Protection des milieux : a-t-on perdu le contrôle ?

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sesame N°14 NOVEMBRE 2023 • SCIENCES ET SOCIÉTÉ, ALIMENTATION, MONDES AGRICOLES ET ENVIRONNEMENT

ENVIRONNEMENT QUEL

HEURT EST-IL?

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Protection des milieux : a-t-on perdu

le contrôle ? par Laura Martin-Meyer

Mais que fait la police de l’environnement ? Ici c’est un contrôle qui dérape, là c’est un local de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) qui est incendié, et partout la nature qui accuse le coup. C’est que, au-delà des faits divers, inspecteurs de l’environnement et magistrats se révèlent bien à la peine pour s’assurer du respect du droit de l’environnement sur l’ensemble du territoire. État des lieux d’un système sous contraintes, avec des paroles libres et sans concession.

D

ANS la nuit du 30 mars 2023, le siège de l’OFB à Brest est visé par plusieurs centaines de fusées de détresse, lancées par des marins pêcheurs exaspérés par la décision européenne d’interdire, d’ici 2030, le chalutage de fond dans les aires marines protégées. Aucune victime n’est à déplorer, mais les images du bâtiment calciné par les flammes reflètent bien le malaise des agents de l’établissement, la police de l’environnement, face aux attaques ou à la violence dont ils peuvent faire l’objet. Ici ce sont des insultes, menaces et agressions, voire parfois des tirs ; là c’est une remise en cause de leurs pouvoirs de police. Le 17 avril 2023, en pleine assemblée générale de la FDSEA de la Loire, le président de la chambre d’agriculture départementale, Raymond Vial, s’émeut par exemple de « contrôles un peu trop insistants de la part des agents de l’OFB » Le Progrès. Pourquoi un tel reproche ? « Les policiers de l’environnement sont

systématiquement critiqués parce qu’ils portent une arme et leurs locaux sont pris pour cible dans le plus grand silence médiatique. Toutefois, vous n’entendrez jamais de telles polémiques au sujet des gendarmes ni ne verrez de saccage d’un commissariat sans que cela fasse la une d’un JT », observe Léo Magnin, sociologue au CNRS et coauteur avec Rémi Rouméas et Robin Basier de l’ouvrage « Polices environnementales sous contraintes » à paraître en février 2024 aux éditions Rue d’Ulm. Leur hypothèse ? « La police de droit commun a pour objectif de maintenir un ordre social existant, la protection des personnes et des biens, ce qui est globalement accepté. Mais aller contre des activités économiques, agriculture et aménagement du territoire, ou de loisir, chasse et pêche, au nom du droit de l’environnement, comme le font les inspecteurs de l’environnement, c’est nettement moins consensuel. » Et, comme les moyens

manquent et que les enjeux ne sont pas établis de façon claire et assumée (lire « Gros plan sur l’OFB »), « on se retrouve avec du saupoudrage et des contrôles moins bien tolérés car très rares. En 2019, un rapport ministériel mentionnait par exemple que la FNSEA avait déploré le procès-verbal de trop… alors que c’était le seul du département ! » 1. Si ces épisodes propres à alimenter les faits divers sont révélateurs des tensions entre les mondes agricoles et les inspecteurs de l’environnement, ils ne disent rien en revanche des causes profondes, et viennent surtout masquer un paradoxe… celui d’un droit de l’environnement qui peine à imposer sa loi.

POLICE DE CHAGRIN. C’est bien le constat d’une « ineffectivité du droit de l’environnement en général » que font les sociologues Thomas Debril, Sylvain Barone et Alexandre Godin dans un chapitre dédié aux usages agricoles de l’eau, « Les trajectoires négociées de l’infraction environnementale » 2. Parmi les causes avan1 - Bruno Cinotti et Anne Dufour, Protection des points d’eau. Évaluation de la mise en œuvre de l’arrêté du 4 mai 2017, Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), Paris, 2019. 2 - T. Debril, S. Barone, A. Gaudin, Les trajectoires négociées de l’infraction environnementale : le cas des usages agricoles de l’eau, dans D. Leenhardt, M. Voltz, O. Barreteau, L’eau en milieu agricole, éditions Quae, p.89-101, 2020, 9782759231232.


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