Si on chantait ! La La La La... Extrait de la publication

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Si on chantait ! La La La La...

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Musée dauphinois

De la chansonnette à l’hymne, de la comptine à la ballade, de la berceuse au chant révolutionnaire, la chanson véhicule nos sentiments et notre pensée. Si elle appartient au patrimoine immatériel de l’humanité, la chanson populaire ne cesse de jouer un rôle majeur dans notre société contemporaine. Cet ouvrage rend compte de l’exposition Si on chantait ! La La La La... en rassemblant textes, documents et chansons diffusées ou citées tout au long du parcours. Au fil des pages, une esquisse de la chanson populaire se dessine autour des fonctions que nous lui assignons : exprimer le souvenir, le quotidien, la révolte, l’exil, la vie et, avant tout, dire l’amour ! En s’appuyant sur de nombreux exemples, Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson, et Olivier Hussenet, comédien, chanteur et formateur, analysent la chanson, dans la relation qu’elle instaure avec l’intime et le politique, comme un art à réinterroger. La réalisatrice Péroline Barbet témoigne de la collecte conduite en Isère. Portant son regard sur la pratique et la réception contemporaine de la chanson, elle crée une installation sonore et des portraits filmés d’habitants-chanteurs de la Villeneuve à Grenoble, de choristes et d’auteurs-compositeurs-interprètes professionnels de la scène locale. Franck Philippeaux, commissaire de l’exposition, et Pierre-Vincent Fortunier, scénographe, partagent leur expérience de création d’un parcours expographique articulé autour de cet objet singulier immatériel qu’est la chanson.

Si on chantait ! La La La La... Musée dauphinois



Si on chantait ! La La La La...


Projet initié par Jean Guibal, ancien directeur du Musée dauphinois, conduit par Franck Philippeaux, conservateur au Musée dauphinois.


Si on chantait ! La La La La... Ouvrage dirigĂŠ par Franck Philippeaux et Chantal Spillemaecker



Sommaire 6 Préface Jean-Pierre Barbier Président du Département de l’Isère

8 Avant-propos Aymeric Perroy Directeur de la Culture et du Patrimoine

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La chanson, un art à réinterroger Serge Hureau Directeur du Hall de la chanson, chanteur-comédien et metteur en scène et Olivier Hussenet Comédien de théâtre contemporain, chanteur et formateur

28 Quand une exposition esquisse la chanson populaire

Franck Philippeaux Conservateur du patrimoine au Musée dauphinois

40 Né quelque part Chanter l’autre

42 Comme d’ habitude

Chanter le quotidien

44 Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux Chanter la vie

46 Fais pas ci ! Fais pas ça ! Chanter la révolte

48 J’ai la mémoire qui chante Chanter l’intimité

50 Les histoires d’A

Chanter l’amour

52 Merci Patron !

Chanter le travail et l’argent

54 Douce France

Chanter son pays

58 « Chanter c’est être là

et être ailleurs aussi. » Une enquête sur la pratique de la chanson en Isère Péroline Barbet Ethnologue, documentariste

68 Scénographier la chanson Pierre-Vincent Fortunier Scénographe de l’exposition

74 En haut de l’affiche 78 Bibliographie 79 Contributions et remerciements 80 Sources et crédits

Les Vampires, photographie dédicace Entre 1961 et 1965, le groupe de Fontaine (Isère) Les Vampires donne de nombreux concerts. Ces jeunes lycéens enregistrent aux studios J.B.P. deux 45 tours de quatre titres : Les copains, Sylvie, Ma mélodie, Spotnicks Time. Le plus grand souvenir de ces rockeurs est sans aucun doute le concert du 22 juin 1965 en première partie de l’unique prestation lyonnaise des Beatles au Palais d’hiver.


