’œuvre et l’artiste ; l’approche poïétique, parfois, devra s’imposer. C’est que l’œuvre d’art semble, a priori, interroger la notion-même d’identité qu’elle soit nationale, culturelle, ethnique ou autre ; elle remet en question tout le ciment identitaire qui forme les groupes et s’achemine vers l’affirmation de la vision de l’Individu promue au rang d’exemple, de source de ralliement, de référence, en un mot, un « Dividu » (Réf. Psychanalyse). Que fait l’acteur au cinéma sinon nous ravir un pan entier des affects qui nous constituent pour y substituer une programmatique,

un scénario qui s’incarne et devient Film. Ce qui amène l’artiste vers cette affirmation de soi en tant que source d’une vérité circonstancielle et éphémère, c’est probablement son désir de dépasser les cases de classement identitaires que lui offrent la Société et qui le poussent à s’emprisonner dans le code de comportement officiellement toléré ; nous dirons qu’il procède par Cinélogie Critique du Réel en en décodant les mécanismes et le mouvement pour en réchapper vers l’expression de Soi. Il nous faut penser ce lieu de passage que se doit de traverser l’artiste pour rendre tangibles –visibles, lisibles, audibles, etc.- ce qu’il porte en lui (est-ce seulement le reflet de ce qu’il constate tout autour de lui ou bien, plus globalement, la trace d’une posture collective), ce qu’il cherche à nous transmettre et qui n’est point une œuvre de communication classique au moins parce qu’elle réorganise totalement la trinité émetteur-message-récepteur. Nous entreprenons, aussi, dans le cadre de cette thèse, de nous attaquer à un problème tout à fait parent : nous nous attèlerons à interroger l’Imaginaire Cinématographique, cette sédimentation de plus d’un siècle de durées dramatisées pour l’écran, sous un angle praxéologique autant que « spectatoriel » ; ce qui semble, a priori, devoir nous guider, c’est le rapport que nous entretiendrons avec l’Imaginaire en général et l’Imaginaire cinématographique en particulier en tant que, non pas une base documentale où nous allons puiser de quoi illustrer nos historicismes, mais matrice à images ré-organisables à souhait. Une chose nous semble, a priori, devoir s’imposer lorsque l’on traite de la production culturelle faite de l’œuvre de l’Imaginaire aux prises avec les identités nationales et autres : derrière toute proposition esthétique, plus généralement derrière tout projet formel - de formalisation, ou mise en forme(s) d’un vécu et d’un point de vue sur l’Autre et sur le Monde par et dans l’Art - s’accompagne d’un ancrage idéologique inévitable ; que cet ancrage soit conscient, fruit d’une réflexion en amont dictant à l’œuvre d’art son évolution et son devenir objet-àregard, ou qu’il soit inconscient opérant un pilotage

invisible de l’œuvre de l’artiste, il reste évident que toute intention de rationalisation del’œuvre passe inévitablement par l’indispensable identification des composantes de cette même rationalisation - ainsi que de l’œuvre elle-même, d’un attirail fait d’arrimages culturels et civilisationnels facilitant sa lecture - et relecture dans le cas des analyses créatives - en vue d’une meilleure survie de l’œuvre au-delà du Conjoncturel et du Contextuel de sa création. Il nous faudra créer un vocabulaire pour mieux comprendre l’œuvre, le seul recours à une prétendue universalité semble ne pas suffire ; impossible, en effet, de la décrypter sans la désosser pour en sortir la chair signifiante : elle est faite d’un certain nombre de données formelles qui la grèvent d’une signification et lui confèrent un au-delà en chacun de nous, des lectures subjectivées qui occasionnent sa multiplication en autant de lectures que de regards posés sur elle, répondant au regard qu’elle nous propose, parfois impose. Ici apparaît un problème d’ordre idéologique : l’œuvre d’art est-elle supposée « Faire Penser » ou « Donner à Penser » ? Déjà un écueil ! Selon que l’on se place du point de vue des commandes ou des expressions individuelles - par définition rebelles et rétives aux ordres idéologiques - cette fonction de l’œuvre, aux prises avec la pensée individuelle, d’avant la conscience de groupe, relègue l’auteur vers une responsabilité envers le Regardeur : d’émetteur de Regard, l’auteur se découvre, dans l’intime et le quotidien, Sujet-à-Regard, pressé de produire des Objets-à-Regard(s). Sur le plan national tunisien, notre image a si longtemps souffert la caricature que nous peinons fortement à nous relever, à imposer une image plus flatteuse et, inévitablement, paradoxalement, ancrée dans une entreprise autocritique ; il faut en effet penser que tout bâti identitaire prend appui sur l’image que l’on se fait de soi et que l’on transmet aux générations futures, en doctrines ou matière-àpenser. La commande des pouvoirs dans les pays arabes a longtemps été pour une image manipulatoire

