État d'urgence n°2

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état d’urgence n°2 - Tunis - Mai 2016

journal à parution aléatoire

Le discours dominant et non distancié sur l’Art contemporain, part du principe qu’il existe Un Art Contemporain, idée qui sert, en fait, à rassembler dans un même espace «économico-conceptuel un certain nombre de pratiques supposées productrices d’objets et de comportements porteurs de sens». Ce que l’on oublie de dire c’est que ce sens dont les œuvres et les conduites à caractère artistique sont porteuses n’est pas de caractère métaphysique, comme le suppose le marché de l’art, qu’il soit celui d’entreprises de stature internationale ou bien de galeristes frondeurs. Car la transgression n’est ni technique, ni de caractère stable, reconnaissable et même «provocable». La transgression quand elle est programmée comme telle est la forme la plus répandue du formalisme dont souffre la production d’un très grand nombre de nos artistes, de nos étudiants et de nos marchands d’art. La transgression on la vit comme nécessité absolue et non comme moyen de produire un sens artistique dit d’Art Contemporain. Cela veut dire, aussi, qu’elle est fondamentalement relative, malgré le caractère absolu de la nécessité qui la porte. Car, elle est en fait le résultat de situations inédites et toujours particulières. Et il n’y a que la spéculation financière, (différente de la spéculation économique ou philosophique), qui pourrait cautionner que l’on puisse refaire le coup de maître de Duchamp, sans en renouveler le sens, dans une forme inédite et originale. Cette contrefaçon pourrait être tolérée quand il s’agit d’exercices ou de projets de diplômes d’étudiants, mais cela devient grave lorsqu’elle est le fait de personnes qui se disent artistes contemporains, non pas parce qu’ils sont artistes contemporains, mais parce qu’ils reproduisent différentes formes d’Art Contemporain. J’ai distingué la spéculation financière de la spéculation économique ou de la spéculation

intellectuelle.C’était pour dire que la contrefaçon artistique est semblable à la contrefaçon dont est victime le marché de l’art, lorsque celui-ci est pris pour un lieu de spéculation financière et non pas de promotion de valeurs nouvelles. Pour beaucoup de galeristes et d’artistes qui parlent de marché de l’art, tunisiens, entre autres, l’économie de l’Art se réduit à son commerce. Les artistes d’un pays ont souvent le vis à vis qu’ils méritent, aussi bien parmi les marchands que parmi les «critiques».

le trottoir se lit sous mes pas ; les façades me regardent et me clignent de l’œil ; un nom de rue m’introduit dans un chapitre d’histoire ou me signale l’ébauche d’un conte ; un étal de fruits me précipite dans un verger d’abeilles fleuries ; un bout de ciel me tend un miroir où se réfléchissent des poissons et autres récits volants !

Naceur Bencheikh

Culture contre usure Les choses, quand elles n’embrayent pas sur l’imaginaire de quelques façons, ne sont qu’un pâle reflet d’elles-mêmes, ne sont que silhouettes à peine détachable du fond qui les ronge et les soumet à son uniforme. Ainsi données, leur insignifiance est d’abord regrettable, chemin faisant, elle finit par devenir asphyxiante. L’arbre que j’aperçois à l’instant, à quelques lieues de mon siège, ne transite vers rien d’autre, il reste désolément lui-même, c’est à dire, il demeure ce qu’il paraît être : une masse amorphe ne se laissant détailler sous aucun prétexte, ne permettant aucune hypothèse, ne fomentant aucun embryon d’intrigue. Le regard ne peut que quitter sans regret ce bloc de feuillage ingrat, mais ni les murs ni les fenêtres et autres banalités architecturales sur lesquels mon œil vient de se poser n’ont pu combler ce manque de sens qui nous saisit à la gorge à chaque fois qu’une expérience sensorielle fonctionne à vide nous assommant avec cette formule : « ce que tu vois est ce que tu vois ! » Mais cette injonction tautologique n’est-elle pas à l’origine de tout aveuglement ? Quand l’œil ne palpe ni ne tâte, quand il glisse nonchalamment au gré d’un monumental rien, quand tout s’équivaut et qu’aucune figure n’arrive à se détacher sur un fond, quand les choses mondaines ne nous offrent aucune sorte d’accès ni aucune sorte de prise sur elles, quand elles s’entêtent à se perpétuer dans un mutisme de tombe, alors l’homme du symbole et de la rêverie meurt en nous ! Et on n’est que cet amas de viande apathique ne répondant à l’instinct que par l’instinct, à l’habitude par l’habitude. La reproduction ne se laisse contrecarrer par aucune production ; l’arbre ne deviendra jamais barque et le roseau ne connaîtra jamais la flûte ! Quand la culture advient, l’arbre s’anime ;

Imed Jemaïel

Naceur Bencheikh

« à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin

Post-scriptum : Complainte d’un piéton Ma rue souffre de renaître chaque jour égale à elle -même ! Une foule de passants la traverse chaque jour ; les mêmes têtes et les mêmes jambes occupées aux mêmes besognes reconduisent la rue à son point de départ ! Dans ma rue, chaque station, chaque enseigne chaque pan de mur, chaque numéro, chaque manifestation matérielle, se tuent à jouer pleinement le même rôle, à tenir la même place, à perpétrer les mêmes causes, à réitérer les mêmes effets , à entretenir cette même lassitude qui s’impose comme une sécrétion naturelle qui s’immisce là où la vie semble se retirer au profit d’une machine à reproduire le même ! Dans ma rue je perds ma tête, car les têtes sont perdues à force de ne point admettre que c’est ce qui fut déjà qui reconduit le déjà-là et que ce qui advient fut déjà advenu ! Dieu tout puissant ne cesse de laisser supposer son omnipotence en ravivant le feu de l’enfer, promettant le pire à ceux ou celles qui dé-cyclent, à ceux ou celles rompant le jeûne avant l’heure, à ceux ou celles qui dessinent un temple pour un poème qui naît, à ceux ou celles qui font de leur prière une danse ! Dans ma rue , une voix vociférante appelle à la prière, la foule décervelée court dans le même sens, la rue est tristement déserte ; où est le peintre qui ressuscitera ses lumières ? Où est le poète qui nommera ses nuages de poussière ? Où est le philosophe qui mettra en mots cette nouvelle éthique à l’usage des piétons libres ? Imed Jemaïel 1


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

Renverse ensuite intervertit ; décale, déménage ensuite manipule ; charge ensuite dérange ; bouge, déplace ensuite gratte ; creuse et voit… maintenant regarde ! Au ballet des mots, les mots dansent. En dansant, ils séparent et réparent, ils pensent et pansent. Dans le ballet des mots, les mots jouent, parlent, se taisent, s’abstiennent, se dissimulent, se succèdent, se bouleversent, s’agitent et se secouent… Dans le ballet des mots, les mots qui sortent, se retournent, se rétablissent, se rejoignent, se font verbes et transcendent… Dans leur élan transcendantal, ils se frottent au danger, à l’insignifiance, à l’éloquence, à la confusion, à l’amour, au rejet, à l’expression du silence et au silence de l’expression… Désemparés, embarrassés, désarmés, troublés, désorientés, désarçonnés, confus, les mots s’embrassent, tantôt tendrement, tantôt violemment et savourent l’intime bacchanale symphonique de leur union. La dévorante envie qui les submerge, nous berce, nous guide, nous couvre, nous transporte… Partager avec les lecteurs un espace d’expression autour de la scène artistique tunisienne et internationale qui soit profitable à la diffusion d’un mode libre de pensée artistique, voici notre stimulus d’écriture. Une revue est, par définition, un projet collectif. Etat d’urgence veut faire de la pensée artistique un laboratoire du commun, un espace qui offre une visibilité à des segments de pensée, à des errances pensantes, à une diversité thématique, à des angles d’attaques multiples, aux collaborations réflexives, aux contaminations créatives, aux phénomènes qui se déplacent et qui se reformulent . Elle s’érige en manifeste de l’acte créateur en gestation. Mais elle existe autrement. Autrement que pour miroiter, autrement que pour comprendre, autrement que pour créer. Elle est acte et actualité. Elle est journaliste au sens foucaldien, « Journalisme » étant le nom d’une nouvelle attitude critique fichée au cœur du présent. Attitude de l’invention subjective, de la production singulière. Une réflexion qui propose de voir l’art moderne et contemporain sur un autre mode que celui de la définition. Cette volonté d’écrire émane d’un besoin scientifique de fixer les connaissances sur des bases concrètes et de pallier un déficit de visibilité et de réflexivité caractérisant la production maghrébine contemporaine scandée d’actions programmées, d’idéologies affirmées et d’autres jeux de créativités qui échappent aux cages mentales. La saisie des rapprochements entre ces formes artistiques différentes, de leurs coexistences comme de leurs fragmentations s’avère incontournable pour la compréhension de la trame historique et artistique au sein de laquelle se tissent toutes ces créations. Car l’art « n’est pas important parce qu’il remue des choses, mais lorsque le langage qu’il suscite autour de lui, se décale, aménageant des vides, que l’histoire oublie, du moins écourte » (Foucault). Ce sont ces vides que nous proposons d’explorer à travers la trilogie art-artisteréception et notamment à travers la place du spectateur dans le processus créatif.

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plus qu’elles n’impliquent chez l’artiste de la créativité. Sa capacité à se réinventer est visible à partir de l’ensemble de son œuvre dans ses différentes natures (écrits, correspondances d’artistes, interviews, œuvres d’art, etc.) Considérons donc l’Art comme une activité créatrice, son sujet d’étude demeure l’éclatement de l’être. L’artiste s’expérimente à une quantité énorme d’expressions et d’expériences jugées par ses contemporains artistes parfois comme archinulles, complètement cruelles, dérisoires, versant dans un total non-sens artistique. Et jugés par les contemporains favorables à l’originalité des idées comme un concentré total ou les termes bons et mauvais ne se conjuguent plus avec le terme sens car le Sens contemporain est amoral. Poser. Poser est un concept intermédiaire, nomade. Poser en classicisme veut dire arranger des lignes, des couleurs et des contours selon un certain idéal de représentation qui est la virtuosité technique et la noblesse de l’idée représentée. Bien sûr que les idées les plus nobles sont au service de l’Aristocratie et de l’Eglise mais la virtuosité est toujours une affaire d’artistes. Malgré l’esprit maître-disciple qui règne, les empreintes des élèves devenus célèbres ou pas dans les toiles de leurs maitres sont reconnaissables sans jamais disgracier la composition d’ensemble. Poser en Art moderne c’est géométriser. C’est-à-dire maîtriser la structure interne de l’espace pictural en faisant accéder l’œil du spectateur à la convulsive et stroboscopique créativité de l’artiste. En art contemporain, poser c’est bousculer. Bousculer les dogmes des champs scientifiques, bousculer nos regards, nos visions, bousculer et cogner les poncifs, bousculer et se laisser soi-même affecter. Bousculer pour contribuer à la construction d’un édifice critique quant à la lecture de la création artistique. Bousculer pour reconsidérer. Reconsidérer la pertinence des sciences de l’art en dehors de l’expérience artistique. Reconsidérer et ébranler les dispositifs aplatis, la connaissance de l’art en dehors de l’art. La création artistique est création lorsqu’elle nourrit nos dispositifs interprétatifs, lorsqu’elle les complexifie et faufile en leur sein des boucles infinies de régénérescence de sens, des interstices nouveaux de vécu sensoriel et émotionnel et d’expérience esthétique et intellectuelle que le spectateur développe avec l’œuvre d’art. S’introduire soi-même au cœur de la chose artistique pour ne pas verser dans le simple badinage logique. S’introduire pour embrasser le vouloir ou l’intention artistique, la pulsion ou la somme des forces créatrices qui se manifestent dans une œuvre d’art, s’introduire et expérimenter. Expérimenter et déranger l’arrangement iconique de l’œuvre. Déranger pour s’affranchir des recettes interprétatives prêtes à l’emploi. S’activer avec l’art et le réactiver. Inventer et réinventer. Réinventer la vie, réinventer le flou, réinventer l’instable, réinventer le multiple, réinventer et rendre complexe. Déstabiliser les lectures figées pour réalimenter l’art à la source, à l’organique, au vivant, à l’Imaginaire. Imaginez !

« Quelle attitude de réflexion adopter ? » était pour commencer la question qui s’est imposée avec force. C’est une anomalie conforme à l’esprit scientifique en lévitation.

Comme le suggère Hans Robert Jauss, figure phare de l’école de Constance, à propos de l’œuvre littéraire, nous pouvons dire que l’œuvre d’art ne se constitue qu’au moment où elle devient l’objet d’expérience artistique de ses contemporains ou d’une postérité. La pluralité des récepteurs, la diversité de leurs cultures et contextes, renforce le caractère polysémique de l’œuvre.

La recherche est la raison d’être la plus profonde du foisonnant fonctionnement de l’esprit artistique. Elle mobilise le plaisir hasardeux de la découverte. Car les lassitudes entrainées par la coexistence de survivances académiques avec des percées originales et les agitations d’esprit qui les accompagnent engendrent

Le spectateur est donc un enjeu principal dans la constitution d’une œuvre d’art et les notions d’expérience et d’expérimentation sont les deux orbites au sein desquels gravitent les expressions artistiques dans des jeux de partage, d’alchimie, d’entourement, d’absorbement, de répulsion, d’ambiguïtés, en un mot d’enfantement.

