Chantal Cazzadori - Blog, partie 1

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

CRÉATION - IDENTIFICATION- SINTHOME chez Sophie CALLE Date : 4 juin 2007

Cet été 2007, Sophie Calle, représentant la France à la Biennale de Venise, par son exposition : "Prenez soins de vous", établira de nouveau une passerelle entre l'Art et la vie. Son travail artistique consiste en effet à associer image et narration autour d'une histoire vraie : "la sienne", dont le but est d'utiliser l'Art comme geste thérapeutique dans son premier mouvement, puis faire de son inspiration une oeuvre qui deviendra moteur de sa vie dont nous serions les témoins impudiques. Cette plasticienne fait de sa vie un roman en la jouant par une mise en scène de plus en plus inventive. Elle mêle ainsi ses fantasmes à un support vécu dont le thème qui circule depuis maintenant 25 ans est celui de l'intime exposé voire extorqué. Convoquant 107 femmes aux métiers différents, elle leur a demandé d'interpréter à partir de leur grille de lecture professionnelle une lettre de rupture, la sienne. Pour la première fois, son jeu s'inverse, elle propose exclusivement à des femmes d'être à son écoute. Son plaidoyer se composera de 107

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lettres chacune écrite dans un style différent pour exprimer les réactions de ces professionnels au contenu de ce mail de rupture. À la réception du mail de son amant X, elle dira : "je n'ai pas répondu, c'était comme s'il ne m'était pas destiné". Cet homme a terminé son mail en disant : "prenez-soin de vous", titre de cette exposition. La violence de l'événement l'a assez rapidement mise au travail donc mise en projet, une manière vitale de sublimer la douleur par la création, sorte de catharsis inhérente à sa conception artistique. Dans cette nouvelle démarche, son roman-photos ne sera pas écrit par elle, cependant, elle en fixera les règles pour d'autres : "analysez, commentez, jouez, dansez, chantez, disséquez, épuisez cette lettre, parlez pour moi, comprenez à ma place, répondez avec votre talent. Une façon de prendre le temps de rompre, à mon rythme, prendre soin de moi", titre du livre et exposition de Sophie Calle. En associant une cohorte de femmes talentueuses à sa vie privée, elle ouvre non seulement une fenêtre sur son espace réservé mais incite chacune d'elle à nous livrer par le jeu d'une projection une écriture interprétative dont le mécanisme qui consiste à se mettre à la place de l'autre relève de l'identification. Nous mêmes, lecteurs et visiteurs de l'exposition devenons les témoins voyeurs d'une histoire somme toute banale qui nous identifie d'emblée à ce sujet puisque la rupture des êtres aimés jalonnant de la naissance à la mort notre parcours singulier est incontournable.Tous ces jeux de miroirs ont suscité mon désir de femme et de psychanalyste pour questionner, sous l'angle analytique, ce qu'il en est du concept de l'identification à partir du "matériel" constituant son oeuvre exposée sous diverses formes : installations et montages de photos, vidéos, livres, lettres présentés au nombreux public critique dans le pavillon français de la Biennale de Venise. Je vais m'essayer d'apporter quelques remarques sur cette dernière histoire de rupture pour Sophie, sachant bien comme elle le précise à la fin de son ouvrage : "il s'agissait d'une lettre. Pas d'un homme". Ne pas identifier l'homme à sa lettre de rupture, rappel important pour éviter un amalgame bien commode et injuste. L'anonymat de son amant a été préservé pour ne pas parasiter les interprétations attendues de ses interlocutrices choisies pour dire à leur manière ce qu'elles pensaient de cette histoire qui finit mal. "Le jour où j'ai reçu cette lettre de rupture par mail, son auteur a publié un livre. Le livre m'était dédié, il m'a quittée le jour de sa sortie. Dans son mail, l'auteur en mentionnait le titre et il signait de son prénom. Seules sept femmes savaient qui il était , j'ai remplacé le prénom par X et le titre du livre par le mot "écriture". Le projet achevé, il en a pris connaissance et, à sa demande, je lui ai restitué les initiales de son prénom et de son livre". [1] Mon propos circonscrira l'espace de ce texte comme objet d'élaboration sur la question de l'identification, catégorie fondamentale de la métapsychologie freudienne. Construire son identité s'inscrit dans un passage nécessaire, hésitant, labyrinthique entre "Je et l'autre", duquel nous dépendons d'entrée. C'est à partir de la relation d'Amour et du Désir à l'autre que sera articulé le concept d'identification repris dans sa dimension théorique d'abord puis soumis comme hypothèse de réflexion "à l'objet" de création artistique de Sophie Calle. IDENTIFICATION CHEZ FREUD ET LACAN : 1° - L'AMOUR ET LE UN : A la lecture de ce mail, nous pouvons lire ce qu'il en est de la demande de Sophie Calle à son amant. Il lui écrira : "lorsque nous nous sommes rencontrés, vous aviez posé une condition : ne pas devenir la quatrième. J'ai tenu cet engagement. Cela fait des mois que je n'ai cessé de voir "les autres". [2] mail dans le livre. Sophie veut l'exclusivité dans sa relation amoureuse, c'est-à-dire devenir son élue. N'est-ce-pas ce qu'on appelle une demande d'amour avec cette conviction propre à l'amour et son point d'origine : désirer ne faire qu'un ensemble ? C'est précisément là que le malentendu opère. "Je croyais que cela suffirait,

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je croyais que vous aimer et que votre amour suffiraient pour que l'angoisse qui me pousse à aller voir ailleurs et m'empêche à jamais d'être tranquille et sans doute simplement heureux et "généreux" se calmerait à votre contact, et dans la certitude que l'amour que vous me portez était le plus bénéfique pour moi, le plus bénéfique que j'ai jamais connu, vous le savez." [3] Cet homme, en acceptant de renoncer à toutes les autres, a cru sortir de sa dépendance aux femmes par l'amour pour une seule : Sophie. Pris dans le désir vivement imposé par sa maîtresse, n'a-t-il pas cédé sur son désir en voulant la satisfaire ? par conséquent se trahir et la trahir ? Pierre Rey dans son livre sur le Désir nous le dit autrement : "ai-je voulu ce que je désire ?" "c'est pourquoi l'inconscient, ce grand stratège, qui, mieux que nous, sait dire non, fait rater parfois ce qu'on désire pour mieux nous révéler ce qu'on veut - sans avoir su qu'on le voulait- " 2° - IDENTIFICATION ET JALOUSIE : La demande de Sophie sera posée comme une règle passée dans un contrat explicite d'une parole donnée, garantie. Ne se serait-elle pas identifiée aux trois autres rivales, jalouse de devoir partager son homme ? de ce fait, cette image la menacerait-elle aussi au-delà de son insatisfaction, menacée au plus intime de son être, révélant son manque fondamental ? "de la perte de la chose dans l'objet, en tant que perdu et jamais retrouvé". [4] 3° - IDENTIFICATION ET ATTACHEMENT PRÉCOCE : En évoquant l'objet d'amour et le désir de l'enfant pour sa mère ou son équivalent, soit une présence liée à chacune de ses satisfactions dont il ne pourra se séparer que sous la menace de castration, celui-ci, soumis à cette expérience de coupure d’avec le lien maternel par le père, recherchera infiniment à partir de cette séparation fondamentale et nécessaire, à retrouver l’objet perdu, c’est-à-dire, l’harmonie idéale vécue dans sa demande première. L'attachement de Sophie à sa mère : confidente, complice, proche dans toutes ses épreuves est exemplaire. Très tôt, seule avec sa mère, le couple mère-fille s'est solidement maintenu à travers le temps. La lettre de sa mère figure parmi les 107 exposées, Sophie lui dédiera son livre. "Songe que tu recueilles ce qu'il y a de mieux comme lettre..(..) Référons-nous à nos vieux proverbes "un clou chasse l'autre", "un mal pour un bien".. belle, célèbre, intelligente comme tu l'es, tu trouveras très rapidement quelqu'un de mieux. Je t'aime et je t'embrasse. Ta mère [5] Pour Freud, l'identification est le lien affectif à autrui le plus précoce, l'attachement se réalise dans cette forme primitive par un trait minimal entre un moi du sujet et la personne, tantôt aimée, tantôt haïe (l'ambivalence de l'amour). Copier, imiter l'autre participe à fonder quelque chose de son identité qui fera signature dans sa singularité. Ce trait, ce marquage se répétera non d'une présence mais d'une absence effacée. La répétition présuppose le fondement d'un UN primordial constitué à la place d'un manque, d'un effacement originaire, c'est ce que Lacan appelle en d'autres lieux de son enseignement la "chose" ou le "réel impossible". 4° - IDENTIFICATION AU FANTASME SPHERIQUE : D'où tenons-nous ce fantasme de complémentarité avec l'autre ? lors de nos premiers scénari imaginaires, engrammés, encryptés dans notre préhistoire d'enfant dépendant, nous croyant enveloppés dans un tout par une mère aimée, aimante, nous avons construit notre illusion du plein, de l'harmonie, du sphérique. Freud le rappelle dans son livre : "souvenir d'enfance de Léonard de Vinci" que derrière le "fantasme du vautour" de Léonard se cache la réminiscence d'avoir têté le sein maternel, scène d'une grande et humaine beauté qu'avec beaucoup d'artistes, le peintre entreprit de représenter dans ses tableaux de la vierge à l'enfant.

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5° - IDENTIFICATION ET AMOUR NARCISSIQUE : Là est notre projection intuitive. Retrouver cette plénitude originaire dans l'Autre, viser l'amour du Un dans la fusion avec l'autre et son serment d'éternité : "je t'aimerai toujours", suppose une garantie par la parole dans une réciprocité assurée. Cet objet adulé, unique, l'objet de l'amour lui-même que révèle-t-il ? Socrate dans Phèdre : "il aime, mais il ne sait quoi (..) il ne s'aperçoit pas que dans son amant, comme dans un miroir, c'est lui-même qu'il voit ?". Dans la lettre de réponse de Caroline Mécary, avocate à la cour, elle relève que : - X est égocentrique et narcissique - X est effrayé par "l'intranquillité", - X n'est pas généreux, - X refuse tout débat contradictoire, - X ne veut rien perdre, - X ne considère que le préjudice dont il souffre. Puis une Ado : Anna Bourguereau dira à son tour : par sms : il se la pète.. 6° - IDENTIFICATION ET QUETE DE LA CHOSE : Cette quête infinie de l'objet perdu pour "remplir le vide" dont Christine Angot dans sa lettre de réponse à son amie Sophie dit ceci "elles, les femmes ça les rends folles le vide, le manque". "tu n'as rien, tu as un trou, tu as un manque, c'est tout". Pourtant, que l'on soit homme ou femme, le vide est intérieur à notre particularité d'être humain. Chacun, chacune allons plus ou moins bien réussir à le border, le broder ou pas ce vide. Christine Angot dira encore à Sophie : "tu es artiste, ça ne te donne pas du pouvoir, de la grâce oui.. mais les femmes réunies, tout ce qu'elles veulent, c'est que les hommes disparaissent, qu'ils deviennent des fantômes, loin." [6] 7° - IDENTIFICATION ET FEMINISME : Faire de la différence sexuée une revendication pour éliminer l'autre afin d'éviter l'expérience de l'incomplétude dont nous croyons que l'autre nous prive est une protestation supplémentaire d'une pensée totalitaire. Faire du un, sans les hommes ou sans les femmes, (de l’homo contre de l'hétéro), sans s'assumer dans son être sexué avec cette même difficulté qui consiste à gérer le non-harmonieux, la partie manquante, ma moitié à jamais perdue.. cela renvoie à nos fondations psychiques. Françoise Gaspard, experte des Droits des Femmes à l'ONU répondra à son tour à la lettre de rupture en ces termes : "OUF !" on ne s'empêche pas d'être polygame, quand on est un mâle, un vrai, question de nature ou de destin, allez savoir, une nécessité en tout cas, cette pulsion qui permet aux hommes de créer. De platitudes stéréotypées en poncifs éculés (c'est ta faute, tout ça !), les vieux ressorts de la domination masculine, mal cachés sous une tristesse affichée, alimentent la bonne conscience de ce macho pur sucre, façon toujours actuelle : c'est simple de se poser en victime, de culpabiliser la femme qu'on quitte en lui reprochant son manque de compréhension. Sans oublier le coup d'encensoir final (tu es trop bien pour moi!). Goujat (pas trop rusé) ou dinosaure (d'une espèce pas encore éteinte), un peu des deux sans doute, pour prendre congé, il écrit même : "prenez soin de vous". Sophie, jette ton kleenex. C'est Ouf ! qu' il faut te dire. [7] 8°- IDENTIFICATION ET PROCESSUS ARCHAIQUE : Dans le stade oral du début de notre vie, nous découvrons par la fonction de sucer qui comme les besoins d'auto-conservation, celle du suçotement va faire de la bouche une zone érogène, et par là-même, une zone érotique, hystérogène. Ce plaisir, ce trou dans le corps, permettra la communication avec l'intérieur du corps du sujet (sa bouche) et l'extérieur soit l'objet (le sein), sous le mode de l'incorporation. Dans des moments de détresse, de manque, l'enfant va par son cri appeler le "sein" dans l'illusion de maîtriser l'autre pour sa pleine satisfaction. Cette relation fusionnante pour les besoins et les plaisirs sera le summum de la plénitude. Cette matrice d'un fantasme ferait de deux corps réunis un seul appareil psychique. Après avoir incorporé le sein (l'autre), un autre

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processus va se mettre en place psychiquement, celui de l'introjection. Pour aller vers mon identité, il faudra que je me sépare. L'individuation de ma propre psychée me permettra de me représenter le monde extérieur, de m'informer, de me former une identité du soi. Les ratés de ce processus à traverser font dire à Jacques Sédat : "on trouve dans la pathologie dépressive, qui est marquée par l'impossibilité, permanente ou intermittente de réparer son corps, de l'informer soi-même, si ce n’est par des phénomènes d'addiction (drogues, alcoolisme, dépendance chimique), ou par des phénomènes de compulsion, faire le vide par l'anorexie, par l'impossibilité de mettre en place de façon permanente un processus de communication entre l'intérieur et l'extérieur". [8] 9°- IDENTIFICATION ET IMAGE DU CORPS : Avant d'arriver aux processus d'identifications, nous élaborons progressivement notre image du corps par des étapes d'incorporation, d'introjection et de représentation de la pensée en investissant de plus en plus la réalité. La marque entre l'intérieur (soi) et l'extérieur (l'autre) passera par l'élaboration de nos origines. Dans les théories sexuelles infantiles, il n'y a pas de trou dans l'image du corps. Dans la question : "d'où viennent les enfants", la théorie cloacale l'exprime. "Nous naissons dans l'urine et l'excrément", Comme le formulera, St Augustin, bien avant Freud. Pas de différence sexuée non plus dans la femme au pénis qui assoie la représentation de l'unisexe dans le fantasme de l'enfant. Freud, continue à décrire en 1906 dans les théories sexuelles infantiles la troisième, celle qui va compter encore plus pour l'identification. L'enfant ne fait pas la différence entre masculin et féminin à ce stade d'avant l'oedipe, tout se passera dans le fantasme du rapport de force à savoir : fort-faible, actif-passif. C'est la théorie dite de la bi-partition qui fera du coït une représentation agressive pour l'enfant témoin de bruits ou fragments de scènes érotiques évoquant pour lui un combat d'où sort un perdant et un gagnant dite scène primitive en psychanalyse. Dans l'inconscient, la différence des sexes équivaut à l'actif et au passif. Elle n'existe pas comme homme, femme avant la menace de la castration donc le passage par l'Oedipe et ses identifications aux traits du père et de la mère. Le pénis sera ce qui manque à la petite fille, l'absence de pénis ce qui fera sa revendication. Sur le plan imaginaire, la peur de le perdre pour le garçon et l'envie d'aller le chercher pour la fille les feront entrer ou sortir de l'oedipe par tout un rapport identificatoire aux parents. 10° - IDENTIFICATION ET COMPLEXE D'OEDIPE : C'est en 1921, dans "psychologie collective et analyse du moi" que Freud posera immédiatement l'identification comme l'investissement d'une autre personne. Dans la vérité freudienne, le père de l'Oedipe interdit de façon absolue à l'enfant de désirer celle qui a été dans son désir. Il va "castrer" l'enfant ainsi privé, frustré de la mère et celui-ci devra faire avec le manque, le vide, le trou interne inclu dans le désir. Il conviendra qu'il apprenne à désirer ailleurs, hors du champ maternel incestueux. Sibony dans son livre "La haine du Désir", précisera ainsi la notion de castration : "comme coupure multiple des adhérences avec soi-même et avec l'autre qu'on prend pour soi, semble être à la fois la condition et l'épreuve du désir". [9] Le complexe d'oedipe offre à l'enfant deux possibilités de satisfaction. Il s'investit et s'identifie aux parents de façon active et passive pour prendre leur place. Par exemple, un fils identifié au père va se mettre à la place du père pour mieux investir la mère et la séduire, ou bien, il va se faire aimer par le père comme pour remplacer la mère qui deviendrait superflue. L'identification joue à plein dans ce processus identitaire sachant qu'une belle sortie du complexe permettrait à l'enfant de sortir de l'identification aux parents pour s'identifier à un X qui est son futur, style : "quand je serai grand,

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je ne prendrai pas la place d'un autre, je ferai ma propre place". Sophie Calle dans son entretien avec Télérama en parlera ainsi : "j'ai photographié toutes ces femmes en train de lire la lettre, parce qu'il fallait bien que je m'intègre d'une manière ou d'une autre. Pour cette installation, mes photos sont à mon avis, meilleures que d'habitude, comme si, inconsciemment, cela avait été ma seule façon de trouver ma place". [10] 11°- IDENTIFICATION DANS L'AMOUR ET LE DESIR : Dans la quête de l'Amour, fusion du "deux en un, rêve un peu niais car ça ne marche pas, c'est le mythe d'Aristophane" comme le rappelle P. Rey dans le désir, C’est donc par sa résolution oedipienne que l'enfant va s'identifier pour ensuite trouver sa propre place initié aux idéaux du père. L'Amour aurait à voir avec l'UN et le Désir avec le manque dans l'Autre. Reprenons les propos de Sophie recueillis par les journalistes de Télérama : " En Californie, j'avais loué la maison d'une photographe. Elle m'avait appris à développer les photos et l'exercice m'avait semblé amusant. J'ai écrit à mon père en lui disant : je fais de la photo depuis un mois, ça me plaît bien. Il m'a répondu que si c'était sérieux, il m'aiderait. Je ne suis pas devenue artiste par hasard, je suis devenue artiste pour séduire mon père." dira Sophie dans l'entretien [11] 12° - IDENTIFICATION AU TRAIT UNAIRE : Claude Conté dans "le clivage du sujet et son identification" [12], renvoie la notion léguée par Freud et en balise l'essentiel : "la question se pose de savoir si un concept commun peut s'appliquer à l'énigmatique identification primordiale au père, puis à l'identification que Freud nous désigne comme particulièrement hystérique. Lacan reprendra magistralement ces deux types d'identification pour en désigner une autre oubliée par Claude Conté désignée par Freud identification au trait unique que Lacan nommera identification au trait unaire soit la troisième. Le Nom Propre du Sujet, signifiant auquel il s'enracine, s'assujettit par identification inaugurale, intégrerait dans son processus fondamental les deux autres évoqués par Freud. Calle "patronyme" signifie rue en espagnol synonyme d'errance. "j'ai commencé à suivre des gens dans la rue parce que j'étais perdue, en I979, je revenais en France après sept ans de voyage à travers le monde, à faire de l'auto-stop sans me soucier de l'avenir", nous confiera-t-elle dans l'entretien. La conception lacanienne du trait unaire est celle de l'identification à un signifiant : "le trait unaire est d'avant le sujet - "au commencement était le verbe"- ça veut dire au commencement est le trait unaire. simplicité, singularité du trait, que le réel le veuille ou ne le veuille pas. Mais il y a une chose certaine, c'est que ça entre que ça y es déjà entré avant nous parce que d'ores et déjà c'est par cette voie que tous ces sujets qui, depuis tout de même quelques siècles, dialoguent et ont à s'arranger comme ils peuvent avec cette condition justement qu'il y ait entre eux et le réel ce champ du signifiant ; cette marque du trait unaire indiquant que le sujet ne peut advenir que de sa dépendance au signifiant". J. Lacan [13] Nous sommes parlés, pensés, fantasmés, destinés avant même notre arrivée au monde comme sujet désirant dans le psychisme des parents. Dépendant déjà de la présence de l'Autre à l'orée de notre existence, nous sommes identifiés par notre NOM et tous les signifiants qui vont constituer notre moi propre, distinctif de l'objet, le prénom étant lui aussi porteur de projection parentale. "Tandis que Freud cherche le moi dans le trait qui se répète et lie ensemble des êtres aimés, désirés et perdus, Lacan passe à un registre plus abstrait, dénombre les personnes aimées et perdues comme signifiants sériés, isole leur trait commun et trouve enfin le sujet de l'inconscient. Aussi le sujet de l'inconscient n'est-il pas seulement le nom d'une relation entre un évènement actuel et d'autres évènements virtuels, mais le nom de la marque invariablement présente tout au long d'une vie. Le sujet de

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l'inconscient est plus qu'une relation, il est lui-même le trait qui unifie l'ensemble des signifiants." [14] Nasio Dans un entretien télévisé sur Ingmar Bergman (Arte : "vie et labeur" émission en hommage au réalisateur, le 3/08/07) l'artiste disait bien son trait de caractère identifié à sa mère et pas à son père, au contraire.., il semble à travers son oeuvre dénoncer la culpabilité liée au remords et aux châtiments . Manipulateur, menteur, l'artiste sauvegardait ainsi sa plage de liberté pour penser, tout en acceptant les coups physiques reçus de son père en conséquence. Ces rituels sado-masochistes étaient administrés devant toute la famille meurtrie. Propos de l'auteur à son ami Jör Donner pour l'interview. Dans l'autre entretien de Sophie Calle, la question suivante lui sera posée : d'où vous vient ce goût du jeu ? j’avais déjà des rituels avec ma mère quand j'avais 5 ans. Elle sortait beaucoup le soir et la règle du jeu, c'était qu'elle me réveille avec un jus d'orange et le récit de sa nuit. Et ce, quelle que soit l'heure du retour. A ce prix, j'acceptais de rester seule. On organisait aussi des cérémonies grandioses pour les funérailles de nos poissons rouges". [15] entretien Télérama. Inscrit originairement dans le réel de la lettre de mon Nom, dans cette langue qui véhicule les mots et leurs valeurs, là, où j'ai été parlé, pensé, avant de naître et identifié à mon Nom et Prénom pour me singulariser et me différencier, c'est ce que Lacan appellera la troisième identification au trait unaire. Les trois identifications fondamentales au trait unaire, aux idéaux du père symbolique, au désir du désir de l'Autre avec sa composante hystérique vont fonder mon identité. Déjà Spinoza disait : "c'est le désir qui est l'essence de l'homme". Dans le désir inconscient de Sophie Calle, dans son trait de distinction qui trace sa quête créative et se répète sur le thème de l'intime allant de la rupture à l'absence, que pouvons-nous remarquer ? De nouveau, en recevant le mail de rupture, Sophie ne s'est pas désignée comme victime, n'a pas tranché entre le rien peut-être et le peutêtre rien. Elle ne s'est pas mise en balance pour fermer la question comme le ferait un névrosé victimisé par la situation vécue. Au contraire, elle a agi en se libérant de la demande de l'Autre, en acceptant par son jeu de la quête de la vérité de mettre en scène sa douleur, de la sublimer par sa création. Acculée, devant le réel de son histoire amoureuse, elle tentera de pousser les frontières du savoir en retournant la situation. Elle demanda à ses alter-égo de comprendre, d'analyser pour elle. Son projet ainsi lancé devenait tellement intéressant qu'elle souhaitait que cet homme ne revienne pas pour poursuivre et faire ainsi aboutir son oeuvre. Délier l'emprise du vide, de la perte de l'autre, du sans nom de la douleur de l'absence, de l'innommable qui peut faire vaciller dans le ravage, Sophie a fait le choix de s'en sortir ; aller là où il y a encore du jeu possible, faire le choix de la vie. C'est sa mère qui lui inspira l'idée de cette exposition dans sa lettre gratifiante qu'elle lui adressera à son tour pour la consoler : "On quitte, on est quitté, c'est le jeu, et pour toi cette rupture pourrait devenir le terreau d'une manifestation artistique, non ?" lettre de Monique Sindler sa mère. [16] "Prends soin de toi" est devenu un message double, "Prenons soins de nous" pourrions nous dire maintenant que Sophie a été selectionnée à la Biennale. Sa mère savait qu'elle serait la grande absence de cette manifestation prête à partir pour son ultime voyage. La rupture du mail mêlée à la mort de sa mort, la perte de l'objet premier...Perte mise en scène aussi dans l'exposition. "A Monique Sindler qui tient dans ce livre son rôle de mère, qu'elle a depuis, abandonné malgré elle." en exergue de son livre Prenez soin de Vous. G... Transparence de l'intime, valorisation du passage à l'acte, déni de la honte, rejet de la pudeur, violence contenue dans l'acte de voir, l'art contemporain, par le truchement des artistes, témoins critiques de leur temps, rejoint les interrogations des Sciences humaines. Un pas de plus est franchi dans cette exposition en hommage à sa mère, deux fois présente à Venise par sa mort et par sa lettre, une des premières à avoir réagi au mail de rupture.

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13° - SYMPTÔME ET SINTHOME CHEZ FREUD ET LACAN : Si le symptôme est un langage dont la parole doit être délivrée dira Lacan, il est aussi une humanisation de notre désir. Freud écrivait : "le symptôme était un dire", une écriture par l'image. Il ne pensait pas que la santé mentale impliquait l'absence de symptôme, ni non plus que la disparition du symptôme était synonyme de guérison. Nous savons que le symptôme hystérique est, comme d'autres formations psychiques, l'accomplissement d'un désir issu d'un fantasme inconscient, un compromis entre à la fois une satisfaction sexuelle plus ou moins réussie et son échec par un refoulement mal accompli. Au nom de quoi, un travail analytique et ou psychothérapeutique devrait enlever au patient son type particulier de satisfaction libidinale procurée par son symptôme ? L'angoisse n'est pas sans rapport avec le symptôme. Dans la clinique nous voyons bien que l'abandon d'un symptôme fait surgir l'angoisse. Un obsessionnel ne lâchera pas son rituel sans quelque angoisse qui mettra son moi en danger. Si l'on empêche le symptôme de se former, le danger peut survenir dans la réalité sous la forme de passages à l'acte. Nous avons donc besoin de nos symptômes et c'est pour cela que nous nous les créons, pour prévenir le surgissement d'un trop plein d'angoisse ou de faire surgir le réel par un comportement inconsidéré qui nous dépasse. Le névrosé aurait cependant un rapport trop étroit avec la culpabilité. Les éléments agressifs de son désir insatisfait transformeraient sa libido refoulée en symptômes. Il ne s'agit pas dans la cure de normaliser le sujet désirant en abrasant toutes ses particularités humaines au seul profit d'une adaptation sans conflit. "L'analyse doit instaurer les conditions psychologiques les plus favorables aux fonctions du moi, sa tâche sera accomplie". [17] Pour Lacan, sa continuité pour les avancées freudiennes démontre à l'aide d'un concept de nouage entre 3 instances psychiques : le réel, l'imaginaire et le symbolique, certains aspects des thèses freudiennes. Le symptôme serait signifiant et noeud de signification, c'est-à-dire, que le symptôme en tant que signifiant, représente un sujet en tant qu'un des éléments de sa structure. Le symptôme serait aussi signifiant parce qu'il est l'inscription d'un signifiant dans le corps du sujet. Il dit la vérité du sujet de l'inconscient mais sous forme d'énigme, d'un mi-dire. Le symptôme est métaphore, figure de style qui consiste à dire un mot pour un autre, ce dernier entretenant avec le premier un lien de similarité. Si le symptôme butte et vient du réel pour échapper aux tentatives de compréhension (imaginarisation) et de mise en mots (symbolisation), il peut aussi résister à l'analyse. "Cela me reste sur l'estomac", relève du champ symbolique et pourtant, que vais-je pouvoir dénouer au-delà de ce mi-dire inscrit dans la douleur de mon corps ? Dans la répétition qui désigne sur le plan inconscient le réel, je vais jouer et rejouer mon symptôme avec sa jouissance propre et son inhibition. Les trois ronds du réel, de l'imaginaire et du symbolique, ce noeud à trois qui s'articule dans la névrose font au mieux symptôme. En cas de carence paternelle et de la forclusion du nom du père, le sinthome peut suppléer aux décompensations possibles qui vont du déni de la réalité, aux hallucinations jusqu'au retrait de la réalité. Du noeud à trois dit de trèfle qui assure la continuité du réel, de l'imaginaire et du symbolique, va se nouer à d'autres trèfles de façon borroméenne. Pouvoir transformer la tresse héritée de lalangue en un noeud qui nous fasse sujet. Le sinthome fondamentalement est là pour corriger les erreurs inéluctables du noeud. L'invention, le style affaire de trouvaille viendront nommer le parcours de l'artiste par son propre sinthome comme réponse inventive de son être-là, sujet trouvant sa place, son X, dans le monde à partir de son Nom qu'il se donnera ou créera. Ingmar Bergman, parlait de son double, son personnage professionnel comme d'un étranger, se sentant plus en proximité avec son familier, son intime, sa vie privée. "La personnalité du sujet est structurée comme le symptôme qu'elle ressent comme étranger". Lacan. Le réalisateur rappellera que toute l'inspiration de son oeuvre vient de

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son enfance, c'est la matière première de son travail. Sophie Calle a fait de sa vie, de ses symptômes et de son sinthome un destin de femme artiste contestée ou pas, adulée ou méprisée peu importe. Dans sa réponse à l'absence, la rupture, la séparation et maintenant la mort de sa mère, Sophie Calle donne à voir ce qu'il en est de nos souffrances d'exister, de vivre, de notre Intime. Ingmar Bergman, dans son deuil difficile à vivre après 25 ans d'amour pour sa dernière compagne de vie, devait lui aussi instaurer dans son isolement volontaire sur l'ïle de Faro, des rituels extrêmement rigoureux pour supporter l'absence, la part manquante, la mort de son élue, et , au-delà son vide existentiel. A chacun sa trouvaille, à chacun sa création pour faire face à l'impossible, l'irreprésentable, l'innommable de notre sublime et obscène condition humaine face à la vie et la mort scandées par les temps de séparation, de rupture, de perte. Sélectionnée à la biennale internationale pour y représenter la France à Venise, Sophie Calle apprend par sa mère, sa mort prochaine. "Quand je pense que je n'y serais pas!" lui fait remarquer sa mère. Alors sa fille, Sophie fera en sorte qu'elle y soit. "Ma mère était très extravagante, très expansive, pendant le dernier mois de sa vie, on a beaucoup festoyé chez elle. C'est ainsi qu'elle vivait, et elle disait toujours : évidemment, Sophie va trouver un moyen d'exploiter ça, elle va en faire quelque chose. ” Montrer ces images, pour moi, est un hommage." [18] 14° - IDENTIFICATION ET MORT EN DIRECT DE LA MÈRE : En me rendant spécialement sur place à Venise, en août, pour découvrir à mon tour l’exposition de Sophie Calle, après avoir travaillé mon sujet à partir de son livre et de ses interviews, j’ai eu la surprise de ne pas “ rencontrer ” sa mère filmée par sa fille lors de ses derniers instants de vie. Je l’ai cherchée dans le pavillon français, en vain… Troublée par cette absence, j’ai pensé que tout cela relevait de mon imagination. Identifiée à sa démarche, j’allais moi aussi me recueillir sur ce film témoignage, relatant les 12 dernières minutes de soins apportés à sa mère mourante. Déçue, je me promis d’y revenir quelques jours après et de continuer mes investigations. Où était-elle exposée ? avais- je vraiment rêvé ? troublée par l’évènement avais-je capitulé trop vite ? Oui, Madame Monique Sindler avait bien sa place elle aussi dans cette biennale, mais pas trop prêt de sa fille Sophie Calle, là : juste à côté, ailleurs, dans ce pavillon italien qui présentait d’autres œuvres d’artistes contemporains du monde entier. Un endroit à part, fait sur mesure, était discrètement installé, abritant : la vidéo de la mort en direct, un cadre vide, une peinture portrait de cette mère très belle et des mots dont un seul mis à part lui aussi, en relief, sur un fond argenté : "SOUCI" "Ne vous faites pas de souci" dira-t-elle en partant, si doucement, qu’il a été impossible d’en saisir l’instant précis. La mort si rapidement expédiée, cachée, tue, interdite aux enfants par convenance, protection, banalisée dans nos rites modernes a trouvé là un statut public, impudique, provoquant, bafouant l’intime.. Une réponse personnelle, singulière portée à nos modèles d’effacement de l’irreprésentable. Un lien d’attachement profond d’une fille pour sa mère qui l’accompagne "heureusement" dans ses derniers pas vers l’inconnu. Souci de partir pour cette mère, souci de laisser son enfant aux prises avec l’audace, le courage de révéler à chacun, chacune, cette part interdite du privé qui fait souvent scandale. Gageons que Sophie continuera à nous étonner sans trop de souci pour son art de dire, de nous dire, par son langage hors norme. Je pense au merveilleux livre : le voile noir d’Anny Duperey, d’un deuil impossible à faire, livre qui s’est réécrit par l’auteur sous le titre "Je vous écris" en réponse à toutes ces lettres qui ont fait soutien, paroles, mots, amitié, partage, complicité et que l’Auteur

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a soigneusement reprises dans son livre-réponse. Une étape supplémentaire pour qu’Anny Duperey avance elle aussi sans trop de souci…sur ce chemin de l’ultime séparation de ses deux parents morts ensemble dans un lieu intime : la salle de bain de la maison familiale. 15° - SYMPTOME ET/OU SINTHOME AU TRAVAIL chez Sophie Calle : Cette mère si proche, si complice, partie de la vie comme de celle de sa fille, en la fêtant jusqu’au dernier moment, maîtrisera tout de son départ sans doute difficile à accepter. Sophie lui dédicacera son dernier ouvrage , "prenez soin de vous", par cette phrase : "A Monique Sindler qui tient dans ce livre son rôle de mère, quelle a, depuis, abandonné malgré elle". Que déplace, décale Sophie dans ce clivage de lieu, d’espace ? Le travail de deuil mis en jeu à partir et pendant le montage de cette exposition où sa mère sera mise à une autre place, que met-il véritablement au travail dans le symptôme/sinthome de Sophie ? L’inconscient n’est pas révélé dans cette histoire mais agit comme moteur artistique, comme une mise en jeu du processus de la cure analytique sans en être son effectuation. Sophie Calle en révélant sa créativité autour de ce sujet de l’intime de la séparation amoureuse jusqu'à celle de la mort en direct, mobilise à son insu des éléments inconscients mis en scène et au travail dans des agir contre l’angoisse de la perte effective. 16° - IDENTIFICATION ET FORCE POLITIQUE : Nous n’allons pas voir du beau, de l’esthétique, même si certaines photos relèvent de cela, par contre, nous assistons et participons à une démarche de complicité oh combien humaine ! Dans notre Société individualiste, normalisante et morcelée où règne de plus en plus cette solitude comme mode d’existence moderne, cette manifestation par l’art a permis qu’un groupe de femmes talentueuses s’identifie à une autre femme, q’un public critique prenne connaissance lui aussi de sujets forts tels que la perte amoureuse et la mort. L’Art, comme "unifiant", loin de la théorie académique du beau aurait-il, en ces temps rudes de la mondialisation un rôle de médiateur qui nous inscrirait dans un rapport à l’autre humain mieux ancré dans une communauté de femmes et d’hommes aux prises avec le réel de ces deux pertes existentielles ? [19] La médiation sociale instaurée par l’évènement créé autour de cette exposition largement médiatisée a été construite sous l’effet fédérateur de l’identification. La beauté devient tout autre, à travers une démarche de souffrance sublimée par l’appel à la solidarité, solidarité des autres, ni mieux ni moins bien "logés" que l’Artiste concernant la question de la perte, deviennent témoins actifs d’une "douleur exquise" d’exister et de vivre. Un groupe auquel on s’identifie chacun, chacune, au-delà des frontières, de l’état nation, qu’une artiste a eu l’intuition, par son projet abouti de nous conduire à cette perception sensible de l’actuel. Cette démarche inventive, créative, hors tabous, honore notre quête des différences, unis pour le coup dans cette vision de la mondialisation que Sophie Calle représente internationalement d’une manière unique et singulière. L’objet de l’Art Moderne, contemporain, par son nouveau regard sur l’actuel aurait-il une portée également politique ? Chantal Cazzadori Paris, Septembre 2007-09-03

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Promenade sur les traces de Gilles de Rais Date : 4 octobre 2007

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Promenade dans l'abord de l'auteur du crime pervers, livre de Marie-Laure Susini Questionnement autour de : "névrose et perversion". Dans son livre, l'Auteur du crime pervers, Marie-Laure Susini, psychanalyste de patients dits criminels dangereux, réunit des héros monstrueux portés aujourd'hui par la légende, le mythe, a postérité : Barbe bleue, Landru, Sade et quelques autres... Nous nous intéresserons plus précisément à Gilles de Rais, précurseur historique des Serials Killer contemporains. Né en 1404 à Champtocé, au bord de la Loire, Jean de Craon, son aïeul maternel l'élèvera à partir de ses 11 ans, orphelin de père et de mère. Il reçut un enseignement violent de ce grand-père redouté pour son avidité, sa cruauté et son cynisme. Très tôt, son petitfils sera spectateur des misères et supplices de la guerre, avec son cortège de viols, incendies, étripages au couteau. La vie de Gilles de Rais commence à ses 20 ans, marié, père et déjà riche. Il rencontre Jeanne et conquiert avec elle les territoires occupés par les Anglais. Il devient Maréchal de France après la victoire de la Pucelle devant Orléans. Ce qu'il va mettre en scène après la mort de Jeanne D'Arc en 1431, puis celle de Jean de Craon, en 1432, représente le deuxième volet de son histoire glorieuse. Le valeureux jeune homme plein de bravoure se métamorphosera. De noble guerrier historique, il deviendra un « monstre ». Il fuit la guerre et commence en secret, une série de meurtres. Marie-Laure Susini, va tenter à partir de ces différents assassins de l'histoire de déceler une identité de structure par de-là les variantes de chaque cas. Elle va créer, une entité : "l'auteur du crime pervers", pour le différencier du criminel pervers classique, au sens commun du terme, malfaisant, déviant, manipulateur. "Il est criminel par ce que sa relation particulière à l'Autre, et d'abord à l'Autre de la rencontre sexuelle, l'y contraint". (1) nous dira-t-elle. Dans son rapport au monde, il apporte une réponse personnelle à la pulsion sexuelle. C'est la spécificité de son crime pervers. Ce qui est en jeu, c'est la répétition du crime lié à la sexualité. Comme l'acte sexuel, le tueur en série éprouve la même nécessité de le reproduire.... en quoi le premier crime contient-il déjà cette logique ? D'autre part, M.L. Susini choisit de l'appeler "l'auteur", par ce qu'il exerce sur l'autre une violence inouïe et qu'il associera son public à son drame. Auteur, metteur en scène, organisateur d'un spectacle mélangeant sa vie à son crime. Si cette mise en scène vise la réaction du public, le spectacle serait monté et joué à notre attention. Les crimes contemporains font beaucoup parler leur auteur par les formes divertissantes de nos moyens de communication actuelle. Gilles de Rais, lors du procès à tenu son audience en haleine, passant de l'angoisse à l'horreur voir l'effroi. Il serait ainsi le premier auteur d'un crime pervers qui affirme avoir tué des enfants pour son plaisir, voluptueusement. Auteur et vedette d'un genre nouveau, il créa son spectacle d'un bout à l'autre de sa descente aux enfers. Il révèlera par le menu, les détails de ses pratiques sexuelles et sa jouissance à égorger, étriper les jeunes garçons. Provocations, injures, repentir et aveux scandaleux, nous seront transmis par les minutes du procès dans leur intégralité. La nouvelle sera terrible : le crime et la jouissance sont intrinsèquement mêlés. En jouant ainsi sa propre vie en même temps que sa mise en scène,

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dans sa propre représentation, Gilles de Rais, jouerait son fantasme nous rappelle M.L. Susini : "tailler, éventrer, trouer, découper.. prélever quelque chose sur le corps qu'il découpe, qu'il fend, pour y soustraire quelque chose.. cette découpe, cette soustraction effectuée sur l'autre se retrouve toujours dans la structure de l'acte criminel pervers, même quand elle n'apparaît pas d'emblée." Quand M.L Susini, parle du fantasme du criminel, elle analyse sa construction comme une contrainte d'autant plus rigide qu'inconsciente, comme s'il avait prévu, voulu, cette émotion insoutenable du public. Narcissique, il se satisfait d'être l'objet de tous les regards. Vedette, premier rôle il jouira jusqu'au bout de sa réplique, sa diction, son maintient devant les publics de l'audience du Tribunal lors de son rapide procès de 13 jours, nous sommes au Moyen Age.. De quel fantasme s'agit-il ici ? celui du névrosé est concerné par la castration. Le fantasme est structuré phalliquement. Le rapport à la chose, ce rien que l'autre possède et qui le fait être homme ou femme.. d'une jouissance castrée. Quel usage du fantasme fera le pervers en situation de complicité avec son objet dévolu ? Nous savons que du point de vue de son contenu, tout fantasme est pervers par essence. Le névrosé conjugue son désir et sa jouissance dans son fantasme imaginaire, en secret, pour goûter à la tentation perverse. Activité solitaire, secrète sans lien avec le collectif. Chez le pervers, au contraire, sa construction prend sens en devenant publique dans son acte. Sans s'en rendre compte, le pervers, va se servir du lien social pour s'accomplir dans sa singularité. Il va inclure l'autre, consentant ou non dans son scénario pervers. Agent, il va manoeuvrer l'autre pour s'assurer dans sa démonstration que la jouissance chez l'autre est là, près de son désir, en continuité. Car pour le pervers, un désir qui ne s'achève pas en jouissance n'est que mensonge, escroquerie ou lâcheté. Chez le névrosé, c'est le désir qui soutient sa jouissance, c'est pourquoi, il se soutient d'un désir insatisfait (dans l'hystérie), d'un désir impossible (dans la névrose obsessionnelle), d'un désir prévenu (dans la phobie). Il déchantera vite, l'objet sur lequel il s'appuyait va le décevoir, ce ne sera pas ça.. d'où la culpabilité qui va de pair avec la jouissance du névrosé. Il en va tout autrement du pervers, pour qui le désir ne peut qu'être que le désir de jouir, et non le désir de désirer ou désir de désir comme pour le névrosé. Il va convertir l'autre ou le forcer pour le mettre au défi. Son rapport à la loi et à la jouissance n'est pas celui du névrosé. Obéir à la jouissance, c'est devenir serviteur modèle de cette obligation de jouir. C’est par son ACTE « fou », dont il ne peut rien en dire, qu’il va jouir de l’Autre. La grandeur du péché invoqué par G. Bataille dans la biographie de Gilles de Rais, n'épuise pas la singularité de l'énigme, souligne M.L.Susini. Il mourra en Chrétien pendu comme Jeanne et enterré, assuré d'aller au Paradis. Il partageait avec le diable sa terrible jouissance, livrant à celui-ci ses éclats de rire devant les spasmes, le dernier souffle des enfants. Il avait pactisé avec le démon en scellant de son sang, l'offrande de chair découpée et prélevée sur le corps. Comment comprendre ? "il avait espéré gloire et puissance en servant le bon plaisir du Diable, loyalement, certain d'avoir consacré toute sa vie

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au service de l'Autre, de ne pas s'être dérobé, il s'apprête à aller voir l'autre face du Diable, qu'il appelle Dieu ". M.L.Susini. Adorer Dieu, pactiser avec le Diable, étrange paradoxe. Le paradoxe n'est pas une contradiction. Dieu ou le diable, ça se traite pareil, il s'agit des deux faces de la même personne. Poussé dans ses retranchements, le pervers fera une leçon de morale. Une apologie paradoxale de la vertu. Il souhaitera que sa confession fasse récit en langue vulgaire afin que tous, puissent s'instruire, de génération en génération pour que cette barbarie n'ait plus jamais lieu. Qu'étale-t-il en fait ? si ce n'est un enseignement sur la jouissance, révéler ainsi la vérité du plaisir, faire rêver les névrosés en quête de fantasmes pervers. N'oublions pas que tout a commencé après la disparition de cette figure d’autorité terrifiante, Jean de Creon. Pour tout expliquer et en fait pas davantage, on pourrait user de cet argument psychologique, que l'aïeul disparu, ce garde-fou faisant fonction de protection et d'interdit à la fois, aurait laissé le champ libre à la menace de l'Autre : la mère, la femme, le diable, dieu... L'Autre qui exige tout, impérativement, jusqu'au mal suprême. L'Autre qui abuse et jouit de vous. N'assurant plus la fonction symbolique pour endiguer la voracité de l'Autre. Abandonné, sans défense, Gilles de Rais, trouve un subterfuge pour ne pas sombrer dans la folie. Offrir ce qui manque à l'Autre, le complète, le satisfait.. et là, dans cette nécessité il trouve un objet à offrir à cet Autre. Ce sera la Voix, qu'il échange pour combler. Comme il jouit de la voix des enfants de choeur, de la voix d'agonie des petites victimes de sa torture, de sa voix de commandement qu'il a donné à Jeanne pour lancer les troupes. Ce même objet de jouissance, objet de la pulsion de Gilles de Rais, il va en faire la base de sa relation à la réalité. Il se complètera et satisfera l'Autre ainsi. "L'objet qui le satisfait, la Voix, l'objet de son plaisir, et ce qui le complète, la voix est aussi la cause de mon désir, trésor de l'organe du garçon. Voix éphémère vouée à la disparition du garçon pré-pubère de la chorale. Souffle éphémère, qui va s'éteindre, du garçon qu'on étrangle. Furtif passage, présence de l'absence...le manque se fait objet. Le phallus se glisse dans la voix". M.L. Susini. Il fera de Jeanne, une Femme complète en lui offrant ce qui lui manquait. La voix réduite à un pur objet tel le souffle du mourant qu'il offre à l'Autre. Le sujet disparaît, étant identifié à cet objet en l'Autre. Terminons par Michel Tournier, dans sa romance "Jeanne et Gilles" qui écrit humoristiquement sur la question de la voix : "Jeanne, je crois que chacun de nous à ses voix. Des voix mauvaises et des voix bonnes. Je suis le petit taureau de Champtocé, né dans la Tour noire de la forteresse. J'ai été élevé par mon grand-père, Jean de Craon, un grand Seigneur, mais aussi un aventurier de sac et de corde. Les voix que j'ai entendues dans mon enfance et de ma jeunesse ont toujours été celles du mal et du péché. Jeanne, tu n'es pas venue sauver seulement le Dauphin Charles et son royaume. Sauve aussi le jeune seigneur Gilles de Rais ! fais-lui entendre ta voix. Jeanne, je ne

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peux plus te quitter. Jeanne, tu es une Sainte, fais de moi un Saint". (2) Chantal Cazzadori Octobre Novembre 2007 Biographie : (1) l'auteur du crime pervers de Marie-Laure Susini p13 etc.. (2) Alain Fournier : Gilles et Jeanne p. 25 - 26 Serge André, psychanalyste belge, sa conférence à Lausanne : la signification de la pédophilie le 8.06.1999 site internet Oedipe . * Chantal Cazzadori, psychanalyste

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Regard sur l’érotomanie : « Anna M. » film de Michel Spinosa Date : 5 novembre 2007

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« Un frisson dans la nuit », « liaison fatale », « à la folie pas du tout », et dernièrement sur nos écrans « Anna M. », films projetés par des cinéastes depuis 1972 traitent de l’érotomanie.

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Titres de films choisis pour nous évoquer une ambiance étrange, une destinée fixée et décisive qui annonce la mort, l’aspect inconscient d’une folie interprétative et enfin l’étude de cas dans le dernier film du réalisateur, Michel Spinosa . Etrange passion, en effet, que « cette folie à deux », dans laquelle l’aimé, l’autre, l’objet idéalisé est absent, hors sujet car non consentant. Freud nommera la passion ordinaire « foule à deux », dans laquelle se retrouve l’aspect hypnotique voir psychotique du culte de l’autre. A la différence qu’ici, l’énamoration met sous emprise les deux partenaires de la passion naissante. Dans l’érotomanie, tout commence par un signe donné à l’autre : l’homme de « bien ». L’Amour provient de lui, comme une coïncidence qui devient évidence. L’atteinte de l’illusion d’être aimée s’amorce. Le destin suit sa route, la fatalité va porter l’imagination et l’interprétation à leur paroxysme. L’érotomane va ainsi désinvestir nettement le lien social, envahie par ses pensées, elle perdra le contact avec la réalité de la vie ordinaire. Repliée sur son monde fantasmé, elle alimentera sa passion dans un espoir à toute épreuve. Notons que nous la mettons au féminin, bien que moins nombreux, les hommes érotomanes existent également. Autant le social va s’intéresser au couple passionné et amoureux par envie, jalousie, désapprobation ou jeu amusé, autant l’érotomane vivra son secret ignorée par un environnement qui s’effacera de plus en plus.

Durant cette phase d’espoir, plus ou moins longue pour son aimé hors du coup, ignorant sa position d’élu, l’érotomane que nous appellerons, Anna M, pour cette lecture comme l’héroïne du film en salle actuellement, sera irradiée de bonheur, de jouissance totale, incluant dans sa bulle imaginaire son homme de bien, son bien aimé. Suspendue aux signes d’amour qu’elle provoquera, elle vivra son fantasme dans le réel. Pendant que le névrosé, dans le secret de son fantasme articulé à ses rêves éveillés vivra par procuration l’accomplissement imaginé de son désir.

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Anna M, bâtira soigneusement sa construction imaginaire, passionnément en voulant faire coïncider fantasme et réalité. Il lui faudra alors user du mensonge, de la manipulation, de la croyance revendicative en la Vérité de son amour incontestablement pour elle partagé. Cette illusion délirante marque un pas de trop dans l’économie psychique du sujet, un franchissement du côté de la perte de la réalité, ce que nous appelons communément « le pétage de plomb », la folie si ça dure.. La relation symbolique aux êtres s’effondre, le réel envahit le champ de l’imaginaire, les passages à l’acte impulsifs sont légion. Nous devons à G. Clérambault, psychiatre, la description talentueuse de ce délire passionnel, en juillet 1921, dans le bulletin de la Sté clinique de médecine mentale : « Erotomanie pure, Erotomanie associée ». Il distinguera un postulat en 3 phases : d’abord l’espoir se soutient de l’orgueil et de la certitude d’être aimé par un homme de « bien », Docteur, Avocat ou Prêtre, de statut nécessairement plus élevé ; suivra bientôt la phase de dépit, de blessure puis viendra la troisième période, celle de la haine et de la vindication. Cliniquement, la psychose passionnelle décrite par le postulat « c’est l’objet qui a commencé et c’est lui qui aime le plus », va évoluer à la 3° phase par l’installation de l’angoisse de persécution. Son bel amour va devenir un mauvais objet, clivage nécessaire pour articuler les processus de projection et d’introjection propres aussi à la paranoïa. Le déferlement de pulsions agressives, de persécutions, rendront la vie impossible à l’homme maintenant haï, obligé de porter plainte ou de fuir loin, comme nous le montre le film. Harcelé par Anna M, le docteur Zanevsky, devenu victime, quittera Paris avec sa famille pour échapper à la violence déferlant sur lui dangereusement. Le réalisateur, M. Spinosa, s’est bien documenté sur la nosographie psychiatrique en se référant à Gaëtan de Clérambault et Benjamin Ball auteur de « l’érotomanie ou la folie d’amour chaste », pour mettre en scène ce sujet orignal et difficile. Pour aborder maintenant ce thème peu traité en psychanalyse, je vais me tourner vers Freud, Lacan, Paul-Laurent Assoun, françois Perier, et d’autres auteurs . PASSION SIMPLE ET EROTOMANIE : L’érotomane, ne cherche pas un amant, un objet libidinal de jouissance sexuelle, elle est chaste dans son idylle amoureuse, elle veut accomplir la Vérité de l’Amour comme une rencontre pure. Dans la passion simple, les défenses névrotiques sont là pour maintenir un idéal sexuel, élever l’objet à ce rang relève d’une position narcissique voulant faire fi de la castration : « il a tout, il est tout pour moi ». Fusion, confusion, les amants s’enferment

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dans leur amour aveuglant, c’est sur fond incestueux que va se dérouler la rencontre passionnelle à deux pour ne faire qu’un. « Ce serait une sorte de fétichisme à deux, visant à reconstituer le phallus maternel, puis s’identifier à ce glorieux objet. » (1) Paul Laurent Assoun. Dans la névrose, le fantasme passe par une structuration phallique : « ma mère n’a pas le phallus, si je ne le suis pas pour elle, je vais aller le chercher ailleurs, chercher à l’avoir.. du côté de son objet de désir : un homme, mon père.. pour bien sûr lui donner à mon tour, en rivalité avec cet homme et par identification à lui. La femme ici, est posée comme objet d’une jouissance castrée, pas toute prise dans la jouissance car dépendante de l’autre, prise dans le désir de son aimé. L’OBJET PARTIEL DANS LA NEVROSE, LA PERVERSION ET L’EROTOMANIE : Dans la perversion on parlera de colmatage, bouchage du manque dans l’Autre (ma mère ne l’a pas le phallus) vu mais nié, démenti par l’enfant qui par le déni de la castration fétichisera l’objet absent. Transgression oblige.. L’objet partiel manquant, (ce qu’elle n’a pas la femme, la mère), va être reconquis idéalement par son amour, supportant ou symbolisant le manque, pour l’érotomane. Dans la résolution oedipienne avec ses désidérata plus ou moins névrotisants, le sujet va se situer comme être sexué : « je suis un homme, je suis une femme », grâce à l’acceptation de cette petite différence : je l’ai ou je ne l’ai pas le phallus de mon fantasme. Avec l’érotomane, nous sommes entre la psychose et la perversion. F.Perier, la définit comme un processus psychotique à minima. L’érotomane cherche au-delà de l’union charnelle, l’absolu de la « chose », niant ainsi l’objet partiel qui lui permettrait d’accéder à son identification sexuée. « Rien moins que l’absolu d’une féminité qui ne se consisterait comme telle que dans la dépossession de tout objet partiel » F. Perier (2) Dans la recherche de l’amour pur, l’érotomane recherche le tout avoir, l’objet manquant chez l’autre, elle va le réhabiliter par le don de son amour total, pur, comme pour effacer le manque, le nier (dans la perversion) et passer par l’idéalisation de ce trait unaire de l’objet identifié idéalement à son pur amour. Son aimant supposé, son élu idéal, va lui donner ce qu’il ne lui demande pas sexuellement, supputant et symbolisant ainsi le manque. Elle confond l’attention bienveillante de l’objet avec la cause réelle. Oui, il m’aime, il prend soin de moi, me protège, me regarde, confusion imaginaire donc. Le paranoïaque situera la malveillance supposée du persécuteur et comblera ainsi son manque

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à être par la certitude de la menace omniprésente. Enfermée dans son état passionnel, elle maintiendra tant bien que mal sa division subjective. Le signe visible qui causera son désir se percevra dans ce postulat : » c’est lui qui a commencé, et c’est lui qui aime plus. ». Convaincue d’avoir « entendu » un geste, un signe, un mot chez l’aimé, elle s’en servira pour colmater tout manque possible chez elle, en fétichisant l’amour ainsi postulé de celui qui a commencé avant elle à l’aimer. Dans le déni pervers, ce sera cet objet « entrevu » colmatant le manque dans l’image de l’Autre qui sera institué comme signe visible et du coup cause du désir. Entre fétichisme et narcissisme, l’érotomane essaiera de se maintenir subjectivement. Elle se fera cause de l’amour de l’autre, servant de fétiche à l’autre censé ainsi ne manquer de rien. NARCISSISME ET PSYCHOSE : Nous savons maintenant, depuis la découverte du stade du miroir (3) par J. Lacan, que l’enfant s’unifie, acquiert son unité corporelle sur le modèle d’autrui, son image va se précipiter et se constituer dans le miroir, sous le regard réjoui (ou pas) de l’autre parent maternant. Lacan dira : « le narcissisme serait la captation amoureuse du sujet par cette image ». Lacan a mis en rapport ce premier moment de la formation du moi avec cette expérience narcissique fondamentale qu’il désigne sous le nom de stade du miroir. Freud a nommé la psychose « névrose narcissique ». L’érotomanie dans son passage à l’acte agressif, a pour mission de persécuter l’autre pour le forcer à lui avouer son amour, elle semble elle-même dans cette psychose d’amour se prendre et se perdre à la folie de l’objet. DESIR DE L’EROTOMANE : Lacan dans son séminaire X sur l’angoisse, le 27 mars 1963, rappellera qu’avec l’érotomane, il y va du rapport de la femme à l’objet. P. L. Assoun répondra dans la revue Penser/Rêver (4) : « il y a en tout cas dans le tout amour érotomaniaque, un défaut de désir : là, où le désir soutient l’amour, en son effet ordinaire, dans la mesure où le sujet centre en quelque sorte son manque et peut le jouer sur « la personne » de l’aimé(e), l’amour érotomane est un raz de marée : la jouissance corporelle n’est pas filtrée par le mouvement désirant. Aussi la réalisation de l’union est-elle hautement improbable, voire exclue. » PSYCHOSE ALTERNATIVE : Au nom de son pur amour, elle va narcissiquement s’instituer comme unique symbole de l’objet perdu. Dans son érotisme platonique, elle va supporter d’être le fétiche de l’autre comme nous l’avons vu , mais aussi se voir enfin comme l’autre à la place du fétiche. F. Perier parlera d’un processus à minima in désir et perversion : « le statut narcissique de la femme préérotomane est sûrement précaire. Les anamnèses en font foi : raté de la situation oedipienne (ou faite pour l’être) ; pères incestueux ou démissionnaires, mauvaises mères asservies,

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abêties ou fornicatrice. En déduire que quelque chose dans la structuration du corps, comme premier terrain d’action de la machine signifiante, a laissé à désirer quant à l’aptitude à la fille au désir, n’est pas hypothèse audacieuse, la clinique en donne confirmation. » LE JEU SOCIAL : Le prêtre, l’enseignant, l’homme politique sont des cibles de prestige social pour l’érotomane. Ayant une haute idée de la fonction, elle mélange amour et la fonction de l’homme, savoir et pouvoir incarnés voilà ce qu’elle leur attribue. Elle va être à son tour narcissisée par son choix d’élection. Dans son observation, son pistage et son inflation de signaux de tous genres, elle va érotiser son « délire » de le voir, d’être regardée, de l’entendre. Cette posture passionnelle serait-elle propre à l’érotomane ? N’y aurait-il pas dans toute envolée passionnelle un noyau d’érotomanie ? P.L Assoun nous rappellera que « quand les individus mettent leur idéal du moi ensemble pour un objet supposé gratifié de jouissance divine auquel ils s’identifient, n’est-ce pas là un signe d’érotomanie simili-religieux ? (4) Dans l’interview d’Anna M ( Isabelle Carré la comédienne)par Pierre Lucas (5) à la question : Vous diriez que vous comprenez Anna ou elle reste encore mystérieuse pour vous ? Isabelle Carré répond : « Ce sont les deux. Mais j’ai eu beaucoup de chances de l’approcher. Je trouve que ce métier c’est vraiment ça, quand on a du matériel de cette nature, d’être vraiment un spectateur privilégié de tout ce qui se passe dans nos âmes, dans nos têtes et dans notre corps aussi puisque c’est lié. » Nous pourrions élargir la question de l’érotomanie à la psychopathologie en général de la vie quotidienne.. Le coup de foudre, l’amour du premier regard, la jalousie ponctuelle, les idéaux culturels ne sont-ils pas exempts d’une pointe d’érotomanie dans leur aspect irrationnel et passionnel ? D’OU NOUS VIENT CETTE PASSION EROTOMANIAQUE ? C’est dans l’enfance que nous avons constitué notre socle imaginaire, symbolique aux prises avec le réel de l’existence, ce qu’il nous en reste alors : « les traces de solutions enfantines à l’amour immense et nécessairement imaginaire que la toute-puissance narcissique avait placé tout autour de l’enfant et qui, d’un signe parental, prenait consistance ou était atteint. L’érotomanie a organisé, illuminé, blessé nos vies d’enfant. Elle a envahi l’environnement sexualisé lors de la découverte du monde. Elle s’est glissée dans la scène primitive pour transformer la perception en représentation. Elle a été le bruit de fond du complexe d’Œdipe. De la sorte, c’est une visite de la chose amoureuse, illusoire, leurrante, constitutive, de ses ersatz et de sa nostalgie, de sa beauté et de sa négativité mêmes

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dont l’érotomane se fait, dans ce numéro, le guide peu maîtrisable, peu recommandable » Revue Penser /rêver : son argument écrit par le comité de rédaction. Notre folie singulière viendrait-elle faire trop écho à minima à celle de l’érotomanie au point que les études sur ce sujet restent peu fréquentes ? Chantal Cazzadori Novembre 2007 BIBIOGRAPHIE : * (1) Paul Laurent Assoun, Antropos 1994, in, la règle sociale et son au-delà. * (2) François Perier, « l’érotomanie », in le désir et la perversion, seuil I967 * (3) Jacques Lacan, « le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je 1949. * (4) penser/rêver – des érotomanes – revue semestrielle printemps 2004 au Mercure de France * (5) sur internet – www.radio-france.fr * Cliquer France inter, événement/cinéma, Anna M. film * Chantal Cazzadori psychanalyste

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Le colloque international "Totem et publicité" Date : 4 juin 2008 a eu lieu à DAKAR, du 27 au 30 octobre 2008.

