Sérénités | Or Norme #25

Page 108

LE CARNET DE VOYAGE DE MINE GÜNBAY

LES MÈRES DE LA PLACE DE MAI 40 ans de lutte pacifique pour la mémoire, la vérité et la justice ! JEUDI 9 FÉVRIER 2017. LA CHALEUR EST ÉCRASANTE À BUENOS AIRES.

Mine Gunbay

Mine Gunbaï poursuit son périple en Amérique du Sud (lire Or Norme n°23 et 24). Pour elle, relater le combat historique des mères de la place de Mai, c’est témoigner de l’actualité récente en Argentine, faire la lumière sur les conséquences des régimes fascistes plusieurs générations plus tard mais aussi, à l’heure où la France a échappé au pire, prendre la mesure de notre héritage.

0108 0109

OR NORME N°25 Sérénités

OR BORD

Texte et photos :

Ci-contre / Mine Günbay

QUI SONT CES FEMMES, CES MÈRES, CES GRANDS-MÈRES ? QUELLES SONT LEURS REVENDICATIONS ? Le 30 avril 1977, en pleine dictature militaire, quatorze femmes se réunissaient devant le palais présidentiel, pour exiger la vérité sur leurs enfants disparus. Les militaires les surnommeront avec mépris les « folles de la place de Mai ». Depuis cette date, elles se réunissent chaque jeudi, à 15h30, sur la Plaza de Mayo, en face de la Casa Rosada (siège du gouvernement) à Buenos Aires, où elles effectuent une ronde hebdomadaire autour de la statue centrale. Parmi les 30 000 disparus de la dictature, certains seront exécutés, d’autres jetés par-dessus bord durant ce qui sera nommé les « vols de la mort ». 500 enfants seront alors enlevés aux disparus et confiés à des proches du régime, parfois même élevés, sans le savoir, par les bourreaux de leurs parents biologiques.

15h, la place de Mai se remplit lentement de touristes et d’activistes politiques qui se pressent avec des banderoles et des tracts. Sur le côté, j’aperçois un chapiteau. Je me fraye un chemin pour y accéder. Sur les tables sont exposés à la vente des ouvrages, des pots de confitures, des journaux, des foulards blancs. J’aperçois alors une grand-mère. Je l’observe longuement, émue de voir une des figures vivantes de ce combat. Les traits de son visage sont tirés, fatigués, mais son attitude transpire la dignité, la détermination. Je n’ose pas la déranger car la foule se fait de plus en plus importante, des médias s’agitent autour du stand. Je me mets un peu en retrait pour observer. Je ne m’attendais pas à un dispositif et une organisation d’une telle envergure parce que maintenir une telle mobilisation hebdomadaire depuis 40 ans est incroyable, unique ! L’usure du temps n’a donc pas eu prise sur leur détermination et leur soif de justice. 15h30, les grands-mères, têtes couvertes de leurs foulards blancs symbolisant les langes des enfants, se placent derrière une banderole sur laquelle est inscrit : « Le manque de travail est un crime ». Une centaine de personnes se placent derrière elles et entament une ronde autour de la statue. Je les observe, surprise par le contenu très politique des slogans (chômage, inflation...). Je me glisse alors dans le cortège pour échanger avec des personnes afin d’essayer de comprendre le lien entre ces slogans et les « bébés disparus de la dictature ». Un homme d’une quarantaine d’année me donne cette explication : « Les disparus étaient engagés pour les droits sociaux et les droits humains, ils auraient aimé que ce combat soit poursuivi. Nous le poursuivons. » 15h45, la ronde se finit et le cortège se met en retrait à côté du chapiteau, dégageant le


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.