L'ARCHIPEL DE LA TOTORA. Milieu, techniques, habitats : une étude ethnographique des îles flottantes

Page 1


L'ARCHIPEL DE LA TOTORA. L'ARCHIPEL DE LA TOTORA

MiLieu, teCHnIquEs, hAbitATs : unE étude EThnOgraPhique des îles fLottAntEs du lAC TiticacA.

L'ARCHIPEL DE LA TOTORA

MiLieu, teCHnIquEs, hAbitATs : unE étude EThnOgraPhique des îles fLottAntEs du lAC TiticacA.

Travail Personnel d’Etude et de Recherche

Nina KAELBEL

Sous la direction de Matteo FANO et Chiara SILVESTRI

2024

École Nationale d’Architecture de Marseille

REMeRCiMenT

Chiara Silvestri, Matteo Fano. Merci de tout cœur. Je n’aurais pas pu rêver de meilleurs encadrants.

Je remercie aussi tous les interlocuteurs qui m’ont accompagnée tout au long de ce travail de recherche et qui ont pris le temps de partager leurs expertises dans leurs domaines respectifs. Leurs encouragements sincères et leurs soutiens ont été très stimulants. Lorie Rachel, Philippe Simay, Rafael Vereecken, Nadja Monnet, Matthieu Duperrex, Leyda Aza Medina, Diana Karen Pari Quispe, Nelson Coila Lujano, Jose Antonio Nuñez Mendiguri, Jose David Nuñez Urviola, Dora Jallahui Vilca,Javier Bojorquez Gandarillas, Alioscia Castronovo, Feliciano Canqui De Cuno, Juan máximo Cuno Antonio Jallahuia, María Arteta Beltran, Paul Merlier, Jeanne Thomas, Aurore Kwasniak et Juliette Miserez : ce mémoire ne serait pas le même sans leur aide.

PréAMbule

La brise fait onduler les eaux limpides et glaciales du lac Titicaca. La transparence de ces eaux laisse apparaître le ciel bleu foncé dans lequel elles se confondent. Au loin, des collines ocres estompées par l’atmosphère scindent le ciel du lac. Le soleil écrase ce paysage silencieux, où seul résonne parfois le chant des oiseaux sauvages.

L’horizon profond dissimule des îlots habités par des humains. Au large des berges, poussent des étendues de joncs verdâtres aux tiges fières, appelés totora. C’est au-delà que sont amarrés ces hameaux dorés dont la construction résulte du savoir-faire technique et ancestral d’une communauté. Une fois accosté, chaque pas est reçu et accompagné par la totora. Les maisonnettes disposées circulairement nous tendent les bras. Entre chacune d’elles reposent des seaux, cordes et bâches. Au centre, de vieux rouleaux de totora épluchés par l’usage réunissent les habitants. Ce sont les Uros : les femmes tissent, les hommes démêlent, et les enfants s’amusent sur le sol moelleux. Ici, la vie quotidienne est rythmée par l’environnement, ses cycles, ses ressources et ses besoins.

du

Préparation
soubassement de la uta Uros-Chulluni

InTROducTion

ÉTAT DE L'ART

MéthodOLogie

REnCOntRe

chaPItre 1

Un contexte d’opportunité et de nécessité.

Racine Blocs

Industrie

chaPItre 2

Techniques de manipulation de la totora lors des procédés constructifs.

Totora Balsa Île

Uta

chaPItre 3

Différentes formes sont induites par la diversité des modes de vies.

Uros-Titinos

Uros-Chulluni

Chimu

Air de séchage Chimu

InTROducTion

De façon globale, les décisions personnelles et communautaires concernant l'aménagement de notre habitat tendent à se dissiper face aux normes institutionnelles et aux logiques entrepreneuriales capitalistes. Les environnements ont tendance à se dépourvoir d'auto- constructions spontanées. Le phénomène de mondialisation s’impose sur les particularités d'un milieu et dilue les coutumes spécifiques à un territoire. Cela met en péril la transmission de savoir-faire techniques traditionnels.

Cependant, malgré cette tendance à l'uniformisation à un mode vie urbain, certains territoires ont réussi à préserver des traditions architecturales et des techniques ancrées dans leur écosystème. C'est dans ce contexte que l'étude des habitats flottants du lac Titicaca révèle une culture constructive singulière héritée depuis des siècles qui se trouve être pertinente encore aujourd’hui. Ce savoir-faire permet de réaliser, notamment, un sol artificiel, des habitations et des embarcations avec comme ressource matérielle principale la totora, un jonc pouvant atteindre plusieurs mètres. La flore des environs offre la liberté de créer un foyer et une vie communautaire. Dans un monde de flux interdépendants toujours plus intenses, l'étude de ce mode de vie autonome prend sens.

Ce travail présentera une étude sur les savoir-faire artisanaux avec une approche à la fois technique et sensible. La méthode de recherche consistera en une combinaison d’analyses bibliographiques et d'observations participatives impliquant des rencontres directes avec les artisans et la population des habitats flottants du lac Titicaca. Le développement de ce travail de recherche se divise en trois parties, reflétant la structure du mémoire. Dans une première partie, le contexte historique sera exploré à travers les évolutions architecturales dans les environs. La deuxième partie présentera les processus et les techniques prédominantes utilisés dans la construction des habitats flottants. La dernière partie concernera les variations du mode de vie en fonction de l'organisation spatiale et professionnelle de trois communautés établies sur les îles flottantes.

Bien que l'étude aspire à la rigueur méthodologique et à la pertinence de l’analyse en réunissant plusieurs approches, les relevés se limiteront à un échantillonnage restreint. Pour cela, contextualiser la perspective depuis laquelle j’ai perçu les informations génère un cadre limitant ma récolte de

Rotation de la quesaña Uros-Chulluni

données et la présente restitution. Les descriptions, les témoignages, les relevés et les photos reflètent l'état d'une réalité vécue. Ils ne peuvent être utilisés pour généraliser une image des habitats flottants sur les eaux du lac Titicaca. L’objectivité de l’étude est induite par le cadre de sa subjectivité.1 Les informations sont situées dans certains contextes que l’état de l’art et la présentation des méthodologies viendront illustrer.

étAT de l'ART

Les premiers écrits conservés citant les Uros et leurs habitats flottants datent du XVe siècle, principalement sous la forme de chroniques espagnoles générales2. Elles évoquent les relations avec les populations natives et dépeignent un portrait très animal des populations vivant dans les totorales, les distinguant des autres populations autochtones. S’ajoutent à cela, des registres anciens, conservés depuis la même époque, qui relatent des recensements de la population. Ces registres ont été effectués dans l’objectif d’établir des impôts. Les Uros y figurent et sont considérés comme une population incapable de produire des richesses et ont un tribut bas.

La première moitié du XXe siècle est marquée par l’intérêt de redécouverte du monde au travers de nombreuses études anthropologiques. Dans les années 1950, Jean Vellard, un anthropologue français, consacre une partie de son travail aux Uros vivant sur les îles flottantes du lac Titicaca.3

1. Selon l’enseignement de Donna Haraway dans son ouvrage «Simians, Cyborgs, and Women: The Reinvention of Nature.» New York: Routledge, 1991.

2. Cook Noble David, Tasa de la visita general de Franscisco de Toledo, Universidad Nacional Mayor de San Marcos., Lima, 1975, 386 p. [note : présente les traveaux de Fransciso de Toledo sur les ressources materiels et les ressencements de la population datant de 1582] De Acosta, José. Historia natural moral de las Indias. 1590. Livre II, chap. VI. Madrid: Biblioteca de los autores españoles, 1954, p. 44. Garci Diez de Sans Miguel. Vista hecha a la provincia de Chucuito. 1567. Lima: 1964, pp. 64-65. Polo de Ondegardo, Juan. Relacion de los fundamentos acerca del notable daéno que resulta de no guardar a los indios sus fueros. 1571. Lima: 1916.

3. Vellard Jean, Origine des population indigènes actuelles du haut plateau, Sciences Humaines., s.l., (coll. « Études sur le lac Titicaca »). Vellard Jean, « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

Balsa Uros-Chulluni

Ses recherches marquent une avancée significative dans la compréhension de ces communautés en restituant la première analyse approfondie de leur mode de vie. Quelques années plus tard, d’autres anthropologues européens, comme le polonais Solc Václav⁴, ont étudié les populations de pêcheurs établis à l’embouchure du Desaguadero⁵ et leur usage de la totora. Ces travaux présentent un tableau précis sur le mode de vie des Uros et autres populations du lac. Le point de vue de ces derniers sur le monde et la société y est relaté. Ces études mettent en avant l’ingéniosité et l’originalité de leurs pratiques. Les années 1980 et 1990 ont vu émerger plusieurs études qui contextualisent les chroniques et autres écrits qui portent sur les Uros. Le regard occidental sur les populations autochtones imprègne les témoignages qui ont traversé les siècles. Certains auteurs ont cherché à combiner les légendes populaires, les données archéologiques et géologiques ainsi que des témoignages actuels pour retracer une chronologie des migrations de population des peuples du lac et des enjeux géopolitiques auxquels ils ont dû se confronter. C’est le cas de plusieurs chercheurs, tels que l’historien Nathan Wachtel⁶, l’écrivaine Alfonsina Barrionuevo⁷, le sociologue Walter Andritzky⁸, et l’ethnologue Thérèse Bouysse-Cassagne⁹

Fortunato Escobar Mamani, docteur en droit mexicain, a participé au début des années 2000 à la réflexion sur cet habitat lacustre. Sa thèse précise les enjeux territoriaux et l’organisation politique interne et externe aux îles flottantes, à travers les droits appliqués au sein de la communauté uru et les relations qu’elle entretient avec les institutions étatiques. 10

Sur la même période, à la suite d’une étude génétique publiée par le journal scientifique “Plos One”11, les communautés des premiers peuples originaires de l’Altiplano, dont font partie les Uros, se sont rassemblés et ont partagé leurs

4. Solc Václav, Los aymaras de las islas del Titicaca, Mexico, México: Instituto Indigenista Interamericano, 1969, 194 p.

5. Rivère à l’embouchure du lac Titicaca où elle prend sa source. Elle traverse l’Altiplano et atteint le lac Poopó

6. Wachtel Nathan, « Hommes d’eau : le problème uru (XVIe-XVIle siècle) », 1978, (coll. « Annales. Economies, sociétés, civilisations. »), p. pp.1127-1159.

7. Barrionuevo Alfonsina, « Los Uros. Fundadores del Mundo », 1981, n°76, (coll. « Humboldt »), p. 70-71.

8. Andritzky Walter, « Barcas Incas de los dioses. Las balsas del lago Titicaca », 1990, n°101, (coll. « Humboldt »), p. 56-59.

9. Bouysse-Cassagne Thérèse, « Le Lac Titicaca. Histoire perdue d’une mer intérieur », Persée, 1992, (coll. « Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines »), p. 89-159.

10. Escobar Mamani Fortunato, Manejo sustentable de recursos naturales de la reserva nacional de Titicaca: el caso Jatun Isla de sector Ramis y la Isla Flotante de los Uros de sector Puno,Études Ethniques, Siège de FLACSO Equateur, Quito, 2004, 234 p.

11. « The Genetic History of Indigenous Populations of the Peruvian and Bolivian Altiplano. The Legacy of the Uros », Plos one, 2013, (coll. « The Genographic Project Consortium »), p. 11.

Proue de la balsa Uros-Chulluni

perspectives sur les enjeux qu’ils ont en commun.12 Ces événements ont conduit l’anthropologue Michael Kent, à se pencher sur la question de l’identité uru. Il interroge notamment les critères d’appartenance et le rôle de la génétique dans la définition de l’identité communautaire.

Plus récemment, des recherches sur le potentiel matériel de la totora pour la construction ont vu le jour. On peut citer les travaux de thèses des architectes de Zambrano Flores Martha Elizabeth13, Hidalgo-Cordero Juan Fernando1⁴ et de Aza Medina Leyda Cinthia1⁵. Ils y défendent la pertinence de son utilisation dans la construction, particulièrement pour ses propriétés isolantes et mécaniques, ainsi que pour son rendement très élevé lié à sa croissance rapide.

Depuis quelques années, les études portées sur la résilience et l’ingéniosité des procédés techniques indigène, se popularisent. La designeuse, Julia Watson1⁶, met en avant plusieurs techniques et aménagements et aborde, entre autres, le cas des îles flottantes construites par les uros. En parallèle, des études sur les putucos, un habitat millénaire précédant les îles flottantes, ont permis de mieux comprendre les techniques de construction et l’adaptation aux conditions environnementales.1⁷

Des projets soutiennent le patrimoine culturel du maniement de la totora, comme la thèse de Auccacusi Kañahuire Monica Elizabeth dans le domaine du tourisme.1⁸

12. Kent Michael, « The importance of being Uros: Indigenous identity politics in the genomic age. », Sage Publications, 2013, vol. 43, n°4, (coll. « Special Issue: Indigenous Body Parts and Postcolonial Technoscience »), p. 23.

13. Zambrano Flores Martha Elizabeth, Totora : análisis de su comportamiento como material en la construcción para futuras aplicaciones., Trabajo de graduacion previo a la obtencion titulo de arquitectura, Universidad católica de Cuenca, Cuenca, 2018, 63 p.

14. Hidalgo-Cordero Juan Fernando, Aprovechamiento de la Totora como Material de Construcción,Universidad de Cuenca Facultad de Arquitectura, Cuenca, 2007, 168 p.

15. Aza Medina Leyda Cinthia, La Totora como Material de Aislamiento Térmico. propriedades y potencialidades.,Escuela Tecnica Superior de Arquitectura de Barcelona, Barcelone, 2015, 97 p.

16. Watson Julia, Lo—TEK. Design by Radical Indigenism, Los Angeles, Taschen, 2020, 418 p.

17. Etudes sur les putucos : Marussi Ferruccio, Arquitectura vernacular.

Los putucos de Puno,Universidad Ricardo Palma, Lima, 1999, 141 p. Valence Nicolas, Putucos. La arquitectura vernacular tiene algo que decir sobre sustentabilidad, 2018.

18. Auccacusi Kañahuire Monica Elizabeth, Análisis de la Técnica Ancestral del Tejido de la Totora como Patrimonio Cultural: Caso Isla Balsero Chimú,Facultad de Ciencias de la Comunicación, Turismo y Psicología Escuela Profesional de Turismo y Hotelería, Lima, 2020, 186 p.

Uta Uros-Chulluni

D’autres initiatives comme des projets d’investissement étatiques 1⁹ ou bien des projets humanitaires2⁰ investissent dans l’installation de commodités dans le but de soutenir et de perpétuer les habitats flottants. Ces actions sont témoins de changements qui participent au paysage bibliographique concernant les Uros.

Enfin, certains reportages ont alerté sur les dangers auxquels sont confrontés ces habitats face aux changements climatiques, mettant en lumière les défis que relèvent les populations andines du lac Titicaca, et du lac Popoo face à la sécheresse. L’article de Chaparro Amanda publié par le magazine” Le Monde”21 et le documentaire de Sophie Bontemps de la chaîne “Arte” 22 , expliquent l’un comme l’autre, les réalités défavorables et imprévisibles du phénomène de dérèglements climatiques au travers du quotidien des pêcheurs qui habitent ces lacs.

Ces travaux reflètent la diversité des approches, de leurs perspectives portées sur les habitats flottants du lac Titicaca. Ils mettent en évidence l’adaptation d’un peuple à son milieu et les défis auxquels ce peuple est confronté dans un monde en constante évolution. Cependant, aucune des études évoquées ne présente les techniques constructives utilisées aujourd’hui dans les habitats flottants du lac Titicaca. De même, aucune ne détaille les variations actuelles réalisées avec ces techniques au sein des différents groupes communautaires vivant sur les îles flottantes. Le présent travail se positionne dans le sillage de ces études et vise à élargir le champ de recherche concernant le maniement de la totora propre à la vie sur les îles flottantes du Lac Titicaca.

18. Auccacusi Kañahuire Monica Elizabeth, Análisis de la Técnica Ancestral del Tejido de la Totora como Patrimonio Cultural: Caso Isla Balsero Chimú,Facultad de Ciencias de la Comunicación, Turismo y Psicología Escuela Profesional de Turismo y Hotelería, Lima, 2020, 186 p.

19. Il y a quelques années, il y a eu un financement de l’État péruvien, notamment dans la construction d’un port réservé à l’usage personnel des Uros, ainsi que des infrastructures de services sanitaires en algecos flottants.

20. Projet associatif de l’université d’ingénierie du Massachusetts concernant l’accessibilité à l’eau potable à travers des robinets filtrants. Baltich Donovan, Engineering a way to conserve the culture of Peru’s Uros Islands, 2015.

21. Chaparro Amanda, « A la frontière entre le Pérou et la Bolivie, le lac Titicaca en proie à une sécheresse historique », Le Monde, 2023, p. 13.

22. « Bolivie : les orphelins du lac Poopó ». ARTE Reportage, réalisé par Sophie Bontemps, 2023.

Uta Uros-Chulluni

MÉThodOlogIE

La méthodologie adoptée pour cette étude repose sur une approche pluridisciplinaire, visant à recueillir des données à la fois quantitatives et qualitatives pour une compréhension approfondie du sujet.

Au préalable, une recherche documentaire a été entreprise afin de la rendre la plus exhaustive possible, la recherche a été élargie avec des bases de données en espagnol et en anglais, ainsi qu’avec des archives universitaires péruviennes.23

Selon leur provenance, les sources se sont concentrées sur différents thèmes : les quelques sources francophones axent leurs travaux sur des thèmes ethnologiques, les études anglophones sur un aspect scientifique et celles hispanophones sur des thèmes sociologiques. Cette recherche ne se base pas uniquement sur des études récentes, mais aussi sur des travaux plus anciens : les limites temporelles ont été poussées jusqu’aux premiers écrits accessibles sur le sujet.

Des entretiens réalisés avec des acteurs impliqués dans des domaines spécifiques liés de près ou de loin à l’étude ont apporté des visions propres à leurs activités et leurs parcours. La perspective de spécialistes, anthropologues, architectes, philosophes, journalistes, archéologues, ingénieurs environnementaux et biologistes a permis d’élargir le sujet à plusieurs angles. Il est pertinent de relever que toutes les informations données par les spécialistes interrogés convergent : aucun d’eux ne se contredit contrairement aux non-spécialistes.

L’approche ethnographique, au cœur de cette méthodologie, a relevé les savoirfaire des populations locales étudiées et a permis de découvrir les relations qu’elles entretiennent avec leur milieu. Cette approche s’est réalisée à travers l’observation participante, une méthode de relevés anthropologiques qui consiste à participer aux activités d’une population afin d’étudier au plus près leur mode de vie. Durant les cinq semaines passées dans les alentours de la baie de Puno au Pérou, j’ai pu participer aux activités des artisans de balsa et des artisans de quesaña et ainsi observer les chaînes opératoires2⁴ qui font partie de ces processus. Mes capacités linguistiques ont permis une communication fluide avec les sujets, ce qui s’est révélé essentiel.

Afin de ne pas perturber leur quotidien ainsi que leurs activités professionnelles, j’ai proposé mon aide pour les étapes nécessitant d’être à plusieurs, pour

23. Universidad de Lima, Pontificia Universidad Católica del Perú

24. Une chaîne opératoire correspond à une séquence d’actions dans la production d’un objet ou l’accomplissement d’une activité.

Bateau temporairement amarré Uros-Chulluni

remplacer un membre de la famille fatigué ou pour permettre à une autre personne de travailler ailleurs. Parfois, le simple fait de partager des discussions, pendant les temps de travail, au cours des repas ou durant les trajets, étaient suffisants pour m’intégrer.

Des rencontres survenues dans un cadre universitaire, ainsi que fortuitement dans des espaces publics, m’ont permis d’interagir avec les membres des communautés des îles flottantes du Lac Titicaca de Uros-Chulluni, UrosTitinos, Uros-Capi et de la communauté Chimu. Ces communautés vivent à des endroits différents du lac et n’ont pas les mêmes modes de vie. Échanger avec des artisans a été rendu réalisable grâce à du bouche-à-oreille de la population alentour du lac. Il faut passer par une de leurs connaissances de la terre ferme pour avoir accès aux uros : il est nécessaire de trouver un bateau uros ou puneños pour accéder aux îles.

Ici, les interactions sociales spontanées et les connexions personnelles entretenues ont joué un rôle important sur ma mobilité sur les lacs et ses alentours : des connaissances sont allées jusqu’à m’accompagner sur certains terrains d’étude.