Un évènement qui a réuni des participants de France, de Belgique et d'Afrique. L'équipe de l'association "Vivre Art" (1), de Dakar sous la direction de Martine Fourré, est à l'initiative de ces échanges, débats et rencontres. Les organisateurs sont la Société de Psychopathologie et d’hygiène mentale de Dakar (SPHMD) présidés par les Professeurs Momar Gueye, et Elimane Kane. Ces notes prises à l’issue du colloque et retravaillées après coup, sont ma contribution à cet évènement. Elles ne relatent bien sûr qu’une partie des riches interventions. Les intéressants débats avec une audience nombreuse et participative, les films visionnés ainsi que la visite du Musée de Dakar animée par le Professeur René Collignon, anthropologue au C.N.R.S. de Paris, ont nourri abondamment mes réflexions. C’est en allant voir un film que ce colloque m’a re-questionnée. Est-ce un retour du refoulé des notes prises durant ces trois jours, que j’ai ressorties pour qu’elles fassent trace d’un passage, le mien, par delà nos deux rives ? En tout cas, c’est avec plaisir que je vous livre les points clefs de ce premier colloque inter-disciplinaire organisé par l’Université de Dakar. Il nous

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reste à communiquer ces échanges nécessairement, dans et au-delà de nos frontières respectives. Le malaise dans la civilisation ne cesse de faire symptôme. Dans le dernier film italo-brésilien de Marco Bechis, "la terre des hommes rouges", qui vient juste de sortir sur les écrans parisiens, il est aussi question du Totem : un TOTEM à abattre, me semble-t-il ! Une fiction qui parle de ces Indiens de la Tribu Kaiowa, au Brésil, au coeur de la révolte, décidés à ne plus "faire de la publicité" leur travail journalier, pour touristes à l'affût de l'indigène typique des temps perdus. Chargés de mimer jusqu'à la caricature leur identité et leur image, en un spectacle dérisoire et grotesque, parqués dans une réserve pour figurer à la demande ces scènes pittoresques, leur mascarade annonce la couleur, aux premières prises de vue, sur le fleuve de la forêt amazonienne. C'est ainsi que se dissipe une culture ethnique, qui se vend pour satisfaire de nouveaux besoins d'un monde qui ne rencontrera jamais l'autre, le particulier, le singulier d'en face, que l'on jouit de voir. C'est à la suite de deux suicides des leurs, que la tribu décide résolument de quitter sa condition d'exploitée à bas prix, pour retrouver sa dignité à travers ses coutumes, ses racines, sa terre. La dimension du sacré, du totem ancestral, redonne pour quelque temps une autre grandeur à leur vie précaire. Le chaman reprend son initiation sur le territoire reconquis à la hâte, sans autorisation, autour d'un campement de tentes faites de bâches de plastique noir. Tout s'organise autour des rites et des tabous, un totem s'érige dans le champ de terre rouge, duquel a été spolié les ancêtres. Le sacré fait figure de représentation, la cohésion du groupe s'établit sur la filiation, les idéaux et les chefs. Au sein même de cette petite communauté, deux mondes s'affrontent : celui des anciens qui voudrait transmettre intégralement sa culture totémique sans tenir compte de la réalité ambiante du monde de leurs jeunes enfants, porteurs des nouveaux symboles issus de l'ère numérique, de la télévision, des marques publicitaires ; et, un monde nouveau, accessible si l’on paie le prix de l'esclavage, ce que le Chaman interdira dorénavant. En Afrique, le TOTEM est en voie de disparition ; de plus en plus de foyers sont équipés de télévisions au dépend des traditions et croyances qui font ciment social et lien collectif à la fois protecteur et soutenant. La publicité, qui arrive par la toile ou l'écran, prend le rôle d'un nouveau totem ; elle agit à bas bruit sur les inconscients des êtres en quête de rêves et d'un ailleurs. De nouveaux mythes hauts en couleurs, à forte puissance figurative, vont naître pour combler la place vide du totem disparu. Le sacré sera remplacé par l'objet de consommation, toujours nouveau, jamais rassasiant, incitant indéfiniment le désir du sujet. Une société de marchandisation déploie peu à peu tous ses artéfacts incitant Monsieur tout le monde à jouir vite, sans souci de réalité, de ses nouveaux dieux d'adoration à travers les marques et comportements stéréotypés. Dans la fiction-documentée du film de Marco Bechis, le TOTEM s'accapare du psychisme : il crée des fonctions et des rôles régulateurs nouveaux, où le sacré et le maudit, agissent comme un système subtile de relations sociales, régies par les lois de la parenté, avec leur efficacité symbolique. Durant le colloque, Charles Di, Docteur en Psychologie, spécialiste en ethnopsychiatrie en France, posait la question du Trauma généré de la disparition du TOTEM, du vide créé par son recul en Afrique, soulignant combien "la publicité peut enserrer le sujet d'une pensée qui

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l’empêcherait de penser ; ça a choisi, le sujet n'est plus ! il serait par conséquent urgent d'inventer de nouveaux totems dans des formes nouvelles." Mamadou Mbody, Docteur en Psychologie, Maître de conférences à l'Université de Dakar, nous faisait à son tour remarquer, la dislocation des liens familiaux, lorsque le TOTEM n'est plus tabou. La disparition du totem joue un rôle dans le changement des mentalités. Il précisera : "L'affaiblissement de la loi du père, de sa parole, faisant défaut à l'enfant, les interlocuteurs changent. La mère souvent dans une profonde solitude, non soumise aux pratiques rituelles disparues, va livrer son enfant au groupe. Les lignades se sont appauvries au Sénégal, la socialisation se fait hors les sphères habituelles. Par les représentations et les interdits transmis lors des légendes racontées, le sacré faisait son effet sur l'enfant qui pouvait ainsi naviguer, construire et structurer sa subjectivité. « Livré à la toile, l'enfant sans interlocuteur humain se construit une représentation de sa culture faite de bulles d'illusions, de stratégies solitaires, en rupture de lien et de sens. Aujourd'hui, dans les écoles, l’échange de vidéos pornos se monnaie à coup de coca-cola… ». L'accession des enfants au monde des adultes, sans intermédiaires, sont prioritairement happés par le monde virtuel qui les met à la merci de la rue, menaçant ainsi de rompre leur attache sociale, instaurant une confusion entre la réalité et le virtuel. La déritualisation conduit les jeunes vers des comportements déroutants, sans séparateur, faisant perdre les références liées aux modèles identificatoires du groupe familial élargi. Dans ce nouveau contexte, comment s'effectuera pour le sujet sa construction réelle, imaginaire et symbolique, s'il grandit dans un monde déconnecté de son assise relationnelle par la médiation des images ? Retour au film : le réalisateur transpose en fiction le désespoir d'un clan qui essaie de "renaître" par l'opération d'une révolte pour réparer une terrible injustice faite par les blancs qui ont spolié leurs ancêtres de leur terre d'origine, ils invoquent rituellement les Dieux de leur nouveau Totem installé au centre du champ pour se le réapproprier. Même si le totem retrouve temporairement son efficacité symbolique pour mobiliser le groupe, le temps de l'espoir d'une reconquête, leurs adolescents incarnent leur malaise, tenaillés entre l'exigence de préserver l'identité de leur tribu et la nécessité de subvenir à leurs besoins. La forêt est vide, la chasse et la cueillette sans grand succès. Il s'agit maintenant de voler pour vivre. Retravailler serait trahir son clan qui décide de son indépendance sur le lieu mythique sans ressource, saigné à blanc comme eux-mêmes Leur transgression pour vivre coûte que coûte sur ce territoire raflé à leur tour au riche propriétaire blanc, sans foi ni loi, leur sera capitale. Soumis par une attaque surprise de nuit par les "oiseaux blancs impérialistes", (Birdwatchers, titre original du film - ceux qui observent les oiseaux- désignent aussi bien les touristes guetteurs d'oiseaux que les indigènes exhibés ), le leader référent du groupe a été assassiné par une bande payée par le propriétaire des lieux. Leur monde s'écroule, les "esprits" sont vaincus, la présence maléfique s'impose. Le totem à abattre serait-il sans objet ? Cette communauté exangue à la culture mourante se solde par les suicides des jeunes adolescents et l'assassinat de leur chef indigène. Le désespoir des anciens dans l'alcool révèle également l'ampleur de leur désarroi. Pourtant la dernière image de la fiction lance un baroud d'honneur au monde : non ! Halte là, le dernier suicide n'aura pas lieu ! L’adolescent, dans un sursaut, défait sa corde, reprend sa marche, sans doute soutenu par les idéaux des siens vivants et disparus. La communication dans ce groupe a vaincu l'isolement même si la crise identitaire est aiguë, là ça parle…donc ça peut choisir… le sujet est et deviendra, osons cette alternative !!

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Michel Chauvière, Sociologue au CNRS de Paris, nous retraçait l'histoire de la disparition du TOTEM en France et l'instauration de l'autorité parentale en I970. La laïcité nous réduit à nousmême disait-il : "Ni Dieu, ni César, ni Tribuns, que mettre à la place ? la nostalgie ? non bien sûr, mais plutôt le pari sur l'enfant ". C'est le Droit écrit qui fait totem aujourd'hui, le dernier totem qui nous permet de vivre ensemble. L'institution est là pour réaliser les droits acquis, comme l'acte de parole posé et agit, par les hommes et les femmes responsables, pour transformer l'oeuvre. Ce triptyque : Droit-Institution-acte est gage de développement social et économique même s'ils sont en rapport conflictuel. Yves Kaufmant, Psychanalyste Psychiatre, présentera à son tour les nouveaux TOTEMS érigés par notre époque. Il donnera d'abord une définition de celui-ci : "ce qui fait totem c'est l'ensemble des signes balisés, recouverts de signifiants, auxquels on se caractérise comme semblable, (cravate, costume, grigri..). Puis, il rappellera que dans le totem, on trouve une identification plus une vérité ; par exemple, dans le jeans, le mythe du cow-boy agit avec la proximité du bleu de travail comme vérité. La Publicité jouerait l'effet pervers du pseudo-totem, elle vend ce que nous ne voulons pas et dont nous n'avons pas besoin ; c'est assez extraordinaire comme projet ! La suggestion faite par l'image porte sur l'identification primaire du stade du miroir." L'image du plus de jouir véhiculée par les publicités est loin de l'absence d'entraves de l'utopie soixante-huitarde, dans la mesure où elle proscrit le désir. Dans les fêtes, toute parole est bannie, on ne sait plus avec qui on boit, baise, vomit.. Le mythe supposé universel échoue, détrôné par la culture, le totem est à bout", ajoutera-t-il. La jouissance organisée est maintenant ordinaire, banale, les images et les signifiants nouveaux apparaissent et fabriquent des mythes aberrants et mensongers, articulés de façon cohérente et logique. Si nous rappelons le mythe Totem et Tabou, une fiction écrite par Freud, le désir des fils de jouir exclusivement comme le père de la mère et de toutes les femmes, les a amenés à sa mise à mort pour ensuite, le dévorer dans un repas totémique puis, finalement, remettre en place l'interdit, afin d'éviter le fratricide qui les obsédait. Le père interdicteur, assassiné réapparaît dans le totem qui fait loi par le tabou de l'interdit de l'inceste, du parricide et du cannibalisme .Une histoire racontée pour dire l'importance symbolique du Nom du Père mort, interdicteur, séparateur et castrateur, représenté par le Totem et ses tabous. L'autre tabou moderne, érigé, serait celui du "tout financier incarné par la connotation « bling-bling », des jouissances branchées". Le grand Autre lacanien incarné dans le Dieu Argent, construit sa cour et ses idéaux mythiques. L'image influence et suggère ses adeptes et ses serviteurs, par son effet hypnotisant. Nouvelle star de la Jouissance, elle réactive les processus primaires pulsionnels au détriment de l'unité de pensée liée aux processus secondaires. Agir plutôt que penser. Le leurre de la sensation l'emporte sur la construction logique et critique. Yves Kaufman fera un parallèle avec les théories cognitivo-comportementales, suggérant aux patients, par l'application de leur protocole, des images, pour vaincre l'angoisse sans en rechercher les causes. Eliminer le symptôme en attaquant l'éprouvé au lieu de faire émerger les signifiants propres du sujet. En fait, il s'agira plutôt de déplacer le symptôme, ce qui marquera l'échec relatif de telles orientations, masquant la vraie problématique du patient. Jean Paul Desgoutte, Linguiste et Documentaliste de film, reprendra le passage par le stade du miroir, pour rappeler que l'identité est reçue de l'extérieur, par un autre qui nous nomme, nous

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décrit, et c'est à partir de cette profération, comme acte de parole, que se constitue notre noyau d'identification à venir de façon imaginaire. Un regard sur notre reflet et celui de notre tuteur primordial, donnera une image délimitant ainsi notre contour physique, notre limite, en indiquant la séparation première d'avec la mère. « Le sujet est d'abord le produit de l'acte de parole et d'un regard de reconnaissance, réceptacle ou destinataire d'une attention et d'une intention qui le manifeste comme double ». Parler avec la Télévision, tel est le titre de l'intervention de Jeanne Lafont, Psychanalyste, Topologue et Docteur en philosophie à Paris. "Inspirée ou nourrie" par la publicité du produit laitier DANETTE, une jeune autiste en institution suivie par J. Lafont, se lève comme la foule de la pub, et sort son premier mot « DANETTE », lors d'une séance de travail. Une parole nouée au mouvement de son corps témoignerait par la médiation de l'image publicitaire de son être là ? Dans cette autre langue que celle de sa mère, d'une autre culture, elle passe par la publicité, elle qui ne parle pas encore, pour faire lien, écho, donner du sens à qui à quoi ? son bain de langue, c'est aussi la télévision, le seul média français de son environnement familial. On pourrait en effet dire, que si elle apprend la langue des autres, ses semblables, avec cet outil moderne, ce serait aussi pour chercher à les rencontrer, en tout cas essayer de communiquer à minima. Son corps est bien présent dans le temps de la séance, assise parterre, elle fait le geste répétitif de ramener vers son sexe, la poussière du sol, dans ce jeu d'aller et retour, qui rencontre-t-elle là aussi ? un corps-objet ? Fusionné à la mère, pris dans la relation duelle d'avant le langage ? Avec son analyste, sa rencontre se fera, non pas avec une image muette, mais avec la personne du transfert à qui elle s'adressera . Son analyste joyeusement surprise rira comme par complicité, pour avoir regardé le même message, mais n'allons pas trop vite...Le geste plus le mot renvoient à l'appropriation du son et de l'image, que l'enfant va incorporer en spectateur, attentif du petit écran. Le nouage s'effectue entre le corps de jouissance pulsionnelle et la parole comme jouissance découpée par le mot, il s'agit de deux choses binaires non unitaires. La pulsion et le mot se nouent pour un dit entendu et vu dans le miroir du petit écran, ce qui nous fait poser l'hypothèse, que si l'image de la publicité est à lire comme un bain de langue, Danette n'est pas un mot, ni une signification, mais une écriture sans subjectivation, celle d'avant le stade du miroir. Si l'enfant est entré dans la phonation, elle ne parle pas d'elle-même. Sa parole n'est pas encore en place. Ce slogan Danette qui lui permet de parler pour la première fois sans pour autant faire acte d'énonciation, indique que quelque chose reviendrait sur elle-même, comme une aliénation à l'image du corps de l'Autre. Le signe Danette serait-il la reproduction d'un slogan, mainte fois entendu, et utilisé là dans la relation pour apprendre à parler la langue de l'autre, son alter ego par le truchement de l'image télévisuelle ? Si la question du sens reste énigmatique, le regard associé à son écoute ne viendra pas échouer là, dans une séance vide de signification. « Si tout sens qui garantit la vie, la mort, l'amour est religieux, la télévision deviendrait-elle un nouveau TOTEM, dont la publicité serait la nouvelle religion, que l'enfant coupé du monde extérieur se servirait comme support, pour aller vers quelqu'un d'humain ? » J. Lafont, histoire à suivre, bien entendu !! Martine Fourré, Psychanalyste, Docteur en psychologie à Dakar, à l'initiative de ce colloque préparé pendant trois ans avec les partenaires locaux et étrangers, nous parlera du TOTEM sans tabou. Elle commencera son propos par une histoire vraie, d'un enfant scolarisé qui, brusquement, a sauté du deuxième étage de sa classe pour disparaître et réapparaître le soir, comme si de rien

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n'était, affolant les autorités et secours locaux à sa recherche. Identifié aux héros des clips virtuels, il a volé, plané, attéri sans le moindre danger de mort, comme s'il avait incorporé la toute puissance de ses fans. L'image de soi se construit aussi dans le miroir que représente les supports de la publicité, des films de série, des héros portés à l'écran etc… l'identification se ferait immédiatement et prendrait valeur de référence pour un groupe d'âge donné, ou d'une catégorie sociale. Prenons l'exemple des japonaises habillées comme dans les bandes dessinées des mangas qui classifieront d'emblée leur sentiment idéal d'appartenance. Les média véhiculeraient ainsi des modèles parfaits eu égards aux humains faillibles, manquants voir impuissants. Le monde virtuel joue le rôle d'excitateur de la libido, trouble la notion du temps et paupérise l'imagination. La jouissance est prompte, sans recul possible pour penser, élaborer, facilitatrice d'une passivation de la pulsion qui consiste à se faire bouffer, avaler par le flot continue des infos, bien installé dans le « ventre moelleux du canapé familial », jolie formulation de Martine Fourré. Si le contrôle parental ne s'établit pas, des troubles d'hyperactivité, de déconcentration, de désocialisation apparaîtront . « Les totems publicitaires des écrans pixellisés transmettent sans tabou la part voilée de chacun qui fait notre singularité » . Régressé au stade d'avant le langage, le sujet cultive un fantasme qui peut le faire passer de l'autre côté du miroir, passage à l'acte sans réfléchir, compulsivement pris dans l'imaginaire de cette relation scopique au reflet des images publicitaires. On meurt, on ressuscite, on est fort et violent, on gagne sans perdre, on se croit face à un semblable pas traversé par les interdits qui contredisent les désirs incestueux, sans avoir à franchir les étapes d'une construction faite par le défilé des castrations symboligènes comme les nommait Françoise Dolto. Il s'agit bien ici du déni de la castration, de la différence sexuée, de la menace structurante que la culture appelle non pas sans douleur, au renoncement des pulsions, pour mieux vivre son rapport à l'autre humain. D'autres questions toutes aussi fondamentales nous interpellent : où est le rôle de l'écriture pour servir de support à la pensée si le livre disparaît ? Quand la communication parentale se tarie, laissant la place à l'idéologie des écrans qui envahit et aliène, que devient l'enfant en construction psychologique ? Trop de culture médiatique avalée, non digérée, non problématisée favorise le culte de l'ego, l'agressivité qui gagnera sa place sur l'autre, occultant la faille dans la source du désir qui disparaîtra. Tout deviendra alors interchangeable, monnayable, laissant prédominer l'émotion, la sensation sur la raison critique d'un discours troué, imparfait, contradictoire mais porteur d'idées propres à faire penser. Le sacré et le tabou ont quitté le champ de la réflexion, la transparence devient un nouveau culte pour nier le manque. Comme si aucune image ne nous manquerait. « Le : « d'où je viens ? » n'est pas le sujet, porté ici par les mirages du comblement jouissif de sa pulsion de l'immédiateté, de la résistance à la frustration"( M.Fourré). Déni du manque, déni du pas tout, la publicité fait plus que vendre des produits, sa duperie, son illusion non explicitée, relayée par la parole, le livre, la réflexion et la communication des adultes pourrait-elle alors rendre l'autre fou ? Au terme de ce congrès, que de sujets de réflexions s’offrent à nous ! A approfondir bien évidemment ! Toutefois, j’aimerai insister sur certains points qui, à mon sens, méritent un éclaircissement. Dans la présentation du sujet annoncé, « Totem et Publicité », la télévision et les médias fabriquant de nouvelles représentations, devaient nous interroger sur l’influence qu’ils

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produisent sur l’éducation, l’identification, le besoin de reconnaissance de l’homme d’Afrique, qui délaisserait de fait, ses croyances et traditions. Il m’est apparu qu’une confusion s’insinuait entre télévision ou internet et publicité. En effet, ce n’est pas l’objet télévision ou l’objet internet qui posent problème, mais plutôt l’utilisation que l’on en fait en tant que vecteur de messages imaginaires d’illusion et de duperie. L’addiction à la télévision n’est pas le fait d’Arte ou de chaînes sans publicité. Elle repose sur un besoin identificatoire et une demande de jouissance sans limite. Cette reconnaissance identificatoire on la retrouve dans la pub ou les jeux vidéo qui nous conduisent à la déréalité, à tel point qu’ils créent de nouveaux Dieux, qui viennent brûler le totem et ses représentations collectives. La publicité est omniprésente, sur les murs et les médias modernes pour créer un nouveau culte, un espace de rêve et de vérité qui pourrait avoir à terme, une dimension religieuse dans le collectif. L’être humain en quête de jouissance essaiera de la récupérer par son reflet, son image, son prochain porteur d’un trait d’identification commun avec lui. Comme le sujet se voit dans son semblable, son moi idéal sera jubilatoire d’autant qu’il cherchera ensuite dans le groupe un idéal qui le réunira autour d’un leader. Dans « psychologie collective et analyse du moi » Freud parle d’une foule constituée déjà par deux personnes. Le groupe dans sa dynamique suscite bonheur, espoir, idéalisation dans la réalisation d’un désir transcendé par ses idéaux qu’authentifie son maître à penser Le chef expliquera pourquoi l’impossible est là, castrateur et blessant, il soulagera ainsi les attentes trop fortes, irréalistes. Il pourra même attiser nos fantasmes pour espérer que l’interdit se réalise. Dans la solitude de l’homme déconnecté de ses alter ego, seul face à son écran et sa toile, il sera soumis tout aussi jouissivement par ses pensées, aux images et messages d’addiction, produits sans recours à la médiation d’un ancien, maire, maître ou médecin. Là est toute la différence, entre faire du lien social influencé par les médias et s’aliéner, seul face aux séries B, et aux publicités sur écrans informatiques et/ ou de la télévision. Si le chef promet monts et merveilles, ou interdit drastiquement telle pratique, initiant ainsi l’aspect religieux du lien social, la publicité n’est elle pas, elle aussi, un danger pour la pensée ? Une nouvelle possibilité de fabriquer du religieux, par la puissance médiatique des nouveaux supports non discutés, non problématisés par une culture de la parole, de la tradition, de la confrontation à autrui, ne serait-elle pas le vrai piège ? Le pouvoir des média a toujours été dénoncé, parlé, discuté comme celui de la publicité. Ce qui nous questionne aujourd’hui c’est l’attrait du monde virtuel qui entre partout et nous désubjectivise par sa quantité d’info, de messages faux, vrais, que nos enfants non cadrés ou nos errances d’adultes pourraient mettre à mal. Hier, samedi I7 janvier, un reportage de quelques minutes, au journal télévisé de France 2, de 20H, tentait d’alerter les parents devant la consommation abusive de jeux virtuels par les collégiens. Une association parlait des coûts répercutés sur les factures mensuelles des téléphones, allant jusqu’à des sommes énormes, pour prolonger l’attrait des jeux qui se poursuivent sur des durées annulant le temps réel. La jouissance rapide, sans entrave voit là sa réalisation annulant toute critique. La Publicité associée à la virtualisation à outrance de nos représentations n’ouvriraient-elles pas un espace possible à l’injonction du religieux ? La quête d’idéal étant ce qui soutient l’homme dans ses espérances ne s’aveuglerait-il pas dans une pensée devenue unique qui pourrait alors trouver son soulagement dans le crédit fait à telle marque, tel objet, telle idéologie, malmenant le sacré et le tabou par l’éloge du tout marchandisable ? Dans les débats, ce sujet me semble avoir été trop peu posé, heureusement, dans la toute dernière intervention du Docteur Abdoulaye Elimane Kane, l’impact de la publicité comme

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annonciatrice d’un nouvel espace religieux a bien été repris, sous forme de petites histoires réalistes et très édifiantes. Retournons en Afrique, qui en 30 ans, est passé de la Brousse à l'ère de l’internet. La publicité s'est inventée sans totems, que pourrait-on inventer dans l'au-delà de l'image ? Comme le disait dans la conclusion du colloque le Docteur Abdoulaye Elimane Kane, Professeur titulaire du département de philosophie de l'UCAD de Dakar : « Qui est le vrai sujet de l'image ? Nous ou l'autre qui parle ? la Vérité est entre les deux, c'est un bricolage entre nous-mêmes et l'image de la télévision, ni exclusivement de nous, ni exclusivement d'eux, mais dans l'entre deux. » MODE, NET et IMAGE de SOI : Pour conclure, j’apporterai une note optimiste à ce colloque : je viens de vivre, en tant que grand’mère d’une pré-adolescente de 13 ans bientôt, un moment où le net a aussi joué un rôle de tiers auxiliaire, d’une grande efficacité symbolique. « J » est venue me voir à Paris, durant un week-end. Elle a choisi son programme : faire les soldes , puis aller se baigner dans un grand espace aquatique et ludique. Le corps et son image étaient au rendez-vous, contrairement aux visites précédentes où la culture, expo, cinéma, découvertes étaient prédominants. Faire de multiples essayages avec les vêtements choisis dans mes armoires, apprendre à se maquiller, chausser les talons, arranger sa coiffure, l’occupa des heures sous mon regard admiratif, appareil photo à la main, finalisant ces essais par un défilé de mode impromptu. Cet avant temps d’apprivoisement de son image modifiée, vieillie de quelques années, fut suivi par un temps virtuel où le net permit de continuer l’expérience de maîtrise de soi. Livrée à ellemême, je l’autorisais à accéder à ce champ virtuel qu’elle occupa deux heures durant, habillant à son tour tel mannequin, avec des effets de tous styles et genres. Le lendemain, elle choisissait pour de bon, dans une multitude de vêtements soldés, lequel lui conviendrait le mieux. Elle me demanda de rester à ses côtés, mais fit son choix elle-même, selon ses goûts propres. La deuxième séance de défilé de mode reprise ensuite, avec ses nouveaux vêtements, seyants et en rapport avec son âge, non tentée par ceux qui « faisaient plus lycéens que collégiens, ou un peu trop femme.. ». Jouer, fictionner, fantasmer, anticiper son image avec des outils modernes trouvés sur le site permettent à l’imaginaire de se déployer, de s’identifier sans entraves. Ce temps pour rêver devient structurant s’il est soutenu par le regard de l’autre (le mien en l’occurrence) nommant et communicant. La série de photos des défilés de mode fut elle aussi coupée, revue, corrigée pour finir dans sa clef usb, destinée à un ailleurs, le sien, celui du partage avec les copines et éventuellement la famille. Nous avons vécu avec jubilation ce stade du miroir-net puisque l’inter était là, par la parole, les échanges de regards de reconnaissance d’un corps en pleine métamorphose. Temps précieux puisqu’il fabrique aussi du lien trans-générationnel subjectivant pour nous deux ! Internet, publicité incluse, ne joue-t-il pas le rôle du Totem dès lors qu’il n’induit pas un isolement, mais plutôt un échange fait de partage ou de différents ? Chantal Cazzadori

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Psychanalyste à Paris et à Amiens Janvier 2009 chantal.cazzadori@gmail.com (1) L'association VIVRE ART, propose à des pré-adolescents (et à leurs parents) des séjours au Sénégal de courte et moyenne durée, dans le but de faire le point sur leurs difficultés, leurs projets, leur entrée dans la vie. (Extrait de la brochure).

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

ENOS A UN PROBLEME ! Date : 4 juillet 2008

CE QUE LES SINGES NOUS APPRENNENT SUR LA PAROLE ? Dans son livre « l’homme est un singe comme les autres », l’auteur Emmanuelle Grundmann* (1)relance le débat sur la proximité des liens étroits entretenus entre les hommes et les ancêtres de grands singes, à la lumière des dernières observations et découvertes surprenantes pour le moins. Ainsi, Toumaï, notre très lointain aïeul, découvert au Tchad en 2001, vivait il y a 7 millions d’années, une époque où l’homme et le chimpanzé auraient formé une seule et même espèce. Les études génétiques publiées en mai 2006 par la revue Nature, montrent une différence de 1,23% dans l’agencement et la constitution des séquences de nucléotides de l’ADN. Le chimpanzé commun, chimpanzé pygmée ou bonobo sont les plus proches de l’homme que les autres singes et partagent plus de 96% de notre patrimoine ADN. Aujourd’hui, nous distinguons les deux genres Homo et Pan, l’homme et le chimpanzé sachant qu’elles n’en faisaient qu’une autrefois, nous aurions donc un ancêtre commun et serions cousins, voir frères. Les similitudes de comportements et de compétences qui nous rapprochent, nous amènent à repenser la place de l’homme dans ce vaste règne. « L’animalité ne renvoie ni à une essence de l’homme, ni à une essence de l’animal, mais

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plutôt à la façon qu’ont les hommes et l’animal d’habiter le même espace, qui est un espace de sens avant d’être un espace physique ou géographique » » Dominique Lestel *(2). Préciser les rapports de l’homme à l’animal dans les apprentissages cognitifs pour apprendre à parler ou à aller sur la Lune sera notre point de vue dans cet article. En effet, si le langage est au cœur des débats pour rassurer l’homme sur son unicité et sa supériorité vis-à-vis des autres primates, son étude, au-delà de notre rêve de dialoguer avec eux, a été appréhendée de différentes manières selon les scientifiques, psychologues béhavioristes, cognitifs, éthologues et primatologues. La parole est le propre de l’homme, la voix l’est tout autant car elle tient à un équilibre anatomique et physiologique né avec l’hominisation qui spécifiera également, notre différence avec les grands singes (chimpanzé, bonobo, gorille et orang-outan. Son larynx placé plus haut, l’handicape pour articuler sons et voyelles. Les tentatives faites par les premiers psychologues pour leur inculquer le langage ont échoué pour cette raison. Ainsi, en 1966, Allen et Beatrix Gardner persuadés que l’échec de l’apprentissage de la langue relevait du sousdéveloppement de l’appareil vocal, et non pas parce que ces animaux étaient fondamentalement incapables d’apprendre un langage, tentèrent sur Washoë, femelle chimpanzé de 10 mois, une nouvelle expérience. Ils recouront au langage artificiel et à l’ASL (langue basée sur la gestuelle des mains fort utilisée par les singes pour communiquer entre eux). Washoë travaillera la langue des signes avec ces pionniers, elle utilisera environ 250 signes qui formeront son lexigramme, ce sera le premier primate non humain a avoir acquis un langage. Sensibles à l’importance des stimulations sociales dans cet apprentissage, les chercheurs vont l’élever comme leur propre enfant dans un environnement riche de langue. Par contre, Kanzi, ce jeune bonobo naît en I980 ne sera pas soumis à un entraînement linguistique, la primatologue Sue Savage-Rumbaugh a prouvé qu’il a appris directement de sa mère à manipuler et utiliser les symboles sans conditionnement. Sur les 2800 termes utilisés 11% serait imités ou suscités par l’expérimentateur. Kanzi se réfère à des objets absents, comprend la langue anglaise comme une petite fille, ALia, de 6 ans sa cadette. Il sera plus fort qu’elle dans le décodage des mots. Des limites seront cependant atteintes puisque la majeure partie des dialogues symboliques engagés entre le bonobo et les humains traitent de requêtes, de souhaits de promenades, de jeux ou de désirs alimentaires ; sommes nous devant une aptitude communicative ou devant d’authentiques compétences grammaticales ?. Kanzi est la preuve que les singes humanoïdes apprennent un langage de la même façon que les enfants jusqu’à 2ans et demi, même s’ils ne poseront jamais de questions, ne raconteront pas d’histoire et ne nous feront pas la conversation. Donc, nous nous trouvons face à des différences de degré et non de nature dans les processus cognitifs sous-jacents au langage. A partir de ces expérimentations, les psychologues ont porté un grand intérêt à cet apprentissage des capacités cognitives du singe. Ainsi, les pionniers Allen et Béatrice Gardner ont étudié les modalités de l’apprentissage chez le singe, enclin à s’adapter, se conditionner par imitation : « identification » et par « transfert d’amour » pour « ses parents humains ». Il ne s’agit pas pour ces chercheurs de maintenir la différence culture/ nature, mais d’explorer

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avec soin la relation d’apprentissage afin de stimuler le potentiel de capacités qu’offre le singe dans l’acquisition d’un langage fait de symboles. Ici, l’animal n’est considéré ni comme un jouet, ni comme un objet, ou une quelconque machine d’un modèle connu. Observé pour sa communication symbolique et gestuelle, il montrera combien il interagit sur l’homme et inversement. La psychanalyse ici peut dire son mot : Ainsi, selon un siècle de réflexion psychanalytique, ce qui distingue l’animal ou l’homme de l’objet matériel, c’est ce qui lui manque. Est leur manque, cette absence fondamentale que l’homme ou l’animal vont essayer de combler continuellement en désirant toujours l’objet manquant de leur attente. Ce désir conditionne le « sens » : si il y a « sens » alors il y a force vivante, mobile imprévisible de ressources. Et le « temps » entre en ligne de compte. Si l’homme considère l’animal comme porteur de sens et d’altérité, alors ces rapports entre l’homme et l’animal ne sont pas seulement biologiques : il existe aussi des lliens affectifs que notre culture occidentale exprime mieux qu’avec le végétal. Nous aurions en commun une temporalité de l’action, plus rapide (que l’escargot) et plus lente (que le serpent), que nous pouvons modifier en temps réel par nos agirs, ce que nous ne percevons pas aussi nettement pour le végétal au mouvement trop lent pour acquérir un sens pour nous. Les affinités entre l’homme et l’animal lui permettraient-elles alors de le considérer comme son semblable ? L’utilisation par un autre psychologue Herbert Terrace, d’une méthode plus rigoureuse, c’est-àdire en privant l’animal de ses liens sociaux, le plaçant ainsi en objet de pure observation, s’avéra fort décevante. Sceptique face aux résultats obtenus par ses confrères Gardner, ce psychologue définit son expérience en référence à leur travail. Ainsi il a soumis le chimpanzé Nim Chimsky, ( nom donné en référence au linguiste Noam Chomsky) à un environnement plus contrôlé. Au bout du compte, Nim * ne manipula que 125 signes, ce qui permit à son maître de conclure que l’accès du langage aux grands singes n’était pas possible et qu’il fallait voir dans ces expériences de singes parlants, uniquement, des processus de conditionnement. Quelle relation pouvons-nous déjà faire avec l’humain à ce niveau d’explicitation ? LE MIROIR En psychanalyse, l’autre avec un a minuscule correspond au semblable. C’est toujours par le truchement d’un autre que nous apprenons et cela se fera dans un lien transférentiel d’amour, d’attachement, d’identification mais pas seulement car la rivalité, l’agressivité et la concurrence seront aussi de la partie. C’est dans le désir de l’autre que va se mettre en marche le processus d’apprentissage, dans un lien pulsionnel d’une relation en miroir, dans une confusion aliénante au semblable son alter ego, sachant que l’un vaut l’autre dans une force de réciprocité. Ce passage d’identification primordiale s’effectuera lors du stade du miroir * sous le regard et la reconnaissance de la

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personne aimante, tutélaire du sujet qui va découvrir l’image, son image, puis sa propre représentation imaginaire. Etape de maturation que les singes traversent également au regard des expériences scientifiques comparatives avec l’enfant. L’expérience du miroir construirait aussi l’imaginaire du singe, son identification à l’autre, comme en témoigne son empathie et son agressivité vis-à-vis de ses compères humains ou pas, pour établir sa relation au groupe animal et à nous-mêmes. Mais, en quoi consiste précisément le test du miroir ? « L’un des tests les plus usités pour vérifier l’intelligence d’un animal est l’épreuve du miroir, qui consiste à placer l’animal à tester seul devant un miroir pour voir s’il se reconnaît », s’il a conscience de lui-même. Pour ce faire, l’animal est marqué avec de la peinture à un endroit où il ne peut pas s’observer lui-même, par exemple sur le front pour un chimpanzé. Ensuite, l’observateur étudie le comportement de l’animal : s’il attaque son reflet ou le fuit, c’est signe qu’il ne comprend pas que c’est lui qu’il voit dans le miroir et non pas un autre animal. Par contre, s’il tente de savoir ce qu’il y a derrière le miroir, s’il touche la marque de peinture avec insistance et s’il inspecte diverses autres parties de son corps qu’il ne peut observer par luimême c’est signe qu’il comprend que c’est lui qu’il voit dans le miroir, et donc cela prouve qu’il a conscience de lui-même. A ce jour, seuls les grands singes, le dauphin et l’éléphant ont passé avec succès le test du miroir. » site wilkipedia * Notons que les premiers tests faits avec le gorille, n’ont pas été concluants car les chercheurs plaçaient la caméra en face de l’animal. Or, les grands singes, exception faite des gorilles, détestent se regarder dans les yeux. Ils détournaient donc le regard de l’écran. Si l’on place la caméra de côté, le grand singe se reconnaît aisément. En outre, nous humains, nous ne sommes pas seulement dépendants d’une relation imaginaire à l’autre, nous sommes assujettis à un ordre tiers, la parole, et cela avant même notre naissance puisque nous sommes parlés, imaginés, désirés ou pas, avant notre apparition sur terre. L’enfant serait donc construit comme sujet par le langage et du coup soumis d’emblée au symbolique. Cet Autre, avec un grand A cette fois, est d’abord la mère, dit l’Autre primordial, unique, différent pour chacun de nous. Cet Autre est à l’origine celui qui va donner les mots face à la demande de l’enfant en espérant (d’habitude) y répondre au plus juste. Cet Autre sera aussi celui qui va regarder et reconnaître l’enfant comme le sien dans le miroir. Ce grand Autre tutélaire est appel à la parole faite de désir, de demande et de besoin, d’amour, audelà des personnes, ce lieu essentiel du « sens » que chacun d’entre nous a représenté pour un autre ! (sens transmis, sens formulé, sens inconscient, sens dénié, sens refoulé, sens coupable.. dans tous les sens du terme !). Ce lieu devient un registre qui déterminera le sujet dans sa spécificité, dans son dire de sujet désirant. Ce lieu, trésor des signifiants qui l’habite à son tour et le traverse comme tout à chacun, deviendra son ordre avec ses lois propres au langage qui fera limite pour lui aussi. Ce lieu s’appelle « le symbolique ». Dans son destin de parlêtre, se séparer de l’Autre pour réussir à parler en son nom sera une nécessité. Le sujet parlant va être selon Jacques Lacan « représenté par un signifiant pour un autre signifiant », en s’adressant à l’Autre de sa vérité toujours dépassé par ses possibilités d’énonciation. « Toujours un humain, et seulement un humain, peut faire naître un sujet à la possibilité d’assumer cette dimension de la parole. « On

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ne transmet que la question », nous dit Lacan dans l’Etourdit. La transmission doit en quelque sorte trouver un moyen pour que se transmette non pas un énoncé, mais une énonciation, soit un point de vue » symbolique ajouterait-on au texte de Jeanne Lafont * (3) . La mise en place de l’inconscient se fait ainsi, jamais dans la maîtrise totale de ses élaborations. Lié à l’autre maternel comme personne, nous pourrons commencer à nous en délier par l’entrée dans le langage, cet Autre comme lieu qui contient le signifiant de la loi symbolique. Ce détachement du corps à corps d’avec la mère par l’appel de la langue constitue pour le bébé humain une étape structurale de son humanisation. Ensuite viendra l’interdit de l’inceste avec la mère nommé par le langage qui distinguera les sexes et les générations pour chacun dans ses relations de parenté codifiées. On pourrait parler de deux castrations, celle soumise à l’entrée dans le langage : le mot ne dit jamais le tout de la pensée, et celle de l’oedipe qui nous déterminera garçon ou fille de tel père, telle mère liés à une histoire personnelle faite de signifiants qui nous différencieront. L’enjeu de ces études devient alors : le singe a-t-il accès au symbolique ? Comment le prouver ? Dans l’affirmative ne faut-il pas questionner les certitudes des expérimentateurs ? Chez le singe l’entrée dans le symbolique passerait par sa capacité à jouer avec les symboles de notre langage, sa capacité à anticiper en rendant visible son intelligence communicationnelle par les effets produits, sur sa gestuelle et ses mimiques représentatives. En I964, la primatologue Jane Goodall observe dans leur habitat sylvestre les chimpanzés de Gombe, fabriquer et utiliser des outils, sortes de canes à pêche pour attraper termites et fourmis : un comportement dont la divulgation au sein de la communauté scientifique et du grand public fait voler en éclat les frontières que les philosophes avaient pris soin de tracer entre l’homme et l’animal. L’animal conçoit aussi des outils. Puis, c’est l’existence de comportements acquis, traditionnels, de cultures, d’entraide, qu’apportent des études et expériences en laboratoire et en zoo. S’ajoutent ainsi de nombreuses capacités cognitives et comportementales. Les grands singes se reconnaissent dans un miroir – une forme de conscience de soi -, ils peuvent apprendre et maîtriser un langage symbolique complexe de plusieurs centaines de signes, font preuve de machiavélisme et s’avèrent d’habiles politiques . E. Grundmann, 2008 (4). Ainsi s’avère le symbolique, mais si nous évoquons le symbolique, (l’imaginaire est acquis), s’ensuit le réel, puisque la pensée de Lacan homogénéise trois consistances, perspectives d’analyse de tout comportement humain, réel, symbolique et imaginaire. Si nous évoquons le réel chez Lacan ce serait ce qui est toujours là, comme limite, l’impossible à dire, le manque du manque qui échapperait à la symbolisation, et serait par cela même, impropre à une formalisation. Chez le singe, nous pourrions admettre que le Réel serait son patrimoine bio-physio-instinctif, son environnement naturel et humain, son corps et tout ce qui l’entoure. Chez l’homme, ce serait la constellation symbolique qui serait fondamentale pour l’agencement des dimensions de l’imaginaire et du réel, chacune nouée à l’autre. L’homme

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pris dans une dimension symbolique détachée, par l’acquisition du langage, de son ordre biologique et naturel : il prendrait ainsi une position de sujet qui ne serait pas dominé par l’imaginaire. Pas d’éthologie humaine chez Lacan, ni philosophie du moi, la spécificité du sujet est au-delà du naturel et du biologique et de la capture originelle du miroir. Dans la théorie analytique le sujet humain est déterminé par la dimension symbolique nouée au réel et à l’imaginaire. Que ce soit l’humain ou l’animal, si son environnement n’est pas suffisamment bon au sens Winnicottien, (mère suffisamment bonne, ni trop près, ni trop loin), des dysfonctionnements affectifs vont ralentir ses acquisitions ou les bloquer. Du côté de l’infans (enfant qui ne parle pas), qui ne comprend pas encore les mots qu’il entend, va repérer néanmoins que ces mots s’adressent bien à lui, l’appellent et l’interpellent. Cette médiation de la présence maternelle bienveillante lui est aussi vitale que l’air et l’eau. Nous pouvons mettre en parallèle de l’expérience de Nim, pas très motivé pour acquérir le langage des signes dans un environnement sans liens sociaux riches d’interactions, puisque dans l’expérience relatée par Paul Watzalawich, il s’agissait d’être rigoureux et de contrôler toutes les interactions : Nim n’est pas élevé dans un environnement favorable, au contraire, il est en cage, il est soumis à des observations constantes..(comment le supporteriez-vous ?) désagréables ! Rappelons que l’empereur Frédéric II, fit l’expérience de confier des nouveaux nés à des nourrices qui avaient l’ordre de les veiller tendrement et de satisfaire à leurs besoins, en s’abstenant de tout usage de la parole en leur présence. Le but étant de savoir quelle langue aurait parlé spontanément l’enfant. Cette expérience cruelle décima tous ces bébés cobayes, ils moururent sans exception. La qualité relationnelle de la mère à l’enfant autour de soins adaptés, de mots pour lui nommer les choses, les objets, les ambiances, la tendresse et son amour vont le faire entrer dans le monde symbolique du langage. Si, la parole permet d’inscrire un tiers, pour passer du corps imaginaire au corps symbolique, de l’acquisition de la langue aux signifiants propres à l’Autre, un pas supplémentaire est nécessaire. Après l’entrée dans le langage qui tissera une relation conflictuelle et incestueuse, un autre ordre doit intervenir pour devenir garçon et fille, soit se sexuer. La question du Père, du Nom du Père, comme l’étudiera spécialement Lacan dans la psychose faisant justement défaut, forclusion. Ainsi se centre la fonction phallique ; la parole de l’enfant le fait lui aussi intervenir par son existence, dans le désir de la mère comme manquante. Le corps de l’enfant libidinalisé par une mère désirante de lui apprendre le langage, l’entrée dans l’oedipe va instaurer par la fonction paternelle l’introduction de la loi du désir chez le sujet. Plus simplement dit, si maman désire ailleurs par ses absences, c’est qu’elle manque de quelque chose, l’enfant va alors s’aliéner au désir de l’Autre (sa mère) pour dans un premier temps vouloir être le phallus (ce qui lui manque) et ensuite se tourner vers l’autre porteur imaginairement du phallus, donc le père pour se séparer de sa mère et inscrire subjectivement sa place vis-à-vis de cet Autre avec ses propres signifiants. Séparation par l’acquisition de mots qui tueront la chose, nommeront symboliquement les objets en son nom propre, passant du moi au je : détour aliénant la parole à cet absolu du savoir qu’il reçoit dans son lien pulsionnel d’attachement et de dépendance, comment alors déroger aux paroles, messages de l’autre, ici le maître du savoir inculqué ?

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L’ENIGME D’ENOS : « ENOS, un autre chimpanzé fut envoyé le 29 novembre I961 en orbite autour de la terre. Une fois lancée, une fuite de carburant dévia la fusée munie de la capsule abritant Enos de sa trajectoire. Pire, un dysfonctionnement des circuits entraîna une inversion du système de punition-récompense et ainsi, à chaque bonne action, Enos ne recevait plus de récompense mais une décharge. C’est ici que ce situe le véritable exploit : Enos continua malgré les chocs électriques à effectuer les manœuvres qu’il avait apprises et savait correctes pour ramener la capsule sur son orbite puis sur la terre. Les hommes de la NASA, interloqués, répliquèrent ces conditions et les testèrent eux-mêmes mais ne réussirent pas à résister aux chocs électriques. Cette histoire nous démontre non seulement la grande capacité d’apprentissage des chimpanzés mais surtout le fait que ces compétences dépassent leur action. Au vu du comportement d’Enos, nous pouvons penser qu’ils soient également capables de manipuler le « concept » de justesse de leur réponse face à un problème posé, ici quelque peu abstrait ». E. Grundmann, (5). Nous pouvons nous demander si nous ne partageons pas nous aussi la maîtrise de l’enseignement et de ses apprentissages avec nos chers cousins, chacun avec notre code de communication, parole pour nous, langage spécifique pour eux. Nous pouvons aller plus loin encore dans notre réflexion et nous dire que dans cette expérience réussie, il a fallu que l’animal conditionné, désobéisse au maître pour trouver la solution efficace, sortir du conditionnement malgré la douleur, persuadé de détenir sa vérité, soutenir ainsi son idée de façon autonome, n’est-ce-pas déjà faire preuve d’autonomie et de subjectivité, non asservi au discours de l’autre ? L’appel du singe Enos, à un autre (son alter ego) n’a pas suffi puisqu’il a dû trouver librement son mode opératoire, sa propre réponse en quelque sorte, pour réussir sa mission. Il a donc produit un savoir différent, non plus basé sur la personne du maître de sa discipline mais sur les signifiants reçus arbitrairement qu’il a remis en question selon sa nouvelle logique inventive. Conduit par son choix à une nouvelle forme de désir, peut-on avancer que dans cette prise d’initiative l’animal comme l’enfant parlant a été interpellé par le grand Autre qui donne accès ou pas à la symbolisation ? L’animal de laboratoire pris à témoin pour répondre à un programme décidé par l’humain, donne la preuve dans cette expérience que son libre arbitre a opéré, opposant ainsi un démenti formel à la négation de la subjectivité chez l’animal. Chosifié, instrumentalisé, Enos a répondu non aux conditionnements absurdes, mettant au défi par son acte libre le concept d’objectivation de l’animal-machine. En conséquence, nous pouvons penser que l’animal regardé comme un objet n’a pas perdu pour autant son latin, ni son humour. Il a agi avec son grand Autre barré, pas tout puissant, dirions-nous en langage lacanien. Dans son imaginaire, qui nous dit qu’il n’entretenait pas lui aussi mépris, moqueries, haine ou indifférence face à son maître de torture ? on a bien vu des enfants se faire mal pour se soumettre au vœu inconscient de leur mère ! Avant Enos, le 31 janvier I961, le chimpanzé HAM (« jambon ») a été conditionné lui aussi pour faire un vol identique à bord de la capsule Mercury. Dressé à réagir à la couleur de lampes qui s’allumaient sur le tableau de bord du vaisseau. Il répondit de la même manière qu’Enos quand la tour de sauvetage se mit à feu, accélérant la cabine de façon anormale. S’il se

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trompait, une décharge électrique lui arrivait automatiquement dans la gueule, s’il avait la bonne réaction, une banane le récompensait. Dans son ouvrage, à la conquête de l’espace, Jacques Villain* nous relate les faits suivants : « Ce qui n’est pas du goût de Ham. Malgré cela, il remplit parfaitement sa mission, tirant sur le bon levier quand le voyant correspondant s’allume. Mais le pauvre singe n’y comprend plus rien : à chaque fois qu’il réussit, ce n’est pas une banane qui arrive mais une décharge électrique. Et le calvaire n’est pas terminé. La trajectoire est plus longue que prévu, de 200 km, et la décélération lors de la rentrée dans l’atmosphère plus sévère. Enfin, Mercury se pose dans l’océan Atlantique, où elle est ballottée comme un bouchon. Ham est victime du mal de mer. Quand l’équipe de récupération arrive sur les lieux, elle le retrouve épuisé. Quelques minutes plus tard, il aurait été noyé, car l’eau avait commencé à pénétrer dans le vaisseau. Il fit connaître son mécontentement par quelques grognements. Il attendit cependant d’être à terre pour manifester plus encore sa mauvaise humeur, au demeurant justifiée. Il fut sorti de la capsule lorsque celle-ci fut transférée à Cap Canaveral. Et là, il chercha à mordre tous ceux qui s’approchaient de lui. Quelques jours plus tard, les ingénieurs trouvèrent l’origine de la défaillance de Mercury et de la mauvaise humeur de Ham : un petit relais électrique qui n’avait pas bien fonctionné. » (6) Ham, victime d’un dérèglement de la capsule s’est mis en position « symbolique » de masochisme dont les observateurs dénient la vérité, faisant de l’interaction animal, machine, homme une affaire d’excellents cobayes pour tester notre cousin, afin de le remplacer dans la première mission de la conquête de l’Espace. Ces deux singes Ham et Enos, ont pourtant fini leur vie dans un laboratoire pharmaceutique, soumis à des expériences douloureuses, enfermés dans des cages métalliques. Reconnaître les capacités cognitives des primates, obligerait l’homme à tenir compte et à considérer ce qui se passe dans la boîte noire, comme lieu d’émotions et de souffrances. L’animal domestique soumis aux caprices et ordres contradictoires de son maître en manque de dialogue, ne serait-il pas perverti lui aussi par la relation irrespectueuse de celui-ci à son égard ? Nous savons que la névrose des animaux existe et trouve d’ailleurs ses lieux de soins. Répondre non, comme l’a fait Enos à son conditionnement pour des raisons plus « sensées », c’est entrer dans la relation symbolique, soit dans son rapport à l’Autre devenu par ce fait même non pas tout puissant, non barré, mais remis en question. Enos, devient par son attitude déterminée et singulière SUJET du SYMBOLIQUE, observation déniée par les expérimentateurs convaincus que l’animal ne pense pas et ne ressent rien d’affectif, en tout cas ils ne veulent rien en savoir. Comme ils leur manquent la parole pour exprimer autrement que par des grognements leurs humeurs, il est facile aux chercheurs d’inférer les conséquences des troubles psychologiques de l’animal à un comportement très bien adapté ou pas, faisant fi d’une subjectivité à l’œuvre. Ham, a suivi le parcours sans faute, en subissant lui aussi, dans la douleur, le programme préétabli faisant ainsi le jeu des expérimentateurs, le soumettant à leur système de conditionnement récompense-punition sans états d’âme. On reconnaît là, la part masochiste de l’animal, que nous pensions propre à l’homme et qui se voit ici, orchestrée par un système sado-masochiste induit par l’homme de science pour obtenir des résultats positifs dans sa quête de la maîtrise de l’univers.

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« SCIENTIFISER », LA BOITE NOIRE : Le pas est vite franchi pour se rappeler que le cognitivisme est un courant né en prolongation du Béhaviorisme. La psychologie cognitiviste se fonde sur l’idée que la pensée est décomposable en processus mentaux distincts qu’il convient de modaliser comme des entités relativement autonomes. Le comportement reste la principale variable expérimentale. Ce courant, finit par réhabiliter l’étude de l’esprit ou de la vie mentale utilisant la métaphore informatique pour appuyer ses théories. L’esprit conçu comme un système de traitement, les modèles tangibles sont utilisés pour représenter la réalité. Le cognitivisme émerge dans les années 40, atteint son apogée en I960, puis décline. Il est de plus en plus critiqué. Depuis I980, les progrès en neurobiologie favorisent l’essor de nouvelles conceptions : le connexionnisme, le darwinisme, le dualisme, l’émergentisme, poseraient la question d’une activité mentale assimilable à l’activité cérébrale ? Dorénavant, comment expliquer des réactions différentes à une même critique ? Comment se fait l’apprentissage du langage ? Si Chomsky démontre que l’enfant peut produire des sons jamais préalablement entendus, quelque chose doit exister dans la boîte noire ? En effet, l’esprit humain est de moins en moins considéré comme une boîte noire, les données des neurosciences s’accumulant, les publications sur la conscience sont en fait remplies d’expériences démontrant la présence de processus inconscients dans notre cerveau. L’accessibilité d’appareils d’imageries cérébrales de plus en plus performantes nous permet de confirmer l’hypothèse de l’Inconscient humain, découverte freudienne portant atteinte narcissiquement à l’homme qui pensait tout maîtriser de sa pensée sans reste. Jean Pierre Changeux *, en I983, dans son livre l’homme neuronal, met en évidence une relation causale entre structure du cerveau et fonction de la pensée. Il en découle que la conscience est issue d’interactions entre neurones où l’influx nerveux emprunte le chemin qui serait idéalement objectivable. Chemin qui s’auto-modifie avec l’usage, modifiant nos représentations du monde, tels sont les hypothèses d’un détracteur de la psychanalyse freudienne. Ne serions pas là aussi dans le déni du symbolique ? permettant ainsi de faire valoir pour l’être humain le même type d’objectivation de sa personne, s’appuyant sur le sous-bassement scientifique pour y loger une idéologie irrationnelle, l’homme n’étant qu’influx nerveux en interaction avec une pensée parfaitement maîtrisable donc contrôlable ? Force est de constater la proximité entre l’objectivation totale de l’homme et de l’animal à adapter à un environnement politiquement correct, aux sous-bassements idéologiques contestables. En effet, que sous tend le désir de l’expérimentateur, du chercheur voulant à tout prix objectiver l’humanité chez l’homme comme chez le singe ? Un déni du symbolique qui pose le problème du retour dans l’agir, le passage à l’acte de ce qui n’est ni élaboré, ni pensé, ni parlé au-delà de la conscience rationnelle, retour mortifère, dramatique chez les humains comme nous le préciserons plus loin, dans la tuerie de Nanterre.

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De tout temps, l’effacement de l’inconscient s’est inscrit dans la quête de l’origine de la théorie de l’esprit, mais, Enos démontre que les hypothèses de ces expériences peuvent être tout à fait fausses. Il n’est qu’à réfléchir aux fondements théoriques qui sous-tendent le DSM-IV , un autre essai d’objectivation radicale. L’Association psychiatrique américaine (APA), publie depuis I952 le DSM IV, considéré comme la bible des « maladies » mentales. Dans sa quatrième édition, le dernier DSM répertorie à ce jour 410 maladies mentales soi-disant constamment en hausse. « Les catégories des maladies mentales désignées par l’appellation « troubles de l’humeur » et schizophrénie », plus d’autres troubles psychotiques. Sur les deux principales catégories pour lesquelles un traitement psychotique est habillement proposé, le lien entre le recours du DSM et la consommation de produits des firmes pharmaceutiques devient une évidence ». Guy R.Peloquin (6). Les anti-dépresseurs et neuroleptiques totalisent des ventes annuelles « autour de 8,5 milliards de dollars, chiffres qui passerait à I8, 7 milliards de dollars pour l’année 2007 comme nous l’annonce cette association. Non seulement il y a lieu de s’inquiéter à l’égard de certains aspects mercantiles de ce manuel de diagnostic, mais, si le DSM IV se veut athéorique, son approche biologique est bien issue du béhaviorisme. Les symptômes quantifiés, durant l’enfance et l’adolescence du sujet sont des données qui diagnostiquent des troubles anxieux et dépressifs en déviation par rapport à une norme. L’approche adoptée par le DSM IV vise à éliminer l’interprétation du diagnostic. Cette étude basée sur le comportement de l’individu et non pas sur les jugements individuels relatifs à nos sentiments et états d’âmes, réduit la personne à une boîte noire, excluant toute subjectivité humaine, mettant en doute l’existence du psychisme donc de l’inférence subjective de toute activité des organismes humains. Sauf que le behaviorisme est démenti comme explication du psychisme par l’histoire d’Enos. LA TUERIE DE NANTERRE Ne pas vouloir « entendre » la souffrance du sujet manifestée par différents symptômes et somatisations corporelles, actes de folie, a un coût pour l’humain et son environnement sociétal. Ce que nous nommons agir, passage à l’acte en psychanalyse s’avère actif dans la rubrique des faits divers, où l’individu en quête d’écoute, d’intérêt pour son ego, se trouve désocialisé, marginalisé, voir dépressif, sans repères dans de nombreux cas, ou soigné psychiatriquement sans l’écoute de l’inconscient. Ainsi, Richard Durn, tua dans sa fusillade en mars 2002, huit élus et en blessa 19, en plein conseil municipal, alors qu’il se trouvait dans le public, son arme dissimulée sous sa veste. Dans sa lettre –testament, envoyée à une amie avant son passage à l’acte il décrit son projet : « puisque j’étais devenu un mort-vivant par ma seule volonté, je décidais d’en finir en tuant une mini élite locale qui était le symbole et qui étaient les leaders et décideurs dans une ville que j’ai toujours exécrée.. ». Il explique vouloir tuer le maire, puis « le plus de personnes possibles » avant de se tuer ou d’être tué. « Je vais devenir un serial Killer, un forcené qui tue. Pourquoi ? Parce que le frustré que je suis ne veut pas mourir seul, alors que j’ai eu une vie de

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merde, je veux me sentir une fois puissant et libre ». Que ce soit du côté de la maladie mentale, objectivée par un Docteur Psychiatre devenu « technicien » d’un diagnostic pré-établi à l’avance, selon des critères répertoriés sous l’appellation de troubles, en fonction d’une norme établie par quelques uns, ou d’Enos non délirant passant à l’acte pour redresser sa trajectoire malgré les coups violemment reçus, ce qu’il manque dans la relation à l’autre, c’est bien un interlocuteur humain qui « entendrait » autrement la souffrance dans une volonté d’en savoir autre chose q’un conditionnement à une norme d’adaptation à un système idéologique donné. Ce qui sous-tend ces outils diagnotics comme le DSM4 nous permet de nommer l’aberration d’une telle catégorisation de la difficulté de vivre, sous le couvert de la Science Médicale. Le DSM4 est bien fondé sur une erreur scientifique qui permet aux intéressés à l’initiative du projet, de ne rien savoir sur le contenu de la dite boîte noire, par conséquent de leur propre subjectivité. Nous savons depuis Freud que la folie n’est pas une maladie, ni issue des gênes, ni la conséquence de malédictions ou mauvais sorts jetés sur les personnes. Michel Foucault * dans son livre l’histoire de la folie, reconnaît que celle-ci fixée comme maladie psychique et réduite au silence par les positivistes, fut par Freud placée du côté d’un dialogue possible avec la déraison. Dans son livre les mots et les choses, il dira de Freud qu’il est « le premier à avoir entrepris d’effacer radicalement le partage du positif et du négatif, du normal et du pathologique, du compréhensible et de l’incommunicable, du signifiant et de l’insignifiant ». Nous conclurons cet article sur la problématique posée par Enos, via le béhaviorisme, les thérapies comportementalistes, par l’apport de René Major *, dans son article pour Libération le 19 juin 2004. René Major, dans son dernier livre, « nouveau millénaire, défis libertaires » Folie et vérité nous rappelle : « Si Foucault met en rapport la folie et la vérité, le sexe et la vérité, ce qui est absent, c’est le rapport entre la folie et la sexualité. Ce que la psychanalyse découvre, ce n’est pas « ce bavardage infini de la raison sur la sexualité », mais plutôt le lien intime de la sexualité avec le murmure secret de la déraison, depuis la vie quotidienne jusqu’aux délires. Le caractère pervers polymorphe de la sexualité infantile dont parle Freud n’a jamais été un secret, sauf dans certains prétoires. C’est en tant que mémoire inconsciente que son contenu se voile ou se dévoile alors que les pulsions qui en organisent les fantasmes ou les scénarios viennent se mettre au service du pouvoir, jusque dans sa plus obscène cruauté, comme en témoignent les « actualités ». Chantal Cazzadori Eté 2008 Bibliographie : (1) Grundmann Emmanuelle, auteur du livre « l’Homme est un singe comme les autres » avec Fontenat Dominique photos humains, Ruoso Cyril photos primates, Hachette pratique, 2008 (2) Lestel Dominique, «L’animalité, essai sur le statut de l’humain », p.22, chez Hatier I996. (3) Lafont Jeanne, « les dessins des enfants qui commencent à parler, p. 62, EFEdition Jeanne Lafont.

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(4) Grundmann Emmanuelle, « l’homme est un singe comme les autres », (5) Ibid p. 158 l’exploit d’Enos (6) Jacques Villain, auteur « A la conquête de l’Espace, de spoutnik à l’homme sur mars », p.225-226 Chez Vuibert Ciel et espace, mai 2008. (7)

R.Peloquin site internet : www.enfantshyperactifs.org

* psychanalyste à Amiens.

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Le Courrier Picard Version Fémina semaine du 15 au 21 avril 2013 Date : 23 avril 2013

Le Courrier Picard - Version Fémina - semaine du 15 au 21 avril 2013

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"L'effroi du néo-management" Date : 4 juin 2013

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Que se passe-t-il aujourd’hui dans les entreprises ? Une nouvelle forme de management re?gne : le ne?o-management. Nous sommes tous surpris par l’a?prete? du quotidien, les vagues de suicides, les licenciements massifs, la naissance d’une nouvelle classe sociale que l’on baptise les travailleurs pauvres. Du capitalisme industriel nous sommes passe?s a? un capitalisme financier. Mais jusqu’ou? allons-nous aller ? D’ou? nous vient le ne?o-management ? D’un monde dont l’e?talon du de?sir est de?sormais l’argent. Au sie?cle des Lumie?res, Kant e?crivait de?ja? : « Ce qui n’a pas de prix, c’est ce qui posse?de une dignite?. » Alors, l’avons-nous perdue ? Une psychanalyste se penche sur le sujet. Ce monde de peurs dans lequel nous e?voluons, ce monde qui refuse le risque, l’auteure Chantal Cazzadori le traite tous les jours dans son cabinet de psychanalyse, discipline qu’elle exerce depuis biento?t trente ans. Son expe?rience de formatrice, consultante en cabinet prive? l’a pousse?e a? explorer ce qui se passait « a? l’exte?rieur », dans les entreprises. Elle est revenue sur trois de ses expe?riences. L’auteure nous livre ses outils, ses pistes de re?solution de conflits ainsi que sa remise en question personnelle. Elle nous guide dans le monde de Freud et de Lacan pour comprendre les bases de la psychanalyse, a? partir de concepts tels que l’objet, l’acte, la jouissance, le re?el, dans la relation transfe?rentielle in situ. Elle termine chacune des trois histoires par une se?rie de questions qui nous interrogent sur la fac?on d’appre?hender le ne?o-management. Ses premiers « lecteurs managers » se sont pique?s au jeu et ont re?pondu. Cet exercice, ve?ritable espace de cre?ativite?, est a? faire... Comment s’en sortir ? Christophe Dejours, qui depuis quarante ans propose une approche psycho-dynamique du travail et de l’action, nous le dit et le redit : « Le syste?me ne fonctionne que gra?ce a? notre consentement et notre ze?le, nous pouvons le mettre en panne et en construire un tout autre. »

Allons-nous attendre que tout explose ? Dominique Ronfaut Consultante en marketing et communication

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Qui lira, boira Date : 13 juillet 2013

Arles le 13 juillet 2013 "Qui lira, boira" C'est plus qu'un slogan, c'est une intéressante initiative prise par l'équipe d'Acte Sud qui fête ses 30 ans cette année. Chaque semaine à 11H, un intermède littéraire est organisé autour d'un apéritif de mets et de mots. Des romans qu'on a particulièrement aimés sont présentés par des lecteurs assidus et éclairés. Le cercle est ouvert aux passionnés, sa configuration change au gré des nouveaux venus. C'est dans ce contexte que mon livre a fêté ses débuts. Je l'ai présenté le 13 juillet, ce fut un bon moment... Il est maintenant exposé dans cette grande bâtisse pour y rencontrer lui aussi son lecteur. Une destination arlésienne signe sa première envolée. Chantal Cazzadori, Psychanalyste auteure-éditrice de L'effroi du néo-management, trois expériences impossibles aujourd'hui ?

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Le courrier Picard Version Fémina semaine du 1 au 7 juillet 2013 Date : 24 juillet 2013

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L'histoire de la psychanalyse (partie 2) Date : 25 juillet 2013

Sigmund Freud et La Psychanalyse partie 2 par supervielle

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L'histoire de la psychanalyse (partie 3) Date : 25 juillet 2013

Sigmund Freud et La Psychanalyse partie 3 par supervielle

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Les derniers temps de Michel Crozier Date : 25 juillet 2013

Cet éminent sociologue est décédé le 23 mai 2013. On ne peut ignorer sa recherche de terrain dont les travaux et les concepts ont contribué à analyser les blocages de notre Etat. Ses thèses ont été à la source de nombreuses réformes et restent aujourd’hui encore d’actualité. Il est le principal concepteur de l’analyse stratégique des organisations, également auteur d’une vingtaine d’ouvrages clef de 1955 à 2007, comme : « Les phénomènes bureaucratiques », « La Société bloquée », « On ne change pas la Société par décret », etc..

Michel Crozier, fondateur et président du Centre de Sociologie des organisations, a écrit son premier livre entièrement consacré à l’entreprise que j’ai découvert et travaillé en mars 1992,

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car sa conception managériale : écouter, laisser faire, réguler m’a illuminée. Pionner de la gestion participative, alors que dans la pratique c’est encore le règne de la suspicion et du commandement autoritaire, il prétend que le chef d’entreprise ne peut que « libérer l’initiative ». L’histoire lui donna raison, il devint l’un des plus célèbres sociologues français, internationalement connu et reconnu. Sur son épée d'Académicien, il a fait graver trois mots, "Trois mots volontairement trop simples et trop banals qui résument le sens de son travail de tous les jours, écouter, comprendre, agir." * A l’occasion de la sortie de mon livre, j’ai souhaité le rencontrer puisque j’y avais fait référence. J’ai été amenée à le découvrir par ses œuvres et là, je voulais moi aussi le trouver sur le « terrain » ! Quel privilège j’ai eu … Alors qu’il traversait depuis 2013 une phase critique sur le plan de sa santé, j’ai été saisie par le courage et la dignité de cet homme quasiment immobile et sans parole. D’emblée je m’y suis attachée, souhaitant le soulager du poids de la réalité de sa fin de vie, en lui préservant son statut d’homme à la hauteur de ses idéaux énoncés dans ses livres. Je suis partie du principe qu’il pouvait soutenir durant une heure, la lecture et les commentaires d’une de ses œuvres en relation avec la problématique développée dans mon ouvrage. Cette partie fut gagnée, nous avons sans doute repousser quelque peu l’échéance. L’esprit, l’intelligence et l’affection lui ont redonné du souffle, il « revivait » comme on dit, à chacun de mes passages. Il semblait bien que la vieillesse était supportable pour Michel Crozier qui ne cherchait pas à en atténuer ses signes. Homme d’esprit, il dominait son corps avec élégance et souplesse. A 84 ans, il rentra de Chine, enrichi par une nouvelle expérience sociologique quand l’accident le surprit, heurté par un « deux roues » qui passa au feu rouge, il s’effondra. Précipité dans un handicap jusque là inédit, son univers devait se recomposer radicalement. Quand je l’ai rencontré le 9 mars 2013, il avait déjà suivi tout un parcours de soins pour relever un tant soit peu le déficit cognitif, la défaillance motrice et la dépression. Courageusement, il s’anima du désir de maîtriser son corps comme pour retrouver son autonomie décisionnelle et son libre arbitre d’avant. Cependant, se mettre à l’écoute de son corps défaillant, en contrôler ses réactions, c’est aussi tenter de reconstruire son schéma corporel ainsi que son image du corps atteinte. Nous entrons là dans le domaine de la subjectivité, car la chair ce n’est pas que de la matière. Habité par la parole, le « parlêtre » comme disait Lacan, aura accès au symbolique qui lui permettra de se représenter ses pensées sans confondre l’imaginaire et le réel. Etre de désir et de besoin, il aura de son image, support du narcissisme, une représentation liée à son histoire de sujet singulier. Le vécu de souffrance parle bien au-delà de ce qui manque visiblement. L’identité profonde est perturbée, atteinte lorsqu’un évènement brutal surgit tel cet accident qui aurait pu anéantir Michel Crozier. Traverser toutes ces difficultés, pour continuer à dire « Oui à la vie », exige du sujet de réinvestir autrement son corps devenu impropre. Michel Crozier n’est pas passé de la primauté de l’esprit à la primauté du corps, il les a tenu ensemble, jusqu’au bout, il a continué à lire, à marcher régulièrement à petits pas. Nous savons combien un « handicapé » est quelqu’un qui provoque en général de l’émotion.

