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Delphine Claudel, à la table des grandes

Start-list DELPHINE CLAUDEL

À la table des grandes

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Le 10 janvier dernier, la fondeuse vosgienne a signé son premier podium sur la mythique montée de l’Alpe Cermis, en Italie. Depuis le début de la saison, elle ne cesse de progresser. De quoi la motiver à réaliser ses rêves de compétitrice.

Depuis Aurore Jean sur le sprint de Sochi et sur la poursuite de Toblach-Cortina, dans le Tour de Ski, aucune Française n’avait fait aussi bien en coupe du monde que Delphine Claudel.

b QUENTIN JOLY POUR NORDIC MAGAZINE

Le regard vers les Mondiaux

« Mon regard est bel et bien tourné vers les Mondiaux d’Oberstdorf. Je vais me préparer pour être à 100 % d’énergie et à 100 % de mes capacités sur le 10 km skate qui est mon épreuve phare, celle où je performe le plus », annonce la skieuse de La Bresse.

b QUENTIN JOLY POUR NORDIC MAGAZINE C’est dans sa combinaison bleue de l’équipe de France de ski de fond que Delphine Claudel s’élance pour la dernière étape du Tour de Ski dans le Val di Fiemme. La Vosgienne a faim d’un bon résultat. C’est qu’au départ de cette mass-start comptant pour le Tour de Ski, il n’y a point de Norvégiennes. À cause du coronavirus, ils ont gardé leurs athlètes à la maison. De quoi donner à leurs adversaires des envies de visiter les premières places des classements. La Bressaude – qui a amélioré à deux reprises son meilleur résultat en carrière depuis le début de l’hiver – n’échappe pas à la règle. Les premiers kilomètres en direction de l’Alpe Cermis sont toujours plutôt tranquilles et la jeune femme prend de bons skis, ceux de l’Américaine Jessie Diggins. La montée aux pourcentages extrêmes ne l’effraie pas. À son rythme tout au long de l’ascension, Delphine Claudel va maîtriser son sujet avec « des jambes de feu ». La Russe Stupak dépassée avant la ligne d’arrivée, elles ne sont désormais plus que deux devant elle. La ligne franchie, un sourire communicatif vient illuminer son visage. Elle n’avait jamais fait aussi bien. Elle se situe juste derrière la Suédoise Ebba Andersson, vainqueure du jour, et Jessie Diggins, lauréate de la tournée de début janvier. Rien que ça. « Je ne m’attendais pas à ce que ce podium arrive cet hiver, c’est exceptionnel », confie-t-elle après la course à Nordic Magazine. Cela s’est

joué au mental. C’était impossible pour moi d’échouer à la quatrième place. Cette course était dans ma tête depuis longtemps. »

La travailleuse

Plus de sept ans qu’une tricolore n’avait pas fait aussi bien! La dernière fois, c’était le 3 janvier 2014, déjà dans le cadre du Tour de Ski, lorsque la Jurassienne Aurore Jean était montée sur le podium du meilleur temps de la poursuite reliant Cortina à Toblach.

Coraline Thomas-Hugue aux Jeux de Sochi et Anouk Faivre-Picon lors des Mondiaux de Falun, avaient réalisé de belles choses, mais plus rien en coupe du monde jusqu’à ce 5 janvier 2021.

De quoi permettre à la Vosgienne de ‘‘Thibaut Chêne, entraîneur de l’équipe de France féminine de ski de fond

Elle est plutôt rigolote, répond du tac au tac.

C’est quelqu’un de très franc.

24 ans de nourrir des ambitions plus grandes.

« Prendre ce qu’il y a de bon et avancer. » Voilà qui résume bien la besogneuse athlète de La Bresse depuis son inscription au ski de fond au CM2. C’était pour faire comme les copains et, à cet âge-là, on suit facilement ses camarades de l’école. D’autant plus que ce sport se pratique en plein air, environnement qu’elle chérit au quotidien. « Dédé » – son surnom – délaisse du même coup l’athlétisme où « elle était déjà très bonne », précise Odile Munsch, la présidente de La Bressaude, son ski-club de corps et de cœur.

Très vite, Delphine Claudel se prend au jeu avec des objectifs plein la tête.

Annick Vaxelaire, sa coach d’alors au comité des Vosges, n’a rien oublié de ces années: « Elle était entière et bosseuse. Elle est très vite devenue autonome. » C’est que la native de Remiremont, dès lors qu’elle a une idée en tête, a bien du mal à s’en défaire. Il faut qu’elle se donne les moyens pour atteindre son but. Jusqu’à l’extrême parfois. « Je suis perfectionniste, peut-être un peu trop sur certains points. Je peux prendre les choses trop au sérieux », concède-t-elle.

