Fidelio, un opéra-conte Journal d’une artiste-apicultrice Marseille-Anvers, aller-retour La pauvreté rétrécit le monde, la culture l’ouvre à nouveau le mOnde magique de WALPURGIS
magazine de théâtre musical aventureux novembre 2015, année 2, n° 3
WA L P U R G I S
Cher lecteur, chère lectrice, Aventureux comme nous le sommes, nous franchissons les barrières linguistiques et nationales pour cette édition de wOwW! Parce que nous resterons à jamais un peu explorateurs dans l’âme. Parce que nous aimons construire des ponts. Entre les gens. Entre les mondes. Entre le familier et l’inconnu. Selon le metteur en scène et comédien français Alexis Moati, rien n’est impossible avec un peu d’imagination. Pour Paul et pour Luc, que les circonstances de la vie ont fait basculer dans la pauvreté, chaque expérience de théâtre est un cadeau qu’on ne pourra plus jamais leur enlever. Quant à Mathilde, Marie et Charles, ils nous racontent avec enthousiasme à quel point l’intensive formation de théâtre qu’ils suivent leur a fait prendre conscience d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, et à quel point il est important d’oser quitter sa zone de confort si l’on souhaite créer quelque chose de beau avec d’autres. Personnellement, je suis convaincue que l’art peut aider à prêter attention aux choses, à s’y attarder et y réfléchir, à être touché et à se mettre en mouvement. Notre imagination et notre empathie ne sont-elles pas précisément les outils dont nous avons besoin pour relever les multiples défis que nous pose cette époque et pour les aborder de manière plus humaine et plus durable ?
SOMMAIRE 04 la passion de 07 Judith Vindevogel, soprano et metteure en scène
08 à l’affiche 10 Fidelio, un opéra-conte libérateur
11 close-up 13 Tanto Amore, un spectacle tragi-comique
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on s’engage WALPURGIS dans le monde La pauvreté rétrécit le monde, la culture l’ouvre à nouveau
19 invités à deFENIKS 23 Des jeunes mordus de théâtre
24 hôtes particuliers 30 Journal d’une artiste-apicultrice
Bonne lecture, Judith Vindevogel a chanté dans plusieurs opéras. Elle accompagne des chanteurs, des musiciens et des comédiens en plus d’être l’initiatrice de la compagnie de théâtre musical WALPURGIS.
Read us PS : Je suis curieuse de ce que vous pensez de wOwW! N’hésitez pas à me faire part de vos impressions à l’adresse vindevogel@walpurgis.be
wOwW! est également publié en version numérique sur www.issuu.com/ muziektheaterwalpurgis/docs
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en haut Judith Vindevogel (2010) Š Stef Depover - en bas Judith Vindevogel dans Mignon (1989) Š Herman Sorgeloos
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la passion de
Judith Vindevogel Soprano et productrice de théâtre musical, Judith Vindevogel a fondé WALPURGIS quand elle avait à peine 24 ans : « Pour vraiment pouvoir faire ce dont j’avais envie » . Depuis plus de 25 ans, la compagnie fréquente joyeusement les genres populaires tels que l’opéra, la comédie musicale et le vaudeville, mais crée également des pièces à partir du répertoire de compositeurs moins évidents tels que Stravinsky et Kurtag. Spécialement pour wOwW!, rétrospective des fondements de “son” théâtre musical.
« WALPURGIS est mon jardin, les gens en constituent la beauté. » Et c’est alors que vous décidez de fonder votre propre compagnie ?
Le plaisir de creuser « J’ai toujours eu des difficultés à choisir. Je souhaite manier une approche qui soit à la fois profonde et large. Il s’agit d’une sorte de nécessité intérieure. Déjà pendant ma formation je ressentais cette pression. Si je voulais aller au conservatoire, je devais choisir entre l’opéra et le théâtre. Or les choses n’étaient pas si simples pour moi. J’ai vite compris que je devais choisir mon propre chemin et sortir des sentiers battus. J’ai obtenu une bourse pour aller étudier à Londres et j’y ai fait connaissance de la Technique Alexander, une technique de mouvement que j’enseigne moi-même maintenant. Alors que j’étudiais, je créais mon premier spectacle de théâtre musical Herz und Schmerz en collaboration avec le metteur en scène Dirk Opstaele. En plus de tout cela je chantais à l’opéra et dans le big band de la Vlaamse Radio en Televisie (Radio et Télévision flamande, NDLR). »
« Oui, parce qu’en créant des choses soi-même, on peut également apprendre énormément. Tous mes projets naissent du plaisir de pouvoir “creuser”. C’était déjà le cas pour mon premier projet Mignon. Comme toute soprano, j’avais dans mon répertoire quelques mélodies de Mignon. À première vue, elles semblent plutôt romantiques. Et dans tous les enregistrements que je connaissais, elles étaient chantées avec une voix de rossignol. Tout était parfaitement maîtrisé. En lisant le roman de Goethe Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister, j’ai découvert que Mignon était tout sauf une jeune femme romantique, mais plutôt un enfant mystérieux et maladroit qui bougeait et s’exprimait d’une manière étrange. La Mignon de Goethe avait un côté frêle, un aspect délicat et imparfait. Elle me faisait penser d’une manière ou d’une autre à un enfant autiste. En étudiant ce personnage sous cet angle, la manière de chanter ces mélodies a changé pour moi à jamais. Oui, tout a commencé
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Haven 010 (2010) © Kristien Verhoeyen - les noces (2005) © Stef Stessel
« Si on jouait La Bohème dans un contexte qui met en évidence la pauvreté qui existe tout près de chez nous ? » par Mignon : remettre en question les traditions, rechercher la source, examiner le texte et la musique à la lumière de notre époque et partager tout ce qui en découle avec un public. Cela est toujours resté un moteur important de mon travail. » De quel spectacle êtes-vous la plus fière ? « Écoutez, d’une manière ou d’une autre, je les aime tous, même si les noces (les noces/svadebka/le mariage, NDLR) demeure un projet remarquable. J’avais entendu différents enregistrements et même vu une performance en direct des Noces de Stravinsky. Et à chaque fois je restais sur ma faim. Quelque chose manquait. Tout me semblait trop distant, trop contrôlé, trop net. Les Noces est un rituel de mariage, un évènement populaire enraciné dans la culture russe. Au cours de la pièce, la vodka coule à flots, le langage est tantôt poétique, tantôt brutal et grossier comme cela est souvent le cas lors de fêtes de famille bien ar-
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rosées. Mes Noces devaient être une fête inégalée. Et c’était le cas. Nous avons donné des représentations dans différents lieux en Belgique, aux Pays-Bas et en France devant plus de vingt mille spectateurs. Pour nombre d’entre eux, il s’agissait de leur toute première rencontre avec Stravinsky. En jouant dans d’autres lieux qu’une salle de spectacle, en faisant chanter les chanteurs de manière moins classique, en combinant la musique avec une pièce en un acte de Tchekhov et en proposant à manger et à boire aux spectateurs, bref, en donnant l’impression d’être invité à un vrai mariage, nous avons rendu cette musique véritablement accessible. Oui, j’en suis plutôt fière. » On critique souvent les compagnies de théâtre parce qu’elles seraient trop élitistes. Qu’en pensez-vous ? « Mes sentiments sont mitigés à cet égard. Certains de mes spectacles demandent plus d’efforts que d’autres. Pas seulement de ma part, mais également de la part du public.