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Le manque qui est au centre de la problématique était ici redoublé par le manque de paroles ! Dans sa dernière année, ses mots étaient rares… Comment ne pas régresser, se laisser aller à une forme de chosification quant la parole s’absente ? Reculer sur le chemin de l’inhumanité, c’est se laisser gagner par les forces destructrices de la pulsion. Son entourage veillait à ce qu’il soit « visité », sorti, oui mais, le temps fait aussi son œuvre. Il avait pourtant trouvé en lui de quoi vivre, de quoi compenser ses manques sur un autre plan sans doute. J’émets l’hypothèse que cela ne se fait pas tout seul. Si j’ai pu soutenir mon désir déjà de le rencontrer puis d’aller régulièrement le voir pour « échanger » sur son travail de sociologue, c’est sous la demande expresse d’Anne De La Borde-Caumont, son accompagnatrice qui l’entoura jour et nuit, cinq jours sur sept, au cours de ses neuf derniers mois de vie. Anne est d’abord une affective, sachant qu’un être humain ne se résumait pas qu’à son corps, surtout quand la dépendance à l’autre est si grande. Il lui fallait d’abord l’aimer, s’y attacher, avoir envie de s’investir, ce fut chose faite. Admirative du « potentiel » de cet homme célèbre, elle cherchait à travers les premières rencontres un vrai contact, un partage fait de respect pour approcher avec intelligence et tact ce grand corps mobilisé. A travers son regard vif, elle y trouva sa force de caractère, dernier roc pour marquer sa dignité. Elle perçut vite ses manques, ceux que seul un être attentif et aimant peu capter pour y remédier. Elle était tout sauf fonctionnelle, bien qu’aux petits soins de ses besoins d’homme très dépendant à ce moment là. Si parler c’est vivre, elle trouva le chemin des messages qui permettent une communication subtile, à travers les gestes quotidiens autour du corps, de la nourriture, de sa présence attentive, de son bien-être d’être là, pour lui, pour elle-même, pour cette relation intime si exceptionnelle. Sans doute que ce rejouait là une histoire impossible d’une autre scène, peu importe, elle a vécu une belle expérience humaine qu’elle m’a traduite avec tant d’émotion et de respect. Ma présence régulière au côté de Michel Crozier, se fit essentiellement à trois, nous le replongions dans sa vie professionnelle, son œuvre, ses avancées. Je lisais et commentais son livre : « l’entreprise à l’écoute » qui m’avait tant inspirée quand je travaillais dans les entreprises, en qualité de cabinet conseil. Anne le découvrait, enjouée, ravie, fière aussi de le « servir » aujourd’hui. Je faisais des retours sur mon livre qui venait de sortir et qui m’a permis de rencontrer ce Monsieur auteur de cette pensée : « Le management scientifique et hyperationnaliste affiché dans les organigrammes est démodé, l’ambition du nouveau management c’est la valorisation maximale de la ressource humaine. »* Précurseur d’une idéologie qui hélas ne met plus l’homme au centre du travail, il aura réussi à vivre ses derniers moments à côté d’une femme qui fait partie du monde des invisibles, aux qualités que lui-même revendiquait. Pur hasard ? Non. Les valeurs qui traversent son œuvre se sont mises en échos avec celles qu’il choisit, Anne De La Borde Caumont, pour l’accompagner, dignement, humainement vers son crépuscule lumineux. Mue par son désir de se dévouer à l’Autre dans une éthique humaine, Anne a soutenu ainsi combien les valeurs du travail que sont l’utilité, la belle ouvrage et la beauté, nous transforment

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et nous rétribuent par la reconnaissance de nous-mêmes et des autres. Je voulais par cet article lui témoigner moi aussi, toute ma reconnaissance d’avoir tant insisté pour que je rencontre cet homme parti trop vite …. Sans sa fille Anne Crozier, ces attachantes rencontres n’auraient pas eu lieu, je la remercie vivement. Chantal Cazzadori, Psychanalyste Amiens Juillet 2013 * Découvrez son site les amis de Michel Crozier : www.michel-organisation.org * L’effroi du néo-management, trois expériences impossibles aujourd’hui ? p. 60, Chantal Cazzadori, éditrice-auteure de ce livre.

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Suicide à la mairie d'Amiens Métropole Date : 25 juillet 2013

Une expérience de plus hélas, qui témoigne du suicide au travail d'un cadre supérieur amiénois fort investi dans sa fonction. La question qui nous assaille : Pourquoi ? Que faire ?Tout d'abord briser la loi du silence. Imputer en général le geste suicidaire à un "terrain " dépressif ou psychopathologique propre au suicidant, ou à des conflits affectifs dans la sphère privée , n'est-ce pas une manière pour la direction de toute entreprise de se défausser ? Retourner la violence contre les autres ou contre soi-même, a toujours existé, ce qui est nouveau c'est d'accomplir cet acte sur le lieu de travail. Deux raisons sont identifiées par Christophe Dejours et Florence Bègue* pour dire pourquoi, il n'y avait pas jadis de suicide sur les lieux de travail. Dans les métiers d'hommes (bâtiment, armée, nucléaire, industrie chimique, automobile..), des stratégies de défenses spécifiques élaborées pour lutter contre la souffrance se manifestaient. Les valeurs de courage, d' endurance, d'invulnérabilité s'exhibaient au nom d'un homme digne, fort donc invincible. La peur serait indigne d'un homme qui ressemblerait alors davantage à une "femmelette", et susciterait donc le mépris. Sans compter que la dépression et son cortège de troubles psychologiques renverraient au ridicule, confondant souffrance psychique au travail et maladie mentale induite par le mot psy..., pour ne pas dire folie. Ne vaut-il pas mieux alors cacher la nature psychique de la douleur pour éviter la honte d'avoir peur ? La deuxième raison c'est que, lorsque après un accident de travail, le salarié en difficulté de reprendre car traumatisé par sa chute par exemple, adoptait un comportement qui suscitait bien son malaise, l'entourage s'en souciait et lui demandait des explications. En le forçant à parler, on s'intéressait à lui, on le protégeait, on l'aidait. Stratégies de défense et entraide renvoient au lien social bien ancré pour faire face à la

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souffrance au travail. Cette époque aux valeurs de solidarité serait-elle en voie de disparition ? Ce 15 juillet 2013, nous lisons dans les faits divers qu'un suicide amiénois, d'un cadre supérieur, sur son lieu de travail a surpris tous les salariés de la Mairie d'Amiens et ses habitants. Cela m'évoque par la violence de son geste irrémédiable, l'isolement, la solitude dans laquelle peut se trouver aujourd'hui, un communiquant dont la fonction était justement de reclasser des agents territoriaux en mal-être dans leur poste. Chargé des services liés à la citoyenneté et à la vie sociale, cet homme reconnu et apprécié, s'isole , il se serait tuer juste avant de prendre ses congés, probablement dans la nuit de dimanche à lundi ; situation paradoxale non ? Quelle est la racine du mal contre l'isolement ? Nous franchissons là un tournant historique puisque le travail peut contraindre à se tuer soi-même. Que se passe-t-il pour que le collectif soit ignorant du malaise d'un collègue à ce point là ? Se suicider sur le lieu de travail renvoi à un appel à l'autre, sous-entend un message non décrypté, en instance ! Un acte à chaque fois singulier, mais mis en scène pour que le public en soit directement témoin, surpris et subitement questionné sur les raisons qui sous-tendent ce comportement. Le première réponse est souvent cherchée dans la vie privée, ce qui est là aussi, mis en avant dans la cause immédiate invoquée par les médias. Cependant, qu'en est-il de sa tâche à accomplir vaillamment chaque jour pour faire face à ses objectifs ? Toute la personnalité est engagée dans l'accomplissement d'une responsabilité, et la valeur travail est souveraine, elle permet de se transformer soi-même. Aujourd'hui, l'autonomie au travail est prônée, de quel type de management relève-t-elle ? L'organisation du travail qui devient un facteur d’inquiétude, d'insécurité dans l'entreprise publique et privée, ne mériterait-t-elle pas d'être elle aussi interrogée dans ces circonstances ? Il est temps d'ouvrir des espaces de délibération, d'échanges d'opinions sur les questions du travail pour lutter justement contre l'isolement . Ceux qui restent devant cette conduite suicidaire qui leur est aussi adressée qu'en pensent-ils ? L'urgence du collectif et sa mise en place serait plus efficace pour travailler, car nous ne faisons pas que produire, nous devons vivre ensemble, et au mieux ! Aujourd'hui des essais d'une "humanisation " sous forme d'apprentissage à la gestion du stress, à la relaxation, ticket psy, etc.. viennent "adoucir" la souffrance au travail, ces mesures-sparadrap, ne sont plus à l'heure. Le savoir appartient à ceux qui travaillent, qui connaissent les règles du métier. L'imposition d'une politique axée sur le résultat, sans tenir compte du réel du travail a des effets délétères sur la santé psychique de la personne, tout le monde en fait le constat. Dans la région de Lyon, des entreprises bienveillantes doutent de plus en plus de cette visée à la performance, au zéro défaut, et initie des expériences pilotes, humanistes prenant en compte l'homme et sa place centrale dans l'organisation et ça marche ! En attendant, outillons notre pensée pour ne pas banaliser le mal qui sévit dans nos entreprises où le chacun pour soi défait les liens de citoyenneté. Passons à la responsabilité et l'action qui convoquent le collectif formé par les salariés, syndicats, professionnels de la santé au travail et spécialistes de ces questions à se réunir pour élaborer des solutions en accordant du temps à l'écoute du terrain, afin de réfuter cet effroi que produit ce néo-management , comme je l'écris également dans mon livre. Chantal Cazzadori psychanalyste, auteure-éditrice * Suicide et travail : que faire ? Christophe Dejours, Florence Bègue.

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Un train peut en cacher un autre... Date : 14 août 2013

Dessin réalise par MM. créatrice textile

La déferlante néo-managériale ne sévit pas que dans le monde de la production où se compte des millions de salariés, elle s'impose également dans les milieux de l'art et de l'artisanat. Récemment, j'ai été amenée à rencontrer une dessinatrice textile, dont on dit qu'elle est une des "meilleures mains" de Paris dans ce domaine. M.M. travaille en effet pour les plus prestigieux éditeurs de tissus d'ameublement français et étrangers. Diplômée brillamment de l’ENSAAMA (école nationale supérieure des arts appliqués et des métiers de l’art), estampillée très tôt manuelle et fière de son caractère bricoleur, elle en fit son cheval de bataille. Lors d'une journée « portes ouvertes » durant laquelle, M.M. nous présentait son métier, j'ai pu admirer la créativité de ses dessins originaux et somptueux en écoutant attentivement ses commentaires sur la réalisation de ses échantillons et maquettes généreusement exposés. Au cours de cet échange, à mon grand étonnement, j'appris qu'elle ne signait pas ses œuvres ! Ce

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sont les "us et coutumes" de ce métier largement féminisé avec l'industrialisation précisera-telle. A la fin du 19ème siècle les dessinateurs, exclusivement masculins, étaient connus nommément puisqu'ils signaient leur travail car ils étaient considérés comme des artistes. Elle en prit son parti, se revendiquant avant tout artisan, quoique !!! Dans l’ameublement où elle a commencé, voici maintenant trois décennies, une commande se passait deux ans avant que le tissu ne sorte en collection. La qualité était inconditionnelle à la commande, cette valeur reconnue comme label faisait la notoriété des tissus d'ameublement richement décorés de motifs inspirés ou imposés. Aujourd’hui, le temps s’est rétracté, on lui demande cinq mois pour finir ses créations, sachant que les dessins seront imprimés quelques mois après, c’est ce que l’on appelle du « management sous pression », alors que sa technique, crayon, papier, peinture est toujours la même. Derrière ces délais de plus en plus courts rôde une menace, celle de ne pas avoir de boulot si les exigences en temps ne sont pas respectées ! Comme M.M. ne peut céder sur la qualité de son travail, par peur aussi de ne pas y arriver, elle investit son temps personnel qui désorganise ainsi sa vie privée, ce qu'elle déplore bien évidemment. Évaluée sur ses qualités artistiques et ses compétences professionnelles acquises, elle doit s’adapter à une organisation du travail régie par un système néo-libéral qui fait fi de plus en plus des règles du métier, en exigeant des objectifs de temps atteignables qu’au prix de « sacrifier » sa vie personnelle. D'ailleurs il lui est arrivé récemment de refuser des commandes, ne pouvant satisfaire humainement aux délais imposés. Dans la nouvelle organisation du travail de plus en plus éloignée du réel du métier, comme ici, on confond l’évaluation du travail avec l’évaluation du temps de travail, ce ne sont pourtant pas des dimensions équivalentes. « Marx soutient déjà que le travail n’est pas mesurable, car il procède d’une expérience subjective qui est fondamentalement incommensurable à toute autre chose ». * Si on ne mesure pas que la durée de l’effort, comment restitue-t-on son intensité, sa qualité et son contenu ? Cet impensé on va le retrouver chez les plus fervents de l’évaluation individuelle du travail. Comment oser dire qu’on évalue le travail quand on ne pénètre pas dans l’expérience vécue de celui ou de celle qui travaille, autrement dit, « l’expérience subjective du travail ». On s’aperçoit qu’entre la prescription du travail et son réel, (inattendus, pannes, incidents, anomalies etc..), il existe un décalage qui lui n’est jamais pris en compte. Si travailler c’est combler l’écart soit le réel entre le prescrit et l’effectif, pour le clinicien, « le travail se définit comme ce que le sujet doit ajouter aux prescriptions pour pouvoir atteindre les objectifs qui lui sont assignés ».* Quand les gestionnaires et les économistes prônent une approche objectiviste et macroscopique de la description du travail, (en ramenant à quelques critères l’ensemble des règles du métier), on ne peut que mesurer la discordance qui existe entre cette approche dite scientiste et celle des chercheurs en Sciences Humaines du travail, qui repose sur une approche compréhensive et intersubjective. Le travail effectué dans la création artistique est davantage soumis à la subjectivité de l’artiste qui pour s’inspirer, nourrir son travail a besoin de temps « inutiles », non indexés sur la

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rentabilité productive. Les délais très raccourcis imposés aux créateurs portent atteintes à la qualité de leur réalisation, donc à leur vitalité autrement dit à leur santé psychique. Un train peut en cacher un autre.. Aujourd'hui, M.M. qui s'est fait discrètement, silencieusement mais sûrement un nom dans ce milieu d'excellence et de luxe de la création textile est devenue incontournable. Copiée, imitée, mal payée trop souvent, elle soutenait son désir du travail bien fait, de la bel ouvrage comme on dit, car le temps effectué pour l'accomplir lui donnait du sens, et le rendu suffisait à la faire exister à ses propres yeux, participant ainsi à sa transformation narcissique. Je la questionnais plus hardiment sur son statut de créatrice anonyme, à l'identité effacée, car sa rationalisation des "us et coutumes" pour la justifier me semblait suspecte. Et là, les dessous de l'histoire se révélèrent tout autre. Sa force, sa joie, son habileté, lui ont été reconnues très tôt. Penchés sur son berceau, ses parents disaient d'elle : "qu'elle enfilait déjà des perles". Ces capacités sont vite dénigrées par sa mère qui rêvait surtout d’enfant artiste, intellectuel, me dira-t-elle. Il y a mille et une façons de faire comprendre à son petit qu’il ne l’intéresse pas avec ces goûts là, comme celui de ne pas lui fournir les moyens de se réaliser par exemple. N’est-ce-pas une manière sourde mais radicale de dire non à son désir ? La discrimination subie dans sa fratrie trouvait ses assises à nouveau dans cette corporation où les femmes dessinatrices n’étaient pas reconnues depuis plus d’un siècle. L’interdit posé par sa mère depuis toujours, revint par ce détour qui laissait croire que ce statut lui allait bien. Position défensive, déni posé là pour continuer à refouler l’injonction maternelle trop angoissante de faire ce travail dévalorisant à ses yeux, mais pourquoi un tel mépris pour le travail manuel ? M.M. se dit hyper adaptée, supportant tout pour y arriver, maintenir son activité dans les moments difficiles comme celui de l’année 2008 qui dura trois ans, durant lesquels elle entreprit nombre de petits boulots pour faire face à la crise, autrement dit, à aucune commande textile. Elle sait batailler pour continuer à exercer, ne pas lâcher sa passion, mais elle déteste batailler pour se faire reconnaître, « je ne sais pas me vendre » pense-t-elle .... Combien d’années a-t-elle passées en vain, à chercher à se faire aimer, regarder, reconnaître par sa mère qui l’ignorera comme elle-même l’a été d’ailleurs ! Voici le point de nouage qui fait symptôme aujourd’hui encore. Et le père, quelle fonction a-t-il eu dans cette quête vaine de reconnaissance gagnée tout de même envers et contre tout ? Il a donné des signes, il a perçu l’effacement de sa fille, il y a pallié, timidement d’abord, puis de plus en plus ouvertement. Il lui faudra "transgresser" le tabou d'une mère toute puissante pour apposer enfin sur son œuvre le nom de son père qu'elle porte si bien par ailleurs. Elle dit être née une deuxième fois à 19 ans quand elle sût qu'elle pourrait s'épanouir dans ce travail, aidée matériellement par son père séparé de sa femme. Pour vouloir qu'on reconnaisse "sa patte" comme elle dit, d'où s'expriment

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si parfaitement ces petites mains en or, ne devrait-elle pas en passer par un acte d'inscription publique, apposant ainsi sa signature qui redonnerait au Nom du Père son blason de séparateur d'avec la mère ? Ne serait-ce pas une belle façon symbolique de s'en servir de ce père, dans une nouvelle version ? Aujourd'hui, amenée à céder sur la qualité pour répondre à la quantité que lui restera-t-il pour défendre son travail exceptionnel sans avoir pu s'affirmer, se faire reconnaître par son NOM ? On ne peut tout incriminer au nouveau système d'organisation du travail. Il s'agit ici de restaurer d'abord, une identité déjà problématique au temps où les conditions de travail étaient acceptables. L'impact de la dureté du système néo-managérial ne risque t-il pas d'avoir raison sur ses possibilités à se soutenir à bout de bras si M.M. ne "travaille" pas sur son rapport à sa mère, son père et à elle-même afin de s'autoriser à sortir de cette forme d'aliénation à l'Autre ? M.M., saura-t-elle défendre et assumer publiquement son statut d’artiste sur ces deux plans, pour résister à la marchandisation de son talent créatif ? Gageons que Oui ! Que la petite aux mains en or qui a si bien su déjà faire son « beurre » malgré de nombreux écueils rencontrés sur son chemin où les nombreux « pas-sages » lui ont garanti son passage du côté des grands de ce monde qui savent « la regarder, l’admirer, s’en entourer » à travers son art décoratif inscrit dans ces grands Hôtels et Palaces des plus belles capitales européennes. Chantal Cazzadori, Psychanalyste Août 2013 * Christophe Dejours, 2003, Editions INRA ; L’évaluation du travail à l’épreuve du réel, critique des fondements de l’évaluation, p. 10 et p. 14

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Virgin: une Organisation désymbolisée, liquidée voire jetable? Date : 3 septembre 2013

On l'appelait le navire amiral des Champs Elysées, deuxième enseigne de distribution de produits culturels de l'hexagone depuis 1988. Pour ce luxueux bâtiment, symbole d'une économie qui marche sur la tête, le clap de la fin est tombé. Virgin "Megastore" est déclaré depuis le 17 juin 2013, en liquidation judiciaire, par le Tribunal de Commerce de Paris. Pour l'un des lieux favoris de la jeunesse parisienne ainsi que 26 magasins du groupe, laissant sur le carreau 960 salariés, voués au chômage, c'est une véritable casse sociale. Quelles sont donc les raisons de ce déclin irrémédiable? Pour les uns, l'inéluctable assèchement des marchés du CD, DVD et jeux vidéo sur console, dont pâti également la FNAC, vouait le marché à sa perte. Sans compter le coût exhorbitant des loyers de ces "mégastores" souvent implantés en centre ville. Pour les autres, la mutation des industries culturelles a bon dos, car le téléchargement, les loyers trop chers, ne couvrent pas toute la réalité du problème.

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Un peu d'histoire de la naissance de ces lieux pourrait nous éclairer. Le groupe Lagardère (2001-2008), actionnaire minoritaire qui poursuit sa politique expansionniste en ouvrant les sites de Montpellier, Nice, Toulouse, Nantes, Melun.., n'aurait pas pris certaines décisions stratégiques devant le recul de la consommation et la dématérialisation des supports culturels. Le groupe Butler Capital Partners, actionnaire depuis 2008 jusqu'à 74%, rachète l'enseigne en difficulté, effectue l'opération presse-citron avant de s'en débarrasser à un prix plus élévé. Une stratégie de recul d'une mise à mort attendue s'est opérée.Les avertis dans cette affaire sont les syndicats et les salariés attentifs aux signes d'essoufflement de leur outil de travail, qui ont dénoncé ces pratiques sans être entendus ! L'incurie des propriétaires est donc largement incriminée par les défenseurs du droit au travail bien fait, animés par une toute autre logique. Ces virages manqués, ces glissades de réforme en réforme ont abouti, dans un contexte de crise indiscutable, à l'extinction du géant "Mégastore" Virgin qui ne comptait plus que 1000 personnes en France contre 2000 dix ans plus tôt. En juin, le propriétaire de l'immeuble des Champs Elysées, l'assureur Groupama, a revendu le bâtiment Virgin Megastore ainsi que le Monoprix, à un fond d'investissement venu du Quatar, QIA. Que vont devenir ces 960 salariés de Virgin ? Ce qui les attend c'est bien sûr le Pôle Emploi, avec une indemnité de licenciement lamentable disent-ils, par exemple pour 8 ans d'ancienneté, 2000 euros seront versés.*(1) Sur un temps court, les salariés se sont pourtant mobilisés avant la liquidation: rencontres avec le ministre de l'industrie et la ministre de la culture, présents aux réunions interministérielles, mais en vain..Ils se sont sentis abandonnés, lâchés de toute part après la décision du tribunal. Seules les équipes du ministre du travail ont oeuvré sur le volet social, mais pas pour la reprise. Face au naufrage du groupe, certains parlent de son sabordage, impuissants, désillusionnés et tristes. Le 23 mai à 10H30 du matin, informée par France Inter, d'une grève devant le Megastore des Champs, j'ai décidé d'y aller pour enquêter. La presse était présente quand j'ai pu à mon tour, mener un interview auprès d'une vendeuse de DVD, qui spontanément a bien voulu répondre à mes interrogations.*(2) Ce que nous pouvons constater dans ce témoignage, c'est l'esprit d'équipe qui régnait au sein de son service, ce que nous ressentions dans la disponibilité, l'accueil enthousiaste des salariés qui nous servaient, manifestement motivés, de bien faire ce travail autour des disques, jeux et livres. Comme elle nous le confirme dans l'interview, ils ont réussi à résister aux nouvelles méthodes du néo-management cherchant à les formater et à les contrôler. La "gestion" qui luttait contre la concurrence de la Fnac et d'Amazon avait du mal à s'imposer du moins dans ce temple de la musique. Malgré les démentis, la Fnac se préparerait elle aussi à une cure d'austérité dans l'esprit de celle de 2012 qui lui a permis 80M d'euros d'économies. Ce qui ne va pas sans restructuration, à savoir : réduction de l'espace des magasins dédiés à la musique physique. Que vont devenir les 289 disquaires en moins ? Polyvalence, changement d'emploi etc..*(3) Les Organisations contemporaines tendraient-elles à devenir des organisations désymbolisées ? A partir des années 1980, le développement débridé du système capitaliste entraîne des conséquences telles que le chômage de masse, la pression salariale, la précarité et les

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pathologies du travail (stress, suicides, addictions etc.), ont amplifié le mouvement dans un contexte de crises successives. Dès le début des années 1990, très vite, on a compris que "plus rien ne serait comme avant". Celle qui nous a atteind de plein fouet porte sur la détériorisation du travail. Une intensification des tâches à contribué à une désubjectivation croissante des hommes et des femmes considérées essentiellement, comme des ressources à gérer, à optimiser, à flexibiliser et trop souvent avec une direction des ressources humaines au service du seul pouvoir de l'actionnaire. L'hypothèse que soutient Bénédicte Viaillet dans son article : resymboliser l'organisation *(4) concerne trois caractéristiques énoncées ci-dessous pour expliciter combien l'organisation privée d'aujourd'hui, à structure actionnariale, intégrée à des groupes mondialisés, souffre de désymbolisation. De 1992 à 2008, le nombre de groupes français est passé de 600 à 30 000. Pendant cette période, 95% des fonds levés ont bénéficié à 64 entreprises, dont le C.A. représente la moitié du PIB de la France. *(5) - l'organisation serait touchée dans ses fondamentaux par une destructuration concrète, (délocalisation, flexibilité, mobilité, déplacement, polyvalence) nous sommes entrés dans l'ère du culte du changement. - Il serait impossible d'y localiser le pouvoir et le savoir, "qui est aux commandes ?" la financiarisation de l'économie aurait-elle rendu le travail invisible aux élites ? - Un effacement de la perspective temporelle anéantirait tout repère historique, où s'enracine la culture d'entreprise avec ses traces symboliques. Les conséquences psychiques sur les salariés se résument par conséquent à une quasiimpossibilité d'y éprouver une consistance subjective. Entendez par là : en se sentant ni exister, ni reconnu, le sujet passe de l'impuissance à la culpabilité, se replit, voire se met en retrait, éprouvant des difficultés à se mobiliser collectivement. Evalué, comparé, mis en compétition, il s'accuse entre autre, de ne plus pouvoir faire face, il perd son identité professionnelle. Dans cette désymbolisation organisationnelle, les personnes qui travaillent subissent une perte de sens, ne comprennent plus ce qu'elles font, ainsi que les objectifs de leur métier, de leur secteur d'activité, de celle de leur organisation par conséquent. Des chercheurs comme Christophe Dejours ont bien décrit ce constat.* (6) En référence à l'enseignement de Jacques Lacan, Bénédicte Vidaillet, va penser les rapports sociaux selon la trilogie : Réel, Symbolique et Imaginaire.*(7) Contraint à s'identifier à l'autre, son alter ego, le sujet imagine ainsi remplir son vide radical, qui fait de lui un sujet divisé, ni conscient de soi, ni totalement autonome. Il n'y a pas d'essence du sujet, dira Lacan, son imaginaire constitue un des fondements de l'identité, mais ce registre s'appuie aussi sur la reconnaissance symbolique qui passe par le nom de l'enfant associé à son image dans le stade du miroir, premier lieu de reconnaissance imaginaire du sujet, soutenu par l'assentiment de l'adulte qui va le nommer à cette place par le langage. Ceci se situe entre 6 mois et 18 mois pour l'enfant. "En étant introduit aux lois du langage, l'enfant est donc introduit à une structure symbolique qui lui préexiste et qui renvoie à l'univers de la loi, à la filiation, à la société, à la culture, etc. Le sujet est également introduit à la dimension du temps, aspect essentiel et inséparable du symbolique : il se situe dans une filiation et dans une histoire". *(8) Le Réel, troisième maillon de la trilogie lacanienne, n'est pas dissout par le symbolique, son noyau est irréductible et renvoie à un antagonisme structurel. Pour resituer cette approche psychanalytique dans le champ de l'organisation, nous dirons que l'ordre social est toujours

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structuré sur un manque, un vide qui ne peut être symbolisé. Dans les organisations, on a repéré l'inflation de la dimension imaginaire qui s'est développée depuis 1980. Dans "les systèmes managinaires", les sujet sont pris au piège de leurs désirs d'affirmation narcissique, de reconnaissance, de leur demande d'amour et de leurs fantasmes de toute puissance. Parallèlement, un effacement de la dimension symbolique des organisations s'est peu à peu installé. Ces deux mouvements se sont téléscopés, celui d'une désymbolisation est bien moins repéré, comme le soutiendra Bénédicte Viallet. Selon l'auteure, cette désymbolisation recouvre les notions de structure, de pouvoir et de temps, que nous allons expliciter. La structure : bien malmenée, on parlera de destructuration symbolique de la personne, concernant sa place à tenir : "si je suis là, je ne peux être ailleurs". Or, les réorganisations permanentes liées à la polyvalence, la mobilité, le flexibilité, à toutes ces mutations justifiées par l'impératif d'augmenter sans fin les objectifs de croissance et de rentabilité, concourent à faire disparaître l'idée d'une structure symbolique suffisamment stable. Dans le discours managérial, la recherche de permanence est déligitimée aujourd'hui. Ces travailleurs déplacés, de droite et de gauche, comment font-ils pour être associés à des places qui les détermineraient dans l'ordre symbolique, en leur donnant un sentiment fort d'appartemance à leur travail ? Le pouvoir : un autre aspect de cet effet de désymbolisation de l'organisation est à analyser également sous la question "Y a-t-il quelqu'un aux commandes ?", on ne sait plus qui est au pouvoir, qui fait autorité et détient réellement une organisation dans laquelle plus personne ne répond de rien. Les grands groupes dont les sièges sont distants opacifient la structure de pouvoir. Les stratégies s'élaborent, entre actionnaires et top management, souvent très loin des réalités du travail et de ses contraintes.La financiarisation de l'économie rend le travail invisible aux élites, qui prennent des décisions déconnectées de la réalité de la création de valeur. Comment alors influencer sur les décisions quand les filiales et le siège social sont si éloignés ? Un vide social se crée progressivement. Les directions locales impuissantes ne peuvent s'engager en leur nom auprès des salariés en cas de changement, ni les assurer d'un avenir. La parole perd son statut de "parole donnée", par conséquent elle n'a plus de poids. Le temps : la troisième caractéristique de cet effet de désymbolisation de l'organisation est celle du temps. Il n'y a plus de temporalité propre à l'organisation qui permettrait à ses membres de s'y inscrire et de se projeter dans un avenir, en s'identifiant fièrement à "sa boîte", comme par le passé. Aujourd'hui, l'histoire des organisations subit des revirements stratégiques rapides et brutaux associés au système actionnarial (fond d'investissement, fond de pension etc.), cela crée un sentiment d'incertitude, une impression de devoir "vivre au jour le jour". Les restructurations continues et trop rapides, destabilisent les places des uns et des autres. Comment imaginer l'avenir quand il est difficile de comprendre la logique sous-jacente à ce système organisationnel ? Comment s'inscrire comme sujet dans une organisation qui fait disparaître la parole comme possibilité d'élaborer, de penser ? Resymboliser l'organisation Le rôle de la fonction RH, (Ressource Humaine), a aussi sa responsabilité dans les nouvelles forces de violence qui entraînent une chosification systématique des êtres. Il faudrait donc le repenser. La fonction RH devrait garantir la dimension symbolique sur les trois plans précités,

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structure, pouvoir et temps. Elle devrait retrouver un rapport au langage, abandonner la langue de bois managériale et se faire le relais d'une parole plus juste, issue du terrain, décrivant la réalité du travail, de ses difficultés, de ses nécessités. Sa fonction serait aussi de remettre de la temporalité, de l'historicité dans l'organisation, en essayant d'ajuster les savoir-faire des hommes et des femmes, les règles du métier, pour faire évoluer et défendre leur organisation afin de la faire durer. Ces changements conceptuels passent par des formations à la gestion des ressources humaines davantage axées sur des outils d'analyse des tensions, des contraintes et des effets de structure propres à leur organisation plutôt que sur l'application à tout va du tournant gestionnaire lié à l'évaluation individuelle des performances qui délite les liens sociaux, désymbolisant gravement pour la coup la valeur travail. Pour protéger ce qui fait la singularité de chaque organisation, la fonction RH doit se considérer elle-même comme potentiellement en conflits avec les autres fonctions de l'organisation, et assumer ce point de pouvoir, pour ne pas disparaître à son tour, comme le précise Bénédicte Vidaillet. Dans son ouvrage," l'homme jetable", Bertrand Ogilvie, nous signale que la violence moderne est une violence naturalisée, rendue irreprésentable, réduite à une simple gestion. *(9). La philosophe Simone Weill disait que la dignité du travailleur, c'est le travail. Si on lui enlève cela, il n'est plus qu'un pion. Retrouver le sens noble du terme travail n'est-ce-pas vouloir et pouvoir y participer autrement ? Chantal Cazzadori, psychanalyste. (1) Virgin : après 25 ans aux Champs-Elysées, mon indemnité de ...HYPERLINK "https://plus.google.com/113239484757596001988" leplus.nouvelobs.com/.../884780-rejet-des-offres-de-reprise-de-... De Mélissa Bounoua - Dans 2 559 cercles Google+11 juin 2013 - LE PLUS. Loïc Delacourt est responsable du rayon musique au Virgin megastore des Champs-Élysées. Il y est entré en 1988. Ces dernières ... (2) mon interiew audio réalisé le 23 mai 2013, devant Virgin, le "mégastore" des Champs Elysées à 10H30. (3) article internet, journal le parisien : www.leparisien.fr/imprimerOld.php? 600 postes menacés à la fnac. (4) livre : Ressources humaines pour sortie de crise, sous la direction de Pierre-Eric Tixier, SciencePo.Les Presses. Article Chapitre 6, Resymboliser l'organisation, de Bénédicte Vidaillet, p.121. (5) Travail invisible, enquête sur une disparition, de Pierre-Yves Gomez, François, élu président de la Sté Française de Management en 2011. Editeur François Bourdin. (6) Christophe Dejours, Souffrance en France, Paris, Seuil, 1998. (7) Jacques Lacan, "Symbolique, imaginaire et réel" (1953), dans Des Noms-du-père, Paris, Seuil, 2005. (8) Bénédicte Vidaillet, chapitre 6, p. 127, resymboliser l'organisation.. (9) Bertrand Ogilvie, professeur de philosophie, psychanalyste, ancien directeur au Collège international de philosophie, a publié en 2012 cet essai sur l'exterminisme et la violence extrême.

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France 3 : Chantal Cazzadori, harcèlement moral à SUP de CO Amiens. Date : 12 septembre 2013

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Le STRESS, un risque psychosocial qui va en entraîner tant d'autres ! Date : 16 septembre 2013

Qu'est-ce-que le risque organisationnel dans les Entreprises ? Un peu d'histoire : c'est dans la littérature scientifique internationale (anglo-saxonne plus précisément), que nous trouverons les raisons qui ont permis l'émergence de la question du stress fin des années 70. Selon le modèle Karasek, somme toute, assez simple, celui-ci met en avant deux facteurs : le niveau d'exigence et l'autonomie comme susceptibles de générer des pathologies du stress. En fait, le niveau d'exigence n'est pas prédictif de souffrance, cependant, celle-ci apparaît quand il s'agit de considérer l'autonomie dont disposent les salariés. Précisément , l'autonomie rend compte de l'espace d'expérimentation dont dispose le salarié pour s'éprouver et chercher les voies de son développement, autrement dit, pouvoir agir avec tous ses talents par essai et erreur, pour améliorer sa tâche comme humain et non comme un rouage. Rappelons nous combien les ouvriers spécialisés dans les années 70, empêchés d'intervenir dans le processus taylorien, soumis ainsi à un fort niveau de pression imposé par cette organisation, était la cible du stress professionnel. Dix années plus tard, fin 1980, ce modèle Karasek, vient nous éclairer, enrichit d'un nouveau facteur. Qu'est-ce-qui apparaîtra comme facteur de dégradation de la santé ? L'absence du soutien social cette fois. A présent, le salarié bénéficie moins du soutien technique et de la compréhension de la hierarchie, de l'aide et de la solidarité des collègues, et ce qui est nouveau, c'est que toutes les catégories salariales seront touchées.

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Continuons dans le temps, et faisons un pas de plus. Nous sommes en 1990, quand le modèle de Siegrist met lui l'accent sur la reconnaissance. Ce qui apparaît alors comme très prédictif des atteintes à la santé et qui renvoie au sentiment d'injustice, c'est la non reconnaissance du travail effectué, autrement dit, du déséquilibre entre sa mobilisation et sa rétribution. Encore ici, tous les salariés sont concernés. Le vécu d'exploitation propre à la classe ouvrière est ressenti dès lors par les employés, selon l'Insee à 30%, les cadres supérieurs à 40%, contre 50% pour les ouvriers, ces chiffres datent de 1994, ils ont sérieusement augmentés 10 ans après. Antérieurement, vers les années 70, la division en classe de la Sté qui présentait une souffrance au travail, était historiquement liée à l'identité de la classe ouvrière. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une diffusion des phénomènes de souffrance psychique au travail à l'ensemble de ce monde. Rappel : la première dépression reconnue par le Sécurité Sociale comme maladie professionnelle, soldée par un suicide, a concerné un cadre supérieur. Quelles questions soulèvent ces constats ? - D'où vient la menace pour la santé, voir l'identité du sujet ? - Par quels mécanismes les formes du travail actuel font-elles de l'isolement un danger ? - Pourquoi les catégories privilégiées sont-elles elles aussi traitées de façon injuste ? De simple rouage, sans possibilité d'improvisation, l'individu dominé par le système taylorisme répondait à une organisation de la sté industrielle qui produisait en masse des produits standardisés. Tout cela, a complètement changé. L'industrie est aujourd'hui, soumise à une concurrence exacerbée et à des clients avertis qui exigent aussi de la qualité, de la diversité de choix. L'organisation de l'entreprise a changé de rôle ainsi que l'encadrement. Le pilotage est soumis à la pression directe du client, d'un patient ou de l'usager. Partout le travail évolue sur le modèle de service. Devenir performant, c'est donc s'adapter en permanence aux variations, aux aléas, aux imprévus. Du coup, comment prescrire dans le détail le travail ? L'organisateur qui prétendait connaître le travail a cédé la place au manager qui possède lui un savoir décontextualisé, sans lien avec les contenus techniques des activités qu'il doit encadrer. Sa technologie est alors constituée d'outils de gestion et d'apports inspirés des Sciences Humaines, constitue une sorte de politique nouvelle qui aurait comme slogan : "Débrouillez-vous !" Paradoxalement, ces évolutions portent les salariés à penser, s'ingénier, s'engager avec intelligence dans leur travail et la question de la recherche de sens s'impose. En effet, travailler dans une perspective de service implique de déterminer ce qui est bon pour celui que l'on doit servir. Ce contenu inter-humain qui mobilise l'intelligence impose une réflexion également éthique. Pourquoi alors cette mise en œuvre de la personnalité et de l'intelligence dans le travail émergeant de cette organisation n'a pas d'effet positif sur la santé psychique et mentale des salariés ? Nous faisons le constat que pour bon nombre de ceux-ci, les perspectives d'accomplissement que proposent manifestement les organisations actuelles du travail, ressemblent à des cauchemars. Les difficultés se situent autour du temps manquant pour

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réfléchir, discuter de ce que l'on fait, fera ou ce que l'on a déjà fait. Des indicateurs trop abstraits viennent contrôler les modalités d'exécution du travail. Ce contrôle est assumé par des responsables bien éloignées du métier. Aucune neutralité dans ces indicateurs comptables qui répondent essentiellement aux exigences de la rationalisation financière comme finalité absolue. Il s'agira donc de réduire les coûts de la masse salariale et l'accélérer la production, des démarches issues de logiques financières propres aux marchés mondiaux, dites mesures liées à la globalisation. Un crédo surgit constamment : "c'est la faute à la crise", un énoncé qui renvoie trop facilement à la fatalité du destin. Ainsi, nous allons vers une véritable régression par l'application de ces nouvelles organisations du travail dont les modes d'évaluation purement quantitatifs, statistiques, comptables renvoient à ceux de la chaîne taylorienne. Nous assistons à un vrai paradoxe, puisque d'une part, les activités évoluent vers la qualité des services rendus, alors que la pression temporelle qui écrase le temps de préparation, d'anticipation, de discussion, d'études intensifie la charge du travail, en lui enlevant son sens, sa créativité, son émancipation. Comment maintenir la qualité du travail quand les conditions de pression à l'abattage s'acharnent sur le salarié ? La qualité totale pour l'entreprise c'est l'excellence, soit le juste nécessaire. La politique du flux tendu, du zéro stock etc. incite à abréger, à en rabattre sur la qualité, alors que cela devient impossible. Il ne reste plus qu'à "botter en touche" pour se débarrasser d'un client lourd donc non rentable par exemple, autrement dit pratiquer honteusement des procédés réprouvés moralement. Nous devenons par le fait, complices d'un système qui nous méprise. Cette perte de reconnaissance est de plus en plus revendiquée puisque le chacun pour soi, les entorses aux règles du métier sont devenues monnaie courante pour tenir le coup. Par conséquent, le sentiment de mal faire son travail suscite des réactions défensives qui aggravent la situation. Les plus vaillants, plus exigeants tombent malades, écartelés entre un travail à "bacler" et des règles d'or d'un métier qui se dégrade. Les logiques marchandes créent des enjeux au travail qui génèrent une vraie souffrance éthique, psychique et physique. L'activité prend alors une dimension politique, car écartelé entre les normes marchandes et les normes sociales, le salarié doit se rabattre sur ses souffrances devenues ou déclarées personnelles alors qu'elles font potentiellement cause commune. Quel est le point de vue de la psycho-dynamique du travail sur ce sujet ? La psycho-dynamique du travail développe un point de vue différent : voire diamétralement opposé aux professionnels du psychisme qui tendent à approfondir le processus d'individualisation et de psychologisation de ces questions. Les salariés en difficulté doivent élaborer subjectivement leur position, la discuter avec les collègues et reconquérir leur capacité à repenser l'expérience du travail en relançant le débat avec le management, afin d'instituer des lieux de délibération pour relancer la coopération, car le savoir appartient à ceux qui se confrontent quotidiennement aux vicissitudes de leur tâche. Sortir du drame personnel pour ramener les dilemmes dans le registre de la conflictualité sociale, soit, pour le dire autrement, dénoncer l'organisation du travail d'aujourd'hui qui présente des effets gravement délétères sur la santé physique et psychiques des salariés de toutes catégories confondues.

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Ce phénomène s'est généralisé également dans le domaine des entreprises publiques, il serait donc urgent de tenir une posture plus objective et courageuse pour remettre véritablement en cause la dégradation de nos outils de travail. A bon entendeur, Salut ! * Chantal Cazzadori, Psychanalyste * La rédaction de cet article a été inspirée par la conférence introduite aux Journées Médicales du CISME (Centre Interservices Santé et Médecine Travail Entreprise), sur le risque organisationnel, en février 2004. Publiée dans les Actes par Philippe Davezies, chercheur en psycho-dynamique du travail. Je remercie vivement les membres du PCF de l'Yonne, stand caveau Bourguignon, et tout particulièrement Josette et Michel Vilaine qui m'ont permis cette intervention-debat, sur la souffrance au travail, le jour de la Fête de l'Humanité 2013.

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Virgin : micro trottoir d'une salariée Date : 17 septembre 2013

Lire également mon article : Virgin: une Organisation désymbolisée, liquidée voire jetable ? Réalisé par Chantal Cazzadori Montage : Claude Beauvais

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Du savoir boire au binge drinking. Date : 4 octobre 2013

Un article de Gilbert Poletti Mon sujet de mémoire pour l’obtention de mon C.E.S de psychiatrie, en 1985, portait sur le rapport des Corses à l’alcool, dans ses considérations sociologiques et psychopathologiques. En reprenant ce travail, sous l’éclairage psychanalytique, il m’apparait que l’approche est plus fluide, plus affinée, nettement plus féconde. Dès 1950 et durant une trentaine d’années, le pastis a été la boisson la plus prisée de l’île. Une grande quantité a été consommée, cependant le nombre de décès par alcoolisme restait de loin le plus faible de France. Ce fait méritait qu’on s’y arrêta. La façon dont on buvait, offrait des particularités, un rituel, absolument endémique. Avant sa description, notons ce qui pourrait constituer des facteurs de protections: Dans l’histoire, comme le note L’abbé de Germanes dans son ouvrage de1771: « les Corses ont été d’une tempérance et d’une sobriété remarquables, qui n’est peut-être connue d’aucun autre peuple. » Les sevrages des bébés étaient tardifs entre 12 et 18 mois, ce qui était considérable. Ces éléments concernaient les facteurs oraux Certaines théories évoquaient l’homosexualité, en y fondant la cause même du recours au toxique; dans son étude « Les Corses, entre l’exil et l’insularité », le professeur Sébastien Giudicelli parlait « d’une homosexualité latente marquée », ce qui fit bondir un étudiant en médecine Corse en colère, le professeur lui répondit pour l’apaiser qu’il s’agissait d’une homosexualité sublimée. « Qui tanti sublimée! » même si c’est vrai on ne dit pas des choses pareilles. D’autres auteurs au contraire font jouer à cette homosexualité un rôle protecteur. Ancien consommateur, j’étais bien placé pour pouvoir décrire, « a pastizzata ». Les fins de semaine, plus souvent pendant les vacances, des hommes uniquement, debout au comptoir des débits de boisson, se réunissaient; des amis, ils étaient trois, quatre, souvent bien plus nombreux ; pour mon compte on s’accoudaient à six ou sept.

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On regarde sa montre, il est l’heure de l’apéritif, on s’autorise alors à commencer. Le serveur, souvent le patron, souvent un ami, de toute façon bien connu des consommateurs, place un glaçon dans le verre, et durant les premières tournées , verse la dose d’anis, trois ou quatre marques, sont les plus demandées. On ajoute la quantité d’eau désirée, le pastis louche au contact de l’eau, on peut alors doser à sa convenance, en repérant la teinte du mélange. Le fait exceptionnel, qu’un buveur se contente du glaçon sans ajouter d’eau, était pointé comme inconvenant. Chacun paye sa tournée, les plus aisés font resservir plusieurs fois. Tout en buvant , les thèmes de discussions abordés se répètent : la politique, le football, la chasse, la pêche, les femmes; mais surtout on pratique «a macagna » terme proche de la galéjade provençale: histoire inventée ou exagérée, plaisanterie destinée à mystifier. Les premières tournées servies, on demande au serveur de diminuer la dose, celui-ci verse avec rapidité et un tour de main acquis par l’habitude, seulement une ou deux gouttes d’alcool, néanmoins on paye plein tarif. Après quelques tournées, le verre est refroidi par les glaçons, l’anéthol composant du pastis, cristallise en paillette, donnant un aspect gras à la boisson; à la demande du client, le serveur change le verre , et vide le contenu de quelques tournées dans l’évier; on verra quelque fois des malins introduire leur index dans le verre, cela a pour effet de réchauffer le contenu, et le rendre homogène, donc buvable ; De même, au fur et à mesure des tournées, l’alcool surnage en surface, étant plus léger que l’eau, le buveur décrète alors que la boisson est trop forte, là aussi on change le verre.

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De nombreuses tournées sont servies, au minimum une par participant (éventualité rare). Celui qui boit trop vite, est repéré, il se trouvera toujours quelqu’un qui lui en fera la remarque, « e! pianu ». De même le buveur qui finit son verre est sujet à quolibets. « e! tu i Secchi » Ceux qui réclament une dose identique à celle du début sont rappelés à l’ordre. « piumbu ! » Certains ne boivent pas le même alcool, ils perturbent l’assemblée, bien que debout au comptoir, idem pour celui qui ne boit pas d’alcool, ainsi que celui qui est assis. Donc pas de femme au cours d’une pastizzata, Il est des buveurs hors « horaire » ils sont exclus, d’ailleurs ils s’isolent. Jamais il ne venait à l’esprit d’un buveur de payer son verre et non la tournée. Le pastis était consommé presque exclusivement au comptoir, contrairement au continent, ou les femmes comme les hommes, l’absorbaient pour les deux tiers d’entre eux à domicile. En fait dans une pastizzata une importante quantité d’alcool est jetée. On s’étaye pour restreindre la boisson, d’une part sur des questions d’aspect, contenu trop gras, et de goût, boisson trop forte: D’autre part la diminution des doses, jusqu’à la goutte symbolique, limite considérablement la quantité absorbée. Pourquoi ces hommes boivent-ils? D’où viennent ces modalités de boisson? J’avais répondu à l’époque que le pastis semble les réunir dans un rituel bien établi avec des règles et des comportements précis qui doivent être respectés sous peine de troubler l’homéostasie de ce groupe; réunion d’un certain nombre d’hommes autour du comptoir, comme autrefois, leurs ancêtres étaient réunis dans l’espace communautaire, espace public, avec leurs règles de vie, les femmes étant cantonnées au foyer; ces scènes sont rejouées, transmises de générations en générations, permettant de recréer l’espace communautaire d’antan ou se préparaient la mise en commun des tâches laborieuses. Me basant sur la terminologie de « a pastizzata » ou l’on pouvait hypocritement soutenir, quand on s’y trouvait entraîné, je suis tombé dans une embuscade, de même on invitait le serveur à servir une rafale, termes guerriers. J’en tirai la conclusion que les réunions actuelles pourraient rejouer l’indispensable homéostasie du groupe face aux multiples envahisseurs, venus de tous horizons, sous peine d’anéantissement. L’observance de ces règles permet de garder une certaine cohésion au niveau de la recherche d’identité, « l’alcool ici favorise l’intégration et tous les partages » J.ADES. » La nostalgie de la société primitive reproduite pendant quelques instants, l’imaginaire totémique enracine le groupe, il lui donne le lieu et le rite de sa cohésion ». J.P PATURET. « Le mal boire dénature le mythe commun et expose l’alcoolique à un rejet paradoxalement suscité par ses velléités de conformité sociale. » J.ADES. La reprise de cet ancien travail, sous l’éclairage de la psychanalyse, pourrait affiner cette interprétation . Au fond que constate -t- on? voici un sujet qui bride, qui limite, sa jouissance, contraint et soumis au fonctionnement du système symbolique dont il est issu, et qui perdure à son insu. Il se trouve des berges fluviales Héraclitéenne ordonnant à la jouissance, de suivre son cours. Rien avoir avec l’abstinence musulmane, qui résulte de l’obéissance consciente, aux règles religieuses. L’alcool intervenait, simplement pour permettre la manifestation de « l’imaginaire », le surplus éliminé, et même méprisé, vidé dans l’évier, qui le conduira à l’égout. Nous voyons donc à quel point les facteurs culturels n’induisent que l’alcoolisation et non

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l’abus prolongé. On comprend dés lors aisément les règles précitées. Voila comment arrimé au symbolique, le sujet ne sombre pas dans l’hubris. Sa conduite face à l’alcool est apollinienne, il n’y a pas de rejet de la dimension de la castration, bien sûr on peut rire au comptoir, mais on doit se « tenir », d’ailleurs le groupe y veille. Le sujet soudé à cette assemblée, est bien là, attentif lui-même aux incartades des autres. Il faut sortir dignement d’une pastizzata , autant que cela pouvait se faire; il ne s’agissait pas de rouler sous la table, ou de s’étaler dans la rue. Il existait bien sûr, certains cas peu fréquents, ou ces règles étaient bafouées, des « buveurs excessifs » peu fréquentables. Ces Corses buvaient-ils le même alcool que les adolescents du binge drinking? Il semblerait que nous nous trouvions devant deux boissons différentes: La première objet d’une jouissance phallicisée, atteignable indirectement par le symbolique , la confinant dans des limites étroites. L’autre dont le sujet cherche un accès direct, une jouissance Autre, sans la contrainte de la castration, du réel en excès, débordant le contenant symbolique, jusqu’à la mort parfois. Ces deux aspects résumeraient-ils les choses? Il me semble pourtant qu’il y a entre les jouissances précitées, une autre modalité, c’est-à-dire une troisième possibilité, qui vient s’insérer, entre la jouissance phallicisée, et la jouissance Autre, comme s’il existaient des « graduations » L’hypothèse dont j’aimerais la discussion, consisterait à situer les buveurs dans les trois registres lacaniens : En premier lieu, la prévalence du registre du symbolique, ou s’ancre solidement le savoir boire culturel. On saisit bien mieux, la vigilance du groupe dans a pastizzata, celui qui se soustrait aux règles, ne fera plus partie des buveurs, ceux la mêmes qui résistent sont soutenus, et préfèrent garder leur place parmi, ses amis. On peut ainsi observer un lien social, qui s’impose aux sujets, discours venu du fond des siècles, puisque nous illustrons l’intemporalité de l’inconscient, soutenu par l’alcool. Le ratage spéculaire ensuite, ou le sujet tente d’unifier une image reflétée dans son verre de vin, qui se disloque dés qu’il le touche, et c’est à recommencer, ça peut durer longtemps. Qu’en est-il alors du sujet ? Cet aphorisme chinois va nous éclairer « l’homme prend le verre, le verre prend l’homme, le verre prend le verre » quid du sujet dissous dans l’alcool. Et le corps? Une sorte d’indifférence à son endroit, asomatognosie, malgré une dégradation évidente: amaigrissement, abdomen distendu, peau et phanères altérés…etc « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » Puis le réel débridé de la biture express subvertissant toute entrave à la boisson. L’eau et le feu, éléments fondamentaux, sont ingurgités sous forme d’alcool, participant à une tentative archaïque, désespérée, de se reconstituer face à la bouche d’un grand Autre qui l’avale irrésistiblement. Ici le sujet, le moi, n’ont plus de place, il n’y a plus de verre, c’est au goulot d’une bouteille, qui se vide rapidement dans un gosier, n’importe quand et n’importe ou, que les choses se passent. On pourrait évoquer, les bacchanales, mais même dans ces fêtes orgiaques subsistait un lien social, puisque on utilise les mots :fête, rituel etc…. Aujourd’hui c’est la surprenante et inquiétante solitude de ces buveurs qui interpelle malgré l’entourage, c’est en fait, en utilisant un néologisme, qu’on peut peut-être la mieux saisir, «

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l’alcorps » les deux semblent ne plus pouvoir être séparés en un contenant et un contenu, dans un réel confondu. Je me souviens bien de ce patient « alcoolique » pour lequel on parlerait dans la nosographie psychiatrique: « d’ alcoolisation paroxystique intermittente » qui repérait parfaitement, le moment ou la maîtrise de la boisson lui échappait, ou elle devait le remplir, sans que sa volonté puisse intervenir, absorbant des quantités considérables, il se demandait comment il avait pu survivre, d’autant qui lui arrivait ensuite de partir sans conscience, tout seul, la nuit tombée, dans les chemins montagneux isolés, pendant plusieurs kilomètres, en ne gardant aucun souvenir de ces déplacements. il se réveillait au matin, quand personne ne l’avait rencontré pour le raccompagner, dans un taillis ou un fossé, au bord d’une route. Ce n’était ni une fugue, qui est le fait de quitter un lieu dans l‘espoir de se faire reconnaître ailleurs, ni une errance comme l’illustre Sandrine Bonnaire dans le film d’Agnès Varda « sans toit ni loi » quand on ne s’arrange d’aucune façon avec le signifiant. Cela ressemble beaucoup plus à l’automatisme ambulatoire de l’épileptique, qui n’a aucune conscience de ses déplacements, et qui n’en garde aucun souvenir, position ou le signifiant symbolisé est absent, tel ce patient qui pendant plusieurs minutes au cours d’une crise, est resté au volant de son tracteur, effectuant dans son champ de nombreux tours, créant un sillon circulaire parfait et profond. On peut donc déterminer comment et pourquoi un sujet consomme de l’alcool. D’une façon tout à fait contrôlée dans le registre du symbolique, comme dans les réunions culturelles. De manière répétitive et prolongée dans le « ratage » spéculaire, donc dans l’imaginaire. Dans la démesure et la « médiateté » dans l’abîme du réel. Les disparitions du savoir boire culturel, ainsi que les bitures express, témoignent de la dévalorisation du symbolique, du nom du père, à des degrés différents, ne pouvant plus assumer une fonction pacificatrice face à la jouissance. Gilbert Poletti

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Pastizzata contre Binge Drinking ou savoir boire culturel contre biture expresse? Date : 5 octobre 2013

En Corse, à Bastia précisément où nous tenons notre journée d'étude sur l'alcool et les jeunes, les membres de l'association de l'Analyse Freudienne (A F) s'interrogent sur les raisons qui motivent aujourd'hui les adolescents de 12 à 30 ans qui s'écartent de ce savoir boire culturel pour se livrer sans règles, ni limites à des absorptions d'alcool fort dans un temps record. Avant de réfléchir sur les causes de ces conduites alcooliques à risques, il nous a été rappelé en quoi consistait la pastizzata par un intervenant corse, Le Docteur Gilbert Poletti (1) qui avait choisi comme sujet de mémoire en 1985, le rapport des Corses à l'alcool d'un point de vue sociologique et psychiatrique autour du rituel de cette pratique, la pastizzata. Chaque fin de semaine, des insulaires se retrouvaient au comptoir du café, pour boire le pastis, entre hommes, en échangeant sur la politique, la chasse, le sport, les femmes etc. Cet apéritif se terminait par des galégeades provenciales très drôles destinées à mythifier les histoires racontées sous l'effet de l'alcool désinhibiteur. Tout un rituel était instauré entre eux, pour tenir le coup, rester digne, boire de façon "correcte" donc admise par les règles du groupe. Ces modalités de boisson instaurées dans un cadre précis, permettaient l'entrée du jeune dans le monde des adultes, autrement dit devenait un passage obligé pour s'initier dans la communauté masculine en s'identifiant à un groupe représentatif de ses idéaux virils. Cet espace de communauté, pour être préservé et garder sa cohésion en faisant lien social, exigeait que le nouvel arrivé respecte les codes, les interdits afin que le groupe joue son rôle protecteur et devienne garant d'une forme de recherche identitaire. "C'est ainsi que de 1950 à 1980, et durant plus d'une trentaine d'années, le pastis consommé en grande quantité en Corse, offrait des particularités du mode de boisson, absolument endémique. En effet, le buveur obéissait à

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des règles strictes et un rituel étonnamment précis, uniquement observé dans l'île, de sorte que le taux de décès dû à l'alcoolisme était de loin le moins important de France.(2)

Pour affiner notre propos, nous allons faire appel à des interprétations psychanalytiques. Sur le plan psycho-sociologique, nous savons bien que les facteurs qui participent de la cohésion du groupe relèvent d'un besoin d'identification, d'appartenance aux valeurs d'un groupe choisi. La problèmatique de l'adolescent est complexe, il va quitter les idéaux parentaux, les signifiants de sa famille, donc se désubjectiver, pour choisir ses propres insignes à partir d'idoles, de leaders charismatiques ou de courants culturels, qui lui donneront l'espoir d'un avenir où sa place pourra s'inscrire dans le meilleur des cas. Cette nouvelle opération de resubjectivation est à l'oeuvre comme sujet désirant. C'est sous cette puissance du désir que son devenir devrait pouvoir se dessiner. A la différence de son statut d'enfant désirant mais non responsable, il s'appuyait sur les repères de ses parents pour grandir et cela le soulageait. A présent, il devra non seulement soutenir envers et contre tout son désir avec force, mais aussi en prendre la responsabilité pour devenir un homme singulier et libre. C'est dans ce passage qu'il va ériger bien ou mal sa jouissance phallique dans une nouvelle manière d'être au monde. Sous l'effet de la métamorphose de son corps, soumis à la poussée des pulsions sexuelles, l'adolescent sera contraint d'y répondre en faisant ses propres choix d'objet tout en se soumettant ou pas à une pulsion ravageante qui le conduirait vers une quête du jouir sans entrave ni limite, à la dérive en quelque sorte. Ce temps de "pas-sage", le confronte à un malaise qui peut le perdre s'il ne trouve pas dans un lien social une réponse à ses attentes de demande et de signes d'amour, qu'il croira résoudre ainsi. Prêt à aimer un chef charismatique, un leader politique ou religieux, sans ou sous condition, il tentera de se re-subjectiver dans la fusion d'une communauté en faisant sien les idéaux du groupe qui le représenteront car il l'aura choisi en fonction de son idéal du moi. Pris dans un passage à vide, en manque de signifiant, certains adolescents qui ne peuvent rencontrer dans un lien collectif ce qui leur manque, risquent alors de dériver vers des conduites à risques comme le Binge Drinking, qui montrent combien leur position sexuée est mise à mal. Comment en effet devenir un homme et une femme dans ce monde là, ou à venir ?