Objectif performance

Si elles n’ont pas toutes les mêmes habitudes de travail au sein de l’équipe de France de ski de fond, si chacune à sa manière de fonctionner, sa coéquipière Léna Quintin la voit comme un « exemple » par son opiniâtreté. « Elle est déterminée, hyper travailleuse et radicale dans tous ses choix », décrit la Bornandine.

La Vosgienne, réservée et introvertie de prime abord, est dotée d’un flegme et d’une répartie dont elle a le secret pour Thibaut Chêne, son entraîneur depuis six ans: « Elle est plutôt rigolote, répond du tac au tac. C’est quelqu’un de très franc. » Un caractère qu’elle met au profit de sa carrière professionnelle. La ligne directrice de Delphine Claudel est simple: devenir la meilleure fondeuse possible et venir à bout des objectifs qu’elle s’est fixés. Odile Munsch y croit dur comme fer: « C’est une battante, elle ne se laisse pas démonter. Elle en veut, elle gravit les échelons et persévère. »

Après plus de dix ans de ski de fond et un passage dans toutes les équipes de France jeunes, Delphine Claudel a franchi un premier cap lors de l’hiver 2019/2020. En signant ses •••

C’est à Davos, terre promise des Français, que Delphine Claudel est parvenue à réaliser son premier objectif : entrer dans le top 10 de la coupe du monde.

b MODICA/NORDIC FOCUS

trois premiers tops 15: en individuel libre d’abord, à Davos (Suisse), avec une treizième place, puis à Nove Mesto (République tchèque) avec une quatorzième position, comme lors du skiathlon d’Oberstdorf (Allemagne). Le premier palier étant franchi, une nouvelle cible n’a pas tardé à se dessiner dans sa tête. « J’aimerais faire des top dix tout au long de la saison », énonce-t-elle à l’aube de ce hiver inédit en raison du coronavirus.

C’est chose faite dans les Grisons le 13 décembre dernier et dans le Trentin, début 2021. Sans oublier le podium fantastique sur l’étape de l’Alpe Cermis.

Les Mondiaux d’Oberstdorf sont désormais en ligne de mire de la représentante de l’équipe de France militaire de ski (EFMS). Pour Thibaut Chêne, il lui fallait casser ce plafond de verre pour qu’elle puisse se voir grandir encore. « C’est un objectif rationnel, probable. On peut le faire », assure-t-il. Désormais, il y a forcément l’individuel skate: « C’est une course cochée dans ma tête pour la suite de l’hiver. Je sais que c’est un format qui me convient plutôt bien, où j’ai réalisé mes meilleures performances. J’y pense déjà, même si on est encore un petit peu loin de l’échéance », concède la skieuse mi-janvier.

Si l’on ouvre le calendrier à la saison 2021/2022, c’est une photo du site de ski de fond des Jeux olympiques de Pékin qui apparaît. « Les JO, c’est l’événement phare. On construit un groupe pour ce gros objectif », justifie l’intéressée, appuyée par sa coéquipière en bleu, Coralie Bentz: « On travaille tous pour ces événements-là. On y croit. » À commencer par la Vosgienne: « elle est de mieux en mieux mentalement », constate la Haute-Savoyarde.

Deux bras, deux jambes

Delphine Claudel n’est pas du genre à se vanter, elle est discrète. Elle n’est pas de ces athlètes/influenceurs qui remplissent les réseaux sociaux de photos et vidéos de leur quotidien. La retenue prime, dans la vie comme sur la piste si l’on en croit ses différents entraîneurs. Annick Vaxelaire: « Delphine, elle n’est pas “fofolle”. Je disais souvent qu’il fallait qu’elle ait plus de folie dans ce qu’elle faisait. » Et Thibaut Chêne de poursuivre: « Ce n’est pas quelqu’un de bouillonnant. Quand elle skie, de l’extérieur, on a l’impression qu’elle ne force pas. Elle est plutôt glisseuse, pas dans la démonstration. »

En coupe du monde, les Johaug, Karlsson et autres Andersson pourraient dès lors impressionner la Française. N’en croyez rien! « •••Ce qu’elles

Delphine Claudel, membre de l’équipe de France de ski de fond ‘‘ MON CARACTÈRE A CHANGÉ. SANS DIRE QUE JE SUIS UNE BONNE PERSONNE, LE SPORT M’A FAIT ÉVOLUER

font, c’est phénoménal et on ne peut que les respecter. Mais on n’a rien à leur envier, elles sont comme nous, ce ne sont pas des monstres », lâche la Vosgienne.

