"La montagne, laboratoire de transition(s)"

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LA MONTAGNE ZÉRO CARBONE MODE D’EMPLOI AU TO M N E 2021

Contrebande d’imaginaires en montagne


DOSSIER LA MONTAGNE ZÉRO CARBONE MODE D’EMPLOI — ÉNERGIES RENOUVELABLES

La montagne, laboratoire de transition(s) Par Noélie Coudurier

Qu’on se dirige encore tête baissée vers le tout-ski ou qu’on veuille réinventer le modèle, la question de l’énergie vient interroger l’avenir des territoires de montagne. Précurseurs en matière d’autoconsommation, initiateurs de filières locales, échantillons d’une vie qui se cherche plus cohérente avec son environnement : et si ces territoires faisaient une entrée par la grande porte dans la transition énergétique ?

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L

a stratégie française pour l’énergie et le climat de 20191 , qui définit la trajectoire de la transition énergétique à l'échelle de notre pays, prévoit de porter la part d'énergies renouvelables à 33 % d’ici à 2030 (contre 20,2 % en 2019). Les territoires de montagne ont un rôle clé à jouer dans cet objectif. S’ils n’ont pas le pétrole, parfois pas de raccordement aux réseaux d’énergie, s’il est parfois difficile d’y accéder, ces espaces ont en revanche de la pente, du vent, de l’eau et de l’ensoleillement. Et un dynamisme territorial qui demande à s’affirmer.

dans 26 communes, récupération de 50 hectares de terres agricoles pour les transformer en 3 vergers citoyens, chaufferie bois, etc. Les gisements de maîtrise de l’énergie ne manquent pas. Pour Julien Robillard, consultant en transition énergétique, numérique et biens communs, « cela fait de la transition énergétique une sorte d’immense sculpture : on commence par tailler dans les grandes masses, puis on fait les formes, et ensuite seulement, on s’attache aux détails et à la dentelle ».

LA MONTAGNE EN MANQUE DE SOBRIÉTÉ ?

Les territoires de montagne offrent une carte postale singulière, avec une dispersion de l’habitat, des déplacements en voiture individuelle plutôt qu’en transports en commun, de forts besoins en chauffage en hiver voire en été, un parc résidentiel collectif vieillissant, et bien sûr une multitude d’atouts naturels. Pour Fabien Challéat, chef du service Energies renouvelables au sein du Syndicat des énergies et de l’aménagement de la Haute-Savoie (SYANE), ces particularités “forcent à se questionner sur comment mieux consommer, comment produire l’énergie dont nous ne pouvons pas nous passer, et comment acheminer cette énergie”.

“La transition énergétique est une immense sculpture : on commence par tailler dans les grandes masses, puis on fait les formes, et ensuite seulement, on s’attache aux détails et à la dentelle.”

L’amélioration de l’efficacité énergétique est ainsi le premier pas évident de toute démarche de transition énergétique, à l’image du Pays Briançonnais, où les élus ont mis le paquet depuis 2008 : rénovation énergétique de 65 bâtiments publics

Julien Robillard

1. bit.ly/PPEFR

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Cependant, l’élargissement de ces démarches à tout un territoire est encore loin de couler de source. « Si on veut que la transition écologique et solidaire se réalise en France, il faut donner les moyens aux citoyens de changer de pratiques », martèle Pierre Leroy, président du Pôle d’équilibre territorial et rural du Grand Briançonnais. La sobriété ne se décrète pas individuellement, elle s’accompagne d’une vision globale et de mesures concrètes d’accompagnement, quitte à imposer des changements dans les usages : adaptation des mesures d’urbanismes, limitation de certaines pratiques, accompagnement à la transition énergétique... Une démarche de longue haleine, qui peut décourager par sa complexité.

existantes couvrent déjà la plupart des gros cours d’eau exploitables, mais aussi parce qu’il serait bien difficile aujourd’hui de faire entrer de nouveaux projets dans les contraintes réglementaires et de les faire accepter. Le “petit hydraulique”, en revanche, semble avoir de l’avenir, particulièrement en montagne, où les cours d’eau pullulent. Ces installations (moins de 50 MW), représentent ⅓ du parc hydroélectrique installé en France. De nombreux projets sont à l’étude, voire en déploiement, en montagne. Même si depuis le classement des rivières en 2014, il n’est pas facile de mettre en œuvre de petites installations (micro et pico) en respectant les règles de continuité écologique (qui sont peu ou prou les mêmes que lorsque la puissance

NONRENOUVELABLES

79,8 % (428,8 TWh)

Ainsi, même si elles sont des “subterfuges” à la sobriété selon Pierre Leroy, les énergies renouvelables sont sur toutes les lèvres car elles constituent une réponse concrète et lisible à de nombreux enjeux de la transition énergétique.