Préface

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arement un titre d’exposition : Si on chantait ! La La La La... n’aura été aussi entraînant. Le Musée dauphinois, toujours enclin à l’expérimentation, se lance dans l’aventure d’exposer la chanson, ses paroles et ses accords si fugaces, si fragiles, qui font partie de notre quotidien et nous accompagnent tout au long de notre vie. Notre langue (et plus largement la francophonie), est constituée de chansons. Instantanément, des refrains ou des paroles viennent à l’esprit : La Bohème interprétée par Charles Aznavour, Nationale 7 par Charles Trenet, Ne me quitte pas par Jacques Brel, Je reviendrai à Montréal par Robert Charlebois... La chanson transporte dans sa traîne des ambiances, des passions, des souvenirs. Qu’on la déguste en concert, au bal, en chœur ou dans l’intimité, elle nous emmène et offre des mots à une humeur, à des situations, à des sentiments. Le propos scénographique est original. Il fait coïncider les âges de la vie et le patrimoine de la chanson, tout en visitant une maison familiale. À chaque pièce son atmosphère, ses souvenirs, ses chansons : berceuse, rock, rap, chanson à texte... Chacun se retrouve dans son intimité pour apprécier des univers différents qui correspondent à ses envies, à ses goûts du moment. Chacun savoure l’instant, se forge ou se construit une mémoire de la chanson. La chanson parle de nous mais fait aussi tomber les cloisons. Elle est contagieuse et s’exprime en chorale, en karaoké, en concert… Elle rassemble autour de la voix, cet « instrument » accessible à tous. Que celle-ci soit plus ou moins travaillée ou plus ou moins assurée, peu importe, l’objectif est le même : produire des sons, faire vibrer son corps et son être, s’exprimer ou tout simplement se changer les idées. C’est cette pratique que le Département soutient, notamment grâce au schéma départemental des enseignements artistiques et de l’éducation culturelle. Les voies sont multiples, offrir à tous un enseignement de qualité et ouvert sur toutes les pratiques, renforcer les réseaux sur tout le territoire, par les chorales mais aussi par des projets spécifiques comme À travers chants conduit par l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique (AIDA)...

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Dans le contexte actuel où la violence, l’incertitude, la peur, nous font douter, nous intimident, la chanson nous libère, nous rassemble. « Alors, chantons ! » pourrait être un appel général au niveau national. « Dites-le en chansons et entraînez tout le monde autour de vous ! » pourrait rendre le sourire à ceux qui nous entourent, nous redonner confiance et audace.

Jean-Pierre Barbier Président du Département Député de l’Isère


Chants de l’alpe, 20 chœurs du Cercle Choral Montagnard de Grenoble. Poésie de Victor Rambaud et Paul Coutier, musique d’Edmond Arnaud, illustrations Samivel. Éditions musicales Deshairs, 1945. Le Cercle Choral Montagnard de Grenoble était dirigé par Léon Deshairs. Plusieurs de ces chœurs sont enregistrés sous le titre Chants de montagne par le Cercle Choral Montagnard de Grenoble. (Disque 33 tours Ricordi 25 S 013 et enregistrement BnF Collection sonore, extraits disponibles sur la base de données BNF-Gallica).

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Avant-propos La chanson, une éternelle jeunesse Tout commence par une gymnastique des doigts, quelques accords sur un piano, des mots qui répondent aux notes et la brume laisse place à « Tu n’es qu’un fumeur de gitanes, je vois tes volutes bleues ». Il est trois heures du matin, un homme à la tête de chou dans une maison calme du vieux Paris, cherche, lutte, égrène les notes et les mots, les idées et les associations, comme le poète avec les voyelles. L’artiste compose des situations, des sentiments, pourtant, si intimes mais que chacun pourra s’approprier. Ces mots qui résonnent pour tous et qui accompagnent une vie. Suivant l’humeur, l’état d’esprit de la journée sera teinté de mélancolie, le mal de vivre d’une longue dame brune ou aura, à l’opposé, la joie et la couleur d’un road-song Rockcollection avec Laurent Voulzy. Les chansons actionnent notre orgue à sentiments et envoûtent notre être.