Esmahen Ben Moussa

Pensées Vagabondes

L’œuvre d’art se compose et se décompose, se meurt et renait dans chaque expérience de réception. Elle est constatable, appréciable, codifiable, interprétable, mais elle échappe toujours aux cercles figées de l’entendement et de l’enfermement. C’est dans ce sens que la lecture d’une œuvre d’art n’est pas son vécu. La lecture rejoint l’œuvre à certains égards lorsqu’elle garde une trace ou qu’elle devient transmissible. le vécu quant à lui est éphémère, pluriel et inventif. C’est ce jeu entre la permanence et l’impermanence de l’expression artistique et de sa réception qui nous séduit particulièrement. Au vécu attesté par l’artiste dans sa création correspond la vision poétique vécue par le spectateur en signe de continuation. Parallèlement, les styles contemporains des productions tunisiennes en Urbanisme, en Architecture, en Arts Plastiques et en Design méritent une décantation de leur complexité procédurale rendue possible grâce au déploiement de méthodologies scientifiques au sein de plusieurs sphères de pensée dont l’histoire de l’art. Pour se tenir à ce champ de la science artistique, nous avançons l’idée que l’écriture de l’histoire de l’art en Tunisie est tributaire de la pertinence du cadre conceptuel qui structure notre perception des choses. Cette perception préfigure notre vision de l’acte créateur qui elle-même reconfigure les schèmes selon lesquels la compréhension savante que nous intériorisons ou que nous construisons de la création artistique devient porteuse de sens. Penser l’histoire de l’art tunisien en situations contemporaines voire actuelles suppose l’élaboration d’un repérage systématique des artistes et de suivre leurs formations afin de comprendre leur contribution dans la construction du territoire artistique, leurs projetations et les approches qu’ils leur consacrent. L’objectif n’est nullement de livrer un récit historique harmonieux ou tout est raccordé, tout est rapproché. Il s’agit plutôt de faire éclabousser les moments de silence, hacher la continuité évènementielle et éclater sa prétendue ordonnance. Il ne s’agit pas d’une simple retranscription de l’évènement mais d’une nouvelle marque, un nouveau témoignage de sa présence réelle aussi petit et transparent qu’il puisse paraître. Dans les algorithmes historiques, la triade artisteproduction-réception forme encore une entrée privilégiée à l’étude des fonctions de l’Art et du statut de l’artiste dans la société tunisienne. C’est autour de ce projet d’écriture que je propose un rendez-vous aléatoire dans un journal à parution aléatoire. à suivre… Esmahen Ben Moussa


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

Il s’est assis au milieu du canapé face à l’unique fenêtre grande ouverte de cette immense pièce. En franchissant le seuil de l’appartement, il savait que cette place serait la sienne pour la soirée et peut être – s’il décide de rester – pour les jours à venir. Hautes ou larges, ces ouvertures encadrées l’ont souvent intrigué et ne cessaient encore aujourd’hui d’exercer sur lui leur force attractive. Il faisait chaud dans ce salon, malgré la fraîcheur de la nuit automnale. L’obscurité de ce lieu, avant ce moment inconnu, ne le gênait pas puisqu’elle lui évitait de parcourir la forme des objets et de s’arrêter sur les traces de présence de son ami. Il n’avait nulle envie, du moins pour le moment, d’explorer l’espace de l’appartement ni de prendre possession des lieux comme dirait son père. Il s’abstint donc d’allumer, se contentant de la faible lueur verdâtre émanant de l’aquarium. En lui remettant furtivement la trousse des clefs, son ami s’est montré, comme à son habitude, très discret. Aucune question, aucune allusion aux derniers événements. Son regard soutenait cette réserve si caractéristique de sa personne et que Youssef a qualifiée, un peu par dérision, plus par révérence pour son complice, de congénitale. Il y avait beaucoup de blancs dans leur histoire commune, blanc que chacun colorait à sa manière selon ses propres contingences. L’un comme l’autre savait que ces non-dits seront un jour estompés, aucun ne tenait à bousculer l’autre et le contraindre à des confidences extorquées. - « ce n’est pas difficile, a dit Yassine ! L’interrupteur est à gauche de la porte d’entrée, tu allumes et tu t’installes comme tu veux. Mais n’oublie pas de nourrir mes poissons, une fois par jour et de préférence à heure fixe. La boite à paillettes est juste à droite de l’aquarium, à gauche de Mallarmé par lui-même. N’en retire pas le signet s’il te plait. « - Appelles moi au moindre souci. » D’un pas hésitant, Youssef traversa la distance qui le séparait du canapé et posa son sac à dos sur la table basse. Machinalement il sortit son ordinateur et le fit démarrer. De sa place, il ne pouvait pas voir le ciel, il ne percevait que les rectangles à éclairage variable composant les fenêtres de l’immeuble d’en face. Des voilages dissimulaient les détails des intérieurs mais laissaient entrevoir des gros meubles et des silhouettes qui s’animaient de temps en temps. Ce sont ces mouvements, se dit-il qui ponctuent de vie cette gigantesque grille opaque, translucide et transparente à la fois. Le monde géométrisé d’en face semblait vivre selon un ordre planifié par l’architecte de l’édifice, se dit aussi Youssef. A chaque chambre une utilité et à chaque utilité une mobilité concordante. Les gestes des habitants paraissaient en parfaite cohésion avec la nature même de l’espace architectural prédéfini. Le son émis par son ordinateur lui fit tourner la tête. Son ordinateur afficha l’image fond d’écran représentant un ciel étonnamment bleu traversé par une traînée blanche. Le temps d’un déclic, il s’est vu prendre cette photo, cligna instinctivement de son œil gauche comme pour recadrer l’étendue de ce monochrome qui s’est offert à lui dans une posture inhabituelle. Il était allongé, cet instant là sur le dos et ruminait déjà son départ. Depuis qu’il avait reçu par courrier cette lettre et cet album photo, il n’était plus possible pour lui de demeurer au même endroit. Ce n’est pas qu’il avait peur mais la série de photographies le représentant dans différentes postures quotidiennes lui renvoyaient une image insoutenable de lui-même. Il farfouilla dans son sac et tira l’album, la lettre y était encore dans son enveloppe d’origine. L’expéditrice les avait déposés directement dans sa boîte aux lettres. C’est, avec son ordinateur et son appareil photo, les seuls objets qu’il prit avec lui. Les photographies noir

et blanc étaient soigneusement collées sur le feuillet de droite, celui de gauche réservé à une écriture ronde et bien serrée difficilement déchiffrable pour ceux qui ont perdu l’habitude de lire des manuscrits. Elles étaient toutes légendées et portaient le même titre augmenté d’un numéro. La photographe inconnue, auteure de cet album-journal n’avait omis aucun détail et a tout noté : le nom de la rue, la date, l’heure, … effraction n° … Les photographies avaient été prises de toute évidence avec un zoom, à partir d’un appartement situé en face du sien, de fenêtre à fenêtre s’est dit Youssef. - « dire que je ne me suis rendu compte de rien, moi qui prétendait être bon observateur ». Son aveuglement de l’époque I’ enrage encore. Il sortit la lettre de son enveloppe, la déplia : « Ce n’est que dernièrement que j’ai su votre prénom, permettez-moi d’en user comme j’ai usé du reste. Cher Youssef Cela fait plus d’un an que j’habite un appartement en face du votre. Je ne suis donc pas la voisine du palier mais celle du trottoir d’en face. Vous étiez à votre fenêtre balcon la première fois que je vous ai vu ; je me rappelle encore de tous les détails. Vous étiez en jean, torse nu, fumant une cigarette et vous écoutiez de la musique, plus exactement chanson de Solveig d’Edvard Grieg. C ‘était un moment de pure grâce. Ce sont à vrai dire vos choix musicaux qui m’ont amené à vous observer, un peu comme une curiosité historique ou un phénomène anachronique. A chaque montée musicale émanant de votre appartement, je m’asseyais en retrait en prenant soin de ne pas me faire remarquer et je me laissais emporter par votre musique. J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de vous voir en dehors de chez vous. On s’est « rencontré » chez le boulanger du coin, chez le marchand de journaux, … mais jamais je n’ai pu vous parler. Je n’ai pas pu vous parler mais je vous ai écrit de longues lettres aujourd’hui toutes disparues. Vous observer, est devenu très vite une habitude, que dire un besoin. Je guettais votre retour – il faut dire que vous êtes assez régulier - à part cette absence du mois d’Avril qui a duré une semaine, du lundi au lundi. C’est depuis ce moment, par peur de perdre tout souvenir de vous que j’ai décidé de vous photographier à votre insu. Cela n’a pas été une tâche facile. Il me fallait non seulement un bon matériel mais surtout de la patience. Je voulais immortaliser les moments les plus anodins : Youssef mangeant, se brossant les dents, se regardant dans la glace, se déshabillant, lisant, se grattant les fesses … bref conserver par l’image les mille et une facettes de votre quotidien à la fois houleux et tranquille. Je suis parfaitement consciente de l’incongru de mon geste mais n’ayez aucune crainte. Notre album restera secret et personne ne pourra y accéder, du moins de mon vivant. C’est vrai, je vous ai volé des moments de votre vie, ne le prenez pas comme une intrusion mais plutôt comme une preuve d’attachement, un gage d’admiration. Je n’aurai jamais pu photographier une autre personne que vous. Les petits textes de gauche ne pouvaient s’écrire que pour vous. Je maudirai toujours ma timidité maladive, mes émois invalidants. Dans une autre vie, j’aurai pu peut être converser avec vous, tout simplement, sans m’inquiéter, sans répéter mes phrases comme s’il s’agissait d’un rôle que je n’ai pas le droit de jouer. Lorsque vous me lirez, comme dirait Léo Ferré, un de vos chanteurs favoris, je crois, je serai déjà ailleurs. Il est vain de me chercher. Votre a… ne me quittera jamais » La lettre n’était pas signée. Il la déposa sur la table, s’allongea et ferma les yeux. Il prit soudainement conscience que la lecture de la lettre l’a enrobé dans une bulle de silence, l’a retiré des sonorités du monde.

Nadia Jelassi

A Son insu

De sa place lui parvenait maintenant des sons emmêlés à tonalité changeante, tout à fait inédits pour ses oreilles. Cris d’enfants, rire strident, techno, malouf, messages publicitaires et ronronnement de la pompe et du bulleur débité par l’aquarium. Les sons de l’extérieur se mixaient à ceux de l’intérieur, la musique se superposait au cri, le français se conjuguait à l’arabe, l’acoustique mécanique rythmant l’ensemble. Un capital sonore inouï se dit Youssef. Il se rappela l’instruction de Yassine, se leva et marcha vers l’aquarium. Il trouva sans difficulté la boîte d’aliments, empoigna les paillettes, les écrasa entre le pouce et l’index et les éparpilla sur la surface d’eau. L’odeur de la farine animale pressée était écœurante. De la puanteur chèrement payée pensa-t-il ! Sans se heurter, chacun pour soi, les poissons se sont précipités sur cette nourriture en poussière. La manne humaine fut absorbée en quelques secondes. La population rouge de ce bac parallélépipédique censé reproduire leur habitat naturel semblait se mouvoir comme les habitants de l’immeuble d’en face. Ont-ils seulement conscience de cette paroi, ont-ils mémorisé ses limites se dit Youssef. L’exemplaire du livre de Mallarmé était posé à plat bien en évidence ; il l’ouvrit à la page signalée par le signet. Youssef râle, Yassine n’avait pas abandonné cette manie de souligner au crayon systématiquement des mots, des phrases, parfois des paragraphes entiers. Il annotait aussi quelques passages que personne, à part Youssef n’était capable de déchiffrer. Ses livres gardent ainsi l’empreinte de ses préoccupations intellectuelles ou amoureuses du moment. Lire un livre prêté par Yassine, c’est aussi décoder ses signes. « La fenêtre avait le sens d’une cloison transparente et plus ou moins traversée par des allées et venues entre rêve et réalité ou entre deux régions du rêve, l’une faste et l’autre néfaste » Un extrait qui cogne à la vitre se dit Youssef, une formule de circonstance spécialement mise en valeur pour moi. Pourtant, il ne s’agit pas d’un songe, elle était bien à sa fenêtre et me regardait. Mais qui est-elle ? Comment était-elle, petite, grande, blonde, brune, jeune, âgée ? Si je pouvais au moins lui attribuer un visage, un corps ! Ses mots sont mesurés et percutants, son écriture …. Non je ne peux me remettre à la graphologie. Et ses photos, bien composées malgré la distance et les difficultés de la prise de vue. Sûr, qu’elle s’y connaissait un peu. Le portrait de l’inconnue n’arrêtait pas de se faire et défaire. Il s’est senti soudain aussi démuni que le poisson de l’aquarium, prisonnier d’une paroi invisible ; Il prit son appareil photo et quitta l’appartement. Nadia Jelassi

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Montfleury, une exposition de Oussema Troudi. Ghaya Gallery, 12 Mai 2016. C’était aux alentours de 1999, à l’ISBAT : sur un banc, un étudiant assis. Sa tenue, son air grave mais serein, son imperturbabilité m’amenaient à me demander ce qui pouvait l’absorber de la sorte. Bien sûr, la curiosité me mut à sa hauteur, juste assez pour observer ce que put être l’objet de cette emprise sans être remarqué. C’était une main qui prenait la pose pendant qu’une autre, poussant une mine de graphite, la dessinait sous le regard concentré d’un œil méticuleux. Je demeurais donc un moment pour observer un étudiant s’appliquant à dessiner ses mains. Plus tard, je sus que cet étudiant était Oussema Troudi. Un peu plus tard encore, je sus qu’en réalité, il ne dessinait pas mais tentait de comprendre comment cette forme était construite. Et il a fallu encore quelques années pour penser qu’il ne tentait peut-être pas seulement de reproduire un complexe anatomique mais qu’il s’ingéniait probablement à appréhender sa main dessinant, sa main faisant et, finalement, à penser la main prise dans les mouvements de la création. Aujourd’hui, écrivant en marge de sa 5ème exposition personnelle, je crois comprendre que, peut-être, cet étudiant d’alors, cet Oussema Troudi en devenir, menait un exercice de réflexion au-delà de la simple finitude graphique d’une main, sur sa dé-finition, sans doute du côté des mécanismes et des composantes du faire, sur ses postures manuelles qu’il a d’ailleurs auparavant proposées comme autant d’autoportraits ou l’ensemble comme un seul autoportrait . Dans « Montfleury », c’est, je pense, le même travail que continue l’artiste : suivre cette pensée racinaire du geste de la création, aller là où ce geste éclos pour en ré-interroger toujours les motifs ; questionner ce que peut, ce que fait et ce que sait la main. Mais, encore une fois, il faudrait encore laisser le temps me révéler par fragments toutes les subtilités et les soubassements de la pratique de l’artiste. Aussi, écrivant ces mots, je ne ferais pour l’heure que coucher quelques intuitions premières autour d’une pensée créatrice à l’œuvre.