En fait, souvent je crée des spectacles afin de mieux comprendre certaines choses, afin de les voir sous un autre angle. Je me sens par exemple beaucoup plus impliquée dans la problématique de l’immigration depuis que j’ai collaboré avec plusieurs demandeurs d’asile sur le projet Haven 010. Autre exemple, La Bohème de Puccini. Cet opéra est joué dans les maisons d’opéra les plus prestigieuses, alors qu’il s’agit de gens qui n’ont rien. Je me demande : “Si on jouait La Bohème dans un contexte qui met en évidence la pauvreté qui existe tout près de chez nous ?” Le thème est plus actuel que jamais. Le fossé entre les pauvres et les riches ne cesse de se creuser. »
Café Bohème (2013) © Cuauhtémoc Garmendia - Princesse Turandot (2011) © Stef Depover - La colline des vieilles dames (2002) © Raymond Malentjer
Imagination et engagement
à café pour les sécher et les mettre avec le papier usagé. Cette école m’a énormément stimulée. La confiance qu’elle m’a inspirée, je l’utilise chaque jour encore. »
« Récemment, j’ai été invitée à l’école de danse (l’Institut Royal de Danse d’Anvers, NDLR), qui fêtait son cinquantième anniversaire. J’y ai été élève et on m’a demandé de venir parler de mes souvenirs de l’école Générosité et hospitalité primaire. Curieusement, ils n’avaient pas grand-chose à voir avec la danse. « Grâce au théâtre musical, on renPar contre, j’y ai appris ce que signifie contre énormément de gens différents. l’engagement. Je venais d’une petite Et la réalisation d’un spectacle, un acte école communale et cette école de de création conjointe, constitue à danse était pour moi un véritable chaque reprise un excellent exercice soulagement. Il y régnait une ambiance de dialogue. Notre atelier de travail très ouverte, on deFENIKS cornous stimulait « Cette école m’a énormément respond tout à rechercher stimulée. La confiance qu’elle à fait à cette nous-même approche de m’a inspirée, je l’utilise de la docu“gens réunis”. mentation relaLa stimulation chaque jour encore. » tive à certains de nouvelles thèmes et à écrire nos propres rédacrencontres et de nouvelles collaborations. C’était une école qui stimutions ca-ractérise notre méthode de lait l’imagination, plus qu’autre chose. travail. Pour moi, cela est également lié à Chaque vendredi, on y organisait la “la prochaine génération”. J’aime bien “clôture de la semaine”. Il n’y avait l’idée que deFENIKS soit une maison plus de cours l’après-midi et nous où tout le monde peut se rendre, où avions le temps de bricoler quelque les artistes débutants reçoivent une chose nous-mêmes. La dernière chance, et où l’on peut s’épanouir, heure de la journée, l’école entière chercher et expérimenter. Il y règne se rassemblait dans la cour intérieure une activité intense qui crée une dyet ceux qui le souhaitaient pouvaient namique envoûtante. D’ailleurs, nous présenter leurs créations. Et nous n’accueillons pas seulement des arn’étions pas seulement stimulés dans tistes. Les voisins viennent également le domaine créatif. Déjà à l’époque, le nous voir pour fêter leur anniversaire papier usagé était collecté pour que de mariage ou pour fêter la naisnous prenions conscience de notre sance d’un enfant. Toutes sortes de rôle dans le monde, aussi jeunes cours sont également proposés par que nous étions. Imaginez-vous qu’à des associations du quartier. Non pas la maison, je lavais même les filtres une maison séparée pour les artistes,
mais une maison où tout le monde est le bienvenu. Parfois, je me sens comme une jardinière. Et mon jardin de rêve est un organisme autorégulateur. Donc plutôt un jardin sauvage anglais. Je prévois une bonne couche d’humus, donne une place en plein soleil aux plantes qui en ont besoin et une place sous les arbres pour les plantes qui aiment l’ombre. Je vérifie bien sûr que les plantes et les fleurs ne soient pas envahies par les mauvaises herbes. Et en taillant un peu par-ci, par-là, je m’assure que les arbres reçoivent le plus de lumière possible. Pour le reste, je fais confiance à la nature et je laisse le soleil, la pluie et les abeilles se consacrer à leurs tâches. WALPURGIS est mon jardin, les gens en constituent la véritable beauté. Oui, on pourrait dire que je suis une jardinière heureuse et fière. » interview Frauke Joossen
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à l’affiche
Fidelio
un opéra-conte libérateur
on Euromarchas 2015 à Bruxelles. ©
he) dans le cortège de la manifestati
(Saïd Boumazoug Léonore (Liesbeth Devos) et Florestan
Stef Depover
Après le succès de son opéra-conte Princesse Turandot, qui a tourné en France, en Belgique et aux Pays-Bas, la metteure en scène Judith Vindevogel fait à nouveau découvrir un opéra classique aux enfants. Fidelio est un opéra-conte captivant pour les enfants les plus intrépides et avides d’aventures. Le cliché du conte de fées, à savoir le prince forcé de terrasser le dragon pour délivrer sa princesse, est inversé : c’est Léonore qui libère son amoureux des griffes du cruel Don Pizarro. Plongés dans la musique vibrante de Beethoven et installés entre les chanteurs, les audacieux mélomanes en herbe peuvent ainsi vivre leur premier opéra et partager les aventures de Léonore.
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Le moodboard de la costumière © Caroline Wittemans
Liesbeth Devos (soprano) chante le rôle de Léonore/Fidelio : « Fidelio est le premier et seul opéra de Beethoven. Ce n’est pas uniquement une merveille musicale, mais aussi un magnifique manifeste humaniste sur l’amour et l’être humain. Nous passons la musique et le texte au crible et produisons une nouvelle création qui rapproche l’opéra du jeune public. Je suis enchantée de pouvoir collaborer à ce spectacle. Il me fait découvrir l’opéra d’une manière différente. C’est très libérateur ! » Annelies Van Hijfte (soprano) chante le rôle de Léonore/Fidelio à partir de mars 2016 : « Lorsque j’ai appris qu’il y avait des auditions, je n’ai pas hésité une seconde : je trouve Fidelio magnifique ! Et certainement le rôle de Léonore. Elle a un grand cœur, elle lutte pour ce qu’elle croit être important et se montre très courageuse. Pour libérer son amoureux Florestan, elle se déguise en homme, adopte le nom de Fidelio et va travailler dans la prison où il est enfermé. Ce qui n’est bien entendu pas sans risques ni dangers. Je suis convaincue que les enfants trouveront ce spectacle passionnant. »
« Nous passons la musique et le texte au crible et produisons une nouvelle création qui rapproche l’opéra du jeune public. » Astrid Stockman (soprano) chante le rôle de Marcelline : « Marcelline, la fille du geôlier, est très naïve au début et ignore tout ce qui se trame dans les cryptes secrètes de la prison. Chemin faisant, elle découvre que les apparences sont trompeuses. Un voyage initiatique captivant sur la musique d’un des plus grands compositeurs de l’histoire ! »
Caroline Wittemans (costumière) : « Pour m’inspirer, j’ai d’abord fait des recherches autour des anciennes prisons et des vieux bâtiments. Puisque le décor est en acier, j’ai eu l’idée d’utiliser des teintes rouille. J’ai également repris l’aspect graphique des barreaux et les lignes sobres et rigides dans les costumes. »
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Chantez vous aussi ! Beethoven était un idéaliste. Tout comme Léonore et Florestan, il rêvait d’un monde équitable et solidaire dans lequel tous les hommes vivraient en paix. En 1985, l’Union européenne a adopté l’Ode à la Joie de sa Neuvième Symphonie comme l’hymne européen et en 2001, l’UNESCO a inscrit la symphonie au Patrimoine mondial de l’humanité. Ce chant ne pouvait pas manquer dans l’opéra-conte Fidelio. Répétez la version théâtrale de l’Ode à la Joie avec la version vidéo-karaoké que vous pouvez trouver sur www.WALPURGIS.be et chantez-le à tue-tête pendant le spectacle.
