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Jusqu’à maintenant les activitées de NO0S s’étaient concentrées autour de la musique et de formats poétiques qui lui sont associés. Pourtant plusieurs projets éditoriaux autour du texte sont en maturation lente depuis un moment déjà. C’est donc pour nous un moment important que celui de l’édition de ce Reader à l’occasion de notre premier festival.

A l’heure ou je termine l’édition de ce volume, les soirées du jeudi et du vendredi restent flottantes. Annulées à cause des mesures préfectorales récentes. Le festival que l’on a préparé depuis 2 mois et demi et qui devait réunir plus d’une trentaine d’artistes et de collectifs a pour intention de rassembler les amitiés et les activités qui nous inspire. Hors aujourd’hui, rassemblements, tendresse et fêtes sont de plus en plus difficile à faire exister dans les espaces publics et indépendants/alternatifs.

Sont mis·ent à mal les pratiques et les lieux qui constituent nos savoirs-faire et nos modes d’existences.

La musique live, la performance, les espaces et temps de rencontre nous sont vitaux. eu ser l Merci aux ami·e·s qui nous ont fait confiance pour diffu

Tout cela nous donne envie de réfléchir, de ne pas s’arrêter et d’inventer toujours de nouvelles formes ensemble. Et surtout céder le moins possible à une autorité répressive, méprisante et discriminante qui ignore et nie nos modes d’existence. Nos combats prendront toujours de nouvelles formes.

Nous voudrions en profiter pour affirmer notre soutien sans faille aux lieux et collectifs comme Gufo, que le contexte actuel menace de tuer. Les lieux auxquels nous sommes attachés vivent grâce à nos présences physiques. Vivent parce qu’on y boit des bières ensemble et qu’on y mange des choses préparées avec amour et dévotion. Il est essentiel de trouver es moyens de soutenir et pérenniser leur existence, qui sont la condition des nôtres.

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ar fo is vulnérables, co mme no tre rapport à l’écr iture et au monde.


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Il y a beaucoup de je dans ces textes, beaucoup de premières personnes. Je crois que pour beaucoup d’entre nous, ce je qui s’immisce si facilement dans nos écritures à longtemps été une chose honteuse. La marque d’un égocentrisme ou d’une suffisance romantique dépassée. Mais le temps passant, il me semble que ce je se couple au tu, au nous ; il devient le je d’une expérience intime du monde. Le je épistémologique de toutes les sensations magiques éprouvées au contact de tout les Autres.

festival sont venues à nous.

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[...]

à elle que l’idée et donc est grâce la possibilité

Il y a beaucoup d’erreurs dans le langage aussi. Celles de la traduction incertaines d’une langue étrangère à celle de rigueur, ou des fictions ressenties à celles qui se racontent. Il nous semble que c’est lorsque la langue rate à faire sens qu’elle est la plus proche du vrai de la littérature : cette force immense de partage. Qui est la tendresse même à dire pour mettre au contact de sa peau, au contact du monde à travers nos peaux qui se racontent. Cette caresse qui est pour parler avec Giono, le plus grand travail qui soit. « D’abord, [parce que] ça demande tout le meilleur de toi ; et puis quand on fait un soulier on sait ce qu’on fait, on sait à quoi ça sert. Mais quand on fait une caresse, savoir ? Ce qu’elle est, à quoi elle sert, où elle mène ?

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Chacun des textes qui vont suivre sont d’une préciosité et d’une fragilité immense. J’aimerais pouvoir honorer chacun d’eux et les présenter dans l’écrin de douceur et de tendresse qui leur convient. Avec l’attention qui convient aux gestes magnifiques de la confiance et du dévoilement. Dans chacun des textes ici réunis, se révèlent des choses d’une implacable vérité sur leur auteurices. C’est une plongée dans l’intimité, celle de la tendresse et de la caresse. Celle de l’amitié, forme politique de Hocquenghem et Foucault, plus subversive et révolutionnaire encore que l’amour ou le couple de Duras et Blanchot.

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Les soleils qui tournent ont des oreilles raconte l’histoire d’une jeune ethnologue, Joanna Klep CUMA dans une ville du nord-ouest de la France. Ces agriculteur.rice.s ont une pratique parti mystiques avec ces plantes. Iels se parlent et s’écoutent mutuellement, ce qui permet aux tour Joanna, du début de son étude ethnologique à sa révélation mystique.

IX

On voit un groupe de personnes assis.e.s autour d’une table. Il.elle.s sont en dessous d’un hangar. La table et les chaises sont en plastique blanc. Il fait nuit noire, la table est éclairée par une ampoule qui fait une lumière très jaune. Il y a Quentin, Damien et Laura. Il y a un homme plus vieux qui s’appelle Vincent et deux femmes du champ de tout à l’heure qui s’appellent Justine et Clara ainsi que la scientifique. Ils boivent des bières, directement à la bouteille. On voit les restes d’un repas sur la table, quelques assiettes sont empilées et contiennent des couverts sales. On voit un saladier vide, une baguette de pain entamée, et un paquet de chips ouvert. Il y a des miettes sur la table. On voit Joanna.

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Joanna : Ça fait longtemps que tu fais ça ? Clara : Non, c’est ma deuxième saison, c’est la Travers qui m’a appris l’année dernière. Justine : Ah ouais ? Moi c’est mon père qui m’a appris. Joanna : C’est qui ton père ? Justine : Thierry Messager. Ses parcelles sont vers Château. Joanna : Ah oui Messager, je l’ai vu à la CUMA. Clara : La Travers, moi, elle est venue me chercher. Elle essaye tout le temps de ramener des nouveaux. Joanna : Donc cette semaine vous faites ça et après ? Justine : Eh bein, on fait les parcelles de la Croixille puis celle dans le bas d’Argentay. Comme ça, ils font l’anti-fongique une fois qu’on est passé.e.s. Clara : Puis après ça sera la première irrigation. Joanna: Vous leur parlez avant l’irrigation aussi ? Clara : Ouais. Quentin : Et toi ? Tu fais pas ? Joanna : Oh non, moi j’observe, c’est tout. (Silence) Vincent : T’es bizarre, ya rien à voir. Joanna : Comment ça ? Vincent : Eh bein là tu vois pas le phénomène. Joanna : Si, je vous vois travailler, je vous observe mettre en place le phénomène.


pman, étudiant la pratique d’une communauté d’agriculteur.rice.s regroupé.e.s en une iculière : iels se spécialisent dans la culture du tournesol et entretiennent des relations rnesols de pousser très vite et très haut. Le récit suit le parcours initiatique de la scientifique

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Vincent : Oui mais tu peux pas le voir, il faut le sentir. Il faut leur parler si tu veux connaître le phénomène, ils vont pas venir à toi hein. Justine : Moi ils sont venus à moi. Quentin : Ah bon? Justine : Ouais, j’étais petite, j’aidais mon père dans le champ sur la route de Château quand tu viens de Montreuil. C’était fou, je les ai entendu d’un coup. Joanna : T’as eu peur? Justine : Un peu, ça va. Mon père était content. Il m’a appris à leur parler puis après pendant les vacances je l’aidais. Quentin : Moi ça m’a pris du temps, je leur parlais tout le temps et j’entendais rien. Puis je me suis dit que peut-être je gueulais trop. Du coup maintenant je chuchote et ça marche mieux. Clara : Tu chuchotes ?? La Travers m’a dit qu’il fallait pas chuchoter... Quentin : Ah bon? Damien : Ouais, la Travers elle aime pas ça. Joanna : Pourquoi? Damien : Chepa trop, ça l’énerve. Laura : Je pense pas que c’est important ça. Justine : Mouais... Laura : Si si, moi je pense plus à comment je respire qu’à ce que je dis. J’y pense vraiment fort. Je me concentre plus sur ça que sur les mots. Ils entendent le message par mon souffle tu vois. Vincent : Ah t’es télépathe quoi! (rire général) Laura : Ohlala aujourd’hui j’ai vu l’autre là, Fabrice. Il lui tenait les feuilles carrément, il bougeait comme ça, comme un fou (elle mime un mouvement d’avant en arrière). J’ai du lui dire de se calmer. Il allait nous maudire toute la parcelle. (rire général) (Silence) Joanna : Mais quand vous les entendez, ils vous disent quoi? (silence) Clara : Bah ça dépend, c’est dur de dire.


Justine : Ils parlent pas comme nous. Tu vois c’est comme s’ils parlaient en sensations. Ça vient en vagues. Comme des vagues de chaleurs mais en même temps c’est pas non plus chaud. Tu es juste bien. C’est sans efforts. C’est comme une phase, t’es très concentrée mais en même temps t’es un peu éteinte. Il y a juste tes oreilles qui fonctionnent et c’est comme si c’est pas toi qui les faisais fonctionner. Comme si elles ne faisaient plus partie de toi. C’est un peu flottant, et en même temps lourd sur les lobes. Ça bourdonne beaucoup mais c’est pas si fort. Tu es découpée en morceaux mais tu fais une. Tout te tire vers le sol mais c’est magique ton corps reste debout. Tu es plantée là mais il y a une force qui te tire vers le haut. Tu es fixe mais très libre. Le haut est grand mais très familier. Tu fais partie de tout. Et avec tes yeux tu vois tout, vraiment tout. Les plus petits détails que tu vois pas d’habitude. Ça grouille d’insectes, de brins très fins de pollen, de rainures, de plis, les graines sont lisses et elles brillent. Mais c’est quand même un peu voilé. Aucun détail n’a plus d’importance qu’un autre. Tout est sur le même plan. La terre elle te tient vraiment, tu t’enfonces dedans mais elle résiste un peu. Elle est molle mais pleine de pierres. Tu discernes vraiment tout le vivant, plein de mouvements invisibles. Le voile de tes yeux accentue tout le reste. Enfin! Tu vois vraiment! Tu vois le reste, et tu vois quelle place tu prends. Dès que tu bouges, le reste bouge. Si tu t’efforce à ne pas bouger ça grimpe sur toi. Ça remonte tout ton long, et puis ça avance lentement à l’intérieur de ta bouche, de tes narines, de tes oreilles. Ça vit à l’intérieur de toi, ça pousse tes contours. C’est en train de croître et même si tu veux bouger maintenant tu ne peux pas. Tu es enracinée. Ça fait des fruits dans ton estomac. Puis tu es mûre et là tu chies des feuilles mortes. Une autre arrive et prend le dessus. Vous vous mélangez et vous devenez autre chose, ça te ressemble mais pas complètement non plus. Tu as toujours ce voile sur les yeux qui t’aide à mieux voir. Tes oreilles n’entendent plus le langage humain du tout maintenant, elles entendent seulement des vibrations. Tu sens le souffle du reste sur tes joues. Et ça, c’est ta vie maintenant. Tu es dedans. Tu peux plus vraiment être dehors. Tu peux plus prendre du recul et ranger les choses. C’est plus possible, ce n’est plus juste toi. (Silence) Damien : Sauf l’hiver quand tu te les cailles, là tu prends du recul! (Rires) Justine : Et puis en plus, c’est différent pour tout le monde. Vincent : Oui, c’est pour ça! On te dit que tu dois leur parler aussi. Si tu veux voir. Justine : Laisse là, peut-être qu’elle a pas envie. Vincent : Bah elle envie de comprendre non? Clara : Ouais c’est ça, tu peux pas comprendre si tu le fais pas. Moi je comprenais rien avant.

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Quand j’étais enfant, comme tous les enfants de mon village, je passais beaucoup de temps dehors. Nous allions des après-midi entières jouer dans les champs, la forêt. Les premières impressions sensorielles que je garde en tête sont principalement olfactives, faites d’odeurs évidentes de foin séché, de sous-bois humide, de terre durcie sous les ongles, de pollens de fleurs au printemps Mais il y avait aussi et surtout d’autres odeurs, plus marquantes et tenaces dans mon jeune esprit, de part l’image à laquelle je les rapprochais, qu’elles me renvoyaient. L’odeur de la bouse de vache, du purin jeté dans les champs, du camion d’équarrisseur qui passait dans le village récupérer les carcasses des animaux morts les jours précédents, embaumant les rues pour plusieurs heures après son passage. Celle de la charogne en plein été sous la bâche au fond du champ qui attendait son tour. Ces odeurs plus encore me marquaient car je les reliais à des odeurs corporelles et cela me gênait; d’autant plus que c’étaient celles de la merde et de la mort. Aussi loin que je me souvienne, mes premières impression du monde sont donc olfactives.

Puis vinrent les images et les sons. Le samedi après-midi, il fallait aller aider mon oncle étalonnier pour la saillie. Il élevait des étalons de traits comtois, des chevaux très lourds qui servaient jadis pour la labour. La jument arrivait en camion d’un autre village, on l’attachait et on ramenait l’étalon. Hennissements, ruades et sabots qui claquent le sol, son énorme sexe en érection, l’étalon, toujours tenu par son maitre, se jetait sur la jument. Il la mordait, elle se débattait, hurlait, si elle bougeait trop on lui posait un tord-nez, s’il n’arrivait pas à la pénétrer, le maitre l’aidait en prenant rapidement son sexe pour le guider. La scène, la taille, la leur, la mienne, tout était impressionnant. Il y avait aussi les vêlages chez le voisin. Moments tant attendus qui se terminaient en fête si tout se passait bien, en drame si complications il y avait, menant à une fin tragique dans le sang, les cris, les déjections, puis la mort. Un dimanche par an, en février, on « tuait le cochon ». L’animal était suspendu à la fourche d’un tracteur, criait de toutes ses forces en gigotant. Un coup de massue, on l’égorgeait et le sang giclait dans des seaux pour être récupéré. On était autant d’enfants que de chiens qui, hystériques d’excitation, couraient partout en jappant pour lécher le sang qui coulait à côté des contenants. Les hommes faisaient la découpe, les femmes le boudin, et les enfants les saucisses. Ces images n’étaient pas choquantes (et ne le sont toujours pas quand j’y repense) car les adultes qui nous entouraient les normalisaient, en nous expliquant que « c’était la vie ». À travers les corps de ces animaux, je faisais d’une certaine manière l’expérience de mon propre corps. Des images de sexe, d’accouchements, de fluides, de morts, des odeurs corporelles très fortes. Ces animaux que je voyais là, étaient ceux à qui je parlais quelques jours plus tôt, avec lesquels j’inventais des histoires pour mes jeux, auxquels je m’identifiais. Ici, c’était eux, leur corps, qui me parlaient de moi. En regardant ces scènes, j’observais avec mes yeux d’enfants ce que je commençais à conscientiser de manière claire pour les premières fois comme étant des rapports de force auxquels j’assistais entre deux corps, deux individus. L’étalon qui force la jument, le maitre qui force l’étalon, le tord-nez, le voisin qui, impatient et fatigué, tire trop fort sur les pattes du veau et lui les brise.


Je ne suis p mais celui d 8 工厂停了以后 那只意识到自己是批量生产的忧伤的小鸡 又重新活蹦乱跳了起来 Après la fermeture de l’usine, la triste poulette qui se rend compte qu’elle est produite en masse, elle est de nouveau vivante.


pas l’enfant du capitalisme, d’êtres autonomes comme les pierres L’enfant des pierres n’est pas un enfant mercantile, il ne traite pas avec le marché. L’enfant des pierres échange mais on ne peut pas dire qu’il fait du commerce. Les objets de ces échanges ne sont pas toujours des objets, des produits ou des marchandises ; car il ne sait jamais bien ce qu’il a ou ce qu’il prend. Finalement, l’enfant des pierres ne sait pas ce qu’il échange, il n’en est pourtant pas triste, c’est un enfant plutôt joyeux. Il échange sans pour autant posséder grand chose, voir rien (l’enfant des pierres est une pierre et n’a ni poche ni sac pour conserver quoi que ce soit). Parfois il troque la trace de l’impact de son corps contre une matière molle. D’autres fois, c’est son inaction qui rend l’échange possible : dans le cas où des champignons mange-pierre le digèrent en partie. Il ne fait d’ailleurs pas un problème d’être réduit à autre chose. L’enfant des pierres accepte très bien les mutations, de toute façon il n’a pas le choix, c’est un enfant des pierres. Peut-être n’est-il pas très loin d’être mutant, mais en très ralenti. L’enfant des pierres traverse les âges. Il est par alternance pierre, roche ou sable, il est simultanément il, elle ou ça, ou autre chose. Pendant ce temps, ce corps d’enfant sédimente. Et quelque fois se brise en morceaux dont certains tombent dans la mer. À nouveau, il y a plusieurs enfants des pierres. Car l’enfant des pierres n’est pas unique et isolé. Il le sait bien, il vient des pierres, et souvent se mêle à toutes les autres. Il est autonome, c’est une enfant, mais n’est pas indépendant. Il dépend des pluies, des vents, de la lune et de beaucoup d’autres choses. Il dépend en premier lieu de la gravité. Il le sait bien, il vient des pierres. Les pluies, les vents, la lune et la gravité ne sont pas monnayables car elles n’appartiennent pas à l’enfant des pierres. Pourtant il échange beaucoup avec elles, en commençant par sa forme ; mais l’enfant des pierres n’a pas besoin de de savoir si, de cet échange, il perd ou il gagne : de fait, ça ne l’intéresse pas de monétiser. De toute façon il ne sait pas compter, ou plutôt il ne sait pas comptabiliser. Il n’y a pas à additionner le nombre de lézards qui lui passent dessus ou le nombre de vagues qui viennent le submerger, car il ne voit pas bien l’intérêt de compter les choses qui vivent. Ça avance et c’est déjà beaucoup. Alors, il ne comptabilise ni le nombre de jours, ni sa superficie, ni sa densité. Aussi car il n’en ferait rien et non pas qu’il soit indifférent, il n’a juste pas la distance pour compter. Il ne prétend pas être la plus grande pierre, l’enfant des pierres est une enfant. Il est ras-le-sol, comme tout le monde. Ainsi, il n’a pas le vertige car il ne cherche pas le recul froid que nécessite la rentabilité et le profit. Il ne profite ni des lézards, ni des vagues, autrement il se retrouverait seul. Il n’a pas d’avantage à être un ou mille graviers ; à être de la lauze ou du marbre. L’enfant des pierres se laisse dépasser par les évènements. Il est un agglomérat de minéraux divers et la brisure d’une falaise en même temps. L’enfant des pierre reste placide face à sa situation ; réveillé par le soleil qui vient lui chauffer les flancs.

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街道上几乎看不到什么人 无论有没有人买票去动物园 动物园里的动物们依然和之前一样穷 它们在夜晚的动物园里进行着悄无声息狂欢 Il n’y a presque personne dans la rue, que quelqu’un achète ou non un billet pour le zoo, les animaux du zoo sont toujours aussi pauvres. La nuit, ils font une orgie silencieuse au zoo. Les personnes qui avaient été attribuées à des écoles, des entreprises, des usines étaient renvoyées sur leur site d’origine pour suivre les dernières nouvelles encore et encore.