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Que l’interprète soit la nouvelle déesse légèrement empruntée ou la « bête de scène » infatigable, l’alchimie prend, et des millions de voix et d’esprits fredonneront les paroles et la mélodie. Compositeur, interprète, parolier, masculin ou féminin, chacun apporte sa personnalité et il suffit d’entendre une nouvelle reprise pour s’apercevoir qu’une chanson, au-delà du sens des mots, se nourrit de réserves infinies et des dons de l’interprète. Que serait une vie sans la chanson ? Elle est tellement présente, depuis notre enfance jusqu’au souvenir de notre jeunesse, quand les années

ont passé et qu’un être grisonnant harangue la vie en commençant d’une voix enjouée « Pour tout bagage on a vingt ans » pour terminer dans un cri final « et en cherchant son cœur d’enfant, on dit qu’on a toujours vingt ans… » La chanson nous accompagne au fil de l’existence et demeure sans aucun doute, l’art le plus partagé quels que soient l’âge et l’origine sociale. Simple comme la parole, légèrement vêtue d’un rythme slam d’un Grand Corps malade ou au contraire, « pièce montée » d’une tonitruante orchestration, elle n’en finit pas de se transformer, de se régénérer et de s’immiscer dans nos vies. La chanson est un éternel renouvellement et voit éclore à chaque saison des jeunes talents plus ou moins éphémères. à chaque génération ses références, ses figures tutélaires, ses mythes ! Et une décennie sera marquée de leur empreinte. Dis-moi qui tu écoutes et je te dirai qui tu es ! Claude François ou Brassens ? Renaud ou Sardou ? Bob Dylan ou Metallica ? Tina Turner ou Nana Mouskouri ? Et pourtant, combien de fois, le besoin de sociabilité, de répondre à des codes, le désir de paraître intellectuel ou au contraire de se fondre dans l’air du temps, en somme, d’être yéyé, dans le vent, cool, in, hype… (laissons les futures générations compléter) nous ont fait renoncer à défendre des chansons qui pourtant nous touchaient ! C’est la preuve, s’il en fallait encore une, que ces chansons, ces chansonnettes, ces ballades, ces ritournelles, toutes ces dénominations qui cherchent à amoindrir leur portée, ont une grande importance dans notre société.


«Foule sentimentale, il faut voir comme on nous parle… » La société moderne, grâce aux progrès techniques, aux supports renouvelés toujours plus faciles d’utilisation et plus accessibles, n’a cessé d’accroître la diffusion afin que la chanson entre dans toutes les chambres, dans toutes les poches (MP3, Smartphone) et au final dans toutes les oreilles. L’industrie du disque, les radios libres, les Zéniths et maintenant Internet, ont réussi à capter tous les publics, souvent segmentés. Parmi eux le public adolescent ou jeune demeure une cible de choix. Il va absorber la nouveauté avec avidité car la chanson participe à son émancipation, lui fait découvrir des mondes nouveaux tout comme les premières notes de l’amour. Dans cette fusion de l’écrit et de la musique, il ne manquait plus que l’image ! Les pinceaux

d’un Toulouse-Lautrec ont laissé la place aux portraits sur papier glacé des pochettes de disque puis aux chaînes dédiées aux clips. La chanson franchit une nouvelle dimension. Son univers propre, sa puissance d’évocation ne suffisent plus, il faut la voir ! La chanson donne le rythme à notre société, il était normal que le Musée dauphinois s’en empare. Un musée toujours jeune et à l’esprit vif. Un musée qui claque des doigts et qui tape du pied, toujours partant pour de nouvelles expériences. Aymeric Perroy Directeur de la culture et du patrimoine

Yvette Horner et le Tour de France, voiture miniature (1/43) Coiffée d’un sombrero et juchée sur le toit d’une Citroën traction avant aux couleurs de la marque Suze, Yvette Horner (née en 1922) gagne sa popularité en accompagnant onze Tours de France de 1952 à 1963. En 1966, le chanteur Antoine profère ses élucubrations : « L’autre jour, j’écoute la radio en me réveillant / C’était Yvette Horner 9 qui jouait de l’accordéon / Ton accordéon me fatigue Yvette / Si tu jouais plutôt de la clarinette / Oh, Yeah ! » Il en faudra plus pour entacher la popularité d’Yvette Horner ! En 2011, elle séduit Julien Doré qui enregistre le son de son accordéon sur l’album Bichon.