L’hymne à la joie musique Ludwig von Beethoven texte Judith Vindevogel traduction Lorenzo Caròla et Judith Vindevogel
Partageons nos plus beaux rêves Partageons cette mélodie Pour que le soleil se lève Sur un monde plus gentil Plus jamais de guerres stupides Plus jamais de mots trahis Si l’amour est notre guide Nous serons toujours unis C’est l’amour qui rabiboche Vieux ennemis anciens rivaux Riche celui qui l’a en poche Et qui l’offre en cadeau Même les brutes les plus sanguinaires Devant sa force craqueront L’amour fait chanter les pierres Aussi bien qu’un p’tit pinson
opéra-conte de Judi
th Vindevogel d'
après Beethoven
Suivez les aventures de Léonore ! 18-21 novembre 2015 – Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines 5 décembre 2015 – Théâtre de l’Agora, Évry 10 & 11 décembre 2015 – Théâtre de Châtillon 16 décembre 2015 – Théâtre Durance, Château Arnoux/Saint-Auban 6 & 9 janvier 2016 – Opéra de Saint-Étienne 13 & 14 janvier 2016 – La Gare Franche, Marseille 20 & 22 janvier 2016 – Le Trident, Cherbourg 16 mars 2016 – La Ferme du Buisson, Marne la Vallée* 30 mars & 2 avril 2016 – Le Bateau Feu, Dunkerque* 16 & 17 avril 2016 – Palais des Beaux-Arts, Charleroi (BE)*
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© Ing ww w.w rid Godon
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e.r. Judith Vindevogel, Deurneleitje
6, B-2640 Mortsel
© Ingrid Godon
* Les représentations avec Annelies Van Hijfte dans le rôle de Léonore, alias Fidelio.
close-up
Tanto Amore
© Stef Depover
Dans son spectacle tragi-comique Tanto Amore, la comédienne et chanteuse belge Simonne Moesen jongle avec les émotions et les tournures d’esprit souvent bizarres des héroïnes de Puccini : Butterfly, Mimi, Tosca, Turandot et Liù. Elle se jette avec passion dans leurs arias émouvants pour ensuite remettre en question toute cette souffrance au nom de l’amour. Pour la création française, Simonne fait appel à Alain Fourneau, ancien directeur du Théâtre des Bernardines à Marseille et un ami de longue date. wOwW!
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© Stef Depover - en haut Alain Fourneau ©Edwige Lamy
Alain : « Cela doit faire 25 ans que je connais Simonne. Je l’ai rencontrée la première fois à Bruxelles où j’étais venu voir la mise en scène des Troyennes de Thierry Salmon. J’ai tout de suite été frappé par sa capacité à s’adresser très directement au public et à passer très rapidement d’un état à un autre. Simonne est venue ensuite jouer plusieurs fois aux Bernardines. Puis nous avons travaillé ensemble sur un projet de spectacle chanté qu’elle avait en commun avec la comédienne et chanteuse Marianne Pousseur autour de textes de Lewis Carol. Mettre en scène, pour moi, c’est toujours savoir que je risque d’être transpercé d’amour par la présence de la comédienne que j’ai en face de moi sur le plateau. De Simonne, je dirais qu’elle est fragile et déterminée, toujours en proie à un doute constructif, enthousiaste et concrète. Extrêmement centrée et pour le coup, chaleureuse. Elle me stupéfie toujours, sur scène, par sa capacité de “surgissement”, d’intensité du moment. »
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Pour les héroïnes de Puccini l’amour est une fatalité, pour Carmen de Bizet c’est « un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser ». C’est quoi l’amour pour vous ? Alain : « Je pense beaucoup, l’âge aidant, à cet espace qu’on laisse en soi pour laisser l’autre arriver et qui à chaque fois vous révèle quelque chose de vous-même. Au théâtre, plus que dans la vie courante, on peut y arriver assez souvent, avec une exactitude parfois troublante tellement “l’envahissement” peut être grand ! Mais à chaque fois au prix d’une douloureuse déconnexion, dès que l’on sort de cette sphère. Disons donc : l’amour est comme un flux intermittent, mais ne doit jamais s’arrêter, comme “la vie qui grandit jusqu’à la mort” (Eschyle). »
Avez-vous une affinité particulière avec l’opéra ou le théâtre musical contemporain ? Alain : « Je ne suis absolument pas musicien, même si j’ai fait partie du Groupe de Musique expérimentale de Marseille, à ses débuts, dont les membres m’avaient coopté pour mettre en scène leurs concerts. J’ai souvent travaillé avec des musiciens, des chanteurs, des danseurs. Leurs différences de présence sur le plateau d’avec les comédiens m’ont beaucoup appris sur ma manière de travailler et de diriger. Je travaille beaucoup “à l’oreille”. Et je sais que mon travail est juste, au final, si je peux le qualifier, dans sa structure, de “musical”. » interview Judith Vindevogel
« Depuis des années je m’étais entraînée dans ma salle de bains et voilà, je me suis jetée à l’eau avec les héroïnes de Puccini. »
© Diana Monkhorst
Qui est Simonne Moesen ? Dans les années 80, Simonne Moesen a travaillé avec Jan Lauwers (Epigonenteater et Needcompany) pour une dizaine de spectacles en tant que comédienne, chanteuse et compositrice. Puis, au cours des années 90, elle a collaboré avec Marianne Pousseur, Pierre Droulers, Christophe Galland, Guy Cassiers et Alain Fourneau. Elle a rencontré la pianiste et compositrice Kaat De Windt avec laquelle elle a créé plusieurs spectacles, dont Jean Sans Peur et Waves. Entre 2001 et 2009, elle a fait partie de la compagnie de Wayn Traub et a participé aux créations de Maria Dolores, Jean-Baptiste, Arkiologi, N.Q.Z.C. et Le come-back de Jean-Baptiste. Après, elle a rejoint La Fabrique Imaginaire sous la direction d’Ève Bonfanti et Yves Hunstadt pour Voyage et L’heure et la seconde. Entre 2010 et 2016, Simonne est artiste en résidence à deFENIKS, le lieu de travail de WALPURGIS.
Simonne : « J’avais envie de chanter de l’opéra. Depuis des années je m’étais entraînée dans ma salle de bains et voilà, je me suis jetée à l’eau avec les héroïnes de Puccini. Enfant déjà, ayant vu l’affiche de Madame Butterfly, j’étais intriguée par cette femme papillon si fine et délicate, exotique, féérique… Aujourd’hui, c’est la réalité derrière cette image séduisante qui me titille. J’ai passé au crible les livrets des opéras de Puccini et je me suis intéressée de près au sort de Butterfly, de Mimi, de Tosca, de Liù, de Turandot… Pourquoi tous ces drames qui finissent par la mort d’une femme au nom de l’amour avaient-ils tant de succès ? Pourquoi ce penchant pour la souffrance ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Je me suis ainsi posé des tas de questions et comme une détective, je suis allée à la recherche des faits réels. Pourquoi ? Parce qu’en chantant les airs émouvants de ces héroïnes, j’ai senti une étrange résonance, comme si toutes ces femmes vivaient enfouies quelque part en moi et qu’elles étaient contentes d’enfin pouvoir s’exprimer. Je me suis dit qu’il était temps de les laisser s’envoler, de guérir ces blessures ancestrales. Alors j’ai mis l’âme romantique à nu, juste pour voir, pour bien mettre les choses au clair. »
Tanto Amore Une création originale de Simonne Moesen et Kaat De Windt, avec le soutien de WALPURGIS et du Théâtre des Bernardines. 19 & 20 février 2016 Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (FR) www.lestheatres.net/fr 1er mars 2016 (version néerlandaise/française) 2, 3, 4 mars 2016 (version française) Théâtre 140, Bruxelles (BE) www.theatre140.be 19, 20, 21 mai 2016 Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (FR) www.croix-rousse.com
Paul et Luc (en bas à droite) avant le début du spectacle Platée, lecture de livret #8, au FENIKS FESTIVAL 2013. ©Walter Grimm
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on s’engage
WALPURGIS dans le monde Dès que Walpurgis se produit quelque part, Luc (53) et Paul (69) assistent avec joie au spectacle. Ce n’est pourtant pas évident, car tous deux tirent le diable par la queue. Grâce aux efforts qu’entreprend WALPURGIS pour atteindre des personnes défavorisées sur le plan économique, cela devient possible. Et c’est tellement important, disent Luc et Paul.