537,7 TWh

produits en France en 2019

RENOUVELABLES

20,2 % (108,9 TWh)

PANORAMA DES ÉNERGIES RENOUVELABLES EN MONTAGNE

L’hydraulique représente la moitié environ de la production d’EnR électrique française, et 13 % de la production électrique nationale (Source : Bilan électrique 2020, RTE2). Les régions de montagne Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur comptabilisent à elles seules plus de 79 % de la capacité installée hydraulique nationale. Nos massifs montagneux sont de véritables châteaux d’eau. Sur le “grand hydraulique” (les plus grosses installations, entre autres sur nos grands lacs artificiels d’altitude), le potentiel de développement est désormais limité car les installations

ÉOLIEN

6,3 % (34,1 TWh)

108,9 TWh

produits en France en 2019 SOLAIRE HYDRAULIQUE

10,3 % (55,5 TWh)

2,2 % (11,6 TWh) BIOÉNERGIES

1,4 % (7,7 TWh) Part des renouvelables dans la production française d'électricité en 2019 (Sites de production raccordés au réseau) Source : RTE, Bilan électrique 2019

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ORDRES DE GRANDEUR La centrale hydraulique du lac de Serre-Ponçon produit environ

700

GWh/an, soit approximativement la consommation du département des Hautes-Alpes.

60 m²

de panneaux photovoltaïques installés sur le toit d’un chalet de 70 m² à la Rosière peuvent produire

10 000 kWh

©DAVID MALACRIDA

soit l’équivalent de sa consommation électrique.

2. bit.ly/RTEBilan20

des machines se compte en mégawatts). À cela s’ajoute une ressource un peu compliquée à gérer, avec une variation d’eau selon la saisonnalité. D’où des coûts assez élevés. Pour Julien Robillard, le développement de la petite hydroélectricité dépend avant tout d’un “choix de société”. Pour que le déploiement de cette énergie soit attrayant et pérenne, il faut vouloir créer les conditions pour que le prix auquel on turbine (qui inclura les investissements, des impacts sur la biodiversité, etc.) soit moindre que le prix auquel on vend l’énergie hydraulique. « On ne cherche pas de nouveaux ruisseaux mais de nouveaux équilibres territoriaux », poursuit-il. Le turbinage de l’eau potable a également le vent en poupe. À l’image de Megève qui se sert de cette énergie pour les besoins en électricité de son palais des sports, plusieurs communes

de montagne se laissent tenter par cet aménagement, sous condition de certaines astuces techniques. Le solaire photovoltaïque, s’il ne représente que 2,5 % de la production à l’heure actuelle, est une technologie qui est désormais dans tous les esprits, avec un potentiel de développement énorme : la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie prévoit de presque quadrupler la capacité de production entre 2018 et 2028, tout en réduisant l’impact environnemental des matériaux (condition sine qua non pour ne pas faire plus de mal que de bien). À quelques nuances près pour la montagne, analyse Fabien Challéat, du syndicat haut-savoyard (SYANE) : “Les territoires de montagne sont

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©DAVID MALACRIDA

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souvent ombragés, les nuages s’accrochent au relief, les heures d’ensoleillement réduites...”. Et pourtant, certaines orientations et altitudes permettent des heures d’ensoleillement bien supérieures à ce qui se fait en vallée, et l’albédo [pouvoir réfléchissant d’une surface, NDLR] de la neige peut permettre de meilleurs rendements, à ensoleillement égal. Comme souvent, “ça dépend”... D’ailleurs, les acteurs locaux n’ont pas attendu que tous les voyants soient au vert pour expérimenter le solaire photovoltaïque sur les toitures de leur territoire. Pour la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) “Énergies collectives” de l’Embrunais Savinois, “ce n’est pas forcément avec ça qu’on fera la transition énergétique, mais d’un point de vue pédagogique, oui !”, se convainc Thomas Beth, son président. Dans les Hautes-Pyrénées, même topo. Une fois levées les contraintes de protection patrimoniale, il y a un intérêt à équiper les toitures aux orientations favorables, celles qui ne sont pas toujours très qualitatives, et la myriade de petites