Les conversations ethnographiques2⁵ ont également été privilégiées, acquérir la confiance des sujets interrogés. Offrir mon aide et partager des discussions informelles sur leurs croyances, leurs valeurs, leurs pratiques culturelles et leurs expériences vécues a permis de faire varier la distance d’observation2⁶

Afin de provoquer des moments de partages, la construction de dispositif d’écoute2⁷, ont amené à des moments conviviaux. Parce que leur quotidien est rythmé, le repas est un moment idéal pour échanger avec les artisans, ainsi qu’avec d’autres acteurs qui ne participent pas aux activités professionnelles.

Lors de ces occasions sociales, des problèmes éthiques et déontologiques se posent. En effet, les informations récoltées proviennent de situations où mon rôle était parfois ambigu, notamment lors de conversations informelles. Ces problèmes sont résolus par un pacte ethnographique, en prenant le temps de me présenter et d’introduire mon travail, ainsi qu’en demandant la permission avant de prendre des photos ou bien d’enregistrer.

25. Une conversation éthnographique correspond à un échange informel qui intervient dans un cardre de recherche concernant une culture et des comportemant sociaux d’humain dans leur milieu.

26. La distance d’observation fait référence à la position de l’observateur par rapport à ce qu’il étudie, influençant sa perception et son analyse. cf : Courant, Stéphane. Le poids de la menace. Prisons et radicalisation. CNRS Éditions, 2021.

27. La «construction de dispositifs d’écoute» selon Malinowski se réfère aux méthodes ethnographiques mise en place pour générer des situations propices à la récoltes de données. cf : Malinowski, Bronislaw. Argonauts of the Western Pacific. London: Routledge, 1922.

Entourer le "corps" avec de la totora Uros-Chulluni

Pour compléter ces échanges et cibler la discussion, des entretiens structurés, préparés en amont, ont été mis en place. Cela a permis de révéler des éléments précis concernant leur mode de vie et par rapport aux techniques et les outils qu’ils utilisent. Les participants observés se sont transformés en collaborateurs de recherche, allant jusqu’à compléter mes relevés graphiques pour certains. La technique de la photo-illustration, qui consiste à présenter des photos pour en faire un support de discussion, a permis d’enrichir des interactions et de préciser des informations.

La dimension architecturale a été incluse avec des relevés de construction locale et par la visite de certains chantiers. J’ai pris soin d’aller observer les différentes constructions dans l’environnement proche de la baie de Puno pour observer les possibilités constructives proposées par les ressources locales. Cela m’a permis de mieux comprendre les relations entre leur culture locale et l’architecture : les putucos en champa2⁸, les maisons en adobe, les toitures en totora, les temples et églises en pierre, des bâtisses en moellons, des logements en béton et briques alvéolés. Ces visites étaient accompagnées d’entretiens avec des habitants qui ont vécu dans ces divers lieux de vie.

Malgré ces approches variées, des limites et des difficultés ont été rencontrées, notamment par rapport à la possibilité d’entrer en contact puis de s’organiser avec les interlocuteurs. Il n’existe pas d’annuaire concernant ces activités qui, de plus, sont spontanées : elles dépendent de la météo. 2⁹

Du fait de la langue partagée avec les participants, le castillan, qui n’est pas, ni leur langue maternelle, ni la mienne, une barrière linguistique a pu limiter la traduction de mots techniques, empêchant la transmission fidèle de leur perspective émique.

Certaines différences culturelles, le rapport au temps notamment, ont compliqué l’organisation de mon travail et empêché la réalisation de certains relevés concernant la matière première, la totora. La plupart des défis ont été surmontés grâce à l’adaptation constante aux circonstances rencontrées sur le terrain. C’est grâce à l’adaptation aux imprévus rencontrés sur le terrain que la plupart de ces défis ont été surmontés.

La perspective de ce travail est inévitablement orientée. Selon Donna Haraway, dans son ouvrage “ Savoirs situés : question de la science dans le féminisme et privilège de la perspective partielle”3⁰, elle y défend que le savoir

28. Putucos, expliqués dans le chapitre 1

29. Beacoup d'aartisants de totora travaillent dehors et ne peuvent pas poursuivre leurs activités les jours de pluie les mois de décembre à mars sont ceux où il pleut le plus selon l'un des partcipants intérogés, Nelson.

Préparer les nœuds qui serviront à entourer le "corps" avec de la totora

Uros-Chulluni

est situé par rapport à ceux qui ont contribué à sa production et qu’il ne peut être objectif et universel. Le savoir est construit et restitué par des individus, empreints de subjectivité en partie déterminée par leurs expériences. C’est pour cela que j’ai choisi de vous faire part de l’expérience de ma rencontre avec une des îles flottantes du Lac Titicaca.

Extrait "Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle."31 écrit par Haraway Donna et traduit de l'anglais par Denis Petit :

" [...] Donc, je pense que mon problème, et « notre » problème, est d’avoir en même temps une prise en compte de la contingence historique radicale de toutes les prétentions au savoir et de tous les sujets connaissants, une pratique critique qui permette de reconnaître nos propres « technologies sémiotiques » de fabrication des significations, et aussi un engagement sans artifice pour des récits fidèles d’un monde « réel » qui puisse être partiellement partagé et accueillant envers les projets planétaires de liberté mesurée, de richesse matérielle acceptable, de tempérance dans le sens donné à la souffrance et de bonheur limité. [...]Nous [, les feministes,] ne voulons pas représenter le monde avec une théorie pour qui les pouvoirs sont innocents, où le langage et les corps échouent dans la béatitude d’une symbiose organique. Nous ne voulons pas plus théoriser le monde, et encore moins y agir, en termes de Systèmes Globaux, mais nous avons vraiment besoin d’un réseau de connexions à l’échelle planétaire, où s’exerce la capacité de traduire partiellement des savoirs entre des communautés très différentes – et au pouvoir différent. Nous avons besoin du pouvoir des théories critiques modernes sur la façon dont les significations et les corps sont fabriqués, non pas pour dénier signification et corps, mais pour vivre dans des significations et des corps qui aient une chance dans l’avenir." 3⁰

30. Haraway, Donna. "Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle." Traduit de l'anglais par Denis Petit en collaboration avec Nathalie Magnan. In Manifeste cyborg et autres essais. Sciences – fictions – féminismes. Paris: Exils, 2007, pp. 107-135.

31. "Ce chapitre est à l’origine un exposé sur Harding (1986), donné aux rencontres de la Western Division de l’American Philosophical Association, San Francisco, Mars 1987. Une aide financière a été généreusement prodiguée par l’Alpha Fund of the Institute for Advanced Study, Princeton, New Jersey, pendant la rédaction de ce texte. Remerciements particuliers à Joan Scott, Rayna Rapp, Judy Newton, Judy Butler, Lila Abu-Lughod, et Dorinne Kondo."

Puno

REncOnTRe

Je sors du bus en même temps que se lève le soleil. La première bouffée d'air remplit mes poumons, la deuxième s'amoindrit. L’air est rare à 3 827 mètres d'altitude. À perte de vue, se déploient des quadrillages orthonormés d'arêtes de béton sur un fond de briques alvéolées en terre cuite. Pas un bruit, la ville est froide et immobile. Ceux qui la parcourent ont un pas effacé. Le soleil caresse mes deux joues, puis mon front. Je plisse les paupières. Un bruit de moteur approche. Trop proche pour ne pas être dérangée et froncer les sourcils. Puis les rues s'animent, le marché ouvrira, les taxis commenceront leurs trajets. La journée démarre.

Les rideaux métalliques se lèvent, les caseritas32 se sont installées en quelques instants. Tout est de proximité, cultivé, pêché et chassé. Une proximité qui ne traverse pas les frontières péruviennes : les pommes de terre roses et bleues, la coriandre, le riz, les poivrons, le poisson, même l'huile d'olive. Ma faim s'accroît à mesure que défilent sur les stands les combinaisons de couleurs. Les sacs en plastique colorés se multiplient sur mes phalanges et écrasent mes doigts.

Le taxi-bus passe de village en village, inlassablement. Les collines sont basses et le ciel immense : les paysages secs s'enchaînent. L’herbe jaune est étonnamment brillante. Les étendues dégagées ponctuées par des constructions en adobe offrent un panorama sur des scènes de vie quotidienne. Des fermiers cultivent une terre bordeaux, des vaches paissent les étendues dorées des champs. Des enfants en uniforme bleu passent le portail d’une école. À l'intérieur du taxi-bus, des vieillards dont je ne peux déterminer l'âge, sont soumis aux oscillations du véhicule. Leurs lèvres ridées tombent sur les mots tandis qu’ils indiquent le chemin que je suis censée prendre. Une fois le long de la route, une longue marche incertaine débute. Les irrégularités des chemins de terre forment des obstacles qui font trébucher mon pas mécanique. Mon visage se crispe sous le soleil écrasant. Mes jambes sont comme détachées du reste de mon corps. Assommée par le ciel et bousculée par la terre, je dévale la pente. Un bonnet tricoté sautille vers moi, le visage d'un enfant se dévoile. Une boule de poils trotte à ses pieds, il est difficile de distinguer ses yeux. L’enfant me fait signe.

32. Caserita, littéralement par “petite femme de maison”, est utilisé pour interpeller ou désigner une femme prenant soin de son foyer et s’étend à prendre soin de son commerce. Intervient dans les contextes d’interaction sociales marchandes comme sur un marché, dans un restaurant et dans un hôtel.

BEHhhh beh
BEHhhh beEeEh beh beh
Maison en adobe

Je les suis. Nous cheminons à travers les constructions en terre. Leurs toits en tôle tranchent l’horizon. Les maisons en adobe sont fraîches et sombres. Passer leur seuil suffit à m'apaiser. Pas de son. Pas d'odeur. Plus de soleil.

Allongée sous un arbre dans l'herbe humide, même à l'ombre, l’air est étouffant. Des insectes se présentent à moi et poursuivent leurs chemins. Guêpes, abeilles, fourmis, moucherons, papillons, scarabées. Je suis bercée par les oscillations des brins d’herbes, celles des fines feuilles de l'arbre et des nuages. La scène très lumineuse, trop lumineuse, se floute et mes yeux se ferment. L'ensemble de mes muscles se détendent et mon corps s'enfonce peu à peu dans le sol frais.

Il fait froid. Un spasme me réveille brusquement. Le lit semble moins rigide que la veille. Écrasée sous les couvertures gelées et rugueuses, je sens mes membres froids.

Dehors, l'air brûle mes pommettes et mon nez. Je me souviens avoir entendu “Ici, lorsque le soleil ne brûle pas le visage, le vent le fait”. Les teintes pâles de l’environnement se réchauffent avec la venue du soleil. Le port paraît avoir émergé. Là où s'est retirée l'eau, la berge sera utilisée pour cultiver des pommes de terre.

Le moteur du bateau fait un bruit assourdissant. À bord, l'odeur d'essence s’imprègne dans chacune des lattes en bois. Les gaz s'échappent au travers chacun de ces interstices, de la cabine jusqu’au toit.

Le bateau fend l'étendue d’eau calme dans un brouhaha inépuisable. À mesure que les collines défilent et que le paysage se révèle, je découvre du lac son immensité.

À l'horizon, presque azur, en direction des totorales, de larges étendues de jonc, flottent de curieuses plateformes organiques.

Tout à coup, le moteur se coupe et le silence se pose sur le paysage. Chaque son est perceptible. L’impact des ondulations de l’eau contre le bateau et contre l’île flottante. Les cris rauques des oiseaux dans le ciel. Le vent à travers la totora qui borde l’île. Les rires des enfants. Des pas d’adultes avancent dans notre direction. Le bateau est amarré.

Toute l’île est couverte d’innombrables couches de totora qui s’enfoncent dans la profondeur du lac. Le quai est renforcé par des planches en bois qui s’inclinent sous mon pied. Je dérape. Le sol en totora est mou, le pied s’enfonce sur quelques centimètres, et puis de moins en moins. En remontant le pied, la totora nous accompagne dans un son de froissement. Flotte une odeur de paille. Des huttes à base rectangulaire disposées en arc de cercles nous accueillent.

glouPs glouPs glouPs

estA PLantA, lLaMADa tOTORA, Es un juncO. ha CREciDo Acá En EL lAGO CAsi POr sIEMPRE y, En un mOMenTo deTeRMinADo, EsTa

RAíz lLEgA A ser COMO un COrchO y fLotA

Maquette du système constructif de l'île Uros-Titinos

Mes poumons se gonflent et mes épaules se relâchent. Je me laisse tomber à genoux sur le sol moelleux, puis sur le dos. L’inspiration que je prends alors est infiniment plus agréable.

J'étire bras et jambes, orteils et doigts. Le président de l’île, identifiable à son chapeau de totora, m’interpelle. Il me dirige vers une maquette grossière de l’île.

“Nos premiers ancêtres étaient des pêcheurs qui vivaient sur la terre ferme. Lorsque les colonisateurs espagnols sont arrivés, ils ont asservi ceux qu'ils ont trouvés pour les envoyer dans les mines comme esclaves. Pour y échapper, les Uros ont fui avec leurs radeaux au-delà des roseaux où personne ne pouvait les trouver. Ils vivaient de la chasse des oiseaux sauvages, de la récolte d'œufs et mangeaient aussi du poisson natif, le Karachi. Ils faisaient des radeaux très grands pour mettre leurs maisons dessus. Maintenant, les grands radeaux servent à se promener pour la drague, haha. Chez les Uros on a une saison des amours. Haha. On fait en sorte que les accouchements coïncident avec l’arrivée des flamants roses parce que leur viande enlève la douleur lorsque les femmes accouchent. Passons. Du coup, nos ancêtres étaient sur leurs balsas, et ils ont remarqué que les racines de la totora, le kihli, ça flotte. La construction des îles a commencé.

Ainsi, pour construire une île, nous avons besoin de kihli, la racine des roseaux. Pour l'extraire, nous devons sortir de très grands blocs. Avant, cela se faisait avec de grands bâtons. Pendant des jours, mes parents devaient enfoncer les bâtons d’eucalyptus et séparer les blocs qui se maintiennent avec leurs racines. Aujourd'hui, avec les scies, c'est beaucoup plus facile. Mes parents disaient que nous sommes malins, nous trouvons des outils pour que ce soit plus simple, mais nous utilisons le reste de notre temps pour remplacer la coca33 par du cola3⁴ et le boulot par du repos. Haha. Bon ! Alors, nous traînons ces blocs coupés jusqu'à les amener à cet endroit. Et dans chaque bloc, nous devons planter un bâton d'eucalyptus pour ensuite les attacher, cela sert à ce que les blocs ne s'échappent pas. Nous avons donc ces blocs flottants et beaucoup de cordes qui les unissent. Ensuite, on couvre le patio3⁵ en alternant plusieurs couches de totora et voilà ! Cette île est comme cette maquette, seulement qu’elle est plus grande.

Le lac nous offre tout ce dont on a besoin. Pour les maisons : on utilise la totora. Pour se nourrir et se soigner : on chasse et on pèche. Le reste est en plus. On nous a offert des panneaux solaires, c’est pratique pour charger les téléphones et pour avoir un peu de lumière le soir.”

33. La coca, désigne les feuille d'un arbustre, appellé également coca, originaire des Andes. Les feuilles contiennent de l'alcaloïdes et sont traditionellements machées ou infusé pour leurs effets stimulant set médicinals.

34. El cola, désigne les boissons gazeifié sucré de l"Inca Kola" et du "Coca Cola" qui sont entré dans la culture populaire et sont intrégés à de nombreuses coutumes notament lors des repas de fêtes.

35. L'espace central d'une île flottante est appelé patio.

wRaaAAaaAA wwwwRAaaAA

cRrRchh

cRrchhh

cRrRchh

cRrnchhH OyEeeEEee

CRoin CRoin

CRoin CRoin
CRoin CRoin
CRoin cRoin
CRoin CRoin
CRoin CRoin
CRoin cRoin
CRoin CRoin
Canard séché Uros-Titinos

Je réalise qu’il y a de la totora partout, sous différentes formes. Le sol de l’île, ses fondations, les murs, les toits, les barques. Même le banc sur lequel je suis assise est constitué d’un rouleau de totora épluché par l’usage. Les questions se bousculent dans ma tête : Est-ce que cette ressource est particulièrement efficiente ou bien c’est la connaissance poussée de ce milieu qui permet ces opportunités ? Par quelles techniques passent ces transformations ? Que cela induit-il sur le quotidien des habitants qui y vivent ? Est-ce que cette résilience est une alternative viable face à des constructions plus polluantes ? Quelles sont les limites de ces ressources et de cet habitat ?

Il y a ce chien. Un enfant aux joues rouges me tend ce chien du bout des bras en souriant de toutes ses dents. “Regarde mon chien !”. Puis il court dans l’autre sens et tombe avec le chien, qui s’enfuit. Le petit enfant roule, se relève et saute à plat ventre sur le sol en totora. Encore et encore. D’autres enfants, d’une dizaine d’années, ont attrapé le chien et l’emmènent sur une barque. L’un pousse la coque du bateau avant de sauter dedans tandis qu’un autre, muni d’un long bâton, repousse le bord de l’île. En quelques instants, ils sont déjà loin.

Sur la rive, tournée vers la barque s’éloignant, une dame agite des petits chapeaux avec sa main. Puis, ses bras retombent en même temps qu’elle soupire. Je la salue. Elle hoche la tête, et retourne s'asseoir. Je m’assois à côté d’elle. Aime-t-elle vivre ici ?

“L’important, c'est que mes enfants ont le choix d’en sortir.” Elle pointe du doigt l’horizon : “Je suis née là-bas, c’était dur de cultiver les champs, d’aller vendre. Ici, on peut pêcher, faire de l’artisanat. C’est bien.

Mais on ne gagne pas assez d’argent. L’éducation est chère ici. Si on ne paie pas l’école, nos enfants devront arrêter après la primaire. Je veux qu’ils puissent faire des études, apprendre d’autres langues, étudier le métier qu’ils veulent, aller où ils ont envie. Je ne veux pas que leur monde se limite à ici.”

Les enfants sont déjà revenus de leurs balades et jouent avec les canards nichés dans les bords des totorales autour de l’île. Leurs rires traversent l’île. L’une d’entre eux, ébouriffée, passe sa main sur ses cheveux et vient s'asseoir à côté de moi. “Ici, c’est l’endroit où je préfère être.”

glouPs glouPs glouPs

glouPs glouPs glouPs

VRrRRRrRRRrRRRrRRR

VRrRRRrRRRrRRRrRRR

La totora est originaire du continent américain et s'est établie dans plusieurs pays sud-américains, d'Amérique centrale, dans les Antilles, au Mexique, dans certains États des États-Unis, de l'île de Pâques et des îles Falkland. Elle s'est naturalisée sur certaines îles du Pacifique, dont la Nouvelle-Zélande, Hawaï et les Îles Cook.

Îles Cook Hawaï Nouvelle-Zélande

Lac Titicaca situé dans l'Altiplano

Îles Falkland l'île de Pâques

Mey, Soják. Schoenoplectus californicus. Čas. Nár. Mus., Odd. Přír., 1972. Royal Botanic Gardens Kew, Plants of the World Oline. Tharp, Marie. Cartographie des fonds océaniques, 1950

chaPItre 1

un COntExTe d'OPpORTuniTé ET de néCessiTé.

La baie de Puno, où se sont établies les îles flottantes, se situe à l’ouest du lac Titicaca, sur les flancs péruvien. Ce lac s’étend sur des centaines de kilomètres3⁶ sur une partie de l’Altiplano, un ensemble de hauts plateaux cernés par les chaînes de montages de la Cordillère occidentale et de la Cordillère orientale des Andes centrales.

Dans ce milieu, d’innombrables déserts et de plaines s'enchaînent infiniment les uns après les autres. Atacama et Uyuni, respectivement le désert le plus aride et le salar le plus vaste du monde s’y trouvent notamment. Les collines jaunes, roses, oranges et même bleues, sont poncées par les mêmes vents qui soufflent depuis des centaines de millions d'années.3⁷ De fines touffes d’herbes rigides parsèment les zones les plus irriguées3⁸

Où l’eau s’écoule, se forment des lagunes autour desquelles poussent des buissons, des algues ou des herbes. Certains arbustes et cactus parviennent à s’extirper du sol. Les vents incessants du plateau andin situé entre 3 000 et 5 000 mètres d’altitude limitent l’humidité et stabilisent le climat tout au long de l’année, avec des variations saisonnières subtiles.3⁹ La température moyenne annuelle sur le plateau est de +6 °C à +12 °C. 3⁹ Les précipitations annuelles moyennes varient de 150 mm à l’ouest à 800 mm au nord. 3⁹

Le lac titicaca culmine à 3 200 mètres côté Bolivien et 3 800 mètres côté

Péruvien, à cette altitude il y a 40 pourcent d’oxygène en moins par rapport au niveau de la mer, le rayonnement ultraviolet y est deux fois plus intense.⁴⁰

La faune et la flore de l’Altiplano s'adaptent à ces conditions extrêmes, ce qui la rend particulière. Les premiers humains à avoir habité ces territoires ont eu accès à certaines ressources, ont aussi surmonté ces contraintes.