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La chanson, un art à réinterroger Pour les choses qui nous alarMême si l’on se limite aux terriSerge Hureau et Olivier Hussenet maient »). toires français, force est de Le Hall de la chanson, Néanmoins, malgré les constater que les chansons (du Centre national du patrimoine de la chanson points communs ou les invaXI e au XXI e siècle) constituent riants, rien d’étonnant, au des objets extrêmement divers vu de la grande disparité des en termes de styles musicaux et chansons, à ce qu’elles aient prosodiques, de thématiques, de rempli (et remplissent aujourd’hui) des foncpratiques et de contextes d’exécution, de format, tions diverses, dont on pourrait observer les de langues et de parlers.

Des chansons…

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variations diachroniques, au fil des mutations historiques, et synchroniques, en fonction des contextes géographico-socio-culturels. Ainsi, toute tentative de synthèse outrancièrement simplificatrice qui voudrait aller plus loin que le repérage des constantes que sont paroles-etmusique, voix qui chante et destinataire(s) (fûtil la même personne que le chanteur, dans le cas bien connu où l’on chante tout(e) seul(e) dans sa salle de bain)1 – tentative repérable par exemple par l’emploi de l’expression « la chanson » – mérite un examen critique approfondi, tant les risques de montée en généralité partiale et d’essentialisation abusive semblent pouvoir facilement s’y terrer.

ntre une chanson de toile du Moyen Âge, conçue et chantée par une femme pour préparer sa fille ou sa nièce à la conjugalité lors de leurs travaux de couture dans la salle d’un château seigneurial, et la chanson À présent qui donne son titre au dernier album de Vincent Delerm, à écouter sur un iPod, un ordinateur ou – pour une poignée d’années encore – sur un lecteur de CD, que de différences ! La langue, le mode musical, la structure et la prosodie, les instruments accompagnateurs, le mode de transmission du son, le mode de « présence » de l’interprète, le sexe de la personne qui chante… Pourtant, quelques points communs aussi : des paroles et une mélodie nouées ensemble, portées …ou la chanson ? par une (ou plusieurs) voix et destinées à un Expliquons-nous. Parler de « La chanson » auditoire, et – de façon fortuite par le choix tout revient à construire la fiction d’une essence, là à fait au hasard de ces deux exemples très éloi- où se présente un groupe très hétérogène d’objets, gnés dans le temps – la présence d’un enfant : 1 Jacques Cheyronnaud parle de façon plus précise de « format chanson », expression qui désigne « toute chanson en son immanence propre d’organisation qui écoute une chanson initiatique et rapide- métrico-rythmique, phonique […] et qui emprunte expressément aux ressources d’une cinétique musicale […] » Cf. Jacques Cheyronnaud, La question du timbre, ment chante avec (dans le cas de la chanson de conférence plénière du 28 octobre 2008 prononcée lors de l’« université d’automne la chanson » (du 27 au 31 octobre 2008) organisée par Le Hall de la chanson – toile), ou dont on évoque le trouble ou le désar- deCentre national du patrimoine de la chanson, des variétés et des musiques actuelles le ministère de l’Education nationale (dans le cadre de son Plan national de roi (dans la chanson À présent : « En retrouvant etformation). Communication disponible en ligne : http://lehall.com/galerie/univertrente après / Sur notre enfant les mêmes alarmes / sitemarseille/wp-content/uploads/2009/01/cheyronnaud.pdf

La complainte des trente brigands ou Complainte de Mandrin Partition « petit format » éditions La Parisienne, Paris, 1955. Louis Mandrin naît en 1724 à Saint-Étiennede-Saint-Geoirs en Isère. Ce bandit de grand chemin recrute des déserteurs de l’armée et se lance vers 1750 dans la contrebande. S’attaquant aux fermiers généraux, les percepteurs d’impôts, sa popularité est grande dans la région du Dauphiné… même s’il commet des faits moins glorieux. La complainte écrite à sa mort participe à sa légende d’un Robin des Bois. Le récit de la chanson s’écarte de la réalité en plusieurs points : la bande de Mandrin ne s’habillait pas en blanc, mais se déguisait en marchands ; Mandrin ne fut pas jugé pour le brigandage 11 ou le vol, mais pour ses activités de contrebande ; il n’a pas été pendu à Grenoble, mais roué à Valence.