« La pauvreté rétrécit le monde. La culture l’ouvre à nouveau. »
Ce n’est pas dû à un tempérament réservé et taciturne. « Il a la tchatche », affirme Luc avec un sourire. Et Paul acquiesce. « J’aime parler, échanger. C’est agréable, non ? Et c’est comme ça qu’on apprend à mieux se connaître. » Paul et Luc sont amis, et c’est leur amour de la culture qui les a réunis. Paul : « Avant de me retrouver dans une situation financière difficile, il m’arrivait d’aller au théâtre. Ou à l’opéra. J’aimais bien ça. Je suis aussi allé quelques fois au concert de James Last. Mais quand j’ai commencé à avoir des problèmes financiers, j’ai abandonné tout ça. Par manque de budget bien entendu. Alors que la culture, c’est si important. La pauvreté rétrécit le monde. La culture l’ouvre à nouveau. »
Comment avez-vous découvert WALPURGIS ?
C’est comme ça que tout a commencé. »
Paul : « Par le biais de l’association Recht-Op (ce qui signifie à la fois “debout” et “droit à”, NDT), qui s’occupe, entre autres, de participation à la culture. Depuis quelques années, je me suis engagé pour cette cause. Je ne suis pas né dans la misère, je ne suis pas issu de la spirale infernale de la pauvreté structurelle qui se transmet de génération en génération. J’ai donc encore de la “chance”. C’est pour ça que j’ai voulu faire quelque chose en retour. Dès le début, je me suis engagé pour d’autres personnes qui connaissaient de grandes difficultés financières et n’ont pas la même facilité que moi à s’exprimer. Certaines organisations culturelles prennent elles-mêmes contact avec Recht-Op. C’est comme ça que nous avons découvert WALPURGIS, lors d’une soirée de présentation à de FENIKS (l’atelier de WALPURGIS, NDLR) à laquelle ils avaient aussi invité les gens de Recht-Op. Je suis le seul à y être allé. Ensuite, quand ils ont joué au centre de rencontres derrière chez moi, j’ai emmené Luc.
Luc : « J’étais immédiatement séduit quand je les ai vus à l’œuvre et ensuite, toujours avec Paul, on est allé voir leur opéra féerique Princesse Turandot. C’était très beau ! » Paul : « Nous avons un bon contact avec Judith (Vindevogel, la directrice artistique de WALPURGIS, NDLR) et avec les gens de WALPURGIS. Au comptoir, ils nous connaissent entretemps. Ça, c’est toujours sympa ! Vous savez, ici, on se sent les bienvenus, vraiment les bienvenus. On n’a pas le sentiment d’être accueilli par pitié. Ils sont contents qu’on vienne. On sent une chaleur humaine et un intérêt sincère. On n’a pas à se sentir gêné. C’est très important quand on n’en mène pas large : notre fierté est souvent l’une des dernières choses qui nous restent. » Luc : « Et entre-temps, Paul et moi ne sommes certainement plus les seuls à venir voir leurs spectacles. Plusieurs personnes sont déjà venues. wOwW!
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Bien que ce ne soit pas toujours évident de les convaincre. Il y a tant de gens qui vivent dans la pauvreté, mais tous ne trouvent pas de consolation dans la culture. » Paul : « Être pauvre c’est survivre, et alors, la culture est souvent la dernière chose à laquelle on pense. À Recht-Op, j’entends régulièrement des gens dire qu’ils ne “peuvent pas”. Or, il s’agit plutôt d’une sorte de trac, de peur d’essayer. Quand on arrive à les chauffer pour un spectacle, c’est plutôt pour quelque chose de commercial. Ils veulent bien aller voir Fred & Samson (une série télévisée populaire pour les enfants à propos d’un chien et de son maître, NDLR), par exemple, parce que ça fait plaisir à leurs enfants. Que voulez-vous, il faut être éduqué à la culture, n’estce pas ? Si les gens sont ouverts à ça, ils découvrent qu’il y a aussi de très beaux spectacles sans chien pour leurs enfants. Et pour les adultes, c’est aussi un enrichissement, vraiment. Mais il faut naturellement avoir l’esprit ouvert. » Luc : « C’est pour ça qu’à Recht-Op,
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ils ont imaginé une formule pour qu’ils ont honte, parce qu’être pauvre aller en duo au théâtre. On réunit une pompe un maximum d’énergie. La personne “pauvre en culture” avec pauvreté retire beaucoup plus que une personne qui ne l’est pas. Et cela le seule argent. C’est pour ça que n’a rien à voir des projets de « Je ne comprends pas avec l’argent, ce type sont mais avec toujours tout. Mais dans ces tellement iml’expérience. portants. Ils ofcas, je goûte l’atmosphère frent bien plus Moi, par exemple, j’avais plus qu’une soirée et m’en absorbe. » d’expérience de distraction. avec le théâtre – dans une vie précéIls font grandir en tant qu’être hudente, j’ai même été comédien freemain. Ils donnent des perspectives lance –, et c’est pour cela qu’on d’avenir. Ils donnent le sentiment m’a couplé à Paul. En discutant ende valoir quelque chose. Ils donnent semble, j’ai pu lui transmettre un peu l’occasion de se faire de nouveaux de ma connaissance, un peu l’initier amis. Oui, pour moi, cela a fait un au théâtre. Et moi, j’ai pu profiter de monde de différence. » la spontanéité de son regard sans préjugé. » Mais il y a aussi beaucoup de gens qu’on ne parvient pas à atteindre… Paul : « De cette manière, on rencontre plus de gens. L’idée est d’ailleurs Paul : « En effet, et c’est dommage. Il de changer de partenaire au bout de faut donner une chance à la culture. six mois. Ça permet de reconstruire Bien sûr que je vois pas mal de specun peu de vie sociale – encore une tacles auxquels je ne comprends pas chose qui disparaît quand on sombre vraiment grand-chose. Mais à force dans la pauvreté. Beaucoup de gens d’en voir de plus en plus, on finit par s’isolent. Parce qu’ils n’ont pas les évoluer. On retient des choses et moyens de faire quoi que ce soit, d’une certaine façon, on établit des parce qu’ils ont des difficultés, parce associations, des liens, et on com-
prend de mieux en mieux ce qu’on voit. Par exemple, j’ai vu trois versions de La Bohème par WALPURGIS, toutes en néerlandais. Eh bien, de cette manière, on finit par comprendre La Bohème. Mais il ne faut surtout pas que ça se limite uniquement à “apprendre”. Le théâtre c’est aussi de la détente, me semble-t-il. Dé-tendre, faire disparaître la tension. De même que “ren-contre” me fait penser à “rien contre”. Ne pas être contraire, avoir l’esprit ouvert. Il faut pouvoir savourer, laisser venir et accueillir. C’est fou qu’il y ait encore tant de gens qui n’osent pas s’abandonner. Car c’est précisément de cela qu’il s’agit d’après moi. Certaines personnes ne connaissent pas le théâtre et s’en privent par conséquent. À l’association Recht-Op, il y a un membre qui n’assiste qu’aux spectacles d’une seule compagnie. Dommage, n’est-ce pas ! » Luc : « Moi non plus, je ne comprends pas toujours tout. Mais dans ces cas, je goûte l’atmosphère et m’en absorbe. Il y a bien sûr des choses que je trouve moins bonnes. Évidemment ! Quand on va au moins