Mais il arrive aussi que l’œil délaisse les chemins du songe pour suivre ceux de la matérialité des reliefs qu’il perçoit. Là, c’est une archéologie qui commence : du bout de l’œil, on fouille, se représentant les diverses strates qui habillent le mur, les différents âges transparaissant les uns à travers les autres, les différents temps de peuplement que ces parois ont abrités. On perçoit dans un timide gonflement circulaire qu’une vis faisait là son trou avant qu’il ne soit obturé, dans les fissures d’un petit éclat qui ne s’est pas laissé entièrement comblé d’enduit, qu’un clou tentait une percée. Quelque fois même, un œil lucide croit deviner les contours d’un rectangle lumineux qu’une poussière n’a pu assombrir faute d’un tableau ou de quelque élément rectangulaire. Le vertige des temps que le mur porte en lui dessaisit l’œil archéologue des parois. Et l’on se réveille de ses explorations de surface profonde. « La préparation des murs est un préalable indispensable à toute opération de peinture : dépoussiérage, lessivage, décapage, enduisage, ponçage, etc. devront être soigneusement exécutés, le bon résultat de vos travaux en dépend. » Encyclopédie du bricolage, 1967.

« Mur aveugle : mur sur lequel il n’y a ni porte ni fenêtre. » Encyclopédie du bricolage, 1967.

Les murs comme horizon Qui n’a pas laissé, dans un moment de songe éveillé, errer son regard sur ses murs ou au plafond ? L’œil est bientôt retenu par les singulières aspérités que l’on voit pourtant tous les jours mais abstraites et dissoutes dans une vision plate de murs abstraits. Ces aspérités, souvent adoucies par une couche de peinture, ou, quelquefois même, engendrées par la pose d’une couche non reprise, sont traces de pelage de rouleau, coulures d’une décharge de matière trop importante, écailles en reliefs ou petites parcelles en creux d’une antérieure surface trop fatiguée. De ce paysage à fleur de mur, l’œil songeur figure ses imaginaires et se laisse parfois aller, les minces ombres d’une lumière tamisée aidant, à élucubrer. Et plus l’on fixe le regard à quelque point d’achoppement, et plus ce paysage se fait mouvant et va s’assombrissant… Et l’on se réveille de ses élucubrations d’ombres de surface. 4

Voir par un mur aveugle Une poétique de la vie des murs intérieurs travaille l’œil qui s’y perd et la main qui s’y confronte. Ce fut sans doute le cas d’Oussema Troudi. Après un parcours nomade entre différents lieux d’habitation, c’est enfin entre les murs d’une maison à Montfleury que l’artiste se (ré-)installe. Habiter (et, dans son cas, réhabiter) un lieu est déjà en habiller les murs, en y comblant les anciennes traces d’occupation,

Mohamed-Ali Berhouma

Dans les épaisseurs d’une surface ou quand la peinture fait le mur

les fissures, les usures ; en y couchant un nouvel épiderme de peinture, en y perçant, y clouant, y vissant des points d’accroche, en y ancrant ses propres murs faits de tableaux, de bibliothèques, d’étagères. C’est là, à la surface des stigmates d’une muraille réappropriée, qu’une attention lucide s’est posée. Au-delà de l’errance, à fleur d’un mur aveugle, l’œil de l’artiste a perçu les promesses d’un pictural, d’une plasticité. Bientôt, les murs ne seraient plus les simples cloisons d’accroche mais l’accrochage même. Mais il ne s’agit pas de reproduire ou de recréer les pans de murs érodés par leurs successives occupations, de transposer mimétiquement leurs topographies minérales et vinyliques que le temps a modelées. Cet univers de surface fut sans doute l’impulsion première pour cette expérience picturale. En guise de parcelles murales, des plaques de cloison sèche, de plâtre qui s’offrent avec leur paradoxe : une forme jouant la rigidité dans une matière faite de fragilité. Le plâtre n’oublie pas son originelle pierre gypsée et sait aisément se laisser pulvériser en stuc. Sur ces apparentes murailles d’une vulnérabilité étonnante, l’artiste déploie ses gestes de bricoleur mais dans une intention et une attention de peintre. Des passages de rouleaux surfacent de gris et de couleurs la plaque. Un grattoir cherche fébrilement la blancheur du plâtre sous la couleur. Une perceuse ponctue les lieux où se logeront chevilles et vis dont la cruciformité est aussi graphie. Les premiers points sont posés ; sont clouées des crochets suédois qui seront les centres de rayonnement d’un fil tendu entre les différents points qui dessinent désormais une trame de tension. Et par tous ces bricolages détournés, le peintre compose, dessine, crée ses parcelles murales érigées en paysages picturaux. Entre ses murs, le peintre emmuré ouvre les espaces de ses voyages, de ses trajets, de ses horizons. Quelquefois, les ornements de plafond en plâtre deviennent aussi supports où des jeux de fils tendus regéométrisent les lieux. D’une œuvre à l’autre, le fil semble dessiner, jusqu’au vertige, les parcours infinis d’un œil traçant ses cartographies aux murs et au plafond. « (…) le B.A.-BA du bricolage n’est pas seulement un alphabet élémentaire. Il est aussi une initiation indispensable à des travaux moins simples et de plus longue haleine, une sorte de solfège nécessaire à l’exécution de morceaux plus savants. » Encyclopédie du bricolage, 1967.


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

Dans la profondeur des surfaces, une pensée prend racine En voyant ces plaques de plâtres, ces pans de murs que l’artiste aérait pour les déshumidifier, en voyant cet outillage se prêtant aux divers travaux sur les parois murales, le corps du peintre m’a semblé réanimé par ses corps d’antan où il était maçon, ouvrier, arpenteur des murailles. Le peintre tel qu’il fut dans ses premières heures de gloire renaissantes : fresquiste. Dans sa maison de Montfleury, dans ses lieux du faire qui sont aussi ses lieux de vie, j’ai pu apercevoir l’envers de ses supports où le plâtre est tantôt lisse et encore frais – et j’imaginais la douce surface d’un intonaco dans lequel le fresquiste renaissant imbibait ses couleurs –, tantôt rugueux – semblable à l’arriccio grossier qui servait de couche première au support de la fresque. Ce sont aussi les fils tendus à des points de rayonnement qui me rappelèrent aussi l’artiste d’alors traçant et quadrillant son espace en battant le fil chargé de pigment. Telles étaient les premières visions qui me frappèrent à la vue de quelques parcelles de l’univers matériel de l’artiste. Un autre retour aux sources de la création me semblait aussi poindre dans la manière qu’Oussema Troudi aborde l’acte pictural qu’il propose. Un retour vers cette science que Lévi-Strauss dit « première », celle du bricolage. Un autre corps, premier, soustendait donc celui du peintre. Les marteaux, les tournes-vis, les spatules, les rouleaux de peinture, les mètres, bref, tout dans les espaces de création de l’artiste nous renvoie à cette dimension première du faire. Mais ce n’est pas seulement ce champ matériel qui dit le bricoleur ; c’est aussi le détournement qui le caractérise, continue Lévi-Strauss. Ce qu’il y a de plus habile dans le travail de l’artiste est qu’il détourne les moyens même du bricoleur en champ d’action plastique ; en somme, il bricole le bricolage de la même manière qu’il dessinait une main qui dessine.

Oussema Troudi, Le Kef, technique mixte sur plâtre, 60x60 cm, 2016.

En perçant, clouant, vissant, tendant, attachant, enduisant, comblant, grattant, martelant, l’artiste tourne les actes d’un quotidien tâcheron travaillant ses murs en possibilités créatrices et en parcelles murales visuelles ouvertes. De la même manière qu’un bricoleur s’affairant à ses murs pour les prémunir, les parer et pour finalement y accrocher quelque élément, Oussema Troudi, dans sa geste créatrice, pousse le bricolage dans ses prolongements esthétiques et bricole ses pans de murs plâtrés pour y accrocher, enfin, notre regard. Mohamed-Ali Berhouma

Oussema Troudi, Séliana, technique mixte sur plâtre, 140x70 cm, 2016.

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Montfleury, une exposition de Oussema Troudi. Ghaya Gallery, 12 Mai 2016. Glissent des vérités là où l’œil se pose

D’une parole, mûre de murer l’appel du blanc pressé d’exorde, d’un bougainvillier mourant, de l’opaline hauteur sous le plafond, un vert propre à l’air que l’artiste inspire retient l’humidité de la nuit passée.

Par un temps qui a la raison à l’œil, l’art visuel n’est pas forcément un art du visible. Se tasse, en effet, la pensée en couches, devant le travail d’un artiste peintre, son devenir et sa trace, appesantie, cette pensée, par tous les moyens qu’un spectateur s’offre pour tenter de comprendre.

Du sol pastellé, passe de l’ombre la raison, vers la lumière raisonnée, d’une myriade de marches, d’un Albinoni passager et de silence niais, se fie l’artiste au prompt jour. De mémoire, tombent le poème et le pamphlet, et de gribouillis s’exaltent les murs, et des cris de bébé, la joie diurne et l’amour singulier, labeur intime pour demain. Là où naît l’idée, meurt le péché de coucher l’envie sur des vestiges de projets. L’artiste sait. Sa mémoire le trahit, complotant pour sa virée, et il se trouve muet, et se fait sentir flanqué jusqu’à l’os, et plat jusqu’aux pieds. Se retire, l’artiste, de ses mots, et de ses marques, tend des filets à la patience, qu’elle fonde aussi morcelée, qu’une maison retrouvée, pour que regorgent du plâtre des vis enfoncées, et s’en dessinent des soleils désuets, de fils en aplats troués, la véhémence conduit, et la résistance incline le temps dans la foulée. Des pots empilés, des colonnes en colons proclamés, déjouent, nuancés, sa résolution de peindre, le peintre s’apprête à clouer. Des abysses balayés, se répand le soleil en poussière, et se rétracte au réveil, linéaire, pointillé. D’un Tunis parlé, monte la sentence, au mutisme gracié, de l’habitant des lieux, d’un habillage pensé, aux couleurs, terres de sa mémoire, vives de son geste, et de sa volition, figées. Quel art, si ce n’est ce laps de naissance, perpétuellement révisé ? Quelle tentation, de transcrire le souffle, sans mesure infiltré, dans les vierges murs et les dais renversés ? De l’accoutumance, je pense, ma parole délavée, à l’amour du poème, aux habitudes dépareillées, de creuser à la marge de l’art des évents pour couler. A.G.

Oussema Troudi, Tunis 2, technique mixte sur plâtre, 120x60 cm, 2016.

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Tachiste, qu’il soit, pointilliste, graphiste ou dessinateur, Oussema Troudi est d’abord contemplateur de son support, qu’il invente d’ailleurs au fil de son intuition. Son art, est juste égal au temps qu’il dépense pour se résoudre à la matière qui le choisit. Sa création, en outre, dépasse souvent les moments de gestation intellective, pour empiéter sur sa moindre manière de discuter le bout de gras. L’exposition « Montfleury », n’est pas l’aboutissement d’un dessein, elle n’en acquiert même pas la mine de son titre. Cet ensemble d’œuvres, est, à mon sens, une tranchée dans le temps, dans le zèle et dans l’ambition de l’artiste, d’aller vers les dessous des surfaces, vers l’épaisseur du quotidien, en ayant l’art comme révélateur et non pas comme fin. Il m’aide, dans ma tentative d’anagogie pour le travail d’Oussema, que j’habite l’atelier qu’il habite. Un lieu interrompu de ses vocations, entier de sa constance, s’offre à l’appropriation de l’artiste, un air à inspirer et de la matière à vivre. L’idée de travailler dans la maison, lui est venue presque au même moment que celle de travailler sur la maison et par la maison. Travailler quoi d’ailleurs ? Il est à signaler, à ce propos, que ce n’est point la peinture, dans sa tenue technique et esthétique de composition, de matière et de couleur qui est à l’œuvre. L’artiste s’imprègne de ses environs physiques, pour panser ensuite l’idée de les arranger et de les traverser par l’expression qui ne les finit dans la narration insipide. Son dialogue avec son voisinage artificiel ou naturel, se fait sentir jusqu’au suc, depuis son travail avec et par l’eucalyptus, l’arbre qui marque nettement la sensibilité de l’artiste

Asma Ghiloufi

Montfleury

à l’au-delà de l’écorce des choses qu’il voit et qu’il vit. Dans ses gravures de sections d’eucalyptus, Oussema rend à l’arbre ce que le temps lui a pris, et crée de l’œuvre un écosystème dont la forme ne cesse de se verser dans le fond, et dont le sujet n’est que l’objet en reconstitution. C’est ainsi, qu’en côtoyant l’artiste, je présume égal son mobile à ses moyens qu’il sème d’ailleurs, par monts et par vaux, dans son quotidien intérieur. Il n’est pas que le fabricant de son art, il en est tout aussi le regardeur, parfois l’éleveur et souvent le résilié. Dans cette suite de travaux nommée « Monfleury », Oussema amène le mur à sa raison, pour y voir plus qu’un bâti et en restituer une existence autre que celle qui le réduit à accrocher le regard d’un habitant, sa déco ou ses pense-bêtes. C’est ainsi qu’il a pris de la graine de son atelier-maison, pour résoudre son gage à morceler l’espace en tableaux aussi réfléchis et construits que ce dont il dispose permet. Il est à souligner, en parlant de ses réalisations, qu’il y a deux plans de lecture. Le premier concerne la matière qu’il travaille et le deuxième porte sur la manière dont il procède.