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11 « Incarnation et Déshumanisation : Performativité dans le Black Metal Norvégien », in Jules Maillot, Avant que votre estomac ne se vide, 2020 Le mouvement Black Metal s’organise dans les années 1990 avec la Norvège pour épicentre. C’est en puisant dans l’énergie musicale de groupe comme Motörhead, Celtic Frost ou Bathory qu’un petit groupe d’individus commence à fabriquer une musique plus sombre, plus incarnée. Trois figures vont, dans ces années, jouer le rôle de précurseurs esthétiques et philosophiques du mouvement. Le suédois Per Yngve Ohlin, plus connu sous son pseudonyme « Dead », rejoint le groupe de crust punk norvégien Mayhem en 1988. Lorsqu’il sollicita les membres du groupe, il leur envoya une démo sur cassette ainsi qu’un « statement » de ses idées et une souris crucifiée. Mayhem accepte de l’accueillir en son sein, permettant ainsi à Dead de déployer une nouvelle esthétique pour le groupe et de nouvelles orientations musicales. D’abord, il popularise un nouvel usage du corpse paint. Se peindre le visage en blanc et en noir de façon théâtrale pour exagérer ses expressions faciales n’est pas nouveau : dès le début des années 1970, des groupes américains comme Kiss ou Alice Cooper utilisent le maquillage à des fins spectaculaires. Dead, lui, s’attache à vouloir ressembler à un cadavre. L’utilisation du corpse paint qu’il propose est donc beaucoup plus morbide que l’usage du maquillage des groupes suscités. Totalement fasciné par la mort, Dead porte sur scène des vêtements quasi décomposés, qu’il a enfouis pendant des jours dans la terre – le tissu de développe ainsi une odeur de cadavre. Il lui arrive aussi de façon très régulière de se mutiler sur scène, avec des morceaux de verre ou des couteaux de chasse. Il reste en tout cas l’une des personnalités les plus extrêmes de cette scène musicale. Son absence totale de limite fascine son entourage. Le 8 Avril 1991, « Dead » se suicide violemment dans une maison dans la forêt possédée par « Euronymous » et « Hellhammer » , deux autres membres de Mayhem. Peu surpris de le retrouver sans vie, ils vont se livrer à plusieurs actions en compagnie de son cadavre. Une photo est prise par Euronymous et servira de pochette à l’un album du groupe The Dawn of the Black Hearts. Des ossements seront aussi prélevés pour servir de bijoux et un morceau de cervelle sera consommé en ragout par le même Euronymous . “Excuse the blood, but I have slit my wrists and neck. It was the intention that I would die in the woods so that it would take a few days before I was possibly found. I belong in the woods and have always done so. No one will understand the reason for this anyway. To give some semblance of an explanation I’m not a human, this is just a dream and soon I will awake. It was too cold and the blood kept clotting, plus my new knife is too dull. If I don’t succeed dying to the knife, I will blow all the shit out of my skull. Yet I do not know. I left all my lyrics by ‘Let the good times roll’—plus the rest of the money. Whoever finds it gets the fucking thing. As a last salutation may I present ‘Life Eternal’. Do whatever you want with the fucking thing. / Pelle. I didn’t come up with this now, but seventeen years ago.»1 (Message d’adieu de Dead) Øystein Aarseth plus connu sous le nom d’Euronymous était sans doute le personnage le plus fasciné par les agissements de Dead – qui signe un geste malsain et radical en consommant la chair de son défunt compagnon après le suicide de celui-ci. Quoi qu’il en soit, la mort de Dead se conclut par une crise interne du groupe et de violentes disputes entre Euronymous et le reste des membres. Quittant finalement le groupe, Euronymous crée une des boutiques iconiques de la scène Black Metal «Helvete» (signifiant enfer en Norvégien) qui fera véritablement office d’archive, de lieu de vie et de studio d’enregistrement. C’est à cette époque qu’il prend aussi la charge d’aider de jeunes formations à se développer en créant un label de musique. Il rencontre alors le jeune Varg Vikernes à l’origine du onemanband Burzum. Burzum représente un autre modèle de formation de groupe Black Metal, restreinte à un seul membre enregistrant toutes les parties instrumentales dans sa chambre ou un garage. Cette façon solitaire de produire la musique semble, pour la scène Black Metal, plus propice à créer des « concept albums ». Varg Vikernes et Euronymous vont entretenir une amitié forte qui va les conduire à adopter des postures de plus en plus transgressives. Le 6 juin 1992, ils incendient la Fantoft Stave Church de Bergen.Sous leur impulsion c’est le début d’une période de folie incendiaire en Norvège où plusieurs lieux de cultes sont brulés autant par les membres de groupes que des fans. L’opinion publique s’embrase elle aussi, et le mouvement Black Metal obtient sa première fenêtre médiatique. Les très charismatiques Vikernes et Euronymous ont du mal à coexister dans ce climat propice à la gloire. Les tensions deviennent vite palpables et se concluent le 10 aout 1993 par le meurtre d’Euronymous. Les conditions de cet assassinat sont encore aujourd’hui très floues, mais conduisent Varg Vikernes à purger une peine de 21 ans d’emprisonnement (la peine maximale en Norvège). Cet épisode conclut l’histoire de ce que l’on nomme aujourd’hui le True Norvegian Black Metal, la fondation du genre en quelque sorte – c’est l’époque où se fixe le dogme esthétique du Black Metal. Les thèmes de prédilections dans la musique Black Metal se fondent sur le satanisme pour sa portée blasphématrice. De nombreux groupes signent leur appartenance au satanisme en organisant des messes noires. Dans la constellation Black Metal, la particularité de Burzum est d’être sorti

1 Johannessen Ika, Jeffersson Klingberg Jon Blod, Eld, Död: En Svensk Metalhistoria (Blood, Fire, Death: A Swedish Metalhistory) Alfabeta Bokförlag, 2011 consulté en ligne via https://en.wikipedia.org/wiki/Dead_ (musician)#cite_note-blodelddod-8 le 19/01/20


de l’imagerie satanique pour convoquer les cultes norvégiens préchrétiens. Il met en place un savant mélange entre le satanisme (pour sa violence performative) et l’identité préchrétienne de la Norvège (comme ressort idéologique). Cet intérêt pour l’héritage païen, on le trouve dans les jeunes formations du genre, mais avec des options différentes. Certaines vont intégrer le paganisme à un modèle fasciste, voire néonazi (voir le National Socialist Black Metal), d’autres vont dépolitiser le paganisme pour proposer une musique essentiellement spirituelle (le Pagan Black Metal). D’autres encore vont se replier sur un modèle postromantique et vont ériger le suicide en fer-de-lance esthétique (le Depressive Suicidal Black Metal). C’est donc une véritable constellation qui va s’ordonner à partir des directions dessinées par la scène fondatrice. Afin de m’approcher au plus près de la culture de la transgression propre au Black Metal , il n’est pas inutile de commencer par interroger certains aspects de la culture sociale norvégienne. La Norvège valorise, au même titre que d’autres pays scandinaves, une culture de la cohésion sociale, qui s’incarne dans un idéal d’uniformité et de conformisme. Un mot précis vient désigner ces valeurs : il s’agit du terme de « Janteloven », forgé par l’écrivain Aksel Sandemose dans son ouvrage un fugitif croise sa trace (1933). Ce roman retrace la vie dans la localité de Jütland dans laquelle la « tyrannie du conformisme » atteint son paroxysme quand une chasse à l’homme est organisée pour réprimer un individu aux comportements « déviants », qui attire haine et jalousie des habitants. La « loi de Jante » se présente sous la forme de ce décalogue : « Tu ne croiras pas que tu es quelqu’un. Tu ne croiras pas que tu as autant de valeur que nous. Tu ne croiras pas que tu es plus intelligent que nous. Tu n’iras pas t’imaginer que tu es meilleur que nous. Tu ne croiras pas que tu en sais plus que nous. Tu ne croiras pas que tu es plus que nous. Tu ne croiras pas que tu es plus capable de quoi que ce soit. Tu ne te moqueras pas de nous. Tu ne croiras pas que quelqu’un se soucie de toi. Tu ne croiras pas que tu peux nous apprendre quelque chose. »2 La violence envers l’individualité symbolique est totale. Dans cette perspective il me semblerait que la société norvégienne ne conçoit pas l’idée même d’une élite culturelle ou politique. Toute personnalité ayant une visibilité particulière vie sous la crainte de troubler ou choquer l’opinion. On assiste à une « ostentation de modestie » dans le paysage social. « Cette puissante mythologie d’un peuple à l’État reconnaissant facilitera la sécularisation de l’ancienne culture luthérienne de la loyauté et de l’obéissance. Elle prolongera l’imaginaire religieux de la communauté en une culture politique du compromis et de la recherche de solutions constamment négociées, comme si l’unité primordiale enseignée par le protestantisme luthérien renaissait à travers l’idéologie de l’État social-démocrate. »3 À présent le contexte d’apparition du Black Metal est plus clair. Ces jeunes gens s’organisent entre eux pour extirper leur individualité de ce qu’ils perçoivent comme une violence du conformisme et de la morale luthérienne. Le geste de transgression visible dans la performativité des corps de cette scène musicale est une tentative de faire symbole, de trouver une unité d’apparence à des fins d’émancipation sociale. Les grands thèmes de l’unité norvégienne sont subvertis. La cohésion nationale se supplante à une idéologie politique remettant au premier plan l’histoire préchrétienne peuplée de figures masculines libres et indépendantes. Les actes violents perpétrés envers les signes religieux ne sont pas purement manichéens. Ils relèvent d’une conscience politique de combattre symboliquement des points de « stigmates » sociaux. L’église représente physiquement sur le territoire le lieu du contrôle social et sa pérennité discursive de la morale religieuse. Bruler une église est un geste emblématique de l’apparition fulminante de la scène Black Metal dans la sphère médiatique. Il est alors évident que ce geste transgressif répond de façon virulente à un contrôle social vécu comme oppressant et une absence d’une scène culturelle capable de décongestionner cette « théologie civile »4 présente dans la société norvégienne.

12 2 Michel Hastings « Le miroir des élites, représentations politiques et morales luthériennes dans les pays nordiques » La Métamorphose du prince: Politique et culture dans l’espace occidental, (Colliot-Thélène, C., & Portier, P. dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. consulté en ligne via openedition.org/pur/72269 3

Ibid,.

4 Ibid,


“Black Metal musicians,more than those in any other subgenre of Extreme Metal, have taken on alternative names (such as Ihsahn, Fenriz, Varg, Hellhammer, Azantrius, Wrest, Malefic, Mortuus,Nattefrost, or Vindsval). The goal here is extremely important, even if the results are sometimes difficult to take seriously. Black Metal is not played by Enlightenment subjects with individualized (and government recognized) names. The application of corpse paint achieves the same end: these are not living, rational, human beings. Vindsval says: ‘Blut Aus Nord is a faceless entity, dehumanized and without ego. Personally I’m just a vector between the inspiration and the final result.’ 32 Black Metal embraces dehumanization and the dissipation of the ego. Indeed, it uses every available means to achieve these ends.»5 La question de la désintégration sociale et individuelle est fondamentale pour comprendre les attendus du Blackmetal. La transgression y a lieu partout et tout le temps. Le Blackmetal, envisagé du point de vue de l’expérience esthétique, cherche à mettre à l’épreuve le corps jusqu’à la destruction du nom propre, voire du corps, par l’acte du suicide. Le texte de Nathan Snaza tout juste cité offre un regard précis et détaillé sur la déconstruction identitaire propre à cette culture. Pour décrire ce phénomène, l’auteur forge le terme d’« endarkenment » (l’assombrissement). Son analyse insiste en particulier sur la centralité du corps dans cette subculture : celui-ci est conçu comme un boulet organique contrôlé par les « lois humaines » : il est donc nécessaire de s’en défaire. La chair est cantonnée à une identification judéo-chrétienne et mérite donc d’être meurtrie. L’esprit est la planche de salut qui ouvre la possibilité d’une autoréflexion sur soi - il soutient donc tout l’échafaudage misanthropique du Black Metal. Selon Snaza, pour les acteurs de cette sphère, il faut tester les limites du soi par la torture, la musique, l’errance, l’automutilation. L’objectif est de sortir des limites des lois humaines, sortir de soi, ne plus être humain. “Cutting your flesh and worshipping Satan” is to experiment with reveling in the outside that is outside the outside, with letting go of the self»6 Telle que décrite par Snaza, la transgression dans le Black Metal est souhaitée totale, car selon les individus chercheraient à aller jusqu’à renier leurs ascendances physiques, leur humanité. La dramaturgie du Black Metal, son recours au corps peint par exemple, loin d’être réductible à un jeu artistique, participe tout entier de cette stratégie de déshumanisation. Se peindre, ce serait ainsi imposer des contraintes à son identité. “Euronymous described the recording sessions by this band: ‘The guys were torturing each other in the studio. They were whipping, beating,cutting, burning, and pouring boiling water over each other DURING the recording, and you can HEAR it from the music that they were SUFFERING.’ (...) One member of Abruptum took on the pseudonym ‘It,’ and I would like to see here a limit case in the Endarkenment pursuit of dehumanized or nonhumanist subjectivity. It is not a subject, not an ‘I’ There is no localizable, individual agency here. It cannot even be described with personal pronouns: It is the very (grammatical) definition of the impersonal.»7 Malgré tout l’intérêt qu’on peut porter aux travaux de Snaza, celui-ci ne propose qu’une vision romantique de la philosophie pratiquée dans le Black Metal et la transforme en une doxa. L’auteur adhère tellement à la représentation du Black Metal qu’il propose qu’il en oublie... De décrire les individus qui sont à l’origine de cette culture ! Comme si la déconstruction du son, du langage, et du corps réalisée par les acteurs du Black Metal opérait dans une sorte de vase clos social, dans un monde philosophiquement « propre » dans lequel ces individus n’auraient aucun lien réel avec le monde extérieur. Il me parait nécessaire d’ouvrir plus largement et surtout politiquement la représentation du Black Metal, car cette culture me parait bien plus diverse et complexe que ce que Snaza en décrit - une communauté d’hommes fabriquant un dualisme corps/esprit dans un entre soi exclusif. Je parle souvent du Black Metal comme d’une « force propositionnelle », car pour moi, l’espace de transgression qui est disponible a cet endroit est de l’ordre d’une expérience esthétique profitable par-delà les individus qui constituent le noyau dur de la culture Black Metal. Pour penser plus précisément ce que peut avoir à nous offrir le Black Metal,

13 5 Snaza, Nathan, “Leaving the Self Behind” in Amelia Ishmael Helvete A Journal of Black Theory: Issue 3 Bleeding Black Noise, Punctum Book 2016 p.82 6

Ibid., p.90

7

ibid., p.94


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曾被分配到学校 公司 工厂的人们被打发回了原厂地 在他们的家里一遍一遍看着最新消息 空荡荡的学校里 野猪们带着孩子们借着月光在学校的台阶上散步 Dans une école vide, des sangliers marchent au clair de lune avec leurs enfants sur les marches de l’école. Les animaux menacés ne se montrent jamais, une vache qui a le mal du pays revient de temps en temps.


je me croyais inoubliable mais je me suis trompé.e souvent je laisse peu de traces dans l’esprit des autres, peut-être d’infimes souvenirs des résidus ? pourtant des autres j’avale tout, je me gorge, je dévore j’imprime je pupille le moindre détails, ça déroute toujours de regarder avec précision, tu vois La minutie du travail de taille d’une moustache la lumière crue de la lampe du miroir adoucie par la concentration et la sensualité du geste sensuelle lame de ciseaux sur les lèvres précision du regard mobile une écriture glissante dans la touffeur des poils dis est-ce que tu connais, parfois, la sécheresse du bord des lèvres celle salée du bord des routes ? être résidus, c’est pas mal finalement, c’est coriace, ça déroute ça ne part jamais des séquelles des contaminations successives des matières qui restent, tu te souviens on avait poussé le matelas jusque dans le salon- salle à manger. On avait arrangé ça de sorte que les enceintes étaient de chaque côtés du matelas, la platine vinyle au dessus de nos têtes. L’aube se faisait sentir par les courant d’airs. Il faisait un peu froid, on finissait les verres qui se trainaient de la fête, et on fumait méticuleusement les mégots dans les cendriers. Complices de miettes, bercé.e.s par le craquement du disque le coeur chaud les pieds froids,

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for you I felt poems from lockdown pour toi j’ai ressenti poèmes de lockdown

day 102 Thinking of

limbs outstretched, voices sliding over one anothe day 51 She couldn’t resist.

hands roaming to arms to backs to shoulders; night time’s dance

Across phone signals we undressed, exploring one another’s skin, pixelated blemishes lighting our screens.

meandering

across two seas two languages your mattress an archipelago i chaos – I’m surfacing in cool w the shadowy view of your han deepest blue to green in the lowlight,

jour 51 Elle n’a pas pu resister. À travers les signaux téléphoniques, nous sommes déshabillés, explorant la peau de l’autre, les imperfections pixélisées éclairant nos écrans.

strands on my skin, landing over yours too, ’til I see only the distinct line o on the plane of your face arms

****

you are perhaps noticing me n and I tremble, your gaze, breath, warmth, disarming.

day 64 I want to hold you but the line’s busy. Clinging to voicemails.

jour 102 Pensant à

membres étirés, voix glissant les unes sur les a mains errant aux bras aux dos aux épaules; danse de la nuit sinueux

jour 64 Je veux vous tenir mais la ligne est occupée. Accrochée aux boîtes vocales.

****

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à travers deux mers deux lang ton matelas un archipel dans u chaos - je fais surface dans des la vue sombre de ta main et le bleu le plus profond au vert en basse lumière,


er, tracing

;

s, in an ocean of waters, nd and halo of hair,

of lips s chest –

now

autres, traçant

gues, un océan de s eaux fraîches, halo de cheveux,

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des mèches sur ma peau, atterrissant sur la tienne aussi, Jusqu’à ce que je ne voie que la ligne distincte des lèvres sur le plan de votre visage, bras, poitrine tu me remarques peut-être maintenant et je tremble, ton regard, ton souffle, ta chaleur, désarmants. **** Days blur to one, and evening thoughts come to us without a word how you grew up reading nights to dawn, your skin’s pages; your heart’s ink pouring more, noting solace in the spill of hazy fields and the rain on the skylight – a skin drum or birds tapping feet tapping, typing, words hot-pressed, melding into fingertips that touch your face, another sentence of love coming to mind. Les jours se brouillent en un, et les pensées du soir nous viennent sans un mot – comment tu as grandi, en lisant des nuits à l’aube, les pages de ta peau; l’encre de ton coeur versant plus, notant le réconfort dans le déversement de champs brumeux et la pluie sur la lucarne – un tambour de peau ou des oiseaux qui tapent des pieds tapotant, tapant, mots pressés à chaud, se fondant dans le bout des doigts qui touchent ton visage, une autre phrase d’amour me vient à l’esprit.


