Crise et développement - La région du lac Tchad à l'épreuve de Boko Haram

Page 102

Développement et gouvernance : un espace fragile

plus connus de l’époque, Ali Gaji Dunomami Zainammi puis Idris Alauma, en profitèrent pour consolider leur pouvoir en confiant le commandement de leur armée à des esclaves (kachalla) plus faciles à contrôler que les nobles (kaigamawa) pourvus de titres et privilèges héréditaires (Tijani, 2010 :158). Le Borno ne devait cependant pas tarder à décliner du fait de ses rivalités internes, des attaques incessantes des Touaregs au nord, de la poussée continue des Peuls venus de l’ouest et des pressions des abolitionnistes européens, qui tarirent les débouchés du commerce des esclaves. En 1808, le Mai perdait sa légitimité et sa réputation d’invincibilité lorsque sa capitale Birnyi Gazargumo fut mise à sac par les djihadistes peuls d’Ousmane dan Fodio. La dynastie des Sefuwa fut alors renversée par un religieux, Muhammad al-Amin al-Kanemi, qui établit sa nouvelle capitale à Kukawa et réorganisa le royaume sur une base militaire en tirant parti de son aura islamique. Sous la conduite du sultan (shehu), la cour fut ainsi réduite à un petit nombre de conseillers qui étaient généralement constitués de neuf clercs musulmans et qui se réunissaient en conclave (majlis) pour désigner les dauphins et traiter des plus hautes affaires de l’État. Muhammad al-Amin al-Kanemi entreprit également de casser les privilèges de la noblesse kanouri en laissant ses descendants nommer et destituer eux-mêmes les chefs (chima), quitte à confisquer leurs biens en cas de désobéissance. Les règles de succession héréditaires furent remises en cause et les fiefs d’autrefois furent alternativement confiés à des princes (abba), des capitaines d’origine servile (kachalla) ou des courtiers (koguna). Les nobles (maina) n’occupèrent plus de fonctions administratives : certains ne furent plus autorisés à collecter des impôts dans leurs propres fiefs, tandis que d’autres durent se contenter de porter des titres honorifiques tels que le « seigneur du Nord-Ouest » (Galadima) ou le « commandant des janissaires » (Kaigama) (Cohen, 1967 : 28). Au sud du sultanat du Borno, l’émirat (ou lamidat) de l’Adamawa est apparu plus tardivement, au xixe siècle. Prolongement du djihad des Peuls de Sokoto jusque dans l’Adamaoua camerounais, il a été fondé par un des commandants d’Ousmane dan Fodio, Modibbo Adama, qui lui a donné son nom en conquérant le Fombina (les « terres du Sud » en fulfulde) et qui a établi en 1841 sa capitale à Yola sur la rivière Bénoué, un affluent du fleuve Niger (Abubakar, 1977). À l’instar du sultanat du Borno, l’émirat de l’Adamawa a tiré sa légitimité de l’Islam et s’est développé sur la base d’une aristocratie militaire et d’une économie de prédation reposant sur l’esclavage. Mais il s’est revendiqué d’un djihad révolutionnaire et est resté le vassal du califat de Sokoto. Ainsi, les revenus de l’Empire du Borno étaient reconnus comme la propriété personnelle du sultan, alors que ceux de l’Adamawa étaient censés être reversés à un trésor public (bait al-mal). Tandis que le Shehu ne devait jamais être vu en public et ne parlait à son peuple qu’à travers un rideau, le Lamido était plus accessible et rendait davantage de comptes à ses sujets musulmans, suivant en cela l’exemple d’Ousmane dan

101


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.