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

Dans son agissement, l’artiste explore le plâtre, en panneaux vierges, tels qu’il les récupère, encore humides, chez l’artisan. C’est sur des surfaces d’un blanc timide, qu’il peint, dessine, grave, cloue et révèle, par l’expression plastique, l’abîme d’un matériau dit de construction. Sa manière d’achever une œuvre, donne un sentiment d’un work in progress permanent, car il y incarne éventuellement la possibilité de passer à la suivante. Chaque œuvre est, toutefois, unique et chaque passage semble nécessaire et suffisant pour que l’harmonie opère sans prédisposition. La ligne se tend et les domaines de plâtre virginal accueillent les aplats de peinture, accusent clous et vis et acceptent sereins les aléas de la sublimation. L’artiste préserve aussi bien la matière que la trace de sa moindre manipulation. L’œuvre en raconte, alors, la représentation qu’elle est, l’impression qu’elle donne et l’histoire de son accomplissement, par l’artiste qui se produit dans et du chaos. L’œuvre « Monfleury » d’Oussema, est comme un réarrangement lascif et spéculatif de son quotidien. Elle se résume à des compositions métaphoriques, une minutie notable, de l’abstraction et tout le plaisir qu’un tissage de relief puisse procurer, tant à son auteur qu’à son contemplateur. L’artiste neutralise son intimité idéologique, subtilement sentie dans ses choix d’ingrédients pour la création, par un raisonnement sériel qui ramène aussi sa production à sa nature d’œuvre d’art. Les pièces de l’exposition sont aussi isolées que solidaires. Elles portent en elles l’intention de l’accrochage. Oussema Troudi, en recourant aux objets usuels de quincaillerie qui se rapportent aux coulisses de l’œuvre d’art finie, ne désacralise pas la création autant qu’il bénit sa gestation et sa digestion. Sa production se révèle, par conséquent, comme une sonde qui vient mettre à flot l’origine de son intention et toute sa propension à impliquer le réel dans sa démarche. Qu’il y est du hasard, dans sa pratique artistique, cela ne travestit point sa préméditation. Il arrive, d’ailleurs souvent, que le dessillement se fasse lors d’un déraillement ou d’une divagation dans le maniement de l’idée ou de la matière.

Oussema Troudi, Kébili, technique mixte sur plâtre, 50x50 cm, 2016.

Dans sa résolution pour les titres des tableaux, l’artiste continue à assujettir sa pensée intérieure à la distanciation formelle qui l’inscrit dans un travail qu’il appelle « Monfleury». Les œuvres prennent donc comme titres des noms de villes de Tunisie, et s’offrent par conséquent à l’ultime degré de lecture : la mémorisation. Gafsa n’est pas venue à l’esprit de l’artiste comme le nom qui relèverait le goût de l’œuvre qui le porte maintenant. Gafsa était déjà dans l’autosuffisance qui marque ce travail. Bizerte aussi, était dans son sel, Sousse dans ses bords, Sidi Bouzid dans son intégralité, et j’en passe. Les fissures dans le plâtre d’Oussema sont des rides d’expression, qui valent pour l’œuvre ce que pour le visage vaut le rire. Les couleurs dans « Monfleury » ouvrent le bal à l’intérieur, les vis marquent le temps et les fils maintiennent la route à l’éternel voyageur. Asma Ghiloufi plasticienne, chercheur en design Oussema Troudi, Nabeul, technique mixte sur plâtre, 30x30 cm, 2016.

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Montfleury, une exposition de Oussema Troudi. Ghaya Gallery, 12 Mai 2016. écrire

Et si j’écrivais pour mieux regarder ?

pour proposer un autre voir «à l’œuvre» La question est là, de nouveau posée, comme au commencement de chaque feuille blanche à occuper comme au départ de chaque planche à travailler. Comment écrire sur une production plastique, comment formuler dans un écrit, des chemins balisés par le sens commun des mots, un univers qui ne relève pas du champ des connaissances ? Comment «dé-ployer» ce qui échappe au sens ordinaire, qui habite et que l’on surprend dans des couleurs, dans des contours, dans des formes et des compositions mais qui reste si couvert et si dérobé ? comment «trans-crire «, re-produire dans des phrases, ce que l’on devine, qu’on aperçoit et qui échappe au bruit, trouble, et loge dans le silence ? Le passage par un «chez soi», par un «conter soi» dans ce que l’on «entre-voit» rendrait-il la chose envisageable ? proposer sa propre formule, sa propre pratique, tout en se fiant aux mêmes tournures, aux figures si cachottières parfois qui se déclinent sous des traits affables pour «dé-couvrir» et «recon-quérir» ce qui échappe au dire par la chape de plomb qui recouvre les noms. Cet «entrevoit» qui «à mesure qu’il entrerait dans l’écriture, l’écriture le dégonflerait » dans une activité si dérisoire car nous prévient Roland Barthes, «on ne peut écrire sans faire le deuil de la sincérité ». Aligner pourtant, tout le long du texte à produire, des vocables, qui accompagnent hésitants, désirants ce visible de l’œuvre exposé, qui malgré son «corps défendant» demeure œuvrant et enfantant. Par une formulation différente, le texte à produire aura pour raison d’être, de poursuivre, de faire voir, d’accompagner le visible. Une traduction pour une «Rencontre» mutuelle mais aussi pour être un espace providentiel, un alibi, un pré-texte à une production nouvelle, création susceptible de rendre lisible et perceptible ces «pluies de taches qui auront trouvé des combinaisons harmonieuses ». Le projet est concevable car le rêve est similaire et l’embarras est le même. Les limites sont semblables face à ce bruissement qui résiste et ne peut loger dans les formes conventionnelles. Nul autre moyen n’est donc possible si ce n’est celui qu’insinue cette impossibilité dont on repousse à chaque fois les limites. Ici et là, formes usitées et mots noués. Nulle autre alternative que la rencontre dans un lieu commun, celui de l’expression et de la recréation. Pour raconter et discourir sur un visuel qui résistera toujours aux mots, une production similaire s’impose, une interprétation pour accompagner, se rapprocher du champ premier. Un chant poétique. Ce seront alors des émotions en signes, qui s’inviteraient dans des mots, que l’on croise, que l’on fait rencontrer dans leur intimité, dans leurs plis et dans leurs envers noirs. Une chance nouvelle se dessinerait pour ce visuel qui s’ouvrirait alors, sur un horizon spirituel plus large. Le texte ne complèterait pas, car il ne s’agit pas de témoigner par la lecture de l’œuvre, d’une défaillance mais d’accompagner le sens initié par la matérialité de l’œuvre à regarder, d’une perception nouvelle portée par une expression parallèle, dans une suite de lettres... mais toujours traits noués... Ici et là, le regard sera sollicité dans un «écrire pour faire voir» un «écrire pour mieux voir» ou permettre par la succession des phrases un « autre voir à l’œuvre». 8

L’artiste sur la planche pro POSE la de sa pâte ponctué d’annEAUX L i g n e s portées à sur le lit du plan gran di de dessins

VOYageur largeur blanche étranges. à mots flot

trous blancs

Vent par courants pour planter métal la succession de maillons draguer le fond qu’étale le regard nourri de la car tographie MONT FLEURI Œillets alignés piqués métalliques rouges qui s’appliquent broderie à clous canevas à roues cordages mâtinés aux rayons enchantés par les doigts noués déferlent tribune albâtre et poussière folâtre ....................... .............................................................................. ................................................................... points et demi-points crochets suédois lignes de foi et épines en croix terroirs déployées ou se m e s u r e n t périples en chaines dans des moulures rapiéçant les béantes fissures. dans la ligne à ras que se partage la narration et le firmament pas à pas chavire une poésie que le passeur en transit dans Tataouine déferlante invite incontrôlable bruine.

Mahdia Dans des

étendue mats

qui

mesure sa SEPARATION se muent l i g n e s d ’h o r i z o n

Gafsa s’exPOSE planche badigeonnée de frontières sous un plaFOND abritant une meurtrière marquée au fer.

Siliana fraie chemins détournés retournés, renversés déversés dans le limon tracés passages ou s’aventurent marges menaçant d’azurs les écla boussures Au ciel décousu - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Bizerte propose de jeter l’ancre sur une ligne - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - nue e t a u x é t o i l e s c l a i r e s s e m é e s d a n s l e s - - - - - - - - - - - - - - nues ---------------------------un à corps avec la précarité des écrits pour déceler l’ accord - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - de l’encre marine - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - clarté parsemée de rimes Destins croisés de cartographies en biais par le travail d’Oussema Troudi proposés.

Saloua Mestiri poète et universitaire


‫‪Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016‬‬

‫‪Mohamed Néjib Mnasser‬‬

‫ﺃﻋﻤﺎﻝ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﺍﻟﻄﺮﻭﺩﻱ ﻫﻲ ﺳﺆﺍﻝ ﻋﻦ ﺍﻟﻄﺮﻳﻖ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﻄﺮﻳﻘﺔ ﻭﺍﻟﻄﺮﻕ‪ ،‬ﻭ ﺍﻟﻄﺮﻳﻖ ﺗﺆﻧّﺙ ﻭ ﺗﺬﻛّﺭ‬ ‫ﻭ ﻫﻲ ﺍﻟﺴﺒﻴﻞ‪ ،‬ﻭﺍﻟﻄﺮﻳﻘﺔ ﻫﻲ ﺍﻟﺴﺎﺑﻠﺔ‪،‬ﺃﻣﺎ ﺍﻟﻄﺮﻕ‬ ‫ﻓﻬﻮ ﺍﻟﻀﺮﺏ ﺑﺎﻟﺤﺼﻰ ﻭﻫﻮ ﺍﻟﻀﺮﺏ ﻭ ﺃﺻﻞ ﺍﻟﻄﺮﻕ‬ ‫ﺍﻟﻀﺮﺏ ﻭﻣﻨﻪ ﺳﻤﻴﺖ ﻣﻄﺮﻗﺔ ﺍﻟﺤﺪﺍﺩ‪.‬‬

‫ﻭﺍﻟﻄﺮﻕ ﻫﻮ ﺍﻟﻤﺎﺀ ﺍﻟﺬﻱ ﺣﻴﺾ ﻓﻴﻪ ﻭﺑﻴﻞ ﻭﺑﻌﺮ ﻓﻜﺪِﺭ‪،‬‬ ‫ﻭﻳﻘﺎﻝ ﻃﺮﻕ ﺍﻟﻔﺤﻞ ﺍﻟﻨﺎﻗﺔ ﻳﻄﺮﻗﻬﺎ ﻃﺮﻗﺎ ﻭﻃﺮﻭﻗﺎ‬ ‫ﺃﻱ ﻗﻌﺎ ﻋﻠﻴﻬﺎ ﻭ ﺿﺮﺑﻬﺎ‪.‬‬ ‫ﻣﻮﻧﻔﻠﻮﺭﻱ ﺍﺳﻢ ﺣﻲّ ﻭ ﺍﺳﻢ ﻣﻌﺮﺽ‪ ،‬ﺗﻞّ ﻣﺰﻫﺮ‬ ‫ﻏﻴﺮ ﻣﻄﺮﻭﻕ ﻳﺤﺎﻭﻝ ﺍﻟﺘﺸﻜﻴﻠﻲ ﻃﺮﻗﻪ ﺑﺎﻟﻤﻌﺎﻧﻲ ﺍﻵﻧﻔﺔ‬ ‫ﺍﻟﻤﺘﻌﺪﺩﺓ‪ ،‬ﻓﻲ ﻣﻮﻧﻔﻠﻮﺭﻱ ﻣﻨﺰﻝ ‪ /‬ﻭﺭﺷﺔ ‪ /‬ﺣﻀﻴﺮﺓ‬ ‫ﻳُﺑﻘﻊ ﻓﻴﻪ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﻭ ﻳَﺑﻘﻊ‪.‬‬

‫ﺇﻥ ﻛﺎﻥ ﻟﻚ ﺃﻭ ﻟﺪﻳﻚ ﻃﺮﻳﻖ ﻓﺈﻧﻐﻤﺲ ﻓﻲ ﺍﻟﻤﺎﺀ ﺍﻟﻜﺪِﺭ‬ ‫ﻟﺘﻌﺒﺮﻩ ﺃﻭ ﺍﺻﻤﺖ ﻭﻻ ﺗﺘﺴﺎﺀﻝ ﻃﻮﻳﻼ ﺣﻮﻝ ﻣﺎ ﻳﻤﻜﻦ‬ ‫ﺃﻥ ﻳﻜﻮﻥ ﻣﻤﺎﺭﺳﺔ ﻓﻨﻴﺔ ﻣﻌﺎﺻﺮﺓ ﻓﻲ ﻫﺬﻩ ﺍﻟﺒﻼﺩ‪،‬‬ ‫ﻓﻲ ﺗﻮﻧﺲ‪ ،‬ﺗﺮﺷﻴﺶ‪ ،‬ﺧﺰﻧﺖ ﺍﻟﺴﺮﺩﻳﻦ ﻣﻨﺬ ﺁﻻﻑ‬ ‫ﺍﻟﺴﻨﻴﻦ‪.‬‬