Il pleut Elle appelle Andreas mais ce n’est que sa voix de messagerie qu’elle entend. C’est une voix timide au bout du fil, qui se veut discrète mais pourtant sonne grave. Elle raccroche très rapidement. Leo accepterait durement un refus cordial, surtout de la part d’Andreas. Elle aurait pu appeler quelqu’un d’autre mais c’était Andreas chez qui elle voulait trouver refuge. Distraire son repos, mettre de côté ce que les choses étaient prévu pour lui, dont elle n’était pas impliquée. Son appartement avait subit les dégâts de la pluie pendant son absence, elle se résolu a prendre le minimum et à débarquer chez lui. La pluie s’est arrêté mais la journée reste sombre dehors, les nuages gris granuleux s’emmêlent et étouffent le ciel de leur triste douceur. Leo marche jusqu’à la gare. Lorsqu’elle se promène, il lui arrive de s’arrêter devant des immeubles en travaux. D’ici, le paysage est constitué d’ouvriers — habillés de bleu, vêtement trop large d’où le torse poilu s’exhibe à travers la fermeture ouverte de leur combinaison. — Exposés sous ses yeux, elle attend le moment où leurs profils se dessineront. Peau mate, ou cheveux blond, voix criarde, sévère ou amusée, corps souple ou robuste. Leo y trouve son compte. Elle mate discrètement, parfois s’arrête sur un banc. Leo ne les regarde pas seulement pour les contempler bêtement. Elle observe leur démarche, écoute leur accent grave, leur rire gras. Gaetan, Nicolas ou Gustave (elle leur donne des noms ou bien elle les entend émise par une voix criarde) semblent suivre le même code postural. Sur le chemin du retour, elle se met à imiter leurs gestes. Une main se retient à la ceinture, ses épaules remontent presque jusqu’aux oreilles pour donner une carrure à son petit corps frêle. Elle avance d’un pas rapide et assuré, elle s’imagine être un homme à ces heures perdues. Elle oublie que c’est Leo la gamine, la Leo cours-de-récré, qu’on déshabille avec chasteté lorsqu’elle s’endort sur le canapé des copains, la main empoignant ses pieds taille 36 et retirant ses souliers d’écolière. Cette pratique n’’est pas connu de ses proches, elle garde ces instants pour elle se dédoublant ainsi de sa personne. Si les mots qui énonce les faits, sortait de sa bouche, ils tomberaient sur le sol avec un grand fracas, détruisant son fantasme et ses petits plaisirs. Nous nous incorporons tous d’attitudes dont nous nous sommes appropriées. On imite l’image que l’autre, admiré, nous renvois. Mais elles deviennent nôtre toutefois, par l’essence originel que chaque être détient, et se mue en une nouvelle forme d’attitude. Par cette démarche Léo s’identifiait ainsi d’une assurance naïve dont elle en est l’essence. Elle renvoyait, de ses épaules frêles, de ses boucles de cheveux s’effilant sur ses joues rougies, un contraste avec ses lourds pas tapant le sol, et de son regard épiant les alentours. Ces gestes imitées prennent une autre dimension lorsqu’elle s’en empare par ce que son corps raconte. Andreas se réveilla en sursaut, tout transpirant. Il prit la main de Leo, qui n’avait pas bronché à son cauchemar. Son visage était enfoui dans le coussin et ses cheveux, encore trempés de la douche, gisaient sur sa joue. Il souleva une mèche de son cou et déposa ses doigts pour sentir son pouls — ou d’autrefois, quand elle s’endormait sur le dos, il lui arrivait de regarder son ventre dénudé se gonfler d’air. — Ce geste d’inquiétude prouvait à lui seul que Leo comptait sans qu’il ne le montra d’apparence. Il accumulait les non-dits pour lui éviter toute ambiguïté mais ce qui avait tendance à provoquer chez elle un sentiment d’absence. Convaincu par son désintérêt, elle accepte alors de ramasser les miettes tombées au sol et de les garder comme des perles de diamants (Parviendra-t-elle, peut-être, à les arborer fièrement sous la forme d’un collier.) Le visage de Leo était tourné vers lui. Il se glissa de nouveau dans les draps et se mit à l’observer. 20


De jour, lorsque leur yeux se croisaient et qu’elle avait le malheur de faire durer son regard, il pouvait tremblait d’émoi. De ce regard, elle l’accablait de sa douceur, et elle pénétrait ainsi dans son corps amoureux. Il lui arrive, d’autrefois, de la chercher des yeux furtivement. Il regarde son visage à la dérobée, épie en douce sa présence au loin. Leo ressentant le poids de ce regard sur elle, se retourne pour lui offrir un sourire candide. Andreas se dissimule; il vient de se faire pincer mais il n’en démord pas. Son attitude suggère de l’indifférence, faisant semblant de ne pas avoir remarqué, alors que tout son corps en trépigne. Les nuits en sa présence sont devenus ainsi un recueillement, un lieu de contemplation de son visage, la personnifiant et la sublimant. Ses paupières étant closes, recouvrant ses yeux noirs — ces mêmes yeux noirs qui produisait l’intensité de son regard —, il put la désirer sans contrainte. Il fut d’abords troublé par son visage impassible, son corps immobile, étendue comme un cadavre, suggéré par sa respiration lente et la blancheur de sa peau, les veines bleus filant sur ses courbes. (Le sommeil la rendait inerte) Mais cette même blancheur qui se veut froide, se faisait lumière sous l’oeil attendri d’Andreas. Il lui semblait qu’à tout moment, elle pouvait ouvrir les yeux, comme si, prise d’une paralysie, elle parvenait à se défaire de l’étreinte d’un cauchemar. Cette idée s’empara de lui, s’introduisit dans son esprit comme un doute, une faute qu’il aurait pu commettre. Comme s’il ne lui était pas permis d’incorporer son image à sa pensée. L’arrivée surprise de Leo provoquait chez lui des désagréments. En se refusant certains gestes d’amour, il s’en voulait et lui en voulait d’avoir à les refouler. Ses gestes qui se voudraient tendre devenaient brusque par cette maladresse. Au contraire de Dimitri qui, lui, exhibe un amour toujours exagéré. Dimitri s’oppose ainsi par ce débordement d’enthousiasme. D’un ton jovial, 21 proche de l’amusement, lui vient des phrases romanesques. Il la surnomme, la complimente, la rassure, la berce. Il déclare à Leo: « Tu es si fragile, je voudrais te bercer » ou bien « ta blancheur m’illumine, je deviens aveugle ». Habituée à ces discours, elle répond silencieusement en lui tirant la langue. Lorsqu’il s’exprime ainsi, avec son aisance habituelle, une agréable sensation se faisait ressentir dans sa voix. Et lorsqu’il n’avait plus les mots, il pouvait agir de la même manière par des gestes affectueux, lui offrant un baiser sur le front, lui brossant les cheveux, la soulevant. Ces discours et ces gestes sont pour lui un moyen d’extraire ses sentiments et de les matérialiser, de leur donner une forme ancré dans le quotidien. Ce transfert sur Leo n’avait pas d’impact sur elle. Il lui semblait être quelque chose qui faisait partie intégrante de leur relation. Il pouvait agir ainsi avec tous ses proches. Mais, malgré la profusions de ses déclarations, ses intentions n’en demeuraient pas moins sincères. Le langage se fait rarement par la bouche mais par le corps. Il s’insinue et raconte son histoire personnelle. Le rapprochement de deux corps se veut à la fois silencieux et explicite. La main qu’on glisse dans le dos, marque d’affectivité, est la transparence d’un désir qui pourtant existe dans l’esprit de celui qui agit, de celui qui reçoit ou même, témoins de l’événement — le cercle s’élargit et devient évènement intime pour toute personne présente. — D’ailleurs, pouvons-nous tomber amoureux d’un être dont nous observons ces tumultes ? Aimer alors les gestes intimes qu’il offre à un autre que soi, aimer sa dévotion. Par cette vision trompeuse, on s’accapare ces images et les fait nôtre. Le phénomène de réflexion produit l’image d’un amour renvoyée sur nous comme une lumière chaleureuse. Elle nous pénètre et nous réchauffe. /Ces gestes que quelqu’un offre à un autre secrètement sont alors partagés avec soi, se cristallisent et perdurent à travers notre regard./ Cet amour se dédouble et se difforme, il survit à travers cette copie. Ainsi, sans se soucier pour qui ces gestes sont formulés, elle nous semble être chargé d’un profond sentiment à notre égard. L’amitié entre Dimitri et Leo avait donné lieu à une entente entre Andreas et Dimitri. Leo les avait présenté l’un à l’autre, et par l’image que Leo renvoyait en présence de Dimitri, Andreas


avait accepté de le considérer sous le regard bienveillant de Leo. Cette relation ne s’était qu’amplifiée. Leo restait le croisement entre ces deux êtres, comme une survivance de leur relation. Il permettait à Andreas de se sentir toujours un peu plus proche d’elle à travers les gestes de Dimitri. Leur amitié était devenu vaste et profonde, si bien qu’Andreas le considéra parfois au-dessus de sa personne. Pourtant, Dimitri n’avait pas les aptitudes que l’on pouvait considérer comme admirable. Malgré ses bonnes intentions, il dégageait avant tout une attitude provocante. Son air indifférent agaçait la plupart des gens qu’il rencontrait. Il s’incorporait d’expressions faciales rebutantes, désigner les autres avec des paroles déplacées et pourtant ce comportement dégageait à la fois une forme de vertu qu’il exprimait par les moindres gestes qui se voulaient affectueux. On dénie que cette vertu existe chez lui, pourtant son enveloppe corporelle dégage une onde autant lumineuse que sombre. Cette noirceur qui s’exprimait ainsi lorsqu’il se trouvait dans des situations désagréables se faisaient ressentir par toutes les personnes autour de lui ce qui avait tendance à provoquer des sentiments contradictoires. — Les gens qui l’écoutaient ou qui furent forcés de l’entendre se retrouvaient mêlé à ses peines et ses colères. Sa voix semble résonner profondément dans leur chair et un écho s’amplifie à l’intérieur de soi. La détresse dans laquelle on se trouve devient inévitable et le seul moyen de s’en débarrasser est de la lui rendre. — Andreas pouvait ressentir ça. Une brèche se forme et s’accroit au moindre difficulté qui se produisait entre lui et son ami mais la fidélité de leur amitié était toujours plus forte. Ainsi que leur sentiment réciproque pour Leo qui leur avait permis de s’aimer d’avantage au lieu de se haïr. Je vous parles ici de Dimitri pour montrer en quoi l’amour d’Andreas diffère de celui de son ami. Quand j’énonce le mot amour, j’énonce avant tout l’ambiguïté que nous pouvons ressentir pour autrui. Dimitri et Leo avait une complicité différente. Leur relation était confidente. Comme lorsqu’ils passaient leur nuit ensemble. Sous la couette, ils lisaient des livres à la lampe de chevet. L’autre écoute la voix qui lit comme on écoute la voix qui pense en nous. Les yeux s’embrumaient de fatigue; souvent c’était Léo, la liseuse, continuant encore longtemps dans la nuit après que Dimitri s’endormait à la langueur de la lecture. Silencieusement, elle éteignait la lumière et fermait les yeux à son tour. Parfois c’était Dimitri qui faisait la lecture, dédoublant sa voix aux multiples personnages de l’histoire. Elle riait et son rire résonnait dans la chambre vide. — L’idée d’une chambre vide me préoccupe. Il me semble que je fais une description de l’univers de Leo avec très peu d’élément; elle ne possède rien. Sans appartenance matérielle, je recherche peut- être à multiplier sa présence. Une présence qui remplit les vides.— Cette même chambre s’emparait de cette intimité et les unissait durant le temps de ces veillées littéraires. La lecture était quelque chose qui leur appartenait, qu’ils leur étaient exclusive à leur amitié. Par la portée de leur voix, certaines choses se racontaient implicitement par leurs intonations. Ils se faisaient passer des messages à travers les écrits récités; désir sexuel, violence refoulée, plaisir inavoué, innocence retrouvée,... S’ils avaient besoin d’exprimer quelque chose à l’autre, c’était grâce à ces moments qu’ils le faisaient.

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Leo fit la rencontre cruciale de J.

Elle fut émue par sa présence. Elle se mit à trembler lorsqu’elle s’adressa à lui, sa voix aussi ne pouvait cacher sa joie, sa peur, son trouble en face de ce sourire étrangement malicieux. Elle le remarqua d’abords de loin, de dos, sans voir son visage. Elle fut d’abords surprise par ces


gestes. Sa façon de se tenir, de rire, d’écouter, de regarder. L’assurance qui s’exprimait à travers son attitude était l’élément perturbateur réagissant sur elle. Il existe certaine rencontre entre deux personnes qui marque le temps; la peau brulée au fer par un regard entrechoqué. Trace indélébile sur la conscience. Les âmes-soeurs dispersées se retrouvent et soufflent sur leurs âmes, une renaissance. Sentiment de béatitude formelle, appréciable dans les moindres parties de notre être, glissant sur notre corps et s’évanouissant dans nos désirs silencieux. Pourtant, ce sentiment s’évapore lorsqu’on s’éloigne du sujet aimé. Léo fût prise d’un effroi. La brûlure devenait de plus en plus vive C’était l’image d’Andréa qui lui vint en mémoire. Elle ferma les yeux pour se remémorer son visage rassurant, ses grandes mains, son ombre, le contour de son corps,... comme si elle pouvait effleurer cette image de son doigt et ressentir le contact de sa peau brûlante d’amour. — Malgré qu’aucun deux n’exprimait oralement ce qu’ils ressentaient pour l’autre, leur amour existait précieusement par ces vagues attentions et ainsi s’éternisait. Le moment où ils se possèderaient, leur amour s’évanouiraient car c’est dans leur silence étouffant, leur regard insistant, et leurs gestes discrets que s’exprime leur désir... — Mais cet autre visage, physique, qui tournoyait autour d’elle, ne lui laissait aucun répit, aucune ouverture pour s’extraire tandis qu’Andreas, dans son esprit, pouvait disparaître, rattrapé par la réalité. Sa personne était éphémère, lointaine, quand elle la voulait présente. Elle fut contrainte de s’en aller d’ici. Où est-elle, je ne saurais vous le dire. Il m’est incapable de décrire les espaces dans ce que je vous conte. Est-ce que cela produit une inconsistance au récit ? D’où proviennent-ils, que fontils, je ne peux pas le dire. Le seul élément que je voudrais inclure serait celui-ci: ils se trouvent dans une région nordique, peut-être la Bretagne, ou la Normandie. J’imagine leurs sentiments mêlés au vent froid, à la brume hivernale, à la mer agitée. Le jour sombre et mélancolique. Le ciel blanc ravive mes sentiments, je respire l’odeur du sel marin. La pluie réveille mes sens corporels, le froid des gouttes d’eau sur ma peau me rappelle que je suis vivante. La chaleur du soleil en est capable aussi mais, j’aime le ciel blanc et sa fraicheur d’un amour maternel. Je jouis de sa lumière limpide et les visages n’en resplendissent que plus, plus que la lumière chaleureuse du soleil. — En relisant les événements de Leo et l’interprétation que j’en fais, je me rends compte qu’elle existe réellement sous différentes facettes. Elle n’est jamais la même. Seule, à travers le regard d’Andreas ou avec Andreas, Dimitri, J., elle se métamorphose. Cela rappelle que nous ne sommes bien plus qu’une incarnation de soi, mais des millions de reflets interférants sur d’autres êtres. Leo s’incarne de et à nous tous. — Lorsqu’elle franchit la porte, elle fut retenu par une main. — une main aux longs doigts fins. Une main qui ne semblait n’avoir jamais travaillé et préservé de tout labeur physique. Une main qui effleure plutôt que ne touche. — Elle fut obligé de se retourner. C’était avec la même assurance qu’elle lui avait trouvé qu’il se présenta face à elle. Comment échapper à cette prestance dont tout son corps réagissait ? Le trouble s’empara de nouveau d’elle. Elle bégaya. Il sourit. « Sourire d’ange » se dit-elle. De cette beauté jouvencelle, le ciel sombre pourrait s’éclaircir à son passage. Elle voulu recueillir son sourire pour s’en délecter et le bercer en son sein. Mais le diable se pare de son plus beau visage. Il se mit à jouer avec ses doigts et on pouvait croire qu’il connaissait par coeur le corps de Leo et comment elle réagirait au sien: par des frissons, qui 23 montèrent jusqu’à ses yeux sombres et fit cligner longuement ses paupières. A cet instant, Leo fut vulnérable. Un sentiment d’oubli de soi ? Ivresse passagère ? Son visage se transforma ; elle fronça les sourcils.


濒临的动物从不出现 一只想家的牛偶尔回来 抽泣声是森林里最古老的果实 最后一只神鹿不回头地走了 彩色的舞也无法将它挽留 女孩从工业时代回来 她于是独自哭着森林 Les sanglots sont le plus vieux fruit de la forêt. Le dernier des cerfs s’est éloigné sans se retourner, aucune danse colorée ne peut le retenir. La fille qui revient de l’ère industrielle, elle a donc pleuré seule dans la forêt.

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Dans la ville plein de feuilles tombent sur plein de têtes, et sur les glaces des touristes, le samedi. C’est ce qui me réconcilie avec le bain de visages, de chaussures, de sacs et de cris ; c’est vrai que personne ne me voit, et c’est sur que je regarde tout le monde. Le ciel aussi a l’air prêt à pleurer Il abrite un tonnerre de solitude Y a t’il seulement d’autres cieux ailleurs? Existe t’il quelque chose de plus seul que le ciel? J’ai retrouvé mon vélo, j’ai eu un sourire et un drôle de ressenti. J’imaginais qu’il m’attendrait un peu, mais là, il avait vraiment l’air d’un petit cheval. Qu’est ce qui est si doux dans la vie que je mène? La lumière s’éteint dans la laverie. J’ai un frisson. Toute l’essence de la douceur m’échappe je suis comme du carton. Plate et creuse. Le sol est trempé, on ne pourrait pas manger par terre. La ville est sale. Un pli, une spirale, un bleu vert. Des ongles pas coupés à la même taille. Un garçon me dit cet après-midi, puis ce soir, puis jamais. Est-ce que je peux m’apitoyer un tout petit peu? Je ne pense pas pouvoir être amoureuse. Je n’ai jamais réussi à sortir des vêtements d’une machine à laver sans en faire tomber à côté. Il faudrait une bassine, un panier qui épouse parfaitement le bas de la machine, une fois la porte ouverte, et qui permette de récupérer les habits qui se sauvent de tous les côtés en hurlant « don’t put me in the drier !! It hurts !! » Well I’m sorry dudes, but I have to. Prendre un somnifère puissant avant d’aller faire la biennale d’art contemporain. Capucine filme comment je marche comment je tombe de fatigue jusqu’à ce que je trouve un endroit pour m’endormir. Des gens essayent de me réveiller, impossible, une ambulance arrive et vient me chercher. Je me réveille dans une chambre d’hôpital très blanche. Darling, I’ve got something to tell you I still don’t know what to do to earn my living Please don’t be scared What should I do with my lifetime? I want things to have a meaning J’aime bien parler de la pluie et du beau temps J’aime bien parler de la pluie et du beau temps Je sais que c’est parfois ennuyant mais je m’y sens un peu comme chez moi Je voudrais pouvoir discuter de débats télévisés Je voudrais pouvoir raconter comment je sens mes sentiments Mais je préfère la pluie ou le beau ou le temps Mais je préfère parler tout doucement Des petits trucs un peu vides de sens qui réussissent à faire passer des trucs quand même I get lost in the parc at night Feel ghost joggers going through me I smell the rain that felt before I walk on the small pass with dogs I see how strange are the shape of trees The grass is freezing in my bear hands Some colors shine with the poor light Some flowers never die