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Atteindre la jouissance de son sexe d'homme ou de femme en la confinant dans les limites étroites d'un bridage qui renvoit aux contraintes de la castration, tel serait le passage obligé. Cette jouissance dite phallique est atteignable par le symbolique et fait opération de passage dans le meilleur des cas. Toute l'histoire du sujet est convoquée ici pour résoudre au mieux cette avancée. Si le sujet cherche un accès direct à la Jouissance, sans la contrainte de la castration (tout n'est pas possible!), il se heurte à ce que nous nommons le réel en psychanalyse, c'est-à-dire l'excès qui le déborde et peut le conduire à un passage à l'acte mortel sous l'emprise de l'alcool fort absorbé très vite. Dans le Binge Drinking, l'effet produit et recherché ressemble à un flash toxicomaniaque qui anéantit le sujet, l'efface au point qu'il disparaît, ne se souvenant de rien, ni comment il en est arrivé là ! Nous pourrions faire avancer notre réflexion en posant comme hypothèse : quel rapport existe-t-il entre la conduite d'effacement du sujet et le manque de parole ? Ainsi, je reprends les propos spontanés de Robert Lévy, (3) participant à ce débat : - " ça me semble un élément fondamental, comme si ce remplissage venait empêcher effectivement que quelque chose se dise et qu'il y ait une adresse aussi à ce dire, ce qu'il y a tout à fait à voir, sans doute à un certain type de rapport au manque de refoulement, à savoir, moins on refoule et plus il y a nécessité d'une substance qui permette (dans ces vapeurs d'alcool), d'empêcher que reviennent ou que paraissent des mots et une adresse qu'on ne désire pas développer." Parfois en effet, l'alcoolisation à outrance couvre un secret de famille, un interdit de parole et un manque de référence. Le cannabis joue aussi dans la défonce de la fièvre du samedi soir. Il vient faire écran aux angoisses adolescentes, masquer leur manque à être. L'intégration dans un groupe de Binge Drinking est ici un leurre, un faux prétexte en fait, car ce ne sont pas des amis, mais de faux amis dont on s'entoure et qui ont pour effet de fausses croyances. La toxicomanie du week-end, ajoutée au Binge Drinking laissent croire aux ados étudiants et autres qu'ils sont à l'abri d'une dépendance qu'il peuvent arrêter à tous moments. En fait, ils sont accrochés dès le départ par l'attirance d'artifices alcooliques ou toxicomaniaques qui rendent les garçons invincibles. Il n'est qu'à lire les rapports des statistiques qui indiquent un nombre croissant et important de jeunes de 18 à 24 ans, tués sur les routes, tandis que les jeunes filles ne résistent pas à se livrer à des conduites sexuelles extrêmes dans un abandon total de leur corps, au point d'oublier avec qui elles étaient, surprises de se réveiller avec un inconnu dans leur lit. Dans le Binge Drinking, la grande alcoolisation des filles est quand même une nouveauté, "le faire pareil" que les garçons a réussi au nom de l'égalité des sexes. Aucune festivité ne peut venir expliquer ces comportements, aux urgences des hôpitaux, nous voyons en pleine aprèsmidi des défoncés à l'alcool dès l'âge de 12 à 14 ans avec dans un nombre de cas non négligeables, des comas éthyliques. Ne peut-on pas voir là, un échec de la subjectivation adolescente ? Dans le flash alcoolique c'est de sa propre disparition dont il s'agit. Comme le sujet n'est pas représenté et ne représente sans doute pas grand chose pour l'Autre, en panne ou en manque de signifiants qui ne peuvent être trouvés dans le groupe de ses pairs, le sujet sans signifiant disparaît rapidement dans l'alcool, il s'efface. Il s'agirait ici d'un ratage de la métaphore paternelle qui met à mal l'accès à la symbolisation du sujet. Loin de la pastizzata qui régissait les rapports d'intégration et de maintient dans le groupe pour

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se soutenir dans un bien boire culturel qui pourtant se soutient d'un bien dire - rien de tel dans le comportement du Binge Drinking qui permet de taire sa parole dans un engloutissement rapide de nombreux verres alcoolisés quand ce n'est pas boire directement au goulot de la bouteille, voire à l'aide d'un tuyau. Ni partage, ni dégustation dans l'apprentissage d'un bon vin, ici, il s'agit de se défoncer pour exclure le bien dire sous l'impératif justement d'un "il n'y a rien à dire", dans la rapidité avec laquelle on boit. Sous l'emprise de la bouche d'un grand Autre maternel dévorant, tout puissant et non barré, le sujet s'exclu. Pouvons-nous comparer ces nouveaux comportements avec ceux des générations passées ? Prendre une cuite était aussi dans les moeurs des adolescents d'avant où le défi consistait à boire le plus longtemps possible en faisant la tournée des cafés, faire une piste comme disaient les Bretons. Ce qu'il s'agissait de faire passer de leur malaise dans un parcours fléché, codifié, au vocabulaire connu d'avance, c'était de réussir à intégrer un groupe comme dans la pastizzata ou dans les rites des bandes en tournée du samedi soir. Dans ces groupes, la tradition se transmettait d'un autre à l'autre à travers la communauté d'appartenance, tissant ainsi un réseau symbolique sur lequel prendre appui pour soulager le malaise d'une sexualité nouvelle chez l'adolescent en quête d'identité. Il ne s'agit pas ici d'inconscient collectif qui se transmettrait à travers les histoires et traditions des anciens. Chaque signifiant se transmet et se renouvelle au un par un par des signifiants du groupe qui s'il est cohérent fera mieux passer ses idéaux et ses valeurs. Les effets du néo-management sur le vécu adolescent : Le malaise dans la civilisation est lié au désir et dans cette société néo-libérale où l'étalon du désir est l'argent, l'homme non rentable devient carrément jetable. La quête de la performance, du zéro défaut, de l'image sublime, tend vers des objectifs inatteignables car impossibles à réaliser. L'humain perd sa dignité et tombe dans la servitude volontaire de peur de perdre son travail, il n'hésite pas à faire le "sale boulot", comme participer aux licenciements, aux mises aux placards, aux harcèlements quotidiens des collègues de travail. Désolidarisé de ceux-ci et appelé à produire toujours plus en négligeant les règles fondamentales du métier, il offre à la génération montante un désenchantement, et laisse entrevoir un déclin civilisationnel. L'injonction à jouir intensément et sans limite de tout sous le terme : "profites vite et bien", devient le crédo banalisé. La marchandisation de tout objet qui rend addict entre dans ce processus de dégradation des relations humaines par les incivilités qui fleurissent partout. L'idéologie managériale du système ultra libéral qui essaie de transformer les mentalités dans des positionnements individualistes ne facilite pas l'accueil de l'adolescent lui-même devenant une cible privilégiée du marché. A Porto Vecchio, l'entrée d'une boîte de nuit la plus célèbre d'Europe semble-t-il, demande 1000 euros par jeune en quête de paradis imaginaires. Par conséquent, s'il ne trouve pas de rituel de passage, au bout du compte, il peut se laisser tenter par des dérives sectaires et ou communautaristes qui offrent quant à elles, une certaines formes de rituel de passage qui peuvent susciter chez lui, un ré-enchantement allant jusqu'au sacrifice de soi. Figé dans un signifiant maître, le martyre ou le terroriste collera au mieux à cet idéal, il ne saura plus penser, ni agir par lui-même ou pour lui-même, comme vidé de sa subjectivité. Soulagé dans son désir il s'aliénera au groupe pour vaincre son malaise de sujet désirant sans en prendre la responsabilité, assujetti au désir de l'Autre idéalisé voire persécuteur. Nous venons de préciser la dangerosité sociale de l'alcool par ces comportements jusqu'au-

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boutistes, dans un contexte de culture où l'argent souverain n'épargne personne, dans un chacun pour soi déconcertant, déstructurant. Cette solitude se retrouve aussi dans la pratique du Binge Drinking qui renvoie l'alcoolique du samedi soir à lui-même, profondément seul au sortir de sa biture. Des modalités symboliques existent-elles pour préserver contre l'excès mortifère ? Existe-t-il autre chose que l'interdit ou la répression pour résister contre ces jeux avec la mort ? Autrement dit comment tordre le coup à la pulsion de mort, soit dire non à la quête absolue d'une jouissance totale, cesser de courir après un fantasme de faire du Un avec la chose, en quête d'un nirvana, d'un paradis perdu ? Certains pensent que la Culture viendrait comme rempart et régulateur pour civiliser les pulsions par une opération que l'on appelle la sublimation, terme donné par Freud pour l'effet produit par la culture qui régulerait donc le pulsionnel. En effet, le sujet est-il produit par sa culture, ou bien le sujet n'est-il pas plutôt l'effet des signifiants qui le représentent tout d'abord pour un autre signifiant et non pas pour une culture donnée? Là est un point de vue radical qui ignore l'inconscient ou le met en évidence, selon la position subjective adoptée. Lacan reprendra ce thème pour nous mettre en garde, si la culture n'est pas première, c'est un encadrement nécessaire à endiguer les excès du signifiant. Lacan va réintroduire le désir pour contrecarrer les freudiens adossés au malaise dans la culture qui mettent la réussite de l'analyse dans la sublimation. L'enfant est aux prises avec le grand Autre (la mère) dès ses premiers instants de vie, de laquelle il attend un certain nombres de satisfactions auxquelles la mère répondra plus ou moins de façon maternelle par l'articulation au langage. Chaque réponse ou non et ses modalités, seront autant de signes et de valeurs d'amour demandés par l'enfant comme preuve de cet attachement. Celles-ci viendront régir la relation mère enfant de manière plus ou moins bonne. A l'adolescence, ces valeurs d'amour et ses signes seront exacerbés par l'entrée dans la sexualité génitale, sauf que l'adolescent ne pourra plus attendre de sa mère, de ses parents le signifiant qui le représente comme sujet, ce qu'il pouvait encore attendre comme enfant. A cette époque il ne peut pas non plus l'attendre de son partenaire amoureux, personne ne peut fournir un tel signifiant, d'où l'importance des relais symboliques pour attendre des jours meilleurs dans l'ordre des satisfactions. Ce vers quoi les adolescents devront tendre, ce n'est plus de se faire reconnaître ni comme objet d' amour ni comme objet de demande mais comme Sujet, c'est là tout le changement d'objectif propre à son passage à franchir, pour retrouver dans le lien social sa place de sujet désirant et singulier et d'en prendre toute la responsabilité, tel sera désormais l'enjeu de son devenir d'adulte. Chantal Cazzadori, psychanalyste à Amiens membre actif de l'association A.F. de Paris (1) Gilbert Poletti, psychiatre et psychanalyste à Bastia, membre de l'Association A.F. de Paris. (2) Argument de la journée d'étude du samedi 21 septembre à Bastia, dans la salle des délibérations du Conseil Général de l'Hôtel du Département de la Haute Corse. Informations : www.analysefreudienne.net / analysefreudienne@noos.fr (3) Robert Levy est docteur en psychologie clinique et psychanalyste à Paris, cofondateur de l'association Analyse freudienne depuis 20 ans déjà et de la Fondation européenne pour la psychanalyse. Il a largement inspiré le contenu de mon travail d'écoute et de retransmission

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lors de cette journée ainsi que Françoise Fabre, Charles Marcelles, Carol Watters et MarieFrançoise Zerlini, intervenants avec d'autres participants à cette journée de travail. Micro-bar à Bastia : interview de 4mn 50 réalisé par mes soins à regarder sur Youtub ou sur mon site-blog : www.chantalcazzadori.com espace presse média, sur l'alcool, l'adolescence et le Binge Drinking trois serveurs et une serveuse nous donnent leur avis sur ce sujet. Texte intégral de Gilbert Poletti ajouté à cet article pour ceux qui souhaitent en savoir davantage sur ce "rituel" appelé Pastizzata avec des entrées analytiques en supplément...

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Micro-bar à propos du binge drinking Date : 8 octobre 2013

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Suicide et Travail : quelques échos du Colloque International* Date : 3 décembre 2013

Le vendredi 11 et samedi 12 octobre 2013, s'est tenu à la Maison de la Chimie à Paris, ce colloque organisé par l'équipe de recherche du CNAM, en « Psycho-dynamique du travail et de l'action », ainsi que par d'autres organisations.* Après ces deux journées où étaient réunies près de 800 personnes de formation différente, sommes-nous venus à bout de la question principale concernant l'étiologie, c'est-à-dire les processus en cause dans la genèse des suicides au travail ? Cette question soulève des problèmes inédits qui font l'objet de controverses avec la psychiatrie et la psychanalyse d'une part, avec la théorie sociale d'autre part.

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Des réponses se font jour pourtant puisqu'une étape supplémentaire a été franchie. On peut en effet, aujourd'hui, retourner la violence de l'organisation du travail contre soi jusqu'à en mourir et en témoigner publiquement par une mise en scène qui sensibilise de plus en plus l'espace public et celui du droit. Des actions originales de résistance et de désobéissance sur le terrain du travail se manifestent dans le champ de la culture qui pourrait nous faire penser que nous souhaiterions nous réapproprier, par une action rationnelle, notre rapport au travail. Les débats et conférences de ce colloque nous en indiqueront-ils les enjeux possibles ? Les morts par suicide ne sont pas que franco-français comme nous le dirons les chercheurs et praticiens venus de Brasilia, Bruxelles, Louvain, Sydney, Taïwan, Genève, Francfort, Porto, Rome, Mexico, Le Québec, Athènes, São Paulo, Ottawa. De la salle, j'ai essayé d'enregistrer quelques idées-clefs extraites des analyses et questions qui ont sous-tendues les riches travaux des intervenants. Rien d'exhaustif ne sera produit ici, seulement quelques échos qui pourraient relancer notre propre questionnement sur un sujet qui reste malgré tout tabou. Faire trace et témoignage de ce travail, telle sera ma contribution singulière à l'action menée. Ainsi, une large diffusion de ce recueil de données sera faite sur mon blog et par d'autres canaux de communication afin de mieux outiller notre pensée pour participer à notre tour à la prévention de ce fléau des temps modernes.

Christophe DEJOURS, Chercheur au CNAM, ex-psychiatre, psychanalyste, Directeur de la revue "Travailler", va ouvrir ce colloque par ces propos: - Ce n'est pas le suicide qui nous réunit aujourd'hui mais le travail. L'être humain serait-il défini en laissant de côté le rapport qu'il entretient avec le travail ou au contraire, faut-il considérer le rapport au travail comme une dimension irréductible et inséparable de l'existence humaine ? Pourquoi cette question ? L'apparition des suicides sur les lieux de travail suggère que le psychisme au travail est tellement important dans la vie qu'il peut parfois devenir une question de vie ou de mort. Est-ce le cas pour certaines personnes seulement ? Est-ce le cas dans

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certaines situations de travail uniquement ? Ou bien au contraire le suicide au travail ne fait-il que réveiller une dimension méconnue du travail, à savoir que le travail joue un rôle organisateur central dans toute vie humaine ? S'il est un médiateur incontournable dans la dynamique santé-maladie, doit-il être considéré comme un malheur ? La malédiction apportant ce malheur serait-elle à l'œuvre ? - Si le travail peut générer le pire, le pire c'est la mort, par accident du travail, par maladie professionnelle et aujourd'hui donc par suicide, il peut aussi générer le meilleur. Considéré aussi comme une épreuve, l'épreuve de soi nous transforme, nous grandit, le travail peut-être donc un médiateur irremplaçable dans la construction de la santé et de l'accomplissement de soi. - L'objet de réflexion qui nous réunit ce jour, est particulièrement pénible, il a de quoi nous rendre tous pessimistes. Des sentiments comme la stupéfaction, l'indignation, l'accablement, la colère, l'angoisse s'emparent de nous quand la mort frappe de cette façon. Pour penser sa prévention il va falloir aller au-delà des sentiments et analyser qui est responsable quand un travailleur passe par cet acte d'autodestruction. La mort ne vient pas de l'extérieur mais d'un geste intérieur de l'individu, ce n'est pas un accident du travail ou une maladie, c'est le sujet qui commet l'acte meurtrier. Alors est-il seulement possible que le travail puisse engendrer un acte suicidaire ? C'est la question. Dans un certain nombre de cas, nous avons des lettres qui accusent l'institution de l'avoir acculé au suicide, il est donc primordial d'étudier cet acte. - Peut-on croire ? Doit-on croire ? Peut-on admettre que les contraintes de travail puissent avoir sur l'individu des effets si puissants qu'elles renversent sa volonté de vivre en volonté de se tuer soi-même ? Si cette mutation est possible, qu'est-ce-qui dans le travail possède ce pouvoir de faire basculer le désir de vivre en son contraire ? - Or c'est seulement à la fin des années 1990 que les suicides sur le lieu de travail ont commencé à être connus. Nous connaissons bien les suicides des agriculteurs qui ont lieu sur leur milieu de travail où ils partagent aussi leur vie. Aujourd'hui nous en parlerons peu, nous évoquerons davantage les suicides qui ont lieu spécifiquement sur les lieux de travail des gens de l'industrie et des services qui constituent la majorité des emplois dans nos pays d'Europe. - Si le travail peut aujourd'hui pousser un certain nombre d'individus à se suicider, il devient absolument nécessaire que nous trouvions les moyens d'arrêter ce désastre et de dégager des voies qui permettront de réorienter l'évolution du monde du travail, faisant en sorte qu'au lieu de pousser à la mort, il soit à nouveau mis au service de la vie, de la culture et du vivre ensemble. - Nombre de voix s'élèvent pour nier toute responsabilité du travail dans l'apparition des suicides sur les lieux de travail. On nie aujourd'hui le rôle du travail dans l'étiologie du suicide dont on affirme qu'il ne peut être dû qu'à des conflits prenant naissance dans l'espace privé ou dans la petite enfance. Nous ne perdrons pas de temps à répondre à ces argumentations qui relèvent, comme avec celles mises en avant pour l'amiante et les troubles musculosquelettiques, de la mauvaise foi. Nous n'éviterons pas pour autant les débats contradictoires entre nous, bien au contraire. - Il est probable que la plupart de celles et de ceux qui se sont inscrits à ce colloque, sont plutôt portés à prendre au sérieux, l'hypothèse d'une responsabilité des contraintes au travail contemporain, dans l'apparition des suicides. Mais cela n'implique pas pour autant que tous les doutes soient levés, même si les contraintes au travail ont une responsabilité dans ces suicides il y a de nombreuses questions à examiner sur les processus en cause qui ne sont pas toutes éclaircies de façon satisfaisante et qui font l'objet d'interprétations contradictoires entre les chercheurs. Nous avons donc pris l'initiative de demander à un certain nombre de chercheurs

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de différents pays du monde de réfléchir avec nous sur toutes ces questions.

ÉTAT DE LA RECHERCHE INTERNATIONALE SUR LE SUICIDE AU TRAVAIL Hsin-Hsing CHEN, is an associate professor of the Gruaduate Institute for Social transformation studies at Shilh-Hsin University (Taipei). A la limite du monde matériel : deux cas de troubles psycho sociaux reconnus par le droit taiwanais. Abstract L’auteur de cet article, Hsin-hsing CHEN, retrace dans le détail l’histoire de deux cas phares concernant les problèmes de Santé et Sécurité au Travail (SST), dans de grandes entreprises de Taïwan. Le premier cas concerne la dépression chronique sévère de Chen Chio-Lien (Chen), une salariée employée par l’une des plus puissantes entreprise d’électronique du monde, qui se serait manifestée à la suite du stress et des injustices, qu’elle aurait subis sur son lieu de travail. La tentative de suicide de Mme Chen a poussé les Comités de SST à déterminer des critères pour identifier les troubles psychiatriques des salariés liés au travail. Le deuxième cas, concerne Chang Pei-Feng (Chang), un jeune travailleur employé par la raffinerie Formosa Plastics, qui s’est suicidé en signe de protestation contre les manquements de cette société à respecter la réglementation en matière de SST. Son suicide a été reconnu comme un risque professionnel. Le concept politique de « culture visuelle » utilisé par Yaron Ezrahi, permet d’analyser les normes et pratiques des institutions taiwanaises inscrites dans la tradition judicaire civiliste. L’environnement social hostile au travail peut-être très douloureux pour les travailleurs et les conduire jusqu’au suicide. La poésie, les œuvres d’art témoignent de ce genre d’expériences fatales. Taïwan a été parmi les pays où la maladie mentale liée au travail et le suicide n’étaient pas reconnus légalement comme risques professionnels. Les deux cas reportés ici ont réussi à changer la donne. L’auteur a été amené à découvrir ces deux affaires lors d’une recherche pluridisciplinaire de 3 ans qui portait sur l’interface entre la science, la société et l’Etat à Taiwan. Alors que ses collègues se sont intéressés à examiner le système d’un point de vue environnemental, il s’est

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lui focalisé sur la question des maladies professionnelles. Si les problèmes qui touchent à l’environnement sont bien souvent visibles, ceux qui concernent les maladies professionnelles restent bien souvent confinés derrière les portes des groupes d’experts et des tribunaux. Si ces deux exemples sont à rapprocher, ils se différencient pourtant par leur niveau de visibilité au sein de la société. Dans le monde d’aujourd’hui, la visibilité sociale d’un problème passe par sa médiation et par la technologie. Un évènement est rendu « visible », rapidement, car il est partagé à travers les média-sociaux, commenté dans les blogs, alors qu’il n’existe en fait que très peu de témoins directes de l’évènement en question. L’auteur, va utiliser des outils conceptuels développés par la science des Etudes technologiques pour analyser les infrastructures institutionnelles. La Sante et Sécurité au Travail à Taiwan Malgré les reformes qui ont été mises en place il y a une vingtaine d’années, le système de SST à Taiwan est encore perçu comme opaque, complexe et ineffectif par les Taiwanais. L’auteur décrit ensuite le système de SST qui a pour but d’indemniser les salariés victimes d’accidents ou souffrant de maladies liées au travail. La procédure devant le comité d’experts est écrite et se fait sur pièces. Les décisions du comité demeurent confidentielles et ne sont pas publiques, alors que les décisions des cours et tribunaux sont au contraire publiques. Les maladies liées au travail sont très peu reconnues à Taiwan. De 2003 à 2012, seulement 46 cas de cancers ont été reconnus comme liés au travail. Cela étant, il va de soi qu’une maladie mentale sera encore plus difficilement reconnue comme liée au travail. L'auteur nous décrira par le menu le cas de Chen Chiao-Lien ( Entreprise électronique, Unitech Printed Circuit Board Corp), et celui de Chang Pei-Feng ( Raffinerie Formosa Plastic). Construction culturelle de la visibilité La différence entre ces deux cas est leur degré de visibilité respectif. Le cas de Chang a été très médiatisé, alors que celui de Chen est resté inconnu du public pendant les 6 ans que durèrent sa procédure d’indemnisation. Si le cas de Chang présente la caractéristique d’être plus « théâtral » dans la façon dont il s’est déroulé, celui de Chen est au contraire plus « mécanique » dans son déroulement. Ces deux caractéristiques font partie selon Ezrahi de « modes de reconnaissances de la culture visuelle ». Selon Ezrahi, bien qu’il y ait un antagonisme certain entre les idées de Boyle et de Hobbes, l’apport de ces deux philosophes fait partie intégrante du champ politique des Etats modernes d’aujourd’hui dont les institutions présentent aussi bien un aspect théâtral (dans le cadre du procès judicaire) qu’un aspect mécanique (comme par exemple dans la conception de Jefferson de la constitution des Etats-Unis qui fonctionnerait d’elle-même comme une horloge). Le monde étant devenu de plus en plus complexe, l’homme moderne ne peut plus en avoir une vision d’ensemble et, dès lors, faire appel à la science ou à la technologie pour comprendre des faits qui ne sont pas immédiatement visibles est devenu réalité quotidienne. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’appel à la science pour établir le lien de causalité exigé par le droit taiwanais pour reconnaitre la maladie liée au travail. La boîte noire comme un moyen d’atteindre l’objectivité La raison principale pour justifier de la confidentialité des délibérations d’ institutions est l’idée selon laquelle une décision sera d’autant plus rationnelle qu’elle a été prise au sein d’une boîte noire. Cette idée se retrouve dans la culture visuelle que l’on vient d’évoquer et peut se justifier par la croyance selon laquelle l’expert voit au-delà de que peut voir l’homme commun. Le système judiciaire taïwanais d’inspiration civiliste a été modelé sur les systèmes judiciaires

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allemand et japonais. Selon Merryman et Perez-Perdomo le système de la common law fait appel à la concentration (temporelle), à l’immédiateté (de l’espace) et à l’oralité. Par contraste, un système judicaire de culture civiliste se détache des caractéristiques liées à la théâtralité: il y a un manque de concentration du temps ; la preuve écrite est préférée à la preuve orale. Ces caractéristiques se sont développées pour assurer que la justice se fasse au sein du système judiciaire. Un mettant en place « un rideau documentaire » entre le juge, les parties et les témoins, on évite que le juge ne tombe sous l’influence du comportement des gens, des tentatives de corruption ou de manipulation des puissants. Le système judiciaire taïwanais est d’inspiration germanique dans le sens où il utilise une langue technique et abstraite éloignée du langage courant. Le juge a la « liberté d’appréciation de la preuve » ; il décide en toute rationalité. Cependant, il faut bien convenir qu’un système purement mécanique et la technique de la boite noire qui lui est associée apparaissent pour le moins incongrus pour aborder les questions de la maladie mentale et du suicide. Il va en effet sans dire que la manière la plus efficace pour déceler la souffrance d’autrui est de faire appel a son ressenti. Pour conclure : la lecture de la souffrance psychologique L’état du développement des sciences ne permet pas de lire avec fiabilité la psyché d’un individu : la technique de l’IRM n’aborde la psyché que sous l’angle de la neurologie ; le détecteur de mensonge est une technique qui n’est pas encore fiable. Influencés par la culture visuelle qui prévaut dans nos sociétés modernes, il n’est pas surprenant de concevoir que certains praticiens rêveraient d’avoir à leur disposition une technique d’imagerie qui leur permettrait de lire la maladie ou la souffrance mentale sous une forme graphique. Si une telle imagerie existait, la force d’une telle image serait beaucoup plus convaincante qu’un discours. Si la souffrance physique apparaît plus réelle et concrète que la souffrance mentale, ceci est le résultat de l’infrastructure des champs politique social et culturel qui prévaut sur l’expression du symptôme lui-même. Traduction effectuée par Mathieu DOUBLET, avocat international Paul JOBIN, Chercheur, Professeur en sociologie du Japon à l'Université Paris Diderot, nous présente son enquête réalisée au Japon : - On se suicide par surtravail au Japon, l'over-work, ce qui signifie intensification des tâches, contraintes de temps, quantité d'heures supplémentaires, 140 H par mois c'est courant, 6 jours sur 7 sur une semaine de 40 heures. - Conséquences : toutes les catégories d'emplois sont touchées par le Karoshi, qui est un surmenage généralisé : kar = trop, o = travail, shi = mort. - En 1990, c'est la première reconnaissance du mal : le karoshi. On meurt par maladie cardiovasculaire, on reconnaît donc cet infarctus comme maladie professionnelle, au même titre que maintenant la mort, par la maladie de l'amiante chez nous. - Hsin-Hsing CHEN de Taïwan et Jong Min WOO de la Corée du Sud, nous diront combien les avocats se mobilisent aussi à partir de ces épidémies de Karoshi qui auront un retentissement mondial. - Ce qui est en trop dans le surtravail, ce sont les heures supplémentaires, avec les

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conséquences qui révèlent d'autres aspects comme l'impact du travail de nuit, les cotations de travail élevées. Pourtant, on rencontre un déni systématique opéré par les cadres qui s'accrochent à refuser l'évidence, pourquoi ? - Les entreprises ont des intérêts économiques forts, du coup, le management manipule les calculs des heures supplémentaires. On assigne les tâches de façon informelle, on réduit volontairement le personnel à travailler à flux tendus. Les systèmes d'évaluation sont appliqués de manière vague, c'est son mode et les critères retenus qui sont problématiques. On a tendance à surmédicaliser les gens dépressifs. - La reconnaissance du karoshi a permis de sortir le suicide d'une attribution psychiatrique. Les statistiques réalisées par la police sont plus élevées que celles du Ministère de la santé, sur huit catégories de suicide, la 1ère concerne la santé, la 2ème l'économique, la 3ème la famille, la 4ème cause est liée au travail. Ces problèmes s'ajoutent à ceux posés par le surtravail des longues journées effectuées. Ce tableau nous laisse interdit n'est-ce-pas ?

Loïc LEROUGE, chargé de recherche au CNRS, docteur en droit, intervenant pour la France nous parlera de la santé au travail à travers une perspective juridique. - La santé au travail nous touche collectivement au point qu'un Observatoire va être mis en place par le Ministère en janvier 2O14, c'est une bonne nouvelle. En 2O12, un droit d'alerte du salarié pour les entreprises de plus de 50 salariés a été donné par le code du travail. La gestion des risques est en prévention, les critères sont nommés, dorénavant le travail pourrait être à la source d'un acte suicidaire qui ne serait pas que personnel. L'employeur doit avoir connaissance des appels à l'aide. - La surcharge quantitative et qualitative est elle aussi à l'examen en France. Cette autonomie laissée à chacun pour qu'il puisse répondre au mieux aux exigences de la production présente de réelles difficultés, ce sont des formes qui sont difficiles à repérer et néanmoins ont un effet délétère sur la santé psychique d'un salarié qui va s'engager dans un travail qui souvent le déborde avec l'incapacité de faire face sans se nuire à soi-même. Angelo SOARES, est professeur au Département d'Organisation et ressources humaines de l'Ecole des Sciences de la Gestion à l'Université du Québec à Montréal - UQAM. -Il conduit des recherches sur le harcèlement moral, les violences au travail, les émotions et la santé mentale au travail. Il est sociologue du travail et il a complété son stage de post-doctorat à l'UQAM. Il est membre de l'Institut Santé et Société et du Centre de recherche et

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d'intervention sur le suicide et l'euthanasie- CRISES à l'UQAM. Il a été chercheur invité à l'Equipe GTM - Genre Travail Mobilités du CNRS de septembre à décembre 2008 et professeur invité à l'Université de Sao Paulo en 2009 et en 2013. - Il a illustré son propos par des schémas et tableaux qui traduisent bien sa recherche, voici quelques informations photographiées à l'écran :

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Jong Min WOO, est psychiatre, Professeur à l’University School of Medicine de Séoul en Corée du Sud. Ses travaux portent sur l'épidémiologie, les actions de prévention en matière de santé mentale, ainsi que les effets de l'organisation du travail sur la santé mentale. Il est l'auteur de nombreuses publications. - Sa transmission se fera par quelques schémas et graphiques photographiés de la salle, à défaut d'avoir pu enregistrer son intervention.

État actuel des problèmes concernant la santé et le suicide au travail en Corée

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4ème cause de mortalité

taux de suicide au sein de l’OCDE

taux de suicide au sein de l’OCDE

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suicide et dĂŠpression

dĂŠpression et stress chez les managers

taux maximal de stress liĂŠ au travail

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les Sociétés utilisent de plus en plus les progrès de l assistance…

Concernant l’intervention du chercheur Thung-Hong LIN la traduction captée est inaudible, donc absente, à mon grand regret. Heureusement Michel Debout discutant nous fera une synthèse générale de cette première matinée. Michel DEBOUT, Professeur de Médecine Légale et de Droit de la Santé au CHU de Saint Etienne. En quelques mots : dans les interventions des chercheurs de l'Asie, ce qui frappe c'est la similitude repérée dans ces pays et ceux de l'Amérique du nord ou en France. Les deux problématiques qui surviennent partout sont : - La solitude comme ressource tarie de l'échange avec ses camarades. - L'incapacité de pouvoir compter sur l'autre, mettre en commun ce que l'on se dit, de se trouver les uns contre les autres et non Avec. La question du lieu, de l'image sociale au travail est une question clef. Il ne s'agira pas de confondre causalité et prévention. La causalité a à voir avec la démarche de la reconnaissance. Un suicidé a une histoire et toute histoire est éclairante, c'est à partir de cette lecture là qu'on pourra pointer s'il s'agit de harcèlement, mutation forcée, discrimination, manque de ressource collective, et à partir de là, mettre réellement en place la prévention qui s'impose.

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ÉTIOLOGIE DU SUICIDE Bernard ODIER, psychiatre-psychanalyste, directeur de la Polyclinique de l'association santé mentale du 13e arrondissement de Paris (ASM 13), présentera une approche du suicide par la psychiatrie. - Il fera un petit détour historique en passant par la conception religieuse du suicide au 17ème siècle qui prévaut comme pêché, si ce n'est pas un crime voire un sacrifice, et finira par Philippe Pinel, médecin idéologue, qui créa des maladies mentales, et établit ce lien mélancolie et suicide. - Ensuite, il annoncera ce chiffre énorme de 300 000 tentatives de suicides par an en France avec une intense activité du Samu et des services de réanimation. Ces suicides se différencient, on y trouve des tentatives volontaires, des para-suicides (accidents après alcoolisation par ex.), des kamikazes, des martyres qui malgré leur provocation à la guerre peuvent s'apparenter au suicide. Il y a aussi un noyau dur de 10 000 suicides, ceux qui tuent leur proche et eux-mêmes ensuite, d'où la question : y-a-t-il des suicides normaux ? - Il n'est pas facile d'identifier les facteurs qui ont précédé le suicide, comme facteurs qui peuvent agir de façon latente. Il ne s'agit pourtant pas de « psychoter » sur le thème des idées noires ! Il y a un désespoir proportionnel aux attentes des gens et des intellectuels, le déclassement, faire le bilan peut être fatal. Annie BENSAID, psychiatre, psychanalyste en formation à l'AFP, discutante posera la question de la causalité psychopathologique ou l'effet des conditions de travail sur l'individu. - Il est important d'écouter le discours et la subjectivité dans ses différentes formes réactionnelles, violentes à des modes de vie décourageants qui poussent à la tentative de suicide. Le message est toujours adressé, il s'agit d'en accuser réception, d'en décrypter le sens. Que revendique le sujet quand il se suicide ? Y aurait-il une pathologie existante dont les conditions de travail auraient un rôle à jouer sur le sujet ? Le contexte est impérativement à prendre en compte car il peut avoir une incidence psychopathologique lui aussi. - Elle nous fait remarquer que le savoir psychiatrique est en lui-même imparfait. Le suicide au travail se situe-t-il en interne ou en externe ou du côté des deux ? « Que veut-on tuer quand on veut se donner la mort ? » dira St Thomas. Les suicides raisonnés, philosophiques nous enseignent aussi. Hegel disait déjà : « La mort est le travail suprême de l'individu contre la communauté. »

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Isabelle GERNET, psychologue clinicienne et maître de conférences en psychologie clinique à l'université Paris Descartes, co-rédactrice en chef de la revue "travailler", par son approche psycho-dynamique du travail, nous parlera justement de l'introduction des nouvelles méthodes qui s'accompagnent de l'apparition de modification de la subjectivité en milieu hospitalier. - Des soignants expriment une grande souffrance et relatent des épisodes de décompensation inattendus de certains collègues ainsi que des dysfonctionnements de l'organisation du travail, qui ont de graves conséquences sur les soins donnés aux patients. Le travail ne peut jamais se réduire à une pure activité de production d'un service mais l'engagement subjectif dans la tâche, le travail effectif mobilise l'ensemble de la personnalité avec la possibilité par exemple de l'accomplissement de soi. L'évaluation va mesurer les effets des méthodes de gestion qui prônent le travail prescrit et non pas le travail effectif, invisible, non codifié pour essayer d'atteindre les objectifs prévus. Les tarifs fixés, chaque prise en charge est désormais contaminée par une gestion à suivre même si cela s'avère impossible. Une gestion qui vise à réduire le coût des séjours et à optimiser le plein emploi demande aux soignants un savoir faire ingénieux, inscrit nulle part, discret pour faire face aux imprévus en ajustant les pratiques. Le savoir faire des corps se développe en réponse à des vécus incohérents où l'ordinateur fait autorité, annulant arbitrairement toute communication ou échange pour parler des conflits, des problèmes d'organisation dans l'exercice des soins quotidiens. Que sont alors devenues les règles communes que nous appelons règles du métier ? Christophe DEJOURS, titulaire de la chaire Psychanalyse-Santé-Travail au CNAM, membre adhérent de l'Institut de Psychosomatique de Paris, va conclure cette première journée. Si le travail joue un rôle majeur dans l'apparition du suicide au travail, l'analyse des processus en cause nous indique déjà des écarts, des contradictions dans la clinique, la pratique et la théorie. Le suicide au travail serait-il spécifiquement français ? Oui selon trois critères : - Les Français accordent dans leur vie une place plus importante que les autres au travail. - Les Français sont les plus grands consommateurs de psychotropes du monde. - Les Français sont les plus pessimistes. Ces statistiques prêtent à caution, à l'écoute de ce qui a été dit par les chercheurs présents ici. Les suicides au travail ne se présentent-ils pas de façon identique dans différents pays ? En Asie, la surcharge du travail est une issue fatale, en France c'est par l'organisation du travail que ça se recoupe. - Reconnaître la responsabilité qui revient au travail fait réagir les forces hétérogènes telles que les assurances, les syndicats, les juges, le droit qui s'invitent sur le sujet. Si les conduites sont différentes chez les travailleurs de chaque pays, l'élément commun c'est l'évolution de l'organisation du travail. Quelle place réserve t- elle à la psychologie individuelle ? - Les déterminismes directs des contraintes sur le sujet engendrent la peur. Abandonner la thèse psychiatrique et les déterminismes psychopathologiques renvoie à une réponse prudente. La thèse multifactorielle du suicide est inacceptable. Les déterminants de la maladie mentale ne se coordonnent pas avec les mécanismes professionnels. La plupart des malades mentaux ne travaillent pas et parfois n'ont jamais travaillé. Certains suicides ne présentent aucune trace psychopathologique. - Pour qu'un individu en vienne à se suicider à cause d'une surcharge de travail ou une discipline imposée par le management, il faudra que ses défenses tombent et cela n'est pas si

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facile, car les défenses sont suffisamment fortes (déni, clivage, banalisation) pour blinder le psychisme de la personne qui résistera puissamment afin de ne pas craquer. C'est ainsi que l'on remarque que les contraintes délétères du travail sur la santé psychique ne conduisent qu'une minorité de personnes très engagées dans leur tâche. Oui, c'est plutôt la qualité de l'engagement de l'individu que sa fragilité qui va primer. - Beaucoup d'entre nous détruisons notre vie personnelle progressivement à cause du travail. Il n'y a pas de séparation entre le travail et le hors travail, donc tout ce qui nous tombe dans le travail a des implications sur notre vie allant jusqu'à la capacité de broyer l'amour. - A propos du collectif, tous ceux qui s'engagent dans le travail ne se suicident pas et comment font-ils pour y échapper ? Il se pourrait que cela ne dépendent pas des caractéristiques de la personnalité mais de la qualité du collectif en terme de régulation et d'entraide devant la solitude qui est un élément clef. - Quelles sont donc les causes de la solitude ? Cette solitude est-elle nouvelle ? D'où nous vient la solitude ? Qu'est-ce-qui caractérise à contrario le lien d'entraide et de solidarité ? Les suicides répétés ont des conséquences sur les travailleurs, les témoins. Les suicides au travail ne marquent pas que la fin d'un processus tragique, répétés ils sont à leur tour un point de départ. Ils engendrent la peur et la peur à des conséquences sur le fonctionnement du collectif. - Demain lors de notre deuxième journée de colloque, des réponses seront sans doute apportées à ces interrogations.

SUICIDE AU TRAVAIL ET SOCIÉTÉ David LE BRETON, professeur de sociologie à l'université de Strasbourg, auteur de nombreux ouvrages, parlera des approches sociologiques du suicide. - Pour lui, les déterminants sociaux ne suffisent pas à orienter l'individu vers des choix irrémédiables. Les conditions sociales sont toujours liées à des conditions interpersonnelles. Les individus ne sont pas des adultes éternels n'ayant jamais eu d'enfance, ni d'inconscient, ni de difficulté comme pourraient le penser certains sociologues. Le suicide est toujours un fait de significations, il traduit l'attitude sur le moment d'un individu singulier face à une situation. On ne se tue pas à cause d'une séparation, d'un deuil, de sa solitude, de sa vieillesse ou de sa misère mais parce que l'existence ne paraît plus possible.Ces moment-là sont vécus par l'individu comme des tragédies sans issue. - Si le travail était au cœur de l'existence et donnait à l'individu sa fierté, son épanouissement, le sentiment de sa valeur personnelle, il est clair que le mépris, le harcèlement, la menace,

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ébranleraient en profondeur son attachement à la vie et parfois même les proches sont impuissants à endiguer sa chute. Ce n'est pas l'évènement lui-même qui induit l'envie de mourir mais l'interprétation qu'en donne l'individu au regard de son existence. Il échoue à mobiliser des capacités de résistance, à mobiliser la solidarité de l'entourage du travail. - De son point de vue de sociologue, il nous dira que le suicide contient toujours une part d'énigme. Les moyens de comprendre sont enfouis dans une histoire de vie, essayer de les reconstituer relève davantage d'hypothèses que rien ne pourra réellement fonder. - Les Sciences Sociales seraient davantage des questions à tout plutôt que des réponses à tout. Il y a toujours une part humaine qui nous échappe. Les motifs d'un suicide sont sans doute inextricables car ils mêlent trop de liens, de résonances secrètes, de blessures et de silences.

SUICIDE AU TRAVAIL ET MONDE DU TRAVAIL Duarte ROLO, psychologue clinicien à l'Université Paris Descartes, psychologue du travail au CNAM, et doctorant en psycho-dynamique du travail, relatera les conséquences du suicide dans un centre d'appels. - Quel héritage est laissé au collectif qui continue à travailler après un suicide dans le service? Après une enquête réalisée à ce sujet dans un centre d'appels d'une grande entreprise, le psychologue du travail découvre les faits suivants : - L'entreprise devait se débarrasser de 20% de ses effectifs en 2 ans, tous métiers confondus. Pour obtenir ces chiffres, elle mit en place des techniques de management déstabilisantes afin d'inciter son personnel à la démission en créant un fort climat anxiogène. Par l'évaluation individuelle quantitative des performances des conseillers, il leur était assigné des objectifs de vente maximum, affichés chaque jour sur l'ordinateur, contraignant le salarié à forcer les ventes envers et contre toute logique, dupant ainsi le client. Ce climat provoqua haine et trahison dans le collectif, incitant les uns et les autres à jouer le jeu. Un classement de chacun, mit sous le regard de tous, entretenait la mauvaise ambiance. Certains réussissaient brillamment en entrant dans une compétition sans morale pendant que d'autres entraient dans une souffrance éthique, car, comment accepter ces compromissions et se plier aux ordres en faisant des actes que l'on réprouve moralement ? - Par ailleurs, l'entreprise mit en place des challenges ludiques : autour de jeux de compétitions entre équipes, les gagnants recevront des" bons cadeaux". Accepter de mettre le pied dans cette nouvelle forme de communication interne, c'est se soumettre au dispositif mis en place justement pour manipuler par ce biais les salariés invités à donner leur accord, en participant

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par cet acte à l'idéologie de l'entreprise. Ces jeux servent donc à lutter contre la souffrance éthique et par là même permettent de se construire des stratégies de défense pour inhiber la pensée, et inciter chacun à se débarrasser de ses propres questions éthiques, en capitulant de façon infantile et régressive. N'est-ce-pas entretenir l'ordre social en vigueur plutôt que de s'y opposer en se soumettant ainsi à ces manipulations ludiques? N'assistons-nous pas ici, à une perversion du système puisque les stratégies de défense, habituellement mises en place par les salariés pour tenir le coup, sont là insidieusement imposées par l'encadrement ? Ces conduites paradoxales infligées aux salariés ne présentent-elles pas, par conséquent, un sérieux danger pour leur santé psychique ? - On voit combien des techniques de soumission par des techniques de manipulation à tous les étages de l'entreprise marchent, sans avoir besoin de passer par la force et la violence ! Le surgissement des suicides sur les lieux de travail joue un rôle essentiel dans l'engourdissement de la capacité de penser de ceux qui résistent dans l'entreprise. La dégradation du vivre ensemble n'est pas seulement une cause du suicide, mais elle devient aussi une conséquence de la multiplication des suicides. Celle-ci joue un rôle majeur dans la détermination des destins de la souffrance des salariés, elle influe de plus considérablement sur le pouvoir d'agir des collectifs par le truchement davantages pernicieux, l'abrasement du pouvoir de penser, de critiquer, de s'opposer à l'organisation du travail. Les méthodes qui invitent à la soumission régressive demeurent très peu connues du public.

INCIDENCES SUR L'ACTION Christophe DEJOURS ouvre la discussion : - L'action doit avoir des points d'appui institutionnels qui renforcent l'autorité pour ceux qui interviennent. D'autres acteurs comme des auteurs, cinéastes, metteurs en scène, artistes, s'impliquent aussi et s'emparent de la question du suicide au travail, nous en avons bien besoin.

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Jean-Pierre BODIN, acteur auteur et metteur en scène, - Nous parlera de son expérience auprès de l'usine de son pays, à Chauvigny, où il est allé enquêter sur Philippe Widdershoven, cadre et délégué syndical, accusant dans une lettre ses patrons de l'avoir poussé à la mort. A partir de ces témoignages d'ouvriers, il a réalisé ensuite une pièce intitulée "Très nombreux, chacun seul", où se joue la dispersion individualiste, voulue par les techniques nouvelles managériales des entreprises. Il mime dans une belle partition de comédien, la disparition des savoirs et savoir-faire ainsi que le délitement des dignités et des fiertés du monde ouvrier qu'il connaît bien. - Christophe Dejours a apporté sa contribution sur un montage vidéo, où, en quelques phrases fortes, il diagnostique bien un suicide et non un accident du travail. Une histoire authentique mise efficacement en scène qui témoigne de l'esprit des manipulations d'une usine passée aux mains de représentants de la finance prédatrice, comme le relate le journaliste Jean-Luc Bertet dans le journal du dimanche (JDD) de juillet 2012. Collectif de réalisation Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin, Roland Auzet avec la participation de christophe Dejours * "Sur une idée de Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson Textes : Simone Weil, Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Christophe Dejours, Sonya Faure (Libération du 15 avril 2009). Philippe MÜHLSTEIN, syndicaliste à la Fédération Sud-Rail. Ingénieur, formateur interprofessionnel sur les questions de souffrance au travail, ancien chef du Service central d’Ergonomie de la SNCF, direction RH (1989-1991) : - Les méthodes d’organisation du travail et de management ne visent pas l’efficacité mais bien la domination. Il s’agit là vraiment de fabriquer de la soumission, avec des méthodes violentes et manipulatrices. - - Trente six cheminots ont mis fin à leur jour sur leur lieu de travail ou dans les emprises ferroviaires depuis début 2007. Quel message donnent-ils à entendre quand on sait la portée symbolique, pour un travailleur du rail, de se jeter sous un train ? - Il existait jusqu’aux années récentes un déni syndical de la souffrance psychique au travail, qui n’était pas considérée comme un « sujet syndical ». Nous constatons que la psychologie individuelle a du mal à être pensée par les militants de l’émancipation en général, mais ces obstacles sont désormais en voix d’être surmontés dans les syndicats. - Nous avons mis au point à SUD-Rail, il y a trois ans et demi, une formation syndicale intitulée

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« Violence managériale et souffrance au travail ». Elle est dispensée sur deux jours et traite notamment de l’histoire politique de l’irruption de la souffrance au travail depuis les années 1990, de la notion très polysémique (et très idéologique)de stress au travail, du harcèlement moral (notion « rideau de fumée » que nous tentons d’éclaircir), des stratégies de défenses collectives (notion à connaître), de l’apport des travaux menés en psychodynamique du travail sur la souffrance éthique, de l’obéissance et du consentement, concepts dont la distinction a été magistralement illustrée par Hannah Arendt. - La prise de conscience qui en découle ouvre aux syndicats de nouveaux horizons de compréhension, donc de résistance et d’action. Nous ne devons pas nous taire devant l’inacceptable ; nous devons considérer l’être humain, intrinsèquement, comme un « animal politique », c’est-à-dire forcément lié à autrui et à la collectivité, travaillé au plus profond de luimême par la parole, par le désir et par l’inconscient. Pour prendre le contre-pied d’une expression célèbre de Max Weber, nous pensons qu’il ne saurait y avoir de « neutralité axiologique » dans l’action syndicale ». Lors de la discussion qui suivit avec le public de salle, l’accent a été mis sur les effets sociaux du suicide et ses conséquences sur ceux qui restent. L’intérêt majeur de l’enquête sur les conseillers en centre d’appels montre le rapport entre le suicide et la souffrance éthique ainsi que la fabrique de la soumission par les techniques de la nouvelle organisation du travail. Par un déni de la réalité pour ne pas penser à ce qu’il fait, le collectif se détériore. Elisabeth WEISSMAN, journaliste, essayiste, Paris. Diplômée de Sciences Po, revendique un regard politique et critique sur les questions sociales et de société. C'est ainsi que depuis la mise en œuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques (en 2007 sous la présidence de Sarkozy, devenue Modernisation de l'Action Publique, sous la présidence Hollande), elle travaille à débusquer les incidences de la dérégulation libérale des services publics sur les agents de l'Etat : souffrance et suicide au travail, attaque des identités et collectifs professionnels, dénaturation/déshumanisation des missions, et en réaction, recherche et expérimentation de nouvelles formes de résistance individuelle et collective. Pointant la diabolique cohérence de l'entreprise de démantèlement qui gangrène tous les services publics, son dernier livre (Flics, chronique d'un désastre annoncé. Stock 2012) se focalise plus particulièrement sur le malaise de la police républicaine. Lors de ce colloque, elle nous a illustré vivement par maintes expériences-enquêtes ce qu'elle a exploré : les ravages de l'extension du domaine de la marchandisation néo-libérale sur les sphères privées mais surtout publiques, comme elle l'écrit aussi dans ses derniers ouvrages. Philippe PETIT, journaliste à France Culture, producteur de l'émission "Les nouveaux chemins de la Connaissance", licencié en juillet 2013, essayiste et philosophe, - En évoquant son ami Georges Navel, 1945, il rappelle sa phrase venant à point nommé aujourd'hui : "Il y a une tristesse ouvrière dont on ne guérit que par la participation collective", cette évocation sert à constater le déclin de la solidarité collective dans la plupart des secteurs du travail. Les média dans un certain sens y contribuent, l'information telle qu'elle est distribuée aujourd'hui est une inhibition à l'action, elle ne peut que participer au démantèlement des solidarités collectives. La question centrale sur l'Europe sociale sera de choisir, de choisir quoi ? Si on contourne les droits nationaux pour faire l'Europe sociale nous irons encore davantage et de façon accélérée vers ce délitement des rapports humains. Il conclura son exposé en

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déclarant qu'il n'a lui-même, reçu aucun appel de ses collègues de travail depuis son licenciement. Florence BEGUE, psychologue du travail, formée à l'ergothérapie, co-auteur avec Christophe Dejours de l'ouvrage "suicide et travail, que faire ?" au Puf 2009. - Comme dans son livre écrit sur sa clinique pour briser la loi du silence, elle analyse les causes mais surtout les principes d'action pour enrayer le fléau. Dans son exposé d'aujourd'hui, elle nous indique les différentes étapes mises en place progressivement lors des demandes faites par des entreprises aux prises avec la souffrance au travail. - D'abord, prendre du temps pour poser des questions aux personnes en souffrance, puis créer un groupe de pilotage avec des volontaires qui construiront un document présenté à la direction pour s'en servir ensuite, afin d'animer les débats autour de ce sujet tabou au sein de l'entreprise. - Oser parler, se parler, se préparer à questionner, remettre la pensée en marche pour témoigner. Ces dispositifs fondent les conditions de la parole, du parler vrai qui mobilise, engage, redonne l'espoir. La démarche déborde toujours la mise en place du cadre installé. - Neuf principes sont dégagés pour reconstruire le tissu social et les solidarités, ils serviront de cadre de référence pour l'intervention : - Bien maîtriser les références théoriques issues de la psycho-dynamique du travail et de l'action enseignée au CNAM, pour aborder le terrain. - Avoir un statut d'indépendance en qualité de clinicienne. - Faire un travail sur la demande adressée par l'entreprise. - Former une équipe d'intervention comme point d'appui interne. - Avoir un appui externe (superviseur désigné pour élaborer après-coup les problèmes posés par la situation anxiogène). - Créer un collectif de pilotage interne. - Faire des entretiens individuels. - Faire des entretiens collectifs. - Considérer l'enquête comme action. A partir d'une expérience vécue et pilotée selon ce dispositif, Florence Bègue, nous a illustré magistralement ces étapes suivies pour réussir à laisser le groupe engagé à continuer sa pratique vigilante et à rebâtir ainsi les solidarités coupées.

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INCIDENCES SUR LE DROIT Pierre-Yves VERKINDT, Professeur à l'Université Paris 1, à la Faculté de droit de Lille, Avocat au Barreau de Lille (1977-83), membre du jury d'agrégation de sciences de gestion (2011-2012). - Comment passer d'un fait réel, concret, à une règle de droit ? C'est là, le rôle fondamental du droit. Il est clair qu'un travail de qualification est très dépendant du contexte de l'époque, et la position de celui qui qualifie en intervenant est elle-même située. En effet, chacun est situé quand il parle, son travail de qualification et d'interprétation est au cœur de la démarche et retentit dans toutes les hypothèses où il faut passer du réel au droit. - Parmi ces hypothèses, il y a la question du suicide au travail. Quels sont alors les effets du travail de qualification ? Dire, nommer la chose c'est déclencher l'application de la règle. Ce n'est pas neutre ! Dire qu'un suicide est un accident du travail, c'est dire qu'il y a une présomption de rapport entre le choix de se donner la mort et le travail. Lorsque le salarié tente de se suicider chez lui, à la suite d'un entretien d'évaluation qui s'est mal passé, la juridiction du travail tente de dire que la réalité du travail déborde le lieu et le temps du travail. Il y aurait un lien alors entre les deux. La reconnaissance et la qualification se construisent sur une base individuelle. - Avec l'idée de prévention, on réintroduit l'idée du collectif. Pour cela il faut que l'entreprise se donne des moyens, fasse des choix managériaux adaptés à la prévention de la santé de son personnel. La réparation ne se limitera plus à une allocation, mais elle se verra être imposée par le Juge. C'est au titre du rôle de passeur qu'il remettra les règles en application de la norme. Rachel SAADA, avocate, inscrite au Barreau de Paris depuis 1985, membre du Conseil de l'Ordre du Barreau de Paris de 2008-2010. Présidente de la section de Paris du Syndicat des Avocats de France (2004-2007). Co-auteur avec Marie Pezé et Nicolas Sandret du livre : "travailleur à armes égales" (Ed. Pearson). - Où sont les obstacles pour évoquer les espoirs ? Devant les Conseils de Prud'hommes, il y a en effet de sérieux obstacles puisque les élus patronaux-employeurs refusent la description de la réalité du travail et voudraient que ce lieu existe seulement pour arbitrer la rupture du contrat de travail et non celui où l'on discute des conditions de travail. Il est donc plus compliqué de parler devant les Conseils de Prud'hommes des droits de la santé et de la sécurité, mais c'est une difficulté inhérente à la juridiction. Pourtant, nous arrivons à obtenir des décisions intéressantes si nous ne baissons pas les bras. - Il n'y a pas en France, aujourd'hui de politique pénale autour des questions de santé au travail, comme en Italie sur la question de l'amiante par exemple, où cette politique pénale existe. - Le troisième obstacle, c'est le risque plus grand de dénonciation calomnieuse qui peut s'abattre sur celui qui a été victime. - Où sont par conséquent les espoirs ? - Il nous faut évoquer le droit d'alerte à utiliser pour les délégués du personnel souvent peu usité car méconnu. - L'action des CHSCT et des Syndicats qui peuvent saisir le Juge. Un coup de tonnerre dans l'univers du droit a été donné par un Juge qui a pu interdire à un employeur certaines pratiques (Usine Snecma 2010). D'autres exemples de ce type ont suivi, comme le TGI de Lyon concernant la Caisse d'Epargne, là où une décision a été frappée d'appel. Les syndicats ont lancé une action contre l'employeur pour que soit interdit un processus qui s'appelle le Benchmarking. Un benchmark est un indicateur chiffré de performance, dans un domaine

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donné (qualité, productivité, rapidité des délais, etc.), tiré de l'observation des résultats de l'entreprise qui a réussi le mieux dans ce domaine. Cet indicateur peut servir à définir les objectifs de l'entreprise qui cherche à rivaliser avec elle. Dans ce lieu précisément, l'employeur va se voir interdire par le Juge de poursuivre l'évaluation des salariés. Par les résultats dégagés au travers du Benchmarking, le Juge relève : une atteinte à la dignité des personnes, une dévalorisation permanente utilisée pour créer une compétition ininterrompue entre les salariés, ainsi qu'une culpabilisation du fait de la responsabilité de chacun dans les résultats collectifs , c'est-à-dire, d'avoir privilégié la vente au détriment du conseil. Voilà le type d'action que le CHSCT et le Syndicat peuvent mener. - Le TAS, tribunal des affaires sociales où les salariés sont représentés auprès des employeurs. Ici, le droit n'est pas pénal mais moral. Son objectif est double : faire reconnaître la faute et faire peser le prix du préjudice sur l'employeur et non plus sur la victime. C'est rendre à la collectivité le dégât fait par l'entreprise. Après ces précieuses précisions des axes juridiques possibles, Rachel Saada, nous a relaté par le menu son enquête sur l'un des premiers suicides d'une série de trois, chez Renault. Elle est allée chercher des choses que personnes ne savaient par son investigation intelligente, osée et tenace. La CGT lui a donné accès aux boîtes d'archives pour remonter pas à pas la filière de 10 années de procès verbaux du CHSCT. Il s'est avéré qu'Antonio B. ingénieur de 39 ans, qui s'est jeté du 5ème étage du bâtiment principal du techno-centre de Guyancourt, était l'un des trois salariés à s'être suicidé en quatre mois en 2006 et 2007. Il n'était en fait que la manifestation individuelle et singulière d'un risque collectif anormal et encouru par tous. Dans ses trois missions transversales, personne n'évaluait sa charge de travail, ni ce qu'il faisait exactement en terme de responsabilité, ce qui a fini par peser fatalement sur sa santé psychique. En conclusion, on en revient à la question politique de l'entreprise qui privilégie le culte de la rentabilité financière, la culture du sous effectif, la recherche de la performance. Pour le Juge, il s'agit alors de démontrer qu'on ne peut pas tout sacrifier sur l'autel de la rentabilité financière en évaluant les risques psycho-sociaux qu'on connaît et ceux qu'on ne connaît pas. Un employeur ne peut ignorer donc les risques encourus sur la santé quand l'organisation du travail s'avère inhumaine. Il doit donc veiller à la maîtrise permanente des risques eu égard au respect dû à la personne. La santé au travail est l'affaire de tous, comme nous le rappellera le Juge.

Conclusions du colloque apportées par C. Dejours, Président du Conseil Scientifique de la Fondation Jean Laplanche: Après ses remerciements adressés aux personnes qui ont soigneusement et efficacement préparé de façon non visible, le bon déroulement de ce colloque, il reste impressionné par la qualité des prestations des orateurs et les remercie chaleureusement.

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- Il a été dit au cours de ce colloque que parfois les sociologues se servent d'une psychologie rudimentaire, spontanée, dite de bazar pour interpréter les rapports sociaux. La même chose pourrait être retournée du côté des cliniciens qui ignorent souvent, eux-aussi comment s'analyse la société, et l'impact que cela peut avoir sur l'avenir dont nous comprenons cette histoire du suicide au travail, si justement nous nous contentons d'utiliser une psychologie de bazar. - Il va essayer de tirer un fil sur cette partie qui est peut-être la plus difficile. Il n'est pas possible en effet, même si nous accordons une place importante à l'organisation du travail dont nous faisons tous plus ou moins les frais et au déterminisme social, d'évacuer la dimension clinique et psychologique qui est terriblement convoquée dans cette affaire de suicide au travail. On ne peut pas faire l'impasse sur la psychopathologie, le rapport entre l'organisation du travail, les rapports sociaux d'un côté et le suicide de l'autre passent par un intermédiaire, qui n'est pas seulement l'individu mais qui est aussi un fonctionnement psychique. On peut dans certaines conditions le casser même si ce n'est pas chose facile. - Nous avons des ressources psychiques face à la souffrance, des stratégies de défense mais pas que ça pour transformer cette souffrance en création. Certes, si nous sommes capables d'analyser nos douleurs, l'accès à la sublimation, ce n'est pas si simple. L'empêchement ou l'obstacle à la sublimation est grave, bien que ça ne réussisse pas à tous les coups. La subjectivité il faut le souligner, est évacuée par les théories et les concepts dont on nous abreuve par la bataille des mots liés au RPS (les risques psycho-sociaux), au stress, à la résilience etc. Toutes ces choses là, sont des machines pour ne pas nous attaquer à la question de fond de la psychopathologie. - Nous ne pouvons pas conclure sur cette question de la clinique, car nous n'en n’avons pas complètement élucidé la dimension proprement individuelle et psychologique, au cours de ces deux jours. La question principale à travailler est la question de la domination. Nous ne sommes pas allés assez loin dans les rapports entre travail, domination et santé mentale. - La clinique nous raconte que quand on travaille nous subissons la domination mais là où c'est compliqué, c'est que nous exerçons nous-mêmes la domination. Nous engageons le destin des autres, de ses subordonnés, de ses clients, nous participons que nous le voulions ou non, à cette domination quand nous travaillons. - Comment la domination entre en nous et s'installe dans notre fonctionnement psychique? Quel ravage produit-elle ? Comment nous en sortons-nous ? Comment ne nous en sortonsnous pas ? Si c'est une dimension individuelle, irréductible, en revanche, la question de l'action, et c'est vrai pour tout le monde, n'est pas qu'une affaire individuelle, ça n'engage pas que l'individu, notre santé ne dépend pas que de nous, notre santé mentale dépend elle aussi des autres. - Par conséquent, le suicide ne dépend pas que de nous, c'est un contre sens, c'est faux. Il faut qu'il y ait de la solidarité autour de nous, que les gens nous aiment, nous reconnaissent, nous ne pouvons pas nous passer des autres, d'une volonté commune pour mener une action, c'est cela le rôle du collectif. Si on ne veut pas aller jusqu'à interpeller l'espace public et agir sur la

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formation d'une volonté commune de transformer le travail, nous ne nous en sortirons pas. Ainsi se conclura le colloque où nous avons tous été remerciés pour notre présence attentive et active. Chantal Cazzadori, Psychanalyste, auteure du livre : "l'effroi du néo-management..."

* SUICIDE ET TRAVAIL COLLOQUE Sous le haut patronage de Monsieur Michel SAPIN, Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social. Le Secrétariat du Colloque CIPPT7 - Virginie HERVE - PSY.T.A. - 41 rue Gay-Lussac- 75005 PARIS, Télécopie : 00 33 1 44 10 79 41, mail : virginie.herve@cnam.fr 7ème Colloque international de psychodynamique et psychopathologie du travail 2ème journée de l'association internationale des spécialistes de psychodynamique du travail.

PROGRAMME du 11 Octobre 2013 8H30 - Accueil des participants.

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9H15- Ouverture du Colloque. 9H30- Session 1 - ETAT DE LA RECHERCHE INTERNATIONALE SUR LE SUICIDE AU TRAVAIL Président de séance : Michel VEZINA (Canada). Intervenants : Hsin-hsing CHEN (Taiwan),Paul JOBIN (Japon),Thung-Hong LIN ( Taiwan, Chine),Loïc LEROUGE (France),Angelo SOARES (Canada),Jong Min WOO (Corée). Discutant : Michel DEBOUT. 14H00 - Session 2 - ETIOLOGIE DU SUICIDE (1) Présidente de séance : Nicole GARRET-GLOANEC. Bernard ODIER : approche du suicide par la psychiatrie. Discutante : Annie BENSAID. 16H - ETIOLOGIE DU SUICIDE (2) Présidente de séance : Selma LANCMAN (Brésil). Florence CHEKROUN, Christophe DEJOURS, Isabelle GERNET : approche psychodynamique du travail. Discutante : Martine VERLHAC.

PROGRAMME du 12 Octobre 2013 9H00- Accueil des participants. 9H15- Session 3 - SUICIDE AU TRAVAIL ET SOCIETE Président de séance : Francis MARTENS (Belgique) David LE BRETON : approches sociologiques du suicide. Discutant : Jean-Michel CHAUMONT (Belgique). 11H15 - SUICIDE AU TRAVAIL ET MONDE DU TRAVAIL Président de séance : Laerte SZENELWAR (Bresil). Duarte ROLO : Conséquences du suicide. Discutant : Christophe DEMAEGDT (Belgique). 14H- Session 4- INCIDENCES SUR L'ACTION Président de séance : Christophe DEJOURS. Intervenants : Jean-Pierre BOBIN (théâtre), Philippe MUHLSTEIN (syndicats), Elisabeth WEISSMAN (enquête sur la résistance), Philippe PETIT (journaliste), Florence BEGUE (clinicienne).

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Discutant : Emmanuel RENAULT. 16H15 - INCIDENCES SUR LE DROIT Présidente de séance : Marie PEZE. Intervenants : Rachel SAADA (Droit), Pierre-Yves VERKINDT (Droit). Discutante : Helène TESSIER (Canada). 17H30 - Clôture du Colloque par Christophe DEJOURS.

COMITE D'ORGANISATION Christophe DEJOURS (CNAM), Christophe DEMAEGDT (CNAM), Valérie GANEM (Paris 13), Isabelle GERNET (Paris 5), Virginie HERVE (CNAM), Duarte ROLO (CNAM). Colloque organisé par l'équipe de recherche "Psychodynamique du travail et de l'action" du CRTD CNAM et le Laboratoire de Psychologie Clinique et Psychopathologie (LPCP) de Paris Descartes; L'AISPDT; la Revue Travailler; la Fédération Française de Psychiatrie et l'Association Française de Psychiatrie. Avec le soutien du DIM GESTES, du Conseil Régional d'Ile de France et du Ministère de la Culture et de la Communication.

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Haut de page " Livres publiĂŠs par les intervenants-auteurs sur ce sujet"

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Isabelle Gernet – L.Gaignard

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PrĂŠface de Bernard Odier

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Christophe Demaegdt et Duarte Rolo: Dire ce à quoi l’on tient dans le travail.

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Christophe Demaegdt Méfiance, violence et sexualisation secondaire dans le métier de surveillance

Selma LANCMAN

Laerte Idal Sznelwar et al. Introduction au dossier p9 à 14 dans la revue travailler n° 25 – 2011

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Michel Vézina et Louise Saint-Arnaud L’organisation du travail et la santé mentale des personnes engagées dans un travail émotionnellement exigeant

Philippe Mulhstein : rapporteur général de l'étude Evaluation de la réforme du secteur du transport ferrovaire - ref : cliquez-ici pour obtenir le livre

Contacts Christine Tournecuillert +33147000234 c.turnspoon@free.fr Mina de Suremain +33660207726 minadesuremain@free.fr www.jeanpierrebodin.com Haut de page Sur le chemin me conduisant au colloque en empruntant les quais chaque jour, j'ai découvert cette compagnie et leur spectacle

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Référence Gilbert Garcin à découvrir sur La Boîte Verte

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39 / 39 Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Réseaux sociaux et psychanalyse Date : 8 décembre 2013

Quelques points de vues d'analystes

©Peinture - Agnès HARDI Regard d'une psychanalyste sur les réseaux sociaux Maria Cruz Estada, psychanalyste à Madrid, membre de l'Association Analyse Freudienne à Madrid, utilise ces nouveaux outils et va nous en faire autant l'éloge que la critique à partir de

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ses pratiques et de ses observations. Nous évoquerons donc : - une étude réalisée actuellement à Madrid auprès de 8000 mineurs (journal El Pais-Sociedad) sur l'utilisation du portable. - le cybersexe. - le blog et ses retentissements. - l'utilisation du compte twitter. - le travail thérapeutique par skype.

L'UTILISATION DES RESEAUX SOCIAUX PAR LES ADOS Actuellement une étude faite on line par une université de Madrid, auprès de 8000 mineurs, fait le constat suivant : -Les ados ne sortent plus dans la rue pour retrouver leurs camarades, ils communiquent davantage sur le net ainsi qu'avec leur portable. En se donnant rendez-vous sur le net, ils se disent moins satisfaits car, ils se voient de moins en moins, et la qualité de leurs relations n'est pas si fiable. - 25% des ados filles, disent que leur ex-copain ou copain les surveillent par ces moyens et que 14,8% d'entre elles sont épiées par l'utilisation illicite de leur mot de passe. Pour 8% d'ados la violence chez les filles se justifient, car si une adolescente n'abandonne pas son copain, c'est que la situation ne la gêne pas complètement. Certains utilisent la vidéo-appel pour savoir où elles sont, et ceci au nom des preuves d'amour à donner à l'autre, autrement dit, donner à l'autre la clef de sa vie ou de son intimité... Maria Cruz Estada, psychanalyste, est préoccupée de tout cela, du fait que les nouveaux moyens techniques servent à nuire aux personnes et surtout aux jeunes filles. Mais est-ce que ça porte atteinte à leur subjectivité ? Il est vrai que les mots se réduisent à leur plus simple expression pour les messages de whatsapp ou texto, il est vrai également que peu de mots deviennent par l'effet de l'Instagram qu'une image qui peut évoquer mille mots.. Les jeunes d'appartenance culturelle plus élevée raccourciront moins leur message sauf sur le portable.Les ados avec qui Maria Cruz Estada parle dans son cabinet ou dans sa famille sont beaucoup plus informés que nous ne l'étions - au moins en EspagneEn Espagne, le problème est plus ancien, puisque ce rétrécissement de la pensée vient de l'adoption de la part de l'Eglise Catholique espagnole, des théories de Saint Thomas d'Aquin qui réduisaient les idées par la foi avant même qu'elles puissent se développer. Contrairement à la culture allemande et française qui manifestent un goût pour élaborer de longs raisonnements tenant lieu de démonstration, en Espagne, la pensée doit être vite conclue pour ne pas être suspectée de mystification. Cioran nous rappelle que "profondeur et érudition ne vont jamais ensemble". Pourquoi avoir autant de peurs ? En effet, à chaque génération ses peurs. Dans les années 1950, les personnes âgées des villages, faisaient le signe de la croix à chaque fois qu'une voiture passait. Les nouvelles techniques ou technologies seraient-elles une chose venue de l'enfer, comme le disaient les anciens croyants d'avant la modernité ? Aujourd'hui, sans avoir recours à la croyance, nous ne sommes pas sans peur devant la déferlante numérique, informatique ? Quelque chose se rejouerait-il à chaque génération, soumise à la voix lointaine d'un père primitif qui viendrait ainsi nous faire payer nos pêchés ?

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Alors justement, et puisque ce qui se passe avec internet on ne peut pas l'éviter, ne pourrionsnous pas, nous psychanalystes devenir aussi les porte- paroles de ce qui se passe du côté du cybernet, numérique etc. En tout cas, si bien des jeunes "parlent" sur la toile, ils parlent aussi beaucoup entre eux. Il est dommage et dommageable que certains ado se collent de façon pathogène à l'ordi, mais avant c'était avec la télévision que la fusion se faisait. A chaque génération il arrive des choses semblables. Si la famille communique, sa présence sur la toile n'est pas nécessairement grave, puisqu' avec les siens et d'autres, le dialogue continue. Donc, pour Maria Cruz Estada, ce qui peut être préjudiciable, c'est que des adolescents profitent de la technique pour continuer à soumettre les femmes. Mais remarquons que ce n'est pas la technique qui est responsable de ces conduites de domination. Comme le dit Alain Touraine, éminent sociologue, "ce qui est en danger c'est la Société même par le fait de l'absence de mobilisation populaire, la recherche du bénéfice immédiat et, donc de l'individualisme". J'ajouterais qui sévit maintenant à travers les incivilités répertoriées chaque jour les colonnes des faits divers des journaux de la cité.