‫ﻛﻢ ﻛﺎﻥ ﺍﻟﻤﻌﺮﺽ ﺟﻤﻴﻼ ﻳﻮﻡ ﻋﻠّﻗﺖ ﺍﻷﻋﻤﺎﻝ ﺍﻟﻔﻨﻴﺔ‬ ‫ﻭ ﺍﺧﺘﺮﻧﺎ ﻟﻬﺎ ﺍﻻﺿﺎﺀﺓ ﺍﻟﻤﻨﺎﺳﺒﺔ ﻭ ﺍﻟﻜﺎﻓﻴﺔ‪ ،‬ﻭﻟﻜﻦ‬ ‫ﻟﻨﻌﺪ ﺍﻟﻰ ﺍﻟﻮﺭﺍﺀ ﻗﻠﻴﻼ‪ ،‬ﻓﻘﻂ ﻗﺒﻞ ﺍﻟﺘﻌﻠﻴﻖ ﺑﺴﻮﻳﻌﺎﺕ‪.‬‬ ‫ﻃﺮﻕ ﻓﻲ ﺍﻟﺤﺎﺋﻂ ﻭﺗﺸﻘﻘﺎﺕ‪ ،‬ﻣﺴﺎﻣﻴﺮ ﻧﺴﻴﺖ ﻫﻨﺎ‬ ‫ﻭ ﻫﻨﺎﻙ‪،‬ﻓﺘﺤﺎﺕ ﺻﻐﻴﺮﺓ ﻭ ﻛﺒﻴﺮﺓ ﺍﻧﺘﻬﺖ ﺻﻠﻮﺣﻴﺘﻬﺎ‬ ‫ﻳﻮﻡ ﻏﺎﺩﺭ ﺍﻟﻌﺎﺭﺽ ﺍﻟﺴﺎﺑﻖ ﺍﻟﻤﻜﺎﻥ ﻭ ﻟﻢ ﻳﻌﺮﻫﺎ‬ ‫ﺍﻫﺘﻤﺎﻣﺎ‪.‬ﻛﻞّ ﻳﺴﺘﻌﻴﺪﻩ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﺍﻟﻄﺮﻭﺩﻱ ﻭﻳﺴﺘﺪﻋﻴﻪ ﺇﻟﻰ‬ ‫ﻓﻀﺎﺀ ﻳﺸﻜﻠﻪ ﻭ ﻳﺒﻨﻴﻪ‪ ،‬ﺟﺺّ ﻭﻣﺴﺎﻣﻴﺮ ﻭﺧﻴﻮﻁ ﺗﺮﺗﻖ‬ ‫ﺍﻟﻔﺘﻖ ﻟﻮﺣﺔ‪ /‬ﺣﺎﺋﻂ ﻭﻋﻠﻰ ﺧﻼﻑ ﺍﻧﻄﻮﻧﻲ ﺗﺎﺑﻴﻴﺲ‬ ‫ﺍﻟﺬﻱ ﺟﻌﻞ ﻣﻨﻬﺎ ﺃﺛﺮﺍ ﻭﺭﻣﻮﺯﺍ ﺗﺤﻀﺮ ﻫﻨﺎ ﺑﻤﺎ ﻫﻲ‬ ‫»ﻣﺎ ﻭﺭﺍﺀ ﺍﻟﻠﻮﺣﺔ« ﺑﻤﺎ ﻫﻲ ﻣﺤﻤﻞ ﺍﻟﻤﺤﻤﻞ ﻓﻘﻂ‬ ‫ﺷﺎﻫﺪﺍ ﻻﻏﻴﺮ‪.‬‬ ‫ﺇﻧﻪ ﻃﺮﻕ ﺑﻤﺎ ﻫﻮ ﺿﺮﺏ‪ ،‬ﻳﻠﺞ ﺍﻟﻤﺴﻤﺎﺭ ﺍﻟﺤﺎﺋﻂ ﻓﺘﻨﺒﺖ‬ ‫ﺍﻷﺷﻜﺎﻝ ﻭ ﺍﻷﺣﺠﺎﻡ ﻭﻳﺰﻫﺮ ﺗﻞّ ﻣﺰﻫﺮ ﻓﻲ ﺳﻴﺪﻱ‬ ‫ﺑﻮﺳﻌﻴﺪ‪،‬ﺗﺘﺨﺬ ﺍﻷﻋﻤﺎﻝ ﺍﻟﻤﻘﺪﻣﺔ ﺍﻟﺤﺪﻭﺩ ﺍﻟﻠﺰﺟﺔ‬ ‫ﻣﺴﻜﻨﺎ ﻭ ﻣﻮﻃﻨﺎ ﻓﻼ ﻫﻲ ﺭﺳﻢ ﻭ ﻻ ﻫﻲ ﻧﺤﺖ‪،‬‬ ‫ﺍﻧﻬﺎ ﺣﺎﻟﺔ ﻋﺎﺟﻠﺔ ﺗﺴﺎﺀﻝ ﺍﻟﺴﺎﺑﻖ ﻭ ﺍﻟﻼﺣﻖ ﻓﻲ ﺗﺠﺮﺑﺔ‬ ‫ﺍﻟﻔﻨﺎﻥ ﻭﺗﺪﻓﻊ ﺍﻟﻤﺘﻘﺒﻞ ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻨﺒﺶ ﻓﻲ ﻣﺠﻤﻞ‬ ‫ﺍﻟﺘﻌﺒﻴﺮﺍﺕ ﺍﻟﻔﻨﻴﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﻗﺪﻣﻬﺎ‪.‬‬ ‫ﻓﻲ ﺍﻟﺨﺘﺎﻡ ﻧﺨﺘﻢ ﺑﻤﺎ ﺧﺘﻢ ﺭﻭﺑﺮﺕ ﻓﺮﻭﺳﺖ ﻗﺼﻴﺪﺗﻪ‬ ‫ﺍﻟﻄﺮﻳﻖ ﻏﻴﺮ ﺍﻟﻤﻄﺮﻭﻗﺔ ‪:‬‬ ‫»ﺛﻤﺔ ﻃﺮﻳﻘﺎﻥ ﻣﻔﺘﺮﻗﺎﻥ ﻓﻲ ﻏﺎﺑﺔ‪ ،‬ﻭﺃﻧﺎ‪-‬‬ ‫ﺃﻧﺎ ﻣﻦ ﺍﺧﺘﺎﺭ ﻏﻴﺮ ﺍﻟﻤﻄﺮﻭﻗﺔ ﻣﻨﻬﻤﺎ‪،‬‬ ‫ﻭﻗﺪ ﻛﺎﻥ ﺫﻟﻚ ﺍﻻﺧﺘﻼﻑ ﺑﺄﺳﺮﻩ‪«.‬‬ ‫ﻣﺤﻤﺪ ﻧﺠﻴﺐ ﻣﻨﺼّﺭ‬ ‫‪9‬‬

‫‪Slimen Elkamel‬‬

‫)ﺭﻭﺑﺮﺕ ﻓﻮﺳﺖ‪ ،‬ﺍﻟﻄﺮﻳﻖ ﻏﻴﺮ ﺍﻟﻤﻄﺮﻭﻗﺔ(‬

‫‪Saloua Mestiri‬‬

‫»ﺛﻤّـة ﻃﺮﻳﻘﺎﻥ ﻣﻔﺘﺮﻗﺎﻥ ﻓﻲ ﻏﺎﺑﺔ ﺻﻔﺮﺍﺀ‪،‬‬ ‫ﻭﻳﺎ ﻷﺳﻔﻲ‬ ‫ﻓﻠﻴﺲ ﺑﻮﺳﻌﻲ ﺃﻥ ﺃﻃﺮﻗﻬﻤﺎ ﻣﻌﺎ‪«.‬‬

‫ﺍﻧﺘﺒﻪ ﺃﺷﻐﺎﻝ ‪ :‬ﻣﻮﻧﻔﻠﻮﺭﻱ ﻓﻲ ﻃﻮﺭ ﺍﻟﺒﻨﺎﺀ‬ ‫ﻣﻮﻧﻔﻠﻮﺭﻱ‪ ،‬ﺣﻲ ﻋﺘﻴﻖ ﻓﻲ‬ ‫ﻓﺘﺂ ﻛﻠﺖ ﺑﻔﻌﻞ ﺍﻟﺰﻣﻦ ﻭ‬ ‫ﺧﺪﻭﺵ ﻋﻔﻮﻳﺔ‪ ،‬ﻓﺘﻄﺎﻳﺮﺕ‬ ‫ﺗﻌﺮﺽ ﻧﻔﺴﻬﺎ ﻟﻠﻔﺮﺟﺔ ﻭ‬ ‫ﻳﺮﻓﺮﻓﺎﻥ‪.‬‬

‫ﻗﻠﺐ ﺍﻟﻌﺎﺻﻤﺔ ‪ :‬ﺍﻟﺘﻞ ﺍﻟﻤﺰﻫﺮ‪ ،‬ﻣﺎﺯﺍﻝ ﻳﺤﺎﻓﻆ ﻋﻠﻰ ﺍﺧﻀﺮﺍﺭﻩ‪ ،‬ﻭ ﻗﺪﻡ ﺃﺻﺎﺏ ﺟﺪﺭﺍﻧﻪ‬ ‫ﺍﻟﻌﻮﺍﻣﻞ ﺍﻟﻄﺒﻴﻌﻴﺔ ﻓﻬﺮﻡ ﻭ ﺑﺎﻧﺖ ﺗﺠﺎﻋﻴﺪﻩ ﻭ ﻏﺰﺗﻪ ﺍﻟﺨﺮﺑﺸﺎﺕ ﻭ ﻧﺪﺑﺖ ﻭﺟﻬﻪ‬ ‫ﻧﺘﻔﻪ ﻭ ﺷﻈﺎﻳﺎﻩ‪ .‬ﻓﻲ ﻣﻮﻗﻊ ﻣﺮﺗﻔﻊ ﺗﻄﻞ ﻋﻠﻰ ﺗﻮﻧﺲ‪ ،‬ﺷﻮﺍﺭﻉ ﻓﺴﻴﺤﺔ ﻭ ﺟﺪﺭﺍﻥ‬ ‫ﺍﻟﺘﺄﻣﻞ‪ .‬ﻟﻠﺤﻲّ ﺟﺴﺪ ﺣﻲّ ﻳﺘﻄﻮﺭ ﺑﺎﺳﺘﻤﺮﺍﺭ‪ ،‬ﺍﻟﻨﻈﺮ ﺇﻟﻴﻪ ﺗﺤﻠﻴﻖ ﺑﻌﻴﻦ ﻟﻬﺎ ﺟﻨﺎﺣﺎﻥ‬

