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La science, la technologie et l’innovation sont essentielles aux transitions vers davantage de durabilité
Sans une accélération nette de l’innovation bas carbone, on ne pourra atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Les transitions vers davantage de durabilité des systèmes d’énergie, d’alimentation ou de transport, par exemple, dépendent du développement et du déploiement de technologies structurantes. Pour mener à bien la transition vers la neutralité carbone dans les proportions et au rythme visés, des investissements significatifs doivent être réalisés tout au long de la chaîne d’innovation. Ils sont nécessaires notamment dans la recherche et le développement (R-D), puisque l’objectif de la neutralité carbone repose sur des technologies qui sont encore loin du stade de commercialisation. Les investissements publics dans la R-D dans les domaines de l’énergie et de l’environnement ont certes progressé ces dernières années (Graphique 1), mais leur croissance devra s’accélérer si l’on veut que les avancées technologiques soient suffisamment rapides pour tenir le cap de la neutralité carbone.
Graphique 1. Évolution des budgets publics consacrés à la R-D, 2016-21

Source : OCDE, Statistiques de la recherche et développement, septembre 2022. Pour consulter la version actualisée des indicateurs, voir OCDE, Principaux indicateurs de la science et de la technologie de l’OCDE (base de données), https://www.oecd.org/fr/sti/pist.htm (consulté le 27 novembre 2022)
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Les dépenses de R-D ont résisté pendant la récession économique causée par la pandémie
Les deux événements les plus marquants de ces dernières années, à savoir la pandémie de COVID-19 et la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, ont eu des répercussions en cascade d’une portée considérable, y compris sur la STI. Si la croissance des dépenses de R-D a ralenti pendant la pandémie, elle a malgré tout continué de progresser dans la zone OCDE, créant ainsi un précédent, puisque pour la première fois, une récession mondiale ne s’est pas traduite par une chute des dépenses de R-D. Cela montre que les investissements dans la R-D ont fait partie intégrante de la réponse à la pandémie. Les données de 2021 font apparaître une remontée des dépenses de R-D dans de nombreux pays qui avaient enregistré une baisse en 2020 (Graphique 2), à tel point que les dépenses de R-D de la zone OCDE sont revenues aux niveaux observés avant la pandémie.
Graphique 2. Évolution des dépenses intérieures brutes de R-D, entre 2019-20 et 2020-21
Taux de croissance à prix constants
Source : OCDE, Statistiques de la recherche et développement, février 2023. Pour consulter la version actualisée des indicateurs, voir OCDE, Principaux indicateurs de la science et de la technologie, https://www.oecd.org/fr/sti/pist.htm.
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À l’avenir, le recul prévu de la croissance économique et les taux d’inflation, au plus haut depuis les années 80, pourraient peser sur les dépenses STI. Alors que pendant la pandémie, les investissements STI étaient essentiels à la recherche de solutions, les dépenses de R-D pourraient aujourd’hui aller dans le sens de la conjoncture économique et baisser. D’un autre côté, les pressions sur les dépenses de R-D liées à la récession pourraient être compensées par les investissements dans la R-D prévus au titre de la plupart des politiques industrielles ambitieuses annoncées récemment. La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine devrait par ailleurs entraîner, au cours des prochaines années, une augmentation des dépenses de R-D dans le domaine de la défense, dans de nombreux pays de l’OCDE.

Les transitions obligent à une plus grande directivité des activités de recherche et d’innovation
Outre la réalisation d’investissements plus lourds, les pouvoirs publics doivent encourager une plus grande directivité des activités de recherche et d’innovation afin d’accélérer le cycle d’innovation dans les technologies bas carbone. Une grande partie de ce soutien sera probablement acheminée vers des secteurs comme ceux de l’énergie et des transports, et les responsables des politiques STI devront coordonner les activités avec d’autres composantes de l’administration pour combler les diverses « vallées de la mort » qui jalonnent les chaînes d’innovation. Cette évolution coïncide avec le recours croissant à des politiques industrielles interministérielles, y compris à des politiques d’innovation à orientation précise (Graphique 3), qui exigent des pouvoirs publics qu’ils opèrent, en collaboration avec d’autres acteurs (notamment des entreprises), des choix stratégiques explicites sur l’affectation de leurs ressources limitées
Graphique 3. Cartographie des politiques d’innovation à orientation précise et des objectifs de zéro émission nette qui leur sont associés