La terre autour du lac Titicaca est particulièrement favorable à la construction en adobe grâce à plusieurs facteurs géologiques. Les sols sont riches en argiles alluvionnaires, ce qui procure la plasticité nécessaire pour mouler les briques.

36. Données satelites Copernicus et Image Landsat datant de 2013 introduient dans le logiciel googles earth.

37. Dollfus Olivier, Taltasse P. et Tricart Jean, « Etude des formations alluviales et lacustres de la région d’Ilave (Département de Puno,Pérou) », Persée, 1966, (coll. « Bulletin de l’Association française pour l’étude du quaternaire »), p. 152-162.

38. Irigé par des précipitations, lacs ou rivières.

39. Altiplano (plateau des Andes), geosfera.

40. « Chasseurs de mercure de l’Altiplano ». CNRS Images, réalisé par Nicolas Baker, 2015.

Maison en adobe Amantani

Ces sols contiennent une proportion équilibrée de sable, d'argile et de limon, assurant ainsi stabilité et réduction des fissurations lors du séchage. La faible teneur en matières organiques est également avantageuse, elle prévient la décomposition des briques au fil du temps.⁴1

Ces bonnes terres pour l’adobe se trouvent principalement dans les plaines inondables et les zones de dépression autour du lac, où des dépôts de fins sédiments se sont accumulés à travers les rivières et les inondations.⁴2 La composition géologique de la région, incluant des roches volcaniques et sédimentaires altérées, offre une base riche en minéraux argileux.⁴1 Ces conditions géologiques favorables s'étendent sur plusieurs kilomètres autour des rives du lac Titicaca.

La région de Puno, proche du lac Titicaca, présente une grande diversité géologique, incluant des roches ignées, métamorphiques et sédimentaires.⁴1 Parmi les roches couramment utilisées pour la construction, on retrouve: des roches volcaniques, durables et résistantes, elles sont idéales pour les murs en blocs massifs; des grès et des schistes, moins résistants mais souvent utilisés dans les constructions traditionnelles, mais aussi du calcaire, utilisés lors de la production de chaux pour les mortiers.

Bien que les habitants privilégient souvent l’adobe par rapport à la pierre en raison de la disponibilité de la terre appropriée, les moellons et pierres facilement extractibles sont également utilisés.

Dans la région de l’Altiplano, où poussent originellement des arbustes, les ressources en bois sont limitées. Certaines essences fibreuses, comme la totora ou l'ichu⁴3, sont utilisées comme matériaux de couverture pour leurs propriétés imperméables et isolantes.

Historiquement, ce contexte géographique a été différemment exploité On ignore lorsque les premiers humains ont peuplé l'Amérique du Sud.⁴⁴ Cependant, il y a une dizaine de milliers d’années⁴⁵, un peuple appelé Kot’suñas, s’est installé dans l'Altiplano.

41 Dollfus Olivier, Taltasse P. et Tricart Jean, « Etude des formations alluviales et lacustres de la région d’Ilave (Département de Puno,Pérou) », Persée, 1966, (coll. « Bulletin de l’Association française pour l’étude du quaternaire »), p. 152-162.

42. Dominguez Thomas, « ABCs of Making Adobe Bricks », College of Agricultural, Consumer and Environmental Sciences, New Mexico State University, 2011, p. 4.

43. L'ichu est une herbe graminé qui pousse à partir de 4000 mètre d'altitude dans la région de l'Altiplano, selon le participant intérogé Juan.

44. Gravel Pauline, L’humain serait en Amérique depuis 130 000 ans, 2017.

44. Valence Nicolas, Putucos. La arquitectura vernacular tiene algo que decir sobre sustentabilidad, 2018.

45. Ce peuples serait instalée dans l'altiplano il y a 3700ans d'après l'étude « The Genetic History of Indigenous Populations of the Peruvian and Bolivian Altiplano. The Legacy of the Uros », Plos, 2013, (coll. « The Genographic Project Consortium »), p. 11.)

Paroi extérieure de putucos

Le lac Popoo, le salar de Casopea, le lac Titicaca ainsi que les rivières qui les relient, présentent des milieux lacustres similaires. Les Kot'suna, peuple du lac, habitaient cette zone et cultivaient les berges des étendues d'eau glaciale.46 Bien que la distance entre ces ancrages ait créé des différences linguistiques et culturelles au fil des siècles, l’utilisation des ressources locales et leurs maniements partagent de grandes similitudes.⁴⁷ Les techniques locales développées leur ont permis de s'abriter et de s’alimenter dans cet environnement à la fois aride et fertile, vide et abondant.

RacinEs

L'horizon des hauts plateaux andins reçoit, depuis des milliers d’années, des constructions coniques à base carrée, appelées putucos. Ils sont formés par la superposition de blocs d’une herbe native, la champas ⁴⁸ Ces blocs sont découpés dans une couche superficielle de terre, datée de la formation de l’Altiplano. Ce sol dispose de sédiments particuliers où les racines de champas sont profondément installées. Les champas sont séchés pour être plus maniables, puis sont assemblés et humidifiés afin que les racines se développent et s'entrelacent. Le temps ainsi que la pluie ont fait de cet assemblage une entité unique : ce procédé de création d’une structure constituée de fibres continues qui relient les blocs de terre entre eux en apportant de la solidité et de la flexibilité à la structure. Cela a permis aux putucos de traverser les décennies sans dégradations significatives. Ces ouvrages semblent puiser leur force du sol : leurs propres sédiments s'accumulent à leurs bases et se couvrent d’herbes, enracinant les putucos. Même en cas d'inondations extrêmes, les Kot’suns peuvent revenir une fois la crue passée ⁴⁸. L'unique ouverture de chaque putucos est orientée dans le sens contraire des vents présents et inclinent légèrement les murs. L'effusivité de ses parois permet de maintenir une température stable à l’intérieur du putucos qui reste frais lors des journées chaudes et y conserve la chaleur pendant les périodes de gel. La matière vivante pérennise les putucos.⁴⁹

Ce procédé d'assemblage, liant les éléments par un système racinaire vivant, se retrouve dans d’autres environnements matériels de l’Altiplano. Par exemple, dans des murs de clôture en pierres sèches, où les interstices sont comblés à leur base par de la terre, favorise l'insertion de certaines herbes.

46. Fabre Alain, « Uru-Chipaya » dans Diccionario etnolingüístico y guía bibliográfica de los pueblos indígenas sudamericanos, s.l., 2011, p. 8.

47. L'antropologue Vellard Jean répertorie trois langues et plusieurs variations artisanales concernant les balsas, barques de pêcheurs dans son ouvrage « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

48. Marussi Ferruccio, Arquitectura vernacular. Los putucos de Puno,Universidad Ricardo Palma, Lima, 1999, 141 p.

49. Valence Nicolas, Putucos. La arquitectura vernacular tiene algo que decir sobre sustentabilidad

Représentation chronomogiques de l'an 20 à 2020 figuran différentes constructions dévellopées et importées sur le territoire alentour à la baie de Puno et encore présent dans ses paysages. 1.Chulpa "La muestra más antigua, obtenida del piso quemado del edificio, corresponde a los años 1030-1183, 1188-1209,calibrados con 1 sigma (Pärssinen & Siiriänen, 1997: 265, Tabla 1)" 2.Temple de la fertilité, à partir de 1453, Abad Casal Lorenzo et Hernández Pérez Mauro S., Periferias: desde los márgenes de la arqueología, Universidad de Alicante., Alicante, (coll. « Actas de las XIII Jornadas de Jóvenes en Investigación Arqueológica »), 2022, 25 p. 3.Casa Inca, à partir de 1567, idem. 4.Cathédrale de Puno, 1757, «Basílica catedral de Puno». Ministerio de Turismo, 2013. 5. Casa de la cultura, à partir de 1930, en lien avec la diffusion progressive de la révolution industrielle au Pérou.

5.

siècles plan

élévation hauteur évènements historiques

Putucos 5 mètres de haut

Des siècles plus tard, dans un autre contexte, cette méthode sera notamment utilisée pour les fondations des îles flottantes du lac Titicaca.

bLocs

À partir du Xe siècle, l'empire aymara se développe et s'étend.50 Cette extension, hostile aux Kot'suña, les contraint à se rassembler sur les berges les moins fertiles du lac Titicaca, au plus proche des étendues de totora, les totorales. 51 Les Kot’suns développent des connaissances relatives à leur nouvel environnement lacustre tandis que les aymara s’approprient leurs anciennes terres agricoles. Le mode de vie du “peuple du lac” est dénigré par les Aymaras qui les nomment Uros, peuple de l'aube, du fait qu'ils pêchent la nuit et reviennent à l’aube, selon les interprétations, comme des bêtes sauvages.52

Au-delà des totorales, sur les îles naturelles du lac Titicaca, des traces attestent de la présence d’une autre population.53 Ce sont les Chimú, dont le royaume côtier est réputé pour ses barques en totora, les balsas. Cette technique s’est par la suite diffusée chez les populations de pêcheurs du lac et de ses environs, parvenant jusqu’à aujourd’hui.

Plus tard, au XIVe siècle, l'empire Inca impose la soumission de tous les peuples qu’il rencontre et le place sous sa juridiction. Il organise une récolte centralisée et une redistribution des ressources alimentaires et des forces de travail.54,50,51 Des infrastructures, comme des routes reliant les différentes villes incas, sont construites à travers l’empire par des travailleurs déportés. Ces connexions spatiales ont brassé beaucoup de connaissances techniques dans les domaines architecturaux, agricoles et artistiques. Beaucoup ont adopté les maisons en adobe avec des fondations qui reprennent le système d’assemblage des champas et un toit en totora. Même si les putucos montrent des qualités thermiques et acoustiques impressionnantes, l’assemblage par empilement en pierre et en adobe se rapproche des styles des lieux de cultes richement édifiés par les Incas et esthétiquement appréciés.

50. L'empire Aymara Bouysse-Cassagne Thérèse, « Le Lac Titicaca. Histoire perdue d’une mer intérieure », Persée, 1992, (coll. « Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines »), p. 89-159.

51. Vellard, Jean « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

52. La raison pour laquelle ils vont pêcher la nuit, avant l'aube, est en rapport au vent et aux conditions de navigation.

53. Relever arquéologique de poteries et de figurine issu de la culutre Chimú

54. La population dirigée par les Inca est classifiée en fonction de leurs compétences : les comptétences en tissage par exemple sont valorisées, alors que la pêche et la ceuillette ne le sont pas. Cela vaut aux Uros d'autant plus de discriminations.

Dreyer, Carlos. Atardecer. peinture à l’huile, 1930. Museo Municipal Carlos Dreyer, Puno.

Les Uros vivent selon leur propre code moral en défiant les autorités incas et en rejetant leurs lois.⁵⁵ Ils se considèrent comme une race préhumaine ayant commencé à exister depuis l’origine du monde. Une race “au sang noir, que l’eau ne noie pas, que la foudre ne brûle pas”. ⁵⁶ Malgré la résistance de ce peuple, les Incas redoutent des représailles divines s'ils mettaient fin à l’existence des Uros. Eux, qui ont vu naître le monde, sont alors condamnés par les Incas à être renvoyés là où ils seraient apparus, d’après les légendes, le lac Titicaca. Ils ne peuvent revenir sur aucune terre ferme sous peine de mort. ⁵⁷ Pour survivre à cet isolement, les balsas de pêche uru sont rendus habitables par des améliorations, possiblement par l’ajout d’abris en totora tressée.

L'arrivée des colons espagnols au XVIe siècle marque la fin du règne Inca. Les colons intensifient les dynamiques de travail forcé, et les orientent vers les mines et dans l'édification de bâtisses religieuses. Les Uros vivant sur le lac ont été épargnés en raison de l’impossibilité des colons espagnols de les contraindre, ces derniers n’ayant pas la capacité de monter leurs bateaux à 3827 mètres d’altitude et ne sachant pas manier la totora. Selon les légendes de la communauté uru, les Espagnols seraient venus à travers des totorales pour les obliger à travailler en les menaçant avec des cordes et des bâtons. Les Uros se sont défendus en s’échappant avec ces objets. Ces derniers sont devenus de nouvelles ressources qui ont été exploitées pour adapter les techniques utilisées pour la réalisation de leurs balsas et celle des habitats putucos pour concevoir les premières plateformes flottantes, assurant à cette population une protection dans le lac contre les oppresseurs. ⁵⁸ Cet habitat leur a permis de se déplacer dans le lac et de se confondre dans les totorales, pendant des siècles.

Lorsque la guerre du Pacifique éclate à la fin du XIXe siècle, le Pérou, récemment indépendant, mobilise une partie de la population pour le front.⁵⁹ Le caractère mouvant et discret des îles flottantes a permis aux Uros d’échapper à l’autorité péruvienne et la possibilité de perpétuer leur mode de vie de chasseurcueilleur.

55. Ramírez Herrera Gonzalo, Sobre el ama quella, ama llulla y ama suwa : un código moral que no es incaico, 2023.

56. Barrionuevo Alfonsina, « Los Uros. Fundadores del Mundo », 1981, n° 76, (coll. « Humboldt »), p. 70‑71.

57. Wachtel Nathan, « Hommes d’eau : le problème uru (XVIe XVIle siècle) », 1978, (coll. « Annales. Economies, sociétés, civilisations. »), p. pp.1127 1159.

58. Garci Diez de Sans Miguel. Vista hecha a la provincia de Chucuito. 1567. Lima: 1964, pp. 64-65.

59. Bonilla Heraclio, « El problema nacional y colonial del perú en el contexto de la Guerra del Pacífico. », Instituto de Desarrollo Económico Y Social, 1980, vol. 20, n°77, (coll. « Desarrollo Económico »), p. 49-70.

Dreyer caRlOs, 1930

Vellard Jean, « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135‑148.

Extrait de « Los Uros. Fundadores del Mundo » écrit par Barrionuevo Alfonsina en 1981 d'après les études anthropologique de Jean Vellard de 1952 :

En una peña negra de Iru Itu, suspendida casi entre dos cielos, anclada en un oleaje de totoras, cerca de Anko Aké, acaba de extinguirse un pueblo milenario. Los uros del Titiqaqa han muerto. Nunca más sus balsas surcarán el agua azul ni sus redes aprisionarán el suche de pla- teado vientre. Hoy sólo quedan los restos de su última choza, aún de pie en la inmensidad del yermo. [...]

El orgullo y el hambre minaron la vida de los hombres del lago. Prolongadas sequías acortaron paulatinamente su ciclo vital. Por la excesiva miseria las mujeres perdieron fertilidad. Los más jóvenes emigraron. Sólo quedaron los ancianos. Aquellos que no pudieron franquear la barrera de tradición que marginaba sus años.

«El tiempo ha sido malo», le dijeron a Vellard con profunda tristeza. «El frío ha aniquilado todo. Que vamos a hacer. En los pantanos secos ya no hay suche, no hay más huevos de ave, ya no hay pajaros. Si este año no llueve moriremos.”

La sequía ha terminado. En los últimos años el Titiqaqa ha vuelto a su nivel normal. La pampa del Desaguadero está llena de agua. Los pájaros y los peces han vuelto. Sólo los uros no volverán jamás.

En 1945 eran ocho. En 1959 quedaba una bella mujer, de largas trenzas nevadas, que enmarcaban su noble rostro marcado por un halo trágico. Fue la última de los uros. [...]

Muchas de las conversaciones que sostuvo [Jean Vellard] con los uros han sido trascritas con fidelidad. Ellas nos traen la extraña manera de pensar y sentir de estos hombres que vivieron intensamente sus leyendas.

«Nosotros no somos seres humanos», la voz metálica del uro golpeó el tambor del aire haciéndolo pedazos. «Somos los kot'suns, la gente del lago. Antes de los Inkas, mucho antes que Ta Ti Tu, el gran Padre del Cielo, creara a los kechuas, a los aimaras y a los blancos; antes que el sol alumbrara el mundo, cuando la tierra se encontraba en media oscuridad, sólo iluminada por la luna y las estrellas; cuando el Titiqaqa se extendía hasta las últimas fronteras de la puna, nuestros antecesores ya vivían aquí.”

«Nosotros no somos seres humanos. Nuestra sangre es negra y no podemos ahogarnos. No sentimos el frío cortante del lago, en las noches de invierno. La húmeda niebla que penetra a los seres humanos y los hace morir, no nos hace daño. Ningún rayo puede herirnos. No hablamos el idioma de los seres humanos y ellos no nos entienden. Nuestro cráneo es diferente al de los otros indios. Somos un pueblo singular, muy antiguo. Los kot'suns, el pueblo del agua.”

Barrionuevo Alfonsina, « Los Uros. Fundadores del Mundo », 1981, n° 76, (coll. « Humboldt »), p. 70.

Muelle municipal, Chucuito

IndusTRie

Pendant que la paix se stabilise, les Uros multiplient les échanges commerciaux de denrées alimentaires et d’outils avec les territoires voisins.⁶⁰ Cette interaction croissante les intègre progressivement aux instances étatiques, administratives et aux cultures aymara et quechua alentour.⁶1 Ce dernier point préoccupe certains Uros. En parallèle, arrive une période d’infertilité chez les femmes Uros, sûrement due à la consommation de fleur de totora, poussent les hommes à se marier hors de la communauté. ⁶2 Peu à peu, la culture Uros se métisse avec la culture aymara et quechua. Une crainte née : celle de la disparition de la culture Uros si plus personne ne parle leur langue⁶3 et ne prie leurs dieux. Le peuple fait face à un dilemme : s’adapter au monde ou bien s'en séparer. La première option est choisie, marquant un point de rupture de leur politique isolationniste.

Les politiques interventionnistes de l'État commencent dès le début du XXe siècle. Dans la volonté de s’aligner sur les modèles économiques des pays du « Premier Monde », l’État du Pérou encourage les investissements dans l’industrie. Depuis les années 1920, plusieurs politiques de production agricole et forestière dans le but d’une production intensive ont lentement introduit de nouveaux matériaux. L’importation d’eucalyptus, un arbre d’origine océanienne a considérablement changé les paysages du lac Titicaca et ont offert d’autres opportunités constructives.⁶⁴

Beaucoup de pêcheurs vivaient dans les totorales marécageux dans des chulpas, des huttes en forme de tipi. Elles étaient fabriquées avec des sections de bois de kaña, extrait de grands buissons à proximité des berges. Ces sections sont courtes, rendant l’ossature fragile. Progressivement, ceux qui vivaient dans les totorales ont eu accès aux nouvelles ressources introduites ce qui a induit la multiplication d’îles flottantes, ⁶⁵ et de chulpas plus hautes et solides.

60. Les villes côtieres de la baie de puno, les villages de la peninsule et les îles naturelles d'Amantani et de Taquile.

61. Correspondent aux groupes éhtniques présents sur le territoire à la fin de la periode précolombienne.

62. Vellard, Jean « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

63. La langue parlé par les Kot'suns est le puquina. cf : Cerrón Palomino Rodolfo, Las lenguas de los incas: el puquina, el aimara y el quechua, Peter Lang GmbH, Internationaler Verlag der Wissenschaften., s.l., 2013.

64. L'eucalyptus est un genre d'arbres originaires d'Australie. Il sont connus pour leur croissance rapide, leurs tronc droit, et leurs feuilles aromatiques. Ils fut introduit pour une production sylvicole de grande ampleur. Cet arbre à apporter des modifications importantes en architecture notament pour la réalisation de toiture.

65. Les sections de bois longues et solide sont une condition à la réalisation des îles flottantes.

Utas avec des portes en polystyrènes

Un évènement climatique a également participé à façonner la forme d’habitat que l’on connaît actuellement. En 1987, le phénomène el Niño à provoqué un raz-de-marée qui a sectionné les îles installées dans les eaux du lac Titicaca. Des îles réunissant chacune une quinzaine de foyers unis par liens de parenté sont divisées. Des vents violents ont aussi rapproché certaines îles de la ville de Puno. Cet événement a redistribué l’emplacement des îles et a morcelé les cellules familiales. La même année, des îles se retrouvent poussées vers la ville de Puno par d’importants vents d’ouest.⁶⁶

Depuis les belvédères de la ville de Puno, on peut donc maintenant apercevoir les îles flottantes sur le lac Titicaca. Dans les années 1990, des photographes et chercheurs en voyages se sont intéressés à ces habitats curieux.⁶⁷ L’opportunité d’en faire un lieu touristique se présente aux Uros. L'opinion de ces passagers a, peu à peu, modifié la disposition des habitats uru, comme les chambres séparées par exemple, ou des salles de bains, des salles à manger.