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Seulement voilà, le projet de monstration cinématographique situe son modus operandi en dehors de la sphère analytique avec laquelle il n’entretient que des rapports prudents. Si l’Imaginaire est le fruit de l’imagination constructions mentales de « Réalités Virtuelles » d’un individu, d’un groupe ou d’une société, il est surtout toute la masse de l’Imaginé entendu dans un écart mais par rapport à la réalité sensible. Très vite l’urgence d’un choix muséologique (un devoir d’archiver) nous rattrape et nous transporte vers l’indispensable négociation avec l’Institution archiviste. Tenter d’ainsi définir l’Imaginaire nous emmène inévitablement vers une codification de ses composantes en vue de la création d’un sens autre que celui purement formel consistant en l’organisation de données de représentation en vue de la production d’une proposition de lecture de l’environnement ; nous sommes forcément amenés à considérer la chose esthétique aussi et surtout comme un projet sous-jacent de communication ; une œuvre partant du vécu d’un auteur le dépasse à un moment donné de son évolution vers l’imaginaire collectif puisqu’elle y prend place et devient une référence identitaire et « imaginaire » partagée donc assumée par le groupe. Il nous semble donc évident qu’une telle entreprise de déplacement du centre de gravité « auteurial » de l’individu vers son groupe d’appartenance se trouve dénaturé : ce que la masse retient du spectacle n’est pas nécessairement l’élément esthétique fondateur ; la masse « se » cherche en tant que masse homogène dans la fiction voulue fédératrice par les Auteurs Idéographes. Sauvons, au moins, le récit sacré, semble intimer Akkad à une génération entière de décolonisés ; avec son film « Le Message » doublement tourné en Arabe et en Anglais, il « se » traduit à la source, livre l’Imaginaire arabo-islamique en le protégeant (en le programmant) de la dérive traductologique. Le Filmologique, étude de la production de sens par et dans le film considéré comme système signifiant fermé, s’oppose au Cinélogique (Faire du mouvement, inscription du mouvement filmique dans le mouvementé de l’environnement) qui fait déborder le film sur l’icônosphère… vers l’icônothèque, la filmothèque, le musée et toutes les copies légales ou pirates. La reproduction de l’Imaginaire sous forme d’Art se heurte à l’impossible représentativité totale de nos fors intérieurs, formés de bribes d’imaginaires et quelques images sauvegardées. L’Imaginaire nous semble s’illustrer par son refus à se cantonner, tels qu’un bon nombre d’opérations intellectuelles, à la production de preuves et d’arguments ; il est le lieu où tout échafaudage conceptuel se débarrasse du poids de la production