Un nombre croissant de pays ont mis en place des politiques systémiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre
Note : Par exemple, l’Irlande met actuellement en œuvre deux programmes d’innovation à orientation précise qui s’articulent autour de quatre grands objectifs. La liste des politiques d’innovation à orientation précise, ainsi que des objectifs de zéro émission nette qui leur sont associés, est consultable à l’adresse : https://www.oecd.org/sti/inno/Online%20list%20of%20NZ%20missions.pdf
Selon l’OCDE, une politique d’innovation à orientation précise désigne un ensemble coordonné de mesures politiques et réglementaires destinées spécifiquement à mobiliser la STI pour atteindre des objectifs clairement définis liés à un défi sociétal, dans un délai précis. Ces mesures peuvent couvrir différents stades de la chaîne d’innovation, de la recherche à la démonstration et au déploiement commercial ; intégrer un panachage d’instruments axés tantôt sur l’offre, tantôt sur la demande ; et concerner divers domaines d’action, secteurs et disciplines. Ces « orientations précises » contribuent certes à parer aux politiques STI décousues, mais ne parviennent pas pour l’heure à impulser des changements profonds. Les observations préliminaires semblent montrer que leur échelle et leur impact sur les domaines d’action hors STI ne sont pas suffisants pour produire les vastes retombées escomptées. Les pouvoirs publics sont donc au défi de faire passer ces politiques du statut de plateformes de coordination efficaces à celui de cadres d’action intégrés qui mobilisent un large éventail d’acteurs et les font avancer dans une même direction. Cela ne pourra se faire sans un soutien important et une adaptation des mécanismes et pratiques incitatifs des administrations publiques. Si depuis quelques années, les décideurs s’intéressent de près aux politiques d’innovation à orientation précise, celles-ci ne représentent encore qu’une faible part des dépenses publiques en faveur de la recherche et de l’innovation. La majorité des aides publiques ne sont pas ciblées – en témoigne l’utilisation massive de mécanismes tels que les aides fiscales aux entreprises pour les inciter à mener des activités de R-D. Les panoplies d’instruments varient selon les pays, certains ayant davantage recours que d’autres aux incitations fiscales en faveur de la R-D (Graphique 4).
Graphique 4. Financement public direct et aides fiscales en faveur de la R-D des entreprises
En pourcentage du PIB, 2006 et 2020
Note: On ne dispose pas de données sur les aides fiscales infranationales pour la Chine, l’Espagne et les États-Unis. Les notes générales et propres aux pays sur les estimations des allégements fiscaux au titre des dépenses de R-D sont exposées dans le document : http://www.oecd.org/sti/rd-tax-stats-gtard-ts-notes.pdf
Source: OCDE, Incitations fiscales à la R-D et à l’innovation (base de données), https://www.oecd.org/fr/innovation/incitations-fiscales-rdinnovation/, janvier 2023

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Un large consensus se dégage sur le fait que les incitations fiscales en faveur de la R-D sont mieux à même d’encourager les activités de R-D proches des marchés. À l’inverse, les instruments d’action comme les subventions directes sont mieux adaptés pour soutenir la R-D à plus long terme présentant un risque plus élevé et pour cibler des domaines particuliers qui sont susceptibles de produire des biens publics ou revêtent un fort potentiel en termes de retombées. Les deux types de mesures sont un appui utile à la R-D des entreprises, mais face à l’urgence croissante d’affronter les grands défis sociétaux comme le changement climatique, une approche plus directive s’impose. Pour autant, on tend depuis deux décennies à se détourner des mécanismes d’aide directe au profit d’un plus grand recours aux incitations fiscales en faveur de la R-D. Pour preuve, dans les pays de l’OCDE, les aides fiscales à la R-D représentaient en 2019 environ 60 % du volume total de l’aide publique à la R-D des entreprises, contre 36 % en 2006 (Graphique 5). Les pouvoirs publics devraient par conséquent réexaminer leur panoplie de mesures de soutien à la R-D des entreprises afin de vérifier qu’elle est compatible avec leurs ambitions de zéro émission nette.
Graphique 5. Évolution des panoplies de mesures de soutien public en faveur de la R-D des entreprises
Financement public de la R-D des entreprises dans la zone OCDE, 2000-20, valeurs normalisées par rapport au PIB, 2007 = 100.
Note : Les notes générales et propres aux pays sur les estimations des allégements fiscaux au titre des dépenses de R-D sont exposées dans le document : http://www.oecd.org/sti/rd-tax-stats-gtard-ts-notes.pdf
Source : OCDE, Incitations fiscales à la R-D et à l’innovation (base de données), https://www.oecd.org/fr/innovation/incitations-fiscales-rdinnovation/, janvier 2023, et OCDE, Statistiques de la recherche et développement, septembre 2022. Pour consulter la version actualisée des indicateurs, voir OCDE, Principaux indicateurs de la science et de la technologie (base de données), https://www.oecd.org/fr/sti/pist.htm