LE CYBERSEXE La jouissance masturbatoire a toujours existé, elle n'a pas besoin de techniques pour cela, maintenant il est vrai, on utilise des techniques sophistiquées. Comme le dit notre collègue Ernesto Maruri, internet n'est pas la cause des symptômes, mais des gens utilisent ces possibilités pour développer leur modalité de Jouissance, en essayant que la satisfaction ne passe pas par la rencontre avec l'autre, soit avec le manque donc avec la castration.

LE BLOG ET SES RETENTISSEMENTS Maria Cruz Estada, avoue avoir eu bien des préjugés à propos des blogs, constatant combien le narcissisme débordait de certains blogs qui par ailleurs, présentaient peu d'intérêt. Chemin faisant et avec le recul nécessaire, elle s'y est mise, poussée par la crise de la psychanalyse en Espagne qui continue d'une certaine façon d'enfermer l'analyste dans son milieu, hors du champ culturel contrairement à ce qui se passe en France ou en Argentine. Cela demandait d'inventer de nouvelles pratiques propres à dégager l'originalité de la pensée analytique en offrant des points de vue différents sur l'art, le cinéma, la littérature, ainsi que sur toute la réalité des choses. Passionnée par l'écriture, elle a en effet trouvé ce moyen pour dire, commenter la culture, l'actualité, échanger ses points de vue aussi hors milieu analytique. Cela permet la rencontre avec des univers bien plus élargis, de sortir des frontières, d'aller vers le cosmopolitisme. La transmission passe par ces modalités nouvelles qu'il est devenu nécessaire d'exploiter pense-telle. Avec quelques principes comme le fait de ne pas trop idéologiser. Cette posture n'affecte pas sa subjectivité, elle signe bien son article en se situant comme psychanalyste qui porte sur les choses un regard différent, un écart qui se dialectise par conséquent. Un autre principe s'impose à elle : utiliser très peu de termes psy, sauf s'ils sont très connus comme Oedipe, Inconscient, Dépression...

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LE COMPTE TWITTER C'est une pratique qu'elle a essayée d'utiliser sans grand succès nous dit-elle. Elle reconnaît que c'est très bien pour s'informer vite et régulièrement sans bouger, mais son mode d'expression n'est pas en phase avec le nombre trop restreint de caractères autorisés : 140. Il y a des hystériques qui mettent une courte phrase à peine sortie du lit où elles/ils écrivent :"Aujourd'hui je vais manger le monde" ou "je me suis levée triste", et ils croient que cela va intéresser beaucoup de monde. D'autres mettent beaucoup d'intérêt à être le plus retweeté des amis. Même si leur subjectivité s'exprime à leur insu, elle ne semble pas leur poser de problèmes. Les gens qui s'exercent à ces échanges parlent sans doute plus longuement dans la vie. Elle fait référence à Pascal Guignard (ou à quelqu'un qui usurpe son identité) qui lui aussi reste sceptique : "Ils s'écrivent, se lisent mais ne se connaissent pas" C'est vrai, répondra-t-elle, les gens s'amusent avec ceux qui les suivent et disparaissent, pour quelques uns, c'est une manière en effet de s'amuser. Pourtant, ces modalités génèrent très vite des transferts d'information à 500 voir 1000 personnes en quelques secondes, surtout si la nouvelle est pétillante ! D'autres associations psy , utilisent ces méthodes nouvelles en mettant leur vidéo-conférence en ligne, à partir de liens faciles d'accès. Tout ce potentiel existe, pourquoi pas l'utiliser et cesser d'avoir peur d'internet. Elle préconise que l'Association Analyse Freudienne s'y mette plus hardiment ... Lacan nous disait déjà dans son séminaire sur l'Identification que le sujet est celui qui est attrapé par les mécanismes du signifiant, mais les mécanismes du signifiant sont aussi dans le réseau... Pourquoi ne pas nous laisser aussi attraper par les signifiants qui se trouvent sur internet ? Proposera-t-elle.

TRAVAILLER PAR SKYPE Maria Cruz Estada a longtemps refusé de faire des thérapies ou psychanalyses par ce genre de procédé très moderne, même si cela lui a été demandé maintes fois et avec insistance de la part de patients qui devaient s'éloigner de Madrid donc aussi de leur lieu de travail psy. Cependant, elle fait bien la différence maintenant entre les patients très engagés dans le processus analytique (avec divan) et ceux qui débutent. Elle a ainsi accepté sous condition de temps, entre deux périodes d'absence obligée par exemple, de bien vouloir utiliser ce procédé, sachant que le patient viendrait mensuellement à ses séances. La présence physique avec ses odeurs, bruits, regards, ambiance sont irremplaçables, pour cela elle n'aime pas travailler par skype. Chantal Cazzadori et Maria Cruz Estada psychanalystes Ce texte a été transcrit en collaboration avec Maria Cruz Estada, après son exposé donné lors d'une journée de travail à l'Association Analyse Freudienne de Paris, dans le cadre d'une réflexion collective, le 23 novembre, sur ce sujet à penser, à faire avancer, à poursuivre.. Maria Cruz Estada, psychanalyste à Madrid, son blog:

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http://psicoanalisiscotidiano.wordpress.com/author/psicoanalisiscotidiano/

Le numérique : hors-sujet pour le psychanalyste ?

© Peinture Honguy Zhang En quoi les nouveaux outils de la modernité ne sont pas nécessairement en contradiction avec une éthique du sujet, telle que la soutient la psychanalyse ? La référence des enjeux d’une psychanalyse reste pour beaucoup d’entre nous l’analyse du transfert dans la cure. Cependant, comment le psychanalyste peut-il, avec ses oreilles et sa neutralité bienveillante, rester au contact avec l’extérieur du dispositif tout en restant dans son cadre ? A l’intérieur et à l’extérieur. Cette figure peut rappeler la bande de Moebius. Le psychanalyste serait-il nécessairement déconnecté, en abs-tension ? La question pourrait venir réactiver le champ de la psychanalyse en in-tension et en ex-tension. Donc nous invite à élaborer ces nouvelles tensions qui, pour nos contemporains pourront se conjuguer autour de ces nouvelles problématiques psychopathologiques nommées burn-out. Dans « jeux des places de la mère et de l’enfant », Jean Berges évoque le transitivisme. Les tenants d’une orthodoxie qui ferait que, le psychanalyste présent sur la toile, prendrait le risque de se dévoyer, interprètent cet acte comme extérieur à la praxie psychanalytique. On pourrait plutôt se demander si l’écoute psychanalytique des pulsations numériques n’était pas, pour nous, l’occasion de rester ouvert à ce corps métaphorique lançant des appels en attente de déchiffrage. Je m’explique : Quand la mère fait l’hypothèse d’une demande chez l’enfant, elle la fait parce qu’elle formule l’hypothèse préalable que l’enfant va l’articuler à son désir à elle. Dans le champ du numérique, quel est le désir d’un psychanalyste ? Face à l’émergence de formes nouvelles de propagande s’appuyant sur le fantasme d’information, quand il ne s’agit que de manipulation ou de publicité masquée, comment le discours psychanalytique peut

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venir décaler les énoncés ? Twitter pourrait-il ne fonctionner que comme prêt-à-penser ? Les mots sur la toile ne pourraient-ils pas être interprétés comme la lalangue formée, comme le disait Lacan, sur le modèle de la lallation ? La plupart des tweets ne sonnent-ils pas comme des slogans, des phrases vides de sujets absents d’eux-mêmes, se contentant souvent ou de retweeter les phrases des autres ou de donner à entendre une voix en attente d’amorçage, ne s’inquiétant fort peu de ce que ces jaculations permettent ou non l’accès à une pensée ? J’ai pu constater souvent que le fantasme était très proche d’un archaïsme du lien à l’Autre dans l’ici et maintenant d’une rencontre imaginaire, où l’autre serait un autre moi-même que j’ « unfollow » au premier signe de désaccord ou d’individuation. Un psychanalyste sur la toile pourrait-il permettre à un sujet d’éprouver que le sens ne se boucle pas, qu’il y a de l’insaisissable, de l’impossible ? Je prends trois exemples de tweets qui pour moi sonnent, quand je les lis, comme l’invitation à une étude de cas : 1-L’association Serious Game et santé est véritablement reconnue, la preuve en est, les manifestations dédiées à ce sujet tel ce prochain colloque consacré au Serious Game lié au domaine de la santé, organisé à l’Université Nice-Sophia Antipolis. Organisé sous l’égide de l’Université Médicale Virtuelle Francophone (UMVF) et de l’Université Numérique Francophone des Sciences de la Santé et du Sport (UNF3S), avec le parrainage de l’Association française d’Informatique Médicale (AIM), de la Fondation SophiaAntipolis et de Telecom Valley (Sophia Antipolis), ce colloque permettra d’avoir un panorama exhaustif sur les expériences et positions des acteurs de ce marché bien particulier. Information intéressante ; un « livre blanc du serious game en médecine et en santé » sera diffusé à l’occasion de ce colloque. Outre atlantique, des Serious Game sont développés pour de nombreux thèmes tel celui de la préparation à l’accouchement avec « Emergency Birth » qui vous informera sur les premiers gestes à effectuer. Ou celui de la dépression avec le Serious Game SPARX qui s’adresse aux adolescents présentant des symptômes de la dépression. Il a été développé- selon le site, par une équipe de spécialiste (novlangue) - dans le traitement de la dépression chez les adolescents de l’Université de Auckand et permet d’apprendre des techniques de thérapie cognitive du comportement pour faire face à des symptômes de dépression. 2-On peut lire sur le blog d’un philosophe très présent sur la toile la reprise de propos de neuropsychologie comme : « Comment rendre notre cerveau plus heureux ? » La propagande scientiste bat son plein et aujourd’hui, alors que 2 personnes sur 3 consultent internet, un blog, face à tous les symptômes, force est de constater l’omnipotence des sites médicaux en tête de liste de toute requête sur Google. Google a réussi à étendre le domaine du capitalisme à la langue elle-même, à faire des mots une marchandise, à fonder un modèle commercial incroyablement profitable sur la spéculation linguistique. L’ensemble de ses autres projets et innovations technologiques — qu’il s’agisse de gérer le courrier électronique de millions d’usagers ou de numériser l’ensemble des livres jamais publiés sur la planète — peuvent être analysés à travers ce prisme. Que craignent les acteurs du capitalisme linguistique ? Que la langue leur échappe, qu’elle se brise, se «

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dysorthographie », qu’elle devienne impossible à mettre en équations. Quand le moteur de recherche corrige à la volée un mot que vous avez mal orthographié, il ne fait pas que vous rendre service : le plus souvent, il transforme un matériau sans grande valeur (un mot mal orthographié) en une ressource économique directement rentable. Quand Google prolonge une phrase que vous avez commencé à taper dans la case de recherche, il ne se borne pas à vous faire gagner du temps : il vous ramène dans le domaine de la langue qu’il exploite, vous invite à emprunter le chemin statistique tracé par les autres internautes. Les technologies du capitalisme linguistique poussent donc à la régularisation de la langue . 3-Un troisième exemple permettant de mettre en lumière la place des statistiques et de l’impossible subjectivation. On peut lire :6 août 2013 | GENÈVE - L'Organisation mondiale de la Santé publie un nouveau protocole clinique et des lignes directrices pour aider les agents de santé à traiter les conséquences des traumatismes et de la perte de proches sur la santé mentale. Les traumatismes et la perte de proches sont des événements courants. Lors d'une précédente étude menée par l'OMS dans 21 pays, plus de 10% des personnes interrogées ont indiqué avoir été témoins de violences (21,8%); avoir été victimes de violences interpersonnelles (18,8%), d’accidents (17,7%) ou de la guerre (16,2%); ou encore avoir été témoins d’un traumatisme chez un proche (12,5%). Selon cette même étude, près de 3,6% de la population mondiale avait souffert d'un état de stress post-traumatique au cours de l'année précédente. En outre, on peut envisager d'orienter les patients en état de stress post-traumatique vers des traitements spécialisés tels que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou une nouvelle technique dite de désensibilisation et de reprogrammation par le mouvement des yeux (EMDR). Quand les évolutions technologiques rendent possible à la fois des perspectives de rupture avec les modèles massifiants et une aggravation inouïe de la perte d’individuation, comme l’écrit Bernard Stiegler, dans De la misère symbolique , ces remaniements nous invitent à trouver notre place. A la question : la psychanalyse a-t-elle des vertus politiques ? J’ajouterai : Le psychanalyste a-til une responsabilité dans la cité ? Comment interpréter son désir ? Il ne s’agit pas ici d’appliquer la psychanalyse dans le social mais de l’engagement d’une association psychanalytique ou d’un psychanalyste hors d’un discours idéologique. J’ai toujours pensé que le psychanalyste, de par son écoute, permettait d’ouvrir les questions. Notre système politique existant, écrit le psychanalyste Zizek, n’est pas assez fort pour lutter efficacement contre les dérèglements économiques. Or si on laisse le système mondial continuer de se développer ainsi, je m’attends au pire?: à de nouveaux apartheids, de nouvelles formes de divisions . Castoriadis nous explique que nous ne pouvons rien contre le pouvoir, par exemple celui de l’état, ce Léviathan qui demande qu’on lui amène des milliers de jeunes gens pour les dévorer, rien sauf placer autour de sa grotte des barricades en papier . La révolution numérique souvent nommée 2.0, ne s’apparente- t-elle pas à ce monstre que toute constitution est incapable de juguler. Ne sommes-nous pas face à un nouvel espace écologique ou les machines sont reliées entre elles et les humains seront bientôt ou sont déjà, liés aux machines et à leur temporalité ? Quel effet sur la capacité de pensée, la mémorisation ? Pour Cornelius Castoriadis, la démocratie, c’est le pouvoir du peuple. Comment le psychanalyste peut-t-il y trouver sa place, dans le politique ? Le psychanalyste peut-il venir

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mettre en tension les différents discours ? Voire, par ses questionnements, comment ne serait-il pas envisageable que son apport puisse servir à nourrir les débats dans la cité ? Le support numérique, écrit Cédric Biagini, dans l’emprise numérique, favorise l’excitation et la superficialité au détriment de l’apaisement et de la mémorisation, allant dans le sens de l’intérêt des entreprises du net comme Google, qui fonctionnent par le nombre de clics enregistrés. En conditionnant les individus dès leur plus jeune âge, y compris dans le cadre scolaire, à l’usage des nouvelles technologies, on les prépare à être de parfaits e-consommateurs, au sens d’acheteurs bien sûr, mais aussi d’usagers frénétiques des objets high-tech ». Le nouveau ministre de l’Education Nationale n’a-t-il pas évoqué le numérique comme le cœur du métier d’enseignant . Le politique peut-il ne pas emboiter le pas du big-data avec l’effet économique d’emplois à la clé. Mais, l’industrie du numérique peut-elle créer autant d’emplois qu’elle en détruit ? Et si l’inavouable du numérique à l’école reposait sur un fantasme ? Surstimuler le visuel, le cognitif pour tenter de limiter l’agitation, les troubles de l’attention et la violence. Ce qui serait paradoxal. Devant une extrême difficulté croissante à gérer les tensions dans le groupe à l’école, on pourrait tenter de limiter le temps face aux enseignants et favoriser les temps de recherche à la maison, hors du système scolaire. Ce qu’on appelle les MOOC. (Massive online open source) Les cours en ligne. Je pense que l’on peut reprendre les travaux de Ferenczi concernant la confusion de langue entre les adultes et les enfants, s’agissant ici de l’économique et de l’humain. Aujourd’hui les MOOC, cette possibilité de lire sur la toile les cours de ses professeurs excite les appétits des conseillers pédagogiques responsables des TICE (Les TICE regroupent un ensemble d'outils conçus et utilisés pour produire, traiter, entreposer, échanger, classer, retrouver et lire des documents numériques) chargés dans l’école de propager l’intérêt des nouvelles technologies. L’intérêt pour qui ? Comme dans l’entreprise, l’enfant, le jeune pourra aller écouter ses cours, sur son ordinateur, dans son lit. Belle performance. Respecte- t-on les temps d’apprentissages de l’enfant, ses temps de rêverie ou ne tente- t-on pas d’envahir son espace intime, derrière des prétextes d’autonomie et de liberté ? Si l’agitation était antidépressive en limitant l’activité de pensée, le psychanalyste en tentant d'apporter une temporalité différente, n’apparaitra-t-il pas comme menaçant ? Le pense ici à Bion et à la mère capable de jouer le rôle de pare-excitation. Selon Carstoriadis, la démocratie représentative a pour conséquence une citoyenneté passive. La présence du psychanalyste sur la toile comme acte psychanalytique ne relèverait-elle pas d’une forme de journalisme participatif ? A charge pour la société d’en reprendre ou non les signifiants. Le paradoxe de la partie de bridge analytique, écrit Lacan dans le séminaire Le transfert, c’est une abnégation qui fait que, contrairement à ce qui se passe dans une partie de bridge ordinaire, l’analyste doit aider le sujet à trouver ce qu’il y a dans le jeu de son partenaire. Claude Breuillot Psychanalyste à Tournus Journée d’étude d’Analyse Freudienne du 23/11/2013 à Paris 0385401873 - cbreuillot@gmail.com

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Twitter:@clbr71 et @cbreuillot et son blog : psychanalysebourgogne.wordpress.com

Réseaux sociaux et débats à l'A.F

©Peinture - Agnès HARDI

- Si la psychanalyse pose et a toujours posé problème dans son « extension », c’est-à-dire en voulant porter son discours hors de ses murs, divan et fauteuil ; elle n’est pas moins responsable pour autant de ce qui se passe et se passera dans sa transmission, indépendamment de la question économique et du narcissisme personnel. Le champ de réflexion ainsi proposé par nos deux collègues, permettra d’aller au plus près des choses qui défilent à grande vitesse sur la toile et d’en analyser les effets de discours et d’images sur notre propre subjectivité. Plusieurs points ont bien été démontrés lors de ces interventions : - C’est bien avec de l’offre que l’on crée de la demande et du transfert, sauf que cette équation là, on ne peut pas, ne pas s’en occuper. Certes le transfert n’est pas celui qui nous intéresse et que nous aimerions développer. Faut-il courir alors après ce phénomène médiatique dans une espèce de rivalité en espérant en sauver quelque chose ? C’est une question car qu’allons nous laisser de la transmission de la psychanalyse à nos futurs jeunes analystes si nous négligeons ce point de rencontre avec ces nouveaux outils de communication ? Par contre nous pouvons en effet faire autrement. Cette machine permet le lobbying qui nous rend impuissant, si ce n’est à courir après illusoirement. - Actuellement, la dimension de l’image s’impose par sa prévalence. Il suffit d’observer les adolescents qui se rencontrent, par téléphone pour constater que celles-ci deviennent des rencontres par SMS qui réduisent le vocabulaire lui-même adapté aux textos, pour qu’ enfin

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l’image prenne le dessus juste pour dire ce que l’on fait à l’instant T, ici et maintenant. Nous assistons là, à la disparition du signifiant, sans représentation et nous savons bien que pour qu’il y ait de la représentation des choses, il faut des signifiants. Si nous avons assurément un discours à tenir sur ce qui se passe dans l’actuel, c’est en énonçant plus qu’en dénonçant cette emprise de l’image par l’image sur notre subjectivité que nous pouvons le faire. Les tweets participent également de cette réduction même du signifiant, or, ce qui peut-être notre objet de travail ainsi que de notre responsabilité, c’est d’éviter que la psychanalyse elle-même ne disparaisse en travaillant notre rapport à la langue dans sa pleine dimension. Il n’est cependant pas question de vouloir sauver le soldat Ryan, ni de nous mettre en rivalité avec ces machines toutes puissantes mais bien d’en parler autrement. Notre position politique ne seraitelle pas de défendre le signifiant, dans son temps et en son temps ? Il s’avère donc incontournable de passer par la place et le rôle qu’occupent les novlangues qui restreignent notre pensée, novlangues légitimées par un management de notre société néo-libérale d’aujourd’hui. - Dans les échanges par réseaux tweeters, les attentes sont souvent décevantes ! Les relations amorcées lors de ces rencontres chutent, elles ne durent pas très longtemps si elles ne sont pas reliées par d’autres valeurs. Lacan parlait de « la brillance de l’objet qui chute » justement. Chez les adolescents souvent branchés sur l’image et la musique, le signifiant a du mal à faire son nid. Ce qui est paradoxal c’est qu’ils sont seuls devant le monde entier, et c’est là qu’on peut penser que s’ils n’ont pas été habitués à communiquer spontanément et de façon vraie avec leur parent et les autres, l’intrusion du numérique risque d’être plus offensive. N’oublions pas que le manque de communication dans les familles a toujours existé mais maintenant, les jeunes peuvent s’accrocher à d’autres supports ni neutres, ni diaboliques. - Le philosophe français, Bernard Steigler, dénonce qu’il est plus compliqué qu’il n’y paraît pour les parents de poser des limites puisqu’ils sont eux-mêmes capturés par la télévision alors qu’ils disent n’y trouver aucun réel intérêt ! Dans quel monde entrent nos enfants si ce n’est un monde fictif, sans humains avec tous les enjeux que cela sous tend. Dans la lignée de Foucault, Steigler nous propose un concept intéressant en développant via le bio-pouvoir, la notion psycho-politique de l’impact du numérique sur l’attention du sujet. Il met magistralement en évidence les troubles de l’attention chez les enfants et la difficulté pour les parents de leur porter cette attention. Ainsi l’enfant serait plus vulnérable, capté par ces technologies qui l’entourent. Rappelons-nous que c’est la question de l’immédiateté qui abolit la temporalité nécessaire au signifiant pour s’élaborer. Si ces nouveaux média nous happent, nous devancent, ils annulent la différence entre l’espace et le temps. Hannah Arendt, philosophe, démontrait bien les enjeux politiques entre l’espace public et privé non différenciés. D’ailleurs la question se pose aussi pour notre association psychanalytique. Doit-elle mettre directement en ligne dans l’espace publique nos temps de tâtonnement, d’élaboration théorique par exemple ? Ou bien, faut-il maintenir un sas privé qui permette qu’une parole mal aisée, en recherche s’achemine avant ce passage au public ? On peut constater combien il est nécessaire de réintroduire de la temporalité afin de ne pas « balancer » notre recherche signifiante. Une différenciation entre ces deux espaces publics et privés n’est-elle pas constitutive d’un espace politique ? - Dans le passage à l’acte adolescent, ce qui est en jeu, c’est l’abolition de toute attente pour obtenir son objet. Cette disparition de l’attente ou sa réduction conduisent à court-circuiter la métaphore. Celle-ci ne peut naître sans son temps de rêverie nécessaire qui permettra avec le temps qui passe que se constitue le signifiant de son désir. Sans un temps de l’ennui, c’est

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l’instantané du désir qui se joue et dans cette réduction du temps, s’opère ainsi un passage à l’acte qui va ignorer la pensée. - La psychanalyse aurait-elle quelques vertus politiques ? Autrement dit comment passer de l’amour du savoir au désir du savoir ? Google est une source d’érudition qui ne suscite pas forcément le désir de savoir. Avec l’amour du savoir on ne peut qu’être dans la Massenpsychologie en suivant un leadership incarné pour répéter ses idéaux comme Vérité absolue. Aujourd’hui, c’est le flux monétaire qui est devenu le leadership soit le signifiant maître, car c'est bien la "monnaie" qui nous fait courir.Lacan nous propose une autre façon que Freud de concevoir le groupe dans son transfert d’amour pour un maître qui peut rendre le sujet muet, le groupe faisant alors masse pour boucher le trou du réel. - Il s'agit bien pour Lacan de désir de savoir au sens socratique. Ce désir là est un autre challenge que nous allons essayer de tenir dans notre association, pour justement choisir d’être dans le désir de savoir qui ne fait pas masse, colle, école, mais créativité, invention, comme nous l’ont montré aujourd’hui nos deux collègues à partir de leur recherche qui a largement suscité la nôtre. Notre challenge est en route animé par notre désir de nous interroger.La psychanalyse en intension comme en extension poursuivra sa transmission via le signifiant de ce désir de savoir. - Justement cette retransmission que j’effectue au plus près de mon écoute active de cette journée, m’invite à vous mettre en lien avec ce documentaire qui relate un monde sans humains concernant les machines qui ont envahi notre quotidien. Chantal Cazzadori Psychanalyste journée d'étude à l'association Analyse Freudienne 23 nov 2013

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http://cineteve.com/documentaire/un-monde-sans-humains/

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

En passant par la Lorraine avec… Date : 6 janvier 2014 …mon petit livre d'histoires de boulot…

Bienvenue près de la Moselle, à deux pas de la Cathédrale de Metz où se découvre GERONIMO, une librairie ouverte au plaisir de lire. De grands classiques à la littérature la plus expérimentale, nous pouvions y trouver ce jeudi 12 décembre 2013, un livre sur l'Effroi, celui du néo-management, en vitrine et en débat.. L'astucieux "Géronimo", Jacques Fourès, soutenu par une association de lecteurs gourmands et fidèles, vous invite à visiter leur site : www.meridienne-metz.fr/ car ils entendent tisser des liens, dans un espace où le livre est un vecteur fondamental de culture.

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L'accueil y a été parfait. Plus que détenteur du Label LIR, label de qualité décerné pour trois ans par le ministère de la Culture et de la Communication, cet espace est animé par le libraire Jacques Fourès ainsi que par sa petite équipe qui savent, vraiment, nous recevoir. Passionnés, documentés, ils prennent le temps de nous donner le conseil attendu pour faire notre choix. Nous retrouvons là les valeurs du métier, le professionnalisme, l'humain au coeur du projet, devenant ainsi sujet désirant, soit un client de qualité pour un service de qualité.

Les rencontres y sont nombreuses, conférences, échanges et débats avec les auteurs sont organisés à l'étage de la librairie Géronimo. Chacune des marches de l'escalier nous invite à l'association d'idées : lire seul, découvrir, regarder, discuter, partager, lire ensemble. .. Le sexe

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et l'effroi, les solidarités mystérieuses, Villa Amalia se bousculent. C'est sur les pas de Pascal Quignard qui était l'invité de ce si beau lieu, juste quelques jours avant la présentation de mon ouvrage que je suis entrée dans cette "maison" du livre. Habitée par l'univers de l'écrivain, je me suis sentie portée par le mien, pour commencer le récit de ma démarche d'écriture.

Il se trouve que la Lorraine est pour moi porteuse de tant de souvenirs d'enfance que l'émotion m'a submergée dès que j'ai pris la parole ! Juste le temps de reprendre le fil de mes idées, pour me rappeler, si c'était encore nécessaire que ce livre n'est pas né de nulle part. Sa trame s'enracine ici, dans le pays des mines de fer, où l'histoire familiale a eu des lettres de noblesse, de change, de crédit, d'amour et de haine. C'est en toutes lettres, avec des mots et des chiffres que j'ai pu mettre au débat les lecteurs venus là, pour partager ce thème de la nouvelle organisation du travail, si délétère pour la santé psychique et physique des salariés d'aujourd'hui. Jacques Fourès, est pris également dans les effets de la culture ultra-libérale, où le peu de temps pour lire, pour penser, pour se réunir et en débattre est devenu encore plus précieux. Il réussit tant bien que mal à résister à l'emprise de la société de consommation qui nous consume. Il nous offre ce texte : "le paradoxe du libraire"* où lire fait acte d'amitié et de partage. Entre le centre Pompidou-Metz, ses musées, sa Cathédrale et la librairie de Jacques , je me dis que mon livre est dans de bonnes mains.. Ici, les liens sociaux ne se délitent pas, le collectif reprend sa place, on s'y sent comme chez soi. Un lieu incontournable donc, dans cette Lorraine si dévastée par la fermeture des mines et des usines. Rappelez-vous : Arcelor Mittal est à deux pas de là, à Florange. MERCI GERONIMO

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L'association "A PROPOS... DE PSYCHANALYSE" L'aventure ne s'est pas arrêtée là. Invitée par l'association "à propos..", dont le président est Philippe Woloszko, psychanalyste et psychiatre à Metz, j'ai participé quelques heures plus tard, au séminaire de l'association dans le même lieu. Devant un public composé de travailleurs sociaux, psy etc., j'ai davantage développé mon discours, sur un versant plus analytique. Par exemple j'ai élaboré les questions suivantes : - Comment étaient appréhendées les notions de transfert, d'identité, voire d'identification dans ma pratique de cabinet conseils en entreprises ? Ou encore : la pluridisciplinarité serait-elle un avantage ou un inconvénient quand nous exerçons plusieurs pratiques sous-tendues par des concepts théoriques différents ? En me documentant sur l'histoire de cette association, j'ai relu l'argument du 20ème colloque qui a eu lieu en 2010, à l'Auditorium du Centre Pompidou-Metz. De quoi s'agit-il ? "L'Association A propos a vingt ans.

Vingt ans, le temps d’une génération. Le temps d’un bref arrêt pour se retourner sur le chemin parcouru, d’un état de ces lieux où la psychanalyse s’impose, en intension comme en extension : de la naissance à la réception du sujet, des sciences à la culture, des soins à la cure, de la cure à la cité. Mais, en ce début du 21ème siècle, la psychanalyse s’expose aussi à de virulentes critiques et à de multiples tentatives d’éradication. Il importe donc de prendre en compte, plutôt que le chemin parcouru, le chemin à parcourir. À ne regarder que derrière soi, la psychanalyse se changerait vite en statue de sel et ne s’exposerait plus, demain, qu’au musée ! Comme le dit le poète: « il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ». La psychanalyse doit continuer à s’inventer et A Propos essaye d’y contribuer à sa mesure depuis vingt ans." voir leur site : www.aproposmetz.com/ C'est en effet dans cet état d'esprit que je me déplace,

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pour transmettre également mon désir d'analyste, au-delà du dispositif "patient-divan-fauteuil", afin de porter un autre discours sur les réalités sociales, politiques, culturelles du monde qui nous entourent, en axant bien mon propos, dans une perspective d'ouvrir le débat sur le travail et ses nouvelles méthodes managériales qui nous asservissent. Ce fut un déplacement doublement réjouissant qui m'encourage à continuer le chemin de la lutte contre l'interdit de penser ou sa difficulté, sachant que la passion de l'ignorance est celle qui nous dé-subjective sans égards ! Je remercie vivement les membres de l'association et leur président Philippe Woloszko qui sans leur soutien amical et leur bonne curiosité, cette aventure qui permet à mon livre de rencontrer son public, n'aurait pas vu le jour. Chantal Cazzadori membre actif de l'association Analyse Freudienne à Paris. www.analysefreudienne.net/ *Texte de Jacques Fourès : LE PARADOXE DU LIBRAIRE

J'ai longtemps pensé comme une évidence que la lecture m'aiderait à trouver "mon unité", une cohérence, une théorie, pourquoi pas même un salut. Que je tiendrais un jour peut-être le rôle du lecteur idéal, celui qui accompagne secrètement l'écrivain pendant l'écriture, perché sur son épaule. Moi, dont la fonction de libraire exigeait que je lise pour les autres, pour passer les textes, sélectionner, mettre en scène les livres, je constatai pourtant de manière de plus en plus nette, que j'étais en lisant d'abord le lecteur de moi-même. Ce constat déconcertant, loin d'assécher ma passion pour la librairie, l'a transformée, revivifiant le désir de "faire part aux autres" ; comme si je sentais qu'il fallait accepter cette désorientation, en épouser la forme, pour mieux profiter de sa force. Et puis comme chacun sait, à propos de désorientation, la librairie a failli perdre le nord !

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Depuis 1994, Pascal Quignard est venu à neuf reprises chez Geronimo. Il est vite devenu évident qu'il n'y avait dans cette répétition s'installant, ni stratégie d'éditeur, ni rituel marchand mais bien autre chose. L'amitié puisque c'est de cela dont il s'agit se bâtissait pour moi.. en même temps qu'une autre façon de lire. Savoir si les livres s'adressaient à moi ou bien même à qui ils s'adressaient importait bien moins que ceci : ils ouvraient des espaces où le mouvement était possible, où je pouvais m'aventurer, en accepter le risque, les ombres, l'errance justement pour continuer d'avancer. Des espaces où il y aurait du "jeu" et ou précisément les jeux ne sont jamais faits ! (Barthes). Pascal Quignard, pour moi, est celui qui redéfinit en même temps qu'il réaffirme sans cesse, la force inouïe, de la lecture. La lecture qui ouvre aux émerveillements, aux éclats de voix, à la libération, aux transgressions, aux "solidarités mystérieuses" comme un appel pourtant silencieux à entrer dans la maison de l'auteur. "Lire est une expérience qui transforme de fond en comble ceux qui vouent leur âme à la lecture. Il faut serrer les vrais livres dans un coin car toujours les vrais livres sont contraires aux moeurs collectives. Celui qui lit vit seul dans son "autre monde" dans son "coin" dans l'angle de son mur". (La barque silencieuse, page 61). Recevoir Pascal Quignard, c'est aussi écouter cette voix profonde autant que murmurée, tête penchée, basse, du lecteur. Il fait de la librairie un lieu du "Pays de la littérature" cher à Pierre Lepape. Jacques Fourès, librairie Geronimo 2, rue Ambroise Thomas 57 OOO Metz tél : 0387744801

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Zoom de félicitations sur Olivier Soury Date : 12 janvier 2014 Afficher webagency Soury // Créations Internet // Studio graphique // Formation sur une carte plus grande

Photographe animalier, auteur, journaliste, des relations entre l'homme et la terre, Olivier Soury, réalise des "entretiens Humaterra" dans son magazine en ligne depuis 2001. Il dénonce, il énonce, il témoigne en images, en graphisme, en sélections rigoureuses les méfaits des liens destructeurs et morbides entre l'homme et la nature. En reportage sur le terrain, "en écriture" sur ses blogs, ses choix sont faits pour nous sensibiliser aux questions environnementales devant une terre en danger, titre d'ailleurs d'un de ses ouvrages.

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Son dernier livre "Histoires d'eau", vient d'être primé par le prix littéraire de la culture Sciences en toutes lettres. Souhaitons lui de belles rencontres auprès d'un public exigeant, soucieux de la qualité de la vie, "objet de son désir" de savoir et de transmettre. Olivier SOURY a créé mon blog, il contribue également par ses réalisations graphiques à nous apporter ses conseils pour améliorer la communication de notre entreprise. Bravo Olivier et merci pour votre talentueuse contribution à la réalisation continue de la mise en ligne de mes articles illustrés.

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AccĂŠder au magazine Humaterra AccĂŠder au site professionnel d'Olivier Soury Chantal Cazzadori Ci-dessous, un article de La Voix du Nord du 09 janvier 2014

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Gravelines: Olivier Soury, l’aventure au bout de l’objectif, la passion de la nature Faut-il chercher bien loin l’origine de sa passion ? Nul doute que c’est de son père, Gérard Soury, plongeur sous-marin, photographe, écrivain de la nature, spécialisé des animaux océanographiques, qu’Olivier a hérité de cette passion pour le monde animal. Une passion qui, au fil des années, a évolué vers la nature et son environnement. Lire la suite

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Amiens, à l'atelier des psychologues : Conférence Date : 21 janvier 2014

Le bureau de l'Association, présidée par Isabelle BINARD, ainsi que ses adhérents et invités, m'ont chaleureusement reçue dans leur espace de délibération, créé pour échanger également avec le monde professionnel sur des sujets d'actualité, afin de partager notre expérience clinique et théorique. Télécharger ici la plaquette de l'Atelier des Psychologues 2013_2014 Je vais retranscrire ici quelques fils issus du débat sur l'imposture managériale et ses effets désubjectivants sur le sujet à son poste de travail. Nous savons tous que les modèles managériaux servent à rationaliser le travail pour augmenter son efficacité ou son "efficience". Les pratiques de management qu'elles nous viennent du Japon ou d'Amérique induisent un rapport de domination entre le salarié et son employeur. Ce qui a changé depuis les années 1990, c'est l'influence de la mondialisation et de la financiarisation sur les activités économiques menées magistralement par les nouvelles méthodes de management. Ce bouleversement participe au désastre des conduites des hommes, asservis, aliénés, dépossédés par des outils de gestion dits performants, bien évidemment, mais pour qui ? C'est toute l'organisation du travail qui est ainsi contaminée et pourtant, serait-elle défendue par une idéologie aberrante qui nous fascinerait ? Rappelez-vous : France Télécom avec ses réorganisations permanentes, ses mobilités forcées, ses mises en concurrence des agents entre eux, a constaté toute une série de suicides qui sévirent sur ses lieux de travail, du jamais vu !!!

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Un document interne de France Télécom datant de 2006 et relayé mardi 7 mai par Le Parisien témoigne de la violence sociale à l'époque au sein de l'entreprise, actuellement visée par une enquête judiciaire concernant une vague de suicides en 2008 et 2009. Le quotidien rend public un fac-similé d'un compte-rendu d'une réunion d'octobre 2006 de l'Acsed, l'association des cadres de France Télécom, deux ans avant le premier des 35 suicides aujourd'hui examinés par la justice. DES DÉPARTS "PAR LA FENÊTRE OU PAR LA PORTE" Selon ce document, l'ancien PDG Didier Lombard aurait déclaré : "Il faut qu'on sorte de la position mère poule. […] Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé. C'est notre seule chance de faire les 22 000" suppressions de postes programmées dans le cadre du plan Next, qui visait à réduire les effectifs entre 2006 et 2008. [Lire la suite]

Au nom d'une "scientificité" inébranlable, la quête de la qualité totale (le Zéro défaut) appliquée par les méthodes du Lean Management, (la chasse aux gaspillages), relayée par l'évaluation individuelle des performances au reporting systématiques, sont des pratiques asservissantes qui nous donnent un aperçu de la "quantophrénie" ou maladie de la mesure qui s'impose comme une autre forme de domination symbolique.

-ManagementLe lean management, un danger pour les salariés ? Par Sabine Germain, journaliste | 05/04/2013 Il se présente comme un « repenti du lean management » : pendant douze ans, Bertrand Jacquier a accompagné le déploiement de projets « lean » dans l'industrie. Le jeune ingénieur

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avait alors l'impression que « c'était une réponse pertinente aux limites du modèle taylorien. » Il est aujourd'hui convaincu que « c'est un facteur de risque pour la santé des salariés ». Une conviction qui l'a conduit à reprendre des études de psychologie du travail pour devenir expert auprès des CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) au sein du cabinet Secafi. Ce nouveau poste d'observation lui permet de prendre la mesure des dégâts causés par le lean management : « L'intensification du travail, la diminution de la latitude décisionnelle, la perte de solidarité génèrent à la fois des troubles psychosociaux (RPS) et des troubles musculo-squelettiques (TMS). » Lire La suite

Les techniques du "lean management," mode d'amélioration continue de l'organisation du travail, sont loin de faire l'unanimité. Efficace pour réduire les coûts, il serait, contrairement à sa promesse initiale, un danger pour les salariés. L'Hégémonie du Marché A la fin du XXè siècle, l'économie financière se substitue à l'économie industrielle. Dans le capitalisme à l'ancienne, il fallait investir le surplus (les bénéfices) pendant deux à trois décennies sur le marché mondial pour développer le capital industriel. Une pulsion de réalisation, pas indifférente au profit, favorisait l'expansion donc la réalisation d'un empire entrepreneurial qui façonnera des modes de vie. C'était cela les forces motrices : créer des produits de consommation issus des recherches et applications technologiques. Le capitalisme financier révolutionne cette logique pour imposer la sienne. Son horizon, son alpha et oméga : c'est le profit. Peu importe l'objet investi, l'essentiel c'est l'obsession du rendement, soit ce qui va payer plus au risque de quitter le secteur moins rentable sans l'ombre d'un état d'âme. Par exemple, si le yaourt est plus rentable que le nucléaire, les actionnaires réinvestiront dans ce secteur. Voir mon article sur Virgin, sa liquidation et son rachat par le groupe d'actionnaires : Butler Capital Partners.

Qui est le père du capitalisme financier ? Henry Kravis crée en 1976, avec ses deux associés R. Roberts et Kohlberg une firme d'investissement qui deviendra l'une des plus célèbres des Etats-Unis "Kohlberg Kravis Roberts et cie, alias KKR. Avec leurs fonds d'investissements, ces actionnaires achètent des entreprises en difficultés pour les optimiser afin de les rendre plus chères dans un temps record. Bénéficiant de la déréglementation en 1980, ils ont appliqué leur méthode à l'échelle de la

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planète pour en tirer quelques bénéfices phénoménaux. Kravis a inventé le LBO, un outil financier qui permet d'acheter des entreprises, en misant peu, (apport personnel de 20%), avec énormément d'endettement auprès de nombreuses banques, pour que ça produise un effet levier. Cette dette sera rapidement remboursée en prélevant sur "la bête" qu'est devenue l'entreprise rachetée, du cash pour payer les banquiers 3 à 5 ans après. Nous sommes à deux crans de l'otage pris en otage... Ainsi, le groupe KKR dont le père est Henry Kravis, a réussi à prendre possession de nombreux groupes, ils sont partout : médias, communication, laboratoires, jouets, électroniques, universités, hôtels, etc. L'empire de ses ventes dépasse celui de coca-cola et microsoft. Je reprends ces informations du brillant documentaire de JeanRobert Viallet : la mise à mort du travail, un reportage sur la dépossession raconte l'extraordinaire pouvoir des actionnaires sur le travail et les travailleurs. En effet, l'entreprise familiale Fenwick, rachetée depuis deux ans par le groupe KKR, qui a perdu 100 salariés, voit les accidents du travail augmenter de 20% pour suivre au plus près de la machine, en robotisant ses gestes donc son corps , les consignes du lean management via la qualité totale.

“La Mise à mort du travail”, prix Albert Londres Ce matin, Jean-Robert Viallet était un homme heureux. Et franchement, nous l’étions pour lui. Ce nom ne vous est peut-être pas encore très familier, mais retenez-le. Dans le petit monde des documentaristes, c’est un vrai bon. Il a été récompensé aujourd’hui par le prix Albert Londres 2010 de l’audiovisuel pour sa mini-série documentaire, La Mise à mort du travail. Un prix amplement mérité. Dès le départ, nous avions défendu cette oeuvre qui parvient comme rarement à rendre intelligible le monde de l’entreprise et à démontrer comment les logiques de rentabilité pulvérisent les liens sociaux et humains au point de tuer le travail lui-même en le ramenant à sa seule composante économique. Un brillant décryptage, fruit de trois années d’un travail long et difficile, car le monde de l’entreprise ne se laisse pas facilement filmer." Lire l'article d'Olivier Milot sur le site de Télérama.

Quand le travail vivant n'est plus pris en considération, le sujet se désubjective et pour cause ! L'intelligence du travail vivant, soit ce qu'il faut mettre d'énergie, d'astuce, pour faire "coller" le

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travail prescrit avec le travail effectif, n'est pas mesurable puisqu'il a à voir avec la subjectivité du travailleur. C'est tout l'engagement de sa personne qui est convoqué, psychisme et corporel confondus.Comme il n'est plus reconnu depuis que l'organisation du travail défend stricto sensu le résultat des objectifs à atteindre, en ignorant le réel, soit le chemin parcouru pour y arriver, bien des pathologies explosent. Le résultat est patent, les troubles musculo-squelettiques, le stress, les pathologies de harcèlement, le burn out, le karôshi viennent grever le budget de la sécurité sociale.Pour tenir, ne pas sombrer dans la dépression ou décompenser, il est possible de renforcer ses défenses telles que le déni, la banalisation, le clivage, l'indifférence. Cela a aussi un coût psychique.Plus les méthodes d'organisations sont dures et ne tolèrent pas le consentement, plus les salariés quelque soit leur niveau de responsabilité vont opter pour des positions individualistes. Sachant que comme tout est construit pour les mettre en concurrence, les diviser, les contrôler, la servitude volontaire peut par conséquent fonctionner.Incité à se trahir soi-même en collaborant à ce que moralement on réprouve, l'éthique personnelle en prend un coup, la peur et la honte sont aux commandes.Le lien entre souffrance et travail s'établit, c'est pourtant le travail qu'il faudrait soigner et pas chercher à tout prix à adapter l'homme à un travail ravageur. "Les nouvelles formes d'organisation du travail dont se nourrissent les systèmes de gouvernement néolibéral ont des effets dévastateurs sur notre société tout entière. Elles menacent effectivement notre cité et nous ont déjà fait faire un pas significatif vers la décadence, c'est à dire vers le découplage tragique entre le travail ordinaire et la culture (si, par culture, on entend les diverses modalités par le truchement desquelles les être humains s'efforcent d'honorer la vie). Il n'empêche ! Même si, sous la loupe de la clinique, ladite décadence est d'ores et déjà commencée, la réorientation dans une direction s'accordant mieux avec la vie est possible. Mais il faut d'abord la penser dans ses principes, puis l'expérimenter. Il faut ensuite la vouloir, et cela ne va pas sans l'appui des institutions et du droit, c'est-à-dire sans que l'organisation du travail soit reconnue et traitée, enfin, comme un problème politique à part entière, qui n'est réductible à aucun autre".

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Vous trouverez cette conclusion dans le livre de Christophe Dejours, Souffrance en France réédité en 2009, augmenté d'une préface et d'une postface. Isabelle Bourboulon est journaliste indépendante, spécialisée en économie de l'entreprise. Voici ce qui nous est écrit dans sa 4ème de couv : "dans son ouvrage fondé sur une grande enquête menée dans différentes entreprises comme IBM ou Mckinsey, mais aussi dans plusieurs services publics, elle y révèle une véritable crise du travail. Croisant des témoignages inédits avec l'histoire du management et le travail de chercheurs les plus reconnus, l'auteure va plus loin que cette dénonciation, elle étudie les exemples d'alter-management et les nouveaux concepts qui permettrait d'instaurer des méthodes de travail plus respectueuses des rythmes humains".

J'ai extrait de son ouvrage quelques observations qui m'ont permis une approche mieux outillée encore pour réussir à bien penser notre rapport à l'autre dans le milieu professionnel d'aujourd'hui, afin de ne pas banaliser ce qui nous rend ou pas citoyen dans une cité démocratique. J'espère avoir contribué par cette restitution à votre intérêt pour ces questions qui ne sont pas liées à la fatalité du destin. Chantal Cazzadori

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Clin d'Oeil sur l'actualité cinématographique Le nouveau film de Martin Scorcese "Le loup de Wall Street" est calqué sur les mémoires d'un authentique trader, Jordan Belfort, aux origines modestes, qui va devenir un délinquant en col blanc, profitant de la montée en puissance des affairistes de la Bourse. Pour Scorcese, les spéculateurs et autres frondeurs sont de la pire engeance. La haute finance, complètement corrompue, précipite le monde dans une pantalonnade effarante. En prise avec l'air du temps, Scorcese nous dit sa colère de voir la souffrance des gens dans un monde qu'il faudrait remettre d'aplomb. L'impression d'obscénité est rendue sans complaisance pour ce monstre de vulgarité et d'avidité, ce nouveau "Héros" est la caricature "bling-bling", doublé d'un versant grotesque. Nous avons là une magistrale démonstration de la quête de l'impossible, l'appel à la jouissance totale. En effet, ce film est un véritable traité clinique qu'il s'agit de prendre au sérieux. Si le sexe, le fric et la drogue sont des moyens d'addiction du "Loup", nous pourrions regarder de plus près comment cette dépendance fonctionne. Peu importe ce qu'il va vendre, que ce soit un stylo ou des milliards en bourse, ce qui va primer plus que tout, au-delà de l'objet mis en circulation, ce sera son rapport jouissif à déssaisir l'autre (le client) de son propre désir jusqu'au moment de sa capitulation. Obtenir l'adhésion de l'autre, dans une totale manipulation cynique et outrancière, voilà ce qui l'excitera au plus haut point dans la relation "gagnantperdant", dès que son appât bascule et se "fait avoir" en disant oui à la transaction. Dans cette quête du plus de jouir, l'attrait est sans borne, sans limite. Pourtant, l'opération se retourne, le loup se consume par tous les bouts, "accro" à cette quête, il n'a plus la liberté d'arrêter le processus en marche, il flambe et finit par se détruire lui-même. On constate bien jusqu'à quel point, l'emprise du pulsionnel s'empare de plus en plus du psychisme de la personnalité du trader. Sa vie se déchaîne, rien ne viendra arrêter cette hémorragie obscène, ni même les crises. Le réel n'est plus symbolisable, le piège se referme sur ce loup de Wall Street. N'oublions pas que l'histoire est vraie. N'est-ce-pas là, une magnifique métaphore de ce qui attend les ultra-libéraux du marché ?

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Communiqué: Police de la pensée ? Date : 4 février 2014

Communiqué du Collectif des 39 du 19 avril 2014. Police de la pensée ? Le docteur Jean Pierre Drapier, médecin directeur du CMPP d’Orly vient de rendre publique une ingérence hautement symbolique de l’ARS d’Ile de France dans la formation continue de l’équipe qu’il dirige. Deux psychologues se voient ainsi refuser un remboursement (de 80 euros !) pour une formation en rapport avec la psychanalyse sous prétexte que la HAS aurait déclaré « non consensuelles les approches de l’autisme fondées sur la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle ». Nous avions à l’époque déjà pris position contre cette décision de la HAS et lancé en clôture des Assises de la psychiatrie et du médicosocial, « l’appel des 1000 »( http://www.hospitaliteautistes.org/spip.php?article1) qui a recueilli 8000 signataires à ce jour . Cet appel critiquait vivement une telle fermeture du débat dans les pratiques et réclamait une autre politique à l’égard des personnes souffrant d’autisme. Nous nous inquiétions déjà d’une mise en acte de telles recommandations dans les formations des soignants de tous métiers, et très tôt nous avons pu constater que ces recommandations se transformaient très vite en interdictions. Nous récusons une volonté de formatage des formations et des pratiques qu’il faudrait indexer à des référentiels HAS, ce qui est en train de s’officialiser dans le Développement Professionnel Continu, et qui s’attaque à ce qui fait la richesse des métiers : la nécessaire diversité des approches théoriques, la possibilité de controverses qui par définition ne seront jamais consensuelles ! Nous appelons à la mobilisation contre un tel formatage où serait prescrite une pensée officielle et homogénéisée aux conséquences redoutables sur les pratiques soignantes. Nous voulons aussi insister sur le fait que ces prises de position de la HAS s’attaquent aujourd’hui à la question complexe de l’autisme, mais promettent le même réductionnisme à

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l’égard de l’ensemble des pathologies qu’il s’agirait de rabattre sur un trouble neurologique, en écartant toute recherche de sens dans l’abord psychopathologique. Une telle négation de l’inconscient, l’ignorance de l’apport des processus transférentiels dans les thérapeutiques, sont une véritable insulte à la culture soignante, une entreprise révisionniste à l’œuvre contre la psychiatrie française et son histoire. La diversité des approches thérapeutiques ne peut être balayée et nous refusons que les soins soient réduits à des techniques instrumentales. Des conférences ont été déjà interdites, des colloques se voient refuser leur agrément, des soignants ne peuvent s’inscrire dans le cadre de la formation continue à des journées de formation, dès lors qu’elles ne s’inscrivent pas dans les orientations « stratégiques » des pôles ou des Directions des soins. Ce qui se met actuellement en place, ne touche pas que les formations se référant à la psychanalyse ou à la psychothérapie institutionnelle, mais toutes les formations qui ne rentrent pas dans le cadre des protocoles Cette « police de la pensée » est d’autant plus inquiétante qu’elle se couple à une réduction des moyens que l’on nous annonce chaque jour plus grave : aux dernières nouvelles 23 milliards en 3 ans sur la santé et la protection sociale ! Accepter aujourd’hui cette attaque sur une formation à Orly, c’est accepter l’instauration d’une censure et d’une autocensure généralisées pour tous les professionnels du soin psychique, et accepter également une réduction de la qualité de l’offre d’accueil et de soins. Nous appelons donc tous les professionnels de tous métiers, tous les collectifs de soin, mais aussi les patients et les familles à se mobiliser contre cette décision provocatrice de l’ARS d’Ile de France, et à tenir bon sur l’aspect pluridimensionnel des approches en refusant le formatage et le réductionnisme. www.collectifpsychiatrie.fr

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Que faisons-nous porter à nos enfants ? Date : 4 février 2014

Couverture de l'album "Les mères", de Claire Brétecher.

Tout ce que voulez savoir sur ce qu'on fait porter à nos enfants (sans oser le demander!).. A Thionville, un groupe informel de femmes se réunit chaque mois autour d'un conférencier pour débattre des problèmes d'actualité dans la cité. Le 18 janvier 2014, Philippe Woloszko, psychiatre et psychanalyste, a été invité pour parler de l'héritage que nous transmettons à nos enfants, et comment le faisons-nous, bien souvent à notre insu ? Ce soir là, soixante femmes étaient présentes. Dans son style drôle et agrémenté d'exemples cliniques habillés d'humour, nous allons entrer dans ce domaine qui nous parle et nous concerne tous, avec jubilation et intérêt. Quand la psychanalyse se transmet ainsi, c'est à saisir... Que fait-on porter à nos enfants? «Tout le monde n’a pas la chance de naître orphelin » écrivait Jules Renard. Qu’on soit père ou mère, si on aime son enfant, on est entier dans la relation avec lui. On y est avec nos émotions, nos sentiments, notre corps et notre histoire. On y est aussi alors, avec nos problèmes avec tout ce qu’on vit ou qu’on ne vit pas, avec nos familles, nos amis, nos boulots. Élever un (ou des) enfant(s), l’aimer, le protéger, lui faire découvrir le monde, l’accompagner de plus en plus discrètement dans l’aventure de la vie ; ce n’est pas un emploi à 35 heures, il n’y a pas de mode d’emploi, c’est toute une partie de la vie. Les recettes ont toutes échouées et ne peuvent pas s’adapter à la vie, ni à la personnalité de chaque enfant, et aujourd’hui

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moins que jamais à l’accélération phénoménale des changements. Les repères que l’on peut avoir de notre enfance deviennent difficiles à utiliser. Alors comment faire ? Rassurez-vous je n’ai pas une nouvelle recette, ni même un régime. Il n’est pas possible de réussir ! On ne peut qu’essayer de le faire du mieux possible. Les parents sont tous des êtres humains, si un parent est parfait, il n’est pas un être humain pour son enfant ; c’est comme s’il était élevé par une machine. Imaginez-vous être sans cesse confronté à quelqu’un de parfait, il y a de quoi devenir dingue. En tant que parent, on ne peut qu’apprendre au fur et à mesure, à tâtonner, à réfléchir ; à accepter de se remettre en question.

Marylène de Claire Brétecher

Mon travail me permet d’entendre chez les gens que je reçois, ce qui leur a posé des problèmes dans leur enfance et plus tard dans leur vie. Ce que je vous propose ce matin, c’est d’essayer de réfléchir ensemble sur le sujet de ce qu’on peut transmettre à nos enfants et aussi à ce qu’on leur fait porter. J’aborderai 3 questions : -Ce qu’on leur fait porter parce qu’on les aime. -Ce qu’on leur fait porter pour nous. -Ce qui se transmet à travers les générations. Pour chacune de ces questions, je prendrai 1 ou 2 exemples, cela sera suffisant pour comprendre de quoi il retourne, et cela vous laissera le loisir de penser à d’autres situations. Ces questions sont difficiles et peuvent être douloureuses pour beaucoup d’entre nous. Alors on va s’amuser un peu, ça détendra tout le monde. J’ai rédigé une petite saynète, qui sera lue par X et X. Cela illustre des situations que l’on peut prendre comme des exemples presque réels. Tout ce qu’il y a dans ces petits jeux de rôle, je l’ai entendu ou observé; j’ai juste présenté les paroles entendues dans un ordre différent et plus plaisant.

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Clémentine et Saumonette Clémentine et Saumonette sont deux copines qui vont déjeuner ensemble. -Clémentine : Bonjour Saumonette comment vas-tu ? -Saumonette : Bonjour Clémentine, pas terrible, je suis épuisée, ma petite fille Ondine, ne veut plus dormir après le dîner. -C. : Mais c'est un bébé, elle a bien 11 mois ? -S. : Oui, mais c'est depuis Noël, le soir elle ne veut plus quitter mes bras. -C. : Tu en as de la chance ! Moi, depuis que Colin est retourné chez sa femme, je n'ai plus personne à câliner. Et le soir je me sens si seule. -S. : Je te comprends bien parce que Fidel, mon compagnon, a changé de chef juste avant les fêtes de fin d'année. Et son nouveau patron, Ducan a imposé une nouvelle méthode de travail. Tous les soirs, après dîner, ils s'échangent leurs impressions par sms pendant des heures. -C. : Ils parlent de ton régime ? C'est ça la nouvelle méthode de Ducan ? -S. : Non ils discutent de ménage-ment, pardon de management ; Fidel m'a bien expliqué, il doivent réorganiser tout le service.

Management je me marre de Gabs et Jissey

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-C. : Le service de table pour le dîner ? -S. : Pas du tout, c'est le service trois pièces de Fidel qui va être réaffecté. -C. : Oh, il doit être très affecté ! -S. : Ça tu peux le dire, depuis il est tellement préoccupé qu'il ne me touche plus. -C. : Ca alors je n'arrive pas à te croire, je ne peux pas imaginer Fidel castré ! -S. : Bon assez de bêtises, allons déjeuner et nous pourrons parler d'Ondine. Elles choisissent un restaurant. -C. : Tiens un restaurant vietnamien, ça te dit ? -S. : Ah non, tu sais que ma mère est née au Viêt-Nam ! Alors quand je vois la carte de ces restaurants, j’y retrouve tous les petits noms qu’elle me donnait quand j’étais petite. Mon petit canard laqué, ma poulette à la citronnelle, ma petite pousse de bambou. Ca me coupe complètement l’appétit.

Image de Claire Brétecher 'Les mères"

-C. : Et c’est parce qu’elle te trouvait appétissante qu’elle t’a appelée Saumonette ? -S. : Non c’est mon père Jonas, un grand pêcheur, qui m’a donnée ce prénom. Il dit toujours

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qu’il voudrait retourner dans le ventre de son Anémone de mère. -C. : Alors il t’a gardée dans ses filets ? -S. : Elle est vieille celle-là, les filets de Saumonette. -C. : Je vois, alors pas de restaurant de poissons non plus, ça serait du cannibalisme ! Tiens, allons au « Comme chez soi », on pourra y parler de nos histoires de famille. -S. : Très bonne idée, ça sera comme à la maison, c'est tout l’intérêt d'aller au restaurant ; ce qui change c'est qu'on ne fait pas la vaisselle et qu'il n'y a pas de linge sale à laver en famille. -C. : Bon, je vais prendre le saumon aux agrumes ; comme ça entre Saumonette et Clémentine je ne serai pas trop dépaysée. C'est Noé, mon père, qui me disait toujours : quand tu ne connais pas, repère toi à ce qui te semble le plus familier, ça évite les pépins. -S. : Oui, c’est vrai, ton père a peur de tout. Tu me racontais la dernière fois qu'il ne sortait jamais de son quartier, Clémentine ! -C. : Ce que je ne t'ai jamais confié, c'est que jusqu'à mes 12 ans, chaque fois que je sortais de mon quartier, je perdais ma peau ; je pelais sur tout le corps. C'était horrible, douloureux. Je ne pouvais plus sortir, comme mon père.

Album "Allergies" de Claire Brétecher

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-S. : Ca a du être affreux. Et quand ça s'est arrêté ? -C. : Quand on a du déménager et que mon père est sorti de son quartier. -S. : Mais je croyais qu'il ne pouvait pas changer de quartier, Clémentine ? -C. : Oui, mais ma mère a eu un super logement de fonction à Guéntrange, ils s’y sont installés. Et alors mon père a de nouveau eu le psoriasis sur tout le corps, le même que celui qu’il avait jusqu’à ma naissance. Depuis, il ne sort plus car il est tout rouge-orange.

Album "Les mères" Claire Brétecher

-S. : Je vois, l’heureux père qui se repère avec ce qui lui est familier, comme ça les maladies ne sortent pas de la famille. -C. : Très drôle ! Mais tu as raison c’est dans la famille, le père de mon père, mon grand-père Martial a fait la guerre et son surnom à l’armée était : « pas de quartier » ; il était très sanguinaire. Bon regardons la carte. Qu’est-ce que tu manges alors ? -S. : Cette discussion m’a donnée envie de boudin ; je vais prendre le boudin maison.

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Album "Agrippine et l'ancêtre" de Claire Brétecher

-C. : Bien, on avait dit qu’en mangeant on parlerait d’Ondine. Si je comprends bien depuis sa naissance, Fidel ne te regarde plus. -S. : Oui, c’est ça. Mais heureusement la petite, quand elle est dans mes bras, me regarde tout le temps et ainsi je suis comblée. Et moi, je ne vois qu’elle. Je me doute bien qu’il y a un problème avec Fidel, qui ne voulait pas d’enfant, je pense que ça lui passera, mais avec Ondine qui a les yeux de son père, je ne manque de rien, elle dort avec moi. -C. : Finalement, ta fille te rend service, elle te permet de ne pas t’apercevoir que ton mec n’est plus en phase avec toi ! -S. : Ah oui je n’avais pas pensé à cela. Ondine et moi on est tout à fait en phase. A propos de phase, ton neveu, Constant, tu sais je le vois chaque année quand ton frère et sa compagne viennent chez tes parents. -C. : Oui, il est adorable, si doux et câlin. -S. : Il l’est tellement que quand on le voit, on a envie d’aller jouer avec lui. Il y a quelque chose que j’ai remarqué. Dès qu’il y a au moins 2 personnes avec lui, des enfants et même parfois des adultes, ils se disputent. Et Constant, lui, les regarde impassible. -C. : C’est vrai maintenant que tu le dis. Maman m’a raconté que ses parents n’arrêtent pas de s’engueuler, et ils ne voient même pas que Constant les regarde l’air impassible.

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-S. : Tu en as parlé avec eux ? -C. : Oui, je leur ai dit que ce n’était peut-être pas bon pour Constant de se déchirer devant lui. Ils m’ont répondu qu’ils lui avaient expliqué que Papa et Maman s’aimaient très fort et que tout allait bien. -S. : Ca me fait penser à Bénédicte. Elle est allée manger chez ses parents dimanche midi ; ça s’est très bien passé, tout était comme d’habitude. En rentrant chez elle, sur Facebook elle apprend que ses parents vont divorcer; son père s’est mis comme célibataire. -C. : Heureusement qu’on a internet pour être informée ! On va attaquer la 1ère question que je vous ai annoncée : ce qu’on leur fait porter parce qu’on les aime. Rappelez-vous l’histoire de Saumonette et ses parents : la mère née au Viêt-Nam et son père Jonas. Les petits noms si appétissants que portait Saumonette. Et puis vous avez bien entendu les noms que j’ai donnés à mes héroïnes. C’est mignon tout plein les petits noms que l’on donne à nos enfants. Mais le plus souvent, ça renvoie à des idées de choses que l’on dévore, comme des ogres, ou qui gratte comme des puces. Qu’est-ce donc que cet amour que l’on donne à nos enfants ? Est-ce que cet amour ne serait pas un amour pur, avec que des éléments positifs ? Hé bien, cet amour pur ça n’existe que dans les contes pour enfants, qui eux-mêmes le plus souvent n’y croient pas. Si on aime un enfant, on l’aime dans tous les sens du mot aimer : comme un enfant, un être unique, du chocolat ; on l’aime avec tous nos sens on les regarde, on les touche, on les entend, on les sens et on les goutte, on les embrasse. Mais ne vous inquiétez pas, pour les noms dont vous avez affublés vos enfants, ils ne sont pas traumatisés par ça, quelques histoires d’ogre, Hansel et Gretel et le tour est joué. Ils comprennent alors qu’il n’y a pas d’amour sans au moins un peu d’agressivité.

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Album "Le destin de Monique" de Claire Brétecher

Pour l’histoire des restaurants où Saumonette ne peut pas aller ; si elle ne peut manger dans ces restaurants, ce n’est évidemment pas uniquement en rapport avec son prénom ou ses petits noms. Les relations entre les enfants et leurs parents sont multiples, riches et aussi uniques. Vous êtes toutes, sauf celle qui ont eu la chance d’être orphelines, les enfants de vos parents. Jules Renard qui a écrit cette phrase a été martyrisé par sa mère. On le voit bien, l’amour entre adultes a des aspects ou on souffre, tout le monde l’a vécu ou l’a observé ! Il en de même avec les enfants, si on les aime. Si vous ne les aimez pas, vous pouvez tranquillement attendre qu’on aborde la 2ème question. Avec la plus grande attention, vous ne pouvez pas toujours éviter de blesser vos enfants. Mais quand on le fait, pourquoi ne pas s’interroger sur ce qui s’est passé ? Bien sur, c’est difficile de comprendre ce qui se passe pour eux. Mais on peut aussi se poser la question de nos sentiments à ce moment là, pour nos enfants. Dans quel sens du mot aimer, on les a aimés à cet instant ? Mais le plus souvent, on ne s’aperçoit pas qu’on l’a blessé, on ne s’en rend pas compte. C’est quand les enfants ont grandi qu’ils peuvent nous le faire entendre ou pas, comme certains d’entre nous l’ont peutêtre fait avec leurs parents. C’est ce dont je vais parler dans la 2ème question : ce qu’on leur fait porter pour nous.