La Marmite du Diable, char infernal, chanson et rondeau. Fêtes de Grenoble des 11 et 12 juillet 1875 Chanson de char de la fille de Madame Angot. Fêtes de Grenoble des 4 et 5 juillet 1875. Ces deux livrets étaient vendus au profit des inondés du Midi de la France et des indigents de la Ville de Grenoble. Programmes édités par Lithographie Maisonville et Fils, Grenoble, 1875.

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en niant justement sa diversité. Ce geste simplificateur, à tout coup, échafaude une uniformité fictive, voire fantasmée, rejetant dans l’ombre une partie de la réalité. Généralisateur, essentialisant, il remplit lui-même certaines fonctions. Il se présente souvent comme un retour à des valeurs prétendument fondamentales ou à une tentative de séparer le bon grain de l’ivraie, en distinguant ce qui serait valable et vrai de ce qui serait fabriqué et moins estimable. À cet égard, une lecture attentive des instructions de l’enquête Fortoul, du nom du ministre de l’Instruction publique et des Cultes (de 1851 à 1856), révèle une intention de fonder une identité française sur un patrimoine populaire partiel : la poésie populaire des campagnes de toutes les régions de France (censée relever d’une naïveté d’esprit et d’une innocence du cœur intactes), probablement afin de minimiser et rejeter comme inauthentiquement françaises les chansons populaires urbaines, des “pont-neuf ” du XVIIe siècle aux chansons sociales et ouvriéristes du XIXe siècle, en passant par les chansons

de la Révolution2 . Pour Jacques Cheyronnaud, les choix de critères définitoires et de classification montrent clairement la difficulté de l’objectivité et de l’impartialité d’une telle démarche institutionnelle (il cite le texte des instructions) : « La première partie […] des Instructions dégage quelques principes généraux touchant à la nature du matériau à retenir […]. Les premiers paragraphes plaident d’emblée la reconnaissance en dignité d’intérêt et en mérite des objets [appelés] poésies populaires. […] Cette poésie, “tout à fait” ou “vraiment” populaire, devrait procéder d’un état de surgissement ex nihilo, sorte de degré zéro de commencement : la spontanéité. “Le Comité ne considère comme tout à fait populaire que des 2 Voir à cet égard la remarquable analyse de Jacques Cheyronnaud dans son introduction à l’édition de ces instructions principalement rédigées par JeanJacques Ampère (1800-1864, académicien et professeur au Collège de France). Cf. Cheyronnaud Jacques, Instructions pour un Recueil général des poésies populaires de la France. L’enquête Fortoul (1853-1857). Paris, éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1997 (277 p.).


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Quand une exposition esquisse la chanson populaire Quand Madelon... créée par Inventer le monde. Les Rhônalpins Franck Philippeaux Conservateur au Musée dauphinois le comique troupier Bach en et leurs langages (1990) ; Peurs 1914 et diffusée dans À l’arbleues, l’enfant et les croquerière comme au front. Les Isérois mitaines (2000) ; Êtres fantasdans la Grande Guerre (2014) ; tiques. De l’imaginaire alpin à enfin, La ballade des cimetières de Georges l’imaginaire humain (2008)... Le Musée dauphinois Brassens dans le dispositif interactif Mir’Os de inscrit périodiquement le patrimoine immatériel au programme de ses expositions temporaires. Une Confidences d’outre-tombe. Squelettes en question démarche toujours accompagnée de partenariats (2014). Cependant, jusqu’à ce jour le Musée dauphinois n’avait pas dédié à la chanson popuengagés avec les acteurs du spectacle vivant comme laire une exposition à part entière. Aussi a-t-il le Centre des arts du récit (Saint-Martin-d’Hères, souhaité lui consacrer l’exposition Si on chanIsère), des compagnies théâtrales ou encore des tait ! La La La La... conteurs professionnels et amateurs, dont l’expression complète la compréhension de l’exposition. Cette volonté permanente de valorisation de ce patrimoine oral s’exprime, cette année encore, Vertige de la chanson L’expression « chanson populaire », considérée par l’intégration d’une Machine à contes — dispositif dans son sens le plus général, cache une étenmultimédia ludique — dans l’exposition permanente due quasi infinie de créations, donnant une Gens de l’alpe.

