Harz labour n°7

/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// semaine du 4 au 10 avril, grève contre la loi El Khomri

HARZ-LABO U R

niverenn 7 — numéro 7

Henri Bergso

n, L’énergie

spirituelle

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Certains prétendent que ce serait à cause des bien connus « casseurs » que les flics auraient attaqué la manifestation. Ma blessure serait donc directement la faute de ces personnes. Il me semble pourtant bien qu’aucun manifestant, quelque soit ses pratiques, n’ait lancé de grenade lacrymogène. Et j’entendait le préfet dire qu’il s’agissait d’une manifestation « où la seule expression [était] celle de la violence ». C’est bien connu, ce sont des manifestants qui ont tué Rémi Fraisse sur la Zad de Sivens en 2014, c’est aussi un manifestant qui a fracturé la mâchoire d’un lycéen à Paris devant le lycée Bergson la semaine dernière. Il faut arrêter d’appeler « casseurs » ceux qui souhaitent passer malgré les blocages de flics. Il me semble évident qu’il ne faut pas céder aux techniques médiatiques qui visent à nous diviser en catégorisant certains manifestants. Pas plus qu’il ne faudrait trier les manifestants, comme le proposait dans Ouest-France un étudiant se considérant comme le chef du mouvement. Il proposait de créer un « service d’ordre » pour expulser ceux qu’il appelle les « casseurs ». Je ne suis pas d’accord avec ça. L’énergie doit être mise dans le fait de se protéger de la violence de la police, et non pour se battre entre manifestants.

Le gouvernement semble avoir peur de la colère, et il donne ordre aux flics de maintenir l’ordre, c’est à dire de nous parquer dans les endroits où nous serions les moins visibles et les moins gênants. Pourquoi pas nous laisser manifester loin du centre, mais surtout pas nous laisser bloquer la gare, entrer dans la mairie ou gueuler devant la préfecture.

Ces pratiques sont inacceptables, il est normal que nous cherchions à passer tout de même. En nous attaquant, en nous blessant, les flics cherchent à nous faire rentrer chez nous, et c’est aussi pour cela qu’il faut être de plus en plus nombreux et de plus en plus unis face à leur violence.

E., lycéenne rennaise blessée le 24 mars par une grenade lacrymogène en tir tendu.

GRÈVE

Le moment de la grève est une rupture du temps. Qui lève le bras en assemblée pour en marquer le commencement comprend dès cet instant que le quotidien est rompu et que les priorités s’inversent. Et cette abolition du cours normal des choses marque en même temps l’ouverture vers de nouveaux possibles. Les couloirs que l’on traverse deviennent des lieux où l’on reste. Les individus que l’on croise cessent d’être des éléments de notre décor. On leur sourit, on leur parle, brièvement d’abord, puis longuement. Plus tard, parfois, on s’embrassera, on se désirera.

Parallèlement, on continue de tenter de convaincre ceux qui sont encore non-grévistes de nous rejoindre. Certains le font.

Si certains sont convaincus par un tract, plus nombreux sont ceux qui suivent des amitiés et des formes de vie plus désirables que le fait de continuer d’aller en cours.

Au même moment, d’autres s’entêtent à accepter la monotonie navrante des cours et des examens, ou la ritournelle devenue fade du travail à la BU en semaine et des teufs le week-end.

Mêmes têtes, mêmes gestes, mêmes plaisirs qui s’éteignent.

Et les voilà qui rouspètent et vitupèrent ; en faisant grève nous perturbons leur normalité. C’est vrai. Deux temporalités se font face. Car la grève est aussi le moment où une faille se fait jour.

BLOQUER

Parce qu’elle modifie notre façon d’être, parce qu’elle chamboule nos priorités, parce qu’elle permet parfois d’arrêter la production d’objets ou de travailleurs, la grève modifie non seulement notre propre quotidien mais aussi celui de celles et ceux qui nous entourent. De ce fait, elle constitue déjà la première étape du blocage. Et comme une réponse évidente, développer la pratique du blocage généralise la dénormalisation.

Rater son train une fois, ne pas pouvoir prendre le métro, être pris dans les embouteillages, croiser des gens qui affrontent les flics, avoir ses examens universitaires retardés ... Gréviste ou non, personne ne doit avoir le loisir de dire « je ne sais pas, je m’en fous, ça ne change rien pour moi. ». Devoir repenser ses besoins, réorienter son énergie, faire appel au soutien des uns et prendre soin des autres. Et surtout, accepter que ce qui avait lieu n’est plus et que les « responsables » d’avant ne peuvent ni ne doivent maîtriser ce qui advient.

OCCUPER

La libération du temps et l’inversion des priorités permises par la grève nous rend ouverts à la discussion et à la rencontre.

De là résulte un désir de trouver des espaces pour agrandir la brèche ouverte dans le quotidien. De là aussi est venue la méfiance vis-à-vis des politiciens ou des journalistes qui tentent de masquer que quelque chose se passe, en réduisant le mouvement à une prise de position contre la seule loi travail.

Depuis, quelques amphithéâtres et bâtiments universitaires sont occupés, puis est venue le tour de places dans les grandes villes. Et ainsi le politique se redécouvre et se partage, tandis que la politique politicienne disparaît de notre horizon. Et si les vieilles habitudes se font tenaces, tous et toutes travaillent à les défaire : pourquoi attendre une décision extérieure pour faire ce qui nous semble être une évidence ? Pourquoi revendiquer quand nous n’avons rien à demander mais tout à prendre ?

Pourquoi se penser à travers notre propre représentation ?

Pourquoi normer, formaliser les prises de paroles, contrôler le vocabulaire, régler notre tentative dénormalisante ?

Si la grève est une libération du temps, l’occupation est une libération de l’espace. Ainsi, tout endroit investi n’est plus réduit à sa « fonction ». Il devient le réceptacle de nos potentiels, et, pour peu qu’on le veuille, tout peut y advenir.

Finies l’organisation absconse des villes, la répartition géographiques de nos activités : nous faisons la fête dans un amphi, nous récoltons de l’argent pour des inculpés à l’entrée d’un hall de Rennes 2, nous nous rencontrons sur les rails de la gare, et bientôt, peut-être, nous dormirons dans les centres d’appels, imprimerons nos journaux dans les cinémas, cultiverons nos jardins dans les parcs et jouerons à cache-cache dans les préfectures.

ET QUAND NOUS AURONS ABOLI SANS NOUS EN RENDRE COMPTE LES NORMES ABSURDES QUI COMPARTIMENTAIENT NOTRE TEMPS ET NOTRE ESPACE, ALORS IL NOUS PARAÎTRA TOUT AUSSI SAUGRENU D’Y REVENIR.