« Tu as deux bras, deux jambes, comme les autres », lui répétait d’ailleurs Annick Vaxelaire lors de sa formation initiale. La recherche de performance au plus haut niveau, une ambition exponentielle, une progression constante et une organisation sans faille, Delphine Claudel met tout de son côté pour se rapprocher de ses adversaires scandinaves.

Lorsqu’elle n’a pas en tête de se payer les cadors du circuit coupe du monde, la Bressaude aime à prendre du temps pour elle. Cuisiner lui plaît beaucoup. Sans oublier la lecture, et ce tout au long de la saison. Mais n’envisagez pas de lui offrir un livre « trop psychologique », privilégiez les polars. En hiver, les trajets et les séjours sont longs. Il s’agit de s’occuper sans se prendre la tête. D’ailleurs, Netflix n’est jamais bien loin.

La fierté d’une ville

Parfois, Delphine Claudel ne peut échapper au devant de la scène. À La Bresse, on sait remercier ceux qui portent haut les couleurs de l’association omnisports. Delphine Claudel, pur produit de l’académie chapeautée de main de maître par Odile Munsch, n’y a pas échappé. Ses concitoyens l’ont déjà mise à l’honneur. « Lorsqu’elle a été sélectionnée pour les derniers Jeux olympiques, on a fait une réception à la salle des fêtes avec les skieurs, se souvient une présidente qui ne dissimule pas sa fierté. On a un rond-point au centre de La Bresse et, dès qu’il y a une performance, on y met les banderoles et les affiches. Delphine a eu son panneau. On met en avant tous nos champions. »

Des héros, La Bresse en a connu. Véronique Claudel, titrée en 1992 aux JO avec le relais féminin en biathlon, en est l’un des plus beaux exemples. Aussi pourrait-on citer Philippe Poirot, ou plus récemment Adrien Mougel et Paula Botet. « On est content pour Delphine, elle a fait beaucoup de sacrifices, et ce qu’elle fait aujourd’hui, ce n’est pas donné à tout le monde », renchérit Mme Munsch.

La skieuse n’est pas ingrate. Elle sait d’où elle vient. Il lui est arrivé de donner un coup de main aux bénévoles pour l’organisation d’événements locaux. De quoi retrouver ses terres et aussi faire naître des envies chez les jeunes licen-

‘‘Odile Munsch, présidente de La Bressaude

On est content pour Delphine.

Ce qu’elle fait aujourd’hui, ce n’est pas donné à tout le monde.

La consécration d’un travail acharné et la confirmation de grandes ambitions pour Delphine Claudel après sa troisième place au sommet de l’Alpe Cermis, dans le Tour de Ski.

b MODICA/NORDIC FOCUS

ciés, yeux écarquillés devant la meilleure tricolore du moment.

Lorsque la neige se retire, place à la course à pied. Annick Vaxelaire se souvient d’une Delphine Claudel attachée à ses habitudes: « Elle n’aimait pas l’inconnu. Elle faisait toujours les mêmes sorties, sur le même chemin, dans la même forêt. »

La leader du groupe France a certes beaucoup évolué, en tant qu’athlète mais aussi comme personne depuis ses débuts dans le ski de fond. « Mon caractère a changé, le sport m’a beaucoup appris. Sans dire que je suis une bonne personne, le sport m’a fait évoluer », appuie la militaire. Des propos vite renforcés par Thibaut Chêne: « Delphine a une évolution perpétuelle. Elle grandit en tant qu’athlète et moi en tant qu’entraîneur. C’est grâce à elle que je suis devenu l’entraîneur que je suis. » Et d’ajouter, lui aussi, non sans émotion: « Je suis très fier d’elle. » À l’école du sport et de la vie

Pour Annick Vaxelaire, la multiple championne de France n’a pas besoin d’avoir beaucoup de personnes pour lui dire ce qu’elle doit faire. Quand on lui explique quelque chose, elle comprend très vite et se met au travail. La responsable du ski de fond au comité régional de ski des Vosges se souvient d’un moment marquant avant l’entrée de sa protégée dans le supérieur. « On a passé un moment difficile au rattrapage du baccalauréat alors qu’elle était au pôle espoir de Gérardmer. Mais grâce à l’investissement qu’elle a fourni dans les dernières semaines, elle a réussi à avoir son bac. »

La fondeuse suit actuellement une licence STAPS grâce à un cursus aménagé par l’Université Grenoble Alpes. Il lui faut en effet prévoir. Et même si elle n’a pas toujours été facile – « j’ai été une peste et pas toujours gentille » – la gamine de La Bressaude a désormais plein de supporters avec lesquelles elle va pouvoir partager ses rêves. n

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