Some flowers never rest Harsh autumn night, take me on a place where I don’t fear the cold, and I can sleep in the fire leaves of the ground. Winter, bring me under naked trees that keep the bright heat of impassibility. Nuit étend toi Sur une ville brusque Sur une meute noire Ô nuit voile sans bruit tu descends Je transpire Voiture is our ennemy, i hate them. Before i was born they were already running the streets and spreading there gaz and noizes. I learned how to be stronger than cars. Always cross the street when you have to, even if there is a car on your path. Don’t look trought the windscreen because people are vain. When you have to travel inside a car, try to forgive yourself, induct a relation-ship with the vain people. May be you can fix them with care and soft words, naivete is your only shelter. When you find dead flowers or plants on a tarred ground, carry it until your are tired of crying and leave it on a car. It will hold your distress poetry forever. It may change nothing and it’s already a lot. Je suis comme le frein d’une roue Je suis la bride d’un cheval Je suis comme une poussière dans l’oeil J’enraye ton moteur Je charcute ta joue Je pisse sur tes fleurs Je crie tu es jaloux Je tire sur tes cheveux J’enlève ce qui est doux Et devant Tu baisses les yeux Je suis ton destin Je prends ta main Je t’emmène Dans les désespoirs que l’on traine Sur tous les chemins J’aime un peu tous les garçons Mais mon coeur est un glaçon Je tire vers moi l’amour Mais bientôt il fera jour Je cherche la tendresse Sauf que mon coeur c’est l’hiver J’ai peur qu’on me délaisse Je ressemble à ma mère Je suis un petit animal Dans les feuilles de l’automne Je m’endors sous les étoiles Je respire la nuit carbone

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J’ai précipité beaucoup de moi même dans ces temps et il ne me reste que ma faiblesse psychique, le mal de corps qui rabat les paupières. La rancoeur danse sournoisement dans mon ventre, dans mon visage tout blême. Quelque chose, rien, Vivement que je sache demander à quelqu’un de vivre pour moi. Je pourrais garder une âme pour qu’elle m’aime, l’enfermer dans l’abris anti atomique. Tout pour moi s’il vous plait. Je perds de nouveau pieds. Décevoir Recevoir On cesse vivre On se sent vivre Je rends tout ce qu’on me donne d’une manière ou d’une autre, ça circule. Les problèmes sont comme des guimauves chimiques dans une boîte en plastique, au milieu de la pièce, les gens passent et ne résistent pas à leurs douces couleurs. Pour parler avec toi, je dois faire un réel effort pour comprendre la réalité. Ce qui est embêtant dans le travail alimentaire est qu’il prend le temps nécessaire à la construction d’un projet plus personnel. Il prend l’énergie et il influence. Il prend le temps sur le temps que je veux donner, sans argent, à faire de la politique, à réfléchir à des actions de rue, à passer du temps dans ma chambre pour dessiner sur des plaques de verre. La fragilité, c’est quelque chose de moi qui me rend vraiment pas durable. Pardonner et ne pas en vouloir à la personne qui me néglige, c’est ce que je souhaite le plus au monde. Ainsi je soignerai beaucoup de mes plaies, et je voudrais soigner celles des autres. Pourquoi avoir besoin de soigner les autres? Je voudrais qu’on ne me soit jamais reconnaissante de l’aide que j’apporte. Je voudrais ne jamais rien attendre de personne. Dans mon moi, je suis vraiment bien, car toute seule je suis très forte. Quand je sors, je suis bouleversée par tous les êtres en colère. Leur colère me brûle le coeur, les poumons et les yeux. Tous les matins ma tête a mal de tenir sur mon corps et mon visage se détruit, il faisande, il est putride. Il renvoie à ceux qui me voient, la détresse que j’endure doucement. Un tout petit machin qui glisse le long de mon épaule, qui coule sur mes abdominaux rigolos, un truc louche, qui bouge, qui danse, qui bondit. Des lunettes écrasées dans un lit, il s’est endormi sur un vieux livre C’était troublant ce qu’on voyait par la fenêtre, depuis cette montagne un peu plate et puis le ravin, il y avait cette impression de bout du monde, d’être face à la fin.

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Un bon jour où il faisait beau, Tu es une jolie pierre sur le petit ruisseau de ma vie. Dans les couleurs il y a celles qui brillent celles qui sentent bons, celles qui


disparaissent quand on les fixe et celles que l’on mélange pour se recouvrir. Ah quelle attente quel ennui. Je regardai les deux fenêtres en même temps, de chaque côté j’attendais quelque chose et quelqu’un mais en vain. Il y avait que la boiserie odorante pour me rassurer. Elle sentait comme si le bois venait d’être coupé. Je sentais même encore plus vif les trous des cadres, qui saignaient. Petite feuille grise qui se repose sur le dos du pare-brise d’une caisse garée à l’arrache sur la place ronde. Rien ne m’entoure d’autre qu’une inertie parfaite, un abandon, une désolance. C’est orange, ou marron, ça a le gout d’une bière bu n’importe comment. C’est pas possible comme c’est sinueux de comprendre comment et de faire un peu. J’avais décidé que c’était terminé, on passe à autre chose et comme il faut souffrir pour vivre tout vient me dire que je me trompe même quand j’ai raison. Raison de jamais croire, raison d’abandonner. C’est implacable, c’est prévisible. C’est drôle. Les grands, les vrais, regardent de toute leur facilité et retournent dormir, ennuyés par mon manège. Être timide c’est terriblement ennuyant pour ceux qui regardent, ils sont dans l’attente d’une petite explosion, d’une légère radicalité et ça ne vient même pas. Je reste bien en place, bien absente, effacée, terrifiée, ensevelie sous les idées médiocres, sous les restes d’envies. La vie, ce film étrange. Mais à quoi pensent t’ils eux? Est-ce qu’ils pensent à ce que pensent les autres? Comment ça se passe pour chacun et pourquoi ce n’est pas important de savoir? Chère Juliette adorée, Comme tu me manques, je suis écrasée par la solitude et le manque de toi. Je n’ai aucun mérite d’aller travailler autre que me prouver que je peux être conforme et me plier aux règles pour faire bonne figure. Du nord au sud, du vert vif au vert gris, du haut foisonnant au bas aplati collé au sol par le vent sec et chaud. Les oliviers ont ce vert particulier au sud, vert gris. Vert poussière. Ils ont un tronc qui semble rentrer en lui même, faire des économies. Vert gris, gris vert, et bleu. beige des immeubles. L’odeur des tilleuls se diffuse comme dans de l’eau chaude à l’intérieur de la ville. Je pense aux filles, et comme elles me touchent de leurs yeux et de leur allure. Ce soir l’été sera encore plein d’emprise sur mes pensées, mes doutes flottent comme des petits drapeaux déchirés. Ce vieux pavillon de faiblesse est tellement usé par l’habitude qu’il en devient assez solide et fiable. Les lieux et les lumières. Je vais sortir prendre ce dernier soleil avant qu’il ne s’échappe sur d’autres terres, d’autres visages. Les choses sont très simples, very easy Tu penses en boucle Il faut creuser mais c’est épuisant Ah si on me volait mon macbook pro je serais désespérée Je vais arrêter de manger des croissants car ils donnent leur consistance à ma peau, et aussi leur odeur, mais ça c’est bizarrement agréable.

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Ce midi, j’ai éventré le sachet de l’infusion que j’avais bu la veille dans mon bouillon au miso. Espérant vraiment que le forces ayurvédiques du fenouil de l’anis de la cardamome et du curcuma sauraient me faire sentir nouveau. Le problème c’est que je ne suis pas suffisament attentif. J’attendais de cette infusion qu’elle m’aide à traverser le passage d’un cycle à un autre mais l’incantation qu’elle s’offre de réaliser n’est rien de plus que -feel- new. Est-ce que je me sens nouveau, différent ? Pas sûr. Pas sûr que je ne sente grand chose. Anesthésié que je suis par le manque d’un ordinateur personnel, mon atteinte récente et presque fatale du plafond de mon découvert et le retour tout aussi fatal dans la maison maternelle et l’isolement qu’il implique. Assez incroyable comment la conjoncture de ces 3 privations (ordinateur, argent, socialité mondaine) peut produire sur moi un sentiment si fort de fadeur tiède. La réalité me semble très immatérielle. Sans couleurs vives et sans singularité. Je pourrais et je veux me perdre dans cette perception aspatiale du temps, me dissoudre et me dilater dans l’humeur générale et si homogène. Par exemple en m’étandant dans mon lit et me confondant avec le lin de mon drap et de ma housse de couette, en faisant durer la nuit, ne trouvant pas le sommeil et coutant le silence de ma chambre, comme si ça avait de l’importance et du goût d’être là, dans l’échec du sommeil et le lin. Peut-être est-ce le lin, seul tout autour de moi qui rend ce temps si adésagréable. J’arrive même à ne pas trouver ça triste que le plaisir invoqué par l’acte quasi magique de la masturbation ai déjà complètement disparu. Heureusement qu’il me reste l’odeur douce et chaleureuse du sperme, pour un temps encore humide sur mon ventre pour me faire me sentir un peu moins seul ou un peu moins quelque part en particulier. Dans la nuit, entouré que de lin et proche de l’odeur du sperme je me sens vraiment flotter, comme je l’imagine flotterions nous mon lit et moi si nous étions au milieu du vide de l’espace intergalactique. Seuls et tranquilles. Lentement dérivants nulle part pour l’éternité. Bizarement je n’ai pas la sensation de devenir lin. J’aurais du avoir envie de métamorphoser mon étant profond pour fusionner dans une abstraction de pure matérialité lin. Mais de l’autre côté de l’abstraction c’est l’absolu de la sensation du lin qui me fascine et prend la place de tout reste possible. Jamais l’abstralité d’aucune construction grammaticale ne saurais atteindre avec suffisament de force ivre l’infini de ces sensations nocturnes, tellement absolument vaines et nulles. SI parfaitement.

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Je suis récemment devenue chauffeuse de voiture pour le compagnon de la femme dont je garde les enfants depuis quelques mois. Ce travail, ces deux activités ne sont pas déclarés alors je me retrouve avec beaucoup de billets dans ma chambre cachés. Quand je les range en revenant le soir je tire les rideaux de ma chambre pour éviter que les voisins ne découvrent ma cachette. La boite dans laquelle je range les billets est octogonale et ce n’est pas très pratique pour y mettre des billets. Je les plie en deux pour qu’ils rentrent dedans. L’autre jour j’ai entrepris de les classer par montant pour quand je les regarde ou plutôt quand je veux vérifier combien j’ai mis de côté et ça me rassure. J’ai mis les billets de 50 ensembles, ceux de 20 ensembles, ceux de 10 et de 5. Les pièces je les laisse sur le dessus ça fait un poids et ça devrait les aplatir. Mes rideaux sont un peu transparents, blancs avec des sortes de broderies blanches. Je me demande si les voisins me voient même lorsqu’ils sont tirés. J’ai observé les voisins d’en face, ceux qui sont côté cuisine et quand leurs rideaux blancs sont tirés on les voit quand même, même si on ne voit pas dans les détails. Quand nous avons emménagés ici j’ai acheté des rideaux blancs comme ça parce que j’en voyais beaucoup en me promenant et en 30 regardant chez les autres. Ça me donnait envie. Je pense qu’ils sont à la mode parce qu’ils laissent passer la lumière et qu’il n’y a pas beaucoup de lumière ici enfin pas tout le temps et pas autant qu’on voudrait. J’ai dû couper les rideaux de ma chambre car ils traînaient par terre et ça me dérangeait je trouvais ça sale quand la poussière fait des peluches sur le sol elles s’imbriquent dans les rideaux. Alors je les ai coupés et je voulais les recoudre bien proprement avec la machine à coudre que j’ai eu à noël mais elle ne marche pas bien. L’aiguille se casse et je n’ai pas réussi à régler ce problème. J’ai essayé plusieurs fois mais rien à faire et j’ai décidé d’arrêter parce que je ne voulais pas casser toutes mes aiguilles. Noé a essayé de m’aider une fois, on pensait que le problème venait d’une trop forte tension du fil du haut. Effectivement il y avait une trop forte tension du fil en haut. Et le fil était mal mis mais l’aiguille s’est encore cassée. Je suis énervée et un peu désespérée à cause de ça car c’est mon cadeau de noël et je ne peux pas l’utiliser alors que j’ai mille choses que je voudrais faire avec. Alors il y a pleins de projets qui restent en suspens. Comme les rideaux opaques que je voulais faire. Parce que, au-delà du fait que les voisins puissent me voir, je ne fais plus de grâce matinée parce que la lumière du matin me réveille, ou bien ce sont les bruits des voisins mais au moins si je pouvais avoir du noir pour dormir je ne penserais plus à la lumière qui m’empêche de dormir. Bref je conduis des voitures pour Richard enfin je conduis sa voiture à lui, une Volvo assez grosse par rapport à la Peugeot 107 que je suis habituée à conduire chez mes parents. On va dans des zones commerciales en dehors de Bruxelles, au Wavre, à Soignies, Namur dans des garages automobiles et là Richard prend les voitures et on repart chacun de notre côté pour ramener les voitures à Bruxelles dans son garage. Souvent avant on passe au car-wash pour faire nettoyer les voitures. Là-bas il y a une énorme machine à rouleaux pour laver les grosses voitures et les rendre bien brillantes. Devant l’entrée il y a aussi un énorme panneau ou il est écrit “CAR WASH AMERICAIN”. C’est vrai que les rouleaux sont vraiment énormes. Une fois Richard et moi sommes allés dans un car-wash de taille normale près de Soignies. Nous avons lavé les deux voitures mais comme la qualité du nettoyage n’était pas égale à celle du car-wash américain nous avons fini le nettoyage au chiffon, à l’extérieur et à l’intérieur (des portes). C’est vrai qu’il y avait des taches et des bavures, ce n’était pas très propre. C’est la première fois que je remarquais que les car-wash habituels, ceux auxquels j’accompagnai ma mère quand j’étais petite en sortant du super u du Bourgneuf-la-forêt, ceux-là n’étaient pas aussi


efficaces que le car-wash américain de Bascule. Avec moi dans la voiture il y a la chienne de Richard, Selma, qui est un lévrier barzoï noir et blanc. Elle se tient étonnement bien pendant la journée et elle ne sort que deux ou trois fois de la voiture par jour. Elle change souvent de position et parfois son lourd corps sur l’assise de devant fait sonner l’alarme qui dit qu’une personne n’est pas attachée. Ça fait bip bip bip bip bip et comme ça en continu. Mais en général ça ne dérange pas plus que ça et Selma finit par trouver une position confortable allongée là où les humain.e.s mettent leurs pieds devant le siège. Elle est attachée avec une chaîne alors parfois avec son long corps ce n’est pas pratique, elle s’emprisonne dans les chaînes. En lavant la voiture au chiffon j’ai vu aussi qu’elle mettait souvent son nez contre les vitres et ça fait des petites traces. J’en avais oublié quelquesunes sur la vitre avant côté passager et on ne voyait que ça. Richard me paie 9,30 de l’heure. Pour des français.e.s ça peut paraître beaucoup parce que là-bas le smic est de 8,03 de l’heure je crois. Mais ici si on est déclaré.e et avec un contrat étudiant c’est plutôt 11euros de l’heure. C’est ce qu’on m’a dit. Je me console en me disant qu’au moins ce travail me convient, que je ne rentre pas déprimée chez moi le soir. Je pense que je ne supporterai pas aussi bien d’être serveuse par exemple. Beaucoup de mes ami.e.s étudiant.e.s sont serveur.euse.s. Iels font beaucoup d’heures mais sont fatigué.e.s. Je ne veux pas être fatiguée. Je suis déjà fatiguée. Le seul problème c’est tout cet argent, tous ces billets que je dois garder cachés dans ma chambre parce que je ne peux pas les mettre sur mon compte bancaire français. Même si je me créais un compte belge, cela paraîtrait étrange aux banquiers cet argent qui sort de nul part. Alors je me suis dit que j’attendrais de voir mes parents pour leur donner l’argent et ils le garderaient et me feraient des virements. Ils étaient d’accord. Mes revenus ne sont pas fixes parce que je ne fais pas le même nombre d’heures toutes les semaines, j’arrive à mettre environ 150 euros dans ma boite par semaine. Pour l’instant il y 600 euros dans ma boite alors ça me met un peu de pression. Je ne sais pas quand je pourrai aller voir mes parents parce que j’avais pris un train le moins cher (29euros) pour aller les voir le 28 mars mais avec le coronavirus mon train est annulé et ce n’est pas sérieux d’aller les voir. Il faut que je continue de veiller sur ma boite jusqu’à ce que je puisse aller les voir. Je pense que j’y arriverai. Parfois j’en est assez de raconter des choses sur Richard, sur l’argent, sur les chiens. Lila parle de Anita la maman de la petite fille qu’elle garde, elle s’appelle Livia et elle est petite. Beth parle de Jacques et moi de Richard. Ces trois personnes sont vraiment très présentes dans nos conversations c’est fatiguant. Pourtant j’aurai encore beaucoup de choses à raconter sur Richard, et sur Anita et Jacques aussi, sur Livia, sur Anais, Bogi, Nelli, Krizstina.

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Les cosmétiques Loin d’une seconde nature Kim ajoute quelque chose de précieux à l’  imaginaire collectif de la femme et fait un pied de nez à la presse féminine française. Avant que  Kim ne braque les caméras sur elle, cette presse ne vendait qu’ à une audience principalement éduquée par la culture bourgeoise, favorisant que ce qui caractérise une belle femme c’ est son raffinement, sa juste mesure. Quelque part Kim est l’ antipode de la juste mesure: elle choisit délibérément des vêtements gainant accentuant des formes incroyablement dessinées et sculpte son visage en contouring à coup de pinceaux. La presse féminine comme Elle, Marie-claire ou Les Inrockuptibles préconisent et conseillent à leurs lectrices d’  adopter une féminité de la discrétion. Se maquiller pour avoir l’ air en forme, choisir de maquiller ou ses yeux ou sa bouche mais pas les deux, ça ferait un peu pute. C’ est intégré dans notre culture et l’ idéal de la femme française est comparable avec sa gastronomie: la femme française est élégante par sa discrétion et brille par sa finesse. La plupart de ces magasines refusent jusqu’ à aujourd’  hui de proposer des couvertures qui incluent d’ autres carnations que des carnations de peau claires : « La femme blanche serait habituée à s’  identifier à un visage qui lui ressemble avant tout par la couleur de peau –ce qui, outre la labellisation d’ une projection inventée de toutes pièces, est une façon d’ ignorer quelque 3 millions de personnes noires en France contraintes de faire le travail inverse : se projeter quotidiennement dans une presse qui ne lui ressemble en rien5». Il faudra que Kim Kardashian, ambassadrice de la maison de couture Balmain, force les rédactrices et rédacteurs des magasines à s’ intéresser à elle, pour que la France envisage son type de féminité comme potentiellement recevable. Kim est à l’ opposée d’ une Marion Cotillard ou d’ une Audrey Tautou. Elle se maquille beaucoup, montre volontairement qu’  elle fait des efforts et poste des photos de l’ avant et l’ après séance make-up. Tandis que la française blanche est sans âge : mince sans régime, belle sans avoir fait exprès, Kim appuie et assume une construction artificielle de sa sublimation. Loin d’ incarner une féminité modelée par et pour les communautés blanches, elle propose une transparence du temps passé à s’ occuper de ce a quoi elle veut ressembler. Par une opération de métamorphose, elle coupe avec l’ esthétique du « coiffé/décoiffé » à classer dans le courant de la mode effortless 4, près du mouvement de cosmétique nude.