Album "Le destin de Monique" de Claire Brétecher

On va prendre l’exemple de Constant, ses parents se disputent violemment devant ce petit garçon, qui ne sait pas que faire de cette violence. Il lui faut en faire quelque chose pour ne pas être emporté par ce déchaînement. Il pourrait en parler, mais on lui a fait comprendre qu’il n’y

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avait rien à en dire. Alors, il pourrait être touché, atteint par cette vague ; on pourrait imaginer qu’il ne mange pas ou ne dorme plus, qu’il fasse un eczéma ou des problèmes de digestion, bref qu’il soit blessé ou malade. Mais ce petit garçon a trouvé un autre moyen de se défaire de cette énergie dangereuse, toxique pour lui. Il va transmettre, il va donner à quelqu’un d’autre la charge de ce qui le touche, d’autres que lui vont éprouver, vivre, répéter ces disputes. Cela lui permet de faire sortir de lui, de son corps cette énergie, c’est ça aussi la transmission. Ce n’est pas la même chose que dans le travail, où un supérieur hiérarchique donne à son collaborateur la charge du travail qu’il n’a pas envie de faire. Dans l’exemple de Constant, il n’est pas conscient de ce qui se produit, il transmet sans savoir ce qu’il transmet. Et, ça le soulage, il ne souffre pas trop de ces disputes. L’énergie le traverse comme un courant électrique, ça le secoue un peu, laisse peut-être quelques traces de brûlures, mais ça ressort comme c’est entré. Je vous racontais tout à l’heure qu’avec les enfants le plus souvent, on ne s’aperçoit pas qu’on les a blessés, qu’on ne s’en rend pas compte. Il y a en nous des forces actives pour que cela reste inconscient ; comme par exemple d’avoir à supporter cette énergie négative dans notre corps, c’est vraiment très difficile et pénible de rendre certaines choses conscientes. (C.F. la blague de la dette.). Dans la saynète, c’est ce qu’il se passe entre Saumonette (la pauvre) et sa fille Ondine. Ce bébé fait chaque soir l’effort de rester réveillée pour ne pas laisser sa mère se rendre compte qu‘elle est seule et colmater ainsi ce que Saumonette ne veut pas savoir. J’ai rencontré une femme dont le bébé ne dormait jamais pendant la nuit, le bébé a dormi le jour où cette femme, cette mère a entendu qu’elle était extrêmement angoissée que son bébé meure pendant la nuit. Le bébé pleurait toute la nuit pour rassurer sa mère ; et cela jusqu’à ce que cette mère prenne cette angoisse sur elle, qu’elle l’éprouve à son tour, qu’elle l’assume, elle. Plus on est proche d’un enfant, plus on transmet. Dans ce qu’on transmet, il y a la plupart du temps, surtout des choses positives qui vont aider l’enfant à grandir, lui donner du bonheur et lui permettre de se construire une vie la plus plaisante possible. Mais on ne peut pas choisir ce que l’on transmet. Par exemple, quand on ne veut pas que nos enfants vivent quelque chose qu’on a traversé, on va faire l’inverse. Ce qu’on fait alors, c’est continuer à donner de l’importance à par exemple la nourriture. Une femme qui a eu des problèmes d’anorexie, peut en faisant l’inverse, trop inciter ses enfants à beaucoup manger, et ils vont finalement se retrouver comme la mère avec des problèmes de poids. Est-ce que cette femme pourra un jour accepter que les problèmes de poids ou de nourriture soient les siens, et ne regardent pas ses enfants ? Mais, parfois ce n’est pas possible de faire autrement que de transmettre aussi des choses négatives, ce qu’on veut pour lui n’est pas ce que lui veut. Et que se passe-t-il si on ne veut rien pour un enfant ? Ce que je pense est que si on ne projette pas sur un enfant, cet enfant ne peut pas se projeter dans la vie, il sera un enfant peu animé, qui ne s’intéressera à rien dans ce qu’il vivra.

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Claire Brétecher album "l'ancêtre"

Nous voilà arrivés à la dernière question, ce qui se transmet à travers les générations. Dans ma saynète, c’est l’histoire de Clémentine, son père et son grand-père. Ce que je raconte d’un enfant qui pèle sur tout le corps, est un fait réel ; le reste de cette histoire, je l’ai construit afin d’illustrer mon propos ; d’une façon qui me semble à peu près réaliste. On est en présence d’un homme Martial, un sanguinaire, qui est en fait un tueur, il ne fait pas de quartier. Un passé pareil, ça laisse des traces sur ses enfants, d’autant plus que ces histoires là, ça ne se raconte pas entre la poire et le fromage. Ainsi, son fils, le père de notre chère Clémentine, va hériter de ce passé paternel. Il cherche un moyen d’exprimer ce qu’il a perçu chez son père, sans vraiment savoir ce dont il s’agit. Exprimer c’est faire sortir de soi, alors il a trouvé ce symptôme qui met en jeu le mot « quartier ». De « pas de quartier » ça devient pour lui : « pas changer de quartier » ; avec là, un prix à payer, une dette à honorer : il ne peut plus s’éloigner de sa maison. Cet homme a un deuxième symptôme un psoriasis généralisé, qui est en partie relatif à l’histoire de son père et en partie lié à d’autres choses dont nous ne savons rien ici, et dont ce n’est pas le propos. Cet homme engendre une fille qu’il nomme Clémentine, ce nom évoque à nouveau ce mot « quartier » qui est alors en jeu pour Clémentine ; il transmet à sa fille le trou, l’énigme, l’impensable de l’histoire de son père et il transmet en même temps toute la dimension d’horreur portée par cette histoire. Clémentine en naissant guéri son père de ce qu’il montrait sur sa peau : la rougeur, on ne sait pas s’il s’agit d’une rougeur de honte, ou que cela rappelle le sang versé, ou une orange sanguine, peu importe. Elle prend sur elle un des symptômes de son père, celui qu’il portait sur sa peau, et cette peau n’est pas la sienne, régulièrement elle tombe cette peau, en pelant Clémentine. Pour la fin de cette quasi fiction, j’ai fait une happy end ; où par une intervention énergique de la mère, le père a du assumer le symptôme de la rougeur en acceptant de surmonter la douleur du déménagement ; de traverser la question du « pas changer de quartier ».

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Dessin de Sempé

Je n’irai pas plus loin, pour cette histoire de transmission à travers les générations qui aboutit à Clémentine. Je pense que vous percevez à quel point ce sont des problèmes éminemment complexes. Chacun a dans sa famille des fantômes qui suivent les générations ; et qui parfois engendrent des souffrances terribles. Pour sortir de ces problématiques je ne connais que la psychanalyse, je ne prétends pas tout connaître et qu’il n’y a pas d’autres possibilités de résolution, mais la psychanalyse, malheureusement si décriée aujourd’hui, peut souvent donner des clés.

Philippe Woloszko Psychanalyste, psychiatre à Metz Président de l'association "À Propos" Thionville, le 18 janvier 2014.

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"Marylène" de Claire Brétecher

Extraits des livres Livre : le management je me marre !... Gabs/Gissey, Edts Eyrolles image cursus. Livre : "Comment se débarrasser de son psychanalyste" d'Oreste Saint-Drôme livres de Bretécher Claire : Les Mères, Agrippine et l'ancêtre, Allergies, Le destin de Monique, desquelles ont été extraites et photographiées par mes soins les autres illustrations en exergue du texte.

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POUR UN AUTRE PLAN AUTISME 2013 Date : 4 février 2014

POUR LE RETRAIT DE LA RECOMMANDATION DE L’HAS SUR L’AUTISME L’annonce du plan autisme était attendue par les professionnels (soignants, enseignants, éducateurs, etc.) et les familles : le manque de moyens en termes de places et de personnels entraine de tels dysfonctionnements, de tels délais d’attente, de telles ruptures de prise en charge, de telles souffrances parentales qu’il était urgent et indispensable de proposer un plan présentant une grande ambition. Or si on retrouve dans ce plan quelques points attendus (comme le dépistage précoce), les moyens supplémentaires alloués sont dérisoires, voir nuls dans la psychiatrie publique et l’Education nationale, et ne règleront aucun des graves problèmes de pénurie. Mme Carlotti, ministre déléguée en charge du dossier, a accompagné l’annonce de ce plan par des propos inacceptables à l’égard des approches fondées sur la psychanalyse. Ces propos s’appuient sur les recommandations de la HAS et structurent le plan Autisme 2013 d’un seul point de vue, sans nuance, niant les critiques, les communications et les travaux les plus récents. Les recommandations de la HAS, Haute Autorité de Santé, ne font pas consensus, elles se parent d’une scientificité qui n’est en rien démontrée, ce que la revue Prescrire dans son numéro d’avril 2013 a très bien énoncé. Elles obèrent les choix éclairés des professionnels comme des familles. La pluralité des approches est nécessaire en face d’une réalité psychique complexe, celle de chaque sujet en souffrance, qui ne saurait se réduire à une seule dimension, à un seul registre de la connaissance et du savoir. Nous demandons donc le retrait des recommandations de la HAS. Qui plus est la confusion continue d’être entretenue entre les plans éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques. Le plan Autisme 2013 organise les préconisations dans le parti pris d’un seul point de vue exclusif, non-recevable. Ces recommandations se fondent en fait sur une lecture idéologique et

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normative de l’autisme pour dénoncer des recherches et des pratiques qui n’auraient pas fait leurs preuves. Aujourd’hui c’est de l’autisme qu’il s’agit, mais le risque est inévitable d’une généralisation de la méthode suivie pour ce plan à l’ensemble du champ éducatif, pédagogique et soignant. Alors demain un plan pour les troubles bipolaires ou la schizophrénie ? Il n’y aura plus de maladies seulement des anomalies à corriger ?

Nous ne voulons pas d’une HAS qui par ces recommandations univoques interdit l’esprit du doute nécessaire à l’approche scientifique et à la recherche, qui ne saurait restreindre son effort de façon unidimensionnelle. Nous ne voulons pas d’une HAS qui interdit la prise en considération des pratiques soignantes, éducatives et sociales qui ont fait leurs preuves et sont approuvées par des familles qui n’ont pas été entendues, alors qu’elles dénoncent les excès d’approches uniques quelles qu’elles soient. Nous ne voulons pas d’une HAS, outil de l’Etat. Le choix et la nomination des dirigeants de cet outil par l’exécutif de l’état confirment sa dépendance. Les proximités avec l’industrie pharmaceutique signent une orientation thérapeutique. Cette HAS n’est indépendante ni de l’Etat ni du monde pharmaceutique. Nous ne voulons pas d’une HAS dont les recommandations empêchent la pensée des professionnels et des citoyens et autorisent les politiques à imposer au bout du compte ce qui s’apparente à une science d’état. Nous ne voulons pas non plus d’une HAS qui par ces recommandations orientent les formations initiales et continues des professionnels du soin et des travailleurs sociaux de ce seul point de vue, niant ainsi une des compétences premières de ceux-ci à savoir l’accueil de la personne en souffrance, de la personne en difficulté, en attente d’une attention et d’une écoute avant les réponses thérapeutiques, éducatives et sociales indispensables. Ne plus penser sa pratique pour un professionnel, fait de celui-ci un agent de l’ordre social et non plus un soignant. Ne plus exercer son libre arbitre dans la rencontre singulière, c’est se soumettre à une autorité bureaucratique. Nous réaffirmons la nécessité d’un engagement fort de l’Etat par un débat préalable à la promulgation d’une loi cadre pour la refondation de la psychiatrie de secteur et les moyens de la mettre en œuvre avec les professionnels, qu’il s’agit de former à la complexité, et avec les

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usagers qui sont aujourd’hui partie prenante, pour une psychiatrie fondée sur l’hospitalité et non sur la ségrégation et le formatage. L’empêchement de penser, donc de créer, pour les patients, pour les professionnels, et pour les familles, est une atteinte à la démocratie et à la culture. C’est pour cela que nous tous ici réunis appelons à un autre plan Autisme, au retrait de la recommandation de l’HAS sur l’autisme et à la remise en cause de cette HAS Là !

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"À ciel ouvert" chaque enfant est une énigme. Date : 5 février 2014

Commentaire du documentaire de Mariana Otero, « A Ciel Ouvert », 2013. Commentaire de ce film par Anna Konrad, psychanalyste* Le documentaire de Mariana Otero sorti dans quelques salles à Paris, « A Ciel Ouvert », réalisé dans l’institut médico-pédagogique « Le Courtil » en Belgique, au sein d’une équipe orientée par la psychanalyse dans son travail quotidien avec des enfants psychotiques ou autistes vient, peut-on penser, à point nommé dans le débat suscité par les attaques contre la psychanalyse sur la prise en charge des enfants autistes. Il montre des enfants ayant l’air épanoui, entourés d’attentions par des adultes travaillant avec une référence psychanalytique dans un internat qui semble voué à apporter de la parole dans leur existence impactée par une difficulté à vivre dans les références communes, qui les a conduit en dehors du système ordinaire. Seulement, à quel débat ce film participe-t-il ? Si il s’agit de montrer un documentaire sur des enfants gravement atteints, soignés par la psychanalyse vilipendée bien souvent sur la place publique, le pari est plutôt tenu. Ces enfants ont l’air heureux et libres pour autant qu’ils semblent expérimenter leur rapport aux autres dans un environnement bienveillant. S’il s’agit de transmettre quelque chose de la psychanalyse à un public non averti, c’est une autre histoire ; là, le pari me semble perdu. Le spectateur assiste à des discussions bizarres dans lesquelles le mot « jouissance » revient à tout bout de champ à propos des enfants, leur comportement hors normes semble complètement encadré par des interprétations que les adultes se font entre eux. Ces derniers paraissent embarqués dans un monde de références omniprésentes qui blindent et empêchent toute pensée spontanée. Les enfants sont cernés par cette compréhension d’eux, que les adultes ont entre eux et qu’ils partagent comme s’ils

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appartenaient à une confrérie. Le spectateur non initié est exclu. Leur bonne volonté dans les explications qu’ils tentent de donner des concepts qu’ils emploient au sujet de la genèse de la psychose, du langage, du grand Autre non barré, et toujours à propos de la jouissance des enfants « fous » qu’ils soignent, ne cesse de donner l’impression d’un rapport complètement adhérent à un savoir assuré, univoque, partagé et sécurisant pour ceux qui s’en soutiennent, mais qui les coupe aussi du reste du monde. C’est pourquoi le film lui même, manifestant la séduction éprouvée à l’évidence par la cinéaste pour cet univers à part et ces enfants à part, n’est pas la meilleure promotion d’une psychanalyse qui voudrait avoir quelque pertinence dans la société contemporaine. La psychanalyse que l’on nous présente peut sembler n’exister que parce que l’Etat et la Sécurité Sociale payent ce lieu protégé et clos, comme les asiles construits au XIXème siècle ont pu exister parce qu’une volonté politique au sommet de l’Etat l’avait voulu ainsi. Il y a extrêmement peu de références tout au long du documentaire à la scolarité et à la formation des jeunes ; comme si la « folie » promue comme objet et centrage du travail des professionnels évinçait ces questions trop ordinaires. Comme si dans cette petite communauté d’éducateurs touchés par la grâce des vérités lacaniennes, le projet était de fournir des sujets fous bien soignés. Les enfants paraissent se suffire de jouer le jeu des adultes en confirmant et en illustrant leurs théories précieuses. Cette surreprésentation d’un rapport à un savoir qui répond à tout ce qui peut arriver élimine angoisse et parole personnelle des soignants, un écho quelconque de leur trajectoire et de celle de l’institution, tout semble être là depuis toujours et pour toujours. Autant dire que le spectateur déjà convaincu de l’idée qu’il appartient à la société d’offrir des lieux d’asile pour la folie sera sensible à ces images que les visages et les regards de ces enfants étranges rendent intimes. Quoi qu’il peut avoir le sentiment que l’on se soucie assez peu de l’avenir réel des soignés ; parce qu’à l’avenir aussi de toutes les façons, ils devraient occuper cette place rassurante de fous que l’on soigne. « Le Courtil » fait partie du Réseau Institutions Infantiles du Champ Freudien, un dispositif international de l’école de la Cause Freudienne. Le film « A Ciel Ouvert » est-il destiné à assurer la promotion d’une certaine idée de la psychanalyse ? Il diffuse une version précise du traitement de l’enfant psychotique, désigné sur le site du Courtil comme atteint de difficultés « au croisement du psychique et du social » . Précise jusqu’au point de préconiser « une position singulière de l’intervenant dégagée autant que faire se peut des effets imaginaires – liens affectifs, compréhension, empathie, peu propice à l’accueil de la question psychotique » . D’emblée, la « question psychotique » est assortie d’un savoir de référence qui enjoint une posture clinique sans lien avec la propre affectivité de l’intervenant. Ce qui ne peut, me semblet-il, que couper le sujet des ressources de sa subjectivité dans sa rencontre avec la clinique, et favoriser la fermeture de la pensée autour du terme de « psychose ». Mais ces remarques ne concernent que le petit monde analytique et son débat avec la posture de type médical, parallèlement au débat plus étendu suscité par les attaques contre la psychanalyse sur la prise en charge des enfants autistes. Le film « A Ciel Ouvert » réussit-il à faire à match nul avec le film « Le Mur » de nouveau présent sur You Tube, ressorti aux cris de victoire de « Autisme sans Frontières », militant pour une prise en charge de l’enfant autiste excluant toute « psychanalyse » ? « Le Mur » avait été interdit de diffusion en l’état il y a deux ans, la plainte de trois psychanalystes estimant avoir été piégés par la réalisatrice et leurs propos déformés dans le but de ridiculiser la psychanalyse jugée recevable par le Tribunal de Grande Instance de Lille. Ces trois analystes, membres de

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l’école de la Cause Freudienne - dont Alexandre Stevens, fondateur du « Courtil » - avaient porté plainte, tandis que les autres professionnels insultés dans ce pamphlet cinématographique avaient préféré ne pas réagir. La Cour d’Appel de Douai devant laquelle la réalisatrice du film a fait appel vient de rendre son jugement en estimant que la pensée des psychanalystes n’a pas été « dénaturée » par « Le Mur », même si le parti pris leur est hostile . La même Cause Freudienne prend les devants avec un autre documentaire offrant au grand public l’image d’enfants réels soignés par des psychanalystes, loin de la méconnaissance et des calomnies médiatiques leur imputant d’accuser et de maltraiter les parents et de délaisser les enfants.

"Les plongeurs noirs", Fernand Léger. Centre Pompidou de Metz

Cependant, quel est l’intérêt du film au delà de celui de constituer une étape dans une bagarre, celle de chacun pour son pré carré, institutions d’obédience psychanalytique et leurs adversaires ? Quel est l’apport du film si l’on s’éloigne de la réponse au premier degré à l’accusation calomnieuse de maltraitance systématique des familles et d’abandon éducatif des enfants dans les institutions pour enfants autistes orientées par la psychanalyse ? L’entreprise du film semble se suffire dans une réponse immédiate qui témoigne de la fausseté d’accusations générales peu informées et malveillantes contre la psychanalyse. La prudence extrême de la réalisatrice sans voix laissant tout le champ du discours du film à des théoriciens qui semblent rester heureusement coupés du monde autour d’eux, réduit d’autant la portée de ce travail et en fait effectivement un outil à jouer sur les affects d’un grand public supposé voir là un témoignage contrebattant les reportages et témoignages où se déchaine la haine du « psychanalyste ». La complexité des réalités historiques, sociétales, économiques, politiques et scientifiques produisant le débat français, mais aussi international autour de l’autisme, la violence des discours et le rôle de boucs émissaires conféré aux « psychanalystes » sans que l’on sache

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jamais ce que l’on entend par là, soulève interrogation et perplexité. Dans un dossier tout récent intitulé « Comprendre l’autisme », la revue Books donne la parole à quelques journalistes et universitaires anglo-saxons qui parlent à leurs concitoyens dans un langage empreint de bon sens et de vérités établies, à la suite des expériences du passé et de l’apport de la recherche scientifique. Ian Hacking rapportant la comparaison de Leo Kanner – à qui l’on doit la description de l’autisme de Kanner - entre les mères d’enfants autistes et les frigidaires (en fait, comme nous le rappelle O. Postel Vinay, Kanner a parlé de la froideur des parents « répondant aux besoins matériels de leurs enfants de manière machinale et détachée» et d’« enfants comme gardés dans des frigidaires » ) il fait aussitôt cette surprenante proposition : « quitte à haïr quelqu’un, je vous propose plutôt de porter votre ressentiment sur Bruno Bettelheim » . Jamais les imprécations dont Bruno Bettelheim fait l’objet dans le procès contre la psychanalyse ne sont assorties de la lecture de cet auteur. On rappelle uniquement qu’il n’était même pas psychanalyste et qu’il avait été en camp de concentration, projetant ensuite de façon sauvage la condition qu’il avait connue sur celle des enfants autistes.

"Les trois Cyprès" 1951 Marx Ernst. Centre Pompidou de Metz

Il y a quelque chose qui me semble toucher aux tabous du 20ème siècle sur la déshumanisation dont il a été le vecteur dans la violence du rejet de la pensée même de la responsabilité psychique d’un sujet vis à vis d’un autre, dans l’humanisation de celui-ci et dans la possibilité de l’échec de cette humanisation. C’est peut-être la prétention exorbitante de la psychanalyse à soutenir une responsabilité de cet ordre dans le cadre de sa pratique, mais aussi sa brutale présentation corrélative de la déshumanisation au cœur de la psyché ordinaire, qui sont perçues et visées dans ces attaques. L’aspect à l’évidence religieux de la bataille entre ceux qui croient à la « psychanalyse », croyance devenue hérétique dans le

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domaine de l’autisme, et leurs adversaires comportementalistes qui luttent pour gagner du terrain dans les institutions financées par l’Etat, doit avertir le psychanalyste de ne pas s’engager là où il ne saurait que devenir lui-même un défenseur de sa paroisse. Mais il peut s’autoriser à penser, engagé dans une praxis dont les effets produisent un discours, le sien. Il peut nommer dans son expérience et sa rencontre avec des sujets autistes les moments qui ont pu se produire et parler du travail toujours à plusieurs auprès de ce sujet. Il peut s’autoriser à aborder les relations professionnelles et les cheminements à plusieurs qui constituent les dispositifs de travail dans les institutions, il peut parler de thérapeutique rééducative et de convergence avec des professionnels s’appuyant sur diverses techniques rééducatives . Il peut s’intéresser à la pédagogie et aux enseignants qui travaillent avec des jeunes autistes. Il peut lire des auteurs psychanalystes parlant de leurs cures bien réelles et parler de sa clinique. Il peut se demander aussi ce qu’il a apporté à ses patients comme thérapeute. Si il en a le désir, il peut choisir de travailler avec d’autres professionnels d’autres métiers et disciplines dans ce champ spécialement miné, mais passionnant et plein de défi pour le psychanalyste et peut-être déterminant pour l’avenir de la psychanalyse. Anna Konrad Psychanalyste, psychiatre - 75010 Paris Membre actif de l'Association Freudienne

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Comment peut-on comprendre Lacan ? Date : 5 février 2014

Les Larmes, de Man Ray

Suite de l'article "« À ciel ouvert » chaque enfant est une énigme" C'est la question qui m'est venue après avoir vu ce documentaire (voir l'article d'Anna Konrad), dans lequel les références lacaniennes sont légion lors des rencontres des intervenants en supervision. La langue lacanienne est en effet particulière, pour certains c'est facile, pour d'autres c'est une forêt Lacan, une encyclopédie nous dira Laure Adler dans son émission, horschamps, de nov 2012, en recevant l'invité du jour, Jean Claude Milner, linguiste et philosophe sur France Culture.

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La Gravida, 1939

Parler Lacan ? C'est au séminaire de Roland Barthes que Jean-Claude Milner, futur linguiste a entendu parler pour la première fois de Lacan. Dans le monde des "Khâgnes", la psychanalyse était peu mentionnée en 1961-62. D'après Roman Jakobson, la fonction poétique du langage apparaît nécessairement dans la parole, même si cette fonction poétique est soumise à d'autres fonctions : expressive, conative, phatique etc., elle ne peut disparaître sinon le langage deviendrait statique. L'enfant ne se préoccupe pas de phénomènes extra-linguistiques, mais du langage lui-même, il invente souvent sa langue, ce qui nous étonne et nous amuse. Jacques Lacan issu du mouvement surréaliste, va nous transmettre un rapport tout autre avec la langue qu'il nommera dans sa linguisterie : la lalangue, comme nous le précisera Milner. Les futurs linguistes de l'époque se pensaient sujets supposés savoir et sous la gouverne de Louis Althusser, ils mirent Lacan à la question, afin qu'il réponde aux exigences de rigueur, de précision, concernant son propre domaine : la psychanalyse. Ce qui surpris fortement Milner, linguiste en formation, c'est de découvrir avec jubilation et illumination, le mouvement tout autre de la langue qui engendrait elle-même, sa propre pensée, puisque Lacan donnait à celle-ci une direction toute autre. Il la ployait pour lui faire dire plus et plus vite dans d'autres dimensions ce qu'elle recelait à l'oreille, à son écoute. Mais au centre de ces fulgurances ( son séminaire nommé L'Etourdit : ce mot est à entendre comme un dire, (dit), une tour... Les, (L'E), soit un mot renvoie toujours à des sons et sens différents), Lacan interrogeait la langue pour répondre à ses questions sur la cause et les effets de la souffrance. A travers le langage, comment notre réalité psychique laisse perler, à notre insu, des mots pour dire ? Il se préoccupait vraiment de la question de la douleur et de son caractère sacré. Il ne fera jamais de celle-ci un instrument de pouvoir comme le font certains psychologues qui s'impliquent dans l'ordre policier, nous pensons à l'infâme prison de Guantánamo dans l'enclave de Cuba par exemple. La psychanalyse garde sa grandeur de ne s'être jamais compromise dans des expérimentations du corps pour appeler les aveux des condamnés. À St Anne, lors de sa présentation de malades auquel Jean Claude Milner a assisté, il évoque la manière dont Lacan psychiatre s'adressait aux sujets psychotiques ou hystériques qu'il traitait avec le plus grand respect, comme des êtres actifs. Ni pitié, ni compassion, il tenait une posture de psychanalyste, faisant de la générosité - au sens cartésien du terme - une barrière contre la cruauté Quand nous nous adressons à la part singulière, subjective, énigmatique de l'enfant ou de l'adulte en souffrance , c'est avec un savoir troué que nous opérerons au plus vif de ce qui se jouera inconsciemment dans la relation. Sans théorie à appliquer ou à appeler, afin qu'une trouvaille langagière ou de pensée surgisse des deux côtés, dans un rapport spontané, sans y mettre du sens à ce moment là. Ce sera tout le travail de l'après-coup de soi à soi, de soi avec un ou quelques autres qui nous permettront de revivre la séquence où la relation s'est révélée productive ou pas pour chacun. L'éthique du psychanalyste sera d'analyser dans un temps second ce qui questionne et remet en cause le dispositif ou les interprétations si nécessaire.

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Nous ne sommes ni devins, ni magiciens, ni omniscients, toujours en recherche, au plus près de la "vérité du désir" du sujet.

Le cirque bleu, Marc Chagall

Le philosophe, linguiste Jean Claude Milner reconnaît sa dette vis à vis de Jacques Lacan, dans ses publications * il en démontrera toute sa portée. Sur les ondes, dans cette émission de laure Adler, nous entendons Lacan en I974, qui répond aux questions de Jacques-Alain Miller, c'est un extrait de Télévision* que je reprends ici, mot à mot, pour comprendre le parler Lacan, concernant la question de la guérison de la souffrance. "La guérison c'est une demande qui parle de la voix du souffrant, d'un qui souffre, de son corps et de sa pensée. L'étonnant est qu'il y ait réponse et que cette réponse de tout temps, dans la médecine, la médecine ancienne tout au moins, qui de tout temps dans la médecine (il insiste), ait fait mouche par des mots ! Comment c'était avant de repérer l'inconscient ? Eh bien c'était pareil, la médecine faisait mouche dans une grande part de son champ avec des mots, ce qui prouve qu'une pratique n'a besoin d'être éclairée pour opérer."

La notion de transfert est essentielle dans la relation, c'est à partir du transfert de travail émanant du groupe de l'association l'Analyse Freudienne* que ces textes ont pu s'écrire. Nous travaillons aussi par skype, régulièrement sur les sujets choisis autour du thème de l'année :

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Picasso "Le torero"

"La psychanalyse est-elle encore (dans) de son temps ? Je remercie les quatre psychanalystes de ce groupe de réflexion, Anna Konrad, Maria Cruz Estada, Claude Breuillot et Laurent Ballery, de m'avoir permis de mettre en ligne ces deux articles sur l'actualité de l'autisme et de la psychose au moment de la sortie de cet intéressant documentaire.

Chantal Cazzadori Psychanalyste

"Amour d'hirondelles" Joan Miro

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*Publications de Jean Claude Milner : - "Clartés de tout" de Lacan à Marx, d'Aristote à Mao.. Editions Verdier, 2011. - "Pour une politique des êtres parlants" Editions Verdier. * Télévision site vidéo de I'I.N.A ou site audio de Patrick Valas. * Analyse Freudienne association : www.analysefreudienne.net/

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Comité d'éthique du C.H.U d'Amiens Date : 4 mars 2014

ESPACE ÉTHIQUE CHU Lundi 13 Janvier 2014 Thème : Équipe et communication Animateurs : C. CAZZADORI, A de BROCA Présents : 45 participants dont 9 Cadres de santé, 6 Cadres supérieurs de santé, 6 Médecins, 6 IDE, 4 psychologues, 1 directeur ADMR, 4 formateurs IFSI, 2 assistantes sociales et des étudiants. Les participants venaient du CHU Amiens, CH de Doullens, EPISSOS Poix de Picardie, CH Abbeville, CH Seclin, CH Pinel Dury, CH Montdidier, CHI Clermont.

Accueil: Présentation de Mme CAZZADORI, psychanalyste qui a beaucoup travaillé sur la notion d’équipe en entreprises. Elle a aidé des équipes en souffrance à passer le cap, à évoluer. Une souffrance au travail liée au changement de poste, à une réorganisation de la forme du travail et/ou due à des conflits non résolus. Le but ce soir est de réfléchir sur la notion d’équipe en 2013, et montrer que celle-ci n’est pas qu’un problème « d’hôpital » au travers l'expérience acquise par Mme Cazzadori, durant 15ans, en qualité de cabinet conseil en entreprises privées et publiques.

Trois temps ont été proposés: 1er temps: Définir pour chacun dans son lieu professionnel, les cotés positifs et/ou négatifs de la notion d’équipe vécue au quotidien.

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Liste des définitions. Chaque participant doit donner une définition positive et un argument négatif sur la notion d’équipe. Voici la synthèse des réflexions apportées par l’assemblée. Les aspects Positifs – attraits Travail en groupe c’est l’entraide, pas de solitude, valorisation et progression, responsabilisation, respect de la différence, complicité, complémentarité ; partage des points de vue. Travail multidisciplinaire. Trouver les synergies pour un travail plus efficient au profit du malade. Partager la richesse d’une équipe procure un épanouissement professionnel si la notion de respect est présente au quotidien ainsi qu’une communication efficace. Le management participatif permet d’atteindre les objectifs fixés.

Les difficultés et aspects négatifs, les risques ou contraintes : Rivalité, pouvoir, individualité, manque de communication, conflit, manque d’échange, susceptibilité de chacun, réalité et enjeux de pouvoirs, compétition, gestion, travail plus lentement, frein, trop de consensus, comment éviter les frustrations de chacun ? Absence de reconnaissance par le cadre de santé, par la hiérarchie voire au sein même de l’équipe. Équipe fragilisée par la surcharge de travail et les injonctions paradoxales permanentes. Difficulté d’ajustement malgré les protocoles entre chaque soignant ayant pourtant le même but pour le malade. Absence de continuité des soins notamment liée à la non permanence médicale ou à la rotation des médecins dans le même service.

2nd temps: Mme CAZZADORI nous fait partager son expérience.

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Animer un groupe, le diriger, le manager, n'est jamais neutre, ni facile, ni réussi d'avance, pourquoi ? - d'abord il s'agit d'une organisation sociale qui parle du lien social donc de psychologie.Selon Freud, toute psychologie est une psychologie sociale : « dans la vie psychique du sujet singulier, l’Autre intervient très régulièrement comme modèle, soutien et adversaire et c’est pourquoi la psychologie individuelle est, dés le commencement et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargie mais tout à fait justifié. » L’expérience du groupe se fait en premier lieu dans le lien mère-enfant (la dyade), père-mère, enfant (la triade), et dans la fratrie (jalousie, rivalité, compétition, désir fratricide sont à l'oeuvre). - Le groupe présente une dynamique dans laquelle vont s'exprimer des conflits, des phénomènes de résistance, des idéaux et des valeurs, issus des membres qui le compose en se mettant en inter-actions plus ou moins riches et productives. Voici quelques éléments que j’abordais avec les équipes dont j'avais la responsabilité en qualité de formatrice à Interfor, à SupDeco Amiens où j'étais chargée de communication dans les entreprises avec la mission de participer au changement (passer du système talyorien aux groupes autonomes dans l'industrie par exemple), en facilitant les relations engendrées par la nouvelle organisation du travail plus souple, indépendante et créative. Exemples tirés de mon expérience.

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Attention, en préambule, il faut dire qu’on ne peut pas changer une organisation qui ne demande pas à changer ou dont le responsable ne veut pas accorder une importance aux membres ! Pour répondre à la demande d’une entreprise, il faut d’abord analyser celle-ci, puisque le but sera d'améliorer les performances du groupe sur 3 plans : - la structure : les rôles de chacun sont-ils bien remplis ? Les buts bien poursuivis ? la distribution des fonctions est-elle adéquate ? (ex pour y arriver créer un petit groupe de coaching avec 2 personnes demandeuses de changement pour comparer, parler, réfléchir à 3 sur leur méthode de travail). - la communication : l'information circule-t-elle bien ? N’est-elle qu'informative et rationnelle ? (=> ouvrir sur des ateliers de communication inter-personnelle filmée, jouée, analysée, pour prendre en compte aussi les gestes vérité, la complexité des messages, verbaux , non verbaux). - les attitudes mutuelles sont-elles propres à une vraie collaboration ou nuisibles au climat social et de travail ensemble ? (atelier d'analyse transactionnelle pour repérer les postures répétitives négatives).

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Rappelons l'objectif demandé, autrement dit la commande. Exemple : Réussir à rendre les participants moins dépendants des autorités et des experts, les responsabiliser dans leur décision, et développer la tendance vers une démarche expérimentale de résolution de problèmes. Se rappeler que les membres du groupe partage un même modèle, le chef/responsable, auquel ils cherchent à ressembler. Ils partagent entre eux un même idéal du moi. Dans le groupe, le chef prend la place de cet idéal du moi chez chacun des membres du groupe, c'est le modèle de référence au moi de chacun. Le sujet cherche à se conformer à cet idéal du moi qui prend alors fonction de surmoi. Le ressort du groupe c'est l'identification, dira Freud, ressort qui montre bien les liens qui unissent les membres d'un même groupe social de nature libidinale, la libido étant désexualisée, déniée de son but sexuel. (libido = l'énergie psychique du plaisir). Identification : forme primitive du lien affectif à quelque chose. Identification double : les membres s’identifient au chef. Identification mutuelle dans le groupe, des attirances, des répulsions. Le transfert: que recouvre ce concept dans un groupe ? C'est d'abord un déplacement d'affect d'une personne à une autre, une mésalliance, donc à la fois un obstacle au travail (résistance : tout ce qui fait obstacle à la reconnaissance du désir inconscient) et un levier de déblocage pour permettre la mise en acte de la réalité de l'inconscient. C'est donc à manier avec compétence, comme un savoir faire, un tour de main. Car il s'agit dans la plupart des cas d'un transfert amoureux, voir de haine qui provoque des manifestations de symptômes (traduire d'une langue dans une autre pour trouver la langue du désir inconscient), donc manier le transfert c'est faire la bonne interprétation. (exemple : une amie embauche dans son service sa super amie... les soucis commencent et pour cause..., le transfert bascule et c'est la persécution, le harcèlement qui se met en place pour "tuer celle qui l'a embauchée, sa chef amie devenue son ennemie via la rivalité et la jalousie "). Dans la vie courante, les phénomènes de transfert font partie des processus habituels dans les relations humaines.

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Ce qui va compter dans le rapport à l’autre c’est la notion de transfert, ce désir de travailler ensemble, en corrélation avec l’atmosphère, chacun dans son style, sa liberté et sa responsabilité. Aucune méthode de coaching ou de management ne remplacera la connaissance mutuelle qui s’inscrit dans l’écoute subjective de l’autre, à partir de ses émotions, rêves, fantasmes bien plus complexe qu’il n’y paraît. S’appuyer sur l’autre pour fonder du lien social dans un groupe ne pourra s’édifier et résister à l’écroulement, tel un château de cartes, que s’il y a un chef. Pour que le chef fasse plus pour nous encore, c’est-à-dire en tant quemachine à rêver, il faudra croire dans sa capacité à nous interdire ce qui est impossible. Créer ainsi un idéal dans lequel nous allons nous projeter en nous identifiant à un semblable au-dessus de nous, une figure qui animera tous nos fantasmes de réalisation de l’interdit. Pour conclure en répondant à la question : la psychanalyse a-t-elle des vertus thérapeutiques sur le groupe ? Oui, si le discours porté par l'intervenante analysée que j'étais devient un acte politique, au sens où l'inconscient mis en jeu dans toute relation ne soit pas refoulé, non dit. Mon éthique de travail consistait à faire émerger les vraies problématiques mises alors au travail, par les uns et les autres, dans un souci de bienveillance et de respect, l'homme parfait n'existe pas. Comme disait Winnicott : l'eau est boueuse, mais ce n'est pas la boue.

3ème temps: Reprise des expériences de chacun et discussion avec l’intervenante - Tout groupe présente une dynamique où s’expriment résistances, idéaux, valeurs. Un groupe est singulier comme un individu, unique lui aussi, car c’est l’addition des gens du groupe qui le compose qui fera sa spécificité. La culture du groupe est importante.

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Comme j'arrivais avec une culture pluridisciplinaire, psychanalyste en cabinet libéral et par ailleurs, formée à de nombreux métiers , cette diversité d'expériences de terrain a développé ma culture d'entreprise, ma subjectivité au travail ; ce pragmatisme était un atout pour aborder les problèmes d'équipe. - Le leader démocratique a une place prépondérante. Il peut avoir une conduite d’accommodation (Piaget) (s’ajuster aux besoins de la diversité du groupe) ou au contraire par peur ou par sentiment de toute-puissance tenter de faire entrer les participants dans ses vues par son style autoritaire ou manipulateur.La mentalité sera plus ou moins induite par le leader. C’est comme un chef d’orchestre qui facilitera ou pas la formation d'une réelle notion d’équipe. - On mesure la qualité d’un groupe, dans la valeur de ses interactions (quel climat, quelle mentalité va-t-il réussir à créer ?) => Améliorer les performances sur le plan de la structure c’est travailler sur la circulation de la communication entre tous => travailler sur les attitudes mutuelles afin de créer un bon climat social. - Rendre les gens moins dépendants permet au groupe de devenir son propre agent de formation, une force de propositions, d'initiatives, après bien des délibérations, dans un espace conçu de façon formelle et informelle pour partager les règles du métier. - Anzieu dit que la dynamique d’un groupe est basée sur la réalisation imaginaire d’un désir. Le sentiment d’appartenance ne suffit pas. Il faut partager les fantasmes, les angoisses, les émois.

Différence entre coopération et coordination. La coopération est le travail d'un collectif, sur un projet commun, discuté, problématisé, conflictualisé pour réussir à se mettre d'accord, après avoir donner son opinion selon ses compétences.Pour coopérer il faut parfois un leader, un chef qui doit nous tirer vers le haut (vers l’idéal du moi), il doit nous faire rêver, et poser l’interdit de l’impossible. Un collectif responsabilisé peut aussi se diriger et tendre vers les meilleurs objectifs attendus. Christophe Dejours, chercheur en Sciences du travail nous dira : « Consentir à coopérer suppose, pour une part au moins, de brider son intelligence et sa propre subjectivité. De nombreux conflits surgissent à l'intérieur des collectifs de travail qui montrent que ce renoncement n'est pas toujours facilement consenti par tous. Certains refusent ces limitations qui occasionnent une souffrance intolérable à leur désir de se mettre à l'épreuve sans autre entrave que ses propres limites à soi. L'individualisme triomphe alors au risque de ruiner le collectif et la coopération. » La coordination s'applique à faire respecter les directives de l'encadrement et des gestionnaires, s'en se soucier du réel du travail. Le travail proprement dit est l'écart entre ce qui est prescrit et ce qui est effectif. La coordination c'est le prescrit, sans tenir compte des aléas, car le travail ordinaire est grevé d'évènements inattendus, de pannes, d'incidents, d'anomalies provenant aussi bien de la matière, des outils et des machines, que des autres travailleurs, des collègues, des chefs, des subordonnés, de l'équipe, de la hiérarchie, des clients. (Christophe Dejours). Nous ne faisons pas qu'exécuter, il faut aussi gérer ce décalage qui ne se chiffre pas, ne se voit pas toujours et pourtant est une donnée essentielle dans notre timing et notre rapport social aux collègues ainsi qu'à nous-même. Coordonner ne suffit donc pas. Face à un responsable trop « gestionnaire » , l'équipe doit

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réagir, contester, dire non. Pour ne pas tomber dans la servitude volontaire, donc dans un problème de souffrance éthique puisque nous acceptons de faire des actes que nous réprouvons moralement.

Deux outils pour mieux animer, conduire, gérer une équipe : - Une personne ressource en dehors du groupe pourra servir de miroir et de lieu de questionnement par la parole, si le coaching est mis en place ou si des collaborateurs peuvent échanger en transversal. - L'écoute est aussi un outil précieux, qui permet à la parole de devenir un acte de parole, c'est à dire une parole pleine, conséquente, qui tient alors lieu de promesse, d'engagement, de vérité posée. En fait, toute parole active avec quelqu'un qui sait écouter, permet de s'entendre autrement, de voir sa parole restituée par une série de questionnements ( les 5 pourquoi ?), de façon à pouvoir "se soulager" et comprendre avec distance et bienveillance ce qui se joue véritablement au sein de la relation. Responsabilité du dirigeant. Puisque l’équipe est dépendante de l’image du chef/de son responsable, il est indispensable que celui-ci se forme et l'exige, on ne s'improvise pas manager, c'est un métier difficile auquel nous devons être formés. Dans le contexte actuel de l'impératif du tous pareils, la proximité tous azimuts (copinage, tutoiements, déni de différences), compliquent davantage la direction d'une équipe. Quelques remarques pour manager avec humilité et efficacité : - Oser dire qu’on ne peut pas, « le savoir troué » « je ne sais pas » « c’est le terrain qui sait » ; le droit à l’erreur qui montre à chacun sa capacité à apporter une réponse à une question. « Qu’as-tu à m’apprendre sur ce sujet ?» devrait être la posture du leader envers chaque membre de l’équipe. - Essayer de comprendre pourquoi ça a marché (ou pas marché), travailler sur ce qui va ; sur les manques, les réussites. Délibérer régulièrement sur ce qui résiste à la maîtrise, car il n'y a pas de travail sans souffrance pas seulement physique, mais aussi affective (pas content, pas fier, pas satisfait car c'est trop long, pas assez soigné, pas utile, inatteignable etc.)

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- La rétribution devrait être à la hauteur de la contribution pour que le sentiment d'utilité, de beauté du travail bien fait, réconforte et renforce le sentiment de reconnaissance. Une dimension symbolique aussi importante voir plus que celle de la rémunération, contrairement à ce que l'on croit. Un chef bienveillant, dans l'écoute, la reconnaissance de l'effort, le respect qui saura aussi donner aussi des limites, recentrer les problèmes aura bien des satisfactions dans sa tâche qu'il rendra par conséquent plus humaine.

Ce n'est pas parce que le chef se trompe et n'a pas toujours raison que nous devons lui faire perdre la face ! L’équipe doit pouvoir argumenter et avoir le courage de faire remonter les problèmes mal vécus afin que la notion de responsabilisation devienne un réflexe, personne n'est parfait ! Ainsi l'équipe devient elle aussi responsable de la façon dont le chef se comporte. Concernant les risques psycho-sociaux, tel le burn out, nous constatons que c'est souvent le salarié qui a un surmoi cruel, trop d'exigence vis à vis de lui-même et du travail, trop consciencieux qui souffre le plus des dysfonctionnements liés à un management à la menace, au stress, à la concurrence entre chacun. Nous parlons de centralité du travail, qui ne s'arrête pas à la sortie du bureau ou de l'atelier, mais qui s'emporte avec soi jusque dans ses rêves et ses nuits perturbées. Quels sont les attitudes négatives d'un chef ou de sa hiérarchie vers son équipe ? - Manque de reconnaissance professionnelle et personnelle : - Il est souhaitable de ne pas amalgamer ce que la personne dit à ce qu’elle est, produire un discours n'est pas être la personne, juste l'effet de ce que l'on dit. - Ne pas prendre les gens en considération, aucune empathie, voire ne pas aimer est toxique pour le commandement. Chacun a besoin de reconnaissance, de se sentir utile et non pas humilié, ni méprisé.

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Comment faire quand on a un chef pervers ? Certains membres de l’équipe deviennent-ils pervers ? (en jouant les petits soldats), d’autres vont avoir peur et vont devenir serviles. D’autres vont vouloir se rebeller et vont subir les assauts et devront lutter. Qu'est-ce-que le fonctionnement pervers ? Chacun d'entre nous est capable de comportements pervers, c'est inhérent à notre manière de vivre. Cependant, en termes de structure, de construction psychique, la théorie psychanalytique parle de trois types de structure qui vont nous constituer et seront immuables. Nous distinguerons la structure névrotique, psychotique et perverse. Chacune des structures à des conséquences sur le style de management que nous adoptons, comme sur notre mode de vie. Une personne de structure perverse va nous dévitaliser, se nourrir de notre angoisse, l'exploiter, nous mettre sous emprise pour mieux nous dominer (jouir de nous en fait au sens sadique, destructeur). Le pervers de structure va vouloir déjouer la loi, il sera dans le déni, le défi et le délit comme mode de jouir, d'aimer, de désirer. Le pervers peut réussir ainsi à amener certains membres de l’équipe dans une dynamique relationnelle perverse où chacun persécutera autrui, ou se laissera persécuter, agissant ainsi en miroir.

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Lors d’un changement de chef, que faire ? Pour l’équipe qui reste en place, il s'agira d'une séparation qui entraînera par conséquent tout un travail de deuil.Ce peut être alors l'occasion de faire "le ménage... de vider son sac", avec soulagement ou d'entrer en nostalgie, regrettant la personnalité du dirigeant absent. Celui qui lui succédera, aura intérêt à connaître l'histoire du service, en faisant des entretiens individuels pour mieux faire connaissance, un par un, de sa nouvelle équipe, puis tenir une réunion générale de mise au point sur les nouveaux changements à apporter. En discuter afin de convaincre ou pas son audience. Analyser les résistances aux changements, revoir et comprendre la dynamique de groupe, ne pas imposer son style mais l'expliciter et l' argumenter. Que doit-on faire quand on revient dans un groupe après une formation ? Il est vivement conseillé de faire une réunion et de dire aux gens ce que la formation vous a apporté. Par un travail de synthèse, dire ce que je ne veux plus faire et ce que j’ai envie de faire avec modestie. Pour re-dynamiser aussi les collaborateurs, les emmener dans le mouvement. Ce travail d'information et de transmission est nécessaire. Toujours s’expliquer et parler vrai. D'où l'importance d’organiser ces moments par le cadre afin que chacun se sentent reconnu comme un membre actif et mobilisateur d’une amélioration du service. De même revenir en tant que cadre (ou avec une promotion) dans un même service , cela nous met souvent dans une situation très difficile, jalousie des collègues, complicité du vécu précédent. Donc dans ce cas, éviter de revenir dans le même état d'esprit qu'avant, le changement de statut provoque un changement de posture, nécessairement. Comme pour un nouveau cadre qui prend la direction du groupe, prendre les mêmes précautions, convoquer les collègues un à un, vaincre les résistances, poser ses objectifs, s’expliquer, parler vrai, afin de trouver une nouvelle coopération. Le cadre « noyé » de directives, d’informations doit-il être le relais auprès des équipes ? - L’organisation actuelle ne le permet pas facilement. La servitude volontaire s'installe : Certains répondent à ces demandes non réalisables ; Warning…. Burn out et harcèlement.

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Pour chaque membre des équipes, les pressions deviennent insupportables,les conflits de loyautés internes avec les injonctions paradoxales que chacun se met en tête laminent ses résistances psychiques, et l’entrainent en burn out. Sans compter les pressions que chacun subit de la hiérarchie, du fait des contraintes actuelles et de la déshumanisation de la santé, réduite à une succession d’actes, ce qui fait vivre ces tensions comme des processus de harcèlement. Annexe Réflexions directes des participants en début de la soirée. Les aspects positifs du travail de groupe décrits par les participants : - Entraide, complicité, multidisciplinarité, - soutien des collègues, pas de solitude, - Intérêt de la complémentarité, - Projet commun et respect de chacun, - valorisation de la progression, - Aider l’autre à advenir - Responsabilisation, - Respect des différences, - Synergie dans l’action d’un autre, vision d’une situation - plaisir d’échanger, pour s’enrichir mutuellement, et évacuer ce qui ne va pas, - Echanges autour de valeurs professionnelles, - Oser dire ses désaccords sur les prises en soin sans passer par la colère et les courriels restés sans réponse, - Cohésion, dynamique d’équipe, transmission - Richesse d’idées, + de forces

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Les aspects négatifs du travail de groupe : - Rivalité, pouvoir, - Individualité, - Manque de communication, conflits, - Manque d’échanges et de partage, - Susceptibilité de chacun, - Réalité et enjeux de pouvoir, compétition, - Dépasser les individualismes, - Travail effectué plus lentement, (plus l’équipe est grande et plus on travaille lentement) - Frein, trop de consensus, décisions en demi-teintes, - Vouloir faire évoluer certaines pratiques anciennes appuyées par les règles de bonne pratique sans blesser et laisser à son collègue le sentiment d’être jugé dans sa pratique par une jeune diplômée - Absence de reconnaissance, parfois perte de l’individualisation, - L’équipe est plus dans la critique que la positivité. - La non reconnaissance du cadre de santé par sa hiérarchie et l’équipe soignante pouvant aller jusqu’au manque de respect - Quelle est la vraie posture et la vraie légitimité de chacun dans une équipe ? - Fragilité de l’équipe due à une surcharge de travail, - Manque de gratification - Manque d’entraide entre collègues

À noter que la place du patient n’a pas été soulignée lors de ces commentaires apportés par les participants. Compte rendu réalisé par: Frédérique Bajus, chargée de mission Dr Alain DE BROCA, médecin des Hôpitaux, responsable de l'espace de Réflexion Ethique Régional de Picardie (ERERPic) revu par Chantal Cazzadori, psychanalyste Amiens.

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

La psychanalyse hors-divan Date : 6 mars 2014 Cliquez sur l'image pour lire le texte.

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La dette, l'échange et le sacrifice - Jacques Sedat Date : 10 avril 2014

Che vuoi - revue de psychanalyse - l'argent - n° 24 J'ai construit cette note de lecture, à partir de ce remarquable travail de réflexion analytique de Jacques Sédat, sur la question de la dette symbolique après deux moments différents d'évocation sur ce sujet, par le théâtre et par une conférence.*

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Le Don ? de Marcel Mauss, dans son essai : - le don entraîne obligation, l'obligation de rendre des présents. Il est à la fois cadeau et poison. en grec pharmakon (poison et remède). Le don comme remède est fondamentalement ambivalent. Dans les sociétés endogamiques, Mauss dit qu'il n ' y a de la culture, de fait humain que parce qu'il y a échange. L'échange volontaire et les dons sont faits pour obliger l'autre à donner, et à rendre. Triple obligation chez les humains (différence avec les animaux) : donner, recevoir, rendre.

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Dans son livre Patrick Declerck, met en lumière ceux qui refusent le don, les naufragés volontaires, les exilés, se sont mis définitivement hors de toute communauté, à côté de la société. Ils préfèrent rester seuls dans la rue avec leur chien, plutôt que de demander quelque chose à la société. Ca pose une question radicale : par rapport à une économie gestionnaire, une économie distributive. Comment une allocation universelle de citoyenneté pourrait-elle régler la question du rapport du sujet au social ? Les SDF en sont un phénomène révélateur. Declerck montre bien que l'économique, l'argent seul ne règle pas la question du vivre ensemble. Les naufragés sont dans le refus de recevoir. "Je ne veux rien de la société, je ne lui dois rien". Dans certaines sociétés indiennes d'Amérique, décrites par M. Mauss, (le potlatch), il s'agit ni de donner, ni de rendre, mais de détruire ses richesses propres de façon ostentatoire. Est victorieuse la tribu qui détruit le plus. Le fait humain se définit par des échanges de trois sortes : des échanges de paroles (sphère du politique), échanges de biens (sphère économique) et échanges de femmes (sphère privée, famille. Mauss signale qu'il n'existe pas de société qui n'ait à réguler la violence, la violence interne de l'homme et la violence entre les hommes. Autrement dit la société humaine est là pour nous obliger à perdre. A perdre des paroles, c'est notre violence originaire, à perdre des femmes, à renoncer à l'inceste, à perdre des biens, à échanger et à partager.

L'essai de Georges Bataille, "La part maudite", montre que toute société est fondée non pas sur la consommation mais sur la "consumation". Ainsi, il n'y a pas de société qui puisse s'autoréguler par l'économique, par la gestion de l'argent. G. Bataille prétend que le politique n'a pas pour but de répartir les richesses mais de gérer la violence interne à l'homme et à la vie entre les hommes. Au coeur de l'argent il y a autre chose que l'économie en tant que justice distributive et en tant que répartition des richesses. Il y a dans l'intime une forme de violence qui est un appel au politique. On ne peut plus dire aujourd'hui comme Victor Hugo : "ouvrir une école, c'est fermer une prison", ou comme Auguste Comte : " Il faut substituer au gouvernement des hommes l'administration des choses." Le projet scientiste de politique positive avait pour visée l'abolition

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de la sphère politique : comme si la violence interne à l'homme et à la relation de l'homme à l'homme pouvait être éradiquée par la gestion des choses, c'est-à-dire par l'économie. La critique la plus radicale du marxisme porte sur son "économisme". Il vise lui aussi à abolir la sphère du politique conçu comme une superstructure, il croit à l'autorégulation de la société par l'économie.

Quels peuvent être le sens du don et la finalité de la dette ? En allemand le terme qui désigne la dette est lui aussi ambivalent, Schuld signifie à la fois la dette et la faute. Quoi qu'il en soit de ses fautes, l'humain est en dette à l'égard de l'origine. Autrement dit, pour tout humain, il y a une dette inaugurale, une dette fondamentale, une dette de vie, et cette dette se règle souvent par des sacrifices, parce que c'est une dette impayable et qu'on voudrait tenter de la payer au prix fort. Quelques postions psychiques face à cette dette impayable :

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Rappel du texte de Freud consacré à Dostoïevski "Le joueur" et la mise à mort du père, et sur le récit de Stefan Zweig, "24 heures dans la vie d'une femme". Que vise le joueur ? Il ne vise pas à gagner, il cherche à perdre. Il cherche même à se ruiner parce que dans le jeu, il est à la recherche d'un point d'arrêt qui fasse limite par rapport à l'impossibilité d'acquitter, sur le plan symbolique, cette dette de vie. Le joueur se situe donc dans une position sacrificielle : chercher sa propre ruine, faute de pouvoir gérer la dette. Mais la perte de richesse n'est qu'une forme illusoire de payer sa dette (suicides ostensibles à la sortie des casinos des enfants gâtés des bonnes familles de la Belle Epoque). Une seconde forme de joueurs est apparue aujourd'hui : ceux qui mettent en jeu leur vie dans des situations extrêmes et dans le risque où le corps est mis à mal. David Le Breton sociologue et Gérard Szwec psychanalyste l'éclairent dans leurs travaux dans une mise en jeu du corps dans une situation limite, de façon quasi sacrificielle, pour avoir enfin le sentiment d'exister. On existe que si le corps est mis à mal. Il s'agit dans ces conditions d'exister pour personne, mais seulement pour soi. C'est pour cela qu'il faut des marques du corps, afin de vérifier que je suis vraiment existant. Troisième figure de position sacrificielle face à la dette : Colonel Lawrence dans la Matrice. Il devient un simple soldat, car il renonce à sa position de colonel, il veut entrer dans l'anonymat d'un matricule. Récit de Raymond Queneau. Que vise t-il ? "Nous commençons a être une unité, non plus de individus.. le besoin d'un maître criait très fort en nous.. Nous étions dociles au caporal Abner. J'ai voulou m'assurer que tout exercice, toute exhibition délibérée du corps est une prostitution; nos formes créées ne sont que des accidents, jusqu'à ce que, par le plaisir ou la peine que nous y prenons, elles deviennent notre faute." Cet appel à une désubjectivation radicale, cette horreur de l'individuation, cette volonté de se fondre, dans l'anonymat d'un groupe pour y retrouver force et puissance, c'est sur quoi Freud porte notre attention.

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Le Grand Autre chez Freud : Il parle de cet autre inoubliable que nul n'arrivera plus tard à égaler, figure de la mère toutepuissante dont nous sommes totalement dépendants. Dans son texte ultime, analyse finie, analyse infinie, il marque encore sa défiance à l'égard de l'analyste, dans la mesure où il pourrait prendre la figure d'un maître ou d'un modèle. Dans l'homme Moïse enfin, voici comment il décrit le grand homme : " Nous savons qu'il existe dans la masse humaine le fort besoin d'une autorité que l'on puisse admirer, devant laquelle on s'incline, par laquelle on est dominé, et même éventuellement maltraité. La psychologie de l'individu nous a appris d'où vient ce besoin de la masse. C'est la nostalgie du père." plûtot une aspiration à ne faire qu'un avec l'autre, pour éviter d'être soi, pour éviter d'être seul, pour éviter d'être sujet.( meilleure traduction que nostalgie). Lacan revient sur cette position sacrificielle : en réfléchissant sur l'holocauste et le nazisme. 1964, son séminaire, il écrit : "Je tiens qu'aucun sens de l'histoire fondée sur des prémisses hégéliano-marxistes n'est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s'avère que l'offrande à des dieux obscurs d'un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber dans une monstrueuse capture." Cette offrande est en même temps un message resté sans réponse, ce qui conduit le sujet à une position sacrificielle par rapport à la dette de vie impayée.

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Definir le sens du masochisme : dans le masochisme, je veux éviter d'être aimé comme un objet extérieur. "Je veux être traité comme un petit enfant en détresse (ou plutôt en absence d'appui) et dépendant." dira Freud. Retrouver un lien pour faire deux, faire un avec deux, afin d'éviter l'aléatoire de toute relation et d'entrer ainsi dans le temps et la temporalité. Dans la culture nous sommes donc confrontés à une double logique, celle d'implication totale, de retrouver l'autre, que cet autre soi le groupe, la foule, un parti ou une idéologie, où je peux me mettre à l'abri de moi-même. Et d'autre part, une logique d'imputaiton, de mise en cause radicale de l'autre, comme causation absolue de mon malheur, sans que j'y sois pour quelque chose. C'est la plainte du mélancolique qu'évoque Freud, mélancolisaton du lien à l'autre qu'on a incorporé. Y a-t-il encore une solution à la dette ? La psychanalyse n'est pas un système de représentations lié à des matrices religieuses ou culturelles, même si parfois, à lire certaines écritures, elle semble devenue la caisse de résonance de positions, idéologiques ou religieuses ou une courroie de transmission de certains idéaux. C'est pourquoi, par rapport à l'intime, je qualifierai la psychanalyse d'espace extraterritorial d'énonciation. L'espace analytique, celui de la séance, n'est pas un lieu où l'on reçoit des énoncés, mais c'est un lieu où l'on peut énoncer dans le privé sa propre construction de sujet et où cette construction peut venir au jour. Pour le dire autrement, dans le transfert pouvoir rencontrer une "tierce personne" le témoin de l'histoire racontée. Afin qu'il puisse le mettre à la place de l'analyste, lui faire endosser cette place, d'où lui, ce patient puisse se faire entendre. L'analysant paie pour que l'analyste supporte ses transferts, et l'analyste se fait payer pour n'être pas lui-même, ni le docteur psy, ni le psychanalyste mais une autre personne dans le transfert. (Ne pas prendre à la lettre la place que l'on nous fait endosser pour raconter son histoire ..) Freud aura mis 20 ans pour réussir à endosser cette place. La règle fondamentale d'association libre ne suffit pas à elle seule. Il manque une certaine position de l'analyste pour permettre que la règle fondamentale (laisser surgir les pensées qui viennent), soit efficiente.

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Comment l'analyste va procéder ?" Il faudra que suivant les besoins du patient, se déplacer, osciller d'une position psychique à une autre, éviter toute spéculation, toute rumination mentale." écrit Freud dans les conseils au médecin. Osciller est une position psychique qui s'oppose à celle qui était la sienne auparavant, soit une position "intellectuelle de pensée", où l'analyste est là, in propria persona, avec son propre système de pensée. Dans l'analyse la parole a de ce fait une dimension performative, c'est un acte puisqu'elle assigne à l'autre une position psychique. C'est la parole qui a cette possibilité, comme toutes les paroles qui nous ont marqués dans notre enfance, d'assigner à l'autre à une place psychique d'où l'analysant peut être entendu. L'analyste est mis par la parole de l'analysant dans une position psychique et non plus dans une position intellectuelle de savoir, le transfert

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n'est plus un transfert sur l'objet-analyste, mais un déplacement de représentations. Les représentations passées de l'analysant se transfèrent sur l'analyste qui n'en est que le support. Il faut que l'analyste soit cet "homme sans qualités", qui n'est là que pour représenter les absents de l'histoire du sujet. Ce que vise l'analysant dans la névrose de transfert, c'est à tenter en même temps (et là, on retrouve la question de la dette, de la culpabilité et du masochisme) de ne faire qu'un avec le médecin.C'est évidemment la solution de se confondre avec lui, le masochiste qui consiste à préférer le lien, le lien secret et discret à la relation. Pour que Freud découvre cela, il a fallu qu'il analyse sa fille Anna et qu'il écrive en 1919, Un enfant est battu. C'est à partir des fantasmes de fustigation qu'il a pu penser ce que vise le masochiste : être un enfant dépendant ne vivant qu'à l'appui de l'Autre.

Dans le chapitre : Malaise dans la culture il définit le sentiment inconscient de culpabilité, cette dette impayable à l'égard de ceux qui vous ont donné la vie, comme le fait de ne pas oser se séparer, c'est-à-dire de maintenir un "moi en indivision avec l'objet externe". Sortir de l'indivision constitue la seule issue anthropologique à la dette. C'est ce qui permet de produire de l'intime et du sujet, un sujet distinct du groupe. Ce qui permet d'entrer dans l'échange de façon nouvelle en pouvant enfin compter avec soi, donc avec l' Autre. Chantal Cazzadori Psychanalyste

*"Ce qui a motivé mon désir d'écriture sur le sujet de la Dette réelle et Symbolique ? - L'intéressante pièce réalisée par Marc Toupence, d'après le roman incantatoire de Torgny Lindgren, adaptée pour la première fois au théâtre par la compagnie du théâtre du Pilier de Belfort :

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- L'écoute d'un exposé original et bienvenu, sur l'argent et la psychanalyse (le paiement des séances), présente par Catherine Delarue, psychanalyste à Paris, membre de l'association Analyse Freudienne, en mars 2014. " Accéder au site de l'association.

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

La mise à Mort du Travail-La Destruction Date : 10 avril 2014

La section LE CROTOY-RUE de la Ligue des droits de l’Homme organise une projection débat du film-documentaire « La mise à Mort du Travail-La Destruction » (68 min.) Le mercredi 2 avril 2014 à 19h30 au cinéma Le Pax de Quend Tarif unique : 5€

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La projection sera suivie d’un débat animé par : Chantal Cazzadori, psychanalyste, formatrice et consultante dans les entreprises, auteur de "L'effroi du néo-management. Trois expériences impossibles aujourd'hui ?" Josiane Annerel, responsable formation et recrutement d'un site industriel de 500 salariés durant 25 ans, et enseignante à l'UPJV en ressources humaines synopsis : Dans un monde où l'économie n'est plus au service de l'homme mais l'homme au service de l'économie, les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu'au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n'ont atteint un tel niveau. Des histoires d'hommes et de femmes chez les psychologues ou les médecins du travail, à l'Inspection du Travail ou au conseil des prud'hommes qui nous révèlent combien il est urgent de repenser l'organisation du travail

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Jean Robert Viallet, aujourd'hui auteur réalisateur, se passionnait à 20 ans déjà pour le documentaire de Chris Maker, "Sans Soleil", il sait alors ce qu'il veut faire. Il démarre, 10 ans après, son premier long métrage de fiction, "Dancer in the Dark" de Lars Von Trier. En 2006, il se lance dans son premier documentaire et les prix tombent. A 40 ans, il achève une mini-série "la mise à mort du travail", documentaire en trois volets contre le "prêt à penser" pour lequel il décroche en 2010, le prix de l'audio-visuel Albert Londres, une récompense amplement méritée. D'autres distinctions l'ont honoré : Etoile de la Scam en 2O10 et prix spécial public à Poitiers , Festival "Filmer le travail". Cette oeuvre rend intelligible le monde de l'entreprise ramenée à sa logique économique qui pulvérise les liens sociaux et humains, en nous démontrant comment ses logiques de rentabilité peuvent tuer le travail lui-même, d'où son titre : "la mise à mort du travail". On y découvre de façon didactique les dessous d'un capitalisme financier qui détruit le capitalisme industriel d'une manière cynique et sans bornes. Invitées par la Présidente Sandra Bordji et son équipe, de la section "La ligue des Droits de l'homme" le Crotoy - Rue, Josiane Annerel -responsable de formation et recrutement d'un site industriel de 500 salariés- et moi-même, avons animé le débat qui suivit la projection du film. http://site.ldh-france.org/le-crotoy-rue/

Durant deux heures d'échanges bien fructueux, nous avons réfléchi sur les dysfonctionnements des modes managériaux qui précisément désorganisent le travail pour le rendre pathogène. Je relèverai ici de mémoire, quelques points forts qui ont fait débat public, auxquels j'ajouterai des notions issues des Sciences Sociales, de la clinique du travail et de sa psychodynamique. Ce documentaire est réalisé en 2009, en trois épisodes : La Dépossession - L'AliénationLa Destruction. Nous avons choisi le troisième volet : La Destruction , pour penser et repenser l'organisation du travail. Les témoins du film, disent à

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leur insu, les conséquences sur leur corps des méthodes de management qui les poussent jusqu'au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n'ont atteint un tel niveau. En France les accidents du travail touchent près d'un million de personnes par an, un quart des hommes et un tiers des femmes souffrent de détresses psychiques qui sont liées à leur travail. La Santé est devenue un problème grave et ruineux. Chaque pays de l'Union y consacre 3 à 4% de son PIB. C'est en suivant le quotidien des consultations de Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, pionnière dans la lutte contre la maltraitance au travail puisqu'elle a ouvert la première consultation hospitalière en 1997, intitulée "souffrance et travail", de l'hôpital de Nanterre, que nous nous interrogerons sur les pratiques de management qui abîment les salariés à force de dégrader leur travail. Aujourd'hui il existe 35 centres de cette nature et un site richement et gratuitement documenté, créé et tenu par Marie Pezé, pour continuer autrement et efficacement la lutte contre ces pratiques délétères sur la santé.