Accès à de nouveaux matériaux, ont engendré d’autres techniques.

Sur les îles flottantes, la démocratisation des clous et des sections de bois popularise des modules rectangulaires aux toits en double pentes appelés uta. Cette forme renvoie à l’image des maisons que l’on peut trouver sur la terre ferme et accorde plus d’espace à ses résidents qui peuvent désormais se tenir débout à l’intérieur. Cependant, l’assemblage de cette disposition rectangulaire n’est pas totalement fermée, il admet donc d’énormes ponts thermiques et perd en performance isolante.

Des désordres environnementaux sont provoqués par la pollution pétrochimique versée dans le lac par de nombreuses villes et industries. ⁶⁸ Des bouleversements dûs au dérèglement climatique induisent des changements sur la qualité de la totora : elle perd de sa hauteur, de son épaisseur et de sa solidité. Ce jonc alvéolé et fibreux se décompose plus rapidement sous l’effet du soleil et de la pluie. Pour pallier au manque de totora et de sa performance décroissante, de nouvelles techniques combinant le recyclage et des matériaux issus de la pétrochimie émergent. De plus en plus de utas compensent avec des bâches en plastique et des tôles en métal pour résoudre l’étanchéité. Certaines utas reçoivent des parois intérieures en contreplaqué ainsi que des planchers pour améliorer les conditions thermiques. Toutes ces nouvelles dispositions génèrent des problèmes propres aux propriétés de ces nouveaux matériaux :

66. D'après les entretiens avec le participant intérogé selon Nelson

67. Le photographe Jean Pichon est un des premiers à avoir résidé chez les Uros comme un visiteur. Pichon Jean et Pichon Annie, Pérou, d’histoire et de traditions, Anako., s.l., (coll. « Mémoires de l’humanité »), 2003, 176 p.

68. « Chasseurs de mercure de l’Altiplano ». CNRS Images, réalisé par Nicolas Baker, 2015,

BaLsA détéRIoRéE En PREMier PLan ET PIlOtIs En seCOnD PLan

Balsa déteriorée

les bâches en plastique s’effritent rapidement et les toits en tôle sont soumis à l’arrachement.

Ces évolutions coïncident avec l'essor du tourisme et l’intensification de la fréquentation des îles flottantes dans les années 1990. Des hôtels innovants, appelés lodges, sont construits dans le but de répondre à de nouvelles attentes esthétiques et fonctionnelles. L'hôtellerie étant un milieu compétitif, elle incite à des innovations précipitées et des formes rectangulaire et vitrée posées sur pilotis.

L'histoire témoigne des liens indissociables entre culture et techniques. Le contexte des îles flottantes du lac Titicaca s’étend au-delà de son milieu naturel et inclut toute une “niche écologique” ⁶⁹ unique et changeante, où les techniques de construction ont évolué avec les ressources disponibles. La construction des îles flottantes, façonnée par des millénaires de tradition et d'innovation, a permis aux Uros de perpétuer un mode de vie ancestral en constante évolution tout en maintenant une certaine indépendance envers les pressions extérieures.

Aujourd'hui, les îles flottantes du lac Titicaca sont aussi le reflet des défis environnementaux et socio-économiques auxquels sont confrontées les populations lacustres, cherchant à concilier tradition et modernité dans un monde en mutation rapide. Ces défis sont en partie matérialisés par les techniques utilisées dans les habitats flottants.

69. La niche écologique, concept désigant l'emsemble de facteurs qui influancent une situation. cf: Pocheville Arnaud, La niche écologique : concepts, modèles, applications,Ecole Normale Supérieure de Paris, Evolution [q-bio.PE], 2010, 165 p.

encrage de sections de totora

échelle 1:1

chaPItre 2

TEchniques de mAniPulatIon de lA tOTORA lOrs des PRocédés COnstRuctIFs

tOTORA

La totora, de son nom scientifique, Schoenoplectus californicus, est un jonc qui s’établit dans les zones marécageuses et lacustres. Cette plante aquatique s’est naturalisée dans le sud et l'ouest des États-Unis ainsi qu’au Mexique, en Amérique centrale, en Amérique du Sud, sur l'île de Pâques et dans les îles Falkland sur certaines îles du Pacifique, notamment la NouvelleZélande , Hawaï et les Îles Cook. ⁷⁰

La totora développe ses racines dans une profondeur en moyenne comprise entre deux à cinq mètres mais elle peut vivre jusqu'à une profondeur minimale de quelques centimètres.⁷1 Son système racinaire, avec sa matérialité singulière et ses propriétés distinctes de la tige, est désigné avec un nom spécifique : le kilhi. Ses fines racines rougeâtres se développent de manière adventive ⁷2 sous la partie rhizomatique blanche et peuvent atteindre une quarantaine de centimètres. Ce réseau racinaire, même sec, est capable de maintenir la tourbe⁷3, une matière organique sédimentaire, en blocs. Ces blocs jouent un rôle majeur dans la flottaison de l’île. En effet, l’association du kilhi et de la tourbe ont une densité légère qui leur permette de flotter, la décomposition de cette matière organique émane du gaz, qui va lui-même être piégé par l’association du kilhi et de la tourbe.

La tige de la totora est droite, lisse, trigone et cylindrique. Selon la profondeur de son emplacement et de sa maturation, les couleurs des tiges varient du verdâtre au jaune.

70. Mey, Soják. Schoenoplectus californicus. Čas. Nár. Mus., Odd. Přír., 1972. Royal Botanic Gardens Kew, Plants of the World Oline.

71. Zambrano Flores Martha Elizabeth, Totora : análisis de su comportamiento como material en la construcción para futuras aplicaciones., Trabajo de graduacion previo a la obtencion titulo de arquitectura, Universidad católica de Cuenca, Cuenca, 2018, 63 p.

72. Le terme "adventive" fait référence à des organes végétaux, tels que des racines, qui se développent à partir de parties inhabituelles de la plante, généralement en réponse à des conditions environnementales spécifiques.

73. La tourbe est une substance organique formée par la décomposition partielle de la végétation dans les environnements humides.

Kilhi

La totora peut atteindre jusqu’à cinq mètres dans de bonnes conditions environnementales : un vent unidirectionnel, une bonne irrigation, et un milieu dépourvu de pollution.

La plupart des totora qui poussent aujourd’hui dans la baie de Puno dépassent rarement les trois mètres et leurs hauteurs à maturation oscillent entre 1.50 et 2 mètres. ⁷⁴

En effet, le réchauffement climatique a entraîné la démultiplication des vents et de leurs directions dans la baie de Puno⁷⁵ ainsi que des variations inhabituelles du niveau du lac, notamment induit par des périodes de sécheresses répétées.⁷⁶ Ils contraignent la pousse de la totora. La pollution aquatique pétrochimique dans le lac, due à la présence des villes aux alentours et des industries en amont des affluents, est absorbée par les alvéoles de la totora, diminuant sa capacité de croissance. Ces perturbateurs ont aussi augmenté la quantité de fleurs et la fréquence des périodes de floraisons de la totora durant laquelle elle pousse moins.

Il existe plusieurs types de totora utilisés dans la construction : la verte et la jaune sont coupées lorsqu’elles sont “fraîches” et souvent depuis des bateaux. Ce qui les différencie sont le temps et le mode de séchage. La totora dite gruessa, soit épaisse, a des teintes marron et est plus spongieuse, en partie fanée.

Pour récolter la totora, la kiniña est un outil essentiel. Ce couteau dispose d’un manche particulier : un bâton d’eucalyptus mesurant plusieurs mètres. La taille de cet outil varie en fonction de son utilisation.

Dans l’eau, pour récolter la totora depuis un bateau, une kiniña mesurant entre 2m50 et 3m est idéale pour pouvoir couper la totora à une distance de 30cm à 50cm de ses rhizomes. Au-dessous, il est plus compliqué pour la totora de reprendre sa croissance. Le bateau est positionné à côté des touffes de totora matures, puis l'équivalent d'une brassée de totora est tranché sous l’eau. Une fois coupée, elle est récupérée et déposée sur le bateau. Cette opération est généralement plus efficace lorsqu'elle est effectuée seul, bien que deux personnes puissent s'entraider en se relayant.

Sur la terre ferme, pour récolter la totora après avoir amarré le bateau, une kiniña plus petite d'environ 30 centimètres est idéale. Pour cette tâche, il est préférable d'être deux : une personne coupe la totora dans les marécages plus

74. D'après les entretient avec le balsero Nelson.

75. La température globale athmosphérique augmente et modifie la direction et l'intensité des vents .

76. Chaparro Amanda, « A la frontière entre le Pérou et la Bolivie, le lac Titicaca en proie à une sécheresse historique », Le Monde, 2023, p. 13.

Sechage de la totora

ou moins secs pendant que l'autre personne effectue les allers-retours jusqu'au bateau pour déposer la récolte.

Le processus de séchage de la totora requiert un espace dégagé, qui peut être dans le patio d’une île ou sur la terre ferme. Il arrive que des habitants des îles fassent sécher leurs totora sur les rivages étant donné leurs proximités avec ces derniers. Les rivages, souvent bordés de totora sont pour la plupart marécageux, il faut donc s’assurer d’une certaine distance entre le sol et la totora récoltée.

La totora sèche au soleil pendant environ une semaine. Lorsqu’elle commence à jaunir, ce qui intervient généralement au milieu de cette semaine de séchage, elle est retournée. Il faut ainsi régulièrement s’assurer que la totora sur le point de sécher n'est pas mouillée en dessous. Lorsqu’il y a beaucoup de soleil, elle peut sécher en quatre jours.

Après ce premier séchage, la totora est à nouveau regroupée sous forme de bottes appelées amarres, leurs dimensions correspondent à une brassée. Cette étape permet de faciliter son stockage et son transport, mais aussi de protéger ses fibres. En effet, au même titre que la totora pousse en touffe, afin de se protéger, entre autres, du vent et de la faune qui pourrait l’abîmer, elles sont coupées, transportées, manipulées et nouées en restant droites et groupés. En fonction du temps qu’elles passent sous forme de botte, on va dire que la totora séchée est verte, ou jaune, si elle passe plus de temps à continuer de sécher. Ces deux totoras, employées comme matériaux, sont utilisées différemment pour leurs propriétés : la jaune est plus légère et isolante alors que la verte est plus étanche.

Les précautions à prendre durant la récolte, le transport et leur utilisation sont plus ou moins délicates selon son usage pour l’artisanat ou pour rellenar ⁷⁷ l’île. En effet, les propriétés mécaniques, étanches et isolantes de la totora dépendent des caractéristiques anatomiques et structurelles de cette plante.

La totora possède une structure intracellulaire aérée qui facilite les échanges gazeux entre ses organes émergés et immergés, dit d'aérenchyme.⁷⁸ Ses parois cellulaires sont épaisses et leurs structures spécialisées aident à limiter l'absorption de l'eau et permettent à la tige de de pousser de façon rectiligne.

77. rellenar correspond à remplir dans le sens à entretenir l'île en y ajoutant de la totora

78. Aérenchyme (n.m.) : définition, 2023. “L’aérenchyme est le terme donné aux tissus végétaux contenant des espaces gazeux élargis dépassant ceux que l’on trouve couramment sous forme d’espaces intracellulaires. Cet organe végétal facilite la flottaison et les échanges gazeux entre les organes émergés et immergés."

Famille coupant de la totora

Chimiquement, elle secrète des cires et des subérines hydrophobes qui participent à leurs imperméabilités. C’est pour toutes ces raisons biologiques que la totora est maniée avec précaution afin d’éviter de percer ses parois extérieures et déchirer ses tissus d'aérenchyme.

Le lac Titicaca est soumis à des périodes de montée et de baisse de son niveau. Ces changements sont naturellement positionnés sur deux cycles. Le premier correspond à des rotations de sept ans de hausse et de baisse soumis à la quantité d’eau déversée dans le lac par les affluents. Le second s’établit pendant les saisons de climat sec ou climat pluvieux.

Du fait que le totora pousse à une profondeur spécifique, ses cycles naturels peuvent entraîner le dessèchement de certaines parties des totorales ou les étendre vers d'autres zones. Pour son utilisation, la totora doit pousser au moins six mois. Ce rendement dépend de facteurs environnementaux. Toutefois, les sécheresses fréquentes causées par les dérèglements climatiques ne laissent aujourd’hui pas suffisamment de temps à la totora pour atteindre sa pleine maturité.⁸⁰

Les gestions arbitraires des extractions et d'entretien des ressources totorales abîment les rhizomes de la totora et l’affaiblissent.⁸1 Les quemas sont un rituel qui consiste à brûler une partie des totorales marécageux, dans les portions où l’eau a baissé et la totora a séchée. Ce processus permet de stimuler la fertilité des sols et des plantes à long terme et est efficace uniquement si les quemas reste une intervention décennale sur un territoire donnée.⁸1 Cette pratique est aujourd’hui hors de contrôle : les sécheresses sont plus fréquentes et les totorales sont brûlées chaque année. De plus, d’anciens canaux d’eau peu profonds permettaient de limiter l'étendue brûlée, mais ces derniers n'existent plus.

D’autres complications concernant la gestion des totorales s’ajoutent : les communautés disposant de terres sur les rives du lac font désormais brouter leurs bétails directement dans les totorales au lieu de couper la totora et de l’amener au bétail comme il se faisait jusqu’à il y a quelques années. Ce bétail écrase les rhizomes et remue la terre, ce qui va détruire la plante et complexifier sa repousse. Pour les parties les plus sèches des totorales, certains habitants de la rive vont aménager les totorales séchés pour cultiver ces espaces.

80. D'après les entretients avec le balsero Nelson.

81. D'après l'entretient avec la biologiste María"

BaLsA

Les balsas ont joué un rôle crucial dans l'émancipation du peuple uros. Elles facilitent la pêche, la collecte d'œufs, ainsi que la construction et le transport vers les îles flottantes. Elles marquent l'origine de toute une organisation habitable.

Les techniques actuelles de fabrication des balsas intègrent des matériaux locaux traditionnels, principalement tels que la totora, ainsi que des matériaux plus récemment importés. Certains matériaux sont achetés, tels que les ficelles en matière synthétique, dit nylon, des sacs plastiques tubulaires, du ruban adhésif. D’autres sont issus du recyclage, comme les bouteilles en plastique.

La première étape pour fabriquer une balsa consiste à préparer l'espace de travail en installant une maille au sol pour distinguer la totora destinée à la balsa de celle qui compose l’île. Deux types de totora sont utilisés pour cette construction : La verte et la jaune. Toutes deux sont séchées selon un processus différent.

Cette barque se compose du “corps” dit cuerpo constitué de deux flotteurs reliés par un “cœur”corazon et surmonté de “bordures” dit borde. Le “corps” est formé par deux sacs en plastique, remplis de bouteilles vides et enveloppé par de la totora. Le cœur et les bords sont des cylindres élancés de totora

Le processus de construction débute par la préparation d'un sac en plastique en forme de tube, dont les dimensions déterminent la taille de la balsa ⁸2 Les bouteilles vides sont récupérées dans des bacs de recyclage à Puno, la ville la plus proche, ou utilisées d’anciennes balsas dont la totora est trop usée pour naviguer.

Les bouteilles sont sélectionnées en fonction de leurs volumes et soigneusement fermées. Les plus fermes sont placées au centre du sac en plastique, tandis que les plus aplaties sont disposées aux extrémités. Cette disposition donnera à la balsa sa forme courbée. Une fois les bouteilles installées, l'extrémité du sac en plastique est fermée à l'aide d'une ficelle, puis fixée avec du ruban adhésif.

Afin de renforcer le bas de la balsa, qui est la partie immergée, une surface est “tressée”. Sa dimension se réfère aux sacs plastiques précédemment réalisés.

80. D'après les entretients avec le balsero Nelson.

81. D'après l'entretient avec la biologiste María

82. Concernant l'approvisionnement, ces sacs spéciaux sont achetés dans des magasins spécialisés en ville, proposant deux tailles standard pour les balsas, ce qui contribue à une certaine uniformité dans les dimensions des embarcations.

hoMOgénéisER le tREssAGe de lA bAse sOus-jACenTE de lA bAlsA

fAçOnnage du "CœuR"

"Bord" de la balsa

L’équivalent de la moitié d’une botte de totora jaune et d’une botte de totora verte sont disposées parallèlement et orienté dans le sens contraire à l’autre, les popas ⁸3 les uns à côté des autres. Deux personnes se mettent face à face, à genoux, de part et d’autre des tas de totora. Celle qui s’apprête à tresser se place du côté de la totora verte et celle qui l’assiste se place du côté de la totora jaune. Elles maintiennent un fil avec leurs genoux qui passe au-dessus de la totora verte et en dessous de la totora jaune.

Le balsero intercale les tiges de totora par groupe de trois au-dessus et en dessous du fil. Le tressage permet que la totora jaune soit à l’intérieur de la base du cylindre et la totora verte à l’extérieur. Lors de cette opération, le balsero utilise un de ses bras pour positionner les totora trois par trois et l’autre bras pour maintenir une séparation entre les deux. Puis, le fil passe à nouveau entre le tissage de totora, là où le bras a maintenu la séparation entre les deux. Une fois cette première ligne établie et répartie, l'opération est répétée trois fois de part et d’autre du tressage en adaptant l'intervalle pour une répartition homogène. Au fur et à mesure, la totora est ajustée pour assurer une distribution uniforme du tressage.

Le sac en plastique est positionné sur la base tressée et est enveloppé par des tiges de totora. Pour se faire, des nœuds détachables entourent le sac en plastique et la base. Pendant que l’un des deux artisanats détache et rattache certains nœuds, l'autre pose la totora jaune puis verte. Ce système facilite la répartition de la totora autour du sac en plastique et la maintient durant les manipulations en attendant que les parties soient assemblées. Les extrémités de totora, sur le sac en plastique, qui dépassent des ficelles sont enfoncées sous les autres brins de totora. Ce qui dépasse, comme les fleurs de la totora, sont retirées pour obtenir un résultat homogène et résistant.

Le "cœur" de la balsa est formé de tiges de totora positionnées côte à côte et symétriques avec les pointes vers l'extérieur. Le résultat forme un cylindre élancé. Une poignée de totora verte est répartie en plaçant les pointes de la totora aux extrémités de la forme, maintenue avec les mêmes nœuds détachables. De la totora jaune est ajouté à l'intérieur et d’autres brins de totora verte à l’extérieur. La dimension du cœur est estimée par rapport au cuerpo prêt à être assemblé.

83. Popa correspond à l’extrémité d’une section de totora correspondant à sa partie plus proche de ses rhizomes. Punta correspond l’extrémité d’une section de totora correspondant à sa pointe où peuvent se situer les fleurs.

AssEMbLAgE du "CœuR" ET des deux "COrPs"

Ajuster le nyLOn

taille de la proue de la balsa

Un dispositif est mis en place pour faciliter l’assemblage du corps et du cœur en les tissant ensemble. Deux rouleaux d'anciennes balsas, conservés sur l'île, sont utilisés pour surélever le "corps" en deux parties, deux bâtons sont posés perpendiculairement par-dessus. Ces derniers portent le cœur au centre.

Deux bobines de ficelles enroulées autour de bouteilles vides passent successivement chacune autour d’une des deux parties du "corps" et l’enroulent en incluant le "cœur". Cette étape implique trois personnes, dont une menue pour pouvoir passer sous le dispositif. Généralement, c’est un enfant qui aide à réaliser cette étape. Les deux personnes de chaque côté font passer les bobines de fils et celle qui est au centre aide à faire passer les bobines et s'assure que les fils s'alternent un par un. Il est possible de prolonger la ficelle en y attachant une autre. Au total, environ 80 mètres de cordes sont nécessaires par balsas.

Une fois le “corps” et le “cœur” suffisamment enroulées, les deux ficelles sont tendues progressivement à l’aide d’outils. L’un d’eux, le caroboto, ressemble à un bec en bois et s'insère sous la ficelle pour les tirer plus fermement. Sa forme permet de s’insérer sous la ficelle. Cette même forme est façonnée par l’usage. Un autre outil sollicité dans cette étape est le le keña. Il prend la forme d’un rondin dont la masse est utilisée pour comprimer la balsa, avec des légers coups sur cette dernière. Ces deux outils permettent de tendre davantage les ficelles.

Le tissage des extrémités de la balsa se réalise au fur et à mesure de sa compression et de l'étirement de la ficelle. Une corde attache les extrémités de la balsa, la maintenant courbée jusqu'à ce que les ficelles qui enroulent la balsa soient suffisamment tendues et que la forme désirée soit figée.

Les bras de la balsa, ajoutés pour optimiser la forme de la barque, suivent la même méthode de fabrication que le cœur, avec une forme plus élancée.