Cosmétique discriminative Ayant elle même besoin d’ un certain type de cosmétique pour son usage personnel, Kim fait partie des figures qui ont compris et permis de réactualiser la question des cosmétiques. Elle participe à combler le manque de considération envers les personnes non-blanches sur ce secteur d’ activité. Il est clairement plus difficile d’ accéder aux produits

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Effortless, Être à la mode sans en avoir l’air, Article, Elle magazine,

4


Alice Pfeiffer, Je ne suis pas parisienne, Edition Stock, 2019, p.111

5

6

Ibid, Page 107

qui prennent en compte le taux important de mélanine présente dans la peau (afin d’ éviter des problèmes de dépigmentations par exemple) en ce qui concerne les crèmes pour le corps ou des shampoings qui correspondent à un certain type de cheveux, que pour les carnations les plus claires qui trouvent tout en grande surface. « En France, l’ offre reste remarquablement limitée. Il y a peu ou pas d’ options dans les lignes de soin grand public. Dans les supermarchés, les cheveux lisses sont signalés comme « normaux » sur les flacons de shampoing ; les peaux sombres, elles, sont encore une fois rangées dans un coin labellisé « ethnique », et ne trouvent qu’  un choix extrêmement restreint6 ». Grâce à la fabrication de fonds de teint, de poudres, de correcteurs pour la peau, d’ une gamme de produits déclinées dans un grand nombre de teintes, Kim contribue avec sa marque de cosmétique à servir une clientèle aux carnations de peaux diverses. En élargissant le propos des couleurs, elle ouvre aux produits cosmétiques une part de marché et inclue une partie de la population jusque là mal prise en compte, rendant sa place à l’ importance que peut représenter la construction de l’ identité par le biais de l’ accès normalisé aux cosmétiques et aux soins de beauté. [...] Le marché ignore volontairement, voir boycotte les besoins d’ une partie de la population. C’ est en soulevant ce type de questions que les pensées discriminatives sont mises en lumière. Faudra-t-il attendre que les marques ciblent la clientèle qu’ elles discriminent et la considèrent comme un véritable marché, pour qu’il soit possible de parler d’ un tournant dans l’ histoire de la décolonisation?

Le Nude, une tyrannie du faux naturel

33 Le « sans effort » en français, est un courant esthétique de mode. Etre à la mode sans en avoir l’ air, Sophie Fontanel, article, ELLE magasine. 7

https://www.elle.fr/Mode/Dossiersmode/Etre-a-la-mode-sans- en-avoirl-air

Le nude est une conception en contre-réaction à l’ overdose de couleurs des années 90. Défendant une esthétique du naturel sophistiqué, il joue sur l’ illusion de l’ absence de maquillage pourtant bien présent. Le nude est une mise en scène de la peau nue, c’ est un naturel fantasmé. L’  effet de naturel n’ a rien à voir avec refuser le maquillage, le rouge sur les pommettes et les perruques est un moyen de rejeter la société royaliste et le régime d’ apparat. Le nude a pour devise de « faire semblant » d’  être tombé du lit fraîche comme la rosée. C’ est l’ illusion de l’effortless.7 Ce courant de cosmétique arrive en même temps que des questionnements écologiques. Le fait que les pigments soient toxiques pour la peau et l’ environnement chatouillerait-elle les consciences ? Le maquillage devient un soin cosmétique, un hybride entre crème hydratante et fond de teint, comme le fait le produit BB crème de la marque Nivea. Il se construit alors une identité marketing empruntée au green washing élaboré sur le même principe que les packagings d’ emballage colorés aux gammes de couleurs vertes. En opposition à ce qui est voyant, exubérant ; le bling et les paillettes sont détrônés par des palettes aux tons ocres, rosés, boisés... Le « vrai » est synonyme de sobriété et le clinquant devient vulgaire. La mode est plutôt à l’heure des consommatrices qui se projettent au milieu d’ une forêt de cèdres géants ou sur la rive d’ un cours d’eau en


pleine nature qu’ au bronzage des stars de télé-réalité. Cette revendication du naturel-artificiel a introduit l’ arrivée du glow   8. Il s’ agit d’ un courant esthéti-cosmétique qui s’  est développé en parallèle du nude et qui a pour principe de donner à voir une peau «fraîche», bien entretenue et travaillée pour faire sortir du visage une «  aura » de bonne santé. Le glow  c’ est  une tendance à prendre soin de soi dans le but de révéler un « éclat » mystérieusement défini qui peine par ailleurs à être identifié par de nombreux dermatologues 9. Puis l’ idéologie du glow a entraîné dans un second temps les modifications d’ une hygiène de vie encouragée ces dernières années : pratiquer une activité sportive, bien manger, bien dormir, s’  hydrater... Les termes comme «raffermir», «purifier», «nourrir», racontent comment le maquillage doit être remplacé par des produits et des soins, plutôt que par des pâtes couvrantes qui camouflent des imperfections devant à tout prix être éradiquées qui produits le développement d’un buisness entier 9bis. Ce qui est surpenant chez Kim c’ est que malgré son patrimoine financier, elle n’ est pas assujetie à la technique de l’ effortless où la mise en scène rime avec l’apparence d’ une sortie lie à peine arrangée. Les techniques du maquillage nude ou glow se positionnent comme un marqueur social, induisant des valeurs morales d’ esthétiques et creusant le contraste avec ce qui est considéré comme étant de moins bon goût: ringard ou vulgaire. Seulement le maquillage qui ne se voit pas a un coût et seules les classes privilégiées peuvent s’ offrir le luxe d’ apparaître aux yeux du monde sans armure sociale.

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Glow vient du verbe anglais «to glow» qui signifie « rayonner ».   C’ est le fait d’ arborer une mine radieuse, une peau lumineuse et sans imperfection.

8

Miroir miroir, le maquillage une affaire de classe, Jennifer Padjemi,

9

intervention de Zineb Dryef, Podcast Binge audio, 2019.

9bis

Ibid.


35 j’lui avais envoyé des messages pour lui demander de m’exciter. je ne sais pas si ça l’avait gêné mais il m’avait dit de venir. au début je ne voulais pas, le lendemain je devais avoir mes résultats du dépistage. j’avais déjà attendu dix jours, ça serait trop bête. mais il a insisté, on fera ça avec capote de toutes façons, et si je le suçais je ne risquais pas de lui donner quelque chose. il était 11heures et quelques, je n’avais pas mangé, je suis allé prendre ma douche et je suis parti. sur le chemin, je mettais mon sac devant moi pour cacher mon érection, à cause des messages qu’il m’envoyait. je lui avais demandé de ne pas se laver, et puis je crois qu’il avait paniqué, j’avais aussi eu peur que l’odeur soit trop forte, alors finalement il a pris une douche. il m’a demandé si l’odeur de la cigarette me dérangeait, pour commencer il aimait bien fumer une clope pendant qu’il se faisait sucer. j’ai dit non, ça va, j’aimais bien l’idée. il était un petit peu plus petit que moi, mais plus mignon que sur les photos, on s’est embrassés et je crois qu’il m’a trouvé fougueux. on s’est mis sur le canapé, on a continué, et c’est à cet endroit que je l’ai sucé. sa bite était rasée, ça m’a fait un peu bizarre, et je me souviens qu’il n’avait pas mis de caleçon en dessous de son bermuda. d’un côté ça me dégoûte un peu, mon père fait ça parfois, et je trouve ça pas terrible, et pas très hygiénique. mais là il venait tout juste de prendre sa douche, donc ça allait. et d’un autre côté, je trouve ça un peu sexy aussi, quand les mecs dans les pornos n’ont rien sous leur pantalon. ça fait comme une surprise accélérée. parfois pour me masturber je mets un short sans caleçon, ou un sweat sans rien en dessous, ça m’excite. sa bite était plus petite que la plupart des autres que j’ai connues.


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du coup je pouvais la mettre en entier assez facilement, c’était cool. ça lui faisait du bien, je l’enfonçais bien profond, et je pouvais la garder comme ça assez longtemps, il m’appuyait la tête et il bougeait aussi en même temps. j’ai quand même un peu étouffé, à un moment j’ai eu des larmes comme j’ai toujours quand je fais des gorges profondes, et j’ai même senti de la morve dans mon nez. ça doit humidifier tous les canaux. on est allés dans le lit, il m’y a porté. il m’a dit qu’il aimait bien comment je l’embrassais. il a voulu me sucer mais je l’en ai empêché, à cause des tests. j’ai du lui expliquer alors qu’on en avait déjà parlé, il était un peu déçu mais ça va. il m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai dit que je voulais qu’il me prenne, il m’a demandé comment, je ne savais pas. je savais que par-derrière allongé sur le ventre ça rentrait bien et ça ne me faisait pas trop mal, mais il voulait que “j’essaye autre chose”. j’ai trouvé ça chiant comme remarque. il m’a dit qu’il aimait bien commencer lui allongé sur le dos avec moi assis sur lui, mais la dernière fois que je l’avais fait ça n’était pas bien rentré. là aussi on a galéré assez longtemps, et même quand on a réussi je crois qu’on vérifiait plus que ça reste en place qu’autre chose. donc on a changé. en chien de fusil je crois, ou alors d’abord en face à face moi sur le dos, les jambes sur ses épaules. après on a fait de dos. parfois je sentais vraiment plus que d’autres, mais c’était bien en général. après il m’a dit de me lever, il m’a mis contre son mur en crépis, et il est rentré comme ça. je connaissais pas. il m’a dit, «ça t’as jamais fait hein ?», j’ai trouvé ça chiant. mais c’était cool. je m’accrochais au rebord du mur, et lui il me tirait la tête en arrière par les cheveux. après il m’a poussé sur le lit et il m’a pris par derrière, allongé sur mon dos. il a fini comme ça et il s’est allongé à côté de moi. il était hyper transpirant, en même temps il avait dû tellement bouger. on a un peu discuté, puis on est allés chercher de l’eau, j’en ai profité pour me moucher. puis il m’a dit qu’il était désolé de ne pas s’être occupé de moi, j’ai dit t’inquiète, et il m’a dit «et si je te branle comme ça tu vas te re-exciter et venir ?». et oui, ma bite s’est durcie. il m’a masturbé un moment, je voulais pas qu’il ait des crampes aux bras donc j’essayais d’accélérer la chose. ça a fini par venir, j’ai fermé les yeux et j’ai joui. j’ai senti des gouttes sur mon bras et ça m’a surpris. ça fait des années que j’avais pas «giclé», j’avais même cherché sur internet si il y avait des astuces parce que je trouvais ça amusant et excitant. là j’en avais mis vraiment partout, d’habitude j’ai pas autant de sperme. mais c’était joli à voir, juste étonnant. je suis parti acheter un sandwich et après je suis allé chez lisa. sur la route, j’ai lâché quelques pets. dans la cage d’escalier de lisa, ça sentait la peinture. ça m’a rappelé très fort donald duck. le lendemain je suis allé au centre de dépistage. la syphillis, les hépatites et le sida étaient négatifs, la chlamydia positive. chiant.


37 dans le rectum, ça c’était à cause de julien qui n’avait pas mis de capotes. elle m’a donné quatres comprimés, et elle m’a dit de repasser dans quinze jours.

le soir, j’étais dans la cuisine avec ma coloc, et j’ai reçu un appel d’un numéro inconnu. c’était alek, le mec que j’avais rencontré dans la rue deux mois plus tôt. il était en bas de chez moi. je me suis dit, comment il connaît mon adresse ? je lui ai dit «mais... tu veux pas qu’on se cale un rendez-vous plus tard, dans la semaine ou quoi ?» il m’a dit qu’il partait à paris le lendemain, qu’il était en bas de chez moi, qu’il voulait me voir avant de partir ... j’ai dit ok j’arrive. je suis descendu et on a discuté quelques minutes. je lui ai proposé de monter, il était chaud, il m’a demandé si j’étais seul, j’ai dit non, je suis avec mes colocs. ça lui a fait peur, il voulait pas les voir, j’ai pas réussi à lui faire expliquer pourquoi. il m’a demandé si elles étaient dans le salon, j’ai dit : dans leurs chambres je pense, mais bon elles peuvent aussi passer dans le couloir. je savais que louise était dans le couloir, elle m’avait dit qu’elle voulait voir à quoi il ressemblait. on est montés et il commençait déjà à m’enfoncer son doigt dans l’anus, à travers le short. je me préparais aussi mentalement, il fallait que je me relaxe, dans mon souvenir sa bite était très grosse. on est rentrés, il s’est faufilé dans ma chambre. on a commencé à s’embrasser peu après, mais ça n’a pas duré longtemps. je lui ai dit que je voulais prendre une douche, je ne l’avais toujours pas fait depuis le mec de la veille. il m’a dit «non, tu la prendras après». j’ai obéi. il a recommencé à me toucher l’anus, je lui ai dit «tu veux pas que je te suce un peu avant ?», il a dit ok, mais là aussi, ça a duré quelques minutes, il m’a retourné et il m’a posé son pénis sur le cul. je lui ai dit «avec capote», je lui en ai passé une, «il va falloir mettre du lubrifiant aussi parce que j’ai un petit cul”. on en a mis et il a commencé à rentrer. ça faisait hyper mal, j’avançais mon corps pour pas qu’il ne rentre trop vite. je disais attends, attends, il disait tout doux, doucement, alors qu’il continuait à s’avancer. il a remis du lubrifiant et puis c’était reparti, ça faisait quand même hyper mal. j’ai pas eu le temps de détendre assez mon anus et il est rentré en entier et j’ai crié. il bougeait à l’intérieur et moi je gémissais, je savais qu’avec les murs fins et la porte de leurs chambres ouvertes, mes colocs m’entendaient en ce moment même. il s’est penché sur moi et il m’a dit, près de mon oreille «je veux que tu m’aimes jules. est-ce que tu m’aimes ?» «oui», «dis moi avec qui tu couches, c’est qui ?». j’ai demandé «toi ?» «non les autres mecs avec qui tu couches» «oh alors y’en ... y’en avait un qui était très grand» «plus grand que moi ?» «oui je crois, et un autre plus petit que moi. le premier avait 27 ans et le deuxième 34», «ils avaient des grosses bites ?» «euh... normal, le premier elle était assez grosse et le deuxième,


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celui de 34 ans, ça va, basique» «c’étaient des blancs ?» «oui». «j’veux qu’tu m’aimes jules, est-ce que tu m’aimes ?» «oui», «dis moi que tu m’aimes» «je t’aime alek», et puis il est sorti, j’ai vu qu’il avait joui, ça avait duré 5 minutes. puis j’ai vu un truc chelou sur sa capote, j’ai cru qu’il avait un problème au pénis. il m’a demandé un sopalin et je me suis rendu compte que c’était de la merde. je lui avais chié dessus. ça ne m’était jamais arrivé. j’ai supposé plus tard que c’était en poussant pour détendre que ça avait du faire ça. j’ai enfilé un caleçon et suis allé cherché le sopalin à la cuisine, en riant en passant devant la chambre ouverte d’alicia, essayant de ne pas croiser son regard. il a utilisé le sopalin pour retirer la capote et l’envelopper dedans, puis je l’ai jeté dans la poubelle. il s’est essuyé la bite deux fois et il s’est rhabillé. j’ai ouvert la porte d’entrée et il s’est faufilé dehors presque en courant et il m’a dit aurevoir. j’avais l’anus hyper dilaté. mes colocs m’ont dit «déjà ? mais ça a duré 5 minutes ??», j’ai dit je vais vous raconter, je passe juste aux toilettes.

cette fois-ci, j’ai un peu moins détesté le chemin de la gare à la maison. la lumière me paraissait différente du reste de la france, plus orange peut-être. on est d’abord passés chez Romuald pour arroser ses plantes. il habite à l’amas, le petit regroupement de maisons après la fôret et le lavoir, un peu en hauteur. en face de chez romuald, il y a une maison vide, elle est habitée par des anglais.e.s pendant l’été, il s’agit d’une résidence secondaire, ou plutôt d’une maison de vacances. mais ces derniers temps, elle n’a pas été très habitée. trois des maisons de l’amas appartiennent à la famille Poireaux. les parents habitent celle au bord de la route qui mènent à la D22, avec la petite véranda. le prunier où maman prenait des prunes leur appartient. ce sont des prunes d’ente, elle fait des confitures avec. le fils habite la grande bâtisse sur la gauche après chez Romuald, là où il y a le petit chien, et la belle-fille est voisine avec romuald, elle s’appelle Marie-Thérèse et son mari est mort il y a six ans. depuis que j’étais revenu, j’avais repris mes balades. la maison des Chassins avait été vendue, il n’y avait plus de nom sur l’étiquette, mais j’avais entendu des voix. j’aime beaucoup le chemin qui y mène. je faisais beaucoup de rêves érotiques, mais je ne pensais pas tant que ça au sexe. je crois que j’aimais bien que ce soit un temps de pause. le champ de Commun maintenant c’est des tournesols, ça ne l’avait jamais été. il y a aussi un endroit avec des pieds de vigne, tout nouveaux. hugo m’a dit que pendant le confinement, l’interdiction de planter des pieds de vigne avait été levée, alors, tout le monde s’est mis à le faire. ça rapporte beaucoup plus que le tournesol, le blé, le maïs, ou l’orge.


ces derniers jours, il fait chaud. quand on sort, on est saisi·e·s, la chaleur nous écrase. enfin, je me disais qu’il faisait beaucoup moins chaud que l’été dernier, celui où pendant plusieurs semaines il était impensable de sortir. c’était en vitesse, si on le faisait, sautillant sur les graviers blancs aveuglants et l’herbe qui sifflait sa sécheresse.