‫ﻳﺘﻮﺟﺐ ﻋﻠﻴﻨﺎ ﺗﻌﻠﻢ ﺭﺅﻳﺔ ﺍﻟﻌﺎﻟﻢ ﻭ ﺍﻟﺘﺪﺭّﺏ ﻋﻠﻴﻪ‪ ،‬ﻫﺬﺍ ﻫﻮ ﺭﻫﺎﻥ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﺍﻟﻄﺮﻭﺩﻱ ﺍﻟﻤﺴﻜﻮﻥ ﺑﺎﻟﻤﻜﺎﻥ‪ ،‬ﺷﺪﻳﺪ‬ ‫ﺍﻻﻫﺘﻤﺎﻡ ﺑﻪ‪ ،‬ﻛﺜﻴﺮ ﺍﻟﺴﺆﺍﻝ ﻋﻨﻪ ﻭ ﻓﻲ ﺣﻴﺮﺓ ﺩﺍﺋﻤﺔ ‪ :‬ﻟﻮﺣﺔ ﻣﻌﻠّﻗﺔ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺤﺎﺋﻂ ﻫﺬﺍ ﻣﺄﻟﻮﻑ‪ ،‬ﻟﻜﻦ ﻣﺎﺫﺍ ﻟﻮ‬ ‫ﺳﺤﺒﻨﺎﻫﺎ ﻭ ﻧﻈﺮﻧﺎ ﺍﻟﻰ ﺟﺬﺭﻳﺘﻪ ﻭ ﺟﺪﺍﺭﺗﻪ ؟‬ ‫ﺍﻟﻠﻮﺣﺔ ﺟﺪﺍﺭ ﻣﻦ ﺍﻟﻮﻫﻢ ﺃﻭ ﺍﻟﺘﻀﻠﻴﻞ ﺃﻭ ﺍﻹﺑﻬﺎﺭ ﻓﻲ ﺣﻴﻦ ﻳﻤﺜﻞ ﺍﻟﺠﺪﺍﺭ ﻣﺤﻤﻼ ﺣﺎﻣﻼ ﻣﺸﺤﻮﻧﺎ ﻣﺎﺩﻳﺎ ﻭ ﺭﻣﺰﻳﺎ‬ ‫ﻭ ﺗﺎﺭﻳﺨﻴﺎ ﺃﻣﺎ ﺍﻟﻔﻌﻞ ﺍﻹﻧﺸﺎﺋﻲ ﻓﻬﻮ ﺑﻨﺎﺀ ﻭ ﺗﺮﻣﻴﻢ ﻭ ﺗﺰﻭﻳﻖ ﻭ ﺗﺮﺗﻴﺐ ﻭ ﺣﻔﺮ ﻭ ﺻﻘﻞ ﻭ ﺗﻨﻈﻴﻒ‪ .‬ﻳﺼﻴﺮ ﺍﻟﺨﻂ‬ ‫ﺧﻴﻮﻃﺎ ﻣﺘﺪﻟﻴﺔ ﺗﺮﺳﻢ ﺧﺮﺍﺋﻂ ﻭ ﺗﺨﻄﻴﻄﺎﺕ ﻫﻨﺪﺳﻴﺔ ﻭﺍﻟﻠﻮﺣﺔ ﻟﻴﺴﺖ ﺧﺸﺒﺎ ﺑﻞ ﻟﻤﺤﺔ ﺑﺼﺮﻳﺔ ﻓﻬﻲ ﻣﻦ ﺻﻤﻴﻢ‬ ‫ﻓﻌﻞ ﻻﺡ ﻳﻠﻮﺡ ﺃﻱ ﺑﺎﻥ ﻭ ﻇﻬﺮ ﻭ ﺍﻧﻜﺸﻒ ﻗﻤﺮﺍ ﻭ ﺑﺤﺮﺍ ﻭ ﺃﻓﻘﺎ ﻣﻤﺘﺪﺍ ﻭ ﺗﺤﻮﻝ ﺍﻟﻼّﻣﺮﺋﻲ ﻣﺮﺋﻴﺎ‪ .‬ﻫﺬﺍ ﺍﻟﺘﻌﺮﻳﻒ‬ ‫»ﺍﻟﻔﺦ« ﻟﻠﻮﺣﺔ ﺍﻟﻌﻼﻣﺔ ﻧﺎﺑﻊ ﻣﻦ ﺗﻌﺎﻟﻖ ﻋﻤﻘﻬﺎ ﺍﻟﻤﺎﻫﻮﻱ ﺑﺸﻜﻠﻬﺎ ﺍﻟﻤﺎﺩﻱ ﺍﻟﺬﻱ ﺳﻴﻠﻮﺡ ﻟﻔﺘﺮﺓ ﺛﻢ ﻳﺆﻭﻝ ﻟﻠﺰﻭﺍﻝ‪.‬‬ ‫ﻫﺬﺍ ﻧﻌﺸﻬﺎ ﺍﻷﺑﻴﺾ ﺍﻟﻨﻘﻲ ﺩﻗﺖ ﻓﻴﻪ ﻣﺴﺎﻣﻴﺮ ﻭ ﺭﺑﻄﺖ ﻓﻴﻬﺎ ﺧﻴﻮﻁ ﺳﻴﺮﺣﻞ ﺇﻟﻰ ﺃﻋﻤﺎﻕ ﺍﻟﺬﺍﻛﺮﺓ‪.‬‬ ‫ﻧﺎﻓﺬﺓ ﻋﻠﻰ ﺣﺎﺋﻂ‪ ،‬ﺟﺰﺀ ﻣﻘﺘﻄﻊ ﻣﻦ ﺳﻘﻒ‪ ،‬ﻣﻔﺮﺩﺍﺕ ﺗﺰﻭﻳﻘﻴﺔ ﺟﺎﻫﺰﺓ‪ ،‬ﻣﻦ ﻫﻨﺎ ﻳﺒﺪﺃ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﺣﻴﺚ ﻳﻨﺘﻬﻲ ﺍﻟﺤﺮﻓﻲ‬ ‫ﻓﻴﻮﻃّﻥ ﻣﻤﺎﺭﺳﺘﻪ ﻓﻲ ﻣﺎﺩﺓ ﺍﻟﺠﺒﺲ ﻛﻤﻦ ﻳﺒﺤﺚ ﻋﻦ ﺃﺭﺽ ﻳﺴﻜﻨﻬﺎ ﻓﻴﻘﺘﺮﺡ ﻣﺸﻬﺪﺍ ﻣﺘﺨﻴﻼ ﻭ ﺍﺷﻜﺎﻟﻴﺎ ﻳﺤﻴﻞ‬ ‫ﺑﺤﻴﺎﺀ ﺇﻟﻰ ﺍﻟﻄﺒﻴﻌﺔ‪ .‬ﻳﺄﺧﺬ ﺍﻟﺠﺒﺲ ﻃﺮﻳﺎ ﻳﺮﺷﻖ ﻓﻴﻪ ﻣﺴﺎﻣﻴﺮ ﻳﻨﺘﻈﺮﻩ ﻟﻴﺠﻒ ﻓﻴﺘﻤﺎﺳﻚ ﺍﻟﺸﻜﻞ ﻣﺴﺘﻄﻴﻼ ﺃﺑﻴﻀﺎ‬ ‫ﻣﺴﻄﺤﺎ ﺃﻣﻠﺴﺎ ﺑﻜﺮﺍ ﻃﺎﻫﺮﺍ ﻛﺼﻔﺤﺔ ﻋﺬﺭﺍﺀ‪.‬ﺗﻘﻄﻊ ﺍﻟﻤﺴﺎﻣﻴﺮ ﺑﻴﺎﺽ ﺳﻜﻮﻧﻪ ﻭ ﺗﺤﺮّﻙ ﺍﻟﺨﻴﻮﻁ ﺍﻟﻤﺘﺮﺍﺑﻄﺔ ﺑﻴﻨﻬﺎ‬ ‫ﻫﺪﻭﺋﻪ ﻭ ﺗﺤﻮﻝ ﺍﻷﻣﻮﺍﺝ ﺍﻟﻠﻮﻧﻴﺔ ﺍﻟﻔﻀﺎﺀ ﺇﻟﻰ ﺑﺮ ﻭ ﺑﺤﺮ ﻭ ﺷﻤﺎﻝ ﻭ ﺟﻨﻮﺏ ﻭ ﺃﻣﻮﺍﺝ ﻣﺘﻼﻃﻤﺔ ﻭﺭﻳﺎﺡ ﻋﺎﺗﻴﺔ‪.‬‬ ‫ﺃﻥ ﺗﺮﺑﻂ ﻧﻘﻄﺘﻴﻦ ﺇﻟﻰ ﺑﻌﻀﻬﻤﺎ ﻓﻲ ﻓﻀﺎﺀ‪،‬ﺃﻥ ﺗﻄﻠﻖ ﺧﻴﻄﺎ ﻓﻲ ﺍﻟﻬﻮﺍﺀ‪ ،‬ﺃﻥ ﺗﻮﺛﻖ ﻣﺴﺎﺣﺘﻴﻦ ﻣﺨﺘﻠﻔﺘﻴﻦ ﺇﻟﻰ‬ ‫ﺑﻌﻀﻬﻤﺎ‪ ،‬ﺃﻥ ﺗﺸﺒﻚ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻴﻤﻴﻦ ﻭ ﺍﻟﻴﺴﺎﺭ ‪،‬ﺃﻥ ﺗﻠﺤﻖ ﺍﻷﻋﻠﻰ ﺑﺎﻷﺳﻔﻞ‪ ،‬ﻭ ﺗﺠﻤﻊ ﺍﻷﺭﺽ ﺑﺎﻟﺴﻤﺎﺀ‪،‬ﺃﻥ ﺗﻨﺘﺒﻪ ﺇﻟﻰ‬ ‫ﺗﻨﺎﻗﻀﺎﺕ ﺗﺠﻤﻊ ﺑﻴﻨﻬﺎ ﻭ ﺗﺮﺳﻢ ﺍﻟﺤﺪﻭﺩ ‪،‬ﺃﻥ ﺗﺮﻗﺺ ﻋﻠﻰ ﺧﻴﻂ ﻓﻲ ﺍﻟﻬﻮﺍﺀ ﻭﺗﻠﻬﻮ ﻋﺒﺜﺎ ﺑﻴﻦ ﻧﻘﻄﺘﻴﻦ ﻓﻼ ﺗﺼﻞ‬ ‫ﺇﻟﻰ ﻧﻬﺎﻳﺔ‪ ،‬ﺃﻥ ﺗﺘﺄﺭﺟﺢ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﺘﻤﺜﻴﻞ ﻭ ﺍﻟﺘﺠﺮﻳﺪ ‪ :‬ﺫﻟﻚ ﻫﻮ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻣﺸﻲ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺠﺪﺍﺭ ﻭ ﻓﻮﻗﻪ ﻭ ﺗﺤﺘﻪ ‪ ،‬ﺃﻗﺮﺏ‬ ‫ﺇﻟﻰ ﻟﻌﺐ ﺣﺮ ﻟﻠﻤﺨﻴﻠﺔ ﻭ ﻛﻞ ﺣﺮﻛﺔ ﺟﺪﻳﺪﺓ ﻳﻨﺒﻌﺚ ﻣﻨﻬﺎ ﺭﺳﻢ ﺟﺪﻳﺪ ﻓﻴﺄﺧﺬ ﺍﻟﺸﻜﻞ ﺷﻜﻠﻪ‪ .‬ﻟﻴﺲ ﺃ ﻛﺜﺮ ﻣﻦ ﺧﻂ‬ ‫ﻭ ﻧﻘﻄﺔ ﻋﻠﻰ ﻣﺴﻄﺢ ﻭ ﺑﺄﻗﻞ ﻣﺎ ﺃﻣﻜﻦ ﻣﻦ ﺍﻻﺧﺘﺰﺍﻝ ﻭ ﺍﻟﺘﻘﺸﻒ ﻳﺼﺒﺢ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻣﻔﻬﻮﻣﺎ ﻭ ﻣﻔﻬﻮﻣﻴﺎ‪.‬‬ ‫ﻏﻴﺮ ﺑﻌﻴﺪﺍ ﻋﻦ ﺟﻴﺮﺍﻧﻪ ﺍﻟﺤﺮﻓﻴﻴﻦ ﻳﻘﻒ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﻣﺴﺘﻌﻤﻼ ﻣﻮﺍﺩﻫﻢ ﻭ ﺃﺩﻭﺍﺗﻬﻢ ﻛﻤﺎ ﻳﺴﺘﻌﻴﺪ ﻃﺮﻗﻬﻢ ﺍﻹﺟﺮﺍﺋﻴﺔ‬ ‫ﻓﻴﻠﻌﺐ ﺃﺩﻭﺍﺭﻫﻢ ﺑﻤﺮﺡ ﻭ ﺗﻔﻜّﺭ‪ .‬ﻳﺸﺘﻐﻞ ﻣﻌﻬﻢ ‪.‬ﺍﻟﻔﻦ ﻟﻠﺠﻤﻴﻊ ﺑﻴﻦ ﺃﻳﺎﺩﻳﻬﻢ‪.‬ﺗﻤﺘﺰﺝ ﻋﻨﺪﻩ ﺍﻷﺩﻭﺍﺕ ﻭ ﺗﺨﺘﻠﻂ ﻓﻴﻤﺮ‬ ‫ﺑﻴﻨﻬﺎ ﺑﺴﻬﻮﻟﺔ ﻭ ﺳﻼﺳﺔ ‪ :‬ﺃﻗﻼﻡ‪ ،‬ﻣﻄﺮﻗﺔ ‪،‬ﻣﻴﺰﺍﻥ‪ ،‬ﻣﻠﻌﻘﺔ‪ ،‬ﻓﺮﺷﺎﺓ‪ ،‬ﻣﺴﺎﻣﻴﺮ‪ ،‬ﺧﻴﻮﻁ‪ ،‬ﻣﻔﻚ‪ ...‬ﻛﻠﻬﺎ ﺗﺼﻠﺢ‬ ‫ﻟﻠﺘﺸﻜﻴﻞ ﻣﺜﻠﻤﺎ ﺻﻠﺤﺖ ﻟﻠﺒﻨﺎﺀ ﻭ ﺍﻟﻄﻼﺀ ﻭ ﺍﻟﻤﻌﻤﺎﺭ ﻭ ﺍﻟﻬﻨﺪﺳﺔ ﻭ ﺍﻟﻨﺠﺎﺭﺓ‪ .‬ﻫﺬﺍ ﺍﻻﺣﺘﻔﺎﺀ ﺑﺎﻟﺤﺮﻑ ﺍﻟﻴﺪﻭﻳﺔ ﻟﻴﺲ‬ ‫ﺍﺳﺘﻌﺎﺭﻳﺎ ﺑﻞ ﻣﺸﺮﻭﻋﺎ ﻓﻌﻠﻴﺎ‪ ،‬ﻓﻠﻜﻞ ﻳﺪ ﻫﻮﻳﺘﻬﺎ ﻭ ﺗﺎﺭﻳﺨﻬﺎ ﻭ ﻋﻘﻠﻬﺎ ﺍﻟﺒﺎﻃﻦ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﻘﻮﺩﻫﺎ ﻭ ﻳﻬﺪﻳﻬﺎ‪ ،‬ﺗﺤﻤﻞ ﻓﻲ‬ ‫ﺃﻧﺎﻣﻠﻬﺎ ﻃﺒﻘﺎﺕ ﻣﺘﻜﺜﻔﺔ ﻣﻦ ﺍﻷﻓﻌﺎﻝ ﻭ ﺍﻟﺴﻠﻮﻛﺎﺕ‪ .‬ﺍﻟﻴﺪ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻔﻜﺮ ﻭ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﻨﻔﺬ ﻭ ﺍﻟﺘﻲ ﺗﺘﺤﺮﻙ‪ ،‬ﺍﻟﺴﺮﻳﻌﺔ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﻠﻄﻴﻔﺔ ﻭ ﺍﻟﻤﺘﺄﻧﻴﺔ ﻭ ﺍﻟﻤﺘﺸﻨﺠﺔ ﻭ ﺍﻟﺪﻗﻴﻘﺔ ﻭ ﺍﻟﻤﺘﺴﺮﻋﺔ ﻭ ﺍﻟﻬﺎﻭﻳﺔ ﻭ ﺍﻟﻤﺤﺘﺮﻓﺔ ‪،‬ﻳﺪ ﺍﻟﺠﺒﺎﺱ ﻭ ﺍﻟﻨﺴﺎﺝ‬ ‫ﻭ ﺍﻟﻄﺒﺎﺥ ﻭ ﺍﻟﻨﺠﺎﺭ ﻭ ﺍﻟﺤﺪﺍﺩ ﻭ ﺍﻟﺪﻫﺎﻥ ﻭ ﺍﻟﺒﻨﺎﺀ ‪،‬ﻫﺬﻩ ﻫﻲ ﺍﻷﻳﺎﺩﻱ ﻛﻠﻬﺎ ﻣﺠﺘﻤﻌﺔ ﻳﻜﺘﺐ ﺑﻬﺎ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﻭ ﻳﺮﺳﻢ‬ ‫ﻭ ﻳﻌﻴﺶ‪.‬‬ ‫»ﺍﻟﺮﺟﻞ ﺍﻟﺬﻱ ﻳﺤﻠﻢ ﻻ ﻳﻤﻜﻨﻪ ﺃﻥ ﻳﻤﻨﺤﻨﺎ ﻓﻨﺎ ﻷﻥ ﺃﻳﺎﺩﻳﻪ ﻧﺎﺋﻤﺔ« )ﻫﻨﺮﻱ ﻓﻮﺳﻴﻮﻥ( ﻏﻴﺮ ﺃﻥّ ﺍﻷﻳﺎﺩﻱ‬ ‫ﺍﻟﺤﺎﻟﻤﺔ ﻟﻴﺴﺖ ﺑﺎﻟﻀﺮﻭﺭﺓ ﻧﺎﺋﻤﺔ ﻭ ﻻ ﺍﻟﺼﻔﺤﺎﺕ ﺍﻟﺒﻴﻀﺎﺀ ﻓﺎﺭﻏﺔ ‪.‬ﻳﺤﺮﻙ ﺃﺳﺎﻣﺔ ﻳﺪﻳﻪ ﺍﻟﺤﺎﻟﻤﺘﻴﻦ ﻓﻲ ﺍﻻﺗﺠﺎﻩ‬ ‫ﺍﻟﻤﻌﺎﻛﺲ ﻓﻴﻀﻴﻒ ﺍﻟﻰ ﺍﻟﺘﻘﻨﻲ ﻭﻋﻴﺎ ﻭ ﺣﻠﻤﺎ ﻭ ﺃﺳﺌﻠﺔ ﻭ ﻳﺠﻌﻞ ﻣﻦ ﺍﻟﻤﻤﺎﺭﺳﺔ ﺗﺠﺮﻳﺒﺎ ﻣﻐﺎﻣﺮﺍ ﻭ ﺣﺮﺍ‪ .‬ﻫﺬﻩ‬ ‫ﺍﻟﺴﻠﺴﻠﺔ ﺍﻟﺠﺪﻳﺪﺓ ﻣﻦ ﺍﻷﻋﻤﺎﻝ ﺑﻨﻴﺖ ﻓﻲ ﻣﻔﺘﺮﻕ ﻃﺮﻕ ﺑﻴﻦ ﺍﻟﺮﺳﻢ ﻭ ﺍﻟﻨﺤﺖ ﻭ ﺍﻟﺤﻔﺮ ﻭ ﺍﻟﺨﺮﺑﺸﺎﺕ ﺍﻟﻌﻔﻮﻳﺔ‪،‬‬ ‫ﺑﻴﻦ ﺍﻟﻤﺎﺩﺓ ﻭ ﺍﻟﺴﻄﺢ ﻭ ﺍﻟﻤﻼﻣﺲ ﻭ ﺍﻟﺤﻴﺎﻛﺎﺕ ‪ ،‬ﺑﻴﻦ ﻣﻮﻧﻔﻠﻮﺭﻱ ﻓﻲ ﻃﻮﺭ ﺍﻟﺒﻨﺎﺀ ﻭ ﺗﻮﻧﺲ ﺍﻟﺤﻠﻢ ﺍﻟﻤﺘﻮﺍﺻﻞ‪.‬‬