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a chanson, riche composante de ce patrimoine immatériel, s’est invitée à de nombreuses reprises dans le parcours des expositions temporaires du Musée dauphinois. Les visiteurs ont entendu : Les Allobroges dans l’exposition éponyme (2002), L’amour est un bouquet de violettes interprétée par Luis Mariano dans Français d’Isère et d’Algérie (2003), La Compil’ des dessous dans Les dessous de l’Isère. Une histoire de la lingerie féminine (2013) [une compilation constituée de plus de quarante extraits de chansons liées à la lingerie, à l’intimité féminine et à la représentation du corps féminin, allant de Gare les rayons X créée par Yvette Guilbert à Ça m’ énerve d’Helmut Fritz] ;

sensation de vertige. La chanson populaire est celle que tout le monde pense connaître. Mais de quelle chanson parlons-nous ? Compagne de notre quotidien depuis des siècles, nous ne savons pourtant pas d’où elle vient ni pourquoi nous la chantons. Souvent, nous l’écoutons sans même en entendre le sens. A contrario, lorsque nous lui prêtons attention nous lui reconnaissons sa capacité à cristalliser des fragments d’histoires personnelles et collectives. La chanson fonctionne avec des clichés et des lieux communs mais elle permet aussi une identification forte et renvoie pleinement à notre intimité.

Toujours interrogée sur sa légitimité en tant qu’objet artistique, essuyant souvent le reproche

Sous le ciel de Paris, Partition dite « petit format ». Paroles de Jean Dréjac. Musique de Hubert Giraud, Paris . Choudenséditeur, Paris, 1951. Cette chanson est interprétée pour la première fois par Jean Bretonnière dans le film Sous le ciel de Paris de Julien Duvivier en 1951.

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Près de 250 disques de la scène locale iséroise ont été collectés et sont présentés dans l’exposition.

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de n’être qu’un pur produit commercial répondant aux intérêts de l’industrie discographique au détriment des valeurs dont elle devrait être le vecteur, la chanson est souvent malmenée. Musée de société, le Musée dauphinois a donc choisi d’approcher la chanson en questionnant les fonctions et les usages qui lui sont assignés. Ainsi reconnu comme fait social, le portrait de la chanson se dessine à travers plusieurs interrogations. Quels discours porte-t-elle ? Quelles idées véhicule-t-elle d’une génération à l’autre ? Quels sont les instants et les espaces d’interprétation et d’appropriation de la chanson provoquant cette popularité ? La chanson est certes un objet patrimonial mais elle relève avant tout d’une pratique contemporaine. Pour comprendre comment elle accède au statut de « populaire », il faut considérer les dimensions

formelles de la chanson : le texte (les paroles), la mélodie (sa prosodie et son rythme), l’interprétation (une performance d’ordre « théâtral »), la brièveté... Le récit est porté par des mots (les paroles) et du talent (l’interprétation) ; la mémorisation est favorisée par la ligne mélodique (un petit air qui vous entre dans la tête…) et par la brièveté (le temps d’une chanson), le rythme provoque le plaisir (« ça balance pas mal »...), l’oralité permet la transmission. En outre, paroles et musique peuvent être transcrites ; la voix chantée se prête à l’enregistrement et à la diffusion.

