Noélie Coudurier
QU’EN D ITE S VOUS Pierre Jarlier
Affaiblie par le repli de l’État, confrontée à des besoins très hétérogènes et à des déséquilibres géographiques, l’ingénierie publique est mal en point. Pour tenter de la redresser, le sénateur Pierre Jarlier propose douze recommandations, dans un rapport d’information sur l’ingénierie publique remis à la délégation aux collectivités territoriales du Sénat le 10 juillet dernier. L’idée est ainsi d’aider les collectivités à s’insérer dans des politiques de planification complexes, nécessitant la mobilisation de nombreuses et délicates compétences. De quel constat êtes-vous parti pour élaborer ces douze recommandations ? En matière d’ingénierie publique, force est de constater qu’il y a une France à deux vitesses. D’un côté, les grandes agglomérations et les territoires urbanisés, préparés au retrait de l’État et bien organisés, notamment grâce à un arsenal de structures « ressources » (agences d’urbanisme par exemple). De l’autre, les secteurs ruraux, qui continuent à bénéficier d’un appui technique de la part de l’État mais qui sont désormais soumis à tout un tas de contraintes auxquelles ils n’étaient ni préparés ni formés : Codes des marchés publics, de l’urbanisme, Grenelles de l’environnement. Sans compter la réduction du nombre de fonctionnaires d’État (3 600 en 2012 à 3 000 en 2013) et donc un appauvrissement de l’aide apportée aux communes. Mais paradoxalement, les besoins en matière d’ingénierie, notamment en matière d’urbanisme, croissent du fait de la technicité demandée par les textes aux équipes municipales. Une politique de projet territorial doit donc émerger, pour mobiliser les matières grises et assurer une complémentarité entre les collectivités et entre compétences. Quelle est la bonne échelle de travail ? Si demain nous voulons mettre en œuvre
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une politique d’aménagement territorial équilibrée, nous devons absolument développer une ingénierie locale, car la fracture territoriale ne manquera pas de s’accentuer si l’on ne fait rien. Je préconise donc deux types d’organisation, pour un maillage du territoire. Un premier, plutôt opérationnel, à l’échelle des intercommunalités et des départements (recommandation n° 2). L’aménagement, le droit des sols (PLU, PLH, PDU, SCOT) et la planification devraient plutôt être pris en charge par des intercommunalités ou leur regroupement dans un syndicat. Quant aux départements, ils ont vocation à fédérer toute l’expertise locale détenue par les agences techniques départementales, CPIE et CAUE par exemple pour assurer un service de qualité (recommandation n° 4). Toutefois, il faut veiller à ce que les communes ne se retrouvent pas dans une situation de tutelle vis-à-vis des conseils généraux (recommandation n° 5). Un deuxième, plus stratégique, à l’échelle des régions voire des interrégions (recommandation n° 7). Les grandes orientations de l’État y seraient ainsi déclinées, ceci notamment grâce au concours du Certu (recommandation n° 6). L’idée est de créer du lien entre les stratégies nationales et de mettre en réseau, localement, les acteurs de l’amé-
Groupe Territorial
Quelle place pour l’ingénierie publique dans une stratégie de territoire ?
Pierre Jarlier Sénateur du Cantal, maire de Saint-Flour
nagement du territoire tels que les Cete, l’Ademe et la Datar. Cela faciliterait la mise en œuvre de politiques intégrées de développement en cohérence avec les structures opérationnelles.
Comment financer votre plan d’action ? Il me semble tout à fait réaliste de financer l’ingénierie territoriale en captant une part du produit de la taxe d’aménagement dans un fonds spécifique, assurant la péréquation (recommandation n° 10). Par ailleurs, une mutualisation des moyens entre l’État et les collectivités par le biais de conventions est souhaitable (recommandation n° 8), par exemple pour l’instruction des permis de construire. Les fonds structurels européens et une partie du produit des enchères du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (recommandation n° 12) pourraient aussi être mobilisés. Quel accueil attendez-vous pour votre rapport ? Ce travail a vocation à apporter du grain à moudre aux débats qui auront lieu dans le cadre de l’acte III de la décentralisation car l’ingénierie territoriale doit désormais faire partie intégrante des compétences des collectivités.
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