‫ﺳﻠﻴﻤﺎﻥ ﺍﻟﻜﺎﻣﻞ‬


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

Beauétique du Sursoi

Sur le toit du cinéma-théâtre en feu apparût, exténuée, la reine des cafés bordés de palmiers portant sa couronne d’épines, sincère, métamorphosée et, après la disette des pages, après la lecture du dernier brûlot tunisien, enfin repue, pour lâcher les mots idoines sous notre mezzanine : Instantanément accessible … Fermement entrouverte, forcément ! … « Que l’on me ramène l’homme que l’on prénomme GUNTERMENSCH pour que de nouveau bouille l’élixir des contestations dans le sang mêlé de l’enfant solaire. ». Un inventaire précieux des solutions probables à l’équation des portes des enfers… De, Deux, Dieux… De l’Être… de l’Autre… de l’Antre… … De la contenance en temps de dépouilles anonymes et inconnues dé-pour-sues de vues… Débarrassées des piles d’images imprimées car la langue des poètes c’est de la copie parfaite qui rejoint le bataillon des Imageuses estampilleuses patientes promises aux tiroirs génétiques, aux dédales synaptiques et autres avant-gardes filmiques… Ensuite !? Ensuite rien ! Tout s’arrête pour qu’advienne le récit : Seul un semblant de sens distillé par les filtres de toutes les syntaxes, cherchera éperdument à retrouver la trace des pas des pères qui ont, à leur manière, compris qu’il fallait graver le Nom –cette séquence qui en nomme une autre, la désoxyribonucléique-, lui au moins, pour que la ligne du récit qui nous échappe se poursuive… Il faudra, à chaque beau poète, trouver son Surmoi : c’est un ordre. Mais, par tous les Grands Tout(s), une poétique du Surmoi peut-elle être re-belle… en soi !?… pour soi… sans renvois et sans références… Que de mots… que de jeux… C’est là, exactement sous les pieds nus de l’homme-bouchure qui porte son corps en fardeau, que le même attirail débitera ses mots pour qu’une Beauétique d’un Sursoi s’interpose, une cime, un plafond terminal qui, pour nous tous, se fera légitime parangon d’un UN. Cryptons ! ; Recensons toutes connectiques : « Alors, ma délicieuse et hiératique Demoiselle Frugale : il est pour quand notre double autoportrait ? C’est que les soirs des moiteurs qui font, du bout de l’aiguille, tanguer les chiffres des baromètres, des sismographes, des thermomètres et autres balanciers épris du large blanc médian, j’aime à savoir que les semblables, toujours, « toussoirs », jamais ne trahissent le coup de LUX premier. Toi qui ne prend du regard que le mimétique autoréférentiel, arrête-toi un court instant et demande à ton double de te rappeler à l’indispensable monolithe qui porte sur sa 10

surface polie les encoches alphabétiques du désormais gaiement notoire : « THIS IS CARTHAGE ; END OF TRANSMISSION. » Le « Discipliniste » qui entretînt, tout le Ferragosto durant, l’art de s’adonner à de sérieuses acrobaties avec la lune voyeuse est le même homme qui n’aime pas que le droit à la parole lui vienne car rien ne vaut le silence pour jongler des doigts en transfuge culturel acquis à la cause des lieux de passage, ces espaces où toute parole traîne laborieusement ses responsabilités. De disciplinismes ottomanisants en tragédismes héllénisants, l’impitoyable Ich-Baal s’amuse à boursicoter avec les dix vides en dés farceurs pour les faux rebonds en confondant les arguments naguère opposés des leursculs-sur-les-commodistes et les je-m’entaperais-bien-si-je-n’avais-pas-un-dernierpas-à-ras-du-graphe-à-sauter : au hasard des lieux du court-circuit, il parle à certains et en écoute d’autres, puis se plaint : « Je me sais et me cogne, maintes fois, contre le récif cognitif » ; Leur Dieu se reconnût en nouveau Soi-qui-écrit, un autre qui télécharge la copie de la même autobiographie ressassée jusqu’à épuisement des vérités et des canaux. Je lui avais pourtant dit - à l’inconnue qui fait dans les encres écarlates - que toute impression est trompeuse, que tout ce qui se rassemble ne peut être réduit au fragment et que la perpendiculaire prendra toujours le dessus sur la ligne des tombes. Ensuite, une inconnue aux fières narines fit se réveiller les Dieux des cieux liquéfiés et provoqua comme un saut de ligne qui me serra la Bloumè : tout mon récit se recentra sur un démembré qui pique du côté des allumettes ! À mon tour de fournir aux comptables experts du regard régressif une lecture de l’œil qui cligne sur la cime de la pointue : Je me vois, maintenant, accroupi, en paragraphe de texte cryptique occupé à cisailler le rideau de pluie qui vint, il y a quelques coudées de parcours, se dresser entre moi et la figure de la paternité, elle qui ouvre les registres comptables ; les lambeaux du rien atterrissent sur le sol et laissent s’échapper un soupir comparable aux râles d’une otage à la défense imparable et aux fesses couleur lavée de kabbales joueuses savamment intégrées dans le breuvage d’un samouraï… Ils récidivent… c’est qu’à chaque fois que le désordre pianote sur son Azerty, parfois refait laïc, l’Il en lui sauve une vie et enterre un tort, lui qui met à distance le corps de la bête par le feu avant de la dévorer, lui l’amateur du muscle carbonisé à qui les français reprochent ses goûts de musulman, les musulmans ceux de Carthaginois, les Carthaginois ceux de berbéro-numide, ceux-là ceux d’africain, et les africains, in fine, qui lui reprochent ses accents arabo-phéniciens… à moi Nubiens… à moi Pharaonismes salvateurs et triangulations… Pauvre de lui le scribe-peintre des graphes qui n’a rien demandé d’autre à la vie que de la bouchée ritualisée des auteurs, débarrassée de ses sangs, faite – purement - cycle et matière, triomphe hors du temple, sur le terrain vague des sacrifices. Il s’agit de

Samy Elhaj

L’amant carthaginois de la reine qui nous avait depuis si longtemps regardés renonça à venger son « psycholocauste » : La France sous protectorat tunisien ce ne sera pas pour l’artisan de la terreur car lui ira se chercher ailleurs quelque substrat de grandeur ; trop amoureux et pas assez rancunier, il laissera aux archivistes-sur-le-retour le soin d’inventorier les amertumes des nations.

se penser, patiemment, chaque fois que l’on s’écrit, pour que le texte, à son tour, se pense et se libère du carcan de la signifiance qui s’ennuie en arborant ses décorations militaires et ses soupirs militants … Ici le poète arabe s’insurgea pour tenter de prouver qu’il est aussi logicien : « Nous écrivons aussi de la poésie car, de tout ce qui s’offre aux facultés humaines, la contestation des codes langagiers reste le plus salutaire des exercices, celui qui consiste à débarrasser le Dire de son utilité «rentabiliste» et l’élever vers la pure jouissance en dehors de la prison du sens et la dictature de la communication, de l’intérêt et du résultat, vers le dépassement du code en tant que vecteur d’un troc mercantile ; le langage poétique n’est pas témoignage, il est un bourgeonnement incontrôlé dans le champ des combinatoires phonographiques et scripturales, cette bien fameuse Terra Incognita où les affirmations et les vérités définitives s’effondrent au hasard d’un ballet libre de lignes littéraires... C’est que lorsque le langage devient incapable de se recréer sa légitimité explicative, seule l’envolée poétique est à même de débarrasser les mots de ce Même -ce double homomorphe- qu’est leur sens canonisé pour les faire devenir maelstrom vivifiant de -dans un ordre pulsionnel- sons, de signes, de symboles et d’images grouillant de renvois à volonté. » Derrière les reliés qui traitent de poétiques mÈtrisées et de transcendances coercitives, se dresse un totem, un standard machiste, un référent ultime pour temps de guerre : l’Édifice Beauétique décliné en maintes versions ordonnées pour contrer le Surmoi et satisfaire un nouveau venu, moins spectral, plus œcuménique, un Sursoi, violence faite par le groupe qui se complait, béat, en esclave de la règle. L’arabe repartit : « Seule l’envolée poétique sait faire la trique à l’intrépide Logos, elle le fera à dos de concepts hachés en nourriture pour les imaginaires des têtus ; elle peut nous assurer quelque proximité avec l’absolu … Dieu serait ce vide dans le langage, là où la continuité réserve, aux respirations du scripteur convaincu, les espaces propres à l’affirmation mortifère : Dieu est un chiffre dans un langage beauétique puisque le Tout Inscriptible –ai-je besoin de le rappeler- n’est pas UN mais DEUX qui militent à travers l’œuvre pour sanctifier un rêve. » Pris entre les accolades dorées d’une gauche libertaire et d’une droite libérale, l’Il travaille maintenant à se démultiplier en autant de


Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

pronoms que de cases continentales disponibles ; il remplace le circonflexe par le victorieux et se voit à l’envers dans le miroir de ses aïeux. Tout, soudain, l’Il se met à se ressembler : plus un détail ne sépare le modèle de son maître traducteur. « Toutes les réponses s’équivalent ! », s’écria l’homme qui ne pût se résoudre à se trouver un ancrage théiste ou, mieux, à choisir parmi l’une des morales que l’on distribue du haut de la colline aux soupirs secrets celle qui, le mieux, peut faire de lui l’héritier de l’équation photologique, pérenniser son être en cryptographes et transformer ses pires crimes en mythes et icônes. Je suis celui qui ne possède plus rien à part la somme des situations glanées au hasard des territoires traversés, bardé d’ambiguïtés et de l’attirail de dispersions indispensables à tenir dans les temps et les mesures le projet de te retrouver … maintenant je sais crier à ce cœur aventureux qui me ballade d’amours en passions, de coups de théâtre en coups de fouet et étincelles inattendues : « Va te faire FOUDRE ! ». Durée… Laïus… un crescendo jubilatoire… une apothéose terrifiante pour une catharsis de grenouilles muettes ! Tout près des bords du lac aux alphabets archivés, le corps organique semble prendre le dessus sur le corps érotique jusqu’à s’y substituer pour platement s’expliquer dans l’inventaire des expériences sensorielles… et l’aimée de s’exclamer : « tout cela n’est donc, au final, rien d’autre que le babil d’une peau irascible qui se cherche sa paix dans la caresse ! et ces tonnes de pages à confidences pourquoi… pourquoi… pourquoi… ? ». Je m’étais très tôt promis une réponse, quelque rencontre fortuite entre un accident et un sol, mon corps qui s’effondre lorsque cèderont les pieds de ma chaise sous le poids de mes sauts de lignes inutiles. J’étais aussi occupé à faire un peu de politique et ce qu’il faut de prose pour reconnaître à l’aimée mon regain d’intérêt pour les promesses de sa vulve-vérité lorsqu’à ma porte frappent les femelles qui m’avaient longtemps cru allié : « Fils de putain, entubé de ta race de pharaons, petit voleur de cœurs purs, écrivaillon mercantile, cinéaste maudit, peintre aveugle, triste adepte de l’Artisme désuet et du Cinéasme comptant-pour-rien, tu nous as menti ! ». Mon amour des virgules – lui au moins- en sortit intact, c’est que chaque fois que je fais appel à leur ballet, je laboure une je-ne-sais quelle terre que je devine fertile dans l’entreligne ; le reste, je l’ai abandonné au bon vouloir des filles qui s’aiment quand elles se pensent filmées selon les raccords interdits. Me voici maintenant débarrassé de l’attrait vers la singularité de celle que je me plaisais à penser insolite car, enfin, je l’ai noyée dans la multitude des pronoms, verbes et sauces moutardes des après-midis où l’on bavarde pour nous croire jouisseurs des délais préparant notre mort imminente. le suicide du Surmoi incarné en nuage européen annonce l’avènement de l’ordre : « creusez vos tombes et remplissez-les de bobines vierges. ». L’Être MAJUS-CUL réserve à ses visiteurs les délices des béances et l’enivrement des orifices radieux… Soi n’est plus mien, il est à