infrastructures individuelles. Pour le photovoltaïque au sol, les arbitrages sont plus délicats car il faut du foncier, que le cadre réglementaire est plus exigeant et que des questions environnementales se posent. Pour Thomas Beth, il faudra sans doute accepter de “sacrifier” certains terrains et la biodiversité qu’ils accueillent, pour pouvoir produire de l’énergie. Ou alors en profiter pour valoriser des terrains déjà artificialisés. Troisième catégorie à développer, le bois-énergie, qui représente ⅓ environ de la production “ bioénergies ” (représentant elles-mêmes 1,5 % de la production d’EnR), et dont la capacité de production doit doubler d’ici 2023 (toujours selon la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie). S’il fait figure d’énergie “propre” en matière de chauffage, en réalité, son exploitation et sa valorisation ne sont pas aussi évidentes. L’enjeu principal réside dans le fait de réduire les particules fines, et d’avoir des combustibles de

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meilleure qualité, en travaillant à la fois sur la filière bois et le renouvellement du matériel. “Sans cela, on a vite fait de ruiner les efforts liés à une telle énergie, et de ne pas s’y retrouver économiquement”, alerte Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables. “Il faut pouvoir couper le bois au bon moment pour le transformer, replanter pour recréer un puits de carbone et relancer le cercle vertueux de l’agroforesterie” conseille Julien Robillard, d’Energ’y citoyennes. D’autres solutions ont moyennement porté leurs fruits ou doivent encore faire leurs preuves en montagne. L’éolien, notamment, qui n’a pas le vent en poupe. Tandis que le ministère de la Transition écologique et solidaire s’est fixé comme objectif de promouvoir l’éolien terrestre et de doubler le parc installé en 7 ans, le déploiement de cette énergie renouvelable tâtonne. Pas de zone autorisée en Haute-Savoie du fait d’aléas du vent. Pas non plus de discussion autour de cette énergie dans les Pyrénées, constate Rose-Marie

ORDRE DE GRANDEUR

4

Les éoliennes d’Andermatt produisent

5,5 GWh/an,

soit 30 % des besoins de la société d’exploitation de la station.

Grenouillet, de la communauté de communes Pyrénées Vallées des Gaves, depuis les conclusions d’une étude commandée par le département en 2018. La solution en montagne semble être le petit éolien, à moindre impact paysager et foncier, mais dont les coûts sont cependant encore élevés. Serre-Chevalier expérimente avec 2 petites éoliennes qui ont produit l’an passé près de 24 MWh, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 11 Français. La route est longue, donc, mais les possibilités existent, comme nous le montrent nos voisins suisses avec des fermes éoliennes en service à Andermatt ou en projet à Laax. Le biogaz et biométhane n’ont guère de quoi se la péter en montagne. À en croire les cabinets Négawatt et Solagro, ces gaz issus de la méthanisation ne peuvent obéir à une logique de standardisation. « C’est simple en vallée car il y a une stabulation du bétail, note Thomas Beth, d’Énergies collectives. Mais en montagne, compte tenu des estives, les vaches vont au pré… l’équilibre d’une telle énergie y est plus fragile ». Des tests ont aussi lieu sur les boues d’épuration et les déchets organiques. De véritables avancées quand on sait que le méthane dispose d’un pouvoir de gaz à effet de serre 100 fois supérieur au CO2 en 20 ans. Terminons cette revue par les solutions qui tâtonnent ou qui détonnent, comme le photovoltaïque flottant (qui équipe notamment le lac Mondély), le photovoltaïque biface (le choix des Orres pour une meilleure harmonie paysagère), le turbinage des conduites de neige de culture (dans certaines stations pionnières comme la Thuile en Italie ou en cours de développement à Serre-Chevalier), la géothermie (des campagnes d’exploration sont en cours en Auvergne) ou encore le fameux hydrogène “vert”,

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obtenu à partir d’une électrolyse de l’eau, mais loin de faire l’unanimité (du fait de son impact environnemental et des questions de stockage qu’il pose).