Les « silences » de l’exposition Une autre manière d’approcher la chanson populaire aurait été de considérer la voix chantée et ses caractéristiques. Cette dimension joue un rôle important pour expliquer la popularité


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Chanter l’autre Chanter le quotidien Chanter la vie

Bal à la cité-jardin Paul Mistral, Grenoble, vers 1950

Chanter la révolte Chanter l’intimité Chanter l’amour

argent Chanter le travail et l’ Chanter son quartier , son pays Les Twist Boy, groupe de rock’n’roll. Vizille (Isère), 1962 Photographie René Villiot

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Chanter l’autre

né quelque part Passeport de colporteur délivré à Laurent Giraud, Bourg-d’Oisans, 1831 Délivré pour une année par la police générale du royaume, ce laissez-passer intérieur permettait au colporteur Laurent Giraud de circuler entre Bourgd’Oisans et Nevers. Ce document consigne avec précision les traits anthropométriques de son porteur : âge 30 ans ; taille 1,70m ; cheveux, sourcils et barbe châtain foncé, front découvert, visage allongé, teint coloré… Signe particulier : une petite cicatrice au-dessus de l’œil gauche.

Le retour, pastorale Partition d’une chanson de départ écrite pour trois voix (soprano, ténor et basse) et piano, vers 1840. Paroles d’Auguste Alain, musique de Léo Warz. Illustration : Victor Désiré Cassien. Extrait des paroles : « Quand je quittai la Bretagne / et qu’à l’horizon brumeux / je ne vis plus ma montagne / bien des pleurs mouillaient mes yeux. »

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Vivre heureux auprès de son arbre, partir un jour sans retour, ouvrir la porte aux oiseaux migrateurs, la chanson décrit et décrypte notre relation à l’autre, à l’étranger. Elle exprime la haine ou la solidarité, l’exil et le droit d’asile, l’errance ou la sédentarisation, les impératifs du départ et l’espoir de revenir auprès des siens. Si les débats sont parfois clivants, ces chansons engagées, militantes et intimistes, fédèrent et acquièrent une dimension populaire comme en témoigne leur succès. La chanson traditionnelle foisonne d’histoires racontant l’obligation de quitter son pays pour gagner sa vie, comme le marin partant pour un voyage au long cours, le paysan offrant sa force au-delà des frontières, le colporteur reliant le monde en transportant des biens et des nouvelles. Les récits de soldats quittant leur dulcinée pour défendre la patrie, sont aussi légion. La chanson actuelle perpétue ces récits de vie et s’engage à défendre les droits fondamentaux. Mais elle constate souvent : « Elle croyait qu´on était égaux Lily/ Au pays de Voltaire et d´Hugo Lily/ Mais pour Debussy en revanche/ Il faut deux noires pour une blanche/ Ça fait un sacré distinguo. » (Pierre Perret). Parmi tous les chants qui ont traversé le monde, à la façon des migrants prenant la route pour survivre ailleurs, Exodus de Bob Marley est devenu une ode à la terre perdue. « Nous savons où nous allons / Nous savons d’où nous venons / Nous quittons Babylone / Nous allons sur la terre de nos pères. » n

Des chansons Né quelque part Maxime le Forestier, Jean Guigon Extrait de l’album Né quelque part, 1989

Exil La Rue kétanou Extrait de l’album En attendant Les Caravanes, Yelen Musiques, 2000

Ce soir je pense à mon pays Marie Dubas, François Reichenbach, Philippe Gérard, 1944

La complainte du phoque en Alaska Beau Dommage, Michel Rivard, 1974

C’est déjà ça Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1993

Toi Paris tu m’as pris dans tes bras Enrico Macias, J. Peigné, 1964

Aller sans retour Juliette Noureddine Extrait de l’album Bijoux et babioles, 2008

Lily Pierre Perret, 1977

Le colporteur Jacques Douais, M. Fomboure, J. Dovol Extrait de l’album Jacques Douais chante pour les enfants, 1957

Tonton du bled 113, Abdelkrim Brahmi, Faveris Essadi Extrait de l’album Mehdi, 1999


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Chanter le quotidien

COMME D’HABITUDE On n’a pas tous les jours vingt ans. Partition dite « petit format » portant à l’intérieur le tampon du magasin « À la vieille guitare, 14 avenue Alsace-Lorraine, Grenoble ». Interprète : Berthe Sylva. Auteur, compositeur : Fernand Pothier, Léon Raiter. Éditions : Les Publications Sylvain Raiter, Paris, 1934 Refrain : « On n’a pas tous les jours vingt ans Ça nous arrive une fois seulement Ce jour-là passe hélas trop vite ! C’est pourquoi faut qu’on en profite. Si le patron nous fait les gros yeux On dira : Faut bien rire un peu ! Tant pis si vous n’êtes pas content On n’a pas tous les jours vingt ans. »

Horloge électrique Horloge murale en métal de la marque Électrique Brillié, années 1950. Cette horloge indiquait aux ouvriers et aux ouvrières le temps consacré au labeur dans les ateliers de Valisère (société de lingerie féminine installée rue de New-York à Grenoble).