Une fois positionnées sur le bord de la balsa, de nouvelles ficelles sont attachées au centre de la balsa. ⁸⁴ Ces ficelles passent sous chaque ficelle qui enroule le corps de la balsa une par une du centre à l’extrémité. Ce procédé s'enroule progressivement autour du bras en passant en dessous, en revenant vers l'intérieur au-dessus. Le caroboto et le le keña sont également utilisés lors de cette opération.

ReTiRer lA tOTORA qui déPAssEnT

trenzado de la base de la balsa

assemblage du "cœur" avec les deux parties du "corps"

attacher le "bras" avec le "corps"

Lorsque la balsa est bien compactée et que le nylon est tendu jusqu'aux extrémités, les pointes en totora qui dépassent sont taillées. Ensuite, la balsa est retournée pour arracher les fibres qui dépassent. Après tout cela, elles sont prêtes à être mises à l'eau.

Avant de les utiliser, les balsas peuvent être stockées sous des bâches ou dans des utas afin d'éviter une exposition prématurée à la pluie, enclenchant un processus de détérioration.

L’une des difficultés lors de la confection d’une balsa est de l’équilibrer. Même si le nombre de tiges ou bien le volume de la balsa semble similaire, son poids peut être instable. Le balsero prend soin, tout au long de la confection, de tâter et de soulever les différentes parties de la balsa avant son assemblage.

Les balsas ont revêtu diverses formes en fonction de leur utilité. Originaires de la côte péruvienne, ces embarcations ont une forme élancée, leur permettant de surfer sur les vagues du Pacifique. Ces barques océaniques destinées aux loisirs ou à la pêche sont appelées caballitos de totora ⁸⁵

Les peuples vivant autour du lac Titicaca et qui utilisent des balsas admettent quelques variations. Et au sein d’une même communauté, les balsas peuvent avoir différentes formes. Ainsi, pour la récolte de la totora, elles se caractérisent par une largeur accrue et des bordures plus fines. par rapport à ceux employés pour la pêche. Les balsas dédiées aux sorties romantiques ou aux balades se distinguent par leur taille imposante et sont ornées de décorations.

Inclure des bouteilles en plastique dans la basla leur permet d’atteindre des tailles imposantes plus rapidement et facilement. Cependant, cette méthode empêche d’ajouter une voile à la balsa. Cette opération consiste à enfoncer un bâton d’eucalyptus au centre de la balsa pour réaliser le mât, puis de tendre des cordes de part et d'autre du mât et de hisser une voile, tissée en totora Même si les bateaux à moteur sont constamment sollicités pour leur rapidité et leur capacité de charge, les balsas continuent d’être utilisés pour des balades reposantes, intimes et ludiques. Les balsas, aujourd’hui destinées au loisir, sont souvent agrémentées de décorations de figures animales en totora. Le modèle de balsa mercedes, avec une tête de puma à l'avant, est très répandu. Une variation de cette forme est constituée de deux balsas du modèle mercedes reliées par une nacelle à étage. Un bateau à moteur se positionne entre les deux balsas pour les faire avancer.

Île

Durant la saison sèche, les eaux du lac Titicaca se retirent, laissant à découvert la tourbe et le kilhi de larges étendues de totora ; ces dernières sèchent au soleil et se fissurent en bloc qui se détachent du sol. Lorsque la saison des pluies revient, les blocs de racines et la tourbe flottent et ondulent à la surface des eaux du lac. Guidés par les vents et les courants, elles s'amassent en blocs à un endroit spécifique dans la baie de Puno. Cette épaisse maille rougeâtre et la matière organique, à laquelle elle est mêlée, est utilisée comme fondations pour les îles flottantes. Pour s’en procurer, il faut connaître le lieu où se rassemblent des groupements de ces racines.

Commence un travail laborieux, dans une eau glacée⁸⁶, qui requiert plusieurs paires de bras forts pour transformer une partie de ces imposants blocs larges de deux par six à de six par dix mètres. ⁸⁷

Pour séparer verticalement des amas de kilhi et en faire des blocs transportables, de larges scies sont désormais utilisées pour les découper. Auparavant, des bâtons d'eucalyptus servaient de levier pour séparer ces blocs.

Pour que le kilhi s'intègre dans l’écosystème, les îles sont placées là où la profondeur du lac atteint environ 5 mètres, de sorte que la totora puisse développer ses racines. Il est d'usage qu'une nouvelle île se place à la suite des autres en suivant les berges du lac. Une fois les blocs transportés à l'emplacement de la future île, ils sont assemblés : des bâtons d'eucalyptus dressés verticalement dans les morceaux de kilhi sont répartis sur toute la surface de la future île. De longues cordes sont tendues entre les bâtons, pour maintenir ces blocs de kilhi ensemble, en attendant que les racines tissent leur réseau dans la plateforme organique.

Afin de renforcer la structure, d'autres pieux plus robustes sont enfoncés dans le kilhi et reliés par leurs milieux à des troncs d'eucalyptus traversant la plateforme et plantés dans le fond du lac. Pour réaliser cette opération, plusieurs personnes secouent le tronc d’une vingtaine de centimètres de diamètre pour l’enfoncer. Ces troncs sont taillés de sorte à empêcher les cordes de glisser

86. L'eau en janvier se situe à une température entre 16° et 20° degrès dans la baie intérieure de Puno .César Aguirre, Chicana Julio et Merma Marco, « Estimación de la velocidad del agua en la Bahía Interior de Puno en el Lago Titicaca, mediante simulación numérica », Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Universidad Nacional del Callao, 2020, p. 9.

87. Watson Julia, Lo—TEK. Design by Radical Indigenism, Los Angeles, Taschen, 2020, 418 p.

88. D'après les entretiens avec le balsero Nelson, ceux avec Juan le pêcheur et Ronald le guide touristique.

PhOtOs OFFeRTEs PAr juan MaxiMo ET FELicianA de lA COMMunauté chimú, PRisEs lOrs d'unE jOuRnéE duranT lAquELle un mOrcEAu d'île A été jOint à unE AuTRE île

superpositions perpendiculaires de totora

Plateforme uni par la croissance du kilhi

Décomposition des matières organiques de la tourbe piégés dans l'île

verticalement, assurant ainsi une tension constante pour soutenir les pieux horizontaux insérés dans l'île. Avec le temps, les pieux trouveront un équilibre horizontal, renforçant l'ancrage des îles flottantes dans le lac et assurant leur stabilité à long terme. Les pieux ont une longueur approximative à un bras et un torse, constituant une unité de mesure, tandis que les troncs mesurent entre six et huit mètres de long.

Par-dessus les cordes installées sur la plateforme flottante de la totora est déposé pendant un mois, sur toute la surface, l’équivalent de trois mètres de totora sous forme de plusieurs couches alternées perpendiculairement. Une fois ce processus terminé, les membres de la communauté se rassemblent sur la nouvelle île pour la commémorer et compacter la totora fraîchement déposée. Dans la semaine qui suit, les enfants sont sollicités pour jouer à la balle, contribuant ainsi à aplanir la surface de l'île. Ces activités intègrent toute la communauté dans le processus de réalisation.

L'entretien de ces îles est une tâche continue et collective. Pour maintenir leur flottabilité et compenser la décomposition latente, de la totora est ajoutée régulièrement. Du fait que la totora a tendance à perdre de sa résistance, des couches de totora sont ajoutées toutes les deux ou trois semaines là où elles étaient ajoutées tous les mois il y a quelques années de cela. Certains espaces plus fréquentés et sollicités nécessitent plus d’attention, notamment devant la cuisine, sur le quai et vers les espaces de travail.

Ces plateformes organiques offrent un espace de vie unique où les familles établissent leurs foyers, jouent, travaillent, échangent, vivent. De forme et d’usage malléable, ces îles accompagnent les décisions familiales, communautaires et économiques de plusieurs générations. L'espace peut être déplacé et ajusté.

Plus qu'un simple socle, l'île à la capacité de s'insérer progressivement dans l'écosystème lacustre environnant grâce aux racines vivantes du kilih ainsi que le microcosme qui s’établit dans la plateforme organique. Les racines de totora de l'île agissent comme un filtre naturel, dépolluant les eaux du lac et fournissant une source continue de nourriture pour une variété d'espèces, tel que les poissons et autres organismes plus petits. La matière organique de ce sol permet la culture de denrées alimentaires à travers des pratiques agricoles et d'élevage.⁸⁹

un des dOuzE tRonCs d'EuCalyptus qui mAintIEnnent l'île EsT En PREMier PLan. LEs PIquETs En seCOnD PLan servEnT à tendRe des vêteMenTs ET à délIMiter l'EspaCe

MaqueTtE de PRésentATiOn de l'île

RéCOltEs des POMMEs de terRE CultiVéEs sOus le mIradOr de l'île

Uros-Capi

De la totora peut également être plantée sur l’île et être utilisée comme un aménagement spatial en délimitant et abritant certaines zones : les touffes des hautes tiges de totora peuvent établir un chemin entre deux espaces, créer des parois pour plus d’intimité entre les utas et protéger du vent certains flancs de l'île.

Ainsi, ce dispositif habitable profite à la vie en sous-face et en surface en nourrissant l’écosystème. uTa

Sur les îles flottantes, différents modules sont aménagés pour répondre aux besoins humains. Les utas, des maisonnettes essentielles pour se protéger des intempéries, assurer l'intimité et stocker les biens, dessinent la silhouette des îles.

Ces dernières années, l'introduction de nouveaux matériaux comme le bois et les bâches en plastique importés a contribué à bouleverser certains de ces paysages lacustres habités. Cependant, le module d’habitation le plus courant sur ces îles est la uta, construite avec une ossature en bois sur laquelle est nouée une couverture en totora, la quesaña. Cette dernière est tissée avec des ficelles qui peuvent elles-même être fabriquées sur place avec des fibres naturelles, c’est la soga

Fabrication de la sOGa dans la comunauté Chimu, sur la terre ferme.

Au fil des siècles, des cordes ont été produites sous différentes formes près des berges du lac Titicaca : avec du cuir de guanacos, ⁹⁰ des branches d’eucalyptus et plus largement aujourd’hui selon des procédés issus de la pétrochimie, le nylon. Bien avant cela, les communautés de l'Altiplano utilisaient la soga, une corde fabriquée à partir de l'ichu, une herbe haute qui pousse à partir de 4 000 mètre d'altitude.⁹1 Selon la communauté Chimu, la soga a l’avantage d’être plus adhérente que le nylon, plus facile à fabriquer que le cuir et la corde d’eucalyptus et évite la déformation des quesañas. C’est pourquoi elle est toujours largement utilisée.⁹2

90. Les guanacos sont des camélidés sauvages d'Amérique du Sud, proches des lamas, vivant dans les régions montagneuses.

91. D'après les entretiens avec les artisans de totora 92. Pour se procurer de l'ichu, les membres de la communauté peuvent se rendre dans les hauteurs, mais en raison de sa faible disponibilité sur leurs collines par rapport à leurs besoins, ils l'achètent souvent sur les marchés locaux des communautés qui descendent de montagnes pour vendre leurs produits.

Sur les collines derrière Chimu

Pour assouplir l'ichu et la préparer pour le tressage, une grosse poignée est placée sur une dalle plane.⁹3 À l'aide d'une épaisse pierre taillée et arrondie, ils meulent l'hichu en basculant la cincel de gauche à droite afin de rompre les fibres. Cette action préserve tout de même les propriétés de résistance à la traction sollicitée dans la corde. Cette étape nécessite de la force et de l’endurance pour assouplir l'herbe sur toute la longueur de ses brins de façon homogène.

Au moment de réaliser la corde, l'ichu est humidifié pour lui accorder plus de souplesse. Aussi, il est possible de tremper ses doigts à chaque nouvelle pincée d'ichu utilisant une bouteille d’eau coupée en deux remplie d'eau.

Pour fabriquer la soga, deux pincées d'ichu sont maintenues l’une à côté de l’autre entre la paume des mains. Les deux pincées roulent dans la même direction l’une à côté de l’autre. Au fur et à mesure, les doigts rabattent successivement les deux pincés d’ichu sur l’arrière de la paume vers le poignet. Le processus est répété en boucle. Et des pinces d’ichu sont ajoutées au fur et à mesure. Plusieurs dizaines de mètres de corde peuvent être réalisées en quelques heures par les artisans de quesañas

Les cordes de soga réalisées au sein de la communauté Chimu sont directement utilisées pour la fabrication de leurs quesañas

Fabrication de QuEsAñA dans la comunauté Chimu, sur la terre ferme.

La réalisation de la quesaña débute par la préparation d'un espace de travail optimisé. Des courtes sections de ferraillage, enfoncées dans le sol, sont utilisées comme patron et permettent des repères standardisés.⁹⁴ Entre ces fers, un tapis en plastique recouvre la terre battue pour protéger la totora.

Au-delà de cette installation, plusieurs bottes de totora sont prêtes à être utilisées. La soga est attachée à chacun des fers puis est tendue vers les fers opposés. Cette distance sert à anticiper le tissage de la quesaña en indiquant la quantité de soga nécessaire à la conception de cette dernière. La personne qui s’apprête à tisser s'agenouille devant les fers et avance

93. Dans le cas étudié, elle est en béton et a été spécialement coulée devant la maison pour l’activité.

94. Des fers délimitent le début et la fin de la quesaña, entre lesquels la totora sera tissée.

TailLER les bOrds iRréguliERs de lA quEsAñA AVEc le kIniñA

élévation autres années étapes uta de 2,80 mètres du sol à son sommet

progressivement sur la quesaña tout en la travaillant de la façon suivante.

Une grosse poignée de totora est disposée au-dessus de la corde bien tendue, perpendiculairement à cette dernière. La soga entoure une “poignée” de totora, passe ensuite par-dessous et remonte à travers une portion de la totora enroulée avec la soga. D'autres poignées de totora sont ajoutées et nouées au fur et à mesure. Une main maintient la totora contre le reste de la quesaña tandis que l'autre noue et tire.

Pour assurer l'uniformité de la quesaña, les tiges de totora et l'orientation de ses pointes sont alternées. Les pointes plus fines dépassent de la quesaña et sont pliées de façon régulière vers l'intérieur.

Un bâton sur lequel l’usage a gravé l’emplacement des sogas. Il est positionné à l’avant de la quesaña et aide à tendre les cordes et les alignés. Une fois la longueur souhaitée pour la quesaña est atteinte, un nœud sécurise le tissage. Les bords de la quesaña sont découpés pour leurs finitions. L'ensemble est roulé. Le poste de travail est balayé : prêt à en réaliser une autre.

Assemblage de l’uta sur leurs îles.

La réalisation d’une uta est relativement rapide et simple, nécessitant seulement deux personnes pour construire une ossature bois en moins d'une journée, et quelques heures pour y nouer les quesaña.

Il existe différents types de quesaña, dont les dimensions peuvent varier en fonction de l'usage. Les utas les plus courantes parmi les habitats flottants sont celles utilisées pour les parois et les toits, épaisses d’environ 5cm, l’équivalent d’une poignée. Elles sont appréciées pour leurs qualités isolantes. D’autres quesañas, beaucoup plus fines, tissées totora par totora, sont appréciées pour leurs étanchéités. Elles sont utilisées en toiture en superposant deux ou trois quesañas.

Les dimensions de la uta sont souvent déterminées par les sections de bois disponibles dans le commerce et par les quesañas que l'on a l'habitude de réaliser ou d'acheter. Certaines caractéristiques volumétriques et fonctionnelles sont constantes comme la forme rectangulaire, le double pente et une seule ouverture.

Supperposition de trois "quesañas de une totora"

L'orientation de la porte est choisie en fonction des besoins d'intimité ou de proximité, en accord avec l'usage prévu pour la uta et la personnalité de ses occupants.

Les utas, et d’autres constructions interviennent comme des cellules habitables, elles peuvent être déplacées pour aménager l’île selon les besoins et les envies de ses habitants. Les interstices générés sont utilisés notamment pour ranger des outils, délimiter de petits jardins personnels, créer des enclos pour les animaux. Il est aussi fréquent d’y faire pousser de la totora pour créer des séparations intimes ou bien de les protéger les utas du vent. En fonction de ses habitants, ces constructions peuvent se déplacer et se modifier. La configuration mobile des utas permet une vision cellulaire de l’organisation spatiale de l'île.

L’ossature des utas se compose de sections de bois achetées dans le commerce et issues de la récupération. L’assemblage requiert l'intervention de deux personnes et de certains outils comme une scie ou une scie sauteuse, un marteau ou une visseuse. Un baril est souvent utilisé comme escabeau.

La réalisation de l’ossature requiert une attention particulière quant à la sécurité des chantiers. Sur les îles, il est fréquent de travailler pieds nus ou en sandale, mais les risques concernent surtout les chutes. En effet, si la structure en bois tombe sur un pied, ce dernier s’enfonce dans la totora et l’impact est diminué. Les moments les plus périlleux correspondent aux moments où une personne se tient debout sur un baril, de cette hauteur, une chute peut devenir une complication concernant sa capacité à poursuivre le chantier.

L’ossature est contreventée verticalement et horizontalement par des sections de bois qui complètent sa forme. Elle est simplement posée sur un soubassement en totora pour l'isoler du sol en totora plus humide après la pluie.

Les quesañas sont nouées à l'ossature à l'aide de ficelles, généralement du nylon

Ces couvertures sont maintenues par plusieurs petits nœuds répartis sur toute leur surface, attachés depuis l'intérieur de la structure en bois. Quant aux quesañas du toit : deux sont nouées entre elles dans leurs largeurs. La charpente et les deux ficelles attachées sur les parois extérieures maintiennent de part et d’autre les quesañas et suffisent à contreventer le toit.

Les quesañas qui revêtent l'ossature s'abîment en quelques années avec le soleil et la pluie.

Éléments de tOituRE d'unE uTa AVEc unE quEsAñA ET unE bâChE En PLastIquE. cEs éléments ne sOnt PAs EnCORe ATTaChés.

LE nylOn s'EnrOuLE AuTOuR de l'EnCadREMEnT de POrtE ET de lA quEsAñA AFin de mAinteniR CeTtE dernièRe En PLacE.

"trenzado" de la "quesaña de une totora"

"trenzado" de quesaña Soubassement de superpositions de couches de totora

Pour maintenir leurs propriétés, les parois sont retournées tous les deux ans et peuvent durer jusqu'à cinq ans.⁹⁵

Quant au toit, plus exposé aux intempéries, il est retourné chaque année et peut durer deux ans. ⁹⁵

Au fil des mois, le soubassement de la uta est augmenté à mesure qu'elle s'enfonce dans le sol de totora. Cette opération implique de soulever la construction pour la déplacer. L'équivalent d'un mètre de couche de totora est ajouté, puis la uta est remise à sa place.⁹⁶

En entretenant la uta en remplaçant certaines sections de bois, l'ossature peut avoir une durée de vie d'une dizaine d'années. Les sections de bois les moins endommagées peuvent être utilisées de nouveau pour les prochaines ossatures ou dans des installations comme du mobilier.

95. Les récents boulversements climatiques ont impacté la logévité des propriétés de la totora.

96. Une fois la uta reposée, la totora s'aplatit rapidement d'environ un tiers de son épaisseur. Cette opération délicate nécessite plusieurs personnes pour éviter les blessures.

Les mains de Juan, pêcheur à UrosTitinos, sont coupés au niveau des flanc de ses index. Ces fines brêches sont dû au démélage quotidien des filets de pêches.

Les mains de Nelson, balsero de Uros-Chulluni, sont ponsés au niveau de sa paume, là où il tient le caroboto. Le haut des ses pouces et le flanc de ses index, au niveau de la deuxièmes phalanges, sont creusés par le nylon

Les mains de Feliciana, artisane de quesaña à Chimu sont arrachées là où elle force sur la soga. Sa main droite tire sur la corde. Sa main gauche appuie sur la quesaña avec la paume.

Emplacement de groupements d'île flottante

Villes
Puno
Chimu
Chulluni
Uros-Torani
Uros-Waka-Wakani
Uros-Yachupunko
Uros-Capi
Uros-Titinos
Llachon
Uros-Chulluni
Chimu
Chucuito

chaPItre 3

DiFféRentEs fOrMEs sOnt induiTEs PAr lA dIVeRsité des mOdes de vIEs.

Les techniques traditionnelles de manipulation de la totora sont ancrées dans des contextes historiques et culturels spécifiques qui évoluent sous l'influence croissante d’une production manufacturée globale. Ces méthodes témoignent de changements profonds du mode de vie des sociétés lacustres survenus au cours des dernières décennies.

Les îles ont une forme ovale. De la totora pousse sur le pourtour de ces îles. Des utas et autres unités habitables y sont principalement disposées en cercle. L'espace dégagé au centre de ce cercle est utilisé pour des activités tel que le jeu de ballon des enfants, la réception d’invités ou bien des activités liées au travail tel que le démêlage de filet de pêche.