UN LONG CHEMIN PAVÉ D’EMBÛCHES

La production d’énergies, aussi renouvelables soient-elles, n’est pas un long fleuve tranquille. Le rapport bénéfices/risques peut être tel que le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle. Première difficulté : la lourdeur réglementaire et administrative. Quelle que soit l’énergie en jeu, sa production et sa distribution nécessitent au préalable de lever une batterie d’obstacles : déclarations, demandes de raccordement, assurances, contraintes paysagères et environnementales, etc. “Si le politique veut faire évoluer les choses, c’est là-dessus qu’il faut agir”, explique Thomas Beth, d’Énergies collectives. Et sans doute aussi sur des incitations financières proportionnées et bien fléchées. “Il y a eu d’énormes baisses de dotations pour les collectivités

Au-delà des enjeux de transition énergétique, la production d’énergies renouvelables nous parle de nouveaux modes de gouvernance, de progrès et de gestion des richesses. 76

conjuguées à des compétences obligatoires, alors demander aux petits territoires de mettre du personnel à disposition pour assurer la transition énergétique, ce n’est pas possible” se désole Pierre Leroy, président du PETR du Grand Briançonnais. Le manque d’expertise en local est également un vrai frein. Souvent non-professionnels et accaparés par les missions du quotidien, les maires méconnaissent les intervenants et dispositifs d’accompagnement qui leur sont proposés. Séduits par les sirènes des énergies renouvelables, des producteurs-distributeurs privés, comme Mulliez ou Total, investissent le marché en zone montagneuse. Résultat, les communes se retrouvent tantôt éblouies par les promesses de certains producteurs, tantôt agacées par de gros projets qui peuvent démentir ou rendre caduc l’effort de transition de tout un territoire. Pour Marc Platon, directeur de la société EDSB, on sent un besoin de réguler ces démarches et de délivrer une information objective, pour envisager des synergies entre “petits” projets d’acteurs de tailles modestes, et “grands” projets de producteurs aux reins solides. L’acculturation des équipes en local devient alors centrale. Enfin, la frilosité est aussi du côté des associations et des citoyens. D’après Thomas Beth, d’Énergies collectives, elle est surtout liée au fait que de nombreux projets sont faits “hors sol”, avec le risque de tomber dans le “Nimby” ou “oui mais pas chez moi”3. D’où l’enjeu d’impliquer les habitants. “Il faut arriver à poser les débats au bon endroit, explique Julien Robillard. Par exemple sur l’hydraulique, se demander qui doit supporter le coût supplémentaire de la passe à poissons ? Ou quelle est la marge de celui qui porte le projet ?”.


MAIRE DE VAL PYRENÈUS, COMMUNE DE MOYENNE MONTAGNE, SE QUESTIONNE SUR L’AVENIR DE SON TERRITOIRE

"L’environnement on en a toujours fait, c’est dans nos gènes" Notre vie carbone

NOTE CARBONE

DIDIER

D

(si on intègre tous les périmètres de nos activités SCOPE 3 dont l’empreinte carbone de nos visiteurs)

Mes actions pour faire mieux

→ Le chassé-croisé chaque week-end hivernal : bus, skieurs à la journée venant de Toulouse ou Tarbes, travailleurs locaux habitant en vallée… les parkings et les routes sont saturés.

→ On commence déjà par développer une offre de mobilité en transports en commun pour le ski journée (covoiturage, bus, train). → On se lance dans un programme de rénovation énergétique de notre immobilier en mobilisant toutes les aides disponibles.

→ Des constructions qui datent de la création de la station, aujourd’hui vraies passoires thermiques. Qui pour les rénover ?

→ On se questionne sur la diversification de notre activité  : 2 saisons ? puis 4 saisons ? Activités décarbonées ? Plus de monde qui vit à l’année ?

→ Des infrastructures d’exploitation (télésièges, dameuses...) elles aussi vieillissantes. → Bonne nouvelle ! Les restaurants achètent de plus en plus auprès des producteurs locaux, nombreux entre Val Pyrenèus et Toulouse. C’est pas encore le cas des magasins alimentaires de la station, où l’on voit de tout !