utilitariste et ouvre grand le champ des interprétations du Réel ; contrairement aux discours scientistes, l’Imaginaire tend des ponts entre des éléments qui se refusent au lien logique dans la sphère matérialiste, utilitariste et pragmatique - qui est la nôtre, nous autres spectateurs dé-codificateurs - lorsque nous nous attelons à l’explication des phénomènes de notre vie quotidienne, de nos enracinements dans le Passé et nos projections dans le futur. L’Imaginaire a, donc, le don de nous affranchir de la rationalité qui nous lie à notre environnement soumis à notre volonté de l’asservir par le contrôle logique. L’Imaginaire explore des voies de traverse et tisse des liens inattendus garants de ce voyage dans le Symbolique qu’offre le travail de l’artiste cinéaste. Face à cette poussée vers l’irréalité –vers l’Invisible dirions-nous pour faire une contre-proposition au Visible fourni par l’œuvre d’art-, nos sens sont invités à remettre en question nos perceptions rassurantes et à explorer un mode, à chaque fois renouvelé, de décryptage de la réalité : elle n’existe plus que pour fournir un terreau formel où nous puisons notre élan vers les mondes oniriques et autres réalités et virtualités dérivées, faites, non plus de constructions logiques, mais d’échafaudages tous agencés en vue de la création de l’émotion esthétique. Ici, le Pouvoir politique reprend souvent les rennes sous les formes - souvent jumelées - de la commande et de la censure ; il s’arroge le droit d’intervention dans le projet esthétique pour mieux en commander les messages patents ou latents ; le rêve de tout homme de pouvoir qui assoit son autorité n’est-il pas de faire archiver toute la réalité politique à sa guise, en en sélectionnant (pour remonter le continuum du quotidien) les passages les plus flatteurs pour sa personne et pour son parti !? c’est bien pour cela que cette tentative de prise de contrôle de la production artistique inspire forcément l’auteur qui, s’il s’en éloigne, c’est pour mieux la saisir par le style et le regard. Rationaliser l’Imaginaire serait cette entreprise qui viserait la transformation de tout l’effort de signification en le politisant pour donner à imaginer, pour produire un Donné-à-Imaginer. à titre d’exemple, toutes les productions audiovisuelles, pour accéder aux canaux de distribution et de diffusion, se doivent de défendre un certain point de vue politique, une partie contre l’autre, pour canaliser l’opinion des regardeurs. La technologie Mobile vient de réussir un nouveau pas vers le miroitement ultime du Final Userface à l’image, face à son image : la Face Recognition permet maintenant de suspendre la lecture de la vidéo qu’il regarde s’il éloigne son visage de l’écran, c’est-à-dire si son visage n’est plus décrypté par la machine, s’il ne subit plus. Ici, politisé, l’Imaginaire ne s’offre plus, il s’impose, il dicte et se dicte, il ordonne, il oblige par des images « coercitives ». Un rapide tour d’horizon des moyens d’expression artistique, qui nous sont offerts, nous apprend très vite que l’œuvre d’art s’est très rapidement acheminée vers l’Intentionnalité, vers la primauté de l’intention sur l’exécution ; en d’autres termes, ce n’est plus le spectacle offert qui compte - ce n’est pas le regard occasionné par l’œuvre - mais la démarche verbalisée par le discours. La Rationalisation de l’œuvre d’art se fait en la soumettant à un discours logique en vue de la production d’une utilité culturelle, conceptuelle, politique, etc. il nous faudra réhabiliter la lecture critique pour redonner à l’Intention sa place, et à l’opinion son statut.

Sommaire - N°4 - Janvier 2017 : Page 1 : Dix mètres de cimaises, oui. Dix mètres de trottoire, non !

Samy Elhaj

totalement tournée vers le grandissement du chef et de son œuvre ou de l’œuvre qu’il réquisitionne, qu’il s’arroge, qu’on lui impute malgré nous ; mais quelque chose bouge depuis les révolutions arabes (également qualifiées de Printemps Arabe(s)) puisque subitement tout ce qui sommeillait en nous autres esprits créatifs, semble pouvoir enfin voir le jour sans entraves. La redéfinition du Soi est maintenant - dans le cadre post (et même contre-) révolutionnaire possible à l’intérieur d’un corpus tunisien assumé.