une fois par semaine au théâtre, il est logique qu’on assiste parfois à des spectacles qu’on apprécie moins. Au FENIKS FESTIVAL , il y a aussi des choses qu’on préfère à d’autres. Mais c’est justement ce qui est si agréable : on découvre soi-même ce qu’on aime. » Paul : « Ce truc japonais (une installation vidéo de l’artiste japonais Mikio Saito, NDLR), par exemple : je trouvais ça, euh… spécial. Mais dans ces cas, je me dis : “encore une expérience que j’ai pu vivre”. » Luc : « Ça aussi, c’est le plaisir d’aller au théâtre en duo : une fois c’est l’un qui décide ce qu’on va voir, une autre fois, c’est l’autre. De cette manière, on quitte sa propre zone de confort, et on parvient peut-être même à convaincre son ami d’un spectacle qu’on trouve beau. Et ça donne des sujets de conversation, hein ! » Paul : « Vous savez, vous avez mentionné les personnes qu’on ne peut pas atteindre avec ce type de projets. C’est un vrai problème. Il se fait que je m’investis activement au sein
de l’association Recht-Op, en tant “qu’expert du vécu”. Je prends la parole partout, j’assiste souvent à des réunions. Je fais partie de Recht-Op, mais aussi du projet Énergie et Pauvreté, de la concertation municipale, de la concertation belge et même de la concertation européenne. Il m’arrive de devoir prendre l’avion pour assister à une telle réunion ! Et ce que je découvre, c’est qu’on ne voit que la partie visible de l’iceberg, malheureusement. Il y a tant de pauvreté cachée, vous ne pouvez pas imaginer. Des personnes qui joignent à peine les deux bouts, qui mangent plus souvent des tartines qu’un repas chaud, mais ne l’avouent pas. J’avais un ami qui était toujours en costume, toujours pimpant. Il mangeait tous les jours de la soupe. Il gardait les légumes pour son chien et se nourrissait juste du bouillon. C’était un ami, et néanmoins, je n’ai pas pu le convaincre de m’accompagner à RechtOp, par exemple. Par honte. Mon frère n’apprécie pas non plus que je parle si ouvertement de ma situation. Mais moi, je ne trouve pas ça grave. Je n’ai pas honte. Je ne me sortirai plus de mes problèmes d’argent, et
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« Si les gens sont ouverts à ça, ils découvrent qu’il y a aussi de très beaux spectacles sans chien pour leurs enfants. » je l’avoue, j’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. Pendant cinq ans, j’étais au fond du gouffre et j’ai broyé du noir. Avant, j’étais indépendant et je m’en sortais bien, j’avais une belle vie. Et puis, soudain, plus rien. Plus d’argent, plus d’avenir, plus d’amis. Je vous assure que c’est dur. Mais j’ai quand même redressé la tête. J’ai décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur : je profite, à ma modeste façon. C’est précisément pour ça que je fais tant d’effort pour RechtOp, parce que je leur suis reconnaissant de ce qu’ils ont représenté pour moi. J’aimerais tellement que beaucoup plus de personnes vivant dans la pauvreté trouvent le chemin de l’association, car on y apprend qu’il y a encore une vie au-delà des tracasseries financières. Et grâce à des
gens comme Judith aussi. Chaque fois qu’elle m’invite, elle rend ma vie réellement plus belle. » Luc : « J’ai toujours aimé la culture. J’ai connu une période très difficile quand je suis tombé malade. Ça m’a entraîné dans des soucis financiers. Pendant un temps, on est comme paralysé, à tous les niveaux. On n’avance pas, on n’arrive même pas à aller au théâtre. C’est comme le dit Paul : la pauvreté rétrécit le monde. Il faut apprendre à le rouvrir et oser le faire. J’y suis parvenu parce que la culture me manquait vraiment. Je suis si content d’avoir retrouvé le chemin du théâtre grâce à RechtOp. Aujourd’hui, je vais voir des spectacles qui m’auraient peut-être moins intéressé avant, tandis que
maintenant je découvre qu’ils valent vraiment la peine. Entre-temps, j’ai pu rembourser mes dettes et je travaille. Ma fille a terminé ses études et cherche du boulot. Dès qu’elle en aura trouvé, je ne devrai plus verser de pension alimentaire pour elle. Ce sera un peu plus facile financièrement. J’entrevois le bout du tunnel. Je vais m’en sortir. Mais je continue à aller au théâtre, avec Paul. Depuis le temps, nous sommes plus qu’un duo de spectateurs de théâtre. Nous sommes amis. » Paul : « Tout ce qu’un peu de culture peut faire ! »
interview Frauke Joossen photos Stef Depover
p et de e Recht-O d s o p ro Àp
Paul et Luc sur la terrasse du FENIKS FESTIVAL.
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IS WALPURG
lèmes des prob ins, à s le p im ons s éanmo de soluti uvreté. N s a a p p la poste e is d Il n’ex celui qu’il est comme vaincue s n e o ivant x c v le t s s p e e com personn cht-Op e s e R L n . o té ti iciper de auvre l’associa vent part er leur attre la p u b e p m o t c e e t trouv sible d veulen euvent y er pauvreté té. Elles p contribu ié t c dans la n so e v la u e à p e s v s ti e le c ll a r pou dre. E manière êmes et ire enten m fa t e s e e f s ll e t e h e pour pre c place lioration, e leur pro ns qui les é d m t a n e fo n à u atio es le d’organis uvres. Ell autres pa de personnes ou drent. a c n e e qui les x u a e s avec l’aid ré s ent et de e ces soutienn est une d viIS G R U P L e, WA un en r artistiqu veloppe u é d e te c i e u s q de réduir utien Dans le reux afin s de so l é a n n o ic é s ti g a u t is m e n orga théâtre ctueux e u p a s t e re la t ra s n é an ronneme ccessibilité à l’op s vivant d d’a personne e permanent, s le r u o les seuils lp logu érimenta nt un dia plus exp engagea n e , e c t . e e , u pauvreté et artistiq ersonnel à la fois p
invités à deFENIKS
Des jeunes mordus de théâtre Un groupe est composé de jeunes gens qui habitent à Anvers ou dans les environs, l’autre de jeunes Marseillais. Au-delà des mille kilomètres qui les séparent géographiquement, une chose les relie : la curiosité de voir le monde à travers le regard de gens de théâtre et l’envie de créer, comme eux, de nouveaux mondes à partir de leur imaginaire.
Quelques jeunes du Groupe des 15 © Vincent Beaume
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Au début du mois de mai, les jeunes de Marseille, Le Groupe des 15, viendront passer une semaine à deFENIKS, l’atelier de WALPURGIS à Mortsel (Anvers). Par le biais de la musique, du mouvement et du jeu, ils auront l’occasion de se plonger une semaine durant, aux côtés des jeunes de NEST, dans le monde de Racine, de Mozart, et de Steve Reich et de rechercher un langage commun, au-delà de toutes les barrières culturelles, sociales et linguistiques. Alors que le metteur en scène et acteur français Alexis Moati (45) raconte comment il a atterri dans le monde du théâtre et pourquoi il a fondé Le Groupe des 15, Charles (16), Mathilde (17) et Marie (17) portent un regard rétrospectif sur leur première année à NEST.
« Comme Superman, on dissimule sa vraie identité. On trouve des modèles, on imite, on s’essaye… comme au théâtre. »
Qui est qui ?
