La guerre en Centrafrique à l’ombre du Tchad. Une escalade conflictuelle régionale ?

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Les ressorts des interventions tchadiennes en Centrafrique

Le Sud du Tchad reste la principale région d’opposition politique au président Idriss Déby. À l’indépendance 14, le Sud du pays fournit les principaux cadres politiques et militaires de l’État. En 1979, le pouvoir se renverse au profit d’un personnel administratif et militaire septentrional. Ce retournement de la polarité politique provoque une succession de rébellions dans le Sud jusqu’au début des années 2000 (les « codos »*). Depuis cette époque, la société civile du Sud, notamment structurée autour d’Églises et d’ONG, s’oppose à Idriss Déby. Signe le plus récent de cette opposition, c’est dans cette région, lors des élections présidentielles de 2016, qu’Idriss Déby obtient le moins de voix et que ses opposants arrivent en tête (Saleh Kebzabo dans les régions du Mayo-Kebbi Est et Ouest, et du Tandjilé ; Kourayo Laoukein dans les régions du Logone Oriental et du Logone Occidental) 15. Par ailleurs, le Sud du Tchad accueille des sites d’exploitation pétrolière, renforçant le poids de cette région dans l’économie tchadienne. Le projet Exxon, lancé en 2000 et effectif en 2003, exploite les champs pétrolifères du bassin de Doba via un oléoduc jusqu’à Kribi (Cameroun). Les projets Rônier et Mimosa, initiés en 2007 et effectifs en 2011, portés par la China National Petroleum Corporation International Chad (CNPCIC) (Chine), exploitent des champs dans le CentreSud pour alimenter les marchés intérieur et régionaux grâce à une raffinerie située au nord de N’Djaména (Magrin et Van Vliet, 2012). La menace de déstabilisation du Sud du Tchad à partir du Nord de la Centrafrique est d’autant plus crainte par les autorités tchadiennes que des rébellions se sont déjà entrecroisées entre ces régions dans les années 1980-1990. À cette époque, les « codos »* tchadiens, opposés à Hissène Habré, s’allient aux « codos »* mbakara, insurgés au Nord-Ouest de la Centrafrique contre André Kolingba. Les premiers apportent des armes et des munitions aux seconds en échange de la protection de caches d’armes et de points de largage d’équipement militaire en provenance de Libye. Un projet sécessionniste visant à créer une « République du Logone », regroupant le Sud du Tchad et le Nord-Ouest centrafricain, est formulé, sans que sa réalité politique ne dépasse l’idée d’un drapeau. La rébellion centrafricaine est réduite alors à néant par des opérations militaires, française et centrafricaine, ainsi que par des dissensions internes, entre Alphonse Mbaïkoua et deux futurs présidents, à savoir Ange-Félix Patassé et François Bozizé (Chauvin, 2015). Mais la proximité entre Ange-Félix Patassé et des rebelles tchadiens perdure dans les années 1990. Ange-Félix Patassé recycle d’ex-« codos »*, tchadiens et centrafricains, dans sa garde présidentielle, dont une trentaine ont suivi une formation en Libye. Ses milices sont dirigées à la fois par Abakar Sabone, musulman, rounga originaire de la Vakaga (Centrafrique), qui a fait partie des Forces armées du Nord (FAN) d’Hissène Habré, et par Abdoulaye Miskine, un tchado-centrafricain  14. Le Tchad accède à l’indépendance le 11 août 1960 sous la présidence de François Tombalbaye.  15. Christian Bouquet et Valérie Alfaurt, « Tchad présidentielle 2016, notice explicative », http:// www.lam.sciencespobordeaux.fr/fr/page/tchad, publié en 2016, consulté en 2016. 45


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