→ On expérimente de nouvelles façons de commercialiser : des séjours plus longs, par exemple ?

projets, pilotage… Une demande de souplesse qui commence à être entendue par le gouvernement et l’Union européenne. Mais une fois la gouvernance établie, comment organiser concrètement la transition ? Certains attendent de l’ingénierie pure, d’autres espèrent des techniciens formés à la démocratie participative et à la transition énergétique. De manière générale, c’est un besoin d’animation qui se fait sentir. Mais la France semble à la traîne. “Tout le monde partage notre constat, mais personne n’agit en conséquence. On préfère donner des subventions d’investissement plutôt que d’investir sur l’humain, s’emporte Pierre Leroy”. Même si le ministère de la Transition écologique et solidaire a récemment annoncé sa volonté de financer un réseau de conseillers en photovoltaïque et éolien.

Ainsi, au-delà des enjeux de transition énergétique, la production d’énergies renouvelables nous parle de nouveaux modes de gouvernance, de progrès et de gestion des richesses.

VERS UN AVENIR ÉNERGÉTIQUE DÉSIRABLE EN MONTAGNE

“Il faut laisser des libertés en termes de gouvernance” réclame Pierre Vollaire, maire des Orres et vice-président de l’ANMSM, “La vision identique dans toutes les vallées n’est pas souhaitable”. Implication citoyenne dans les

3. Nimby (not in my backyard) désigne l’opposition d’intérêts privés à l’implantation - à proximité de leur domicile - d’un équipement destiné à satisfaire des besoins collectifs. Dans ce cas, elle peut aussi être interprétée comme “je refuse qu’on me spolie de ma qualité de vie”.

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Se pose aussi la question de l’échelle géographique à laquelle on raisonne. Admettons qu’on re-territorialise les énergies. Dans ce cas, les espaces de montagne, qui disposent d’atouts naturels certains, auraient plus de facilités à devenir des “territoires à énergie positive” que d’autres espaces. Mais où doit-on mettre le curseur entre équilibre local et entre-soi ? Une question de dosage... Pour Fabien Challéat du SYANE, la montagne doit désormais choisir ce qui est bon pour elle, “et ainsi devenir une vitrine, en exportant ses idées plutôt que sa production”. Une décentralisation vertueuse, qui permettrait à la

En complément, et même si son évocation peut faire penser aux grandes heures soviétiques, une forme de planification est nécessaire, avec un cadre authentiquement démocratique, pour le développement d’une politique énergétique plus soutenable. La planification peut ainsi être l’occasion de conjuguer harmonieusement tous les efforts à faire, de rassembler les moyens à disposition et de lever les blocages. « Sans doute que ça prête à sourire, confesse Julien Robillard. Mais la transition énergétique est un marathon. Pour garder le rythme, il faut poser des jalons ».

Notre vie carbone

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NOTE CARBONE

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"Le confort avant tout"

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RÉSIDENTS SECONDAIRES D’UN APPARTEMENT AUX MÉNUIRES QU’IL VA BIEN FALLOIR RÉNOVER

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PIERRE & MONIQUE

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Nos actions pour faire mieux

→ Notre voiture c’est notre liberté ! On en a 2, dont un gros SUV. Tous les ans, on vient près de 10 fois dans notre résidence à la montagne.

→ On commence par rénover notre logement et pas de façon superficielle.

→ Notre appartement Pierre & Vacances, on l’adore. Il date de l’origine de la station. Bon il a vieilli, il n’est pas bien isolé et nous coûte cher en chauffage...

→ On met des pulls plus souvent (en plus c’est tendance les gros pulls). → On décide enfin de prendre le train pour rejoindre notre résidence secondaire et on profite du temps du voyage.

→ C’est quoi un “fruit-légume de saison ?” Nous on aime bien manger de tout et on ne fait pas vraiment attention aux produits qu’on achète. Viande tous les jours et très souvent aux restaurants avec nos amis. À la montagne, on achète à la supérette du coin. C’est pas local ?

→ On fait attention à nos affaires et on prend plaisir à prolonger la vie du petit matériel du quotidien (le robot Vorwerck, la bouilloire de mamie, les skis Rossignol année 2000…). Le vintage c’est à la mode ! → On se soucie de ce qu’on va laisser à nos petits enfants (on parle de la planète) et on adopte une vie un peu plus sobre.