s ène françai etteur en sc ue iq st ti ar L’acteur et m r u i est directe é. Depuis Alexis Moat lan agnie Vol P p de la Com une période r u o p 014, et )ncre à la septembre 2 artiste à l’a(e t es il s, an is de tro n d’artistes e, une maiso h c an Fr e Gar . à Marseille
Alexis Moati © Matthieu Wassik
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Alexis : « Quand j’étais petit, j’ai vu Superman au cinéma. En sortant de la salle, j’ai su que ce film avait été fait pour moi, qu’il s’adressait à tous, mais qu’il parlait de moi, de moi seul, que j’allais bientôt découvrir mes super-pouvoirs, mais surtout que… je pouvais voler. J’en étais persuadé au plus profond de moi, il suffisait d’avoir le vent adéquat, de courir assez vite pour qu’une rafale de vent vienne par l’arrière afin que je puisse décoller. Le lendemain, j’ai mis mon survêtement bleu, j’ai mis mon slip par-dessus et comme cape, j’ai pris le manteau rouge de ma mère, duquel j’ai rentré les manches (la cape de Superman n’a
pas de manches) et j’ai couru sur le chemin devant chez moi, j’ai couru… longtemps. Mais ça n’a pas marché… Pourtant l’expérience n’a pas enlevé cette certitude gravée en moi : je peux voler. J’ai compris ce jour-là que l’expérience ne résout rien. Et puis, un jour on commence à se rendre compte que notre pantalon est trop court, que notre voix change, que nos pieds heurtent le bout de nos chaussures. On ne voit plus le monde tout à fait de la même façon. Ce dernier semble s’obstiner à nous montrer que les autres ne sont plus sous notre charme et que l’on n’est souvent que le personnage secondaire, voire le figurant d’une histoire dont nous avions toujours pensé être le héros. Alors on a honte, de soi, de sa figure, de ses cheveux, de sa peau, de ses mains, de sa poitrine, de ses jambes, mais aussi, de ses parents, de sa maison, de ce qu’on a aimé… On a honte d’être. Le combat commence, il faut réagir vite. Comme Superman, on dissimule sa vraie identité, on essaye beaucoup de déguisements : du premier de la classe à l’agitateur. On trouve des modèles, on imite, on
Quelques jeunes du Groupe des 15 © Vincent Beaume
s’essaye, on cherche à être crédible… comme au théâtre. Et un jour, tout s’arrête, on se fixe, le corps ne change plus, on a plus ou moins notre forme définitive. Celle avec laquelle il faudra composer. On commence à renoncer à tous les possibles que l’enfance nous a laissé entrevoir. On oublie Superman. Pourtant on sent bien que c’est un étouffoir, qu’on ne peut renoncer au désir d’échapper à soi-même, de voir plus loin que soi, de se sentir infini. Âge des possibles. Âge du théâtre. Le théâtre, et plus largement l’art, nous dit : le monde t’enveloppe et tu le contiens. Il y a mille vies, le monde peut être enchanté et surtout, il n’y a que toi qui puisses trouver ce que tu ne sais pas encore que tu cherches. Si tu te mets en quête alors tu voleras… Et tu n’auras plus besoin du déguisement de Superman. Aujourd’hui, je suis acteur, parce que je n’ai toujours pas renoncé à voler, et metteur en scène, parce que j’aime inventer des mondes. Depuis
quelques années, j’ai pris comme terrain de jeu la fin de l’enfance et la jeunesse. Je mets au fronton de mon théâtre cette phrase de Tristan Bernard : “L’inexpérience est ce qui permet à la jeunesse de réaliser ce que la vieillesse sait impossible”. J’essaie de me souvenir, mais aussi de regarder les jeunes gens d’aujourd’hui, d’observer cette étrange solidarité de la jeunesse. Alors j’ai rêvé d’un groupe, un groupe de 15 jeunes gens âgés de 15 ans du 15e arrondissement de Marseille. Un groupe qui par la pratique du théâtre découvrirait des horizons insoupçonnés. Un groupe qui soit acteur et témoin de la vie d’une compagnie de théâtre en résidence dans un lieu de fabrication de spectacles. Aujourd’hui, nous les embarquons dans notre aventure. Nous les voyons grandir, changer, se tromper, chercher, se construire. Ils font du théâtre avec nous, avec d’autres, ceux que nous invitons, de la danse, du cinéma, ils voient des spectacles, des expositions et partent en voyage, rencontrent d’autres jeunes gens, mais aussi des plus vieux.
Tout cela, non pour faire des artistes, mais mieux, des hommes et des femmes. » texte Alexis Moati
© Stef Depover
Qui est qui ? NEST est un atelier de théâtre, basé à Anvers et dirigé par
Soraya Rademaker et Jellie Schippers, où des jeunes gens mordus de théâtre peuvent découvrir les différents aspects de la profession. NEST est depuis 2013 en résidence à deFENIKS, l’atelier de WALPURGIS, situé à un jet de pierre de la bouillonnante scène artistique anversoise.
Charles, Marie et Mathilde de NEST sur le toit du deFENIKS © Stef Depover
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Marie : « NEST est un atelier de théâtre pour jeunes. On y apprend ce qu’il faut absolument savoir à propos de chaque aspect du théâtre. Mais ça va plus loin, au fond. Qu’on veuille devenir cuisinier, médecin ou comédien n’est pas l’essentiel à NEST. Ce qui compte, c’est de se donner à fond pour ce qui nous passionne et c’est précisément ce que Soraya et Jellie, nos professeurs à NEST, veulent nous faire découvrir. C’est ce que je trouve si beau dans ce projet. » Charles : « C’est pour ça qu’on nous fait passer une audition. Non pas pour déterminer si on est assez “doué”, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ils veulent voir si on est prêt pour l’expérience qu’on peut acquérir ici, si on est disposé à apprendre avec les autres, si on est décidé à se lancer dans l’aventure. On peut commencer dès ses quatorze ans, du moment qu’on a l’esprit ouvert. » Marie : « Il faut vraiment avoir envie de s’engager entièrement sur une durée de 3 ans. C’est le temps qu’il faut pour beaucoup apprendre, découvrir et rechercher. Avec un spectacle comme projet final. » Mathilde : « Dans notre groupe, nous sommes dix. Dans le groupe qui a commencé un an plus tôt, ils sont quatorze. Au début, on ne connaît personne, mais on devient très vite assez proches. » Charles : « C’est sûr, c’est tellement intense. On ne nous impose rien, mais les exercices créent des liens. Il faut se faire confiance si on veut accomplir de belles choses. » Mathilde : « La première demi-heure du week-end d’audition, j’étais nerveuse. Après, je me suis beaucoup amusée. Et ça a continué tout au long de l’année. Chaque samedi, on a travaillé ensemble pendant quatre heures. On a aussi régulièrement visité des expositions et cet été, un stage de théâtre était organisé. Les expériences sont parfois extrêmes, bouleversantes, mais toujours d’une très belle manière. J’ai fait face à moi-même, c’est fou ce que j’ai appris sur moi. J’ai vraiment grandi. »
« On apprend énormément à NEST. Sur la création théâtrale, mais aussi sur les gens, la communication, les émotions, la réflexion… » Charles : « J’ai vraiment l’impression d’être devenu quelqu’un d’autre au cours de l’année passée. » Mathilde : « Moi aussi ! Je porte un regard tellement différent sur tant de choses. » Charles : « Quand je regarde une photo de moi prise il y a six mois, je peux carrément voir les changements. Je ne savais pas que la façon de penser pouvait évoluer si vite. » Marie : « On décide soi-même jusqu’où on veut aller. On a beaucoup changé, on a évolué, grandi, mais d’autres le font peut-être à un autre rythme. Tout dépend de l’intensité avec laquelle on veut se lancer dans le projet. » Mathilde : « Mais c’est aussi très bien de faire tout ça plus lentement. C’est ce qui est si beau : chacun peut être soi-même. Et les plus anciens prennent les plus jeunes par la main. Parce que ça fait aussi partie du projet : entraîner les autres, leur communiquer son enthousiasme, veiller à ce qu’ils obtiennent les mêmes chances de communiquer leurs idées. Ça aussi c’était un processus d’apprentissage pour moi : apprendre à avoir la patience d’attendre les autres. Au lieu de me dire d’emblée qu’ils “ne suivent pas”, apprendre à me calmer, ne pas seulement vouloir donner mon idée, mais faire en sorte qu’à la fin de la journée tout le monde ait pu contribuer. Donc, oui, on apprend énormément à NEST. Sur la création théâtrale, mais aussi sur les gens, la communication, les émotions, la réflexion… »