Chaque couple et adulte dispose de sa uta où ils dorment et où sont entreposés leurs affaires personnelles ainsi que les outils en relation avec leurs activités quotidiennes. Ces unités habitables s’ouvrent généralement sur l’espace central, mais elles peuvent aussi être orientées vers des espaces plus intimes. Certains résidents optent pour un aménagement introverti en réalisant des jardinets avec des clôtures en quesañas abîmées et de la totora. Ces espaces sont aussi utilisés comme enclos pour des animaux de compagnie. Entre les interstices où il n'y a pas de nécessités de passages, de la totora est plantée pour protéger du vent, de la vue et renforcer l’île.

Chaque île dispose d’une construction ronde servant à la cuisine et appelée cocinita. Ces espaces contrastent avec les utas rectangulaires. Ils sont réalisés selon les mêmes procédés techniques mis à part l’ossature de leurs toitures coniques sur laquelle est tissée directement de la totora à la façon d’une quesaña

Carte topographique Lac Titicaca. Esri, Topographic map. César Aguirre, Chicana Julio et Merma Marco, « Estimación de la velocidad del agua en la Bahía Interior de Puno en el Lago Titicaca, mediante simulación numérica », Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Universidad Nacional del Callao, 2020, p. 9. Levantamiento Hidrografico Convenio Binacional Del Lago Titicaca. Autoridad Binacional Autonoma del Sistema Hidrico del Lago Titicaca, Rio Desaguadero, Lego Poopo, Salar de Coipasa, 2019 2018.

Mirador à figure de canard Uros-Chulluni

D’autres objets architecturaux se dressent sur les îles flottantes : c’est le cas de dispositifs supportant des ballons d’eaux chaudes, des panneaux solaires et des miradors. Toutes les îles habitées possèdent un mirador. Ces derniers sont des structures souvent comprises entre trois et cinq mètres. Des poteaux contreventés supportent une nacelle à laquelle on accède par une échelle.

Cette construction est utilisée pour communiquer avec le voisinage : les habitants, d’un mirador à l’autre, peuvent se faire des signes ou dialoguer en criant. Il peut aussi servir de phare la nuit, en y déposant une lampe. Sur les îles recevant fréquemment des touristes, les miradors prennent parfois des formes distinctes et décoratives, arborant des figures animales, parfois en lien avec le nom de l’île.

La forme irrégulière de l’île induit une utilisation de l’espace concernant l’emplacement des quais, les potagers, des espaces réservés aux tâches ménagères, comme la vaisselle ou la lessive.

Les quais d’embarquements sont renforcés par des cordes et des lattes en bois. Un quai est placé à l’avant de l’île en direction des flux de bateaux et un autre quai réservé au stationnement est positionné sur un flanc différent, là où il y a moins de passages et donc moins de vagues qui viennent taper contre les bateaux et contre l’île. En effet, les oscillations de l’eau répétées générées par les bateaux à moteurs vont délier la totora et abîment l’île.

Certains lieux collectifs sont destinés à se rassembler, comme des terrains ou permettre des réunions religieuses ou éducatives comme des églises, d’autres sont désignés pour l’éducation comme des écoles.

Ces lieux vont différer selon l’emplacement des îles flottantes qui sont divisées en plusieurs communautés.⁹⁷ Chacune de ces communautés s’organisent selon des aspirations concernant leurs quotidiens et leurs activités professionnelles. Les différents modes de vies que cela induit vont influencer l’habitat flottant mobile et entraîner des variations formelles propres à chacune des communautés.

La communauté Uros-Titinos, caractérisée par leurs modes de vie de pêcheu est tournée vers des relations avec la Pachamama, la Terre-mère, qui peut être interprétée comme un culte et une coutume quotidienne. Ils se distinguent par des variations architecturales de la uta qui adapte l’utilisation des quesaña avec celle de l’introduction mesurée de matériaux importée.

97. Il éxiste sept communautés d'îles flottantes dans la baie de Puno : Uros-Chulluni, Uros-Torani, Uros-Waka-wakani, UrosYachupunko, Uros-Capis, Uros-Titinos et Chimu

Figure de Puma à l'avant d'une balsa Uros-Titinos

Les Uros-Chulluni représentent à eux seul une population de milliers de personnes.⁹⁸ Les revenus générés par le tourisme orientent leurs décisions architecturales et communautaires.

Les habitants de hameau côtier de Chimu forment une communauté d’artisans de quesañas. Dans les années 2010 ils ont entrepris la construction d’îles flottantes.

Selon la poursuite des aspirations professionnelles et communautaires, la gestion de ressources et les aménagements suivent différentes configurations. Ces résolutions sont à l’origine de tension entre les communautés lacustres, leur environnement et le monde extérieur.

La ressource de totora est plus compliquée à obtenir qu’auparavant et sa qualité est inférieure. Certains habitants des îles vont avoir recours à des alternatives différentes concernant l’aménagement de leurs espaces et le choix des matériaux employés. Ces choix peuvent avoir des conséquences sur le milieu et directement impacter la capacité régénératrice de la nature ainsi que polluer l’eau que beaucoup boivent directement depuis le lac.

Les habitants de ces îles partagent des défis communs tels que la gestion des ressources naturelles, leur adaptation aux changements climatiques et la préservation de leur identité, notamment la volonté d’honorer les pratiques ancestrales héritées.

Le tourisme participe de façon ambivalente à figer un folklore et à édifier des logdes innovantes. Ces processus particulièrement observés chez les UrosChulluni est critiqué par ceux qui priorisent une relation avec leur milieu.

Le mode de vie des Uros-Titinos, dont les coutumes sont dirigées vers la Pachamama, est moins exposé que celui des Uros-Chulluni. Ils n’apprécient pas l’image qui est diffusée des Uros par ces derniers. Concernant la communauté de Chimu, dont l’activité principale ne sont pas les îles, mais la production de quesaña, ils sont contrariés par la pollution générée par la communauté Uros-Chulluni et sont gênés par leurs utilisations intensive et impatiente des ressources de totora.

98. D'après les entretiens avec le balsero de Uros-Chulluni, Nelson, et d'après Juan, le pêcheur de Uros-Titinos, la population de Uros-Chulluni atteint 2000 personnes.

Une partie de la communauté Totorales

200 m Nord
Île flottante

urOs Titinos

Les Uros-Titinos sont une communauté qui a fait le choix de s’établir vers l’extérieur de la baie de Puno. Leurs îles flottantes sont les plus éloignées de la ville de Puno et restreignent leur contact avec la terre ferme. Cela traduit une volonté de conserver les traditions de ce peuple de pêcheurs. Le quotidien des habitants est tourné autour de la pêche : ils passent une partie de la journée à aller pêcher et l’autre à démêler les filets de pêche. La communauté rassemble six îles espacées de plusieurs dizaines de mètres les unes des autres.

Sur ces îles intergénérationnelles, la famille est au centre des relations sociales : les enfants jouent entre eux les adultes travaillent ensemble et se répartissent les tâches quotidiennes en fonction de leurs domaines de compétences et de leurs préférences. Ces tâches consistent en la pêche, la cuisine, l’entretien de l'île, l’artisanat et la réception occasionnelle de touristes.

Les habitations sur les îles d’Uros-Titinos conservent le système constructif de utas en les améliorant par des petites modifications testées et réalisées au fur et à mesure.

Pour améliorer l’étanchéité du toit, ils ont testé la bâche en plastique dont la décomposition est accélérée par les radiations solaires importantes. Ils ont aussi expérimenté la tôle mais les problèmes liés à la force de soulèvements auquel ce matériau est soumis et ses propriétés conductives peuvent causer des dégâts lorsqu’il y a des orages et abîmer toute la uta

Plusieurs habitants préfèrent superposer les fines couches d'un type de quesaña, tressé totora par totora, pour couvrir le toit et trouvent ce système plus efficace quant à l’installation, la durabilité, l’étanchéité, l’évaporation et la thermique. D’autres modifications sont répandues chez les Uros-Titinos, notamment une qui utilise du contreplaqué pour couvrir le sol, les murs et le plafond. Seloneux, cela permet de conserver une température agréable dans la uta

Plus le poids de la uta et de ces installations est important, et plus le soubassement de totora sous-jacente est élaboré. Il peut être complété par des poutrelles réalisées à partir de sections de bois, par des pieux pour éviter l’affaissement ou des pierres pour éviter le soulèvement.

BatEAu AMaRRé derRièRe l'île

Les habitants de l'île nourissent des oisillons en premier plan. Un sportif s'entraîne au paddel en arrière plan. Uros-Titinos

Concernant d’autres ajustements, plus répandus, ajouter de la totora sous les ficelles sur le toit pour éviter que la friction ne cisaille les quesañas est très fréquent chez les Uros-Titinos.

Les habitants Uros-Titinos, qui s’appliquent à améliorer leurs habitats, se sont équipés d'outils comme des visseuses-perceuses. Ils rechargent leurs batteries sur la terre ferme en échangeant leurs services. Par exemple, un Uros-Titinos qui voudrait aller charger les batteries de sa visseuse-perceuse ira solliciter une connaissance de la terre ferme : pendant que la batterie charge dans la maison, il offrira son aide pour le jardin.

Ils achètent les matériaux avec les ressources du tourisme à travers la vente d’artisanat. Les revenus issus de la pêche couvrent les dépenses courantes comme pour les denrées alimentaires, l’essence pour les bateaux et l’éducation des enfants de la famille.

Les Uros-Titinos perpétuent la coutume d’élever des oiseaux sauvages. Ils couvent leurs œufs en les maintenant contre leurs poitrines et les nourrissent lorsqu'ils sont devenus oisillons. Ces oiseaux vivront proches de l’île. Une partie de leurs œufs sont collectés et consommés, mais ces oiseaux élevés ne sont ni chassés ni mangés. Les Uros, de par leurs observations, parviennent à reconnaître leurs mouvements dans le ciel ou dans les totora et en tirent des indications sur la météo à venir. D’autres oiseaux plus petits, comme les req’echo ou totorero⁹⁸, font leurs nids dans les totorales autour de l'île. De nombreuses espèces de canards aux plumages et becs différents rôdent aux alentours.

Il est d’usage d'avoir un chien sur l’île. Au-delà d’être un compagnon de jeu pour les enfants, ils peuvent servir d’alarme pour avertir d’un possible intrus.

Mis à part la totora, d’autres plantes poussent sur les îles flottantes, principalement des pomme de terre, complétant les réserves alimentaires. L’agriculture est une pratique courante dans la communauté.

Les Uros-Tininos sont une communauté perpétuant des croyances ancestrales. Ils vouent un culte à la Pachamama qui est la divinité de la Terremère. Cette déesse de la fertilité représente toute la générosité de la nature. Pour la remercier, selon le principe qu’“une partie de ce que l’on garde d’elle, lui est rendu” les Uros réalisent des offrandes symboliques sous forme d’aliments, de fleurs, parfois de carcasse d’animaux ou de corps de défunts.

soubAssEMEnt En tOTORA d'unE uTa, sOn PLanChER ET l'unE de ses quEsAñA. un tuyau EsT sTocké Au PIEd de CeTtE uTa.

DémêlAGe des fIlets de PêChE

DémêlAGe des fIlets de PêChE

AFin d'évITeR le CIsaiLlement de lA "quEsAñA de unE tOTORA", de lA tOTORA PLiéE EsT AjoutéE

Uta, son soubassement et l'île Uros-Chulluni

Avec cette vision, la gestion des déchets est optimisée pour réintroduire ce que l’on a pris dans d’autres cercles naturels : par exemple les épluchures sont déposées sur le sol de l’île, le contenu du fond du verre est versé dans le lac, les restes alimentaires sont triés et donnés aux oiseaux et aux chiens.

Les célébrations sont des moments importants pour les Uros-Titinos, c’est l’occasion de réunir l’ensemble des membres de la communauté. Lors de mariages, l’île de la future mariée peut être déplacée jusqu’à celle de son futur conjoint. Cette mobilité montre la flexibilité dont fait preuve le système flottant des îles. Dans le cas où les habitants d’une île rencontrent des divergences trop importantes, il est possible de sectionner l’île.⁹⁹

Si les enfants vont tous les jours à l'école, beaucoup s’arrêtent en primaire ou au collège. Leur situation dépend des revenus des parents, dans un pays où l’école est payante à partir du collège.

De façon hebdomadaire, les Uros-Titinos vendent du poisson, des œufs et du canard aux marchés de Puno.1⁰⁰ Ils en profitent pour acheter des provisions pour la semaine comme le quinoa, du riz, de l’huile, du sel et autres.

La communauté Uros-Chulluni représente plus d’une centaine d’îles. Elles sont établies à une dizaine de kilomètres du port de Puno et proche des terres de Chulluni, un district appartenant à la ville de Puno.

Cette proximité a offert des opportunités de travail liées au tourisme bouleversant le mode de vie des Uros. Leur quotidien à l’origine centré sur la pêche est aujourd’hui ponctué par l’afflux de navettes touristiques. Certains ont fait le choix de rapprocher géographiquement leurs îles de ces opportunités, d’autres ont choisi de s’en éloigner. Parmi ceux qui s’en sont éloignés ont formé ou ont rejoint les communautés de Uros-Torani, Uros-Waka-wakani, UrosYachupunko et Uros-Capi.1⁰1

Les îles des Uros-Chulluni se positionnent de part et d’autre d’une avenue centrale, coupée par un chemin à travers les totorales, ce qui distingue une partie nord et une partie sud. Ces deux hémisphères reçoivent chaque jour l’une après l’autre les touristes.

99. Cette situation peut intervenir suite à un divorce et de grand désaccord concerant la gestion de l'île.

100. Les Uros-Titinos participent entre autre chaque dimanche au Mercardo Union de Puno.

101. D'après Juan, le pêcheur de Uros-Titinos

Totorales
200 m Nord
Île flottante

Une partie des membres de la communauté Uros-Chulluni vivent sur la terre ferme, à Chulluni par exemple, et viennent travailler périodiquement sur les îles. Leur travail consiste à expliquer aux touristes en visite sur leurs îles l’histoire du peuple Uros et présenter la réalisation des îles flottantes. Ils espèrent vendre des objets-souvenir en totora ou en laine qu’ils confectionnent.

Il existe deux parcours fréquents pour les navettes touristiques. L’un consiste à visiter une des îles flottantes de Uros-Chulluni, puis à se rendre sur une île appelée capital qui propose un service de restauration, pour enfin retourner à Puno. L’autre parcours se rend sur l’une des îles de Uros-Capi, conduit à l’un des restaurants du village de Llachon et se rend sur les îles naturelles de Amantani et de Taquile.

Pour vendre ces parcours, quelques dizaines d'uros sont engagées par des agences de tourisme vont démarcher les passants sur les quais du port de Puno et les alentours, tandis que d’autres se chargent du transport. Ces travailleurs sont payés à l’heure ou bien à la commission. Le commerce touristique est tenu par des agences souvent extérieures à la communauté Uros.

Une autre partie du commerce réalisé au sein de cette communauté est l’hôtellerie. Des îles entières sont couvertes de bâtiments en bois sur pilotis colorés vitrés. Des tours soutenant les ballons d’eau chaude en hauteur les surplombent. 1⁰2

Pour réaliser ces hôtels, la plupart des uros ont eu recours à des prêts bancaires. Il y a de ça quelques années, les banquiers passaient en bâteaux d’île en île pour proposer des prêts aux membres de la communauté. Cependant, beaucoup d'Uros n’ont pas réussi à rembourser ces prêts et aujourd'hui, les taux d’emprunt chez la communauté uros sont très importants et beaucoup ne leur sont pas accordés. Pour qu’un prêt soit accordé à un particulier, les intentions, pour l’usage de l’argent ou un quelconque projet ne sont pas demandés par les banques. Au Pérou, la solvabilité est étudiée cas par cas, par rapport aux antécédents bancaires des péruviens mais aussi en fonction de l’adresse postale qui pourrait donner des indications sur les revenus et les activités professionnelles

Concernant l’habitat au sein de la communauté Uros-Chulluni, la plupart des îles sont organisées pour recevoir des touristes. Certaines possèdent des bâtiments sur pilotis et ont aménagé des salons de jardins, des terrasses avec des parasols, et même de l’herbe ou des rosiers.

102. Ces aménagements sont réalisés dans le but d'augmenter la pression de l'eau. Cependant cette méthode peu efficace génére des complications lorsque le vent se transforme en tempête.

Despuis l'interieur d'un hôtel Uros-Chulluni

Quelques îles sont abandonnées par ses habitants, qui ont décidé de vivre sur la terre ferme et de se retirer de l’activité professionnelle touristique. Sur ces îles désertes, les utas sont à nu, leurs ossatures sont à découvert, leurs quesaña brûlés par le soleil.

Plus loin, se développent les îles-hôtels. Les chambres d’hôtel s’alignent face à l’avenue pour profiter de la vue sur les eaux du lac. Des chambres moins luxueuses et des espaces communs sont éparpillés derrière ces lignes.

Les bâtiments sur pilotis proposent des chambres d’hôtel avec un design propre à chaque île. Fréquemment, les pilotis sont formés par des troncs de diamètres compris entre 15 et 30 centimètres. Ils sont plantés dans le sol de l’île flottante et des cordes nouent un système de contreventement avec d’autres troncs aux sections plus fines ou équivalentes.

Ces pilotis supportent des ossatures plus lourdes que les utas : les vitrages plus importants compliquent les structures et multiplient les sections de bois sollicités lors de la construction des hôtels.

Dans la communauté Uros-Chulluni, le défi de concilier tradition et compétitivité liée aux services touristiques se reflète dans l'aménagement urbain. Des projets d'hôtels mettent en place de petites initiatives écologiques comme l'installation de toilettes sèches ou à compacteur. Concilier leur activité économique croissante avec la protection de l’écosystème du lac est une préoccupation pour la communauté des Uros-Chulluni. Ils ont conscience des conséquences des modifications de leur milieu sur le rendement et la qualité de la totora, dont ils dépendent. Cependant, les initiatives entreprises par certains membres de la communauté ne sont pas suffisantes pour compenser l’ensemble de la pollution générée par l’activité touristique. En plus de cela, des décorations sous formes de statues, d’arches ainsi que sur les miradors accessoirisent ces îles “para tik-tok”.1⁰3 Les espaces au centre, réservés aux rassemblements et au travail, sont ainsi agencés avec des bancs pour faire asseoir jusqu'à une vingtaine de touristes. Les stands d’artesanía vendent des petits objets représentant leurs cultures. Certaines utas semblent parfois déguisées avec un système constructif qui place la totora et la quesaña à un plan décoratif. Elles sont posées par-dessus, attachées superficiellement.

103. renvoie à prendre soin de mettre en scène des espaces avantageux pour prendre des photos et les publier sur les réseaux sociaux

Ecole primaire Uros-Chulluni

Sur ces îles abandonnées, les utas sont à nu, leurs ossatures est à découvert, leurs quesaña brûlés par le soleil.

Aménagement autour de l’île, la totora autour pour faire des espaces sans vagues et des espaces avec moins de pollution, les fils pour ralentir les bateaux et éviter que les vagues dérangent trop. Les chemins creusé à la main. Autour des îles, il est possible d’aménager des clôtures en totora pour réduire l’impact des vagues des bateaux sur les flancs de l’île. Aussi ces délimitations en totora sont utilisées pour filtrer l’eau.

Là où il y a beaucoup de passages, des fils peuvent être tendus sur la surface de l’eau, à l’aide de flotteurs et d’ancres. Ce dispositif contraint les bateaux à couper le contact et à lever le moteur pour ne pas l’emmêler dans le fil, les obligeant à ralentir. Ce dispositif est mis en place car les îles qui sont exposées au passage fréquent des bateaux sont soumises à d’importantes ondulations qui peuvent précipiter la dégradation de leurs îles.

Des aménagements collectifs plus importants ont été réalisés pour faciliter le quotidien des Uros. C’est le cas de la construction du port de Kalapaja, un port de la communauté Uros-Chulluni, qui leur évite de payer les taxes imposées par le port municipal de la ville de Puno. La baisse du niveau du lac a compliqué l’aménagement du port : pendant plus d’un an, les habitants ont retiré des mètres cubes de sédiments afin de réaliser des canaux dans lesquels peuvent à nouveau passer les bateaux.

Le millieu de Uros-Chulluni est plus exposé à la pollution que les autres communautés lacustres. Les oiseaux qui s’établissent près des îles établissent leurs nids à l’arrière des îles, où il n’y a moins de passage de bateaux et évitent ainsi les vagues provoqués par la navigation. Les poissons sont moins nombreux au plus proches des zones urbaines de la baie de Puno. Hormis la totora, certaines plantes décoratives poussent sur les îles hôtelières, notamment de l’herbe grasse et des rosiers. Pour faire pousser ces plantes, ajouter de la terre sur le sol de l’île suffit à le rendre fertile.