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Au-delà de la directivité, les transitions appellent des réformes plus vastes des politiques STI
S’il est nécessaire d’accroître les investissements et la directivité des activités de recherche et d’innovation, on devrait dans le même temps réévaluer les systèmes STI et les politiques de soutien connexes afin de s’assurer qu’ils sont à même de contribuer aux transitions vers davantage de durabilité. Les pouvoirs publics pourraient avoir besoin de mettre en place des cadres d’action et des pratiques radicalement différents des dispositifs actuels afin d’orienter et d’accélérer le cycle d’innovation dans les technologies bas carbone. Ils devraient concevoir des panoplies de mesures qui favorisent une innovation porteuse de transformations et l’émergence de nouveaux marchés, remettent en question les systèmes existants axés sur les énergies fossiles tout en promouvant des transitions justes, et ouvrent la voie à des possibilités de développement des technologies bas carbone. Les réformes concernent tous les aspects des politiques et de la gouvernance STI, du financement de la recherche et de l’innovation à divers mécanismes de coordination, en passant par les moyens de mesurer les ressources et les résultats de la STI. Elles devraient couvrir les mesures axées sur l’offre et sur la demande qui ciblent à la fois la production et la consommation. Une liste des sous-domaines d’action STI dans lesquels un tel réexamen s’impose est exposée dans les Perspectives STI (Graphique 6).
Graphique 6. Principaux défis liés à la promotion des transitions vers davantage de durabilité dans le cadre des politiques STI

La réponse STI à la crise du COVID-19 peut apporter des éclairages utiles pour les transitions vers davantage de durabilité
La réponse STI apportée à l’échelle mondiale à la crise du COVID-19 offre d’importants éclairages qui peuvent s’avérer utiles dans le cadre des transitions vers davantage de durabilité. Par exemple, les coopérations nouées entre divers acteurs pendant la pandémie ont été essentielles à la réussite de la réponse STI, mais leur renforcement à plus long terme pourrait nécessiter une évolution notable de la culture académique, des structures, des incitations et de la rétribution. Nombre de changements requis – notamment au niveau de l’évaluation des résultats de la recherche, de la participation du public et de la recherche transdisciplinaire –sont déjà en marche, mais n’ont pas encore atteint une échelle ni un rythme suffisants du fait de l’inertie inhérente aux systèmes scientifiques. Des changements plus radicaux devront intervenir pour inciter les scientifiques à collaborer avec d’autres acteurs sociétaux en vue de produire le large éventail de résultats et de solutions requis de toute urgence pour affronter les crises et les défis mondiaux complexes.
La dimension planétaire de la pandémie a également mis en lumière l’importance d’un multilatéralisme vigoureux et de la solidarité internationale, mais l’expérience a conduit à un résultat mitigé et montré non seulement ce qui pouvait être mis en place rapidement grâce à la coopération internationale, mais aussi ses limites (l’accès inégal aux vaccins et aux traitements à l’échelle internationale en est une illustration). Le nationalisme vaccinal et la diplomatie des vaccins ont peut-être été symptomatiques d’une dynamique de coopération/compétition internationale qui pourrait caractériser la gestion d’autres crises, dont le changement climatique. Une telle dynamique continuera de façonner les contributions que la recherche et l’innovation peuvent apporter à la gestion des crises mondiales.