Marie : « Quand j’ai commencé, c’était parce que je voulais jouer du théâtre. C’est ce que j’étais venue chercher ici. Mais au cours de l’année dernière, j’ai créé des choses, j’ai appris comment on peut faire passer son idée, comment fonctionne la mise en scène. Jouer est toujours ce que je préfère, mais je suis contente d’avoir appris que le théâtre, c’est tellement plus encore. » Charles : « Quand on commence ici, on fait n’importe quoi. Puis on découvre qu’on ne faisait pas n’importe quoi, mais qu’on était tout le temps en train d’apprendre des choses. En essayant, en échouant. » Marie : « C’est une des plus belles choses que j’aie apprises l’année passée : il faut toujours mettre la barre plus haut et chercher la difficulté pour que ça devienne mieux. Ne pas rester dans sa zone de confort, mais toujours aller un pas plus loin. » Mathilde : « Et c’est parfois déstabilisant. Intense. Difficile sur le plan émotionnel. Mais ce n’est qu’alors qu’on grandit, selon moi. » Charles : « À présent, on va travailler sur Stanislavski, le fondateur du théâtre réaliste. On va plus travailler avec du texte. Creuser la théorie qu’on nous a enseignée l’année passée. Reprendre où on s’est arrêté à la fin de la saison précédente. J’en ai franchement très envie. J’en veux plus encore ! » texte Frauke Joossen
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hôtes particuliers Journal d’une artiste-apicultrice
© Joris Casaer
Ralph Dutli a peut-être raison quand il dit qu’il existe « un lien particulier entre les abeilles et le théâtre musical ». Les affinités entre WALPURGIS et les abeilles sont indéniables. Depuis l’été 2014, le scénographe attitré de WALPURGIS, Stef Depover, et la directrice artistique, Judith Vindevogel, se partagent la tâche de veiller à deux colonies d’abeilles. Un regard rétrospectif sur une année prodigieuse au plus près des abeilles. 24
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« Quelque part, nous sommes aussi des pollinisateurs croisés, comme les abeilles. Notre imagination nous porte comme des ailes. »
Une maison et un jardin peuplés d’artistes et d’abeilles Mardi 1er juillet 2014 Ce n’est pas la première fois que nous accueillons des hôtes « particuliers » à deFENIKS, notre atelier ouvert aux créateurs aventureux de théâtre musical. Mais ceux que nous attendons aujourd’hui sont réellement très particuliers. Johan, notre voisin et apiculteur depuis plus de 20 ans, nous apporte deux colonies d’abeilles. Notre connaissance en matière d’apiculture est à peu près nulle. Mais tout au long de l’année à venir, Johan, notre mentor, va nous initier avec une patience d’ange à l’art de l’élevage et du soin des abeilles. J’ai toujours éprouvé une fascination exceptionnelle pour les abeilles. Ces travailleuses infatigables et la vie dans la ruche demeurent une belle métaphore de notre pratique professionnelle (par la manière dont nous absorbons et transformons tout ce qui nous entoure en musique et en théâtre, et dont nous collaborons avec d’autres artistes, souvent de disciplines différentes) et des efforts que nous déployons pour rapprocher les gens de l’opéra et du théâtre musical. Quelque part, nous sommes aussi des pollinisateurs croisés, comme les abeilles. Notre imagination nous porte comme des ailes et nos productions sont à la fois du miel pour l’âme et du nectar pour la pensée. Les abeilles et les artistes méritent d’être choyés et c’est précisément ce que nous faisons dans notre maison d’artistes deFENIKS à Anvers.
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Girl power Vendredi 5 septembre 2014 On n’a pas toujours conscience du temps que demandent la recherche préliminaire et le travail intense qui précède la création d’un spectacle, l’écriture d’un livre ou… la production d’un peu de miel. Ce qui n’est pas si étonnant, vu que tout processus de travail se déroule en général en coulisse. Je n’avais pas la moindre idée – et comment l’aurais-je su ? – qu’un kilo de miel constitue l’œuvre d’une vie de quelque 350 à 400 abeilles. Et qu’il leur faut réunir pour cela 2 à 3 kilos de nectar, butiner 4 millions de fleurs et parcourir quelque 144 000 km, soit trois fois et demie la circonférence de la Terre. Et ce n’est pas tout. Transformer le nectar en miel est un bel exemple à la fois de travail d’équipe et de girl power. Après avoir récolté le nectar, les butineuses s’envolent rejoindre leurs sœurs dans la ruche, remettent le suc aux magasinières qui y ajoutent toutes sortes d’enzymes et le transmettent à leur tour à de plus jeunes travailleuses qui parachèvent la digestion des sucres. Entre-temps les cirières construisent assidûment des « garde-manger » parfaitement hexagonaux avec la cire qu’elles sécrètent à partir de glandes qui se situent de part et d’autre de leur abdomen. Quand le nectar de fleur est entièrement transformé en miel, il est stocké dans les cavités ad hoc. Les ventileuses se mettent alors à battre vigoureusement des ailes (à raison de 200 battements par minute) pour faire évaporer l’excès d’eau du miel, jusqu’à ce qu’il obtienne la consistance requise. Et pour finir, les abeilles couvrent hermétiquement le miel avec un couvercle en cire. Ces dames ne sont donc pas seulement des ingénieures hautement spécialisées, mais qui plus est, d’authentiques alchimistes.
« Transformer le nectar en miel est un bel exemple à la fois de travail d’équipe et de girl power» Besognes hivernales Lundi 27 octobre 2014 Pour les abeilles, l’hiver commence dès le mois d’août. Dès lors, il ne reste plus beaucoup de pollen ni de nectar à butiner. Tout est calme autour et à l’intérieur des ruches. Après avoir refusé l’accès aux mâles et avoir mortellement piqué les plus envahissants d’entre eux (le massacre des fauxbourdons), les travailleuses forment une grappe très dense autour de la reine. À cette période de l’année, leur seul souci est de maintenir la température de la ruche au-dessus de 10 °C, ce qu’elles font en produisant de la chaleur avec leurs muscles de
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vol – un système de conditionnement d’air interne hypersophistiqué. Stef a planté 200 bulbes bio de crocus de type mammouth grand jaune dans le jardin, juste devant les ruches, entre les mûres et à côté du noisetier. Avec le pollen de ces crocus et des autres floraisons printanières, les abeilles hivernales vont bientôt nourrir les jeunes abeilles. Il ne reste plus qu’à attendre le printemps.
La naissance d’une abeille
La peur au ventre Samedi 7 mars 2015 Le premier contrôle après l’hiver est un moment de suspense pour tout apiculteur. Les abeilles sont-elles encore en vie et assez vivaces ? Elles ont de plus en plus de mal à survivre, comme on le sait entre-temps. Néanmoins, je suis effarée d’apprendre qu’en Flandre, un tiers de la population d’abeilles ne survit pas à l’hiver. Dans le Limbourg, la situation est encore pire : la moitié de la population d’abeilles a péri. Ouf, nos deux petites colonies respirent la bonne santé. Les butineuses quittent la ruche et y reviennent avec du pollen, ce qui indique qu’il y a un couvain dans la ruche. Mais Johan nous rappelle à la raison et nous prévient que chaque apiculteur fait tôt ou tard face à la mortalité de ses abeilles. Une pensée lugubre.
Tous ensemble Dimanche 29 mars 2015
© Salim Hellalet
Il pleut des cordes. Un temps de chien. Aujourd’hui, aucune abeille ne quitte la ruche, c’est certain. Nous bien. Il le faut. Nous arpentons la rue pour la parade du mouvement citoyen Hard Boven Hart/Tout Autre Chose, une initiative qui réunit les personnes préoccupées par la politique d’austérité du gouvernement belge… À l’instar des abeilles, l’être humain sera solidaire ou ne sera pas. Parce que l’humain et la nature forment un tout. « Nulle chose n’existe qui n’en touche une autre », écrit le journaliste et écrivain néerlandais Jeroen Brouwers. wOwW!
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Cool, un essaim d’abeilles!