T’encaisses bien ? Ok je suis bien monté pour info Monté 18/6 Apparemment c’est une qualité de bien prendre des bites, ça tombe mal moi j’ai un p’tit cul. J’étais quand même partant. Il m’a proposé un appel téléphonique c’était drôle, ça faisait un peu entretien d’embauche. mais sa voix était sex. il m’a posé des questions - histoire de cerner le genre de rapports sexuels qu’on pourrait avoir - et il a raccroché. il m’a dit que ça l’avait excité, ensuite on s’est fait un whatsapp, il m’a montré sa teub, je lui ai montré la mienne, j’étais pas 100% à l’aise. il m’a demandé si je voulais me faire dominer j’ai dit oui, si je voulais faire ma lope, j’ai dit oui. il m’a dit qu’il avait des cordes et une paire de menottes, je lui ai dit qu’j’étais partant. ça c’était le soir, mais j’étais trop crevé, alors on s’est donné rendez-vous le lendemain matin. à 9h-9h30. mais quand je suis arrivé au point de rencontre - devant la gare - il n’a pas répondu à mes appels, il dormait. je m’étais déplacé jusqu’à la gare pour rien. ça m’a fait une balade mais j’avais oublié mon porte-monnaie je n’ai même pas pu acheter de baguette. on a décidé de se voir le soir, sauf que cette fois c’est lui qui était crevé. il avait peur de pas pouvoir me dominer. ça a oscillé entre oui et non assez longtemps, au final il a bien voulu. il est venu me chercher à la gare, il faisait beaucoup plus ses trente ans que sur les photos, ou que par sa voix. mais il était cute. quand je suis arrivé chez lui j’ai pris une douche, il avait l’air à cheval sur l’hygiène. il m’avait déjà demandé deux fois avant si j’avais de quoi faire un lavement et je lui avais dit que je n’en avais jamais fait. je crois qu’il demandait ça parce qu’il avait une grosse bite. je crois que plus c’est gros, ou en tous cas plus c’est long, plus il faut que ce soit propre en profondeur. ensuite on a commencé à se choper, c’était un peu timide. il m’a passé une capote, je pense que c’était la première fois que j’en mettais une, il en a mis une aussi. on s’est sucés comme ça. j’avais jamais fait. avant d’avoir ken, je pensais que c’était comme ça que ça se faisait, ou en tous cas que ça devait se faire, puis maintenant ça me paraissait vraiment étrange. la sensation c’était bizarre j’avais pas l’impression de sucer une bite. et puis ça m’a fait perdre mes repères, je ne pouvais plus jouer avec le gland, le prépuce, je ne pouvais plus rien distinguer. je me contentais de faire des allers-retours. et pour moi, déjà que

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40 je sens pas grand chose d’habitude, alors là, avec une couche de latex, encore moins. à un moment il m’a mis contre le mur, c’est là qu’il m’a mis les menottes. ensuite je me suis mis à genoux. je me suis retourné et je l’ai sucé. il m’a proposé de me bander les yeux, je savais pas trop si ça m’exciterait ou pas. on a continué sur le lit je lui léchais les couilles, ça le mettait dans tous ses états. j’arrivais à la prendre assez profonde dans ma gorge au final, plus profond que dans le cul. on s’y est mis un peu après, on a bien mis du lubrifiant et puis il a commencé à rentrer. au début j’étais assez content, ça le faisait, mais je sentais bien que ça bloquait à un endroit et que ça rentrerait pas plus. en fait sa bite, dans les premiers centimètres, avait une circonférence plutôt habituelle et après la base s’évasait vraiment et ça devenait très épais. il est ressorti parce qu’il allait venir, il est re-rentré, on a remis du lubrifiant, il est re-rentré. il est jamais rentré en entier mais je crois que c’était bien quand même. ça faisait longtemps que je m’étais pas pris une bite et ça faisait du bien. la dernière fois c’était étienne, et c’est sûr que c’était pas la même taille. après il m’a dit, tu veux qu’on s’branle et on recommence après ? j’ai dit ouais. il s’est branlé pendant que je lui léchais les couilles, il a joui hyper vite, donc j’ai fait pareil, en tenant et en léchant son bras, et puis après c’était fini. on était tous les deux crevés. j’avais grave envie de m’endormir mais je me disais que ça serait quand même mieux si je dormais à la puya. j’ai hésité et puis je me suis rendu compte que j’avais pas pris mon médicament du soir pour la chlamydia quand on était à la pizzeria. je lui ai dit, j’ai décidé d’y aller, je crois qu’il préférait lui aussi. je suis rentré et je me suis rendu compte que son odeur c’était juste l’odeur du latex. j’ai trouvé ça un peu triste ou un peu touchant. je l’ai revu. cette fois-ci on a beaucoup parlé, c’était tellement chill que j’avais l’impression que ça serait bizarre de faire l’amour. d’ailleurs j’arrivais pas trop à bander. j’ai aussi pris une douche cette fois-là, et en me savonnant je me suis dit qu’en fait, son odeur c’était pas juste celle du latex, mais aussi celle de son gel douche. je me disais, c’est étrange, je me laves avec son gel, donc je vais sentir un peu comme lui. je suppose que d’un côté, c’est rassurant, mais d’un autre, ça perd de l’intérêt. quand on s’y est enfin mis, j’espérais que je pourrais le sucer sans capote. mais en fait non. j’étais un peu déçu. j’ai pu observer sa bite de plus près, c’est vrai qu’elle était très épaisse, vraiment très épaisse. j’avais jamais vu ça. il m’a mis les menottes au début, puis il m’a proposé le bandeau, cette fois-ci j’ai dit oui. et je me suis rendu compte que j’avais bien fait parce que dès que je l’ai eu sur les yeux, mon excitation a doublée. j’ai continué à bander alors que je pouvais pas me toucher. je l’ai sucé comme ça, je l’ai léché comme ça, c’était vraiment très bien. il était obligé de me guider le visage pour que ça atteigne les


bons endroits. il m’a dit que j’étais une chienne, j’ai dit que j’étais une chienne. je culpabilise toujours un peu de dire ces choses là. je le fais parce que ça m’excite, mais je doute parce que j’ai peur de me trahir, j’ai peur de ne pas me respecter. enfin avec ces mecs là, mais lui je le trouvais assez doux, je me sentais en confiance. un peu comme avec un pote, donc ça c’était bien. après il m’a enlevé le bandeau, je savais pas trop quoi faire. je crois qu’en général j’étais pas trop dans le truc. il me disait «tu dis rien» mais j’avais rien à dire. je savais pas trop quoi lui faire, j’avais l’impression qu’à part lui lécher les couilles, et lui sucer la bite, je pouvais pas faire grand chose d’autre. il a voulu me sucer et j’avais presque envie de dire non, parce que ça me fait pas grand chose et que je dois simuler sinon ça les vexe. quand j’ai mis la capote je bandais même pas à fond. il m’avait dit qu’il avait un god, qu’on pourrait l’essayer, j’ai voulu lui demander mais il m’a proposé qu’il me sodomise. j’ai dit oui. c’était assez bien, ça faisait un peu mal au début, on s’arrêtait pour rajouter du lubrifiant. je crois que c’est plutôt bien rentré. pas en entier, mais plutôt bien. il est venu assez vite. la sensation après la sodo c’est vraiment cool. j’ai voulu lui demander qu’il continue à me pénétrer avec son gode mais il m’a dit, c’est plutôt pour avant, pour détendre. pas faux, puis après j’ai réfléchi, je me suis dit que si il avait été au courant du plaisir anal, il aurait pu me travailler le cul avec. mais évidemment il était pas au courant, alors je crois que de toutes manières, il aurait pas pu réussir à me faire jouir comme ça. n’empêche que ça aurait été agréable de continuer à me faire ramoner le cul. tant pis. après on a parlé, beaucoup, il faisait moins chaud donc c’était agréable. je me sentais plus énergique qu’à aucun autre moment de la journée. après je suis parti.

41 j’ai pris le train pour aller voir ma grand-mère, la veille de son anniversaire. la gare de jonzac est petite. un bâtiment de pierre devant deux lignes de rails. il n’y a que deux quais, celui qui va vers le nord, et celui qui va vers le sud. sur la façade, le nom de la ville est écrit en lettres sans courbes, oranges. les alentours de sa maison étaient modifiés, tous les champs avaient été retournés, la municipalité effectuait des fouilles avant de pouvoir construire un complexe industriel. le jardin était comme dans mes souvenirs. seuls les fauteuils du salon avaient changés.


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un frisson secoua joke qui était sur le point de s’endormir. par delà la fenêtre de sa chambre, les rayons du soleil chatouillaient les fissures des murs de la ville, puis disparaissaient dans les racines de la forêt avoisinante. joke se leva d’un coup et fila dans la salle de beauté pour s’asperger le visage d’eau glacée, et bu d’une traite une mélissade qui traînait sur le plan de travail. il passa en revue les tenues qui lui restaient de sa vie d’avant. elles formaient un ilôt au milieu de son espace de solarisation, un amas qui bien qu’il soit inanimé remuait en lui les souvenirs de sa coquetterie, des soirées hard dans lesquelles il se rendait, et des rendez-vous amoureux qu’il n’avait jamais prévus. il enfila le string de dentelle rose que lui avait offert desther, une chemisette blanche à col plissé dont il ne se rappelait plus la provenance, et ses sabots écaillés irisés de poisson polisson qu’il avait acheté dans une échoppe d’xxl avec ses premiers revenus de tdr. un vent léger enroba son torse d’un sourire et fît naître un frisson sur la pointe de ses tétons. ce plaisir discret lui rappela la décision qu’il avait prise. il mit la musique à fond et dansa sans compter, puis essoufflé, s’assit sur le bord de sa fenêtre pour regarder les ciels. sa console de communication était installée sur un bureau, branchée au moniteur énergivore et au routeur, lui même connecté à l’interface songitudinale qui alimentait son matelas en puissance onirique. il avait passé la journée à dépolariser les pierres ornementales qui fournissaient l’induction nécessaire au réseautage, et à les réaimanter avec des équations trouvées dans un vieux grimoire qu’il avait chiné au marché rose, d’après la source d’une partenaire rencontrée elle y a peu. depuis que les populations avaient été confites, son quotidien qui se nourrissait de l’invisibilité s’était radicalement transformé. ses techniques de déplacements à travers les mailles de la ville demeuraient efficaces, mais ses constellations de connaissances proches et intimes avaient étés réduites à néant. en quête de substance onirique, il avait donc utilisé un terminal virtuel abandonné du web pour rencontrer des partenaires et échanger un peu d’érotisme dans ses siestes. la législation n’était pas claire quand aux relations oniriques depuis qu’il y avait eu le grand confit. les activités professionnelles officielles avaient été désolidarisées de leur bases physiques, mais leurs usagers continuaient à entretenir des relations oniriques depuis chez elleux. sans elles, la population s’éteindrait toute seule, faute de fantaisie, le monde serait mort d’un sommeil tranquille. les haut.es mages et sorcières qui capitalisaient sur les grands mythes romantiques mis en fluide accompagnés d’un faux copyleft - s’octroyant en aval la valeur ajoutée de l’érotisme – avaient bien sûr catégoriquement refusé l’arrêt des échanges oniriques sur le rêvo centralisé. ils fallaient que leurs scripts puissent continuer à être échangés, fluidifiés, interprétés, afin qu’ils puissent garder le contrôle politique latent dont ils bénéficiaient depuis leurs charniers – des bunkers-buildings venus du ciel quand les riches commencèrent à vouloir s’isoler, de ce que l’on raconte ici bas. afin de ne pas être identifié par les patrouilles du rêvo, joke avait adopté une tactique 49


d’obfuscation classique de l’ère industrielle, multipliant alias et identités fictives à l’aide des ia qu’il avait collectionné lors de ses fugues adolescentes. grâce à ses pratiques physiques, la fièvre ne l’avait jamais quitté. mais celleux qui trouvaient leur part de songe dans les joies de la fête et de l’inopiné avaient désormais du rejoindre à leur tour le tout-rêvo, et ses anesthésies lucides et quantifiées. l’obfuscation qu’il avait mise en place lui avait permis de multiplier les possibilités de rencontre au sein du rêvo, accroissant ses chances de fantasmer avec des partenaires plus complices. au cours d’une de ses dérives multipersonnelle, il avait rencontré d’autres pirates de l’amour. iels avaient négocié leur relation rêvée sous la forme de papillons de nuits, et avaient baisé dans les cimes d’arbres millénaires, laissant le temps se dissoudre dans l’éternité chronométrée. se sachant pisteés, iels avaient convenu de se réunir sur une plateforme MMORPG où iels pourraient coder leurs échanges à travers un système de mouvements peu analysés par les algorithmes. leur stratégie avait une force : l’anonymat du sommeil. iels sombreraient dans un temps onirique indeterminé, et interrelateraient leurs identités dans un égregore commun afin de partager leurs histoires de coeur et de cul. pour un temps, iels quitteraient le monde physique, et plongeraient dans le tout-rêvo pour démultiplier les contrehistoires érotiques, contaminant empiriquement les scripts normalisés. après s’être déchaussé et avoir désenfilé son string rose pour libérer ses bourses, joke s’installa dans son matelas. les derniers éléments proto-techniques de leur bidulation semblaient en place. elle y avait toujours une part de risque dans l’amour. il ferma les yeux, sentant pour la première fois que son matelas deviendrait peut être le lieu de son inconfort. doucement, une rêverie passa dans le courant de soleil de cette fin d’après-midi, et l’emmena plus loin dans la nuit. il eut une dernière palpitation en s’imaginant se réveiller avec quelqu’un.e.

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Extrait de Éboueuse parmi les éboueurs : Réflexions autour d’une observation participante potentielle dans un terrain où l’enquêtrice est la seule femme par moilesautresart En juillet dernier, pour la deuxième année consécutive, j’étais engagée par une communauté de commune au nord-ouest de la France pour effectuer dans le sictom, le département de collectes des déchets ménager, le travail saisonnier d’éboueuse . Comme l’été précédent j’étais la seule et la première fille à effectuer ce travail dans cette communauté de commune. C’est cet élément qui a suscité le plus de questionnement, ma présence parmi les éboueurs, et plus précisément le caractère exceptionnel de mon genre féminin dans un corps de métier encore massivement masculin en règle générale (et exclusivement masculin là je suis employée). Mon genre provoque des changements aussi bien logistiques que dans la manière qu’ont les éboueurs d’interagir entre eux, et influe à l’évidence sur la manière dont ils interagissent avec moi, par rapport aux interactions qu’ils ont vis-à-vis d’un saisonnier classique, c’est-à-dire un saisonnier de genre masculin. Par conséquent, si un travail d’observation participante devait être mené, le genre de l’enquêtrice aurait un effet sur l’enquête. Comment, alors, le genre de l’enquêtrice influe sur un travail d’observation participante, dans un terrain où son genre n’est pas la norme ? Comment rendre compte des effets provoqués par le genre de l’enquêtrice sur un terrain homosexué ? Nous réfléchirons à ces deux questions en tenant compte du terrain envisagé c’est-à-dire en croisant les recherches sociologiques effectuées sur la collecte de déchets et les recherches épistémologiques questionnant le genre des enqueteur.ice.s dans des cas d’observations participantes. 1

La transformation du travail en terrain, un conflit éthique Cet été encore j’ai remis ma tenue orange et suis redevenue éboueuse saisonnière, cette fois avec mes études de genre, et mon ouverture aux sciences sociales en tête. Dans cette partie sera discuté la potentialité de transformer mon travail saisonnier en terrain sociologique en suivant un principe d’observation participante. Ma présence parmi les éboueurs n’a pas été remise en question , en tant que travailleuse saisonnière je suis légitime. Effectuer une recherche incognito, en prenant appui sur cette légitimité, peut sembler quelque peu duplicite. L’observation de Ukeles est subversive parce qu’explicite et « désintéressée ». La mienne, parce qu’elle serait secrète, pourrait être vue comme une prise de pouvoir sur mes collègues avec qui, toutes proportions gardées, je suis en tant que collègue éboueuse, plus ou moins à égalité. Produire du savoir sur eux sans qu’ils le sachent et donc sans qu’ils n’aient aucune prise sur l’image qu’ils renvoient à quelqu’un qu’ils ne perçoivent pas comme une observatrice qui « analyse et qui juge », pourrait être perçut comme une trahison. Isabelle Clair dans son article « Faire du terrain en féministe » explicite la relation de pouvoir qu’entraîne la recherche : « La trahison recouvre diverses réalités : sur le terrain, l’enquêteur-trice est susceptible de se faire voyeur, de trahir les intérêts des enquêté-e-s au moment de publiciser la recherche, d’instrumentaliser leur affection, de rompre le contrat de confiance obtenu parfois de haute lutte au cours de l’enquête, de parler à la place d’autrui ou de tordre la réalité dans son compte rendu ; toutes conduites que les enquêté-e-s peuvent dénoncer sous forme de reproches, de défiance, 2

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1 Le travail de Stéphane Lelay m’apprendra que les agentes de Paris se nomment éboueures et non éboueuses en raison de la connotation négative de cette terminaison. Comme cette réflexion n’a pas été menée là où je travaille, et que l’on me désigne parfois comme éboueuse, j’utilise les deux terminologies de manière indifférenciée. 2 Même si on m’a demandé à plusieurs reprises ce qui avait motivé ma candidature. Un de mes collègue a néanmoins fait remarquer qu’il préférerait que le courage des femmes soit employé à un meilleur sujet que celui du traitement des déchets, la maternité étant pour lui un emploi approprié de ce courage. 3 Ce postulat est directement remis en question, mais j’entends par là qu’en tant qu’étudiante en travail saisonnier, je suis une travailleuse précaire, et si je suis plus diplômée que mes collègues, mes diplômes ne m’apportent aucune sécurité économique. De plus, eux disposent de plus d’expérience que moi dans la tâche commune que nous avons à effectuer. Ils sont pour la plupart plus âgés que moi et sont tous des hommes (Ce qui n’est pas un privilège en soi mais qui l’est dans un contexte patriarcal généralisé. De plus dans ce contexte particulier, être un homme est la norme, on peut alors supposer qu’appartenir à la norme est un privilège.)

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de refus de participation, voire de représailles. Le rapport de pouvoir induit par le dispositif de l’enquête vient briser la solidarité inscrite au frontispice de l’engagement féministe et rappelle ce dont on a soi-même fait les frais collectivement : transformer la vie des autres en objet et décider qui mérite ou non le statut d’objet ne sont pas des opérations inoffensives . » Et de fait les éboueurs appartiennent déjà à un corps de métiers dévalorisés : Stéphane Lelay rappelle que « les éboueurs sont en effet considérés comme des ouvriers non-qualifiés et relèvent de la catégorie C de la fonction publique territoriale », ce qui signifie que sur le plan économique, ils sont mal rémunérés . Il rappelle également que « les études ergonomiques montrent que les conditions de travail des éboueur-e-s sont particulièrement rudes et dangereuses et se caractérisent par des taux d’accident du travail élevés, les données épidémiologiques disponibles, bien que non systématiques et lacunaires, indiquant une espérance de vie à soixante ans parmi les plus basses de France . » Compte tenu de ces faits, observer à son insu un groupe de personnes déjà stigmatisées irait à l’encontre de ce que prône Laura Nader dans son article “Up the anthropologists: perspectives gained from studying up” quand elle dit « N’étudiez pas les pauvres et les sanspouvoir : tout ce que vous direz sur eux pourra être retenu contre eux ». Laura Nader, quand elle enjoint les anthropologues à étudier « au dessus d’eux », présuppose dans un certain sens que « les subalternes ne peuvent pas parler ». Quand je suis éboueuse et parce que je suis réellement éboueuse, puisque j’effectue cette activité à temps plein pendant plusieurs mois, qu’il s’agit de mon revenu principal et que j’occupe ce poste en premier lieu pour des raisons économiques, je suis parmi « les pauvres ». J’aimerais dire alors, dans un élan de narcissisme héroïque, que je suis une subalterne et qu’en effectuant cette recherche, je parle. Néanmoins je pense ici que c’est abuser de l’expression initié par Gayatri Spivak, et perdre de vue le fait que je suis la seule qui parle alors, et mon discours est dissimulé à ceux qui deviennent (malgré tout) les objets. Isabelle Clair, en proposant de voir la recherche féministe comme un processus mettant à jours les dominations et donc procédant à une étape pour faire évoluer les-dites dominations, relativise les stratégies pour y parvenir : « Mentir sur le sujet réel de sa recherche, sur son identité en dehors de l’enquête, observer les gens au-delà de ce qu’ils peuvent imaginer ont aussi pour finalité de constituer un matériau solide à même de fonder l’analyse, en l’occurrence féministe, que l’on en fera a posteriori. Or une telle analyse est critique de l’ordre social, et de nombreux terrains, ou segments de terrains, sont menés dans l’adversité et donc dans une forme de clandestinité : ils visent à saisir ce qui, dans la réalité observée, fonde ou perpétue les hiérarchies organisées par le genre, mais aussi par la classe, la race, la sexualité, etc. Le mensonge, le manque de transparence sur les raisons du terrain ou toute autre forme de dissimulations sont inhérentes à toute entreprise de dévoilement des logiques de domination . » 4

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Être ébou(h)eur.euse, jeu du genre dans le milieu professionnel Pour être acceptée, être un vrai éboueur Dans « Enseignements empiriques et éthiques d’une biffe sociologique parmi les éboueurs

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Isabelle Clair, « Faire du terrain en féministe », Actes de la recherche en sciences sociales 2016/3 (N° 213), p. 72.