→ On a de gros moyens et on en profite : on s’achète la dernière tenue de ski, on voyage beaucoup et Monique est fan de sacs à main.

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La complexité des enjeux énergétiques, notre modèle dans lequel le “plus” a valeur de “mieux”, ont tendance à figer plutôt qu’à mobiliser. Pourtant, sans nier les embûches, la transition ne pourra s’opérer que lorsque nous y verrons plus les bénéfices que les privations. Comme le souligne Pierre Leroy : “l’action naît du désir : si nous ne parvenons pas à mettre des étoiles dans les yeux des gens, cela ne fonctionnera pas”. Et la montagne dispose de tous les atouts pour jouer ce rôle de chef de file : une histoire, des ressources, et une urgence à rendre ses territoires pérennes et résilients.

montagne de se poser en fer de lance, elle qui a un potentiel EnR plus élevé que d’autres territoires. L’innovation technologique, mais aussi de méthode, sociétale et comportementale, est sans doute un des maillons de cette chaîne vertueuse. « Bien sûr que les technologies sont matures, explique Yann Bidault, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage pour les Orres4 sur les projets liés à la transition écologique et l’évolution touristique, mais les systèmes d’information à mettre en place ne le sont pas. Croire qu’on peut tout résoudre via les technologies est faux. Mais croire que l’on peut s’en passer l’est tout autant ». Le tout-technologie, c’est fini, mais sans la technologie, tout est fini ? L’innovation peut aussi intervenir dans le processus, le mélange de compétences, l’intelligence collective, la structuration des outils et la maîtrise des risques.

ALLER PLUS LOIN → Les énergies renouvelables en zone de montagne : contraintes et opportunités de développement – Étude sur la partie Sud des Alpes Cerema, octobre 2016 bit.ly/EnRMTN

4. La commune des Orres a décidé d’agir sur différents tableaux, en mettant en œuvre un système de management de l’énergie et en encourageant l’échange de bonnes pratiques et leur réplication, via notamment le projet Européen Smart Altitude. bit.ly/OrresLab

→ Le bouleversant Podcast de Magma sur le village noyé de Tignes bit.ly/TIGMagma

FUTURS ÉNERGÉTIQUES 2050 RTE, gestionnaire français du transport électrique, a présenté le 25 octobre dernier une étude sur l’évolution du système électrique intitulée “Futurs énergétiques 2050”5. Cette étude met en avant six scénarios de production et de consommation électriques permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ces scénarios présentent des traits communs : la diminution de la consommation finale d’énergie, l’augmentation de la part d’électricité et une forte croissance des énergies renouvelables dans la production d’électricité. En démontrant que les énergies renouvelables électriques devront couvrir au minimum 50 % de notre consommation

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d’électricité en 2050, les scénarios de RTE actent un changement de paradigme majeur, dans lequel les énergies renouvelables joueront un rôle essentiel pour réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles. De son côté le collectif Négawatt, qui a également présenté son scénario6, va encore plus loin en visant la neutralité carbone en 2050, ainsi qu’un mix énergétique à 96 % renouvelable, tout en réduisant fortement l’extraction de matières premières.

5. bit.ly/rte2050 6. bit.ly/negawatt2050


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Il en pense quoi ?

SÉBASTIEN LOUVET PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES GARDIENS DE REFUGES DES HAUTES-ALPES, ET GARDIEN DU REFUGE DE CHAMOISSIÈRE. Comment sont apparues les préoccupations énergétiques en refuge ?

01.

©PAT. DOMEYNE

On les présente souvent comme des exemples d’autonomie et de frugalité, mais ce n’est pas toujours aussi évident... L’emplacement géographique et le modèle de frugalité véhiculé par le refuge font que les questions de consommation et de production d’énergie ont toujours animé les gardiens [Le refuge de l’Alpe de Villar d’Arène s’est équipé de panneaux photovoltaïques dès 1985, NDLR]. Mais ces préoccupations énergétiques ont évolué d’abord par nécessité. Les randonneurs·euses ont exprimé de nouvelles demandes : des douches chaudes, des points de recharge pour les téléphones portables... L’administration nous a également imposé de nouvelles contraintes réglementaires, notamment en termes de chaîne du froid ou de secours. En parallèle, nous avons mis le doigt sur nos paradoxes : en pleine nature, certains refuges fonctionnaient au fioul ou disposaient de groupes électrogènes. Enfin, nous avons pris conscience de notre potentiel en “petite hydroélectricité”. Cela a poussé notre démarche à évoluer.

la Sous-Préfète et la direction départementale des territoires pour leur faire constater qu’aujourd’hui il était plus simple d’utiliser des énergies fossiles en montagne que des énergies renouvelables. Ça a été assez efficace : c’est comme ça que l’hydraulique a vu le jour à travers de petites installations et qu’on a réhabilité l’image du gardien de refuge “bandit qui voulait assécher les rivières”.