© Luc Branders
Vendredi 22 mai 2015 Alors que ma collègue Ellen et moi sommes encore à la recherche d’un bel endroit dans le jardin pour les quelques plantes que nous avons reçues cet après-midi – potiron, tournesol, souci, grande camomille et bourrache –, j’entends et vois soudain un énorme essaim d’abeilles au-dessus des ruches. Au moins 10 000 abeilles colorent en noir le ciel au-dessus de nos têtes et survolent le muret, tout droit en direction du jardin du voisin Tim. La plupart des apiculteurs font tout ce qu’ils peuvent pour éviter l’essaimage des abeilles et contrôler la scission naturelle d’une colonie. L’essaimage entraîne notamment le risque de perdre du miel, voire de perdre toute la colonie. J’étais secrètement contente de voir cet essaim. Quelque 10 000 à 20 000 abeilles dans le ciel forment un spectacle impressionnant, un peu magique. Mais à vrai dire, je n’étais pas tout à fait tranquille. Certaines
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personnes commencent en effet à qui s’abrite sur une branche d’arbre paniquer à la vue de tant d’abeilles, de taille moyenne, et il n’est pas si et je me demandais comment notre difficile de les « capturer ». Mais cette voisin allait réagir à ces hôtes inatpetite colonie est manifestement tendus dans son jardin. Qui plus est, volontaire et suit son propre chemin. Johan étant en vacances, il nous fallait On dirait qu’elle a une sainte horreur nous-mêmes capturer cet essaim. des formats, des fonctions et des Un coup de fil à modèles, et se di« Quelque 10 000 à 20 000 rige tout droit vers un collègue apiculteur m’a don- abeilles dans le ciel forment la clôture grillagée né le courage et les parpaings d’effectuer cette un spectacle impressionnant, posés près du sol tâche avec Stef. dans le poulailler un peu magique. » Tim, le voisin, de Tim. « Mestrouvait ça plutôt sympa, et nous a dames !? Êtes-vous bien certaines ? tranquillement laissés effectuer notre Vous ne préférez vraiment pas un mission. La voisine du dessus était arbre ? » « Non ! Sûres et certaines. moins rassurée, quant à elle. Mais Nous resterons ici et nulle part ailleurs après lui avoir expliqué qu’il n’y avait en attendant de trouver un meilleur rien à craindre, que les abeilles en gîte. » Mais l’avantage c’est qu’après essaimage piquent rarement et que avoir réussi, au prix de grands efforts, toute leur attention se porte sur la à capturer toutes les abeilles et à les reine, elle aussi a observé l’exercice introduire dans la ruche, je me suis avec intérêt. dit que désormais, je peux affirmer : « Un essaim d’abeilles ? Faites appel Idéalement, quand elles essaiment, à moi ! » les abeilles forment une belle grappe
De l’or liquide Samedi 18 juillet 2015 La boucle est bouclée. Aujourd’hui, nous allons extraire le miel. Mais avant, il faut retirer les couvercles de cire qui couvrent le miel à l’aide d’une fourchette spéciale. Une tâche gluante. Ensuite on introduit les cadres de miel dans une centrifugeuse et le miel est extrait des rayons. Notre récolte de cet été, filtrée et pesée, s’élève à 62 kg* de miel. Même Johan est impressionné. Bien joué, Mesdames ! La plupart des apiculteurs gardent le miel et font hiverner les abeilles avec du sirop de sucre. L’idée ne nous plaît pas. C’est moins cher pour l’apiculteur, mais le sucre n’est pas du miel. Notre regard artistique sur la vie nous rend extrêmement sensibles aux conséquences fâcheuses d’une pensée économique poussée trop loin. Certainement à long terme. Voilà pourquoi Stef et moi décidons de rendre 28 kilos de miel aux abeilles. C’est la quantité exacte qu’il leur faut pour passer l’hiver. *62 kg de miel représentent donc l’œuvre de vie de 21 000 à 25 000 abeilles qui ont récolté le pollen et le nectar de 2 500 000 de fleurs et ont conjointement parcouru une distance équivalente à 223 fois la circonférence de la terre.
« Le moins d’intervention possible dans les processus organiques, qu’ils soient naturels ou artistiques. Voilà tout l’art ! » Pensée apicole d’une débutante Vendredi 31 juillet 2015 Au bout d’une année d’apiculture, je me sens encore une débutante. Mais une chose est certaine : me plonger dans le monde fascinant des abeilles, les observer, m’en occuper m’a fait découvrir qu’il existe une plus grande affinité entre l’apiculture et le théâtre musical que je ne l’imaginais. Chaque apiculteur cherche sa voie et tente de trouver un équilibre entre la connaissance et l’intuition. Ce qui le différencie de ses collègues est sa relation avec les abeilles et son approche des choses. En ce qui me concerne, je privilégie le moins d’intervention possible dans les processus organiques, qu’ils soient naturels ou artistiques. Voilà tout l’art ! texte Judith Vindevogel photos Stef Depover
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À voir et à écouter
DOCUMENTAIRE More than honey (Des abeilles et des hommes), un documentaire de Markus Imhoof sur la nature. Magnifique, mais inquiétant.
CD Die Bienen, un lied désarmant de Max Reger à propos d’un enfant qui aimerait être une abeille pour pouvoir vivre tout l’hiver de l’odeur des fleurs et du rayonnement du soleil.
Compilation de lieder de Mussorgsky, Debussy, De Leeuw, Reger et Bernstein 10 € (Offre exclusive pour les lecteurs de wOwW!. À commander à info@walpurgis.be)
Le MIEL dans la CUISINE Le miel est un produit naturel exceptionnel qui contient de nombreuses enzymes précieuses, mais celles-ci sont anéanties à une température supérieure à 40 °C. On peut donc parfaitement utiliser du miel dans des préparations culinaires, mais sans le chauffer. Liesbeth Fransen, chef cuisinière de Trizee Privee et cuisinière attitrée du FENIKS FESTIVAL vous explique comment faire. Assaisonnez votre salade d’une vinaigrette au miel faite maison. La douceur du miel se marie parfaitement avec des goûts frais et prononcés comme l’estragon et la moutarde. Choisissez des ingrédients de qualité, ce sera d’autant meilleur ! * 150 ml d’huile d’olive * 75 ml de vinaigre à l’estragon * 2 cuillères à soupe de miel liquide (30 gr) * 1 cuillère à soupe de moutarde (15 gr) * 20 feuilles d’estragon frais finement haché * un tour de moulin à poivre et une pincée de sel
Versez tous les ingrédients dans un récipient, mélangez bien avec un fouet. Pour obtenir un effet plus onctueux, passez la vinaigrette au batteur plongeur. Servez la salade avec des herbes aromatiques fraîches, comme la livèche, l’oseille, l’hysope anisée, le chénopode, l’origan, la bourrache et la ciboulette. C’est également délicieux avec du chou-fleur ou du chicon rôti.
© Stef Depover
ACHEVÉ D’IMPRIMER wOwW! magazine de théâtre musical aventureux Éditeur WALPURGIS vzw
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Rédaction en chef Judith Vindevogel Rédaction finale Frauke Joossen Rédaction Ellen Fransen Rédaction d’images Stef Depover Graphisme Inge Rylant Traduction Isabelle Grynberg
Photographes Vincent Beaume, Luc Branders, Joris Casaer, Stef Depover, Cuahtémoc Garmendia, Salim Hellalet, Walter Grimm, Edwige Lamy, Raymond Mallentjer, Diana Monkhorst, Herman Sorgeloos, Stef Stessel, Kristien Verhoeyen, Matthieu Wassik Couverture soprano Liesbeth Devos ©Stef Depover Avec nos remerciements à Lorenzo Caròla, Ronan Debois, Claire Demaison, Anna Maistriau, Marie-Rose Meysman, Mireille Mossé, Dominique Reinosa, Collette Siri Magazine gratuit, ne peut pas être vendu séparément. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, publié ou diffusé par voie d’impression, de photocopie, de microfilm ou tout autre moyen sans l’autorisation écrite préalable de l’éditeur. La rédaction a entrepris tout ce qui est en ses moyens pour trouver les ayants droit en matière de droits d’auteur et d’obtention d’autorisation. Si vous pensez avoir des droits sur du matériel publié dans ce numéro, veuillez prendre contact avec notre responsable de la communication à l’adresse : communicatie@walpurgis.be.