L’expression aymara “aujourd’hui toi, demain moi” “Jichhüru juma, qharüru naya”1⁰⁴ exprime la solidarité et le partage au sein de la communauté ainsi que la reconnaissance envers la nature. Aujourd’hui, ce proverbe a laissé place à des relations capitalistes.

103. D'après l'entretien avec la participante à l'étude, Maria. 104. Traduction éffectuée avec l'aide d'un moteur de recherche en ligne.

PiLOTis En EuCalyptus d'unE lOdgE

Île dOnt l'AcTivITé PRinCIpale EsT le tOuRisMe. cERtAins tOits ET quEsADiLlAs sOnt vernis POuR qu'iLs durenT PLusieuRs mOis supPlémentAIres

PrésentATiOn de l'île à un gRouPe de tOuRisTes

Acheminement de totora Uros-Chulluni

Les élans de solidarité sont peu à peu remplacés par des services spécialisés monnayé : l’aide pour déplacer une île était un service communautaire autrefois et se paie désormais.1⁰⁵

Les Uros-Chullunis, participent à la modification de l'espace en réalisant des canaux navigables à travers les totorales. Selon le niveau de l'eau et les modifications du paysage, des aménagements sont nécessaires pour passer ou pour naviguer, notamment des muelles ou des passages entre les totorales

Les festivités comme les mariages rassemblent de moins en moins de personnes, pour éviter aux habitants de perdre un jour de travail.

Les espaces publics et infrastructures collectives des îles flottantes varient d'une communauté à l'autre. La communauté Uros-Chulluni est dotée d'infrastructures populaires telles qu’une école primaire, une église, une salle de réunion, un terrain de jeu, un espace-atelier pour réparer les balsas et un comedor social, soit une cantine solidaire.1⁰⁶

Les membres de la communauté de Uros-Chulluni, ont une relation très étroite avec la ville de Puno. En plus des trajets quotidiens lors des périodes scolaires pour amener les enfants jusqu’au port de Kalapaja, beaucoup travaillent en ville ou bien avec la ville.

Certains vivent sur la terre ferme tout en maintenant une activité économique journalière sur les îles flottantes. Parmi eux, des Uros ont eu accès à des logements à Puno et on choisi de vivre en ville.

Des péruviens ont vu dans les îles une opportunité économique et ont acheté des terrains flottants pour y construire des hôtels ou des restaurants destinés aux touristes.

chimu

Chimu est un hameau côtier. La plupart de ses habitants participent à la fabrication et au commerce de quesañas. Leur marché est principalement local, mais ils exportent occasionnellement leurs quesaña en Bolivie et jusqu'à Cusco.1⁰⁵Le maniement de la totora est l’activité principale du village et fait partie de son identité. Ils affirment qu’ils tressent la totora, bien avant que les îles n’existent. Selon eux, durant le règne Inca, quelques habitants de la côte

105. D'après les entretiens réalisés avec le balsero Nelson et son épouse Dora.

106. Le comedor social est un espace associatif pour répartir de la nourriture ou des plats préparés. Il fournit des repas trois fois par semaine.

Totorales
200 m Nord
Île flottante

océanique péruvienne ont été déportés dans le village de Chucuito, proche de celui de Chimu. Ces déportés se sont installés derrière les collines alentour et ont apporté le savoir-faire de la balsa et du maniement de la totora sur leurs rives.1⁰⁷

La fabrication de quesaña sollicite une attention particulière quant à la récolte des ressources de totora, son séchage et sa conservation. Ce savoir-faire général sur les propriétés et le maniement de la totora, ont permis aux membres de la comunauté Chimu d’aller au-delà des limites de leurs pratiques et de construire une île. Ils y sont parvenus en observant les techniques constructives des Uros. Il y a un peu plus d’une décennie, les habitants de Chimu ont décidé de construire une île flottante sur laquelle générer une activité touristique pour mettre en avant leur artisanat et profiter économiquement de cette opportunité.1⁰⁷

Les agences de tourisme qui travaillent avec la communauté Chimu sont internationales. Elles la préviennent quelques semaines à l’avance lorsqu’ils organisent des excursions jusqu’à ses îles. Ce sont ces agences qui sont venues la démarcher. Cette communauté met en avant son désir de montrer un tourisme responsable sans utiliser de matières plastiques polluantes et en respectant l’utilisation et le renouvellement des ressources.

Les propriétaires des îles de la communauté Chimu, les utilisent aussi pour pêcher, s’aérer, comme une île de vacances sur laquelle ils vont pour s’éloigner du tumulte de la route et des commérages du village. Ils vont parfois y travailler leur soga et leur quesañas. Ces îles sont des espaces qui offrent du calme et de l’intimité à ceux qui ont choisi de les habiter et de les entretenir.

Des constructions sommaires sont éparpillées sur l’île Chimu. Leurs constructions servent à des lieux de stockage de leur matériel et à montrer aux touristes ce qui peut être réalisé avec une ossature en bois et des quesañas comme des utas, des pergolas et des parasols.

La faune et la flore des îles Chimu sont équivalentes à celles présentes chez des Uros, puisque les milieux sont rapprochés et que la construction de l'île est similaire. Mais sur la terre ferme, la communauté profite de terrains sur lesquels elle peut faire pousser en pleine terre différentes variétés de plantes comestibles comme le quinoa ou les pommes de terres. Ils peuvent aussi s’adonner à l’élevage de moutons et de cochons, et les faire pâturer sur les rives ainsi que dans les totorales

107. D'aprés l'entretien réalisé avec Enrique de la comunauté Chimu.

REtOurnER lA tOTORA lOrs du PRocEssus de séChagE

MuelLE fAMilIaL
Village de Chucuito

Extrait de "Altiplano : Fragments d’une révolution (Bolivie 1999-2019) " écrit Poupeau Franck en 2021.

“Lorsque tout autour de soi semble à bout de souffle, les horizons lointains de l’Altiplano offrent encore des lignes de fuite, indéfinies et incertaines, mais qui entrouvrent les promesses d’autres devenirs. C’est en parcourant les routes caillouteuses qui s’élèvent vers les hauts plateaux, vers les cimes blanches et brûlées des cordillères alentour, que surgit parfois l’impression, fugace, de pouvoir échapper à la crise, multiforme et accélérée, des modes d’existence contemporains. Au détour d’un virage, on tombe sur des troupeaux de lamas, hautains et méfiants. Et, s’ils se dérobent à tout contact, le regard peut quand même suivre leur course silencieuse, qui se perd dans les réverbérations du soleil sur les pentes de la cordillère Royale. « Tout ce qu’on apprend d’eux est en leur faveur, notait déjà Paul Morand ; le lama réclame un sol maigre, une herbe pauvre, un air rare ; dans les paysages gras, les terrains bas, il meurt. Les privations sont sa joie : c’est un mystique que la richesse tue ; c’est le seul être vraiment heureux à ces hautes altitudes 1 ." p.7

"Les lignes de fuite de l’Altiplano sont loin d’être faciles à suivre. Au début, on ne voit que le vide ; mais, une fois passé les frontières invisibles d’une organisation collective dont on ne saisit souvent que le pittoresque, on accède aux excroissances d’une vie sociale tout entière orientée, entre exode rural et exils urbains, vers des périphéries qui offrent l’espoir de s’approprier, sans eau ni électricité, un bout de terrain à soi. L’activité débordante et chaotique d’une économie familiale qui prolifère dans les plis d’un capitalisme dérégulé s’articule à l’organisation des comités de quartier, où la discipline collective pallie l’absence d’État. Dans les mondes ruraux et les périphéries urbaines, où la survie quotidienne est liée à des formes d’autogouvernement qui ne se réduisent pas à la sphère économique, cette prolifération de communautés reste cependant la première source de fascination – et de motivation de l’enquête.“ p.8

1. Paul Morand, Air indien, Paris, Grasset (1932), 1988, p. 110111

Poupeau Franck, Altiplano : Fragments d’une révolution (Bolivie 1999-2019), Raisons d’agir., s.l., (coll. « Cours et travaux »), 2021, 644 p.

Chimu

cOncLusiOn

Les communautés Uros et Chimu tirent parti de techniques ancestrales, telles que la construction d’îles flottantes, l’utilisation de quesañas et de balsas pour habiter le lac Titicaca et répondre à leurs besoins fondamentaux. Le regard porté sur cet habitat révèle un mode de vie enraciné dans des interactions écosystémiques. Toute la population a fait le choix d’entretenir un habitat indissociable de son milieu : la vitalité de la totora sur l’île la maintient à flot, les quesañas sur les utas répertorient l’état de la totora, le sol de l'île ondule avec le lac.

Il y a plusieurs siècles, les Uros et d’autres peuples vivants dans les totorales ont eu besoin de l’insularité pour concilier leur mode de vie de chasseurcueilleur avec des contextes politiques autoritaires établis sur la terre ferme. La technique a fédéré cette communauté en marge des sociétés dominantes. Ces savoir-faire centenaires perdurent et prouvent leur utilité dans leurs applications contemporaines.

L’observation de ces techniques permet de répertorier les méthodes d’assemblage liées à la totora. Parmi ces méthodes, il y a le tressage qui maintient les tiges de la totora ensemble pour prendre soin de ne pas l’abîmer et perdre ses qualités mécaniques, isolantes et étanches, l’enroulement de deux parties de part et d’autre d’un “cœur” pour les unir, et l’alternance et l’équilibre des couches pour stabiliser une plateforme. Les méthodes de réalisation des îles flottantes incluent le processus de décomposition de la totora et le potentiel de ses racines vivantes pour maintenir la plateforme.

Les procédés incluant la totora sollicitent un entretien constant qui maintient l’attention et le soin porté à l’habitat et perpétue les connaissances liées à ce dernier. Les habiletés collectives, nécessaires pour manipuler la totora, dépassent la simple exploitation d’un territoire et d’un matériau considéré comme inerte. La totora est utilisée dans la conception de l’habitat comme une matière vivante. Une relation avec cette ressource est projetée, consciemment ou inconsciemment, en intégrant dans le processus de fabrication sa croissance, sa décomposition et son renouvellement.

Toutefois, cet équilibre entre prélèvement et régénération des ressources de totora a été rompu par une mauvaise gestion des récoltes de cette dernière ainsi

Uros-Chulluni

que par des évènements extérieurs au lac comme la pollution qui y est déversée et les dérèglements climatiques.

Habiter le territoire collectivement est induit lors de la réalisation et de l’entretien de l’île flottante. Des relations sociales interconnectées avec l’environnement reposent sur des arguments immuables et constants, dépassant les intérêts humains et individuels. Le culte voué à la Pachamama, la “Terremère”, priorise la coexistence écosystémique dans un monde vivant composé de cycles naturels entrelacés dans lesquels la société humaine s’insère. Ces connexions directes les confrontent aux bouleversements climatiques. Leur mode de vie doit s’adapter lorsque la totora s’affaiblit, la végétation aquatique se gorge de noirceur, les petites crevettes se font rares, certaines espèces de poissons ont disparu, certains oiseaux ne migrent plus jusqu’au lac Titicaca, d’autres oiseaux ne pondent plus, les nuages de pluie passent sans déverser une goutte, le vent souffle dans des directions imprévisibles.

Tous ces changements se traduisent par des conséquences comme celles d’aller chercher de la totora à maturation dans des zones toujours plus reculées, de doubler le temps passé à renouveler le sol de leur île, de renoncer à la pêche et à la collecte d’œufs, de ne pas savoir quand planter les graines en évitant la sécheresse ou les pluies torrentielles, de ne plus pouvoir boire l’eau du lac sans risquer de tomber malade.

La Pachamama est affaiblie et les communautés lacustres s’orientent vers des alternatives capitalistes pour s’émanciper de leur environnement devenu incertain. Connectées au monde par des besoins vitaux et d’autres plus complexes, de plus en plus de sociétés sont dépendantes de flux mondiaux, matériels comme immatériels.

Lorsque ces connexions se font par des biais immatériels tels que des récits, des images, des lois, des frontières, nous évoluons dans un monde fragmenté et ponctué dans lequel la perception matérielle passe après des considérations symboliques.

Les flux immatériels, concernant les limites et la valeur de nos espaces, sont en expansion constante et nous détachent des réalités écosystémiques de notre environnement. Leur rapidité croissante altère notre perception du monde, nous empêchant de saisir pleinement les détails et les subtilités de notre milieu. Cette accélération nous prive de notre capacité intuitive et collective à perpétuer et à adapter des techniques élaborées au fil des générations.

Chimu

Les évolutions de notre habitat tendent à nous isoler de plus en plus de notre milieu, du contact avec son sol, le vent, la lumière, la faune et la flore. Davantage de sociétés se bâtissent avec des matériaux importés selon des stratégies pensées en d’autres lieux.

Bien que l’utilisation de matériaux préfabriqués facilite la rationalité et l'alignement dans la conception d’un espace, elles s'émancipent d'un milieu marqué par des irrégularités et des particularités dans lesquelles ils s’inscrivent. Les procédés constructifs uniformisés diminuent les possibilités d’action qu’un individu peut avoir sur son propre habitat et dissipent l’attention et compréhension d’un “génie du lieu”.1⁰⁸

L’autonomie s’est éteinte au profit de la croissance.

L'exemple des peuples Uros et Chimu, qui s’efforcent de perpétuer certains aspects d’un habitat résilient face aux obstacles environnementaux et à l'épuisement de leurs ressources, illustre la détresse de la Pachamama. Cela met en lumière l’urgence de repenser nos espaces, nos pratiques et nos valeurs dans un monde en proie à une pollution croissante et à des bouleversements climatiques rapides, auxquels la nature ne peut s’adapter suffisamment.

Sur les rives du lac Titicaca aujourd’hui, accéder à des maisons faites de “matériaux nobles”, dit material noble, comme le béton, la brique alvéolée, les menuiseries en métal, contribuent à nous éloigner des réalités matérielles du milieu habité. Un habitat réalisé avec des matériaux “en dur” est considéré comme une démonstration d’ascension sociale, un symbole de réussite.

Les personnes qui vivaient dans des putucos décrivent les expériences réconfortantes telles être assoupies et constater qu’il pleut depuis plusieurs heures, s’assoir à l’entrée, n’entendre, ni sentir la pluie en observant les couleurs du paysage changer avec les nuages. Aujourd’hui ces personnes qui vivent dans des maisons de material noble, rapportent l’inconvénient du froid, de la rigidité du sol et des douleurs articulaires provoquées par l’humidité, mais sont toutefois fières de leurs maisons à deux étages et apprécient à proximité de la route.

Ceux qui vivaient dans les maisons en adobe aux toits de totora racontent la chaleur et la fraîcheur réconfortante, le silence apaisant, l'air sain. Ils comparent les réveils reposés, animés par la vie des oiseaux, vécus dans les maisons en adobe avec les nuits glaciales, passées dans les maisons aux toits en tôle, durant lesquels le fracas de la grêles est incessant. En revanche, ils apprécient de ne pas avoir à se préoccuper de l’état des murs et de possibles besoins de restauration,

108. Heidegger, Martin. (1951). "Bâtir, habiter, penser" (Bauen Wohnen Denken). In Essais et conférences. Traduit par André Préau. Paris: Gallimard, 1958.

Vue sur une partie de la ville de Puno, un eucalyptus en premier plan

surtout maintenant qu’ils sont âgés.

Ceux qui vivent sur les îles racontent la joie de naviguer sur sa petite balsa, d’aller explorer les totorales labyrinthiques aux parois immenses, occultant tout le reste et d’apercevoir des nids abritant plusieurs dizaines d'œufs. L’amusement de siffler les canards qui se précipitent par douzaines. L’enthousiasme de sentir le vent se lever et de se diriger aussitôt vers l’intérieur du lac pour intercepter les bancs d’innombrables pejerrey1⁰⁹ emportés par les courants. Mais ils apprécient également les moments de repos sur leur matelas, à l'abri du vent, écoutant la radio.

Un dilemme entre s'intégrer au rouage mondial ou rester en marge, entretenir les traditions ou adopter une vie qui semble plus aisée est une illusion dans laquelle les charges mentales et matérielles ne sont pas intégrées, tout comme des pollutions visuelles, sonores, olfactives et chimiques.

Concevoir un espace en aspirant à son immuabilité face aux saisons, aux variations et au temps qui passe est une idée largement répandue dans les sociétés industrialisées, caractéristique d'un habitat perçu comme fini et figé. Toutefois, la résilience des habitats flottants établit leur pérennité par un entretien constant et la régénération naturelle constante et active des plateformes et de leurs aménagements.

En effet, les îles flottantes, par l'entretien qu'elles nécessitent, démontrent une capacité unique de mutation, offrant la perspective d’une alternative à la durabilité et la permanence dans la conception architecturale.

Adopter une approche basée sur la connaissance des matériaux utilisés apporterait une attention accrue à notre environnement immédiat, recentrant ainsi la conscience de notre habitat et notre interaction avec lui.

Cet habitat rassemble des conditions matérielles spécifiques comme la totora ou la tourbe.

Répandue dans toute l’Amérique et sur plusieurs îles du Pacifique, cette plante singulière présente une anatomie similaire à d’autres joncs présents dans les marécages du monde entier et les techniques de manipulation de la totora pourraient s’y adapter.

En plus d’être dépolluante, la totora possède des propriétés mécaniques, isolantes et étanches, avec un rendement pouvant atteindre plusieurs tonnes par dizaine de m² tous les six mois dans des conditions favorables. Les méthodes

Île de Chimu

traditionnelles trouvent leur pertinence dans le contexte contemporain des défis environnementaux, en particulier en ce qui concerne l'épuisement des ressources. Leur valeur et leur potentiel en termes de soutenabilité et d'adaptabilité sont indéniables, offrant ainsi des pistes précieuses pour une approche plus durable de la construction et de l'aménagement des habitats.

Il est intéressant d'envisager une conservation active des techniques de manipulation de la totora et d’autres fibres, en soutenant et accompagnant les communautés concernées dans cette démarche. Plutôt que d'imposer des directives ou des orientations, cette approche permettrait de concilier les aspirations des habitants avec les impératifs de leur époque, tout en préservant la richesse et la diversité des modes de vie traditionnels. Figer et sanctuariser une technique pourrait la rendre obsolète ou contraignante du fait qu’elle s'établit dans un environnement changeant.

Pour intégrer ces techniques dans une évolution inévitable et nécessaire, il est important que les communautés concernées participent aux instances décisionnelles au sujet.

L'archipel flottant du Lac Titicaca s’insère dans l’écosystème de son milieu. Ces îles organiques sont un témoin direct de bouleversements sociaux et environnementaux qui se matérialisent dans leur forme et s'expriment au travers de techniques employées dans la confection de cet habitat en constante évolution. Afin de perpétuer cet habitat et cette culture constructive, il faut permettre à sa population d’avoir l’opportunité écologique et économique d'être décisionnaire de son destin.

Ce travail ouvre des perspectives d’exploration concernant l'utilisation des techniques de tressage de la totora et du système flottant des îles dans d'autres interventions architecturales. Identifier les fondements de ces techniques permet le développement d’autres procédés de réalisation qui serviraient à une application innovante qui allient l'utilisation de la totora avec des exigences contemporaines. Comparer la structure anatomique de la totora à d’autres plantes similaires permettrait d’élargir l’utilisation des techniques de tressage répertoriées d'autres joncs. De façon analogue, la suite de ces recherches pourrait également s'étendre à l'étude de procédés constructifs ancestraux et locaux liés aux fibres naturels, afin de regrouper des méthodes artisanales isolées. Cela permettrait de partager des connaissances parfois fragiles et d’encourager leurs utilisations dans des projets architecturaux.

glossAiRe

Ancestral : Ce qui est issu d’une transmission entre plusieurs générations.

Artesanía : objets réalisés en totora par des techniques avec lesquelles la totora est manipulée brin par brin.

Autochtones : une entité, qu'il s'agisse d'une personne, d'une plante ou d'une pratique, qui trouve son origine dans le milieu où elle s'est établie. Le terme « autochtone » provient du grec autokhthôn, signifiant « issu du sol même » ou « indigène », composé de autos (« même ») et khthôn (« terre »). 11⁰

Balsa : barque en totora

Balsero : personne connaissant les techniques traditionnelles utilisées pour fabriquer des balsas en totora. Le balsero est désigné ainsi au moment où il participe à la réalisation et à l'entretien de ces embarcations.

