Repères pour une économie politique de la trajectoire malgache
justice. Stimulée par l’enjeu spécifique de cette élection, la participation électorale au premier tour fut relativement importante au regard de l’élection présidentielle précédente (près de 70 % contre 50 % en 1996). La contestation de ces résultats déclencha une crise politique qui ouvrit une quasi-partition du pays. Alors que le ministère de l’Intérieur annonçait la tenue probable d’un deuxième tour opposant M. Ravalomanana à D. Ratsiraka, le comité de soutien du premier (qui, grâce à des moyens logistiques considérables, avait pu recueillir directement les résultats dans une grande partie des bureaux de vote), ainsi que le consortium indépendant d’observation des élections (dont faisait notamment partie le KMF/CNOE) estimèrent tous les deux que M. Ravalomanana l’avait emporté dès le premier tour. Il s’ensuivit plus de 6 mois de conflits politiques. D’importantes manifestations (de plusieurs milliers de manifestants) eurent d’abord lieu dans les zones urbaines et tout particulièrement à Antananarivo et débouchèrent sur une grève générale qui finit par convaincre M. Ravalomanana de s’autoproclamer président deux mois plus tard (le 22 février) et d’instaurer un gouvernement parallèle. Quant à D. Ratsiraka, il délocalisa son gouvernement à Toamasina, décrétée nouvelle capitale par les gouverneurs des cinq provinces côtières, et ses troupes instaurèrent des barrages routiers sur les routes nationales en vue d’asphyxier la capitale (RAKOTOARISOA, 2002). La paralysie du pays ne prit alors véritablement fin qu’après la proclamation par la Haute Cour constitutionnelle de la victoire de M. Ravalomanana le 29 avril 2002. Celle-ci fut suivie en juin de la reconnaissance internationale du régime, en juillet du départ à l’étranger (les Seychelles, puis la France) de l’ancien président et enfin de l’entrée des forces de l’armée régulière dans Toamasina « libérée » (PESLE, 2006). Quelles furent effectivement les forces politiques et sociales en présence pendant cette crise ? La coupure géographique du pays pendant la crise pourrait faire penser à une opposition ethnique entre « Côtiers » et membres des hauts plateaux. Cette observation ne résiste cependant pas à une analyse plus approfondie, comme l’atteste une étude de 2002 sur les résultats du scrutin du 16 décembre 2001 (RAZAFINDRAKOTO et ROUBAUD, 2002b). Elle montrait en effet que, si la dimension régionale du vote (les candidats obtenant des scores plus importants dans la région d’où ils sont originaires) existait bien, elle ne suffisait en aucun cas à expliquer la répartition des scores. Par extension, c’est donc l’hypothèse d’un choix ethnique qui disparaissait, confirmant ce qu’un des auteurs avait déjà mis en évidence lors d’élections précédentes (ROUBAUD, 2000). À Antananarivo, D. Ratsiraka avait par exemple obtenu 20 % des suffrages, soit bien plus que l’électorat betsimisaraka (1 % des habitants de la capitale). Inversement, à Toamasina, M. Ravalomanana avait obtenu 41 % des voix, soit deux fois plus que la proportion de Merina dans la ville. L’étude révélait en revanche d’autres lignes de clivage. Le vote Ravalomanana par fivondronana y apparaissait en effet d’autant plus important que le niveau de scolarisation était plus élevé, et d’autant plus important que les taux d’abstention étaient plus faibles et avaient le plus diminué par rapport aux élections précédentes. Les auteurs en concluaient que le choix de M. Ravalomanana exprimait un vote de rejet des régimes précédents par les segments les plus critiques et les plus désenchantés vis-à-vis du monde politique.
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