"Ne restez pas seul" est l'injonction donnée sur ce site internet, qui analyse l'actualité du travail et propose des guides pratiques pour les professionnels concernés par ce sujet et ils sont nombreux. Une alerte nous est donnée sur l'aggravation des pathologies psychiques dans son livre, paru en avril 2011, " Travailler à armes égales", coécrit avec Nicolas Sandret, médecininspecteur du travail et Rachel Saada, avocate. Cet ouvrage nous livre des réponses sur la base des outils développés par le réseau de prise en charge de la souffrance au travail. Ainsi, les auteurs mettent à disposition des salariés qui veulent s'en sortir, des outils pour affronter le fléau. http://www.souffrance-et-travail.com/

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Comment en sommes-nous arrivés là? Un petit retour en arrière s'avère utile pour reprendre le cours de l'histoire avec ses modèles managériaux qui marquent les enjeux de la Société via le travail. Frederick Winslow Taylor (1856-1915), tourneur puis ingénieur américain, formalisera sa méthode dans un livre intitulé "The principles of Scientific Management" en 1911, méthode appelée aussi l'OST (Organisation Scientifique du Travai). Cette méthode repose sur une division du travail en tâches simples et répétitives individuellement optimisées et sur le paiement des ouvriers au rendement, mesuré au nombre de pièces et avec l'aide du chronométrage. Taylor rencontrera une grande efficacité dans la sidérurgie.Il convient toutefois de préciser que Taylor a permis aux ateliers d'être organisés pour une moindre fatigue de l'OS (l'ouvrier spécialisé), la juste journée de travail. Il rêvait de réconcilier l'ouvrier et le patron, de résoudre la conflictualité irréductible entre eux. "Les corps devaient être utiles, soumis, et productifs, assujettis à la machine et commandés par un pouvoir disciplinaire", comme nous le formule Michel Foucault dans "Surveiller et Punir". Le crédo qui sous-tendait l'exploitation de la force de travail par des modes et des techniques de production établies rigoureusement (l'OST) était : "Travaille et tais- toi", Paul Ariès politologue.

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Henri Ford, 1863-1947, donnera son nom à sa méthode, le Fordisme qui est un mode de développement de l'entreprise, ou d'organisation du travail, qu'il a inventé, largement inspiré de l'OST. Le fordisme n'est qu'une composante du taylorisme et ne doit pas être confondu avec lui. Ford fut le premier à mettre en oeuvre le travail à la chaîne et nous en avons une belle démonstration dans le film "les temps modernes " de Charlie Chaplin. La standardisation des produits pour faire de la grande série, en parcellisant le travail sera rendue nécessaire par la perte d'intérêt des ouvriers face aux tâches répétitives, avec des gains de productivité conséquents. Ford augmentera les salaires de ses ouvriers également pour les tenter d'acheter donc de consommer, (et sa Ford si possible). Il ouvre ainsi la voie à la consommation de masse et essaie de faire face à la concurrence des pays asiatiques.Quand on reprend le séquencement du travail autour des années 1920/1950, il n'y avait aucun rapport entre l'acte de fabriquer de l'opérateur et l'objet fabriqué. Le travail éclaté, émietté, parcellaire, était le résultat du travail à la chaîne, abrutissant et inintéressant.

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La perte de qualification du travail ouvrier était la contre partie de l'augmentation du salaire et des gains de productivité. La seconde guerre mondiale constitue pourtant un moment essentiel dans l'évolution vers le paradigme fordisme. Les techniques fordistes appliquées aux Etats Unis comme solution à la crise économique de 1929, ne sont effectivement inscrites dans l'aprèsguerre en Europe qu'à travers notamment le plan Marshall, dans un contexte d'explosion de la consommation et de boom démographique. Ces techniques ont mis au point un meilleur contrôle par la direction du travail sur les corps humains devenus objets de pouvoir. « Des corps à redresser pour les adapter à une norme qui est fixée », Michel Foucault. Le nouveau crédo sera alors : "travail, tais-toi et consomme !", Paul Ariès politologue. Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et la production massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement comme une puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. Nous pouvons dire que la première révolution du travail est née avec le Taylorisme-Fordisme.

Taïichi Ohno, ingénieur chez Toyota, ouvrira la voie au Toyotisme. Cette organisation

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d'origine japonaise s'impose comme l'amélioration du taylorisme et du fordisme. Appliquée au Japon dans l'usine Toyota, elle se définit selon quelques grands principes. - Le principe du juste-à-temps ou flux tendu, l'auto-activation de la production en rendant les machines plus efficaces et les travailleurs plus qualifiés donc polyvalents. - Le principe des 5 zéros (panne, défaut, papier, délai, stock). Hervé Syriex sortira "le Zéro Mépris" qui fit date en 1989. - L' automatisation. La machine est capable de s'arrêter dès qu'elle rencontre un problème, les ouvriers n'ont donc pas à surveiller constamment cette machine et peuvent travailler sur plusieurs machines.

Le Toyotisme, annonce la deuxième révolution managériale. Il permet aussi une plus grande implication des salariés, une possibilité de progresser,une qualification par la formation continue et l'actionnariat. Le savoir faire, l'intelligence, la créativité sont attendus et demandés à tous. Le nouveau crédo sera : travaille, consomme, apporte tes idées, investis toi dans cette nouvelle aventure pourrait-on dire. Bien des cadres supérieurs et des syndicats iront faire des stages au Japon et aux USA, pour importer ces méthodes en les réajustant à notre culture.

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Mai 1968 - un tournant vis à vis de l'Autorité, sa contestation. Ce fût la plus grande grève du siècle, tout s'arrêta durant trois semaines. Les étudiants lançaient en slogan, la phrase de Jean Yanne qui devint rapidement emblématique écrite sur les murs ou scandée : "il est interdit d'interdire". D'autres slogans ont fleuri comme : "CRS=SS", "sous les pavés la plage", et "Jouissons sans entrave", pendant que les salariés revendiquaient de meilleures conditions de travail. L'avenir des entreprise est menacé. Cette remise en cause qui commence en 1968, va ouvrir l'aire de l'individuation du travail. Vous voulez votre liberté ? Vous l'aurez...

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1973, une nouvelle stratégie se met en place, l'atomisation de la sociéte soit l'individualisme qui sera poussé à l'extrême dans les années 2000.On ne pense plus en terme de société ou de collectif, mais seulement à soi, à sa petite personne. Dans la pratique de nouvelles mesures seront difficiles à contrer par les syndicats comme les horaires variables, la polyvalence, la négociation dans des entretiens individuels,motivationnels, pour négocier ses objectifs réalisables.On va passer à l'exploitation de ce qui restait à toucher : la psychée, car il s'agira maintenant de mobiliser la force psychique ! Aller chercher la ressource humaine, l'exploiter à son tour. Du vécu du travail on passera à la subjectivité du travail. Un nouveau métier est apparu : directeur des ressources humaines, DRH. Même si elle devient une ressource elle est à la traîne de la réthorique managériale qui change sa sémantique pour honorer la novlangue. "Il s'agit de diminuer le nombre de mots, et plus on fusionne les mots entre eux, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir en éliminant les finesses du langage. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et manipulables par des instruments de propagande massif tels que la télévision", référence : site Wikipédia.

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Ici la novlangue va servir les discours managériaux pour défendre l'idéologie du discours capitaliste. Dans un contexte de mondialisation, de guerre économique face aux nouveaux marchés, le client devient Roi, ciblé par les théories du marketing et de la publicité, via la novlangue, facilitée par les nouvelles technologies qui se développent. En 1980, la troisième révolution managériale est en marche. Le management affectif, psychologique, "la totalisation de la personne" comme le précise Paul Ariès, politologue. La psychée est investie de pouvoir et de domination, elle devient force utile si elle est à la fois énergie productive et énergie assujettie, nous le fera remarquer Vincent De Gaujelac, professeur de sociologie à Paris VII, fidèle à la pensée foucaldienne, qui est une critique des normes. C'est la réhabilitation de l'entreprise, son réenchantement. La psychée est colonisée par les idéaux du discours de l'entreprise qui reste le dernier territoire à exploiter. On veut métamorphoser les salariés, les temps changent, il faut oublier le passé. Ce changement identitaire va permettre d'obtenir des hommes et des femmes une meilleure capacité d'adaptation, de réactivité, de produire une éthique dans l'entreprise en signant des chartes de loyauté. Promulgées en 1982, les lois Auroux modifient de manière importante le droit du travail en France. Parmi les principales innovations en matière sociale et d'amélioration des conditions de travail je relèverai la création d'un droit d'expression des salariés sur leurs conditions de travail. Plus tard, le patronnat a trouvé une astuce nous dira Danièle Linhart, en détournant ces lieux d'expression par la mise en place des cercles de qualité.Par la nouvelle organisation du travail, les salariés sont maintenant pris en main, sous leur emprise. Pour aller vers la qualité totale, on réfléchira dans les cercles de qualité, il faudra accompagner le changement, on fera avec des conditions de travail de plus en plus sophistiquées. Au coeur de la logique : réactivité, qualité, autonomie. L'individualisation du travail est bien en marche, la psychée devient un objet de pouvoir efficace. La société s'est transformée lentement mais sûrement, le tertiaire domine à 60% les emplois de l'économie mondiale en 2012. Pour obtenir la métamorphose identitaire des salariés, il faudra jouer insidieusement et de façon manipulatoire avec des notions psychologiques comme l'idéal du moi, le contrat narcissique, l'identification. L'idée du rapport de force, de la domination doit

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être évacuée des esprits.

Comment contraindre le travailleur à être rentable ? Par des méthodes, des stratégies, des modes de management, des techniques pathogènes comme : - l'individualisation, mise en place fin des années 1970, est le socle du management ; il s'est accéléré aujourd'hui, donnant au salarié un sentiment de solitude, tuant le collectif, compliquant la vie syndicale. Avec l'individualisation des salaires et des objectifs, chacun négocie tout seul dans son coin avec son n+1, son responsable. - les entretiens individualisés de performance, un réel piège car les salariés n'ont pas les moyens d'y arriver. Comment tenir l'engagement du toujours plus ? Ils sont exhortés à réussir en se débrouillant. Rendre l'impossible possible en quelque sorte, donc ils tricheront, trouveront des stratégies individuelles et collectives de défense pour tenir le coup. - les évaluations à tout va, les salariés responsables de la qualité et de la quantité de ce qu'ils produisent, ne peuvent plus négocier alors que les équipes sont mal formées et les objectifs inatteignables.Ces modèles provoquent la concurrence, la délation et brisent ainsi la solidarité.

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- la précarité subjective, ce sont les pratiques qui visent à insécuriser le salarié en le soumettant à des changements perpétuels, les restructurations, une réorganisation permanente du travail. La précarisation subjective des salariés est un concept développé par Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au CNRS. Elle nous en parle ainsi : " la précarisation subjective, a pour but de faire donner aux salariés toujours le meilleur d'eux mêmes. Le jeu des réformes et des réorganisations successives aboutit à un désapprentissage permanent et l'obligation constante de faire ses preuves pour démontrer son employabilité. Le changement est devenu une valeur en soi, qui a remplacé celle du progrès." L'entreprise privée et publique a repris le pouvoir pour agir sur le salarié, indépendamment de ce qu'il a dans la tête. Ainsi, elle le conformera, le formatera à être docile, réceptif aux injonctions, adaptable à tout prix. Il s'agira de le contraindre selon les critères de l'employeur. Ce relatif inconfort est voulu, il faut secouer le salarié français encore trop protégé par le code du travail, les CDI, et le statut de fonctionnaire pour beaucoup d'entre eux. Ainsi on attaque les métiers, l'expérience, les règles déontiques de métier définies par les travailleurs. Yves Clot, psychologue du travail au CNAM (Centre National des Arts et Métiers), directeur de recherche sur le travail et le développement, dans son livre : "le travail à coeur" pour en finir avec les risques psychosociaux, nous parle de ce paradoxe intenable car en face des dégâts engendrés, se multiplient dans l'urgence les fausses solutions (séminaire de gestion du stress) qui risquent de virer au "despotisme compassionnel "sans rien résoudre sur le fond.

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Si cela est rendu possible c'est aussi grâce à la crise, la guerre économique, le chômage de masse qui se profile, la peur de devenir SDF, de perdre son travail pour ne plus en trouver. Le malaise dans la civilisation s'exprime par l'explosion des pathologies que l'on abrège aujourd'hui sous les trois lettres : RPS. Une cohorte des Risques Psycho Sociaux , en sont les symptômes les plus visibles, le dessus de l'iceberg. Mais le mal est plus profond, ce magnifique documentaire nous en donne la preuve.Que ce soit chez Carglass (spécialiste de la réparation et du remplacement de parebrise) , ou chez Fenwick (les chariots de manutention), ou bien dans les Intermarchés, les méthodes ne changent pas, elles sont tristement les mêmes avec les mêmes conséquences : la souffrance au travail. Qui construit cette idéologie destructrice du travail ? « Mckinsey » établi en France (http://www.mckinsey.com/), depuis près d'un demi-siècle, conseille les directions générales de grandes entreprises françaises et internationales, ainsi que celles d'institutions publiques et d'organisations à but non lucratif. Le cabinet inscrit l'accompagnement de ses clients dans le long terme. Il les aide à élaborer les orientations stratégiques et à mettre en œuvre les changements qui permettent d'améliorer durablement leurs performances. A travers une centaine de bureaux situés dans 56 pays, McKinsey fonctionne comme une seule et même entreprise à l'échelle mondiale, offrant à ses clients les compétences de 9 000 consultants experts dans une large palette de secteurs et de fonctions. Le développement de ses collaborateurs s'opère en permanence par le compagnonnage au sein des équipes, par d'importants efforts de recherche et de développement, et par la promotion d'une culture de « l'excellence ». Voir leur site - mckinsey.com. Des docteurs en psychologie, en neurophysiologie, en gestion apportent bien sûr leur contribution à cette exploitation de la psychée de plus en plus insidieuse, manipulatrice, vampirique, et cela , mine de rien. Le harcèlement moral, « c'est l'arbre qui cache la forêt » nous dit la clinicienne Marie Pezé. Cette notion est maintenant un délit dans le Code pénal. Au pénal, on est avec une victime et un délinquant, et donc l'organisation du travail ne sera jamais poursuivie. Je n'écris jamais le mot harcèlement dans une expertise : la qualification revient aux juges. Parlons de la description du travail. Là, on tombe sur le premier drame. Le salarié dit : "je suis harcelé" parce qu'il ne sait pas comment parler de son travail. Pour l'aider, il faut revenir en arrière, lui demander d'expliquer avec force détails ce qu'il fait. Si vous saviez à quel point les gens se réaniment dès qu'ils parlent de cet engagement au travail, quand on leur pointe que c'est à

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partir du moment où on a changé la machine, l'organisation du travail, que les choses se sont défaites, qu'il n'y avait pas forcément un harceleur pervers." Le délitement des syndicats pourquoi ? Josiane Annerel a répondu à cette question en précisant la difficulté qui est la leur, puisque d'une part ils ne sont pas formés à l'écoute de la souffrance, ni à prendre les rôles de travailleurs sociaux, des coachs, voire de psychologues, et par ailleurs confrontés eux aussi aux mêmes problèmes qui pourraient bien entendu les fragiliser, dans ce rapport subjectif aux salariés. D'autant qu'il n'est pas sûr que les salariés aient envie de se confier, l'entreprise n'étant pas un lieu de thérapie ni de développement personnel. Les syndicalistes, habitués à la lutte dure et frontale avec les patrons, savent mieux négocier les questions matérielles des conditions de travail. Peut-être aussi ont-ils peur de perdre une partie de leur pouvoir en se risquant sur un terrain plus délicat. Il n'empêche qu'en se coupant de la souffrance subjective des salariés, ils s'éloignent de ce qui est au coeur de ce qui se passe au niveau du conflit d'aujourd'hui, et ils en sont de plus en plus conscients.

"La deuxième difficulté dans laquelle ils se trouvent, c'est qu' ils voient bien qu'il faut apporter son aide, par une réponse et une écoute, au plus près de la souffrance des gens, dans quelque chose qui est dans le personnel donc dans le psychologique. Ces problèmes qui ne sont pourtant pas que médicaux et/ou psychologiques, sont liés à l'organisation du travail, il serait aussi nécessaire de les dé-psychologiser car ils sont liés étroitement à la politique de l'entreprise. Les syndicalistes sont donc, dans une espèce de contradiction d'avoir à apporter une réponse vécue comme étant centrée sur la personne par rapport à un problème dont il faut absolument remonter aux causes qui sont selon nos hypothèses liées à l'économique, aux modes d'organisation et aux outils de gestion. "Il y a une vraie difficulté là, qui est par exemple comment apporter une réponse psychologique en dépsychologisant les problèmes d'abord rencontrés au niveau psychologique?". Intervention de Vincent de Gaulejac à écouter sur youtube : "Pour sortir du mal-être au travail". Comment définir le travail au regard de l'approche psychodynamique ?

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Il est essentiel et nécessaire au fonctionnement psychique de l'individu,il n'est surtout pas contingent. Le salariat renvoie à la collectivité, au fondement de ce qui touche et tisse les relations professionnelles d'échanges. D'autres formes alternatives existent de rémunérations, sans compter le travail bénévole. Que l'on soit salarié, précaire, intérimaire ou bénévole, il s'agit pour nous du travail, soit une activité déployée par des femmes et des hommes pour faire face à ce qui n'a pas été prévue par l'organisation du travail prescrite ou les prescriptions.Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, dirige depuis 1990 le laboratoire de psychologie du travail et de l'action au CNAM à Paris. Pionnier du développement de la psychodynamique du travail voilà ce qu'il nous dit de la notion du travail :"La plupart des tâches sont encadrées par des réglementations et des modes opératoires qu'on regroupe sous le terme d'organisation du travail prescrit. Cette organisation peut être extrêmement précise et tatillonne. Mais, même dans ces cas-là, on peut montrer que jamais ceux qui travaillent ne respectent rigoureusement l'organisation prescrite, y compris dans les activités répétitives sous contrainte de temps. En effet, quelle que soit l'ingéniosité de cette organisation, elle ne prévoit jamais les choses telles qu'elles vont se produire.Il y a toujours des pannes, des imprévus, des incidents, des accidents, ce qui conduit à envisager la "réalité" du travail comme un ensemble de dysfonctionnements qui vient surprendre toute organisation, aussi sophistiquée soit-elle."

Ce paradoxe, nous fait penser que c'est ce qu'il faut ajouter aux prescriptions pour que ça marche. Cette valeur ajoutée à la prescription constitue l'essence même du travail, entre la tâche et l'activité. La coopération est là pour gérer cet écart selon des normes communes de métier qui s'échangent, s'éprouvent, se partagent et se discutent avant de devenir des règles déontiques de métier. Depuis vingt ans on dénigre le travail qui devrait disparaître au profit des loisirs et de l'action. Ces thèses sont paralogiques et sont des tentatives de dévalorisation du travail réel. Ce déni du travail, c'est le déni de cette part d'humanité que chacun apporte par son activité. Le travail n'est pas une valeur en voie de disparition, au contraire il persiste à occuper une place centrale pour l'individu en bonne santé, et pour maintenir sa santé psychique. Que faire pour en sortir et comment ? Après la lecture de ces outils d'analyse nous pouvons réfléchir en termes d'engagement

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politique et idéologique pour entreprendre une bataille, afin de recréer du collectif pour dire non à ce désastre organisationnel, orchestré par le capitalisme financier qui impose sa loi sur le travail donc sur les individus que nous sommes. On voit l'impuissance des politiques à agir à ce niveau, pourtant il ne faut pas baisser les bras. Si le règne du circuit financier est un déterminant essentiel, il n'est qu'un déterminant comme les autres. Comme le dit Edgar Morin, on est dans le multi-factoriel, dans la complexité, le multi-déterminisme. Il s'agit par conséquent de se battre à plusieurs niveaux à la fois : - politiquement, économiquement et idéologiquement chacun à son propre niveau , tout en restant à l'écoute du terrain, au plus près du malaise, pour un combat prioritaire à mener.

Des manifestes existent, les solutions ne manquent pas pour agir, des initiatives aboutissent. Par exemple, l'Appel des Appels est un collectif national qui regroupent plus de 80 courants comme : sauvons l'hôpital, l'université, la santé en bataillant frontalement, contre ces organisations qui détruisent volontairement et systématiquement tout ce qui tisse du lien au travail. Un ouvrage collectif « l'appel des appels » pour une insurrection des consciences est en vente depuis novembre 2009. Notre initiative de ce jour, qui nous a réunit autour de ce long débat riche d'échanges en est une autre. Continuons ainsi… L'action est nécessaire partout et sous des formes à inventer pour lutter contre la servitude volontaire.

Chantal Cazzadori psychanalyste dans la cité Vers le blog de Paul Ariès: http://paularies.canalblog.com/ Cliquez-ici pour voir le commentaire de l'accueil de ce débat sur le site des droits de l'homme de Rue Le Crotoy .

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Lire sur le site des Droits de l'Homme l'accueil réservé à Josiane Annerel et Chantal Cazzadori suite à leur intervention au cinéma de Quend Plage (Cliquez-ici)

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La Mise à mort du travail (documentaire) Date : 16 avril 2014 Après deux ans et demi d’enquête, Jean-Robert Viallet nous fait pénétrer dans un monde où les caméras ne sont jamais les bienvenues : celui de l’entreprise. Avec trois thèmes majeurs qui sont « La destruction », « L’aliénation » et « La dépossession », cette série exceptionnelle met à nu les nouvelles organisations du travail, les relations de manipulation et de pouvoir et les souffrances qui en découlent. Un résultat inédit et édifiant. Lire l'interview du réalisateur sur "Mecanoblog"

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Harcèlement ou souffrance au travail ? Date : 22 avril 2014

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Telle est la question qui a été débattue dans le cadre des troisièmes Diagonales de l’Association Française de Psychiatrie, le samedi 12 avril 2014 à Nice. Ouverte à un large public (médecins, psychiatres, médecins du travail, psychologues, travailleurs sociaux, …), cette rencontre locale pluridisciplinaire s’efforcera de définir des modes d’action pour traiter au mieux cette problématique de plus en plus présente dans le monde du travail. L'association Française de Psychiatrie s'attache à défendre et promouvoir une conception humaniste de la psychiatrie à l'écoute de la pensée du malade.

Ce qui a motivé mon déplacement à Nice, c'est bien entendu le thème de cette journée, qui viendra nourrir de témoignages professionnels, ma rubrique : travail et effroi, via mon blog. Quand une belle rencontre avec Brigitte Font Le Bret, médecin du travail et psychiatre, se produit deux fois, les effets de transfert ne manquent pas. Comme je l'écris dans mon livre, page 146, sans la nommer, je l'ai rencontrée pour la première fois à cette journée d'avril 2010 également, organisée par l'association "Conversations essentielles" au Comptoir Général dans le 10e arrondissement de Paris, sur ce thème : "Faut-il aimer son travail pour être heureux ?" (1). Elle faisait partie des intervenants qui animaient ce débat auprès de 200 managers ou responsables d'équipes. Son intervention me permis encore d' approfondir mes recherches sur la psychodynamique du travail, un champ neuf que je découvrais lors de mes investigations sur le néo management, chapitre central de mon travail d'écriture en chemin. Une véritable rupture idéologique s'opéra pour moi, entre l'avant de mon travail en entreprises il y a maintenant 14 ans et l'après, soit des années 2000 à ce jour. Ces nouvelles pratiques managériales d'abord en vigueur dans certaines grandes entreprises internationales, se propagent malheureusement aujourd'hui dans tous les secteurs d'activité, sous le joug d'une financiarisation et gestion managériale de la performance. Le "top management", gestionnaire de la rentabilité financière aux nombreux dispositifs génèrent du mal être ou de la souffrance au travail, nous engoufrant dans un cercle vicieux qu'il convient de dénoncer, de plus en plus, pour combattre cette idéologie de la fatalité du destin. Brigitte Font Le Bret s'engage dans ce travail de témoignages non seulement dans son écoute avec ses patients, mais aussi à travers son blog sur

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Médiapart, ses écrits, son activité comme membre de l'Observatoire du stress et des mobilités de France Télécom, elle continue plus que jamais à s'insurger... En enregistrant sa conférence, j'ai relevé ici les axes les plus forts de son intervention que je vais maintenant partager avec vous.

Invitée par l'Association des Psychiatres de France, Brigitte Font Le Bret, médecin du travail et psychiatre, nous exprime tout son "plaisir" d'être devant des psychiatres, ce qui ne lui arrive jamais, bien qu'invitée pour un certain nombre d'évènements par ailleurs. A Grenoble, ses confrères lui envoient leurs patients, essentiellement pour des questions relevant des effets délétères sur la santé en lien avec leur travail. "Y aurait-il quelque chose dans le travail qui nous déborderait ?" demande-t-elle à ce public attentif, réuni à Nice, ce 12 avril, sous la présidence du Docteur Jean-Yves COZIC. Comment donc aborder la souffrance au travail? Autrement dit : comment traite-t-on l'humain à ce jour ? Elle démarre son exposé en nous parlant de son parcours atypique. Déjà dans sa thèse de docteur en psychiatrie, elle voulait travailler sur le vécu des ouvriers malgré les résistances de son directeur de mémoire, elle dû se contenter d'observer ce qui se passait dans un atelier de mécanique générale, bien que ce ne soit pas très objectif pour les Sciences Médicales. Ensuite, elle s'initie à la médecine agréée pour devenir experte à la cour d'appel, en passant par l'étude de la criminologie, elle se sensibilise au diagnostic différentiel. Elle apprend que le mot pervers se compte sur les doigts de la main, donc utiliser à tout va, le mot "pervers narcissique" prête à confusion. Puis elle se tourne vers le chercheur Christophe Dejours (2) pour se diplômer en psychopathogie du travail,(3) tout cela dans la perspective de bien faire son métier, constatant les carences des connaissances psychiatriques pour aborder la souffrance au travail et la rareté des médecins psychiatres compétents en la matière. Puis, elle nous rappelle qui est son Maître à penser : Louis Le Guillant, père fondateur de la psychopathologie du travail. Parler de son œuvre et de son rôle novateur, c'est parler de sa passion pour la psychiatrie enracinée dans la vie sociale. En effet, en 1950, il s'est intéressé à ce domaine jusque là à peine défriché. Ses recherches en psychopathologie du travail ont ainsi connu leur plus large retentissement, telles ses études sur la vie professionnelle des téléphonistes, des agents de la conduites de la SNCF, et des bonnes à tout faire. Certains de ses textes écrits sur les standardistes, n'ont pas pris une ride, et préfiguraient ce qui allait devenir la clinique médicale du travail. En effet, il s'attachait à une description clinique de la symptomatologie très fine, en lien avec l'organisation du travail. Il écrit : "Au sujet des téléphonistes, le mode de calcul du rendement contribue beaucoup à donner au rythme du

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travail son caractère pénible.Les salariées ont la hantise de cette moyenne à maintenir, sans laquelle leur note baisserait et leur avancement serait compromis. Cette façon de procéder entraîne une compétition entre elles." Il va pointer également la masse des modalités de surveillance par le système des tables d'écoute et des surveillantes qui circulent constamment derrière les opératrices, dans le but de vérifier si les modes opératoires fixés sont respectés et qu'elles ne bavardent pas entres elles. Des interrogatoires mettent à mal les salariés qui ne respectent pas le temps des pauses à une minute près. Dans un climat suspect, étouffant se développent des sentiments d' humiliation et d’infantilisation qu'il nomme à l'époque " un syndrome subjectif commun de la fatigue nerveuse". Un tableau médical qui lui aussi n'a pas pris beaucoup de rides, comme: la sensation d'avoir la tête vide, des troubles de l'attention, de la mémoire, de l’hyper émotivité, des troubles de l'humeur et du caractère, une asthénie profonde, du dégoût d'existence, des idées de suicide plus ou moins explicites, et parfois même des tentatives de suicide font partie du diagnostic médical.(4)

Dans les années 80, un courant nouveau voit le jour, explorant les liens entre travail et souffrance psychique. Le psychiatre Christophe Dejours a créé une nouvelle discipline et levé le voile sur les effets délétères de certains modes d'organisation et d'évaluation du travail. Avec d'autres psychiatres, psychosociologues, psychologues du travail et psychanalystes, issus de ce mouvement, ils n'ont cessé de dénouer d'autres liens entre souffrance mentale et travail. Ils avaient tous ressenti la nécessité de sortir de leur cadre d'intervention propre pour comprendre certains troubles psychiques, et de travailler en pluridisciplinarité. Il s'avère en effet que les questions posées et non résolues avant 1980, sont les mêmes qui font la Une de l'actualité aujourd'hui. Par exemple, une pétition à signer circule (5) pour obtenir une reconnaissance par la Sécurité Sociale de cette affection psychique liée à l'épuisement professionnel des salariés. Le flou de cette expression "burn out" ne permet ni de décrire ces affections ni de promouvoir leur reconnaissance en tant que maladies professionnelles par la Sécurité sociale ; alors qu'en fait il s'agit d'état dépressif lié aux nouvelles contraintes insidieuses du management à la menace ou manipulateur. Le "burn out" existait déjà bien avant. Il s'avère nécessaire aujourd'hui, de poser la question de la formation psychologique des médecins du travail et la création d'un corps des psychiatres du travail. Ce refus historique signe l'existence d'une problématique difficile, celle du lien entre certains troubles psychiques du travail et au-delà, la recherche d'une approche moins clivée entre le Je et le Nous, l'individuel et le collectif, le subjectif et l'objectif, mais cette recherche n'était -elle pas le cœur de

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notre métier de psychiatre ?

Elle nous donnera un exemple tiré d'une expérience qui se passe dans un abattoir. Le médecin du travail du lieu va s'enquérir sur place, de la nouvelle organisation du travail d'un service qui jusque là fonctionnait bien. Il découvre que les effets produits sur ses patients : colère, prise d'alcool, "turn over", viennent d'une minute en moins pour tuer un boeuf. Cette minute là, à gagner sur le temps réparti, provoque sur ses patients ces effets délétères sur leur santé, puisque ceux-ci étaient privés du temps nécessaire pour accomplir les gestes élémentaires d'hygiène du métier, pour bien exécuter leur travail, comme le fait de nettoyer après l'abattage le sol, de se soucier de la propreté, etc. Cette manière très fine de regarder le processus du trajet à accomplir, soit le travail effectif qui s'intensifie, et par conséquent questionne sur le sens au travail est en effet révélatrice de ce qui ce passe aujourd'hui en termes de dégradations des conditions et des relations à son poste de travail. Ne serait-ce pas le prix à payer par les travailleurs quand les tâches s'intensifient ? Dans ce contexte, de nombreuses demandes de rendez-vous saturent nos cabinets, des saisies de tribunaux avec un blocage institutionnel posent des problèmes, sans compter un tsunami de nouveaux ouvrages, revues, films, pièces de théâtre, reportages, forums, articles, qui imprègnent notre subjectivité. Des bilans de compétence à refaire, des déclassements proposés, des reclassements voulus déstabilisent les gens qui ne tiennent plus le coup, devant une exigence de performance intenable, qui met en doute leur capacité jusque là correcte. Pour répondre à la demande de souffrance au travail, des cabinets psy, de coaching, développement personnel, de toutes obédiences s'ouvrent et marchent bien, car il faut apprendre à dire non, à vaincre l'autorité, soit le rapport au père, c'est pour cela que nous serions mal au travail ! Sans faire alors le lien avec le système anxiogène qui lui n'est pas justement remis en question. Cette situation préoccupante ne pose-t-elle pas un vrai problème éthique aux professionnels de la santé psychique et physique? Le Dr Brigitte Font De Bret va aussi nous parler des suicides sur les lieux de travail qu'elle dit insupportable pour elle. Quatre cents suicides évalués en lien avec le travail par an, soit un par jour au moins. La récente série de suicides ne doit rien à une épidémie ou effet de mode comme l'affirmait Didier Lombard, à la tête de France Télécom de 2005 à 2010. France Telecom Orange : Pendant qu'ils comptent... par yes_men

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C'est le produit d'une organisation du travail qui isole en même temps qu'elle agit, tout en empiétant sur la vie privée des salariés. Ces deux entreprises : France Télécom et la Poste ont mis en place des mesures d'accompagnement pour licencier en douceur... Agir sur les congés longues maladies, congés longues durées, retraites par invalidité à 50 ans, c'est mettre un terme à des fins de carrières dramatiques avec 1200 euros par mois par exemple, pour obtenir quelle retraite au bout ? Nous assistons là à une autre manière de réduire les coûts des salaires qui deviennent une mesure d'ajustement propre au Lean management. On fera plus de rendement avec moins de monde, d'où l'intensification des tâches qui créée de la souffrance au travail, ainsi le cercle vicieux reprendra. D'ailleurs, La Poste prévoit un départ de 100 000 personnes en dix ans, et ça continue... Pour apporter une bonne nouvelle, elle confirme qu'un observatoire du suicide (6) est enfin créé en France. Il serait temps de pouvoir calculer précisément le nombre de suicides des enfants de 14 ans, des personnes âgés et des gens au travail. Une approche épidémiologique est donc mise en place pour apporter davantage de rigueur à ce nouveau fléau.

Concernant les confusions sémantiques elle relève : Les TMS, le "burn-out", les RPS, le stress, la souffrance au travail, le pervers narcissique, masquent les réelles causes invalidantes, liées au système organisationnel des entreprises. Les professions qui bourgeonnent: les psy sur internet, diplômés comment ? Les coachs de toute nature, les médiateurs, des consultants en tout, Monsieur Éthique, les numéro verts 24H sur 24. Le mal-être au travail (et son cortège de souffrances) deviendrait-il un fond de commerce, pour mieux encore participer au contrôle social des salariés ?

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Les pseudo-découvertes scientifiques: les NTIC au service des TOC boutade pour les psychiatres.., le Lean (réduire en anglais) maintenant en place dans la fonction publique (la santé), au service des troubles du comportement alimentaire. Or, il ne faudrait pas oublier que les théories sur le travail se sont beaucoup inspirées des découvertes de l'ergonomie pour lesquelles le travail n'est jamais de simples gestes d'exécution technique. Il y a un écart entre le travail prescrit et le travail réel, ouvrant ainsi un espace d'ajustement qui signe la résistance au réel et cette résistance qui peut être déstabilisante pour le sujet, le conduit à inventer, à créer.Le travail n'est donc jamais la stricte application des tâches techniques. En fait, des choses qui paraissent faciles à faire, recouvrent en fait bien des paramètres qui les rendent plus complexes qu'il n'y paraît. Ce sont les ergonomes qui nous ont renseigné là-dessus. Bien travailler, c'est aussi s'approprier le travail, on y laisse son empreinte, ça explique le stress post-traumatique, car on y a laissé quelque chose de nous, dans notre propre activité professionnelle. Sans compter que travailler implique également notre rapport aux autres. Elle confirmera ces propos en rappelant les managements liés au culte de la performance. L'injonction à se dépasser, faire face à la compétitivité au nom de la satisfaction du client, et par rapport aux collègues qui s'adaptent plus vite encore et mieux. La flexibilité comme corollaire du flux tendu. Ceux qui n'ont pas la réactivité maximale deviennent alors anxieux de peur de ne plus être à la hauteur. Ces formes de management sous tendent une menace dissimulée qui culpabilise encore plus les salariés, et les isole les uns des autres . Oui, son travail peut être un puissant opérateur de santé, lorsqu'il existe un temps de travail suffisant entre le travail prescrit et le travail réel, qui nous laisse une marge de manœuvre pour prendre des initiatives. Si cette marge n'existe pas, alors en effet, le travail devient persécutant et morose. Nous constatons que les salariés ne s'expriment pas sur leur façon de travailler. Ils vont plutôt parler, quand ils viennent en consultation, sur la maltraitance du n+1 (le responsable) ou d'un collègue. Philippe Davezie (7), enseignant chercheur en médecine et santé au travail, dans son site nous explique pourquoi ça peut-être des impasses, de rester sur ce terrain en faisant essentiellement l'analyse des rapports entre collègues. C. Dejours a bien démontré que l'essentiel du travail n'est pas évaluable par les deux ou trois entretiens individualisés par an. L'introduction de cet outil de contrôle est une catastrophe pour les salariés qui arrivent souvent en larmes chez le médecin, après un entretien qui exigeait des objectifs non atteints car trop élevés ou irréalisables. Il ne s'agira alors non pas de parler du travail, mais du comportement et cela montre que le collectif est cassé quand il ne reste plus que ce sujet de plainte. Yves Clot, dans son livre : "Le travail à coeur", nous dit bien qu'il faut soigner le travail. C'est à partir de ce qu'ils font, que les salariés se parleront et se confronteront entre eux dans des

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espaces de délibération à mettre en place pour cela. Une revue "Santé au travail", intitule son sujet d'avril 2O14 : " Libérer la parole sur le lieu de travail". Les patients dont on s'occupe, rappelle Brigitte Font Le Bret, malheureusement ne sont souvent plus au travail... L'activité réelle doit être explicitée mais personne n'a spontanément les mots pour parler de la subtilité de son métier. Dans le système Tayloriste ce sont les contraintes par le corps physique qui sont sollicitées, peu importe ce que l'ouvrier a dans la tête. Maintenant, avec la révolution managériale, l'entreprise sollicite l'imaginaire du salarié qui doit évidemment adhérer à ses valeurs. Par exemple, à partir de la pratique des jeux de rôles sur des we formation, les cadres intègrent les idéaux de sa société, c'est le but recherché.Pour le médecin du travail, il faudra interroger le patient au plus près de sa situation concrète, l'aider à expliciter, à préciser ce qui se joue dans son rapport au métier, lui permettre ainsi une reconstitution de ses capacités à penser et à en débattre, en bravant le poids du secret de son entreprise, qui pourrait l'inhiber s'il se sent tenu, comme c'est souvent le cas, par cet enjeu du secret lié à l'idéologie de l'entreprise.

Dr Brigitte Le Bret va ensuite nous parler de plusieurs cas cliniques qui vont illustrer dans le détail du travail effectif, le travail empêché par la mise en place d'objectifs irréalisables qui marquent là aussi l'apparition de la Souffrance au Travail, par des symptômes bien nets à décrypter tels que la dépression, la perte de la voix, des cheveux. Centrer prioritairement son écoute sur l'histoire du sujet lié à son poste de travail et à l'ambiance qui y règne dans ses rapports aux collègues, soumis eux-aussi au même mode managérial d'organisation du travail, voilà le message qu'elle a essayé de faire passer aux psychiatres ici présents, et à nous tous, afin de sortir de la servitude volontaire. En outillant mieux encore notre façon de penser pour repenser le travail, ne donneronsnous pas un sens à notre action vers la reconquête du collectif ? Chantal Cazzadori, psychanalyste

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NOTES (1)

Cliquez-ici pour aller sur le site de l'association Conversations Essentielles. (2) Cliquez-ici pour accéder au portrait de Christophe Dejours (3) Diplômes, titres et certificats au CNAM (4) Reconnaître le "burn out" en maladie professionnelle! (5) Pétition pour la reconnaissance du burnout au tableau des maladies professionnelles (6) Le site de l'Observatoire National du Suicide (ONS) (7) Site personnel et publications de David Davezies http://www.psychiatrie-francaise.com contact@psychiatrie-francaise.com

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Les fondeurs du Poitou Date : 22 juillet 2014

C'est par le cinéma documentaire que nous allons suivre au jour le jour, le travail d'une intersyndicale, organisée de "mains de maître" par les ouvriers des Fonderies du Poitou.

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Photo du réalisateur © Yves Gaonac’h

"Tête haute, huit mois de bagarre" titre du film réalisé par Yves Gaonac'h, nous raconte le combat mené par ces fondeurs en culasse pour voitures, qui se voient proposer du jour au lendemain, moins 25% ou rien. Leur réaction fut immédiate : "Nous n'accepterons pas!". Avec responsabilité et volonté de réussir, ils tirent toutes les ressources des délibérations qu'ils mèneront avec professionnalisme. Durant ce long temps de conflit social avec le groupe Montupet, sous-traitant automobile Fonderie du Poitou Aluminium (FDPA), les salariés construisent leur identité sociale sur un terrain mouvant où l'initiative, le courage, le sentiment de défendre les vraies valeurs ouvrières, leur donne "la gueule de l'emploi", pour reprendre le titre du documentaire de Didier Cros (mention spéciale du jury, Filmer le travail 2012). Cette expérience collective et d'entraide informelle, nous sera racontée durant 58 mn, image par image, portée par une bande sonore qui honore les bruits du travail ouvrier. Ce que j'ai pu constater, c'est l'art de la coopération mise en acte quotidiennement, pour pousser les revendications vers une issue constructive. Cet art , relèvera d'une prise de parole respectueuse de l'écoute de l'autre, des différences, des conflits interpersonnels et d'opinion, pris en compte, coûte que coûte. " Très nombreux et ensemble", un slogan que je leur souffle et qui a tenu la route... Le collectif s'est soutenu jusqu'au bout, jusqu'à la reprise des fonderies. Ce témoignage filmé et tourné en direct, nous offre une mise en scène des temps forts comme des temps ordinaires, de la vie extra-ordinaire bâtie par ces militants de la lutte pour la dignité humaine. Il méritait bien sa place en ouverture de ce 5ème évènement international : "Filmer le travail" à Poitiers. Les principaux acteurs du documentaire sont venus nous parler de leur bagarre pour en débattre avec une salle comble, devant les caméras de France 3 et micros de France Bleu. J'ai pu recueillir quelques uns de leur propos, que je relaterai ici, comme une expérience d'après-

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coup, qui les a pour beaucoup d'entre eux "métamorphosés" diront-ils ! ILS ONT PRIS LA PAROLE POUR NOUS DIRE ......

Photo du réalisateur ©Yves Gaonac’h

Une organisation bien huilée : Il a fallu d'abord constituer un collectif, soit se regrouper en intersyndicale puis créer des commissions pour se répartir le travail. Les priorités étaient de se réunir tous les matins pour penser l'action. Certains s'occupaient de l'intendance (400 repas à prévoir chaque midi, durant 10 semaines), d'autres de la communication en accueillant les médias, les plus militants prépareraient les négociations à mener jusqu'au Ministère. Un comité de soutien a été monté, il fut d'une aide psychologique très forte. Il a été récolté auprès de la population de la région poitevine jusqu'à 270 000 euros sur presque 3 mois. Cela faisait 500 euros par personne et par mois pour tenir matériellement." Si l'intersyndicale a bien fonctionné, avec ses forces et ses faiblesses, c'est qu'on a su mettre de l'huile quand il fallait, sur chaque petit grain de sable." Efforts, douleurs oui mais sans regret : "Par rapport à cette longue péripétie, on est passé par tous les états d'âme. On avançait de deux pas, on reculait de trois… ça a été long. Mais quand on voit l'issue de ce long conflit, on ne regrette pas tous les efforts que l'on a fait. Tout pris en considération, les souffrances qu'on a pu avoir et celles qu'on a pu faire à nos proches, autour de nous.. malgré tout, ça a été une fabuleuse aventure. On peut dire ça aujourd'hui.On ne savait pas comment ça allait se terminer notre affaire !"

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Photo du réalisateur ©Yves Gaonac’h

La lutte est incessante, ne pas l'oublier : "Oui, quand je revois le film et que je repense à tout le ressenti qu'on a pu avoir, c'est une épreuve. Je pense à tous les salariés en lutte en ce moment, et Dieu sait, s'il y en a ! On a eu de la chance, on s'en est sorti, mais jusqu'à quand ? Le problème il est là ! On n'a pas de nouveaux projets. On a des financements, on devrait avoir des nouvelles le mois prochain, positives et suffisantes surtout, c'est pas la même chose. On s'aperçoit qu'être oublié dans cette industrie française, c'est être en lutte, fermement au jour le jour, ça ne s'arrête jamais, peut-être qu'à la retraite on continuera encore... Le soutien financier : "On a vécu quelque chose de formidable pendant cette expérience, c'est le soutien de la population, le soutien des syndicats, notamment celui de la CGT. Un soutien financier qui a permis entre autres, au moins aux salariés en grève, à ceux qui en étaient le plus à la peine, de quoi au moins passer cette période. A ma gauche, c'est V. qui s'est occupée de ça avec d'autres (applaudissements)." "On s'est aperçu que si on voulait tenir, il nous fallait un peu de trésorerie, on n'avait pas le droit de tirer sur le fond du comité d'entreprise, c'est strictement interdit même dans ce genre de situation. Donc, un matin, encore à une réunion intersyndicale, on a décidé qu'il fallait monter un comité de soutien, et une heure après on allait à la préfecture pour créer une association des fonderies du Poitou. A notre grande surprise, trois à quatre jours après, on a commencé à voir des chèques arriver, ça arrivait, ça arrivait avec des enveloppes, il y en avait même 30 à 40 par jour. Une fois, ce qui m'a le plus surpris, on était en manifestation à Châtellerault, il y avait une personne âgée qui était avec son petit enfant qui avait 5 ou 6 ans, et il avait une pièce de 2 euros dans la main : "Tiens Monsieur c'est pour toi"... Voyez. On a eu le soutien aussi d'une petite dame qui était en Maison de Retraite et qui nous avait déjà envoyé 20 euros, qui nous a écrit : "J'attends le prochain virement pour pouvoir vous renvoyer 20 euros". C'est ça... j'en ai encore le coeur qui... C'est quelque chose de phénoménal.Et aussi, on a reçu des chèques qui venaient de la Réunion, des Antilles, de partout, alors comme je vous disais tout à l'heure, on a ramassé 270 000 euros, l'intégralité de l'argent a été versé aux salariés des Fonderies, l'association est maintenant fermée."

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Fabrique de parapluie, magasin de Poitiers.

Se responsabiliser en fabriquant l'évènement quand l'humain passe à la trappe : "C'est à peu près une année de vie différente de celle que vous connaissez habituellement que nous avons vécue là. Parce que, ce que nous avons vécu là, c'est peu banal. Le ressenti comme le disait E. qu'on a, ça a été compliqué, mais qu'est-ce-que ça fait du bien après Et la question qu'on avait, vous le voyez aussi dans le film, c'est où on va ? Où est-ce qu'on va dans cette société, l'humain ne compte plus. On est sur des chiffres, nous c'est des culasses, d'autres c'est d'autres matières, c'est la même chose dans la santé, l'humain ne compte plus.On a l'impression qu'il est là juste pour transformer, c'est pourtant l'humain qui est à l'origine de tout ça. A travers le combat et le festival, on ne voit jamais l'ouvrier, celui qui est le point de départ, oui c'est nous qui la mettons en place la société, avec ses bonnes et mauvaises choses, notre Société c'est nous qui la créons avec toutes ses différences. On n'était pas là pour faire les clowns dans le film quoi ! Je me rappelle quand on est passé pour notre première sortie devant ton commerce G. tu nous as dit : "J'espère que vous allez gagner". Déjà on avait la hantise de démarrer quelque chose et de perdre. Il y avait un tel élan que c'était possible. Ceux qu'on avait pu rencontrer, cette solidarité, tout ce contact humain, c'était toujours positif. On se le rappelait assez souvent, c'était de responsabiliser chacun d'entre nous à l'évènement qu'on était en train de vivre, et de fabriquer quelque chose, ça a pris forme dans tout le pays, en effet ça a donné des idées à d'autres. Cette histoire se termine bien là, elle aurait pu ne pas bien se terminer, et on ne serait pas là aujourd'hui à se contenter à être heureux ; ça peut vous arriver, cet exemple là, gardez le bien en mémoire, parce que quand un peuple qui se soulève et veut aller dans ce sens, s'il a assez de volonté, il peut y arriver".

Portrait du réalisateur Yves Gaonac'h

Quel a été le poids de la présence du cinéaste sur les acteurs de l'action ?

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" Au début, un peu de méfiance à l'arrivée d'Yves, on fait attention à ce qu'on a dit, forcément on a été confronté à des journalistes alors...On a le poids des salariés sur les épaules, devant eux on n'est plus les mêmes, mais tout doucement on s'est accoutumé à sa présence, on ne faisait plus attention, lui, il a réussi à se faire oublier. Quand on voit le film en minute de l'intérieur, on voit qu'il y a un historique, avec les effets des pas en avant et en arrière. Oui, de voir le film pour nous, c'est beaucoup d'émotion et en plus c'est ce qu'on vit au quotidien, on a ça en présence tout le temps. Quand on va faire des réunions avec notre patron actuel, ça reste, on est toujours sur le qui vive ! Après si on décide de rester dans la vie salariale, on est toujours prêt à se lancer dans un combat." Le rôle d'un film comme celui-ci ? "C'est un message, le combat des salariés à travers ce film, c'est pas un film qui date, on est en plein dedans, il y a plein de salariés qui se battent en ce moment."

Comment s'est passée la reprise du travail ? On voit qu'au début du film c'est assez chaud avec les non grévistes puis on est passé à assez froid (rires).Dans les non grévistes il y a des catégories, il y a ceux qui n'ont pas participé du tout, ils ont cru à Montupet. Il y a ceux qui petit à petit se sont rendus compte qu'ils ne pouvaient rien attendre, ils ont raté le train. Mais le temps passe et les choses se disent un peu ou pas, ça s'oublie, pas vraiment non plus, tout doucement on discute, on essaie... Il y a des non grévistes dans la salle. Ce genre de film permet de fédérer dans les autres entreprises. Il n'y a pas 36 solutions, si non la lutte ou si non la "mort". Pourquoi le cinéaste n'est pas allé vers les non grévistes les interviewer ? Si, si, répondra le cinéaste. "J'ai essayé de leur parler, quand j'ai su qu'ils venaient le matin pour reprendre le boulot, je leur ai demandé pourquoi ?C 'était très très dur, je n'ai pas pu montrer ça.C'était des cas personnels, ils étaient à bout, même si on est à 6 semaines de grève, ils voulaient reprendre parce qu'ils avaient besoin du salaire du jour. Aussi formellement je n'ai gardé aucune interview au montage, ni des grévistes, ni des non grévistes. C'est un film

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d'actions. Les interviews n'allaient pas dans le rythme du film." Comment s'est passé le montage ? Yves Gaonac'h : " le scénario s'est écrit après, c'est pas comme ça que je l'imaginais le film au départ, je voulais faire des interviews après le conflit, notamment avec les élus. Puis finalement, on est parti pour un film juste fait d'actions." L'objectif d'Yves c'est de redonner la parole à l'ouvrier, au sachant, à l' homme de terrain. Il préfère rester derrière sa caméra pour laisser tout le champ ouvert à leur expression. Un homme à la voix très éraillée intervient : "Par rapport à nous, (ouvriers des New Fabris, l'usine d'à côté fermée en 2009), ils se sont battus des mois et des mois et ils ont gagné. C'est pour ça qu'il ne faut pas baisser les armes, quand on sait ce qu'ils ont enduré, ça n'a pas été facile financièrement par rapport à nous. Vous, vous êtiez en grève, y a rien sans rien, il faut continuer." Applaudissements de la salle. Un hommage à René Gauthier, militant cinéaste : "Allez voir ce qu'il a fait, c'était un vrai cinéaste, il allait sur les piquets de grève. Le cinéma était pour lui un objet et un support de mémoire et un moyen aussi de mettre du jus et de donner la pêche à ceux qui luttent. Ses films continuent à transmettre cela." Une sélection de courts et de longs métrages (1950-1980) présentés ici, sont une réponse aux injustices politiques." Comment vous avez ressenti les effets de la solidarité très active après la grève ? "Surtout pendant une semaine, nous n'étions plus tous ensemble au même moment dans la même galère. Bien sûr le travail c'est important, mais forcément au moment où il nous a fallu reprendre, c'est comme si on nous demandait quelque part de descendre de la galère, c'est pas évident. On va laisser le gouvernail à quelqu'un d'autre. Nous syndiqués on sait qu'on peut prendre la barre au plus vite. Pour les salariés, c'est un moment difficile ce lâcher prise par rapport au mouvement. On a senti cette solidarité pendant un moment, c'est toujours là. Si le combat devait reprendre très rapidement, cette solidarité repartirait. C'est pas une menace pour le patron (rires)."

Rue piétonne à Poitiers

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J'ai beaucoup aimé votre film, mais.. "quand vous employez le mot solidarité, je pense que ça va même au-delà, jusqu'à la croyance. Mais il y a quelque chose qui m'a effrayé dans votre film, c'est que vous avez qu'un seul client qui est la sté Renault. Est-ce que vous allez vous diversifier au niveau de la fonderie, où est-ce que vous êtes en recherche de quelqu'un d'autre ?" Réponse : "après le combat il y a forcément la vie, dans l'industrie où on vit aujourd'hui, on a effectivement retrouvé des choses qu'on n'avait plus dans cette entreprise depuis 10 ans, c'est un point positif, car on n'arrivait plus à se parler. Comme je vous l'ai déjà dit, on était là pour transformer, on était que cette valeur ajoutée, plus des humains. Aujourd'hui on a renoué le dialogue. Il y a des choses qui avancent, on a deux nouveaux projets, un carnet de commandes qui va jusqu'à 2O15, avec une activité variable, voilà où on en est aujourd'hui industriellement. La lutte a permis cela, quand on peut mobiliser toutes les forces syndicales, humaines, politiques, comme ça c'est passé sur cette fonderie, il y a eu un élan de vie qui est passé à travers nous. On avait les mêmes convictions parce que tout de même c'était un impact de 2000 emplois sur le bassin, c'est pas rien, quand même ! On est en train de préparer l'avenir". Un livre de Richard Sennett intitulé ENSEMBLE, pour une éthique de la coopération, vient d'être présenté dans le grand format idées du journal Libération en ce début févier 2014. (1) Ce sociologue américain, nous propose pour relancer la machine économique, un contremodèle social basé sur l'expérience collective et l'entraide informelle. Il espère vivifier cette vieille idée qui "fait de l'homme son auteur, un fabriquant de vie à travers des pratiques concrètes" dit le chercheur un peu idéaliste, un peu anarchiste. La perte de sens, mal du XXIème siècle, rend compte également de la faiblesse des relations sociales. Selon lui, il y a deux façons d'analyser le marché. L'une, mécanique, passe par les chiffres et décrypte les rouages techniques du système. L'autre, au niveau des personnes, prend en compte les conséquences sociales. Plus on perd des emplois de qualité, plus le sentiment d'insécurité se développe.Plus on en préserve, plus la structure sociale est résistante. Cette expérience construite par les fondeurs du Poitou est la démonstration d'une conjonction réussie entre la solidarité et la coopération. Deux notions différentes mais inter-agissant l'une sur l'autre. Les effets des nouvelles formes du capitalisme sont de privilégier le travail à court terme et d'empêcher que les travailleurs nouent entre eux des relations d'entraide. On voit bien dans ce film combien la coopération huile la mécanique qui permet de faire des choses et partager avec d'autres ce qui nous manque individuellement. Cette collaboration implique la socialité qui reconnaît la différence entre les individus. La socialité ouverte à des idées ou projets nouveaux qui nous apparaissent sous la forme d'interactions, non établies à l'avance.Un sentiment de liberté partagée se dégage de ce témoignage filmé ,confirmé par la teneur du débat retranscrit ici, après le visionnement de leur bagarre gagnée avec intelligence, respect des règles de vie ensemble et convictions dans leur destin pris en main pour gagner. Un grand Bravo.

Chantal Cazzadori, invitée au Festival "Filmer le travail". psychanalyste

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Les grandes orgues de l'ĂŠglise Notre-Dame de Poitiers

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(1) ENSEMBLE, pour une éthique de la coopération de Richard Senett, Albin Michel présenté dans le Journal Libération, samedi 1er et dimanche 2 février 2014, idées grand format p 30,31 a largement inspiré ma conclusion. Titre de l'article "Plus on préserve des emplois de qualité, plus le lien social résiste". Plusieurs expositions photo ont témoigné du monde ouvrier en images.

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Église Notre Dame de Poitiers

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

Un théatre documentaire Date : 5 août 2014

Très nombreux, chacun seul Le débat sur cette pièce va s'engager immédiatement après les nombreux applaudissements de la salle de la Maison des Étudiants, à Poitiers.

Le Président du Festival Jean Paul Géhin : "Comme on le fait très souvent à "Filmer le travail", on va engager un débat en attendant que Jean Pierre se remette un peu de sa performance et vienne nous rejoindre. C'est la deuxième fois que je vois le spectacle et je suis de plus en plus sûr qu'il fallait vraiment le passer à "Filmer le travail", c'est vraiment un projet qui est très très proche du nôtre. Il y a dans cette pièce et filmer le travail au moins trois points communs, d'abord une analyse précise et pertinente du travail, son évolution. En deuxième point la présence forte des sciences sociales et humaines, on en discutera... et puis un vrai travail d'enquête derrière qui m'a beaucoup impressionné, et enfin cette mobilisation créative et artistique permet d'aller au-delà des mots... Peut-être, pourrions-nous commencer, je vais demander à Alexandrine Brisson, réalisatrice, comment est née cette histoire, comment ça c'est passé, pourquoi ce projet ?" Alexandrine Brisson : "En fait on avait tous les deux envie de parler du monde ouvrier, chacun dans notre domaine, moi à travers les images et l'écriture. J'avais depuis très longtemps envie de faire un film sur la main de l'homme, les gestes du travail, et Jean Pierre avait en fait envie de parler du monde ouvrier qu'il avait toujours au moins côtoyer à Chauvigny, où il a vécu longtemps, où le coeur de la ville est habité par une usine. Quand il sera là il vous en parlera mieux que moi. A un moment donné, on sait dit qu'on allait rassembler nos trois arts ensemble et faire appel aux arts de la musique et de la danse. Thibault Walter est compositeur de

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musique contemporaine, il nous a accompagné par son univers sonore. Une chorégraphe Cécile Bon, ici présente dans la salle, a aidé Jean Pierre pour exprimer des choses au fur et à mesure, avec son corps qui n'est pas un corps de danseur. Au départ, comme à chaque fois que Jean-Pierre écrit un spectacle, il retourne aux sources, c'est-à-dire à Chauvigny, et va questionner les gens, et surtout pour ce spectacle qui allait parler du monde du travail, c'était évident d'aller à Chauvigny, puisque la fameuse usine est au coeur de la ville. En interrogeant les gens, en parlant avec eux, en allant chercher des histoires, des anecdotes, il est devenu clair, tout le monde évoquant à un moment donné, le suicide de Philippe Widdershoven, il était évident qu'on allait en parler, alors que c'était pas le but du départ de ce spectacle, et plus particulièrement quand on est allé voir Dominique Multeau, qui nous a un peu plus parlé des choses, il est vraiment le proche ami, et engagé au syndicat de Philippe, je dis Philippe comme si je l'avais connu, c'est incroyable , je ne l'ai pas connu, j'en parle comme d'un ami, il nous habite complètement depuis des années et là c'est devenu impossible de faire autrement. On est tombé sur un article de Libération de Sonya Faure , un article de Libération, (du 15 avril 2009) * qui devait être avec nous d'ailleurs ce soir, comme on sait ce qui se passe à Libération en ce moment,on peut comprendre que ce soit difficile en ce moment pour les salariés. On a lu cet article et on s'est dit qu'il était magnifiquement rédigé, et que ça pouvait devenir un objet de théâtre, même si ça n'est pas un texte de théâtre, c'était formidable parce que ça expliquait tout, à distance, ça donnait la parole finalement à chacun,et donc à partir de là on s'est dit, on va rassembler différents textes, différentes origines de textes, donc il y a cet article de Libération, il y a des textes de Simone Weil, que vous avez dû reconnaître, pour ceux qui aiment autant que nous cette femme. Il y a des textes soit de collectage comme Jean Pierre en a toujours l'habitude dans tous ces spectacles , donc des collectages qu'on a fait tous les deux. Il y a aussi ceux écrits comme pure invention de son côté et de la mienne, en espérant que tout ce brassage ferait un spectacle. On a beaucoup puisé, on s'est documenté, parce que je suis une fidèle de filmer le travail , depuis la première édition. C'est vrai que la richesse de ce que ce festival apporte d'ouverture au monde, au monde travail, et dans le monde, ça été très utile pour nous aussi." Jean Paul Géhin : "C'est vrai qu'il y a une espèce de proximité de projets tout à fait étonnante avec la projection de vos images. Je me disais que sur la scène finale, cette liste des métiers qui reprend quasiment tous des métiers ouvriers, rentre en résonance avec ce que c'est qu'un ouvrier aujourd'hui ? Un autre thème, sur les ouvriers d'hier et d'aujourd'hui, ses nouvelles appellations, sur lesquelles nous allons réfléchir, mercredi prochain, autour aussi de la soidisant disparition de la classe ouvrière, qui me paraît très discutable." Dr Jean Jacques Chavagnat : psychiatre, il collabore depuis longtemps à la consultation souffrance au travail, dirigée par le Dr Eric D. ?, ici présent ainsi que d'autres médecins du travail. "Mon intérêt est multiple puisque je suis venu à m'occuper de ces personnes en souffrance, pour plusieurs raisons : - la première, parce que je me déplace lorsqu'il y a malheureusement un drame. Je dirigeais l'équipe chez Deshoulières, l'usine de porcelaine où a eu lieu le suicide. J'ai vu les personnes en difficulté qui ont bien voulu venir nous rencontrer, assez peu de monde d'ailleurs que nous avons vu de manière individuelle, ce qui est en général pas le cas, car habituellement on les voit en groupe, mais là, il y avait de telles tensions et pour certains une telle détresse, qu'on a

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préféré dans un premier temps les voir individuellement. - l'autre point, c'est parce que depuis une trentaine d'années, je m'occupe de la prévention du suicide à la fois sur le plan régional et aussi national, je suis responsable d'une fédération importante qui regroupe à la fois le traumatisme, la prévention des suicides, la psychiatrie de liaison et les urgences psychiatriques. L'idée de s'intéresser justement à cette activité qui est le travail, m'a parue d'une telle évidence, dans la mesure ou je m’inscris dans la lignée de Christophe Dejours, qui n'a pas encore été cité. C’ est un collègue psychiatre, tout à fait éminent chercheur depuis une trentaine d'années sur ces problèmes de travail, avec d'autres bien sûr. Il n'est pas le seul, mais c'est certainement un de ceux qui est le plus en avant et qui a le plus écrit avec peut-être Yves Clot aussi, qui est lui psychologue.