Lorsque Marcel Duchamp montre - expose l’urinoir, allant jusqu’à s’inventer un personnage d’artiste signataire de l’œuvre (R. Mutt 1917) il achève, d’une certaine façon de démembrer le phénomène artistique en le décomposant en ces éléments constitutifs (artiste, identité et objet d’art) pour en interroger les composantes et les représenter débarrassées de l’artifice qui devait en créer l’homogénéité via le tandem « vie et œuvre » de l’artiste. Au cinéma, l’activité du scénariste nous interpelle par son usage particulier de l’indispensable rationalisation de l’Imaginaire en vue de la production de l’émotion esthétique ; le scénariste réorganise les données formelles pour dramatiser son opinion à travers un récit salvateur. Lorsque Roland Barthes dénonce la clausule bourgeoise, ce qu’il attaque en premier, nous semble-t-il, c’est cette tendance à clore et à parfaire l’œuvre en vue d’une catharsis salvatrice propre à soutenir une pensée lâche incapable de s’aventurer là où l’on ne connait pas l’issue du chemin emprunté : l’inévitable autoanalyse. La représentation de soi à travers l’œuvre d’art dramatique, si elle recourt à la multiplication de Soi à travers le oules personnages en jeu dans le récit, se bâtit, parfois, sur une forme de transparence totale, un flirt poussé avec le Réel, une passerelle directe tendue entre l’écran et le dehors. Telle que l’autoportrait, l’autofiction réalise –ou en rêve- la parfaite correspondance entre le Vécu et le Projeté. Dans l’étendue du Donné-à-Voir, le Donné-àEnregistrer s’offre, dans les œuvres autofictionnelles et documentaires, un Tout Introspectif qui cherche à livrer au regardeur-spectateur une copie fidèle de l’Invisible qui nous constitue, qui reste tapi dans notre For Intérieur, attendant quelque hiérophanie, non pas dans le Sacré de Mircea Eliade, mais dans la matérialité du papier, de latoile ou de l’objet-film. La rationalisation de l’Imaginaire n’est qu’une étape vers la nourriture de ce même imaginaire : nous interrogeons notre imaginaire pour mieux le refonder, nous le réapproprier. Quand l’on coupe une captation filmique pour proposer autre chose qu’un plan-séquence globalisant le Tout-Durée, l’on coupe –pour dire vraipar aveu d’incapacité à reproduire le Tout Formel et enregistrable, sauf, peut-être, appréhendé par la Raison Raisonnante.

Samy Elhaj Carthage, 2011-2016. www.elhaj.org

extrait d’un entretien avec Hatim El Mekki réalisé par Youssef Seddik, paru dans le journal La Presse du 25 Février 1977.

Page 2 : Karopolis, acrylique sur bois par Nadia Jelassi. Page 3 : ‫ اﺳﺘﻤﻌﻮﺍ إﻟﻰ ﻣﺎ ﺗﺒﻘﻰ ﻣﻦ ﺍﻟﺼﻮﺭﺓ‬par Slimen Elkamel. Page 4 : Karopolis, fables et imaginaire par Emna Ghezaïel. Pages 6 et 7 : Peinture, peintures... par Imed Jemaïel et Naceur Bencheikh, textes du catalogue de l’exposition Peinture, peintures... de Nadia Jelassi, à la galerie Yahia, Février1993. Page 8 : Mohamed Ben Meftah, maître incontesté de l’art de la gravure par Amel Bo. Page 9 : L’esthétique de la gravure en quelques pistes par Nadia Jelassi. Page 10 : Thèse par Samy Elhaj. Graphique et dessins : Oussema Troudi. Photographies : p 3, 5, 6 et 7 : Nadia Jelassi. p 8 et 9 : Mohamed Ben Meftah. p 11 : Samy Elhaj. Impression : Digipress, 1ère édition du 4 ème numéro, Janvier 2017.

Les numéros précédents sont en libre accès sur le site du journal :

www.journal-etatdurgence.jimdo.com


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