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Interview Chloé Martinache

“J'ai toujours une liste floue de livres en tête, que je partage avec des gens”

Chloé Martinache est une Bruxelloise francophone de 25 ans. Elle a étudié Langues et littératures françaises et romanes et la linguistique à l'Université libre de Bruxelles (ULB), et travaille en tant que coordinatrice pour le tout nouveau festival de récits Brussels City Of Stories. Chloé a opté pour ‘Les années’, d'Annie Ernaux.

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“Une amie m’a prêté l’œuvre complète d’Annie Ernaux et je me suis complètement plongée dedans au cours des dernières années. Son œuvre apporte du réconfort et nous accompagne dans de nombreuses expériences, en particulier le temps qui passe. Les années est une autobiographie collective des huit dernières décennies. Il mêle les expériences quotidiennes de l’auteure aux grands faits historiques du 20e et du début du 21e siècle. À travers des points de vue très intimes et personnels, elle exprime l’histoire universelle”, explique Chloé.

Mon choix est largement influencé par des recommandations de lecture de mon entourage.

Une écriture blanche

“Il faut lire ce livre pour ressentir que le temps n’est pas linéaire. Le temps existe à des lieux différents et à des moments différents. Il y a une dislocation du temps: une femme âgée est à tout moment une petite fille, une fille, une mère... Annie Ernaux m’a appris que l’expérience humaine du temps est cyclique. Les années ne forment pas une ligne continue, mais un cercle dans lequel passé et présent se chevauchent constamment. De plus, le temps intime de sa propre vie n’est pas séparé de l’époque historique, des problématiques de genre et entre les classes sociales. Les années contient beaucoup d’observations intemporelles, comme: ‘Insensiblement juillet se mettait à ressembler au précédent avec son emploi du temps filandreux de lecture et de disques, de débuts de poème’ Annie Ernaux parvient à raconter ce dialogue entre l’individu et la société dans une écriture claire, sobre. Une écriture blanche. Ça paraît simple, mais c’est vraiment sensationnel.”

“La lecture est plus que de la détente pour moi”

“Ma formation transparaît dans ma lecture : je cherche souvent des références et des liens avec la théorie littéraire, et j’essaie de comprendre le fonctionnement de la littérature. La lecture inclut aussi un aspect social pour moi. Je lis souvent des livres qui font le tour de mes amies et connaissances. Mon choix est largement influencé par des recommandations de lecture de mon entourage. Avant même de savoir lire, les livres m’attiraient en tant qu’objets. J’ai commencé à lire à 5 ans, avec ma grand-mère, avant d’entrer à l’école. Elle vit à Dunkerque, dans le nord de la France, et y était enseignante, bibliothécaire et libraire ! Elle est passionnée de littérature, mais sans y mettre de la prétention. Pendant les vacances, elle nous emmenait toujours à la bibliothèque locale. Encore maintenant mes grands-parents prêtent tous deux leur voix pour des livres audio en tant que bénévoles”, déclare Chloé.

La lecture et l’écriture assurent la connexion avec l’autre

“La lecture et la littérature m’aident à me libérer, à créer de nouvelles possibilités quand je suis coincée, à réfléchir différemment à l’adversité. La lecture vous fait sortir de vous-même, de vos propres idées rouillées. Les livres viennent à moi à certains moments de ma vie, et assurent aussi la connexion avec mon environnement. Je ressens quand lire quel livre ou quel auteur. J’ai toujours une liste floue de livres en tête, notamment des recommandations d’amis ou de connaissances, ou les coups le cœur de la librairie TULITU (dans la Rue de Flandre). La lecture change quelque chose en moi et est vraiment un mode de connexion avec autrui. D’ailleurs, lecture et écriture sont aussi liées chez moi. Je fais partie d’un collectif

de création textuelle. Nous écrivons des textes que nous partageons les unes avec les autres. Nous lisons et retravaillons mutuellement nos textes, et le voyons aussi comme un processus de création collective. Nous nous voyons chaque semaine et parlons également de nos lectures. C’est un mouvement.”

“Insensiblement juillet se mettait à ressembler au précédent avec son emploi du temps filandreux de lecture et de disques, de débuts de poème”

Brussels City Of Stories

“Lire des livres ensemble crée un cadre de référence commun. Cela crée une nouvelle langue, de nouveaux mots, de nouveaux récits que nous pouvons partager les uns avec les autres. Ce n’est pas un hasard si c’est aussi l’ambition de Brussels City Of Stories, un projet culturel que je coordonne. Ce festival de récits fait ressortir de nombreuses histoires bruxelloises, dans différents lieux publics de la ville, dans le but de connecter les gens. Les livres, mais aussi les récits oraux, peuvent vous plonger totalement dans le point de vue d’un personnage. Un livre permet de découvrir toute l’altérité (le fait d’être différent) de l’autre.

D’ailleurs, nous sommes habitués depuis l’enfance à entendre des récits extraordinaires. Nous racontons à nos enfants les histoires les plus fantastiques, où tout peut réellement arriver ! La littérature est donc un moyen accessible à tous d’adopter la perspective de l’autre.”

Nous racontons à nos enfants les histoires les plus fantastiques, où tout peut réellement arriver !

Jurgen Waegeman

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