5 Stéphane Le Lay. « Enseignements empiriques et éthiques d’une biffe sociologique parmi les éboueurs parisiens », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 205, no. 5, 2014, p122. 6 Mes collègues à propos de leur salaire, commentaient régulièrement être employés par l’une des communautés de communes rémunérant le moins bien ses éboueurs. A propos du salaire général des éboueurs je reproduis ici une note de Stéphane Le Lay : Pour un point sur l’évolution négative, par rapport au SMIC, du traitement des éboueurs ces trois dernières décennies, voir Touria Jaaidane et Robert Gary-Bobo, « Salaires et carrières dans la fonction publique : le cas des éboueurs », Revue française d’économie, 22(3), 2008, p. 3-59. 7

Stéphane Le Lay , Op. Cit.

8 Laura Nader, “Up the anthropologists: perspectives gained from studying up”, in Dell H. Hymes (éd.), Reinventing Anthropology, New York, Pantheon Books, 1972 cité par Isabelle Clair, Op.Cit. p.80 9 Ici c’est une référence libre à l’œuvre de Gayatri Chakravorty Spivak Les subalternes peuvent-elles parler? Paris: Amsterdam, 2009(1988). 10

Isabelle Claire, Op. Cit. p.77


parisiens » Stephane LeLay explique que les éboueurs parisiens sont « recrutés au maximum au niveau bac afin de conserver une homogénéité sociale dans ce corps professionnel ». Pour pouvoir intégrer au mieux son terrain, et « passer » pour un vrai éboueur, il a alors essayé de gommer certains traits de son appartenance sociale, en ne lisant par exemple que des quotidiens gratuits et non des livres. De la même manière, du point de vue du genre, pour intégrer le terrain qu’elle nomme « homosexué » du rugby, l’ethnologue Anne Saouter devait, reprenant les termes de son « parrain », « s’intégrer comme un joueur » , c’est-à-dire « répondre aux exigences d’un mode de sociabilité propre au rugby, et qui se déclinait à [s]on égard au masculin. ». Anne Souter détaille « Car je demandais à avoir accès à un espace qui ignore ou exclut habituellement les femmes, notamment le club house et les vestiaires. Je devais donc accepter de faire comme si j’étais un homme, qui plus est un homme du rugby. Pour me fondre dans cet espace homosexué (Saouter 2006), je devais réaliser une véritable performance : être capable de parler de rugby (commenter la technique, les options de jeu pendant un match, etc.) autant que de « parler rugby » (se souvenir des expressions idoines, des anecdotes, des surnoms de chacun), de boire de l’alcool à chaque tournée (chacun payant la sienne), d’entendre des récits facétieux et de participer à des conversations grivoises. Il m’est arrivé de m’entendre dire par un joueur, alors qu’on venait de passer plus d’une heure à parler de rugby : « Tu vois, ce qui est dommage, c’est qu’on ne peut pas parler de rugby avec une femme. ». Mon intégration aux éboueurs à plus ou moins comporté des efforts similaires. Je devais être un éboueur normal, c’est-à-dire être capable de la même force physique que n’importe quel autre éboueur, pourvoir « tenir le rythme », me lever à 4h et ne pas être en retard, pouvoir pousser des poubelles lourdes souvent à une main, ne pas être dérangée par les odeurs ou la vue des déchets. L’uniforme, des chaussures de sécurité, un pantalon et un t-shirt orange fluo avec bandes réfléchissantes ont contribué à rendre mon genre non visible. Je prenais soin de compléter cette « virilisation » en ne me maquillant pas et en nouant très serrés mes cheveux, d’abord pour qu’ils ne me gênent pas mais aussi pour faire oublier cet attribut « féminin ». Cette intégration comportait aussi toute une partie de sociabilisation, prenant place dans l’atelier avant de partir faire la tournée et dans la cabine pendant les temps de pause : serrer la main des autres éboueurs et non pas faire la bise , se vanter de sa consommation d’alcool, et commenter ou accepter les commentaires de mes collègues sur le corps de femmes que nous croisions. A propos des commentaires sur le physique des passantes : un jour je rebondis positivement sur une remarque d’un de mes collègues sur le corps d’une passante. Mon collègue se retourna vers moi, méfiant « Tu ne serais pas passer de l’autre bord quand même ? ». Cela me montrant ainsi que ma « virilisation » ne devait transgresser les normes d’hétéro-normativité, ce qui me placerait ainsi dangereusement dans une autre marge. Le même collègue, un autre jour, s’était tourné spécifiquement vers moi pour commenter l’absence de soutient-gorge d’une factrice. J’étais donc incluse dans la pratique sociale de male gaze. Il est important ici de rappeler que tous les efforts que je décris ici pour 11

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11 Stéphane Le Lay. « Enseignements empiriques et éthiques d’une biffe sociologique parmi les éboueurs parisiens », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 205, no. 5, 2014,p.122 Il précise dans une note : Lors d’un entretien, un fonctionnaire du service des ressources humaines m’a expliqué que les éboueurs étaient généralement recrutés au maximum au niveau bac afin de conserver une homogénéité sociale dans ce corps professionnel. Les données quantitatives disponibles, en dépit de certaines limites méthodologiques, indiquent que le recruteur a une vision globalement ajustée de la situation. Selon le recensement 1999 de l’INSEE, la proportion des éboueurs de Paris ayant le baccalauréat général ou professionnel s’élevait à 4,7 %, et 2,4 % pour un niveau supérieur. 60,2 % avait au mieux le BEPC et 32,7 % possédaient un CAP ou un BEP. Dix ans plus tard, des données de la mairie de Paris concernant 306 stagiaires recrutés durant l’année permettent de percevoir les effets conjugués de la massification scolaire parmi les classes populaires, de la hausse de sélectivité dans le recrutement (tests écrits et entretien) et de la crise économique (les emplois de fonctionnaire acquièrent une valeur refuge) : la proportion de bacheliers est passée à 26,5 %, celle des diplômés du supérieur à 5,2 %. La part des éboueurs ayant au mieux le BEPC s’est effondrée à 18,3 %, quand celle ayant un CAP ou un BEP s’est élevée à 50 %. 12 Anne Saouter, ‘’2. Parrainage et norme de l’« entre-soi du genre »’’, « Ethnographie du milieu rugbystique. Situation d’ajustement dans un espace homosexué. », dans Anne, Monjaret et Catherine Pugeault. Le sexe de l’enquête : Approches sociologiques et anthropologiques. Lyon : ENS Éditions, 2014. Web. <http://books.openedition.org/enseditions/3985>. 13 Ibid. Précisons qu’elle devait faire tout ce travail de socialité sans avoir en commun ce qui rassemblait tout les rugbymen entre eux : jouer au rugby. Jouer était pour elle hors de question puisque, pour les rugbymen qu’elle étudiait, le rugby féminin est une « aberration ». 14 Un rituel qui disparut avec la covid 19, mais dès le départ déjoué par l’un des éboueurs, lui me connaissant avant mon recrutement, mettait un point d’honneur à me faire la bise, montrant ainsi à mes autres collègues qu’il avait le « privilège » de me connaître dans un contexte où je performe mon genre féminin de manière plus classique.

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m’intégrer n’avaient pas pour objectif de me donner un « meilleur » accès à ce que je considérais pas à l’époque comme un terrains d’étude possible. Il s’agissait juste de m’intégrer en tant que première éboueure, c’est-à-dire de prouver ma valeur, et avec moi, de prouver la valeur et la validité d’autres femmes à occuper ce poste. C’est d’ailleurs avec cet argument qu’un de mes supérieurs hiérarchiques avait motivé mon changement de benne, et ainsi de collègues : « Ils faut qu’ils voient par eux-mêmes, on va leur prouver à tous ces machos qu’une fille en est capable. Si ils n’entendent qu’une seule équipe, ils vont penser que la benne D est trop gentille avec toi.». Saisonnière, une déclinaison de la jeune fille à initier Agnès Jeanjean dans le chapitre « une ethnologue, des égoutiers et des universitaires. Rapports sexués, rapports politiques » revient sur l’importance de sa jeunesse combinée à son genre comme porte d’entrée à son premier terrain ethnologique. Ces deux éléments la mettaient dans une position quelque-peu « vulnérable » à laquelle pouvaient répondre les égoutiers avec l’assurance de la connaissance « masculine » : « Le fait d’être une femme devenait, selon [les égoutiers], un sérieux atout méthodologique|[ ...] [Faire la jeune fille c’est ] s’inscrire dans un rapport initiée-initiateur, un rapport au sein duquel une jeune fille s’en remettait à des hommes, à la fois subversifs et protecteurs, pour devenir femme. Cela me convenait, j’étais finalement peu autonome et je trouvais là une façon d’exister permettant aussi à mes interlocuteurs de faire les hommes. » Agnès Jeanjean revient ensuite sur sa position en la situant politiquement : aux regards des études féministes, se positionner en inférieure, c’est rejouer la domination patriarcale. Si sur un terrain, jouer la vulnérabilité peut être un atout parce que cela permet de ne pas « menacer » les enquêtés avec le savoir que la position de la scientifique représente, au moment de s’affirmer dans son domaine d’étude à l’université, les mêmes dynamiques de dominations étaient à l’œuvre. A ce propos elle affirme : « Il faut, entre autres, être convaincue de la légitimité de son savoir, de son point de vue et de ses mots – ce qui est, les sociologues l’ont bien montré, particulièrement difficile en situation de domination.[...] Il n’est pas toujours facile de se défaire du point de vue dominant. […] Il n’est pas non plus facile de garder la mesure tout en résistant à une violence symbolique frappée de déni, surtout lorsque l’on n’a pas de solide culture féministe. » Étant embauchée en tant que travailleuse saisonnière et non en tant qu’éboueuse titulaire, il me semble malgré tout que ma légitimité parmi les éboueurs était toute temporaire. Pour m’encourager on m’a parfois dit que « j’envoyais beaucoup plus que d’autres petits jeunes » qui avaient été employés les étés précédents. Il n’est pas surprenant que des travailleurs saisonniers soient peu motivés, plus lents, en retard, moins forts, et il est d’ailleurs recommandé de ne leur confier que le cotés droits de la benne, celui des poubelles de tris, contenant principalement des emballages et donc moins lourdes. Si j’étais acceptée parmi les éboueurs c’est seulement en tant que travailleur.se de seconde-classe. Des processus d’initiations étaient également à l’œuvre, par exemple le premier ripeur avec lequel j’ai travaillé a par la suite réclamé que je reste sa partenaire de travail, sous prétexte que je triais bien et qu’il était le seul éboueur à prendre la peine de scotcher, j’allais si je partais sur une autre benne, être gâchée. Nombres de plaisanteries grivoises seront faites autour de cette réclamation. Quand je lui faisais part de ma joie de retourner sur sa benne en plaisantant et feignant la maltraitance de ses collègue, il s’est inquiété de ceux-ci qui « ne savaient pas se tenir devant une fille ». Sur d’autres bennes, quand je rencontrais des difficultés, 15

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15 Agnès Jeanjean, 2. « Faire la jeune fille » : une douce illusion, “Une ethnologue, des égoutiers et des universitaires.Rapports sexués, rapports politiques”. Anne Monjaret, et Catherine Pugeault. Le sexe de l’enquête : Approches sociologiques et anthropologiques. Lyon : ENS Éditions, 2014. Web. <http://books.openedition.org/enseditions/3981>. 16

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Agnes Jeanjean, Ibid. Sexe et savoir, sexe et pouvoir

17 Quand une poubelle jaune, de tri, n’est pas triée correctement par les usagés, la consigne veut que les éboueurs mettent les éléments « non-conformes » sur le couvercle de la poubelle, attachés avec un ruban adhésif portant cette même mention de « non-conforme » assorti du numéro de téléphone du sictom, au cas où les utilisateurices nécessiteraient plus d’explications sur le tri. Cette activité de veille au bon tri est dévalorisée par la plupart des éboueurs, parce qu’elle est chronophage et sa portée pédagogique est vue comme limitée ; De plus « scotcher » les poubelles n’est pas revalorisée financièrement.


il est arrivé que l’on blâme ce même ripeur de m’avoir « mal formée ». On peut tracer ici des parallèles avec l’expérience d’Agnes Jeanjean : mon inexpérience attendue d’un saisonnier, couplée à mon genre féminin me vaut de l’indulgence et un devoir d’initiation de la part des titulaires. Finalement les difficultés que je peux rencontrer renforcent les attitudes « à la fois subversi[v]s et protectr[ices] de mes collègues en poste ». La comparaison avec Agnès Jeanjean s’arrête ici puisque je n’ai eu qu’a affirmer ma légitimité en tant qu’éboueuse, et non en tant que scientifique. Au contraire à la manière de Stephane Le Lay je dois plutôt taire mon identité « hors-travail », afin de ne pas attirer trop de méfiance. Là encore mon statut de saisonnière me protège, car il est attendu des jeunes qu’ils soient moins compétents parce que leur place se trouve « ailleurs, mieux ». Étudier les effets de l’exception que l’on incarne : le terrain « dérangé » « Les études féministes, spécifiquement la théorie du positionnement féministe conceptualisé en particulier par Sandra Harding propose d’élaborer une objectivité ‘forte’ (strong objectivity), qui lie ensemble la prise en compte des conditions matérielles d’existence des chercheur-e-s, leurs inévitables engagements particuliers et la production de connaissance, redéfinit les critères de scientificité contre le fantasme (ou le mensonge) selon lequel la science pourrait être délestée de prénotions . ». En proposant comme terrain possible le sictom dans lequel je travaille en tant qu’éboueuse, je veux me placer dans la ligné théorique de Sandra Harding. Cette position spécifique parce que particulièrement visible -je suis l’exception- met en exergue la nécessité d’expliciter d’où le savoir provient. Pourtant il me semble que cette objectivité forte porte en elle une responsabilité politique; Si l’on admet que l’enquêtrice modifie le terrain par sa présence, si incognito soit-elle, alors ne faudrait-il pas donner une direction à ce trouble du normal ? Isabelle Clair le formule ainsi : « La nature des interactions qui se développent au cours d’une enquête ainsi que la transformation par l’enquêteur-trice de la vie des autres en terrain – de jeu, de lutte, de preuves – posent de nombreux problèmes qui rencontrent de façon singulière la promotion d’une science féministe. ». Faire de la science féministe implique selon elle « l ‘engagement explicite dans des solidarités avec d’autres femmes, et plus largement avec divers groupes sociaux dominés ». Au début de ce texte j’ai présenté les éboueur-e-s comme des « subalternes », et étudier le fonctionnement de ce groupe spécifique était motivé par une vision de la tâche de collecte des déchets comme appartenant au care, percevant donc ce terrain comme un terreau à des solidarités féministes. Pourtant il ne faut pas confondre attention, instance de légitimation et levier d’émancipation. La.e scientifique féministe se doit d’être conscient.e de son effet sur son terrain tout en mesurant le-dit effet et en ne projetant pas sur ses enquêté.e.s une image de victime « à émanciper ». 18

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Isabelle Clair, « Faire du terrain en féministe », Op.Cit p.69

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Ibid.

20 Voir Lila Abu-Lughod, “Can there be a feminist ethnography?”, Women and Performance: A Journal of Feminist Theory, 5(1), 1990, p. 7-27. cité par Isabelle Clair


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Charli XCX - How I’m Feeling Now She makes me feel like mighty unreal

J’ai commencé à écrire l’article qui suit sous le coup de la découverte. Il y a 2 mois donc. J’avais attendu cet album de Charli XCX comme un fan gaga parce que c’est l’effet qu’elle me fait, quand j’écoute Charli XCX je ne suis pas vraiment le même. Je n’ai plus d’age et même j’ai l’impression d’incarner le rôle un peu caricatural du millenial globalisé mais profondément woke. En fait je joue ce rôle là : je m’amuse à embrasser complètement et peut-importe le ridicule, les mimiques, les postures et les motifs que j’invente à ce personnage mythologique que j’admire (jaloux d’être né à peine quelques années trop tôt pour l’être vraiment moi-même). Dans le TV-Show Ru Paul’s Dragrace certaines drag-queen utilisent comme un mantra la formule « fake it until you make it » (littéralement « prétend l’être jusqu’à en avoir l’air », cette formule pouvant s’appliquer aussi bien aux signes associés à une expression de genre féminine qu’à la confiance en soi, l’humour, l’élégance : à force d’incarner une qualité, elle fini par nous habiller). Cette formule s’actualise chez moi dans la forme d’un « play it until you’re it » : joue à l’être jusqu’à ce que tu le sois devenu. Jeu un peu dangereux mais délicieusement excitant parce qu’il révèle à chaque fois la plasticité du réel et des identités. J’avais aussi attendu cet album comme un fan gaga parce que j’avais été simplement heureux de suivre sur instagram les étapes de travail qu’elle partageait avec une intimité que seul ce réseau permet. Intimité qui à dans certains cas épiphaniques comme celui-là un charme très particulier. Et puis un peu aussi parce qu’ayant été tout chamboulé par la découverte complètement fortuite de son album Pop 2 (de 2018) et pas vraiment titillé par son dernier album sobrement intitulé Charli (de 2019), j’espérais furieusement être bousculé par un chef d’oeuvre. Spoiler, je n’ai pas été déçu. Il y a maintenant 10 ans, sortaient Loud de Rihanna (« l’album rouge » comme je l’ai toujours appelé, en référence à la couleur de cheveux de Riri de l’époque) et Teenage Dream de Katy Perry. Deux machines de guerre de la pop occidentalisante et témoins parfaits de la glorieuse époque des buzz-clip et des featuring (avec notamment Snoop Dogg, Drake, Eminem et Kanye West sur ces deux albums). Tout le monde (littéralement ?) connaît et se souvient d’au moins les deux tiers de ces tubes : Teenage Dream, What’s My Name, California Gurls, Last Friday Night (T.G.I.F.), S&M, Man Down, Firework, Love The Way You Lie, ou encore, mes préférés : Only Girl (In The World) et The One That Got Away. Si comme moi vous ête né·e·s à la fin des années 90 ce sont même probablement des hymnes de votre adolescence. Assumés, désavoués ou inconscients, volontairement ou par la force des choses ; ces tubes nous rappellent à celleux que nous étions à l’époque de leur sortie, à ce que nous faisions en les découvrant, en les écoutant. Et le temps passant leur parfum devient celui de la nostalgie chaude ou de la mélancolie humide. C’est dans la famille de ces deux albums que je place How I’m Feeling Now de Charli XCX : immédiatement iconiques. J’aurais d’ailleurs pu dire la même chose de sa mixtape Pop 2 sorite en 2017 qui est l’incarnation orgiaque de la regrettée époque featuring de Charli elle-même si je ne l’avais pas découverte avec 2 ans de retard. Et si de l’un comme de l’autre je peux douter que les tracks deviennent un jour les tubes planétaires que sont Man Down ou Teenage Dream c’est pourtant le sentiment


que me laisse les miracles de Charli. Il y a un sens du timing et une sensibilité à l’époque redoutable dans ces deux opus. Accompagnée à la production par quelques génies de PC Music; A. G. Cook , Danny L Harle ou encore umru (dont l’EP Search Result —que je ne saurais que recommander si vous êtes branché·e·s pop post-humaniste— pourrait être un sequel «d’auteur» à la saga officielle des Charli) elle produit des morceaux qui crient qui dansent et qui pleurent ce que la jeunesse sans age de ce début de décennie à besoin d’entendre, de crier de danser et de pleurer. Des morceaux qui sonnent comme la BO de l’auto-fiction permanente que cette jeunesse matérialise dans le réel. Je ne me prononcerais que très succinctement sur l’usage prononcé et magistral de l’auto-tune dans les vocaux de Charli ainsi que sur les ambiances extrêmement métalliques et haute-définition des productions PC Music qui ne peuvent tout deux être critiqué·e·s que si l’on refuse de reconnaître le présent cyborg, les identités augmentées et les réalités artificielles de nos vies qu’ils incarnent à mon sens avec une sincérité et une simplicité exemplaires. Si l’on prend le temps de se pencher sur la littérature et sur la dialectique musicale de cet album, il ne fait aucun doute que dans 10 ans il nous aidera à revivre l’expérience de cette première moitié de 2020. La thématique de l’isolement et les sentiments du manque sont traité·e·s avec suffisamment d’intelligence pour être à la fois le reflet le plus pur de deux mois de quarantaine de Charli et une occurrence très pertinente des émotions d’une époque. L’œuvre de Charli XCX c’est la a pop culture 2.0, communautarisée, celle qui pense global (et se produit comme de la vrai musique pop) et acte local (et se produit comme la musique que ses producteurices ont envie d’entendre). Et j’adore ces œuvres qui mêlent aussi naturellement culture pop et recherches expérimentales. Des œuvres qui nous font oublier pour un temps qu’il y a des normes, des façons de faire et des catégories. Oeuvres de celleux qui accueillent curieu·ses·x les bras ouverts le nouveau et l’inconu.

