Archibat29 issu

Page 12

APPRENDRE L'ARCHITECTURE

OPINION LIBRE

Dix ans d'enseignement à l'école d'architecture de Tunis Exercice d'adaptation et de synthèse, l'enseignement de l'architecture est une forme d'introspection dans le quotidien d'un métier. Le rôle de l'enseignant dans le processus complexe de l'apprentissage émane d'une autoévaluation de la méthode face à l'enseigné qui s'interroge lui-même en fin de cursus sur l'utilisation efficiente de ses acquis durant sa formation. L'apprentissage et l'enseignement de l'architecture ont donc en commun l'identification de la méthode ; ainsi étaient mes premiers rapports avec l'atelier de 5ème année que j'ai eu le privilège d'animer durant dix ans. Cette interaction stimulatrice de créativité, de défis et aussi d'égo supposait une implication consensuelle des deux parties, qui se mit très vite en place...

A

u début des années 2000, l'école Nationale d'Architecture de Tunis était encore très marquée par les enseignants issus du monde professionnel qui animaient principalement les ateliers des deux derniers niveaux d'études et avaient à leur charge la direction des mémoires de fin d'études. Un débat permanent nous animait quant aux objectifs de formation pour un métier toujours en cours de construction dans notre pays... Vaste problématique dans un environnement somme toute très conventionnel où l'architecture vacillait entre les besoins légitimes de construire et le rôle conditionnel de l'architecte dans ce processus. Nos étudiants devraient-ils prioritairement apprendre à construire ou à faire de l'architecture ? Le débat était ouvert et resurgissait très souvent durant la dernière année, celle du bilan, ainsi qu'au cours des soutenances des mémoires de fin d'études. Les arguments des uns et des autres avaient l'immense avantage d'exposer clairement des différentes méthodes de l'enseignement de l'architecture ou du projet d'architecture selon les situations et aussi en fonction de la réalité de nos étudiants face au prérequis à cette formation si particulière. Avec un peu de recul, je tente d'analyser, de comprendre et de partager un certain nombre de réflexions par rapport à notre école, son enseignement, ses étudiants, son système administratif et aussi sa révolution manquée...

Enseigner un métier ou inculquer une attitude ? L'architecture peut s'enseigner comme toute discipline artistique pouvant l'être dans une approche alliant le dogmatique et le sensible. Cependant, les métiers de l'architecture sont aujourd'hui bien plus divers que la majorité des enseignants n'osent le croire ou l'enseigner... La connotation de l'architecte bâtisseur directement rattaché au secteur de la construction, persiste à juste titre mais n'est-ce pas un raccourcis terriblement réducteur que d'assigner la formation d'un architecte exclusivement au secteur de la maîtrise d'œuvre ? Cette formation conduit pourtant vers une panoplie de métiers dont les compétences prérequises, parfois complémentaires sont la gestion, la communication, la programmation, l'aménagement du territoire... Ces dernières gagneraient à être mieux dispensées dans notre école nationale. La situation d'aujourd'hui persiste à vouloir donner aux futurs architectes une formation technique essentiellement orientée vers la construction sur la base d'une certaine maîtrise de la "composition" (souvent strictement formelle) qu'on enseigne dans les premières années de formation, servant de support pour un approfondisse-

ment de connaissances techniques... L'attitude d'être architecte est négligée faute d'aptitudes à transmettre une passion, au-delà de la simple vision très personnelle que chacun d'entre nous peut avoir de son métier... Pourtant, dans toute stratégie de formation, particulièrement les métiers d'art, l'apprentissage passe forcément par un processus d'identification. Un architecte formé avec passion a plus de chances d'être polyvalent et de se doter au cours de ses années d'école d'une capacité d'adaptation plus grande dans un contexte où les métiers de l'architecture connaîtront encore certainement plusieurs mutations...

Entre le rationnel et la métaphore La philosophie qui devrait occuper une place prépondérante dans un esprit scientifique et rationnel pour prétendre à l'architecture est quasiment absente de la formation en Tunisie. Les disciplines connexes comme la sociologie, l'urbanisme et son histoire font partie des matières dites "théoriques" qui souffrent d'un dénigrement absolu aussi bien de la part des enseignants des autres matières que par les élèves eux-mêmes qui n'y voient qu'une forme de culture générale faisant partie du "système de l'enseignement"... Et pourtant, la saisie et la manipulation de la métaphore, essentielle dans la genèse de toute forme d'art et d'architecture, ne peut pas s'acquérir uniquement dans les ateliers d'architecture qui fonctionnent jusqu'à présent en autarcie totale par rapport aux autres disciplines enseignées dans les murs de l'école. L'étudiant en architecture n'est-il pas celui qui crée des parallèles dans le monde des choses ? N'est-il pas celui dont la vision, le regard, sur le monde est emprunt de spiritualité et de poésie ?

Le rôle social et la responsabilité de l'architecte Le rôle social de l'architecte gagnerait à être mis en évidence par l'institution d'enseignement qui ne devrait plus considérer l'acte de bâtir comme une finalité absolue de ce métier dont les ramifications et les diversifications doivent s'amorcer à l'école. Les architectes tunisiens participeront à la promotion de l'architecture en Tunisie aussi bien dans la maîtrise d'œuvre que du côté de la maîtrise d'ouvrage, du journalisme, de la critique, de l'enseignement, des entreprises, des promoteurs, des décideurs, des aménageurs, des spécialistes en patrimoine, en archéologie... Notre école doit œuvrer à devenir plurielle et cesser de s'asphyxier sous prétexte qu'apprendre l'architecture sert uniquement à commettre de l'architecture...


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.