Je vais maintenant vous parler d'emblée, d'une question importante que l'on appelle la centralité du travail , qu'est-ce-que c'est ? Il est très difficile pour une personne de ne pas pouvoir travailler, car travailler, c'est à la fois occuper son temps, son activité, sa tête mais aussi son corps. Bien évidemment comme ça va nous remplir ce travail , c'est quelque chose de très compliqué, qui va nous faire penser, nous ramener ce travail à la maison, mais aussi va nous accompagner la nuit, nous faire faire des rêves professionnels par exemple. Tout ce qui va se passer, pendant ses vingt quatre heures, le travail va être plus ou moins présent, même si à certains moments on à l'impression qu'il est mis à distance. Alors il va se mettre en place des moyens de défense qui sont en général inconscients, pour qu'on arrive à supporter un certain nombre de choses, des moyens passifs pour nous permettre de mieux vivre. Parfois ces éléments de défense peuvent être salutaires, parfois pathologiques. Le comédien va venir dans quelques minutes, vous pourrez l'interroger bien sûr, ainsi que la réalisatrice et moi-même." De la salle, Mme : " Est-il possible aujourd'hui de ne pas travailler ?" Dr J.J.Chavanat : "La question est très intéressante, et la réponse peut-être très courte ou très longue. Très courte : est-ce-qu'on peut ne pas travailler? je pense que c'est impossible. Ne pas avoir une activité que l'on appelle travail ou pas travail, on peut l'appeler autrement, mais tel que l'homme est fait, il ne peut pas rester à ne rien faire. Ne rien faire c'est quelque chose d'impossible, d'où la problématique bien sûr, lorsque l'on ne peut plus travailler, qu'est-ce-qui va se passer, à la fois dans sa tête et dans son corps ? En général un bouleversement. Le bouleversement il est "normal" quand on est en retraite, et vous savez que ce n'est pas toujours simple pourtant ! Même si c' est préparé, on fait maintenant des préparations à la retraite, parfois ça se passe bien, parfois plus ou moins bien. Alors on imagine facilement lorsque l'on va quitter prématurément son travail, parce qu'on est licencié par exemple, les conditions de

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licenciement sont importantes à prendre en compte, ceci peut entraîner un bouleversement très important qu'il va falloir prendre en considération également." De la salle, Mr : inaudible ... "Pourtant il y a des personnes qui veulent partir, quitter leur emploi..." Dr J.J.Chavanat : "Vous avez rencontré des gens qui vous ont dit ça, peut-être certains cas particuliers, mais globalement on ne peut pas tellement dire que les travailleurs quittent facilement le navire, et quand ils ont quitté le navire, c'est souvent qu'ils en ont pris beaucoup ! Vu les difficultés actuelles pour retrouver un travail, c'est pas exactement la même chose qu' il y a 30 ou 40 ans, quand on était pas content on partait; et on allait chercher du travail ailleurs, c'est plus vrai ; donc globalement la problématique n'est pas tellement des personnes instables qui ne veulent pas se battre, mais en général si elles veulent partir c'est parce que, certainement, que pour eux c'est insupportable. Peut-être partir avant de tomber malade, parce qu' ils ont un autre choix de vie, ça on n'en sait rien. Donc de ce côté là, je ne vous suivrai pas complètement, car la plupart des personnes qu'on voit sont plutôt accrochés à leur travail, justement par l'importance de cette activité qui est le travail, une activité tout de même qui leur permet de faire quelque chose de bien, c'est ce qu'on appelle la belle ouvrage, le beau travail qui va nous emmener toute la journée. Quand ce travail est maltraitant, et bien quand même on essaie de faire ce qu'on peut, et on a vu après des modifications dans la valeur travail, c'est peut-être ça que l'on pourrait discuter." Dans la salle Mme Chantal Cazzadori : " Je trouve cette pièce fantastique, en ce sens qu'elle présente beaucoup de tableaux dans sa mise en scène. Chacun des tableaux renvoie d'ailleurs aux images et au corps. A la fin du spectacle, le dernier tableau renvoie à la singularité des métiers, des sujets et là on se rappelle , on se dit, que tous ces gens qui font ces métiers spécifiques ont une tête, un corps, une compétence. Ce que l'on essaie de faire aujourd'hui dans le monde du travail c'est justement d'abolir le sujet pensant, c'est-à-dire d'abolir sa subjectivité qui ne se chiffre pas ! Si je reprends encore un de ces tableaux de cette magnifique pièce, ce qui me frappe et ce que j'entends aussi, combien on veut gommer les différences. L'entreprise devient un lieu trop ouvert, où tout le monde est ensemble, "copine", se tutoie, et par cette façon de confondre le public et le privé, de ne plus mettre de barrières, plus de hiérarchie, on tombe dans l'illusion. C'est une bonne façon de fabriquer de l'homogènéité, comme si on était tous pareils, ce déni de la différence est un danger. Il gomme la subjectivité et fait ainsi le jeu de ce néo-management, lié au libéralisme débridé qui viendrait 'tuer le sujet'." Dr J.J.Chavanat : Est-ce-que vous êtes d'accord sur la désubjectivation des salariés, qui justement a été tout à fait remarquablement montrée ,sur ces animations des jeux, qui mettent en place des systèmes, qui sont en apparence totalement dérisoires et ridicules et pourtant fonctionnent assez souvent ?". De la salle, Melle : "J'ai une proposition à faire, c'est d'inviter ce spectacle dans les Ecoles de Management et d'encadrement, merci beaucoup parce que c'est un spectacle qui fait du bien et qui donne une direction. Je trouve que l'art, la pratique artistique, est trop absente du monde du travail, ce type de proposition artistique vaut beaucoup de cours magistraux, sur l'encadrement, sur le fait de constituer des collectifs de travail. Après sur la question du collectif et de

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l'individuel qui est abordée dans le spectacle, il y a le gros problème de l'évaluation individuelle des agents, qui s'avère scientifiquement démontrée comme quelque chose de catastrophique en sciences humaines, et qui laisse penser que ce serait individuel, c'est-à-dire que si un travail est bien ou est mal fait c'est l'individu qui est en jeu, alors que le travail est collectif, il ne peut être que collectif.Si on est seul à travailler dans un bâtiment vide, on est forcément lié à ceux qui ont travaillé la veille ou vont travailler le lendemain, donc comment on peut reconstruire du collectif dans le travail ? Là vous parlez beaucoup du monde ouvrier, c'est vrai aussi pour les milieux intellectuels, comme dans les administrations et les métiers de services. Voilà, ma question qui reste ouverte c'est : comment reconstruire du collectif ? En tout cas merci." Dr J.J. Chavanat : "Pour reconstruire du collectif, il faut prendre conscience de l'importance du collectif, ça pourrait être de Mr de La Palice, ce que je vous dis là, mais je fais exprès.C'est à dire que les prises de conscience c'est vraiment quelque chose de difficile surtout quand on est pris et formaté dans un système, c'est très difficile de prendre conscience. A notre place là, lorsque nous sommes spectacteurs, ou nous qui sommes habitués à réfléchir sur les processus de travail, ça tombe sous le sens. Nous nous disons : mais c'est pas possible, le fait de briser les solidarités, comment ont-ils pu accepter ça ? D'individualiser, de faire une notation complètement individuelle avec des obligations "individuelles" : "qu'est-ce-que tu vas faire cette année? Où est-ce que tu vas porter ton effort ? Tu vas avoir fait quel gain? etc. Mais il y a aussi une autre chose, c'est l'importance de la qualité collective, ils disent eux aussi tous ensemble, parce que les patrons ne sont pas idiots ! Tous ensemble sur votre chaîne ou sur un certain type de travail que plusieurs vont mettre en place, dans un petit groupe ou dans un groupe moyen, et c’est ainsi que vous allez augmenter votre qualité. On peut penser que l’on va forcément augmenter cette qualité facilement. Et qu'est-ce-que ça veut dire augmenter la qualité ? Je crois qu'il y a aussi une autre difficulté, c'est la difficulté de, soit individuellement, on va plus ou moins truquer, on va faire pour être mieux, soi collectivement on va plus ou moins truquer tout autant. Il n'en a pas parlé Christophe Dejours, mais ça c'est également un cheval de bataille important. Ce risque, n’est pas tourné réellement vers quelque chose qui est une valorisation du travail, donc un travail bien fait, mais au contraire, c'est exactement l'inverse, c'est un travail qui va être plutôt plus mal fait, dans la mesure où on va pousser les gens, à faire telle ou telle chose devenue de fait irréalisable. A la fois individuellement et collectivement, alors ça paraît complètement antinomique, je dirais pour un manager. Un manager, à priori, qu'est-cequ'il veut ? C'est de faire du bon travail et gagner de l'argent. Ce qu'il va faire souvent, c'est qu'il va y avoir beaucoup de déchets, de choses qui ne marchent pas parce que son management n'est pas de qualité." De la salle, Mr : " " Pour rebondir sur la question de l'art, Jean-Pierre, le fait de jouer devant des managers et plus globalement quelle est la réaction du public ?"

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Jean-Pierre Bodin sur scène

Jean Pierre Bodin : "En fait c'est comment unir nos efforts, comment essayer de réfléchir ensemble ! Là du coup à partir du plateau.. Je ne sais pas si les écoles de management sont intéressées par ce genre de spectacle en ce moment, si elles vont faire appel à nous ? Christophe Dejours, a accepté d'être avec nous et d'être filmé, au moment où l'on discute avec lui pour le questionner sur la souffrance au travail, Alexandrine lui pose la question d'un seul coup : « Est-ce-que vous accepteriez d'être mis en scène ?", c'est-à-dire de témoigner, ça se voit pas il est juste assis sur la même chaise que moi, (rires) ça fait mise en scène... et du coup, on est face à ce chercheur, ça a pris quinze secondes, qui nous dit : "je vous dis oui et je vais vous dire pourquoi ? On a besoin de relais, le cinéma est important, le théâtre, tous ces arts sont importants, c'est grâce à eux qu'on va sans doute pouvoir continuer à avancer dans notre recherche". Alors effectivement comment continuer à conjuguer nos efforts pour pouvoir faire ça? D'ailleurs, samedi prochain on est invité par un comité d'entreprise, pas très loin d'ici, c'est la SNECMA à Chatellerault, alors je leur dis : "c'est pas le spectacle de fin d'année avec le sapin de Noël".. non, non,.. (rires), on est au courant c'est pas ça du tout, mais si on vous fait venir, c'est qu'on a des raisons. L'idée de cela, c'est de réaliser ce qui se passe ce soir aussi. Bon, les écoles de management, je ne sais pas...Evidemment le spectacle c'est de lier, de faire vivre ensemble, et ce qu'on a bien aimé, avec Christophe Dejours, ce chercheur, pour lui, il n'y a pas de fatalité, il est dans le faire, réfléchir à des solutions. Dénoncer c'est bien, faire des constats, mais faire aussi." Alexandrine Brisson : "Pour apporter une toute petite pierre à votre désir, qui est le nôtre aussi, en ce moment avec Christophe Dejours, on est en train de faire quelque chose, on est aux prémisses de quelque chose qui est... justement de montrer qu'il y a des solutions qui existent, qu'elles ont été mises en place, que ça fonctionne, et du coup on est en train de faire un petit film, pour l'instant à destination des grandes écoles de management. Actuellement, la première qui ont dit oui, c'est Science Po et c'est extraordinaire, on est vraiment très heureux, et voilà, c'est une évidence, votre question m'a fait du bien, car c'est exactement là où en est Christophe Dejours, qui a absolument envie d'aller dans ce sens. Sauf qu'un spectacle c'est très difficile, déjà un comité d'entreprise c'est une première étape. On a de toute façon et très régulièrement des débats, soit avec la médecine du travail, soit avec des spectateurs, parce que ça concerne énormément de monde. C'est pour vous dire que c'est ça qu'on a en tête,

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après aller jouer dans des écoles de management, c'est compliqué." Dr J.J. Chavanat : " C'est aussi le rôle des DRH, il n'y a pas qu'eux, bien sûr, ils sont en première ou deuxième et troisième ligne, en tout cas ils sont importants. Là aussi pour avoir un discours un peu optimiste, pour aller dans ce sens là, il y en a un certain nombre de personnes qui accepte de venir à certains séminaires, à quelques formations qu'on organise avec quelques collègues. Sur notamment le risque suicidaire, et ce qu'il faut faire, et comment y réfléchir, à travers justement le fonctionnement du travail. Et on a régulièrement, sur une journée ou deux jours, une cinquantaine de personnes qui viennent comme ça, de toute la France. Je pense qu'il y a tout de même quelques personnes qui se posent des questions, à ce niveau là." De la salle, Mlle : "A contrario, on parle là, des managers, des directions des ressources humaines, moi comme jeune active, je remarque que nous salariés, employés, nous n'avons pas forcément les clefs pour réagir à des situations qui se posent. Comme vous vous souvenez tout à l'heure, le tutoiement, une relation parfois qui permet l'effacement de la hiérarchie, je pose la question de savoir comment on peut accompagner, le travailleur, l'actif, dans l'appréhension et la compréhension de son environnement, pour que lui puisse, si le cadre n'est pas posé, lui se poser un cadre ? Je remarque aussi que le travail dans lequel on évolue à 25-26 ans est différent de celui dans lequel a évolué nos parents, et les conseils qu'on peut nous donner, ne sont pas applicables, n'ont plus de valeur. Je pense que la question ne peut pas se faire que du DRH et/ou du management, mais de nous, en tant qu'individu aussi, savoir nous accompagner et nous former, nous préparer au monde du travail. Je vois par exemple que dans l'administration on rejoint complètement la réalité d'une usine, d'une entreprise, c'est la même chose." Dr J.J.Chavanat : "tout à fait, on a parlé de ça parce que c'est venu, mais nous ne sommes pas obnubilés par les managers. Je suis assez d'accord avec vous, que la réflexion elle doit se faire, au niveau de chaque travailleur, c'est sûr, c'est bien évident quelque soit son poste. Quand on a comme vous 25 ou 26 ans qu'est-ce-qu’ il faut faire ? Quand on a un cadre un peu flou, qui ne convient pas forcément, comment je dois répondre ? Est-ce que je dois faire comme tout le monde, parce que sinon, je vais être stigmatisé, et on va être dans le coin, c'est-à-dire comme celle qui est stigmatisée parce qu'elle ne joue pas, avec les autres ! Il y en a pas pour tout de ces choses là, mais je crois que ça existe pour de vrai, comme le disent les enfants. Je crois qu'il y a, une façon de faire assez banal, pas forcément si facile, mais assez banal, c'est-àdire, de voir si on a suffisamment confiance en soi, de pouvoir se faire respecter, ça a l'air assez simple ce que je dis, mais c'est pas si évident que ça. Parce que, on est pas forcément dans un milieu hostile, mais dans un milieu quand même mouvant, et où, un peu comme les adolescents, je dirais, que quand on est pas comme les autres, c'est quand même pas facile.Vous savez que les adolescents, ce qu'ils ont besoin, c'est d'être comme tout le monde. Je veux dire que là, dans un milieu de travail, quand on est pas comme tout le monde, quand on dénote un peu, au départ, c'est quand même assez difficile. Mais vous pouvez éventuellement, parfois entraîner un, deux, ou trois avec vous, qui dit "Ben oui, moi, j'osais pas, je savais pas trop comment faire." Là aussi, faut pas complètement désespérer, tous les lieux ne sont pas hautement pathogènes je dirais. Mais parfois ce sont des milieux qui mettent en place, des relations inter-humaines qui ne sont certainement pas les meilleures, mais qu'on

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peut non pas changer peut-être, mais en tout cas s'en protéger en grande partie. Dire par exemple : "toi tu me tutoies pourquoi pas, mais moi j'aime pas trop ça ! ou être obligé d'embrasser son chef de service tous les matins, quand on n'a pas envie de le faire.. pour prendre un exemple un peu bateau." De la salle, Mr : "C'est la deuxième fois que je vois le spectacle de Jean Pierre, j'ai là, la même impression, alors je dis, je suis syndicaliste, j'ai été syndicaliste dans l'entreprise de 1500 salariés, délégué syndical CGT et secrétaire du CHSCH, et ce spectacle me renvoie... le titre est très évocateur :" très nombreux et chacun seul", et me renvoie au collectif. Ce que je crois, c'est pas un problème de génération aujourd'hui, les mots ont peut-être changés, et les formes de travail ont changées, les conditions du travail ont changées, mais l'organisation d'un collectif, se fera par la volonté de chacun de s'organiser, c'est pas évident, mais aujourd'hui, dans beaucoup d'entreprises c'est la difficulté. Evidement je connais bien le problème de Deshoulières, je suis ami avec Philippe Widdershoven, et Dominique. Philippe comme d'autres, même dans son syndicat il était isolé, il a porté beaucoup trop seul la charge qui lui était incombée. J'ai eu la chance dans mon entreprise, où nous étions une bonne douzaine, à se voir très régulièrement. Nous sommes devenus un syndicat CGT majoritaire, donc nous avions un certain nombre d'élus, nous étions une force collective très importante. J'ai vu des collègues venir en situation dépressive, ou pré-suicidaire, venir dans notre local, pleurer, dire les choses simplement, je peux en citer une : dans un groupe de travail, le chef de l'unité, convoque tout son petit groupe en disant "l'année prochaine, il va encore falloir en faire davantage,( ça c'est le discours que tout le monde connaît.. ) j'ai besoin de toute vos disponibilités, (il avait pour l'essentiel des femmes dans son unité de service), et il a dit : "j'espère qu'aucune d'entre vous n'aura l'idée d'avoir un enfant l'année prochaine", (et il y avait une collègue qui venait d'apprendre depuis quelques semaines, qu'elle était enceinte) alors il pose la question : "C'est bien le cas ?" . Elle lève la main timidement, en rougissant, les larmes un petit peu aux yeux, en disant "ben si moi, ".. Elle attendait son troisième enfant. La réponse du chef de service c'est : "mais vous êtes pire qu'une lapine".. Et la collègue s'est effondrée, et c'est une autre camarade du syndicat qui lui a dit : "vas voir nos amis, ils sont peut-être dans le local syndical". Elle a pleuré, ça a duré plus d'une heure.. Et tout de suite après,on a réagi, on a sorti un tract de quatre pages qui a été diffusé immédiatement, dénonçant cette attitude provocatrice, et là, je crois qu'à partir de ce moment là, ce n'était plus son problème à elle, mais c'était le problème d'un collectif. Et c'est ce qui nous manque terriblement aujourd'hui. C'est pour cela qu'en tant que syndicaliste, je le prends en pleine figure ce spectacle, parce que quelque part, il y a une faillite de nos organisations collectives, notamment des syndicats dans les entreprises. Donc ça renvoie à une autre question, celle de l'organisation , alors on peut trouver tout un tas d'excuses.. On en connaît des excuses, la cotisation, j'ai pas le temps etc.. ce que nous montre le spectacle c'est qu'elle est essentielle cette organisation collective dans l'entreprise, oui essentielle." Dr J.J. Chavanat : "Alors l'organisation syndicale, ça c'est évident, est promordiale et je pense qu' on a tous intérêt à pouvoir y souscrire, mais même en dehors de l'organisation syndicale, on doit avoir aussi des possibilités, à deux à trois à quatre, de se mettre un peu ensemble, pour des évènements de la vie quotidienne, afin de pouvoir se faire respecter." De la salle, le syndicaliste GCT reprend la parole : " Je voulais terminer par une demande,

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mais je sais pas si c'est possible. Il faut absolument que ce spectacle, il rentre dans l'entreprise, notamment au niveau des CHSCT. Je me demandais s'il n'y a pas de possibilité, sous forme de DVD, de faire quelque chose, qu'on pourrait diffuser largement, et ensuite il suffirait que des intervenants, psychiatres, psychologues, etc., viennent éventuellement animer le débat, parce que ton spectacle on va pas pouvoir le présenter dans les CHSCT, d'abord parce qu'il y a un problème de coût quelque fois , dans les petites entreprises, mais il faut absolument qu'il rentre dans l'entreprise ce document. Je sais pas si c'est réalisable." Jean Pierre Bodin : "On peut faire un autre spectacle, faire un tapis roulant de 50 cm, (rires),non mais après, c'est faire effectivement une autre forme de création, mais celui-là, il est comme ça." Alexandrine Brisson : " Excuse moi de t'interrompre .. C'est juste pour dire, que par exemple, pour moi ce spectacle, c'est du spectacle vivant, c'est pour ça que je trouve formidable que Jean Paul ait eu envie quand même qu'il existe ici, puisque c'est un festival de cinéma, oui d'images animées, et même moi, dans mon grand amour des images et du cinéma, j'ai fait en sorte, que surtout l'espace du théâtre soit respecté, c'est-à-dire que je projette pas sur un écran blanc, je projette sur du noir, c'est extrêmement important que les images ne viennent pas bouffer, c'est vraiment lui, c'est l'humain au coeur de ça, et si je ramène les images, à aucun moment elle ne doivent être en rivalité avec le jeu de l'acteur et avec le poème. Donc tout à coup, s'il met ça.. alors déjà c'est pas notre politique dans la compagnie, ce n'est plus du spectacle vivant ! et que je trouve toujours qu'on trahit.; alors c'est l'éternel problème de l'adaptation d'un roman, on trahit toujours à faire des.. des.. alors en plus, tu me poses la question au moment où je résiste, je me bats, on me demande de partout des images, des extraits de tous les spectacles de Jean Pierre pour que ce soit vendu sur images. Et aujourd'hui, alors que depuis des années, on achète des spectacles, simplement parce que l'on sait, on a confiance en quelqu'un, on sait que quelqu'un fait du bon travail et qu'on peut l'acheter, on peut faire confiance aux artistes de près. Maintenant on vous demande des machins des trucs, c'est la dictature de l'image, je prêche pas pour (qu'on existe ? mon église ??) parce que pour moi c'est l'image, et du coup, je freine des quatre fers. Je vois des gens qui sont en train de filmer ce soir, c'est très bien, c'est sans doute pour l'aventure de filmer le travail, mais ça me hérisse quand je vois un caméra dans une salle de spectacle.. C'est "gonflé" de ma part alors quand on fait des images. Alors effectivement on s'est posé la question, d' une autre forme du spectacle, ce sera toujours du spectacle, mais faire un dvd, soit c'est ce qu'on est en train de fabriquer avec Christophe et c'est une autre aventure, que ce soit très technique, ou bavard mais ce spectacle là, il est unique en tant que spectacle vivant. " Jean Paul Géhin , président du festival filmer le travail : " Vous avez posé le terme essentiel c'est le collectif. Je vois à filmer le travail, bien des gens nous disent, on pourrait peut-être montrer les films dans telle classe ou dans tel endroit, et nous disons : "il faut montrer les films dans les grandes salles, dans des cinémas, dans du collectif, avec du débat." On a sans doute le même avis là-dessus, et c'est important de maintenir ces questions là." "Je comprends ce qu'elle dit Alexandrine, je ne l'ai pas provoquée, mais ceux qui pourraient être intéressés, ils ne sont pas là, ils ne viennent pas dans ces spectacles là."

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De la salle , Melle : "En Poitou Charentes, il y a un réseau de comités d'entreprises qui organise chaque année un temps de visionnage en direction de tous les comités d'entreprises partenaires. Ils se fédèrent, c'est le collectif qui joue, chacun apporte de l'argent, ils louent une salle, et proposent que pendant une journée de visionnage des spectacles pour aider les délégués. Là, il faudrait peut-être leur proposer ce spectacle -là ?" Alexandrine Brisson : "Mais ils ne sont pas là, ce soir ! C’est une très, très bonne idée, répondra le Dr, J.J. Chavagnat." De la salle, Mr : "Christophe Dejours, ne dit pas là que ça peut s'arranger ? Il nous dit que le travail tel qu'il est organisé par le nouveau management, ça entraîne à trahir ses voisins, ses amis, à se trahir, c'est quand un petit peu désespérant .. Sa description correspond à beaucoup de chose, elle est faite aussi dans ses livres.. Vous dites qu'il faut reconstruire du collectif, il existe quand même des classes sociales, un patronat qui casse les syndicats, pourquoi Dejours il en parle pas ? Il parle du managment avec la banalité du mal, si la banalité telle que Arendt la décrit pour Eichmann, alors on n'a plus qu'à prendre les fusils on flingue ceux qui sont responsables ! Donc il y crois pas, car il continue à être professeur.. Je trouve qu'il y a un écart important entre une dénonciation et une prise de position politique !" Dr J.J. Chavagnat : "La dénonciation elle existe et elle devient de plus en plus entendue, en cela c'est déjà quelque chose qui est nouveau. Depuis 10 ans,ce genre de discussion, de prise de conscience est quand même beaucoup plus important qu'auparavant. Deuxième point, qui va dans l'autre sens, et il le dit ailleurs, c'est que ce qui est inquiètant, c'est que des personnes se suicident, depuis 10 ans, sur leur lieu de travail , ce qui est quand même relativement nouveau ! En 1996, j'avais fait un congrès sur les risques du métier, à Poitiers, soit le suicide dans différents métiers, c'est vrai que c'était pas abordé de la même manière. J'en ai discuté récemment avec Christophe Dejours. Il me disait : "vous comprenez bien qu'il y a quand même eu du changement." Je lui disais : "je suis d'accord avec vous, là ça me saute à la figure de manière encore plus importante, même si tout cela est inquiétant ! Mais ce qui est positif tout de même, c'est qu'on peut aujourd'hui en discuter grâce à ce spectacle, et aussi grâce à d'autres acteurs.J'ai tendance à penser qu'une certaine prise de conscience collective, nous permettra tout de même, j'espère d'économiser quelques vies, même si, en effet, ton aspect militant est à prendre en compte. J'en suis bien d'accord, mais camarades prenons-nous les armes ce soir ? Des responsables il y en a, dans cette histoire, on les montre du doigt bien sûr." De la salle, Mme : ... "Sur le mot désolation...sur la notion de l'égalité, il y aurait un gros danger, on voudrait la faire exploser, d'un côté on dirait qu'il y a celles dites sociétales donc d'égalité entre hommes et femmes, et celles dites sociales.Il y aurait un combat sur les questions, comme si l'égalité renverrait à des questions d'intellectuels engagés et celles sociales aux travailleurs.Qu'est qui est juste, faux, pas juste là ,vrai, pas vrai, est-ce-que l'égalité est importante, la liberté ? Il y aurait à mettre des choses en valeur sur la souffrance au travail effectivement, au niveau de tous et au niveau des métiers féminins particulièrement. Quand vous parlez d'organisation individuelle, tous les individus de la sté ne sont pas à égalité.." De la salle, Mr : "Je voudrais revenir sur le rôle du manageur évoqué déjà à plusieurs reprises,

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je suis représentant du personnel et je fais des expertises pour le CHSCT, ce que je constate souvent, c'est qu'on a aussi en face de nous, des managers qui eux-mêmes sont en souffrance, par des pervers parfois ou rarement, on a plutôt affaire à des gens en souffrance, par la pression qu'ils ont surtout pour les managers de proximité. Derrière, finalement, on met des paravents pour éviter de se poser les vraies questions. Il y a une évolution des organisations dont Christophe Dejours parle un peu dans cet interview.Ces nouvelles organisations qui sont, quand même, de plus en plus du côté de la déshumanisation, et auxquelles on forme chaque année, des bataillons de jeunes diplômés qui sortent d'écoles de commerce et de management , et qui vont garnir les rangs des responsables d'entreprises., et en particulier aussi, dans les cabinets de consulting qui vont prêcher la bonne parole, sans aucune critique par rapport à ce mode managérial qu'on leur aura inculqué , appris et qui font beaucoup de dégâts." De la salle, Mr : "Ma question au psychiatre , on se suicide au travail, ça veut dire qu'on tourne l'arme vers soi. Qu'est-ce-qui fait qu'on retournerait l'arme contre l'autre, la personne en face de soi.. on en entend peu de ces situations ! Une autre question, qu'est ce qui ferait que ça augmente ? Car on en parle plus ?" Dr J.J.Chavagnat : "Il peut y avoir ce qu'on appelle des homicides sans suicide, c'est un meurtre. On peut toujours tuer quelqu'un ! On peut dire camarades prenons les armes et allons tuer.. En fait on va pas le dire.. C'est vrai que cette idée là, en fait j'ai connu sans faire des révélations fracassantes, mais une fois dans ma consultation, les personnes qui sont venues me voir, qu'on m'a amenées, parce que ces deux personnes qui étaient des cadres de haut niveau, voulaient tuer le directeur général, c'était deux hommes et se suicider. Ils n'ont pas tué le directeur général et ne se sont pas suicidés, mais, ils avaient cette intention là, de manière très claire. Je n'ai pas connu de gens qui avaient tué d'autres personnes. De toute manière, que ce soit l'homicide ou le suicide, c'est quand même quelque part, un moment donné de détresse tellement importante, qu'on va perdre cette capacité à pouvoir décider, tellement la souffrance est importante. On est dans une situation que l'on appelle de désespoir. C'est très important ce que dit Christophe Dejours à un moment donné, c'est qu'il n'y a pas forcément de maladie mentale. C'est vrai et c'est pas vrai. C'est vrai dans le sens ou un épuisement professionnel, dans une organisation pathologique , n'importe qui peut etre mal et va être mal, mais tout le monde ne va pas forcément se suicider, heureusement, parce qu'il y en aurait beaucoup plus. Donc on voit bien que , là, il y a aussi des circonstances particulières et une personnalité. Par contre, il y a quelque chose qui me paraît très dangeureux, on ne peut pas tout dire ici, mais je reprendrai avec lui, ce qu'il dit par ailleurs, à savoir, que il faut faire très attention , quand notamment les patrons disent par exemple, si Gérard Dupont, s'est suicidé c'est parce qu'il était vulnérable, ou parce qu'il était plus faible, ou tout ce qu'on veut etc. Alors ça, c'est très dangereux de dire une chose pareille, parce que c'est la plupart du temps faux, mais parce que c'est pas du tout comme ça qu'il faut voir les choses. Ce qui est intéressant, c'est pas d'interroger ou seulement expertiser l'individu, c'est expertiser le système,l'organisation du travail, là je suis d'accord aussi avec Christophe Dejours.Quand celle-ci est "pathogène", n'importe qui, va forcément être mal. Ensuite, il peut avoir un certain nombre de symptômes, ça été dit, la liste peut-être longue. Ce peut être des symptômes, physiques, psychologiques, physiques et psychologiques, comportementaux, d'agressivité, sans aller jusqu'à l'homicide bien sûr, mais il peut y avoir, des manifestations d'agressivité, notamment des manifestations dépressives chez l'homme, c'est souvent de l'agressivité, car il va lutter contre ses affects

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dépressifs et il va être agressif, ça c'est tout à fait banal. En plus, il peut y avoir des prises de toxiques, de risques, il peut avoir un accident du travail, alors que l'accident du travail n'arrive pas non plus, forcément, "dans n'importe quelle circonstance", c'est souvent parce qu'il y a un dysfonctionnement dans la chaîne du travail. De la salle, Mr : "Je voulais dire deux choses, à la fois que j'aimais beaucoup le spectacle, surtout dans la période qu'on traverse, qui est une période où on nous fait une énorme propagande sur le coup du travail, pour le capital. En mettant complètement de côté, que l'idée que le travail a un coût pour les salariés, un coût humain. Nos petites vies, sans salaires,le travail à mi-temps, et ce que l'on est obligé de ravaler par rapport au boulot qu'on propose. Par contre je suis plus déçu, en particulier sur la fin, je pense pas que ce soit un retour à des travaux qui effectivement étaient valorisants pour les gens qui les faisaient. C'est pas le retour au plumassier, ni à l'ébéniste, etc. la question elle est effectivement d'avoir à la fois du collectif, mais aussi d'avoir un horizon qui dépasse les conditions dans lesquelles on travaille aujourd'hui. La Sté qui est la nôtre, ne peut produire que ce travail-là ! Même si le débat est un écho à la pièce, Je ne pense pas que la solution est de faire un management bio.. (applaudissements et rires)." De la salle, Mme : inaudible.. J.P Bodin : "Du coup je vais lancer un appel ! Comment on peut faire ensemble, l'exemple de Châtelleraut en est un. Le comité d'entreprise qui a envie qu'on organise avec le théâtre, comment faire avec le théâtre, pour que le C.E. puisse venir dans le théâtre, parce que la forme théâtrale est directe et importante. L'objet théâtral, sa forme artistique déclenche des discussions immédiates. Comment faire pour faire venir ces gens de l'entreprise ?" Alexandrine Brisson : "Pour les ouvriers et employés de cette entreprise là, c'est 3 euros la place, on ne peut pas faire plus accessible.. Après, Je vous propose à chacun d'y réfléchir chacun et ensemble." de la salle, Mme : "Je crois beaucoup à cette forme là, justement, le théâtre vivant, il a un autre impact. C 'est difficile mais possible. Nous, comité d'entreprise nous allons dans ce sens, pour susciter grâce à l'artiste, une participation active, c'est une gageure,même si c'est difficile, j'y crois." De la salle, Dr Belric : "J'apporte mon témoignage par rapport à la consultation santé et travail à Poitiers, et notre travail à Chauviny. Durant le débat de cette soirée, on est allé des problèmes psychologiques à ceux du travail. Comment lutter contre les conditions du travail pour éviter que les personnes se suicident ? Ce qu'il faut comprendre c'est que ce n'est pas la personne qui aurait des problèmes psychiatriques, c'est lié aux problèmes d'organisation et de fonctionnement du travail. On peut parler de pathologie réactionnelle aux conditions de travail. Puis il y a un troisième point, c'est celui de ceux qui restent les proches, comment se reconstruisent-ils à partir de leur souffrance ? Les médicaments apportent un peu mais pas beaucoup, des temps d'échanges seront essentiels là aussi." Dr J.J.Chavagnat : "Il faut savoir que la grande majorité des gens ne veulent pas mourir, mais

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tuer la souffrance en eux, l'important c'est donc bien de prendre en compte cette souffrance." De la salle, Mr parle du suicidé Philippe Widderschoven : inaudible Dr J.J.Chavagnat : "Juste un mot, le suicide c'est pas quelque chose qui va se décider aussi clairement que ça. Quand on interroge, on échange avec les personnes qui sont venues nous voir très peu de temps après, à postériori, on pouvait identifier un certain nombre d'éléments. Il était à bout en effet, hyper investi, il sentait bien qu'il y avait des problèmes de loyauté interpersonnels, comment faire pour avoir ces deux casquettes etc., ce sont des difficultés éthiques personnelles très difficiles.Tout cela fait le lit, le risque bien évidemment de passer à l'acte. Maintenant on peut toujours s'interroger sur ce qui aurait été possible, à faire à ne pas faire.. je pense que c'est pas ce soir qu'on va en débattre." Remerciements. Fin du débat Chantal Cazzadori Psychanalyste Invitée au Festival Débat enregistré par mes soins et retranscrit ici.

Au de?part de ce nouveau cru Tre?s nombreux, chacun seul, notre de?sir a? Alexandrine Brisson (re?alisatrice) et moi, de parler du monde ouvrier. Nous voici partis a? la rencontre d’ouvriers, a? Saint Junien, Sommie?res, Melle, Niort, Cha?tellerault, Chauvigny... avec nos carnets de notes, notre micro et pour la premie?re fois avec une came?ra pour gla?ner te?moignages, gestes d’hommes au travail, visages, usines. Nous voici aussi plonge?s dans les textes de Simone Weil, Henri Chombard de Lauwe, Christophe Dejours, Franc?ois Bon, Bertolt Brecht, Etienne de La Boe?tie, au festival « filmer le travail », ou fouillant dans L’inventaire des me?moires ouvrie?res de Poitou-?Charentes. Peu a? peu s’est dessine?e une direction plus pre?cise, et nos recherches se sont concentre?es une fois de plus a? Chauvigny (ville fondatrice du « fameux » Banquet de la Sainte-?Ce?cile, et par laquelle repassent tous les spectacles suivants). Nous de?couvrons en effet un article de Sonya Faure, journaliste a? Libe?ration, retrac?ant la vie d’un homme et de l’entreprise qui l’emploie. Cet homme se nomme Philippe Widdershoven, il e?tait a? la fois

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directeur informatique et de?le?gue? CGT au sein de la fabrique de porcelaine de Chauvigny. Il se donne la mort le 24 mars 2009, en laissant une lettre sur son lieu de travail demandant a? ce que son suicide soit reconnu comme accident du travail. Et, fait rarissime, son acte est de?clare? comme tel par l’entreprise. La question de la souffrance au travail s’impose alors comme incontournable. Le sujet nous ame?ne a? Christophe Dejours (chercheur, psychiatre spe?cialiste de la souffrance au travail) qui accepte, au cours d’une rencontre au CNAM, d’e?tre « mis en sce?ne » et filme? pour que sa parole, sa pense?e de chercheur, vienne sur le plateau e?clairer le re?cit. Christophe Dejours accepte, heureux que le the?a?tre s’empare de ce sujet, en e?cho sensible a? des recherches scientifiques. Aujourd’hui, le spectacle s’articule autour de pense?es diverses(paroles populaires, journalistiques, scientifiques, philosophiques, poe?tiques), d’images de jardins ouvriers, d’usines, de visages, de gestes de travailleurs. Ma de?marche habituelle qui consiste a? faire osciller le spectateur entre rires et larmes, est cristallise?e dans un « Cabaret du Scandale » qui entraine le public dans les jeux monstrueux des nouveaux managements pour « ne pas penser le souffrance ». Jean-?Louis Hourdin (metteur en sce?ne, « de?le?gue? de la parole des poe?tes »), Roland Auzet (compositeur) et Ce?cile Bon (chore?graphe) nous ont accompagne?s pour raconter par le the?a?tre cet e?tat des lieux du monde du travail, comment l’organisation du travail peut ge?ne?rer des e?garements, des souffrances, la perte de la notion du vivre ensemble et de l’estime de soi. Mais comme le dit si bien Christophe Dejours : « Il n’y a pas de fatalite? » ! Le the?a?tre permet aussi de rester debout et donner a? entendre et a? voir un chant joyeux contre ceux qui bafouent le vivant. Jean-?Pierre Bodin Lire l'intégralité du texte ici: http://www.jeanpierrebodin.com/docs/Tresnombreuxchacunseul_dossier.pdf

Poe?tique du corps au travail Venir du dehors, de ces jardins sans a?ge, et entrer en douceur dans des petites vies d’hommes et de femmes. De?couvrir un espace vide ou? un homme s’emploie a? nous offrir le re?cit du travail, celui qui fut, celui qui est, celui qui meure, celui qui tue. Les mots de vie et l’humanite? en marche, a? reculons ou pas, sans tre?ve, qui avance sur un tapis roulant, efforts vains puisque la machine rompt l’homme et le re?duit a? l’obe?issance sans espace de re?flexion ni de re?pit. Rentabiliser. Objectifs. Objectifs justement : Filmer le vide, le trop plein, ou l’infiniment petit du geste qui prend toute la place. Se saisir de ce que le corps et l’esprit ont me?morise? du geste lorsque celui-?ci est se?pare? de l’outil. Se situer entre le geste et l’objet, et l’offrir en tre?s grand a? la vue, sans souligner le re?cit, au contraire, autre re?cit silencieux, ou plus exactement emplit du bruit du geste lui-?me?me sans commentaire.

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La re?pe?tition du geste, annihilant l’e?tre pour aider a? la rentabilite? du faire. Les mouvements inlassablement re?pe?te?s : torsions, e?le?vations, pressions, pre?hensions, flexions. Attention, fragile ! Corps soumis aux machines, machine lui-?me?me. Corps en vie tant que le geste la remplit. Puis corps malades Et corps en arre?t. Silence Et vide L’immensite? du vide et du silence lorsque s’arre?tent les cadences. Re?sonance de l’espace lui-?me?me, livre? a? lui-?me?me. Et visages refle?tant le trajet, la lumie?re du feu et la pe?nombre des nuits, la bru?lure du temps et la trace des rires, elle-?me?me inscrite en eux, au plus profond des rigoles creuse?es dans la chair. Ombre et lumie?re sur les yeux qui fouillent la me?moire et, silencieux, nous racontent une vie de labeur. L’image tremblante, presque de?lave?e, surgie de l’obscurite?, projete?e sur le tulle noir pour faire oublier l’e?cran entre deux projections. Jardins ouvriers. Usines patronales. Chercheur mis en sce?ne pour ne donner a? entendre que le de?roule? de sa pense?e. Et le geste de l’homme, de?cuple?, amplifie? par tout son re?cit, qui offre a? l’imagination les images silencieuses. Ne pas montrer ce qui se dit, mais dire ce qui se tait. Alexandrine Brisson Lire l'intégralité du texte ici: http://www.jeanpierrebodin.com/docs/Tresnombreuxchacunseul_dossier.pdf

Cie La Mouline | Jean-Pierre Bodin Très nombreux, chacun seul Spectacle diffusé à Châtellerault grâce au Comité d'Entreprise de la SNECMA. Ouvrier s'imposant à tous par sa qualité professionnelle, Philippe Widdershoven, gravissant tous les échelons, était devenu directeur informatique d'une usine de porcelaine, à Chauvigny dans la Vienne ; et, par son dévouement aux autres, délégué du personnel CGT. Le 24 mars 2009, il se suicide, froidement, dans un acte réfléchi préparé avec soin, comme tout ce qu'il fait. Rien ne laisse prévoir le geste, mais il laisse une lettre où il demande que son suicide soit reconnu comme accident du travail. Ce qui, fait rarissime, a été déclaré comme tel par son entreprise. Pourquoi ? Partant de cette interrogation, Jean-Pierre Bodin se livre à une formidable exploration du monde du travail et de ses mutations. Ponctuée d'une intervention filmée d'un psychiatre spécialiste de la souffrance au travail, ainsi que de nombreux témoignages, dont

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ceux des anciens ouvriers de Châtellerault, il donne la parole aux « petites gens », avec une générosité fraternelle. Une pièce qui oscille entre autopsie d'un drame et rêve de noblesse ouvrière, dont le sérieux sait ne pas négliger la légèreté, voire le rire. Pour tout savoir sur Jean-Pierre Bodin Collectif de réalisation: Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin, Roland Auzet | Avec : Jean-Pierre Bodin et la participation de Christophe Dejours | Sur une idée de Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson | Textes : Simone Weil, Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Christophe Dejours, Sonya Faure (Libération du 15 avril 2009) | Mise en scène : Jean-Louis Hourdin | Musique : Thibault Walter. Images : Alexandrine Brisson | Travail chorégraphique : Cécile Bon | Lumières : Gérard Bonnaud | Costumes : Alexandrine Brisson | Régie générale : Jean-Pierre Dos | Régie lumière et constructions : Jean-Baptiste Herry | Régie son et images : Bruno Michelet | Production déléguée : La Mouline, Jean-Pierre Bodin | Coproduction : Act-Opus, Compagnie Roland Auzet, GRAT, Jean-Louis Hourdin, la Ville de Chauvigny et Mégisserie Saint Junien | Avec l'aide du Ministère de la Culture - DRAC PoitouCharentes, l'aide à la diffusion de la Région Poitou-Charentes et l'aide du Conseil Général des Deux-Sèvres | Avec le soutien du Théâtre Dijon Bourgogne, de la Société d'archéologie et du Musée d'histoire et d'archéologie de Chauvigny | La Mouline est conventionnée par le Ministère de la Culture - DRAC Poitou-Charentes et la Région de Poitou-Charentes. © Vincent Arbelet Lien

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Nouveau livre : "L'effroi du néo-management", Chantal Cazzadori Trois expériences impossibles aujourd'hui? http://www.chantalcazzadori.com

« CRÉER N’EST PAS JOUER » Date : 12 août 2014

Les Cinquièmes Rencontres de Suze-La-Rousse sur le thème de la création, les 5 et 6 juillet 2014.

L’appellation art thérapeute n’est-elle pas l’expression même d’une colonisation par l’institution médicale de l’espace artistique ? Le lieu artistique à savoir, l’espace habité par l’artiste ne peut être réduit à des méthodes. Il est la scène même du bizarre, de l’inexploré. Beaucoup d’artistes côtoient dans cet espace mental qu’est la création, des impressions voisines de ce que décrivent certains êtres en souffrance psychique. L’objet final, à savoir l’oeuvre est souvent le résultat victorieux du combat intérieur pour sortir de certaines étrangetés. L’alliance thérapeute-artiste me semble préserver l’hétérogénéité dans un atelier psychiatrique.Les spécialistes au carrefour des deux fonctions sont à mon sens les colons perdant le lien irrationnel entre le patient et l’artiste. L’artiste voyageur de l’innommable peut accompagner certains patients à cheminer dans des espaces quelques fois chaotiques, quelques fois limites. Monsieur Jean Paul Klein déclare dans un de ses ouvrages : « l’art thérapie ne prétend à l’art que par surcroît ». Je m’interroge sur ce qui a initié cette formule. Je crois que l’art est employé dans cette appellation de façon triviale. En effet, l’objet final du créateur, de l’artiste se veut être oeuvre d’art. Il n’y a pas d’art sans oeuvre. Il est donc abusif de parler d’art, lorsque l’oeuvre, l’art sont de surcroît. Matisse parlant de l’oeuvre nous dit : « une oeuvre doit porter en elle-même sa signification

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entière et s’imposer au spectateur avant même qu’il en connaisse le sujet ». Pour parvenir à une telle maîtrise, il faut par un moyen ou un autre, avoir résolu certains encombrements psychiques. Artaud n’a jamais été génial lorsqu’il était hospitalisé. L ‘outil d’analyse doit être au mieux de sa forme. Ce n’est n’est justement pas les problèmes psychiques qui sont moteurs d’une oeuvre. Cette dernière est pour moi l’émergence d’un espace mental qui n’entretient pas forcément de lien avec celui du langage. les mots sont souvent désuets dans leurs tentatives de mettre un pont entre langage et œuvre d’art. Apollinaire disait de Picasso : « Il étudie un objet comme un chirurgien dissèque un cadavre ». Allez au delà de l’émotion pour ne mettre en scène que l’évènement spatial, voilà pour moi le but de l’oeuvre. Elle n’est sûrement pas motivée par les états d’âme, bien au contraire. Ceuxci l’amputeraient d’une pertinence nécessaire à son existence. Cet exercice quotidien qui consiste à s’extirper du joli, du viscéral confère au praticien de l’art une distance. Un décalage qui paradoxalement facilite son approche d’ouvrages exécutés par des patients. Ils peuvent dessiner des messages d’ordre intime et par là-même les renvoyer à leurs auteurs. Le champ pictural ou sculptural est comme le tableau vierge d’une salle de classe. Il peut être utilisé soit par un savant, soit par un quidam. L’important c’est ce qui est inscrit. Einstein comprendra que l’on puisse faire des additions, le quidam ne comprendra pas forcément e=mc2. Seul le travail lui permettra la compréhension de la formule. Le tableau, la craie, restent pourtant les mêmes outils pour l’un et pour l’autre. La création a des impératifs. Baudelaire déclare : « Il est une chose mille fois plus dangereuse que le Bourgeois, c’est l’artiste bourgeois qui a été créé pour s’interposer entre le public et le génie, il les cachent l’un à l’autre ». Travailler à une oeuvre c’est évacuer tout ce qui peut être complaisant. Pour citer Jean Paul Sartre : « on ne met pas ses malheurs dans un livre, pas plus qu’on ne met le modèle sur la toile, on s’en inspire et ils restent ce qu’ils sont .On gagne peut-être en soulagement passager à se placer au-dessus d’eux pour les décrire, mais le livre achevé on les retrouve. » La mauvaise foi commence lorsque l’artiste veut prêter un sens à ces infortunes, une sorte de finalité immanente et qu’il se persuade qu’elles sont là pour qu’il en parle. Lorsqu’il justifie par cette ruse ses propres souffrances, il prête à rire. On ne sauve pas le mal, on le combat. Le label « Art Thérapie », me paraît être le nouvel habillage d’une pratique maintenant ancienne dans les hôpitaux, consistant à faire avec, en accompagnant, en suivant etc.Les qualificatifs sont nombreux et variés, Ils nomment tous la même mise en scène, un patient, un soignant et média de cette situation, l’objet. Je crois que l’art thérapeute peut être amené quelque fois à justifier sa fonction et par làmême, dévier l’irrationnel, l’étonnant à des fins corporatistes. Son éthique n’étant pas là mis en cause, bien sûr. L’artiste du lieu indépendant où il se trouve me paraît être le candidat idéal pour préserver, restituer ce qu’il y a d’affectif et d’émotionnel dans une oeuvre d’art. En inversant la citation de Monsieur Klein,on pourrait dire : « L’art est affectif et émotionnel de surcroît ». L’art thérapie sans art reste thérapie. L’art sans oeuvre n’est pas de l’art. Je crois réagir fortement à la dénomination « art thérapie » parce qu’il me semble que la formule amène une contraction de l’espace artistique, du fait de cette appropriation, Il tourne l’art en dérision, d’où mon impression de violence faite à cet espace, qui j’en suis certain saura se libérer de l’amalgame. Un artiste du fait de son humanité peut éventuellement trouver quelques pistes de soin dans son oeuvre, mais c’est par surcroît. L’éthique l’en

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dissuadant bien vite. Michel Botbol (1), lorsqu’il était patron du CPR de Senlis m’a donné la possibilité de faire une expérience qui a duré six mois. Immergé un artiste dans une institution sans qu’il soit soumis à l’impératif de soigner. J’allais toutes les semaines faire mon travail d’artiste sous le regard des pensionnaires qui désiraient venir dans les lieux réservés à cette pratique. J’étais régulièrement invité à participer aux réunions institutionnelles et je dois dire chaleureusement accueilli par l’équipe. J’ai pu fabriquer mais pas créer ce que je veux dire par là, c’est que j’amenais une de mes sculpture en cours, et je continuais à la réaliser sous les yeux des enfants. Par contre, l’atelier était toujours rempli d’enfants. Intrigués par le bruit, les outils et la pratique elle-même. L’institution devenait mécène et par la-même, nommait vraiment le lieu du créateur. Je n’avais pas à justifier telle ou telle performance soignante auprès d’un enfant. j’avais toute latitude pour évoquer les aspects de mon vécu dans l’institution. Je sentais que ma position dans leur établissement en disait long sur leur outil de travail et la performance de ce dernier. J’ai souvent été le confident de leurs rêveries poétiques. N’étant pas grimé en pseudo soignant, mon action ne fut pas pervertie. Le regard du créateur débusque souvent ce qui fait système du fait même de l’outil utilisé pour créer. C’est parce que l’artiste n’a pas le rôle de thérapeute qu’il peut aider à la thérapie. Il ne met pas forcément en scène les ingrédients connus, pour ce résultat. Par contre, sa complicité avec le thérapeute, multiplie les possibilités de soin pour les patients. Bernard Susperregui Sculpteur * conférence enregistrée et retranscrite par Chantal Cazzadori pyschanalyste, (1) Michel Botbol : secrétaire général de l’Association Française de Psychiatrie (Brest),

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Photo de Jean-Bernard Susperregui

Ou l’énigme de la déchirure… Jean-Bernard Susperregui est né en 1952 à Paris. Il vit et travaille en Seine-et-Marne, en France. Autodidacte, il réalise ses premières sculptures en 1969. ’’De son maître Marino di Téana, Jean-Bernard Susperregui a appris l’importance du vide, et celle de la patience. Comme le sculpteur italien, il sait en opposant deux masses, donner à leur intervalle une densité presque palpable. Comme lui, il a su résister aux sirènes de la mode pour lentement construire une œuvre. Mais l’élève s’est affranchi pour partir dans des directions nouvelles et inattendues’’, écrit Harry Bellet. En 1975, il est repéré par Gilles Vallée qui l’expose à la Galerie du Haut Pavé à Paris. Depuis, les expositions personnelles et collectives s’enchaînent partout en France. Entre 1989 et 1991, il se fait remarquer pour ses créations de décors pour le théâtre, notamment dans le cadre du Festival d’Avignon. En 1998, il crée une œuvre monumentale, une fresque de huit cents mètres carrés d’acier et de rouille, pour le théâtre de Toulouse. En 2002, il réalise une sculpture monumentale à Corbeil-Essones dans le cadre d’une commande publique. En 2004, commence sa collaboration avec la galerie Alice Mogabgab qui le présente à Londres en 2005, à Beyrouth depuis 2006, et en 2011 à la foire Art Paris au Grand Palais. ’’Dans un large éventail, écrit Caroline Edde, historienne de l’art à Paris, les sculptures de

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Jean-Bernard Susperregui englobent des contradictions apparentes ; le vide et la forme, l’ouvert et le fermé, le positif et le négatif, le statique et le dynamique, la symétrie et la dissymétrie, la légèreté et la pesanteur. Loin de s’annuler entre elles, ces polarités se manifestent dans un jeu d’intercommunication favorisant de nouvelles relations. De ce dialogue incessant entre les éléments naissent de multiples configurations plastiques qui perturbent nos façons de penser l’espace. [...] Chaque œuvre est une invitation à jouer avec ces couples de contraires, à opérer des permutations, à rencontrer le simple et le complexe, à découvrir ce que le vide recèle et dissimule.’’ Vers le site Internet de Jean Susperregui À VOS AGENDAS !

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Un processus créatif en interaction Date : 12 août 2014

Vue du château du village de Suze-La-Rousse

Dans cette troisième intervention, j’ai choisi l’artiste Ivan Sigg, peintre et romancier, pour transmettre un autre cheminement et une traduction différente de la création. Avec lui, nous allons assister à une improvisation publique, en interaction avec la salle, et découvrir la gestation du processus de création, projeté sur grand écran.

Ivan Sigg, muni d’un iPad , va créer de façon ludique avec un stylet sur son écran tactile, à l'aide du logiciel de peinture numérique Brushes (utilisé par David Hockney lors de sa dernière exposition). Ici et maintenant, pris dans les discours entendus lors de ce colloque, Ivan Sigg fait confiance à une salle attentive et réceptive pour associer à haute voix sur ses gestes de peintre, prenant la salle à témoin et l’invitant elle aussi à interagir. Ses commentaires étaient liés à ses propres interrogations sur ce qui surgissait sous ses traits

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dessinés et interrompus par les réactions et questionnements de la salle. L'artiste exprimait ainsi ses mouvements inconscients et conscients dans un jeu ludique de créativité. Partir d’un non savoir, de la non maîtrise pour jouer également avec le savoir : l’aisance du trait, de la construction, des règles sémiotiques de l’image, de sa pratique de peintre, telle était sa gageure pour arriver au bout du processus de création, en un temps donné, afin de rencontrer la surprise, la trouvaille, l’inattendu. Après bien des censures levées, de l’audace à tout bousculer, effacer, se perdre, reprendre, et à s’autoriser aussi par la parole pour rendre compte de sa production, l'artiste qui va de tâtonnements en libertés décrétées, ne nous dit-il pas :« Créer c’est jouer » ? Chantal Cazzadori

Ivan Sigg m’a transmis directement de son blog, (ivansigg.over-blog.com) cette expérience réalisée au colloque sur la création, à Suze La Rousse. Il l’exprime avec ses mots en les éclairant par des étapes intermédiaire de son oeuvre. Il nous offre ici un objet de création tout à fait étonnant. Du processus de création Les 5 et 6 juillet 2014 j'ai eu la chance d'intervenir dans un Congrès passionnant de l'Association Française de Psychiatrie dont le thème était "De la création". Voici un résumé de mon intervention devant une salle de 70 psychiatres/psychanalystes. DU PROCESSUS DE CRÉATION Mesdames et Messieurs, vous allez assister à une expérience artistique et ludique. Il s'agit d'éclairer, autant que faire se peut, le processus de création. J'ai donc 45 minutes pour improviser une peinture sur un écran tactile, en direct devant vous, et essayer de décrire ce qui est en train de se tramer sur la tablette, en moi et dans l'interaction avec vous. Je n'ai aucune attente, il n'y aura donc aucune déception au final. N'hésitez pas à prendre le micro pour proposer interprétations et analyses sauvages de ce que vous voyez surgir. 1ère étape Commençons par un outil simple, disons l'équivalent d'un stylo Bille noir, et testons-le sur la page blanche. Je laisse tourner mon stylet sans le lever de l'écran. Aussitôt je repère que ma main tourne vers la gauche. Voyons ce que cela donnerait si elle était dextrogire ? Apportons maintenant une couleur transparente au pinceau. Plaisir de glisser la peinture en gestes larges, derrière mon dessin, grâce à un calque, ce qui est impossible à faire sur une toile dans l'atelier. Ça se tient. Je pourrais m'arrêter là et signer. Cependant, je suis en terrain familier, il n'y a pas d'étonnement ou de découverte à ce stade, et aucune histoire n'a vraiment débuté. alors continuons.

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Dessin de Ivan Sigg - © Ivan Sigg

2ème étape Je constate que trois corps sont apparus, deux assis et un sur le dos jambes en l'air, réminiscences de poses d'atelier sans doute. Je vois ce début comme un échauffement. Ce sont mes gammes. C'est l'équivalent de la structure en fil de fer sur laquelle le sculpteur va monter son plâtre. Promenons-nous dans ce paysage humain que je viens de laisser surgir sur la feuille. Je prends un outil calligraphique plus épais qui génère des pleins et des déliés, à la fois pour me détacher de ce premier trait fin, et pour donner une vibration au dessin. Hé hé en contournant les trois formes, comme si je faisais le tour d'une île pour la circonscrire, je découvre la silhouette d'un rhinocéros ! Excusez-moi, il va falloir que je vous oublie un peu. Jusque là j'étais attentif à tout (c'est à dire ouvert à votre présence et à tous les possibles) et sans attente, mais maintenant je suis concentré (j'élimine tout ce qui n'est pas ce rhino) pour réaliser cet animal. Est-ce que c'est moi qui vous fait face ? Pourquoi surgit cette animalité ? je repense à ma pièce de théâtre Animalamlet où Ophelia est une autruche et Hamlet un rhino, ce qui rend difficile les rapports amoureux et sexuels. La sexualité à quatre patte et deux cornes, donc...Il a les pieds sur terre, il est bien stable et ancré, mais il a le front bas...

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Dessin de Ivan Sigg - © Ivan Sigg

3ème étape Bon, tout recouvrir de rouge avec une grosse brosse. La passion, Le désir, le sang, le vin, la révolution, la Rhinolution ? pourquoi pas. Une parenthèse : j'ai tenté de faire ce même travail que je réalise devant vous en peinture, avec les mots, dans mon roman "La touffe sublime" (Julliard). J'y recense tous les facteurs qui contribuent à la naissance d'une oeuvre... Je ne peux me résoudre à totalement faire disparaitre ce rhino avec mon coup de rouge : je laisse quelques repentir et je "Multiplie" ce rouge et ces repentirs avec le calque du rhino. Intéressant, non ? Giacometti et Durer qui rencontrent Nicolas de Stael, ha ha ha. J'ai produit du hasard en mixant ces deux strates. Pour l'instant, les applications de peinture ne savent pas génèrer d'elle même l'accident ou le hasard. Je n'aurai jamais placé volontairement ces taches/trouées de lumières à ces endroits là, mais je les accepte volontiers parce qu'elles me surprennent. Tiens, je n'avais pas vu ce coeur au centre de la bête ?

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Dessin de Ivan Sigg - © Ivan Sigg

4ème étape je vais maintenant utiliser une gomme douce pour obtenir des transparences, effacer un peu l'animal pour revenir à de l'humain, et enfin tempérer ce rouge trop dominant. Un regard interrogateur surgit. Un oeil dur et un oeil triste. Un sourire mitigé. Un gros feutre noir pour faire surgir un contexte derrière cette figure, en taillant un paysage urbain : voilà que surgissent les châteaux de Suze la Rousse et de Grignan. Peut-être des réminiscences de la guerre de 14 à cause du spectacle d'hier soir sur la correspondance de Georges Clémenceau ? "On dirait Freud " lance une spectatrice. "Un poilu donc !? Fais-je, mais pas de 14" Ha ha ha. cela dit je ne vois pas où est la ressemblance avec le psychanalyste, mais je joue le jeu et je plante des poils sur le menton et sur la tête ! J'aime bien cette image. Elle est un peu dure, mais elle commence à bien vibrer. On dirait que le personnage bouge, qu'il est traversé par le décor. je pourrais signer cette étape. Je vais en faire une sauvegarde.

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Dessin de Ivan Sigg - © Ivan Sigg

5ème étape Créer, c'est s'autoriser c'est à dire, se libérer de toute autorité intérieure ou extérieure. Il ne me reste que deux minutes avant la fin de mon intervention aussi je vais tout bouleverser à grands coups de ciseaux ! Allez, je me lance. Ne pas avoir peur de bousculer le résultat au dernier moment, dans l'urgence, pour me surprendre, pour vous surprendre. Ce bleu clair, cet air frais, tranche, découpe, taille, je dessine quasiment les yeux fermés. je sens que du neuf surgit. Et voici qu'en rajoutant quelques traits rapides, apparaissent à droite une vieille femme, à gauche une jeune femme, et au centre un homme carré éléphantesque dont tout le corps regarde le monde en face. Qui sont ils ? L'artiste au centre avec à droite sa mère et à gauche sa femme avec qui il prend son pied ? ou bien sa fille qu'il retient par le pieds pour qu'elle ne parte pas de la maison ? Et enfin, le père en filigrane, puisque c'est "Le père DIVAN" autrement dit à la fois Freud et le mien (le père d'Ivan, psychiatre/psychanalyste).

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Dessin de Ivan Sigg - © Ivan Sigg

Fin Ivan Sigg 6.VII.2014 Pour les institutions culturelles, entreprises, centres de formation, Tink tank, intéress?s par ce type d'intervention, n'hésitez pas à me contacter : ivansigg@free.fr Je vous invite également à visiter mon blog: ivansigg.over-blog.com

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Lu sur Infosuicide.org Date : 7 septembre 2014 jeudi 4 septembre 2014 ON NOUS SIGNALE ...Un article sur une pièce de théâtre "Nombreux, chacun seul" Présentation d'une pièce de théâtre : Très nombreux, chacun seul Jean-Pierre Bodin Alexandrine Brisson Christophe Dejours - Jean-louis Hourdin sous le titre : théâtre documentaire. "Cette pièce de théâtre, évoque en filigram, le suicide d’un proche du réalisateur de la pièce, qui habitait son village, un cadre supérieur qui ne s’est pas « raté »… dans la région Poitou Charente. Lire la suite

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À ne pas manquer, "Tête haute: 8 mois de bagarre" Date : 7 septembre 2014 SYNOPSIS DE TÊTE HAUTE : 8 MOIS DE BAGARRE Fin 2011, le groupe industriel français Montupet, sous-traitant en culasses pour voitures, fait une proposition à ses salariés des Fonderies du Poitou : une baisse de 25% de leur salaire ou rien. Les salariés décident de se battre mais les négociations échouent. S'enchaînent l'arrêt de la production, le blocage du site et le placement en redressement judiciaire. Après huit mois de luttes, Renault fait face à ses responsabilités et trouve un repreneur. Les fonderies poursuivent leur activités avec des commandes assurées sur plusieurs années. Les fondeurs produisent près d'une culasse sur deux des voitures Dacia et Renault. LA CRITIQUE TV DE TÉLÉRAMA DU 06/09/2014 C'est la lutte des culasses. Septembre 2011 : les salariés de la Fonderie du Poitou Aluminium d'Ingrandes (Vienne), qui produisent des culasses pour voitures, ont un nouveau propriétaire, le groupe Montupet. Celui-ci vient de racheter leur usine, passée d'un fonds de pension à l'autre pendant treize ans. Jusqu'en 1998, c'était Renault leur propriétaire, et il reste leur principal donneur d'ordres. Montupet possède d'autres usines, où les salariés sont payés 25 % de moins. Il veut donc imposer les mêmes conditions : ses nouveaux ouvriers passeraient de 1 600 € à 1 200 € par mois. Ils vont se battre, huit mois durant, pour le maintien de leur salaire et la pérennité de leur emploi. Originaire de la région, Yves Gaonac'h livre un reportage aussi sobre qu'encourageant. Il vient rappeler, en ces temps où les droits des travailleurs sont remis en cause (débats sur la suppression du smic, des seuils sociaux...), qu'un syndicat, une grève et un blocage restent d'efficaces moyens pour préserver ses droits, voire en gagner de nouveaux. Mais pour qui ne serait pas sensible au propos politique, il s'agit aussi d'un document précieux sur les différentes étapes d'un mouvement social et d'un redressement judiciaire, notamment lorsqu'il expose les débats entre salariés sur la stratégie à mener. Ainsi s'éclaire un pan de la vie sociale souvent ignoré par la télévision. — Frantz Durupt Frantz Durupt À ne pas manquer dans ce blog, l'article "Les fondeurs du Poitou" PROCHAINES DIFFUSIONS TV DE L'ÉMISSION TÊTE HAUTE : 8 MOIS DE BAGARRE Tête haute : 8 mois de bagarre mardi 09/09/2014 à 22:35 sur France 2 Showview : 2998809

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voir dans le programme TV dimanche 14/09/2014 Ă 03:35 sur France 2 rediffusion Showview : 1116068 voir dans le programme TV En savoir plus sur http://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/tete-haute-8-mois-debagarre,82641489.php#EzoBXXi9XSLUGtW3.99

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24 heures de la vie d’un Open Space. Date : 30 septembre 2014

Ce tour de force et de culot en renonçant au dialogue durant 1H30, tel est le résultat de ce spectacle conçu et mis en scène par Matlida May, au Théâtre du Rond Point, en cette rentrée 2014. Entre dessin animé, cinéma muet, le geste accompagne un joli vacarme silencieux. Les bruits de la vie quotidienne au bureau, ses onomatopées et ses borborygmes se passent d’un texte écrit relevé par une mise en scène quelque fois dansée, « chantée », pleine de gags. Mesquineries et grandeur humaine s’illustrent sous nos yeux d’enfant épris de l’univers burlesque qui, brusquement rejaillit là et nous emporte. Rire sur l’humain défait de son humanité, esquive le désenchantement d’une réalité aberrante, voir pathogène de l’open-space. Cette pièce fait également place à une dimension imaginaire qui nous procure un autre espace de pensée et de jubilation tout à fait tonifiant et qui a pour vertu de s’adresser à tout public. Une distribution brillante, animée par une scénographie très réussie, dans un décors à la Jacques Tati, témoignent d’un vrai talent collectif. Quel beau travail ! Chantal Cazzadori Le synopsis de la pièce

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Open Space par WebTV_du_Rond-Point Note d'intention Note d’intention « Hharghr grùchtrbtr chtrhkof ? » Mathilda May écrit et dirige cette fresque folle sur le monde du travail. Six personnages dans un open space sont condamnés à vivre ensemble le temps d’une journée.Une épopée tragique et drôle, entre Kafka et les Monty Python. Une journée dans une entreprise (de style petite compagnie d’assurance), de l’ouverture à la fermeture du bureau, en open space. Avant de faire sens, le langage est d’abord musique. C’est à partir de cette idée que j’ai élaboré le vocabulaire de ce spectacle visuel, sans texte. Les contraintes de la cohabitation au quotidien, la proximité et l’enfermement sont les ingrédients de base de mon inspiration, l’open space devenant le théâtre de la comédie humaine par le biais du monde de l’entreprise. Dans ces aménagements dépersonnalisés pour optimiser le « travail commun », la solidarité côtoie la concurrence, la rivalité s’oppose aux liens qui se tissent et la hiérarchie fricote avec la séduction sous la pression du rendement. On s’affronte, s’attire, ou se surveille, toujours à visage découvert. On fatigue, on survit (ou pas !). Et on s’aime aussi... Sous les airs de Monsieur et Madame Tout-le-monde, les employés vont se débattre dans ce lieu où la stratégie du travail pseudo-collectif ne fait en réalité, qu’accentuer l’isolement et exposer l’intimité. Mais derrière la mécanique du quotidien et l’absurdité du cadre, se cache le merveilleux : l’humain, qui se débat, survit, et continue de rêver. Mathilda May Cliquez pour lire le dossier de presse Accédez directement au site du Théâtre du Rond Point en cliquant ici.

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