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De couplets en refrains, la chanson raconte aussi le banal, la routine, l’ennui. Elle donne l’espoir d’échapper à son sort en nous faisant héros d’une révolte dont on n’a pas l’étoffe. Alors, pour une heure, une heure seulement, être beau et libre à la fois ! Comme un greffier, la chanson consigne nos gestes les plus communs et veille à la conservation de notre mémoire collective. Elle jubile à décrire les grains de sable qui enrayent la mécanique des choses, de l’événement anodin au fait divers dramatique. Chroniqueuse des faits ordinaires, elle pérennise une actualité qui tomberait dans l’oubli si on n’y prenait garde. Mais, alors que les petits bonheurs nous sont indispensables, la chanson est bien ingrate à ne pas trop leur rendre grâce. Justice leur est rendue par Anne Sylvestre : « Dans les gestes du matin / Les gestes qu’on connaît bien / C’est rien / C’est le bonheur quotidien ». n

Des chansons Petite dame dans sa petite auto Charlélie Couture Extrait de l’album Les Naïves, 1994

Borderline Philippe Katerine Extrait de l’album Robots après tout, 2005

On ne voit pas le temps passer Jean Ferrat, 1965

Dans la salle du bar tabac de la rue des martyrs Pigalle, François Hadji-Lazaro Extrait de l’album Pigalle, 1990

Le bonheur quotidien Anne Sylvestre Extrait de l’album J’ai de bonnes nouvelles, 1977


« Nous sommes tous des enfants du rock » Dick Rivers Le Dauphiné Libéré du vendredi 2 février 1990.

Quand ils arrivent en ville, Starmania Le Dauphiné Libéré du dimanche 21 janvier 1990.

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Soirée délirante avec Johnny Hallyday sous la garde de 30 agents prêts à bondir Le Dauphiné Libéré du mercredi 17 mai 1961. Caricatures de Jean Brian.

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Premier tremplin des artistes. Consécration d’un jour Le Dauphiné Libéré du mardi 13 février 1990.



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Musée dauphinois

De la chansonnette à l’hymne, de la comptine à la ballade, de la berceuse au chant révolutionnaire, la chanson véhicule nos sentiments et notre pensée. Si elle appartient au patrimoine immatériel de l’humanité, la chanson populaire ne cesse de jouer un rôle majeur dans notre société contemporaine. Cet ouvrage rend compte de l’exposition Si on chantait ! La La La La... en rassemblant textes, documents et chansons diffusées ou citées tout au long du parcours. Au fil des pages, une esquisse de la chanson populaire se dessine autour des fonctions que nous lui assignons : exprimer le souvenir, le quotidien, la révolte, l’exil, la vie et, avant tout, dire l’amour ! En s’appuyant sur de nombreux exemples, Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson, et Olivier Hussenet, comédien, chanteur et formateur, analysent la chanson, dans la relation qu’elle instaure avec l’intime et le politique, comme un art à réinterroger. La réalisatrice Péroline Barbet témoigne de la collecte conduite en Isère. Portant son regard sur la pratique et la réception contemporaine de la chanson, elle crée une installation sonore et des portraits filmés d’habitants-chanteurs de la Villeneuve à Grenoble, de choristes et d’auteurs-compositeurs-interprètes professionnels de la scène locale. Franck Philippeaux, commissaire de l’exposition, et Pierre-Vincent Fortunier, scénographe, partagent leur expérience de création d’un parcours expographique articulé autour de cet objet singulier immatériel qu’est la chanson.

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