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Je trie mes souvenirs, les range dans des boites impalpables, les copie sur une mémoire qui n’est pas la mienne. Parfois je les jette dans une poubelle plus petite que mon pouce. Ils sont éparpillés, dispersés aux quatre coins du monde. Des grosses grosses machines travaillent dur quelque part pour les conserver. Peut être à Harbin, peut être bien dans le Nevada ou alors en Arctique. Je produis ma donnée. La donnée me produit. Je génère le ux. Je suis beaucoup d’argent. Pourraije toujours les retrouver mes données? Est-ce que les grosses grosses machines vieillissent? Est-ce qu’elles ont Alzheimer et meurent ? Et qu’en est-il de mes petites mémoires ? Elles sont bien rangées dans mon placard, mes petites mémoires. Que ferai-je lorsqu’ils seront pleins, mes placards? J’irai les ranger et les trier, encore. Je balayerai un peu, par-ci par-là, je prendrai mon sac plastique écoresponsable et jetterai quelques poussiéreux pixels qui ne m’évoqueront plus rien. C’est pas facile de trier ses souvenirs. J’ai peur de les oublier. J’ai peur de ne pas me rappeler. Je veux tout garder, pour toujours. Jusqu’à ce que les bits prennent des rides. Selon un type bien connu, toute action exige l’oubli. L’oubli fait partie de cet outil nécessaire à l’organisme — pour digérer. Enfant triple zéro je crois avoir longtemps fait l’amalgame entre connaissance et savoir. Entre partage et exhibition. J’ingérais l’information sans la digérer. Je l’exposais aux regards aveugles. La masse lourde s’amoncelait dans le creux de mon estomac vide. Elle le remplissait. Il débordait. Pas d’oubli possible. J’errais dans cet espace gazeux. À chaque passage, volontairement ou non, j’y délaissais quelques molécules bien identi ables. Mon ADN crypté prêt à l’emploi. J’ai un jour décidé de con er une grande partie de mes souvenirs et secrets intimes à un organe externe partagé par tous. Un organe protéiforme, élastique, aux états changeants. Dès lors, une partie de moi s’en est allée dans le nuage. Je ne suis pas la seule. Nous sommes très nombreux à nous réunir là bas. Des milliards d’histoires fragmentées forment cette protubérance immatérielle disséminée dans des territoires impalpables. Cette dispersion pro te aux grands collectionneurs, avides de richesses décisionnelles. Une activité lente et une ré exion tranquille ne seraient pas pro tables à cette économie du clic. Alors je zappe. Je suis partout et nulle part. Je zappe. Petit à petit, mon corps se désagrège et je disparais. Je zapp. Le geste mental remplace le geste physique. Je zap. Automatisme. Zap. Mes doigts écrivent tandis que mon esprit ne pense à rien. Je me suis trompée. Je ne voulais pas écrire za. Automatisme du geste physique. La mémoire de forme. Le taylorisme de la pensée. Je me suis égarée.

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Depuis bien longtemps, je n’ai plus accès à mes petites mémoires. Victime de ma propre dégénérescence, j’ai perdu les clés. Je ne les ai peut-être jamais eues. J’ai oublié. En n. Seulement, les outils n’oublient pas, eux. Quelque part, nos petites histoires deviennent les armes de contrôle pour nos corps dépossédés, assujettis à des désirs qui ne sont pas les nôtres. Objets de surveillances, ils in uencent les nouveaux comportements de polichinelles fragmentés. Alors je me souviens. Remémorer pour contrôler. Remémorer pour anticiper. Ai-je seulement le choix d’aimer ?


Combien sommes-nous à nous être adonnés aux jeux divins instantanés, entraînant nos corps dans cette lente atomisation? Disséminés dans l’ère, nous nous sommes perdus dans l’éternité. Enfant triple zéro, j’ai un jour appris que le nuage n’était qu’un état. Précaire. Qu’il était le passeur entre deux mondes d’H2O. J’ai souvent vu des peintures y représenter un lieu extrêmement prisé, habité par une micro-société aux pouvoirs divins. Ils festoient goulûment du haut de leur panoptique mouvant. Entre chérubins potelés et drapés dépareillés, quelques regards ornés de bijoux dorés observent avec détachement ce qu’il se passe sous leurs pieds. J’ai appris que je ne les atteindrai jamais, utopie disloquée pour faire avancer les plus démunis. Pourtant, je sais depuis longtemps que mon corps est fait d’eau. Et que c’est de ces corps dont il s’agit là-haut, amoncelés dans ce cumulus qui gon e et qui s’étale, nourrissant seulement quelques bouches déjà bien grasses. Enfant triple zéro, j’ai un jour appris que le nuage n’était qu’un état. Précaire. Lorsque les courants d’air changent et que l’accumulation devient trop importante, se forme l’orage. Les molécules se déplacent librement dans ces ux rapides et se frottent les unes aux autres. Elles frictionnent, ça fricote. Leurs rencontres pro tent à une nouvelle con guration des polarités. Le chemin se forme et ça explose. C’est la décharge. Des milliards de petites mémoires liquides s’abattent alors sur nos corps décharnés. Elles s’éclatent et rebondissent aléatoirement sur l’asphalte de notre amnésie collective. Des souvenirs épars qui ne sont pas que les miens inondent les rues et les boulevards, recouvrant les vieux monuments des places publiques. Ils s’écoulent dans des torrents de téraoctets avant de se déverser dans des sources en libre accès. Patrimoine collectif aqueux. Si le langage binaire doit être liquide alors, nageons dans les aques, jetons-nous dans les ruisseaux, les lacs et les mers à la conquête de nos mémoires volées. Enfant triple zéro, j’ai un jour appris que les atomes d’oxygène étaient chargés d’ions négatifs et qu’ils étaient bons à la régénération des corps. Ça s’appelle l’ionisation. Celle d’une génération.

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En l’an 2077, l’humanité s’inquiète, pensant vivre les derniers instants de sa propre espèce. Il n’est plus possible de ralentir le chaos climatique et certain·es grand·es dirigeant·es n’acceptent pas la fin d’un règne humain sur la planète. Depuis que le monde est le monde, les plantes semblent être les uniques occupantes dont la Terre accepte la présence éternelle. Et l’Humain·e se rend compte de sa fragilité. Le monde végétal est l’unique monde immortel. Aux yeux de la Terre, les plantes sont bien plus précieuses que les humain·es. Les chercheur·euses et scientifiques sont poussé·es à trouver une solution qui permettrait à l’espèce de préserver une place sur la planète Terre. L’Humain·e trouve alors de nouveaux espaces à coloniser, ceux de la génétique. Ce n’est plus une question de simple survie mais également de sauvegarde. Grâce à la technologie génétique, l’humain·e pirate le monde végétal et s’y introduit. En s’inventant une nouvelle forme, il trouve un nouveau lieu de vie. Les plantes porteuses abritent notre ADN, pour que jamais l’Humain·e ne disparaisse vraiment de la Terre. Il dépose à l’intérieur de la plante ses gènes les plus précieux, comme la couleur de ses yeux. Une sauvegarde virtuelle vivante. Avec la technologie génétique Crispr-Cas9, il est maintenant possible de relier les espèces vivantes génétiquement entre elles. Chaque individu·e peut s’enregistrer dans une plante, une fleur, un arbre. Cela peut être l’ADN complet ou un groupe de gènes préalablement choisis. Le génome de la plante est édité avec les gènes de l’individu·e humain·e. La plante réagit en conséquence. Elle prendra sa couleur, son odeur jusqu’à nous faire croire que son âme y est. Elle transmet une éternelle copie génétique de nous-même. Comme les racines, l’Humain·e s’infiltre dans la Terre via la plante. Les forêts en (re)construction sont des banques d’ADN. Cette innovation qui se pensait technique, répondant à un besoin de survie et de longévité pour l’espèce, a également touché le coeur des Humain·es. Notre attention pour la nature est soudainement devenue plus grande et l’importance donnée aux plantes est réelle.

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Etant notre sauvegarde génétique, elles deviennent alors aussi importantes que l’Humain·e, aux yeux de l’Humain·e. Elles sont le moyen de rester sur place. Elles nous permettent de rester là sans être là, à la surface de la Terre. Les plantes porteuses sont un pont entre nous et la Terre, comme pour les Humain·es entre eux. Elles prennent maintenant place dans la vie des humain·es, comme une chose précieuse, à chérir. Notre enveloppe corporelle n’est pas l’unique transport de notre âme. Notre présence peut alors être infiniment là, quand nous sommes ailleurs. Comme un souvenir de nous-même. Les plantes deviennent des cadeaux, des trésors car on y laisse une part de soi. En regardant une plante porteuse, on peut reconnaitre quelqu’un·e et le·a sentir sans qu’iel soit là. À côté d’une photo, elles deviennent une mémoire sensorielle apportant âme et vie aux souvenirs.

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Porteuses de gènes, elles portent également la personnalité. Elles sont notre traduction en plante. Nouvelle extension de nous-même dans le monde végétal, elles deviennent notre homologue plante. Comme les chiens finissant par ressembler à leur maître·sse, nos plantes emprunteraient notre caractère. Les nouvelles générations ont un nouveau rapport aux plantes. Elles prennent part à la vie quotidienne, comme un nouveau outil de la vie humaine. Les plantes ne sont plus seulement une autre espèce vivante mais elles sont aussi vitales que nous. À l’école, les plantes porteuses amènent un nouveau message. Chaque enfant arrivant, reçoit une plante à son effigie dont iel devra s’occuper. La plante reçoit un nom, celui de l’enfant lui-même, inscrit sur le pot en terre cuite. Les salles de classe sont ainsi remplies de plantes au même nombres que d’élèves. Et avant d’aller à la cantine, les enfants s’arrosent. Avant de se nourrir eux-mêmes, iels se doivent de nourrir leur sauvegarde. Elles deviennent pour les professeur·es un moyen éducatif pour raconter l’histoire écologique de la planète. Les enfants prennent conscience de l’importance de la nature et des plantes autour d’eux·elle. Celles-ci sont des éléments précieux auxquelles l’humain·e n’a pas fait assez attention par le passé.


Aux yeux des Humain·es, les plantes ne vivent plus seulement pour elles-mêmes, mais pour la sauvegarde de l’espèce. Il y un lien vital, mais également émotionnel avec les plantes porteuses. Permettant de garder la présence de n’importe quel·le individu·e disparu·e ou absent·e. C’est ainsi que les cimetières prennent un nouvel aspect fleuris. Les morts ne sont jamais vraiment enterrés et reprennent vie dans les fleurs poussant sur leur tombe. Les morts peuvent toujours vous toucher avec leurs yeux-fleurs. Mme Duval a dans chacune de ses pièces un géranium vert, qu’elle appelle André. C’est son mari mort d’un cancer il y a quelques années. Il ne l’a jamais vraiment quitté car il habite maintenant ces fleurs, comme un deuxième corps. Alors Mme Duval s’en occupe avec soin car elle aime son mari, même dans une plante. Elle lui parle, quand elle l’arrose. Son odeur et ses couleurs apportent encore sa présence dans toutes les pièces de la maison. Un lien fictif, à travers des gènes. Une présence infinie et une seconde vie de plante. Une mère garde près d’elle son enfant parti vivre aux États-Unis. Sachant que son absence pourrait être difficile, iel lui a offert une plante porteuse de son ADN. Iel lui laisse une partie copiée de son être. Iel garde ainsi également un lien avec ses souvenirs, la maison où iel a grandi. Iel a le sentiment d’y demeurer malgré la distance. Et Léo garde le souvenir de Yoann dans une rose n’ayant plus l’odeur d’une rose mais celle de Yoann. À l’appartement, une part de Yoann est restée, dans l’attente qu’elle revienne entièrement de son échange au Mexique. L’amour continue de grandir malgré la distance. Un bout de soi dans une plante c’est précieux. Si je te l’offre, cela veut dire que je te fais confiance. Une fleur pour toi, un bout de moi. Je t’offre ma vulnérabilité. Tu entretiens ma plante comme tu prends soin de notre relation. Une plante comme soi-même, un bout de soi que l’on offre comme sa confiance :

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une fleur pour toi, un bout de moi. Je t’offre ma vulnérabilité. La plante s’entretient, comme toute relation interhumaine. Quand l’amour s’en mêle. Les amoureux·euses accroché·es donnent vie à leur amour et la fleur porte maintenant les sentiments. Les gènes se mélangent, comme les corps. On s’offre l’un·e à l’autre comme une fleur, et on se lie génétiquement. L’Humain·e se lie génétiquement au monde végétal pour s’offrir à la Terre.

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l’eau humectait encore la peau d’aura dans le crépuscule qui touchait à sa fin. ses muqueuses prosexe appréciaient mieux la densité de l’air lorsqu’elles gardaient de l’humidité à leur surface. cela faisait longtemps qu’aura n’avait connu le repos propice à la lascivité de ces dernières semaines. elle avait arpenté ranu sans répit au cours de la saison passée, alors que la planète connaissait une intense mutation scalaire pour les ésotorides. les âmes entamaient leur adolescence spirituelle ; les corps demandaient à l’univers de partager sa liesse, ses charmes et ses délices mystérieux. l’industrie des fêtes et du sexe sortaient de l’hivernage pour produire ces expérimentations du désir et du recul de ses limites. c’était une période intense pour aura, coordinatrice, organisatrice, hyperdj et supernova de la galaxie de la rave. désormais retirée au loin dans un sanctuaire des hautes montagnes, à l’écart des vides où se déployaient les zones à danser, aura goûtait au repos mérité que chérissaient les saintes teufeuz. elle roula un stick de kiss et goba le dernier quart de rk qui restait dans sa blague à malices. les vapeurs de kiss commencèrent à embaumer agréablement sa polycellule de son odeur particulière ; florale, acide, camphrée. les repos d’après-miurges étaient des temps transitoires à honorer, et dont elle prenait plaisir à respecter les liturgies magmatiques de son cercle d’adelphes. consigner ses visions. se délecter de souvenirs. acceuillir la tristesse. toujours cultiver la rage et la joie. trouver la force de ne rien faire n’était pas simple après une telle effervescence. son hybridité réclamait l’éxecution de tâches connexes modulées synchroniquement. son arborescence nerveuse devait imiter le signal des tremblements éprouvés dans une tonicité plus faible pour permettre à son système corps de récupérer. une activité appropriée dans cette quête controversée de la farniente était le digg. le digg mobilisait plusieurs de ses facultés, telles que l’excitation de la découverte, le jugement esthétique, l’archivage ou le rejet, et la poursuite de la quête sublimée par une sensation de traversée. aura écrasa ce qui restait du joint de kiss dans une baluvarne et s’installa dans le lys pour accéder à ses leaks, en sentant le quart de rk monter entre ses phalanges et sur ses paupières. satisfaction. depuis le lys, elle pouvait switcher sa conscience dans les internets pour dériver à sa guise dans les plateformes et les succursales de la galaxie de la rave. à la recherche de nouveaux sons pour dissoudre le présent dans le futur. switch. aura sentait désormais ses neuro-percepteurs entrer en collision, puis en fusion avec les hubs stellaires, ces portails où artisannettes sondiers venaient partager et collecter de la musique. peu à peu, la conscience de son environnement immédiat s’évasa, pour laisser place à une sinuation lourde et sensuelle à travers des réseaux de plaisirs sensoriels, toujours inédits. 64


Les Dévorants Aux instants nus de légèreté Tempos battants Sourires béants Ils s’abandonnent Affamés sauvages rougis béats d’extase Ils dévorent Le chant des matines Le bruit des sirènes, ils dévorent Aux tambours noirs Les ruelles en chaîne Brinquebalants, cliquetis Macadam! Ils dévalent Et on entend rugir jusqu’à l’aurore Mais, Qui ? Fera le plus de bruit . . .

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Extrait de Les soleils qui tournent ont des oreilles, scénario par moilesautresart — p. 4 Léa Tissot — p. 7 Yuhang Li — p. 8, 10, 14, 24

Je ne suis pas l’enfant du capitalisme, mais celui d’êtres autonomes comme les pierres, Martin Grimaldi — p. 9 Incarnation et Déshumanisation : Performativité dans le Black Metal Norvégien, Jules Maillot — p. 11 Martin Grimaldi, p. 15

Louise Rustan, p. 17

guilhem, p. 29

Louise Pelordet, p. 25 leo.and.co, Susie B, p. 20

for you I felt/poems from lockdown, Lucy Rose Cunningham, p. 18

moilesautresart, p. 30 Les cosmétiques jules rouxel, extrait de Glitter, p. 35 Naomi Monderer, p. 32

joke, oseille, les dernieres p. 49 gueri.lleres., Garance Eva Oliveras, p. 43

Extrait de Éboueuse parmi les éboueurs : Réflexions autour d’une observation participante potentielle dans un terrain où l’enquêtrice est la seule femme, moilesautresart, p. 51

Sheee makes me feel/Mighty unreal, NO0S, p. 56 {DDDDDDDDDDDDDDD}</liquides>, Elodie Rouge, p. 58

World Building/Plantes Porteuses, Emma Brunet, p. 60

aura, oseille, p. 64


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