Les « Tchadiens »* et les conflits en Centrafrique
1.3. Les migrations peules Dans les campagnes du Nord de la Centrafrique, arrivent à partir des années 1970 d’autres migrants venus du Tchad, des éleveurs peuls. Au Tchad, le peuplement peul s’est constitué par des migrations progressives depuis le Nigeria vers des points d’attache au Centre et au Sud du Tchad. Les peuplements peuls les plus anciens se seraient formés dans le Mayo-Kebbi (Binder), dans le Baguirmi, au Fitri et vers Korbol (Carbou, 1912 ; Devallée, 1925). À la fin du xixe siècle, depuis le Nord du Nigeria (Sokoto, Kano, Bornou), de multiples clans arrivent par le Cameroun et le Nord du Lac Tchad : Uuda’en, Anagamba, Hontorbe, Ali, Yayayé, Maré et Wodaabe. La plupart de ces divers clans se concentrent au Baguirmi (Dourbali fondé en 1905 par Ardo* Garba, Wodaabe, Moka), dans le Kanem (Mao, Dagana), sur les bords du Lac Tchad et dans la région de N’Djaména (Wowoulla fondé par les Uuda’en) (Cherrou, 2002). Ces implantations sont confortées par de nouvelles arrivées à partir des années 1940-1950 de Peuls dits « aku » s’installant à Koumra et de Peuls hontorbé installés à Dourbali. Dourbali devient, avec le Mayo-Kebbi, le premier centre de la cosmogonie peule du Tchad. À partir des années 1970, à la recherche de pâturages et pour fuir des violences perpétrées au Tchad, les Peuls franchissent massivement la frontière centrafricaine, descendant progressivement jusqu’à la rivière Oubangui. Dans la suite d’Ardo* Dandulu (Uuda’en), des éleveurs peuls tchadiens occupent les vides laissés par les Mbororo pionniers, originaires du Cameroun et venus en Centrafrique à partir de 1923. Ils prennent à revers les Mbororo pionniers, s’installant au Nord (Paoua-Bocaranga) et dans l’Est de la RCA (Boutrais, 1988, Chauvin et Seignobos, 2013). Les éleveurs rencontrés aux alentours de Goré en juillet 2016 estiment que la première grande migration de Peuls tchadiens en Centrafrique est liée aux violences de 1979 dans le Sud du Tchad. À cette époque, dans le contexte de l’opposition entre Félix Malloum et Hissène Habré et suite aux massacres de « sudistes »* à N’Djaména et Abéché, les « codos »* chassent les Goranes puis, plus largement, les musulmans du Sud du pays. Les éleveurs peuls s’enfuient soit vers le Nord (Bousso), soit vers la Centrafrique. La sécheresse de 1983-1984, doublée d’une épizootie de peste bovine, pousse également une partie des Peuls tchadiens vers le Sud. S’ensuivent des migrations continuelles qui atteignent le Sud-Est de la Centrafrique, voire le Nord-Est du Congo. À l’époque contemporaine, une poussée migratoire a donc lieu du Tchad vers la RCA, liée au commerce, à l’élevage et à des réseaux transfrontaliers. Si les « Tchadiens »* s’installent en RCA, des antagonismes anciens les opposent aux Centrafricains chrétiens.
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