nous tous… un monolithe qui représente, par le Un qu’il figure, le nombre qui arrête de séduire. Le Sursoi devra fatalement hériter du Surmoi pour que se constitue entre Soi et son ordonnateur vertical un cercle salvateur d’où nous serons expulsés pour qu’enfin il n’y ait plus la moindre coulpe qui puisse ralentir notre prise d’envol, par le regard, depuis le parterre prévu. Ce que j’aime en elle n’est pas ce qu’elle est au moment où je lui ouvre largement les espaces de mes dires, mais ce que je fais de sa beauté pour la rendre accessible à mon vocabulaire. J’aime une femme-pré-texte qui, soudain, accepte qu’en moi l’amour soit la somme sédimentée des impressions d’amour, d’un mensonge, un piège délicieux dont il faut savoir s’extirper pour fuir avant de comprendre… J’aime une femme-pré-texte qui joue une partition étrangère sans autre traduction possible que le son autoritairement mélodieux des cailloux qui craquent sous ses talons… J’aime une femme-pré-texte qui, aux dernières nouvelles, s’est revendiquée papesse du temple des êtres suprêmes, ces entités à la fois cris et morphèmes, bleus et roues, mamelons maraboutiques et galbes renaissants, chevelures et silences. Le Sursoi, en fédérateur de dernier recours, prît place au milieu de la foule bigarrée, exactement là où les différences s’amenuisent et cèdent le trône des doutes à une ressemblance toujours nouvelle. Chacun, maintenant, portant son Sursoi en bandoulière, acquiert le droit d’errer convenablement sur le champ pétri de mains coupables. À partir du jour à venir où tous les écrits deviendront interchangeables, où les sens, jusque-là retenus, se transvaseront, un receveur des fiançailles –le dernier à reconnaître à la rime son statut de paria des parallèles- viendra dresser de nous un portrait de groupe aux œillets bleus et à l’absent qui regarde par procuration beauétique. Ils s’affichent, tous deux, à deux, car certains désengrenages vers Beau, indispensables détours par la colline du souvenir utérin, nous imposent cette bien fameuse, et si impérieuse, redéfinition de nos dé-lyres mélodieux et mélodieuses en verbes aux auxiliaires accordés avant que le système paradisiaque, et sa batterie de retrouvailles-à-montreurs bruyants, ne se referme sur nos aspirations et que nous nous retrouvions définitivement privés du droit de forger les termes devenant, par excès d’échéances, trop… comment dire… : Bien plus que la trace d’un parcours bureautique faisant des trombones et des dossiers autre chose qu’un bilan financier, de la Beauétique tel que je la rêve et entends, elle serait un appel au détour, secours des contestataires et autres Elhajismes inspirateurs, tous en lignes parallèles, vus en contre-plongée puisque le toit-terrasse de la lettre « E » ne prend pas l’accent avant deux consonnes consécutives ; les caisses sont vides : H. Voici se profiler la promesse de la dernière postière à faire le pas vers le cœur du cadavre amoureux : Un congrès pour beauéticiens pour une géolocalisation du regard et de l’opinion. Ce n’est pas, à proprement parler, une

bioéthique ni une contre-proposition aux analyses transcendantales de l’organique et des sécrétions de tous corps ; c’est une connectique para-textuelle qui fait franchir au vocable grégaire la dernière frontière vers le Devenir-Forme, vers un débarras du signe de ses épaisseurs signifiantes vers la ligne purement circonférentielle du corps-pré-texte, vers une fête païenne sur le sol de nos cortex (et un S malgré tout). Bien au-delà d’une poétique des cabinets des écritures et tout juste en-deçà des poïétiques praxéographiques, toute beauétique s’affranchit des architectures de la Ratio pour nous faire nous aventurer dans les terres glissantes des identités continentales, loin des côtes humides, bien ancrés dans quelque alphabet fédérateur, d’avant la peinture des tissus pour drapeaux. Le prétendant-prophète déchire le nuage de sable et vient vers nous répétant le nom du Démiurge ... il finit par convaincre les tribus transnationales territoristes ... tous lèvent l’étendard à la figue de Brabarie et prennent tous les écrans : « Salutations à toi, ô maître des instants scéniques et fatalement poussiéreux !». Voici, pour les archives de la Commune de Chorégraphie-sur-Page, sise sur le territoire de la République Socialiste de Théorie, se profiler à l’horizon des attentes « spectatorielles », le phénicien bourré, deux bouteilles haut perchées au bout des poignets crasseux, humant le vent de la Méditerranée sur la proue de son vaisseau plein de marchandises. Il s’est décidé à haïr les sous-produits de la fabrique des homo-sapiens et jura à Bâal –l’autre, celui aux yeux bridés- de vendre le Sud au Nord et l’Est à l’Ouest avant d’aller finir ses jours sur la côte des étrangers. Seulement voilà, on ne prononce pas impunément l’incantation andalouse les jours d’incertitude poétique : les portes de la République Socialiste de Théorie risquent de s’ouvrir et révéler le plan idéal de l’architecte de l’au-delà car n’en déplaise au locuteur en syllabes épris de hachages faute de holistiques, et en attendant que l’on s’explique sur la naissance de l’Univers, que la main théiste nous fasse signe, osons crier à tue-tête dans les couloirs du temps dans l’espoir que quelque oreille endimanchée nous entende et pleure avec nous notre commune ignorance, le temps d’un sanglot contrapuntique, le temps d’unir deux crédos, histoire de se mettre à être seuls tous ensemble. La machine à faire des cœurs de chocolat fondant - sertis de fruits secs des pays humides et servi sur des plats en argent sur l’indispensable nappe de velours couleur vert-bouteille – s’est arrêtée de travailler : la duchesse exilée me demande maintenant de me redire dans l’arabe qui m’a bercé ; saitelle seulement que le Camaïeu canin s’illustre à ravir sur fond gris-bleu-ciel; pourquoi ne pas esthétiser les rages et voir, aussi, chez la meute des envahisseurs, le noble élan du nomade curieux, la question de l’errant invitée aux amphithéâtres des bipèdes.

Samy Elhaj Carthage, Décembre 2013 – Janvier 2015

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Eraser Man, c’est comme ça qu’il s’est récemment décrit, appelé et a accompli son oeuvre. Celle qu’on connaît peu comme le reste de ce qu’il faisait d’ailleurs. Et comme par ici on a tendance à favoriser le plein au dépend du vide, il serait temps d’écrire, de consacrer une tribune pour en parler. Il s’appelle Ahmed MAAMAR devrait avoir 40 ans le 26 septembre prochain. Grand addict à l’air de Bizerte dont il était natif et représentant quand sa ville était évoquée au cours d’une conversation. Il a fait des études d’art à l’I.S.B.A.T. et y préparait une carrière de peintre. Et dès le début, il ne s’est quasiment pas séparé de l’objectif. Myope, il regardait le monde d’une manière particulière et nous a raconté ses visions en centaines de photographies. On ne peut pas vraiment le considérer comme peintre, ou comme photographe, il est artiste sans prétention et c’est comme ça qu’avant de se faire appeler Eraser Man, il est allé tagguer sur quelques murs parisiens un pochoir portant la signature de V.O.P. (​very ordinary person, personne très ordinaire). Il était narcoleptique et ne dormait donc jamais ou très peu. Il vivait donc des moments parallèles là où les gens «normaux» ne vont pas. Les yeux grand ouverts devant le spectacle de ses sommeils impossibles ils ne pouvaient voir là où il allait là où il était. C’est pour toutes ces anecdotes brièvement mentionnées qu’il est entre autres difficile de parler de ce qu’il a réalisé. Pour lui il n’y avait pas de frontière entre art et vie, entre création et vie, sans même en faire une valeur ou un principe, un artifice intentionnellement cultivé. Il se laissait aller à la nature des choses à sa nature fort plaisante, cultivée, lente, libre et rare. Au départ, il peignait ce qu’il prenait en photo : des bouches d’égouts, des compteurs d’électricité, des installations de plomberie rouillée, des mégots de cigarettes, des marches d’escalier etc.. Il avait pour plaisir de chercher les couleurs et de les deviner à la fin. Malgré une prétention à un hyperréalisme dans ses peintures, le dessin le stimulait moins que la couleur. Parce que plus capricieuse, et lui, très patient et contemplatif. Il a souvent manqué de moyens ce qui imposait soit des formats petits soit des supports dits pauvres : des cartons, des panneaux de bois industriel et rarement de la toile. Les modèles sont des objets qu’il qualifiait ironiquement d’indignes. Des modèles illégitimes d’être considérés en tant que tels. Et pourtant, ils ont tous une esthétique commune, la plupart étant des produits d’une industrie de la deuxième moitié du 20e siècle dont l’évolution technologique restait encore lente. Ils sont laids, grossiers, lourds vieux ou dépassés par les objets de désir bien léchés qu’on connaît aujourd’hui. Les modèles, mis à part leurs plastiques proches et toujours saisissables, sont parés d’une expression qui ne dépend que de la peinture et particulièrement de la manière de faire de l’artiste. On aurait tendance à considérer ses peintures de figuratives, mais le résultat n’en montre pas autant. Sa peinture révèle au contraire à quel point elle est autonome et dissociable de la réalité. La voir suffirait à constater qu’elle porte la sienne et implique une genèse qui lui est propre. On y décèle un travail lent et rigoureux dans l’application des couches qui s’apparente à une lente sédimentation des couleurs. Les nuances se dévoilent dans l’épair des couleurs minutieusement mélangées et appliquées en fines pellicules. Et pour ce faire, il n’obéissait qu’à son instinct en guise de recette technique. La dernière peinture faite

dans ce genre est celle d’une mobylette. Elle est restée inachevée. L’ensemble de ces peintures constitue un musée imaginaire, une collection anthropologique. Cette dernière est étoffée par les photographies sans préméditation. Ce qui importe plus que la catégorie esthétique et le genre auxquels on pourrait la condamner, c’est qu’elle témoigne d’une culture tout en portant un regard singulier sur celle­ci. Un regard jamais neutre ni flatteur, plutôt vif, neuf, amusé, errant, avec pour seule compagnie un objectif. Peu importe la performance de l’objectif qui lui tombait sous l’oeil, il fallait qu’il projette tous les jours ses visions même s’il devait recourir à un téléphone portable. Il n’a jamais été dans l’ostentation ou dans la mégalomanietechnique. Bien évidemment, il désirait avoir les moyens confortables et performants pour produire. Mais, son attitude à l’égard de ses modèles est la même que celle qu’il avait par rapport au matériel utilisé. Il prenait son temps et le laissait faire. Et il avait bien raison ; car ce que ce temps laissait échapper aux autres, lui il le captait. Paris surtout, ses trottoirs, ses marcheurs, ses toits, ses cieux, ses ordures, ses chiens, ses immeubles, ses rails, ses coins sombres, ses faces cachées, ses reflets mais très peu de ses lumières. Parce qu’avec la lumière il a fait des ​ light paintings, souvent en compagnie de Vincent Stablo un ami photographe. Il a aussi entrepris quelques essais ailleurs en expérimentant quelques fois la performance visuelle (​Vjing) en compagnie de Houcem Boukef.

Ahmed le dormeur, le rêveur, chassait les nuages par la fenêtre de sa chambre de bonne du sixième étage au boulevard Voltaire du 11e arrondissement. Cette chasse a abouti à une petite animation chorégraphiant la danse des nuages sur la chanson des Doors «​ The end​». Et à cette même adresse fut le déclic de l’oeuvre dont il est le plus question. Une fois décidant de faire le grand ménage dans sa piaule (tout comme dans sa tête on s’imagine), il a tenté de nettoyer les murs du couloir sur lesquels s’accumulaient des années de poussière. Une tache rude et fastidieuse qui s’était convertie en expérimentation créative. Il s’était mis à ajuster et à mesurer ses mouvements en nettoyant des cercles de dimensions différentes. Sur quelques mètres, il a dégagé des bulles «propres» dans une étendue de crasse. Une oeuvre qui présume s’opposer à l’élevage de poussière de Marcel Duchamp et de Man Ray. Elle en est seulement une mutation. Malgré l’étroitesse du couloir et son obscurité, sans oublier son atmosphère lourde, quelque ambiance s’y était installée. Un territoire y était démarqué. Dans ces bulles pétillait l’idée qu’il projeta d’entreprendre mais dans un espace radicalement différent cette fois-­ci. Il prit un bidon de dissolvant et partit tard la nuit ­ou tôt le matin ­pour effacer une bulle sur un mur de la ville couvert de tags et de graffitis.

Emna Ghezaïel

Etat d’urgence, n°2 - Tunis - Mai 2016

La pièce est différente du premier monochrome, car au milieu des couleurs graffées, flottait une bulle d’un vieux mur comme pour témoigner par sa pierre d’une époque éloignée. Il a voulu élargir la circonférence du vide qui était désormais l’objet de sa quête. Ses expressions s’accroissaient en subtilité à chaque fois qu’il occupait un lieu différent. Serait-­il judicieux de préciser que ce qu’on désigne de vide ici, n’est autre qu’une tentative de récupérer le terme employé par l’artiste pour parler de ce qui est invisible, caché, aérien ou fluide et qui semblerait insignifiant dans les apparences du monde et de l’art. Eraser Man a souvent considéré les pratiques postmodernes et contemporaines comme trop cumulatives. L’avenir de l’art lui semblait par ailleurs aspirant à une plus grande réserve de son incarnation sans interférer sur sa prolifération. Il l’avait justement qualifié de «contemporaire». Le vide serait envisageable sans négation ou suppression de ce qui fait plein. Il en est la continuité évidente, sa réincarnation. Toutefois, par moments, on est contraint de recourir à son contraire pour le saisir. C’est ainsi que l’artiste a procédé lors de l’exposition de Oussema Troudi «Asymptotes» qui a eu lieu en 2011 à la Bibliothèque Nationale de Tunis, dont il était l’invité et l’ami. Quatre cent et trente­ deux photographies numériques délimitent un rectangledu mur blanc. Les photographies forment une sorte de​ parergon pour dénoter la marge infime où l’artiste opère là où il n’y a pas qu’à voir. C’est une «​ delocazione​ « sans feu, ni combustion. Si Parmiggiani nous souffle la présence d’objets par leur absence. Eraser Man capture le vide et dénoue ses sens. Il nous exprime sa nécessité à travers sa futilité. D’ailleurs, il n’y a pas que du bon dans ces photographies ; car les «mauvaises» sont une autre possibilité du vide, sa formulation grossière. Distinguer le vide du plein est ici une délicate affaire relevant de funambulisme. Cela requiert des conditions intransigeantes, voire même, cela exige de faire face à celle qui sous la plume de Imed Jemaiel» colonise les marges et les fonds perdus pour que quelque sens ou quelque figure émergent». Celle que Ahmed Maamar a su adoucir, même s’il ne l’a pas désiré, pour achever son oeuvre dans un vent de sable sifflant «​Preaching the end of the world​». Il a achevé son oeuvre l’oeil gauche blessé et usé par ce qui fait grâce dans un monde des plus ordinaires le 26 mars 2013. Emna Ghezaïel

Graphique et dessins : Oussema Troudi - Photographies : p 4 : Mohamed-Ali Berhouma ; p 5 à 9 : Oussema Troudi ; p 12 : Emna Ghezaïel - Impression : Digipress, 1ère édition du 2 ème numéro, Mai 2016.

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