Caserita, casera, casero : traduit littéralement par “petite femme de maison”, ‘femme de maison” ou “homme de maison”, appellation qui désigne ou interpelle une femme prenant soin de son foyer et s’étend à prendre soin de son commerce. Intervient dans les contextes d’interactions sociales marchandes comme sur un marché, dans un restaurant et dans un hôtel.

Champas : bloc racinaire extrait à même le sol d’une herbe native de l’Altiplano.111

Ichu : herbe haute qui pousse à partir de 4 000 mètre d'altitude. 112

Indigène : une entité qui est originaire du pays ou de la région où elle vit. Le mot « indigène » vient du latin indigena, qui a le même sens. Il désigne tout ce qui est natif d'un lieu particulier, qu'il s'agisse de personnes, de plantes ou de pratiques. Il est synonyme d'« autochtone » ou d'« aborigène ». 11⁰

110. ‘Autochtone’, 'Indigène', Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012

111. Marussi Ferruccio, Arquitectura vernacular. Los putucos de Puno,Universidad Ricardo Palma, Lima, 1999, 141 p.

112. D'après les entretients réalisé avec la comunauté Chimu;

Kot’suns : désigne un des premiers peuples andin qui s’est établi proche des lacs et des rivières de l’Altiplano. Dans leurs propres dialectes, kot’suns signifie “peuple du lac”. 113

Lodge : constructions destinées à des chambres d’hôtel.

Nylon : ficelle en nylon

Popa : extrémité d’une section de totora correspondant à sa partie plus proche de ses rhizomes.

Punta : extrémité d’une section de totora correspondant à sa pointe où peuvent se situer les fleurs.

Putucos : constructions coniques à base rectangulaire réalisées à partir de champas, pouvant comprendre des huttes, des étables et des fours.

Quesaña : objet ou matériaux en totora d’une certaine épaisseur résultant de techniques de tissage spéciales.

Savoir-faire : ensemble de connaissances techniques, de compétences et expériences sollicités lors de la matérialisation d’un concept.

Tourbe : La tourbe se constitue au fil des siècles par l'accumulation de matière organique en décomposition, principalement des végétaux, dans un environnement constamment saturé en eau, donnant naissance à une matière organique fossile.

Totora : plante de la famille des cypéracées, précisément Scirpe S.Californicus. Prospère dans les lagunes, marécages et étangs dans les régions adjacentes au pacifique.

Uros : ethnie vivant dans les totorales marécageux des lagunes de Titicaca et de Poopo. Cette appellation était à l’origine utilisée par les populations aimara, queshua, inca puis espagnol pour désigner les kot’suns discriminés et poussés à vivre au plus près du lac. (Vellard) Aujourd'hui cette connotation n’est plus péjorative. 11⁴

113. Barrionuevo Alfonsina, « Los Uros. Fundadores del Mundo », 1981, n° 76, (coll. « Humboldt »), p. 70-71.

114. Vellard Jean, « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

AnnexE

image à gauche : Marocco René, Géologie des Andes péruviennes : un segment E-W de la chaîne des Andes péruviennes : la déflexion d’Abancay, étude géologique de la Cordillère orientale et des hauts plateaux entre Cuzco et San Miguel, Sud du Pérou (12°30’ S à 14°00 S), O. R.S.T.O.M., Paris, (coll. « Travaux et Documents de l’ORSTOM »), 1978, 199 p. image à droite : Wachtel Nathan, « Hommes d’eau : le problème uru (XVIe-XVIle siècle) », 1978, (coll. « Annales. Economies, sociétés, civilisations. »), p. pp.1127-1159.

Wachtel Nathan, « Hommes d’eau : le problème uru (XVIe-XVIle siècle) », 1978, (coll. « Annales. Economies, sociétés, civilisations. »), p. pp.11271159.

en haut. Figure représentant la légende du dieu Naylamp arrivant sur la côte péruvienne sur un cabailito de totora. (source de l'image inconu) en bas. "Vasija chimú caballito de totora" , daté entre 1100 et 1400, exposé au musée des Amériques à Madrid. double page suivante. Marussi Ferruccio, Arquitectura vernacular. Los putucos de Puno,Universidad Ricardo Palma, Lima, 1999, 141 p.

Eugenius Warming (November 3, 1841 - April 2, 1924), "Om Skudbygning, Overvintring og Foryngelse", License: PD Old
Andritzky Walter, « Barcas Incas de los dioses. Las balsas del lago Titicaca », 1990, n°101, (coll. « Humboldt »), p. 56-59.

« Aérenchyme Jonc ». Mikroscopia, 2014

2002, Maxar Technologie
2005, Maxar Technologie
2009, Maxar Technologie
2014, Maxar Technologie

BibLIOGRAPhie

Aït-Touati Frédérique, Arènes Alexandra et Grégoire Axelle, Terra Forma. Manuel de cartographies potentielles, Montreuil, Éditions B42, 2023, 192 p.

Andritzky Walter, « Barcas Incas de los dioses. Las balsas del lago Titicaca », 1990, no 101, (coll. « Humboldt »), p. 56-59.

Anne Banack Sandra, Rondon Xanic et Diaz-Huamanchumo Wilfredo, « Indigenous Cultivation and Conservation of Totora (Schoenoplectus californicus, Cyperaceae) in Peru », The New York Botanical Garden Press, 2004, (coll. « Economic Botany »), p. 11-20.

Auccacusi Kañahuire Monica Elizabeth, Análisis de la Técnica Ancestral del Tejido de la Totora como Patrimonio Cultural: Caso Isla Balsero Chimú,Facultad de Ciencias de la Comunicación, Turismo y Psicología Escuela Profesional de Turismo y Hotelería, Lima, 2020, 186 p.

Aza Medina Leyda Cinthia, La Totora como Material de Aislamiento Térmico. propriedades y potencialidades.,Escuela Tecnica Superior de Arquitectura de Barcelona, Barcelone, 2015, 97 p.

Baker Nicolas, « Chasseurs de mercure de l’Altiplano ». CNRS Images, 2015, 8 min. https://images.cnrs.fr/video/4673.

Balfet Hélène, « Observer l’action technique. Des chaînes opératoires, pour quoi faire ? », Gallica, 1991, (coll. « CNRS »), p. 191.

Baltich Donovan, Engineering a way to conserve the culture of Peru’s Uros Islands, 2015. https://universe.byu.edu/narratives/engineering-a-way-to-conserve-the-culture-of-perus-urosislands/

Bandelier Adolph Francis Alphonse, The islands of Titicaca and Koati, New-York, Hispanic Society of America (coll. « Internet Archive »), 1910, 729 p. Barrionuevo Alfonsina, « Los Uros. Fundadores del Mundo », 1981, no 76, (coll. « Humboldt »), p. 70-71.

Bautista Dulce María, « Los Uros. Apuntes para un estudio del comportamiento gestual y espacial de los indígenas aymara del lago Titicaca », Asociación Colombiana de Psiquiatría, 2021, (coll. « Revista Colombiana de Psiquiatría »), p. 101-117.

Blanco Luis Flores, Tantaleán Henry, Aldenderfer Mark et Craig, Indice / Prologo / Introducción / Las qochas y su relación con sitio tempranos en el valle del Ramis, cuenca norte del Titicaca, 2012. https://www.researchgate.net/publication/283118466_Indice_Prologo_Introduccion_Las_qochas_y_ su_relacion_con_sitio_tempranos_en_el_valle_del_Ramis_cuenca_norte_del_Titicaca

Bonilla Heraclio, « El problema nacional y colonial del perú en el contexto de la Guerra del Pacífico. », Instituto de Desarrollo Económico Y Social, 1980, vol. 20, no 77, (coll. « Desarrollo Económico »), p. 49-70.

Bontemps Sophie, « Bolivie : les orphelins du lac Poopó », ARTE Reportage, 2023, 25 min. https://www.arte.tv/fr/videos/114992-000-A/bolivie-les-orphelins-du-lac-poopo/

Bouysse-Cassagne Thérèse, « Le Lac Titicaca. Histoire perdue d’une mer intérieur », Persée, 1992, (coll. « Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines »), p. 89-159.

Bril Blandine, « Comment aborder la question du geste technique pour en comprendre l’expertise et l’apprentissage ? », Technographies, 2019 p. 78-91.

Buod Baptiste, Chevallier Denis et P. Gosselain Olivier, Technographies, Paris, Éditions de l’EHESS, 2019, 224 p.

Cárdenas Vignes María Verónica, « La ciudad flotante. Análisis morfológico y arquitectónico de Los Uros, Puno. », Taller de Ivestigacion desarrollado en el Taller de Ivestigacion en Urbanismo de la FAUPUCP, 2013, 2013 p.

Cerrón Palomino Rodolfo, Las lenguas de los incas: el puquina, el aimara y el quechua, Peter Lang GmbH, Internationaler Verlag der Wissenschaften., s.l., 2013.

César Aguirre, Chicana Julio et Merma Marco, « Estimación de la velocidad del agua en la Bahía Interior de Puno en el Lago Titicaca, mediante simulación numérica », Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Universidad Nacional del Callao, 2020, p. 9.

Chaparro Amanda, « A la frontière entre le Pérou et la Bolivie, le lac Titicaca en proie à une sécheresse historique », Le Monde, 2023, p. 13.

Charaf Peter, Lake Titicaca and its floating islands, the Uros Islands, as witnessed by Peter Charaf, our photographer - Account., , 2018.

Cook Noble David, Tasa de la visita general de Franscisco de Toledo, Universidad Nacional Mayor de San Marcos., Lima, 1975, 386 p.

Dollfus Olivier, Taltasse P. et Tricart Jean, « Etude des formations alluviales et lacustres de la région d’Ilave (Département de Puno,Pérou) », Persée, 1966, (coll. « Bulletin de l’Association française pour l’étude du quaternaire »), p. 152-162.

Dominguez Thomas, « ABCs of Making Adobe Bricks », College of Agricultural, Consumer and Environmental Sciences, New Mexico State University, 2011, p. 4.

Dreyer Carlos, Atardecer, s.l., 1930.

Escobar Mamani Fortunato, Manejo sustentable de recursos naturales de la reserva nacional de Titicaca: el caso Jatun Isla de sector Ramis y la Isla Flotante de los Uros de sector Puno,Études Ethniques, Siège de FLACSO Equateur, Quito, 2004, 234 p. Fabre Alain, « Uru-Chipaya » dans Diccionario etnolingüístico y guía bibliográfica de los pueblos indígenas sudamericanos, s.l., 2011, p. 8.

Genovés Santiago, « En marge des expéditions Ra : la construction d’un radeau de papyrus », Persée, 1969, (coll. « Journal de la société des américanistes »), p. 285-292.

Gravel Pauline, L’humain serait en Amérique depuis 130 000 ans, 2017. https://www.ledevoir.com/societe/science/497279/les-etres-humains-auraient-cotoye-lesmammouths-il-y-a-130-000-ans

Gutiérrez Grecia, Arquitectura Vernacula. Puno, Trujillo, Universidad Nacional de Trujillo, 2022, 16 p.

Gutierrez Tito Edwin R., Jueves, 13 de mayo de 2010, 2010. https://reserva-nacional-titicaca.blogspot.com/

Heiser Charles, « The Totora (Scirpus Californicus) in Ecuador and Peru », Economic Botany, 1 juillet 1978, vol. 32, no 3, p. 222-236.

Hidalgo-Cordero Juan Fernando, Aprovechamiento de la Totora como Material de Construcción,Universidad de Cuenca Facultad de Arquitectura, Cuenca, 2007, 168 p.

Hidalgo-Cordero Juan Fernando et García-Navarro Justo, « Review on the Traditional Uses and Potential of Totora (Schoenoplectus Californicus) as Construction Material », Research Gate, 2017, (coll. « IOP Conference Series. Materials Science and Engineering »), p. 8.

Holmgren David, Comment s’orienter ? Scénarios d’avenir face au désastre écologique, Marot Sébastien, Marseille, Wildproject, 2023, 250 p.

Juge Alicia, Habiter sur l’eau dans les marais de Mésopotamie, 2023. https://www.klima.ong/habiter-sur-leau-dans-les-marais-de-mesopotamie/

Kent Michael, « The importance of being Uros: Indigenous identity politics in the genomic age. », Sage Publications, 2013, vol. 43, no 4, (coll. « Special Issue: Indigenous Body Parts and Postcolonial Technoscience »), p. 23.

Kesseli Risto et Pärssinen Martti, « Identidad étnica y muerte: torres funerarias (chullpas) como símbolos de poder étnico en el altiplano boliviano de Pakasa (1250-1600 d. C.) », Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines, 2005, vol. 34, no 3, p. 379-410.

Lacroix Alexandre, Au cœur de la nature blessée - Apprendre à voir les paysages du XXIe siècle, Paris, Allary, 2022, 234 p.

Latouche Serge, « Une société de décroissance est-elle souhaitable ? », Persée, 2015, (coll. « Revue Juridique de l’Environnement »), p. 208-210.

Loayza Grisi Alejandro, « Utama. La Terre Oubliée », 2022, 82 min.

Lorenzo José-Luis, « La première colonisation du nouveau monde », Persée, 1994, (coll. « Bulletin de la Société préhistorique française »), p. 342-348.

Mardorf Maria Cristina, « Artesanía y ecología de la totora (Scirpus sp.) en la provincia de Imbabura, Ecuador. », 1985 p. 78.

Marocco René, Géologie des Andes péruviennes : un segment E-W de la chaîne des Andes péruviennes : la déflexion d’Abancay, étude géologique de la Cordillère orientale et des hauts plateaux entre Cuzco et San Miguel, Sud du Pérou (12°30’ S à 14°00 S), O. R.S.T.O.M., Paris, (coll. « Travaux et Documents de l’ORSTOM »), 1978, 199 p.

Marussi Ferruccio, Arquitectura vernacular. Los putucos de Puno,Universidad Ricardo Palma, Lima, 1999, 141 p.

Mello Mourao Gérardo, Iommi Marini Godofredo, Cruz Covarrubias Alberto, Cruz Fabio, Deguy Michel, Simons Edison, Boulting Jonathan, Tronquoy Henri, Fédier François, Pérez Román Jorge, Girola Claudio et Eyquem Miguel, Amereida, Editorial Cooperativa Lambda, Colección Poesía., Santiago, 1a, 1967, 189 p.

Mey Soják, Schoenoplectus californicus, s.l., 1972.

Moraga Nelson, Las Islas Flotantes de los Uros en el Lago Titicaca. Ciudad de aguas, 2013. https://wiki.ead.pucv.cl/Las_Islas_Flotantes_de_los_Uros_en_el_Lago_Titicaca;_ciudad_de_aguas

Nunnery Andrew, Fritz Sherilyn, Baker Paul et Salenbien Wout, « Lake-level variability in Salar de Coipasa, Bolivia during the past 40,000 yr », Quaternary Research, 2018, (coll. « Cambridge Core »), p. 11.

Pichon Jean et Pichon Annie, Pérou, d’histoire et de traditions, Anako., s.l., (coll. « Mémoires de l’humanité »), 2003, 176 p.

Pino Jodan Ana Maria et Choque Parra Guido, « Casa del Corregidor », Oficina Unioversitaria de Proyeccion Social, 2003, p. 92.

Pocheville Arnaud, La niche écologique : concepts, modèles, applications, École Normale Supérieure de Paris, Évolution [q-bio.PE], 2010, 165 p.

Poupeau Franck, Altiplano : Fragments d’une révolution (Bolivie 1999-2019), Raisons d’agir., s.l., (coll. « Cours et travaux »), 2021, 644 p.

Ramírez Herrera Gonzalo, Sobre el ama quella, ama llulla y ama suwa : un código moral que no es incaico, 2023.

https://www.researchgate.net/publication/283118466_Indice_Prologo_Introduccion_Las_qochas_y_ su_relacion_con_sitio_tempranos_en_el_valle_del_Ramis_cuenca_norte_del_Titicaca , 2023.

Reyes Jaime, La Sala de Música de la Ciudad Abierta se afina con muros móviles. La totora como material acústico, 2020. https://wiki.ead.pucv.cl/Jaime_Reyes_EAD_361201_Tarea_1

Rogalski Michel, « De la décroissance à l’effondrement », Persée, 2021, (coll. « Recherches Internationales »), p. 59-62.

Sandoval Jose´ Raul, Lacerda Daniela, Jota Marilza, Salazar-Granara Alberto, Vieira Pedro Paulo, Acosta Oscar, Cuellar Cinthia, Revollo Susana, Fujita Ricardo et Santos Fabrício, « The Genetic History of Indigenous Populations of the Peruvian and Bolivian Altiplano. The Legacy of the Uros », Plos one, 2013, (coll. « The Genographic Project Consortium »), p. 11.

Seignobos Christian et Jamin Fabien, La Case obus. Histoire et reconstitution, Marseille, Éditions Parenthèses, 2004, 210 p.

Simay Philippe, Habiter le monde, Arles, Actes Sud, 2019, 256 p.

Simondon Gilbert, L’Invention dans les techniques, Paris, Seuil, 2005, 350 p.

Solc Václav, Los aymaras de las islas del Titicaca, Mexico, México: Instituto Indigenista Interamericano, 1969, 194 p.

Takahashi Guevara Ken, Felipe Obando Oscar et Acuña Azarte Julia, « Atlas de Sequías Hidrológicas de la Región Hidrográfica del Titicaca », 2017 p. 41.

Tantaleán Henry et Ysela Leyva María, « De la huanca a la estela: la formación de los asentamientos permanentes tempranos (1400 ANE-350 DNE) de la cuenca norte del Titicaca », Bulletin de l’Institut Français d’Études Andines, 2011, 40 (2), p. 259-287.

Tomas Franco José, Cubo de Totora en Ecuador. Fortaleciendo la identidad local a través de un diseño flexible y multiprogramático, 2016. https://www.archdaily.pe/pe/801921/cubo-de-totora-en-ecuador-fortaleciendo-la-identidad-local-atraves-de-un-diseno-flexible-y-multiprogramatico

Usdin Elene, René.e aux bois dormants, Paris, Sarbacane, 2021, 272 p.

Valence Nicolas, Putucos. La arquitectura vernacular tiene algo que decir sobre sustentabilidad, 2018. https://www.archdaily.pe/pe/891480/putucos-la-arquitectura-vernacular-tiene-algo-que-decir-sobresustentabilidad

Vellard Jean, « Peuples pêcheurs du Titicaca : les Urus et leurs voisins », Les Cahiers d’Outre-Mer, 1952, (coll. « Revue de Géographie »), p. 135-148.

Vellard Jean, Origine des population indigènes actuelles du haut plateau, Sciences Humaines., s.l., (coll. « Études sur le lac Titicaca »).

Wachtel Nathan, « Hommes d’eau : le problème uru (XVIe-XVIle siècle) », 1978, (coll. « Annales. Economies, sociétés, civilisations. »), p. pp.1127-1159.

Watson Julia, Lo—TEK. Design by Radical Indigenism, Los Angeles, Taschen, 2020, 418 p.

Zambettakis C., Raynal-Roques A. et Tournon J., « Les Cypéracées médicinales et magiques de l’Ucayali », Persée, 1986, (coll. « Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée »), p. 213-224.

Zambrano Flores, Martha Elizabeth, Totora : análisis de su comportamiento como material en la construcción para futuras aplicaciones, Trabajo de graduación previo a la obtención título de arquitectura, Universidad católica de Cuenca, Cuenca, 2018, 63 p.

Altiplano (plateau des Andes), https://geosfera.info/amerique-du-sud/altiplano-plateau-des-andes/.

Aérenchyme (n.m.) : définition, 2023. https://www.aquaportail.com/dictionnaire/definition/5091/aerenchyme ,

Aérenchyme Jonc, 2014. https://forum.mikroscopia.com/topic/13942-a%C3%A9renchyme-jonc/ ,

« Carte topographique Lac Titicaca ». https://fr-fr.topographic-map.com/map-4crhnh/Lac-Titicaca/?center=-15.91907%2C-69.29077.

Civilisation précolombienne, 2023. https://es.wikipedia.org/wiki/Idioma_puquina.

Etnias urus, https://es.wikipedia.org/wiki/Etnias_urus

Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2018, 336 p.

Idioma puquina, 2023. https://es.wikipedia.org/wiki/Idioma_puquina

« Métodos Originarios. Adobe ». Construir TV, 1, 2018, 25 min. https://www.youtube.com/watch?v=e4aQ2zgdbRQ.

PerTur Puno. Plan Estratégico Regional de Turismo 2021-2026, 2021. https://cdn.www.gob.pe/uploads/document/file/2425335/PERTUR%20Puno%20.pdf?v=1673540672

TOTORA (Scirpus californicus). Uso Sostenible de un Recurso Natural, 2007. https://www. peruecologico.com.pe/flo_totora_2.htm

Schoenoplectus californicus, https://powo.science.kew.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:229810-2#source-KBD.

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.