Comment cela a-t-il été accueilli par vos visiteurs ?

03.

On a la chance d’avoir des promeneurs sensibilisé.e.s à la fragilité de notre environnement. On constate un changement d’état d’esprit dans les Hautes-Alpes et les Alpes du Sud : quand on parle des questions énergétiques, il y a désormais une vraie écoute. Ce ne sont plus des discussions d’illuminés ou des débats de chapelle. Les locaux sont ravis qu’on leur apporte des idées et des solutions sur un plateau, facilement transposables. Maintenant, c’est à chacun.e de s’en emparer.

Est-ce que le chemin vers la transition s’est ensuite fait facilement ? 02.

Développer de la pico-électricité pour faire fonctionner un frigo demandait la même procédure ou presque que pour installer le barrage de SerrePonçon ! Alors, il y a quelques années, avec le soutien du Club Alpin Français, on a fait monter

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L’ÉNERGIE SOLAIRE THERMIQUE EN MONTAGNE, UN ÉLÉMENT INDISPENSABLE DU MIX. C’est une énergie complémentaire de l’énergie hydraulique en termes de saisonnalité. En effet, le stock hydraulique en altitude est le plus utilisé entre janvier et avril (source RTE), lié aux besoins de chauffage, à la forte fréquentation dans les stations et l’occupation des hébergements. Or dès le mois de février en montagne, l’énergie solaire devient abondante. Installés en position inclinée ou verticale, les capteurs solaires ne sont pas recouverts par la neige, ils permettent donc une production optimale hivernale et on évite les surchauffes l’été.

Le solaire “thermique” permet de réchauffer un fluide (de l’eau + de l’antigel, hé oui ça caille en altitude) à l’aide du soleil. Une installation de capteurs constitués d’un cadre en aluminium, un vitrage en verre trempé, le tout bien isolé, piègent le rayonnement solaire. Le fluide circule entre le capteur et le bâtiment, la chaleur est emmenée et stockée dans un ballon servant au chauffage et/ou à l’eau chaude. Cette technologie permet des économies d’électricité, fioul et autres pour la production d’eau chaude sanitaire et pour le bouclage (maintien en température de l’eau chaude dans le réseau de distribution).

Cette technologie est utilisée depuis longtemps mais mériterait d’être encore développée en montagne tant elle est bien adaptée et permet un mix énergétique décarboné toute l’année.

On peut produire 600 kWh/m2/an à Valmorel pour un coût de 1 000€ /m². L’installation se dimensionne avec comme objectif de couvrir 50 % des consommations d’eau chaude (et du bouclage).

Merci à Noémie Teisseire du bureau Blacksheep Energie, et Didier Chomaz, Conseiller en énergie indépendant.

On est pas tous des Jancovici Le sujet énergétique est particulièrement complexe et les solutions techniques particulièrement techniques. Comment gagner en expertise pour guider nos décisions ?

Re-territorialiser l’énergie Il n’y aura surement pas de modèle systémique, standardisé et duplicable : les énergies doivent s’adapter aux singularités de chaque vallée.

La jouer collectif La sobriété énergétique peut être un mouvement de société organisé qui soutient les citoyen.es dans leurs actions

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individuelles. C’est un pari pour l’avenir, il faut décider d’y croire et investir, faire ensemble… Là encore, comment se réapproprie-t-on plus localement notre production énergétique ?

Moche ou polluant, il faut choisir ? Faire évoluer notre modèle énergétique en montagne, c’est aussi accepter de faire bouger nos représentations sur l’impact d’aménagements de type fermes solaires, éoliennes… la pollution qui se voit en échange de celle qui ne se voit pas — le carbone ?


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